Franc-Nord vol 3 no. 4 (automne 1986)

lioration génétique de la race humaine. Grâce à sa ténacité, Rifkin est parvenu à ...... milliers de Chiliens, de « Boat. People», de Polonais? Décidé- ment, nous ...
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"Papa il faut c}ue tu m'aides" "Suzanne, qu'y a-t-il? Es-tu blessée?" "Non papa, je n'ai rien." "Où es-tu?" "Chez Patrick. Nous sommes tous venus ici pour célébrer après la partie." "Il est presque minuit et demi. N'est-il pas temps que tu rentres?" "Justement, c'est ça. Te souviens-tu, tu m'a toujours dit que si je sortais, de ne jamais aller dans la voiture de quelqu'un qui avait trop bu? Et de ne pas avoir peur de t'appeler si je n'avais pas d'autre moyen de rentrer à la maison? Eh bien, ce soir je te prends au mot." "C'est bon. Ne bouge pas, j'arrive." "Merci papa. Oh, autre chose." "Vas-y." "Es-tu fâché contre moi?" "Fâché? Non Suzanne, jamais de la vie."

StQgttnn Nous croyons en la modération et nous l'affirmons depuis 1934

Savez-vous combien d'alcool vous pouvez consommer sans risque ? Écrivez-nous et nous vous ferons parvenir gratuitement un tableau sur les limites de la consommation d'alcool. C.P. 847, Succursale H , Montréal, Québec H3G 2M8

f~ 9141 , avenue du Zoo Charlesbourg, Qc, GlG 4G4 Tél. (418) 628-9600 Directrice : Hélène Beaulieu Rédacteur : Jean Hamann Traitement de texte, administration et abonnement : Lorraine Côté-Ouellet Secrétariat : Marlène Fitzback

Comité de direction Hélène Beaulieu, André Delisle, Harvey Mead, Jacques Proulx Comité de rédaction Cyrille Barrette, Janouk Murdock, Jacques Prescott Révision des textes René Moisan, Camille Rousseau Conseillers à la production Yves Bédard, Jean-Luc Grondin, René Lemieux Conseiller en administration Jacques Proulx Conseillers juridiques David Blair, Claude Wallot Conception graphique: Oblique inc. Composition et montage: Compélec inc. Séparation de couleurs: Les Ateliers Graphiscan Impression: Imprimerie Canada inc. Publicité: Québec : Hélène Beaulieu, (418) 628-9600

FRANC-NORD, la revue officielle de l'Union québécoise pour la conservation de la nature (UQCN), est éditée quatre fois l'an. En 1986, la cotisation pour les membres individuels de l"UQCN est de 12,00 $ pour un an, celle des organismes affiliés est de 25,00 $. Les membres de l'UQCN sont automatiquement abonnés à FRANC-NORD. Les abonnements à FRANC-NORD, pour les bibliothèques, les écoles et autres organismes non-affiliés, sont de 12,00 $ pour un an au Canada, et de 17,00 $ à l'étranger. Le numéro se vend en kiosque et en librairies, à 3,25 $. Les chèques ou mandats postaux doivent être établis à l'ordre de : FRANC-NORD. Courrier de deuxième classe. N° 6284. Port de retour garanti: FRANC-NORD, 9141 , avenue du Zoo, Charlesbourg, G1G 4G4, FRANC-NORD ' AUTOMNE I 986 (Date de parution septembre 1986). La direction laisse aux auteurs l'entière responsabilité de leurs textes. Les titres, sous-titres et les textes de présentation sont !'oeuvre de la rédaction. © Copyright 1986 - FRANC-NORD Le contenu de FRANC-NORD peut être reproduit avec l'autorisation de la direction. Dépôt légal : Bibliothèque nationale du Québec, Bibliothèque nationale du Canada, premier trimestre 1984, ISSN-0822-7284. La publication de ce périodique est rendue possible grâce à l'aide des ministères du Loisir, de la Chasse et de la Pêche, de la Science et de la Technologie (Québec) et de !"Environnement (Québec), ainsi qu"à Habitat faunique Canada. Nous tenons à remercier toutes les personnes dont les conseils ont contribué à la réalisation de ce numéro. Soulignons aussi la collaboration hautement appréciée du Collège régional Champlain.

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Entre ciel et terre L'escalade, pour élever le corps et l'esprit.

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par François-Guy Thivierge

Point de mire: tourterelle Les chasseurs réclament une nouvelle espèce pour leur gibecière.

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par Sylvain Paradis

Vers le meilleur des mondes L'environnement à l'heure des manipulations génétiques.

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par Jean Hamann

1,5 milliard pour la sauvagine Le Canada et les États-Unis se fixent un objectif commun: augmenter les populations de sauvagine. par Serge Beaucher

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Des barrages à l'abandon Cinq barrages cèdent chaque année. Sommes-nous bien protégés? par André Robitaille et Jean Tremblay

Chro_niques 4

Votre courrier...

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Éditorial... Tchernobyl, Challenger et Bhopal de bons indicateurs des promesses de la science?

par Harvey Mead

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Avis de convocation pour l'assemblée générale annuelle de l'Union Québécoise pour la conservation de la nature (UQCN).

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Vous aimerez visiter... Un lac devenu marais.

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Penser globalement ... Le commerce de la paix. par groupe de travail sur les usines d'armements au Québec

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Agir localement. .. L'aménagement à une loi. Loisir-saison... Les olympiades zoologiques.

par Christian Autotte

par Didier Bicchi par Jacques Prescott

34 · Vous aimerez savoir..• 37

Sondage auprès des lecteurs de Franc-Nord

Photo en page couverture: Grandes oies blanches au Cap Tourmente par Christian Gagnon

wtve colAvrier direction feront preuve, à l'avenir, de prudence et discernement.

PENSER ••• DIFFÉREMMENT J'avais décidé de laisser tomber mon abonnement mais un article paru dans le « Penser globalement » du numéro de printemps (Pourquoi le sud nourritil le nord? Vol. 3, no 2) m'a fait changer d'idée. La conscientisation à l'interdépendance, c'est important dans notre monde individualiste. Voilà ce qui m'a fait revenir sur ma décision et m'a convaincue de grever mon budget lecture.

Pierre Proulx Québec

DES TORTUES APPRÉCIÉES

Mille félicitations à Antoine Saucier pour son excellent article « Étranges tortues« (Vol. 3, no 2). Une information riche, claire et accessible, bref, de la qualité! J 'aimerais savoir s'il nous est possible d'observer des Estelle Brodeur tortues dans la région de QuéSaint-Césaire bec. Y a-t-il des recherches qui se font à ce sujet dans notre région? Dans le numéro publié au Richard Lavoie printemps 1986, j'ai été très Montmagny étonné de retrouver, sous la signature d'une dame Legault, un article intitulé: « Pourquoi le sud nourrit-il le nord? » . Ce genre d'article n'a pas sa place dans une revue telle que la vôtre; il siérait volontiers dans une publication à caractère idéologique d'extrême gauche ... Si vous persistez à publier des sujets de cet acabit, vous compromettrez dans un avenir plus ou moins rapproché la survie même de votre revue. J'ose espérer que les membres de votre comité de

À ma connaissance, il n y a pas vraiment de recherches sérieuses qui sont menées actuellement sur les tortues québécoises. Par ailleurs, n 'ayant pas d'expérience personne/le des environs de Québec, je ne peux ma/heureusement pas vous refiler un « spot » miraculeux pour les tortues! Découvrir une population de tortues demande en général beaucoup de temps et

d'énergie car il faut être présent ment souillées de leur fiente, j'ai au bon endroit et au bon mo- été saisi d'une fièvre virale que ment. j'ai dû traiter aux antibiotiques. C'est assez pour attraper l'orniAntoine Saucier thoracisme.

Benoit Asselin Québec

FIÈVRE ORNITHORACISTE Dans le numéro Été (Vol. 3, no 3), il y a un texte que je n'ai pas digéré. C'est celui de Michel Gasselin (L'ornithoracisme) qui, après 15 années d'activités ornithologiques, ose prendre la défense de !'étourneau sansonnet. Je connais !'étourneau depuis 1930, et je puis dire, preuves à l'appui, que cet oiseau n'est pas défendable tellement j'ai vu et constaté ses nombreux méfaits. À St-Gervais, l'un de mes frères, ne finit plus de vider les bouches d'aération de ses bâtiments de ferme et même sa boîte postale. Dans son érablière, on ne voit plus de pic doré ni de moucherolle huppé, cadeau du sansonnet. Mon autre frère doit sans cesse être vigilant pour protéger sa colonie d'hirondelles pourprées contre !'étourneau. Enfin, à l'été 1978, en nettoyant des planches que des étourneaux avaient abondam-

LAID SOR TOUTE LA LIGNE Je suis entièrement d'accord sur l'importance de préserver intact le secteur GrondinesLotbinière, une portion du territoire québécois qui se caractérise par une structure d'occupation traditionnelle et par la richesse de son patrimoine architectural (La sixième ligne, Vol. 3, no 3). Toutefois, la maison Hamelin n'est qu'un cas parmi tant d'autres. Plusieurs sites d'intérêt sont perturbés par la présence de lignes électriques - le Saguenay à Tadoussac, l'île d'Orléans, la chute Montmorency, et j'en passe. La dégradation des paysages causée par l'omniprésence des lignes électriques au Québec a été négligée dans cet article. André Robitaille Charlesbourg

Union québécoise pour la conservation de la nature " penser globalement, agir localement "

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bureau: 9141, avenue du Zoo, Charlesbourg, GIG 4G4, tél. : (418)628-9600 L'UQCN est un organisme national sans but lucratif. Elle regroupe des i~dividus ainsi que des sociétés oeuvrant dans les domaines des sciences naturel'~s et de l'environnement L'objectif principal de l'UQCN est de créer les moyens d'éducation et d'intervention efficaces en vue d'une meilleure appréciation de l'environnement naturel et d'une utilisation durable des ressources. Conseil de direction de l'CIQCN: président : Harvey Mead ; vice-président aux parcs et sites protégés : Jean-Luc Bourdages ; vice-président à la commission éditoriale: André Delisle; vice-président à la conservation : Michel Beaulieu ; vice-présidente à la régie interne : Nathalie linger ; vice-président à l'éducation: Jean-Noël Vigneault ; secrétaire: Jean Sylvain ; trésorier : Jacques Prou lx. Affillés: Amis de la nature de Georgeville, Association des entomologistes amateurs du Québec, Association québécoise d'interprétation du patrimoine, Centre atlantique de /'environnement, Centre de conservation de la nature du mont Saint-Hilaire, Centre de la montagne, Cercle des jeunes naturalistes, Club des naturalistes Catharine Trail, Club des naturalistes de la vallée de la Saint-François, Club des ornithologues de la Gaspésie, Club des ornithologues du Bas-Saint-Laurent, Club des ornithologues amateurs du Saguenay-Lac St-Jean, Club des ornithologues du Québec, Club d 'ornithologie Sorel- Tracy inc., Comité d 'étude sur les produits toxiques, Comité permanent sur /'environnement de Rouyn-Noranda, Conseil régional de /'environnement de /'Est du Québec, Fédération Canadienne de la nature, Fédération québécoise de la marche, Fondation pour la sauvegarde des espéces menacées, Fonds mondial pour la nature - Canada, Groupe d'animation en sciences naturelles, Groupe Fleurbec, Groupe lnterPaysages, Groupe Nature et Patrimoine, Laboratoire d'écologie végétale de /'Institut botanique de Montréal, Laboratoire de géographie de /'université du Québec à Chicoutimi, Montreal Field Naturalist, Naturalistes adultes du Québec, Parc régional de la Riviére-du-Nord, Regroupement pour la préservation de /'ile et du marais de Katevale, Sentier d'interprétation de la batture, Société culturelle et écologique de la basse Côte-Nord, Société d'animation du Jardin et de /'Institut botanique de Montréal, Société d'entomologie du Québec, Société d 'histoire naturelle de la vallée du Saint-Laurent, Société de biologie de Montréal, Société de géographie du Québec, Société du loisir ornithologique de /'Estrie, Société linéenne du Québec, Société pour/a conservation des sites naturels, Société Provancher d 'histoire naturelle, Société québécoise de la spéléologie, Société québécoise pour la protection des oiseaux, Société zoologique de la Mauricie, Société zoologique de Québec.

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automne 1986

édibrkifl Tchernobyl, Challenger et Bhopal De bons indicateurs des promesses de la science ? Sans diminuer l'importance des acquis scientifiques, on doit noter que la science figure dans presque toute la problématique environnementale de notre époque. Les limites de la science sont souvent oubliées lorsqu 'on admire les réalisations des scientifiques et des ingénieurs, qui sont des mervemes ayant un impact impressionnant dans presque tous les domaines de notre vie quotidienne. 11 faut en effet équilibrer notre perception de la science; le progrès scientifique et technologique doit être balancé par une prudence administrative qui tienne compte de notre ignorance. Les catastrophes des dernières années en sont une indication, qu 'il s 'agisse des accidents aux centrales nucléaires de Three Mile Island et de Tchernobyl, à J'usine de pesticides de Bhopal, ou à la navette spatiale Challenger. Ces structures constituent des symboles, des indices immanquables du pouvoir exercé de nos jours grâce aux acquis scientifiques et technologiques. Sans les accidents, on serait tenté d 'oublier la faiJJibilité derrière ces symboles ainsi que le potentiel destructif inhérent aux structures mêmes. Si l'on pense aux défis démographiques actuels, on peut constater la même chose. Une des raisons pour l'explosion de la population dans les pays du Tiers-Monde - une autre sorte d '« accident » - est l'élimination de la mortalité due à la malaria, élimination rendue possible grâce à la découverte scientifique de moyens de lutte contre l'anophèle. Un des facteurs rendant possible la baisse de natalité dans les pays industrialisés est la découverte de méthodes efficaces de contraception. Dans ces deux cas, les découvertes scientifiques et Jeurs applications n 'ont pu tenir compte de toutes les implications pour l'être humain, qui se sont manifestées quelques décennies plus tard. De façon plus générale, nos connaissances scientifiques ont permis

contemporaine sur la saine gestion depuis la deuxième guerre mondiale de l'environnement doit faire ressortir la fabrication, à une échelle incroyale rôle essentiel des facteurs huble, de mmiers de produits chimimains dans toute décision importanques nouveaux. Les limitations de nos connaissances quant à leur utili- te dont celles relatives aux applicasation se sont manifestées, entre au- tions de la science. Les facteurs tres, par les phénomènes transfronta- économiques et sociaux ajoutent une énorme complexité à la gestion de liers des pluies acides et toxiques, par la pollution des océans, et par le l'environnement, et font que les acréchauffement - ou est-ce un refroi- quis scientifiques ne restent presque jamais sous le contrôle des persondissement? - de la planète. Ces nes qui peuvent comprendre les limiphénomènes - insidieux, globaux, tes des découvertes en cause. possiblement irréversibles - constituent les véritables " accidents » enviMais l'effort de la société humaironnementaux de notre époque. ne actuelle pour freiner les atteintes La problématique environnementa- à son milieu de vie dans l'espoir d 'enrayer une dégradation de plus en le est donc mal indiquée par les accidents sensationnels, tant qu 'ils sont plus profonde et de plus en plus inéluctable - la gestion de l'environperçus comme des accidents. L 'apnement - exige beaucoup. En partiport des scientifiques est mal comculier, elle exige une attitude qui respris tant qu'il est conçu comme un pecte les limites, non seulement de progrès tout simple. Et la véritable valeur d 'une découverte ou d 'une ap- la capacité de support de la planète, mais aussi, et plus profondément, de plication ne peut être mesurée que notre inteJJigence et de notre capacidans une perspective globale. té de gestion. 11 y a lieu de poser des quesAvec ce numéro de Franc-Nord, tions quant au rôle de la science l'Union québécoise pour la conservadans la résolution des problèmes ention de la nature renouvelle son efvironnementaux de notre époque. 11 fort pour offrir une information pertiest impératif de mieux voir les sciennente à ce propos. Nous traiterons, ces pour ce qu 'elles sont. D'une en particulier, dans les numéros suipart, les sciences sont faWibles à leur vants, de plusieurs dossiers associés base, parce que la connaissance des aux grandes questions soulevées par phénomènes est toujours imparfaite la technologie. Plusieurs intervenants et approximative. D'autre part, les y mettent énormément d 'espoir dans sciences ne proposent comme explil'effort de répondre aux défis cations que des " hypothèses de tracontemporains. vail », elles ne donnent lieu que très La tendance actuelle à mettre rarement à des lois et à des vérificaune grande confiance dans la biotections complètes. Enfin, les sciences hnologie s'insère dans le contexte sont par surcroît hautement spécialihistorique des dernières décennies. sées. Les scientifiques ont donc une Nous y reviendrons. compréhension limitée des répercussions de Jeurs découvertes, dans J'espace et dans Je temps. Et peu importe les acquis impressionnants, les découvertes scientifiques sont toujours utilisées par des êtres humains, qui ne laissent Harvey Mead aucun doute quant à leur faiJJibilité. En effet, les accidents contemporains mentionnés ci-haut recèlent des problèmes d 'ordre administratif aussi bien que scientifique. La réflexion

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par François-Guy Thivierge

Grimper, pour Je plaisir du corps et de l'esprit. À 40 mètres du sol, attaché à la paroi par une corde reliée à mon cuissard, fassure Johanne qui s'apprête à grimper. A passer du monde horizontal au monde vertical. Assis sur une petite corniche, j'observe la nature qui m 'entoure ; un ciel bleu, une forêt de conifères, des parois de roche s'étendant sur des kilomètres, une roche de type conglomérat, propre, solide et irrégulière offrant un grand choix de prises pour les pieds et les mains. Je ressens une grande satisfaction d'être là, à mi-chemin entre ciel et terre. J 'écoute le vent, je regarde les oiseaux qui tourbillonnent au-dessus de moi, et surtout j'assure Johanne qui vient de quitter le sol, c'est-à-dire qu'au fur et à mesure qu'elle progresse, je bloque la corde et seules sa force et sa souplesse lui permettent de se hisser. J 'ai entièrement confiance aux instruments (blocs métalliques coincés) qui me retiennent au rocher. Johanne pourrait être lourde comme un éléphant et se laisser tomber ; rien ne casserait. Je l'aperçois sous mes pieds à une quinzaine de mètres ; elle a

passé le plus dur, mais le reste n'est pas de tout repos. Les muscles de mes bras se détendent lentement. À notre gauche, j'entends mes copains qui grimpent par une autre voie. François pousse un cri de joie après avoir réussi un passage difficile. Du haut de mon perchoir, j'aperçois Fritz Wiessner, le pionnier de l'escalade de rocher ~u Québec et dans l'est des États-Unis. A 87 ans, il grimpe toujours. Je crois que la montagne est et restera pour lui une véritable passion. li nous salue et continue son chemin à travers les rochers au pied du mur où nous sommes. Tout est si beau! Johanne arrive au relais, je lui laisse ma place et à mon tour, je pars grimper. Maintenant, c'est Johanne qui m'assure. L'escalade est une activité de prudence, de coopération, d'amitié et de patience, et Johanne possède toutes ces qualités. Escalade dans les Shawangunks, état de New York.

L'appel des sommets

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-a

Concentré, je progresse en tête (premier de cordée). Trouver les meilleures prises, prévoir des haltes pour se reposer et installer des mousquetons le long du parcours sont les seules choses auxquelles je pense. Vivre, savourer pleinement le moment présent. L'effort physique me fait suer et rend mes mains moites. À quelques mètres du sommet, des touristes me pointent du doigt. Je les salue et finalement je m 'auto-assure sur un gros arbre. Johanne me rejoint en prenant' soin de bien enlever tout le matériel que j'ai placé pour grimper, laissant ainsi la voie intacte comme si personne n'était passé. Rendus tous les deux au sommet, nous échangeons sur cette expérience unique en mettant l'équipement en ordre et en roulant la corde. Nous prenons le sentier de descente en pensant déjà à une autre voie pour grimper. Quelle belle journée!

Pourquoi escaladons-nous les montagnes ou les parois rocheuses? Parce qu'elles sont là, pour le paysage environnant, pour la recherche du défi, pour le bien ~ être , pour la découverte, pour l'aventure et le goût des hauteurs. L'escalade apporte beaucoup, tant au niveau physique que mental ou spirituel. La confiance en soi, la sagesse, la prudence, la compréhension de son corps, le développement physique et la sensation de bienêtre pendant et après l'effort sont les éléments les plus marquants de cette activité de plein air. Plusieurs distinctions importantes existent entre l'escalade de rocher et l'alpinisme. Cette dernière activité nécessite plus d'engagement de la part des participants à cause de la hauteur, du temps à consacrer et des dangers potentiels, tels les avalanches, les crevasses, le mauvais temps, etc. De plus, elle implique une plus grande variété de surfaces de contact (neige, glace, roche) sur différentes pentes. L'alpinisme tient de la marche autant que de l'escalade. L'escalade constitue une excellente façon d'améliorer sa condition physique. Le grimpeur acquiert plus ou moins rapidement la maîtrise de son corps et il découvre les limites de ses capacités physiques. Contrairement aux populaires appareils de conditionnement physique commerciaux, l'escalade permet des contractions musc_ulaires variées et fait appel à des muscles qui ne sont presque jamais sollicités. La direction des forces à déployer est si variée qu'elle fait de l'escalade une activité non répétitive, donc rarement, sinon jamais, monotone. Le déplacement, comme une danse sur le rocher, et la création personnelle des mouvements adaptés à chaque morphologie procurent un merveilleux défoulement physique. Ce plaisir s'ajoute au contact avec la nature, à la sensation de liberté et de bien-être. Pour qui désire apprendre à grimper, il existe trois terrains d'apprentissage: le bloc, le rocher-école et la falaise. Le bloc, ou boulder, de 1 à 5 m, ne néces-

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site pas d'équipement spécialisé à l'exception d'une paire de souliers (sans crampons). Le jeu est de · réussir un passage difficile et de redescendre ou simplement de sauter. Le rocher-école, un peu plus haut (5 à 25 m), offre la possibilité de découvrir l'escalade en toute simplicité. On utilise la corde, les mousquetons et le casque. Comme le nom l'indique, c'est une école. On s 'initie à l'utilisation du matériel, aux techniques et aux types de prises sur le rocher. La falaise (25 m et plus) est l'aboutissement de plusieurs heures de préparation. La pratique de l'escalade en falaise nécessite

des parcs aux États-Unis interdisent d'ailleurs l'utilisation de pitons qu'on laisse dans le rocher. Depuis une dizaine d'années, les nouveaux équipements, les tests et les nouvelles techniques rendent l'escalade beaucoup plus accessible et moins risquée. Les niveaux de difficulté (cotation) sont échelonnés de 5,0 à 5,14. Selon cette cotation, 5,0 équivaut à une échelle inclinée de 50° et 5, 14 représenterait un mur vertical presque aussi lisse qu'une vitre. Ce dernier niveau est limité à quelques « Gretzky » de l'escalade dont les plus célèbres sont Patrick Edlinger, Kim

des stages d'initiation, de formation et de perfectionnement et qui organisent des sorties, des voyages et des expéditions. On intègre de plus en plus l'escalade dans l'enseignement, l'éducation physique, le plein air, les journées sensorielles, la psychiatrie, etc. On pratique l'escalade dans les camps de vé)cances, comme thérapie pour les handicapés physiques et mentaux et on l'utilise pour faciliter la réinsertion sociale des personnes suicidaires, délinquantes ou agressives. On dit qu'être en présence d'un danger possible donne le goût de vivre. Je ne dis pas que l'escalade est dangereuse, mais, au même titre que d'autres sports, cette activité comporte certains risques.

Découvrir l'escalade

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des connaissances et un jugement permettant une automonie complète.

La montée de l'escalade

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L'époque de la course au plus haut sommet du monde s'est arrêtée en 1953 lorsque Hillary et T ensiny plantaient pour la première fois un drapeau au sommet du mont Everest. Par la suite, les mordus de la montagne se sont tournés vers les sommets difficiles à gravir, allant jusqu'aux parois les plus abruptes. On peut déduire de cette évolution que l'alpinisme a donné naissance à l'escalade. Tous les grands murs ont été vaincus de façon artificielle (avec l'aide de la corde). Aujourd'hui, c'est l'escalade libre qui est la plus pratiquée. La progression se fait uniquement avec les mains et les pieds. La corde sert seulement en cas de chute, et l'équipement s'installe et s'enlève facilement ne laissant aucune trace. La plupart

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Le rocher-école permet de s'initier à l'utilisation du matériel et aux techniques d'escalade.

Karrigan et Jerry Moffatt. Mais, a-t-on besoin d'être un expert pour éprouver du plaisir à grimper? Presque toutes les activités sportives possèdent des catégories de participants. Le ski de fond attire beaucoup d'adeptes occasionnels, mais peu qui s'entraînent pour la compétition utilisant les techniques nouvelles comme le coup de patin afin d'améliorer leur performance. li en va de même pour l'escalade. Au Québec, des milliers de personnes font de l'escalade à l'occasion, des centaines grimpent régulièrement et des dizaines s'entraînent pour la performance. li existe des clubs, des écoles et une fédération qui offrent

Tout jeune, je grimpais déjà aux arbres, aux poteaux de téléphone et même sur la toiture de la maison. L'enfant apprend à grimper avant même de marcher. Doit-on penser que l'escalade est une activité instinctive à l'homme? On constate que des millions d'humains ont le désir naturel, le goût, dès l'enfance, de grimper. Je savais que le mont Everest était le plus haut sommet du monde avant même de connaître la signification des mots sinus, cosinus, dérivés et intégrales. Un soir, la veille d'un examen, j'ai préféré visionner les grandes aventures de l'Hymalaya plutôt que d'étudier. Je crois que c'est là que j'ai compris que j'allais un jour ou l'autre vivre ce genre d'activité. Peu de temps après, je suivais un stage d'escalade près du pont de Québec. Cette fin de semaine (pluvieuse) fut mon envolée vers d'autres stages plus avancés. Cet automne-là fut trop court. L'hiver suivant, des stages d'escalade de parois de glace aux chutes Montmorency me donnèrent encore plus ce goût de grimper. Une période intensive de lecture sur ce sujet a pris beaucoup de mon temps. Ma mère ne me reconnaissait plus. Je consacrais mes économies à l'achat de livres et d'équipement spécialisés ; mes amis me trouvaient un peu bizarre, mais maintenant eux-aussi pratiquent l'escalade. Le goût des escalades plus difficiles m 'a permis de rencontrer de nouveaux amis plus expérimentés que moi. Avec eux, j'ai découvert le parc des Grands Jardins, la vallée de la rivière Malbaie, Saint-Siméon, la région du Saguenay, de Portneuf, l'est des Etats-Unis (NorthConway et les Shawangunks de New York), le nord de Montréal et !'Estrie. Après quelques années de pratique, j'initiais à mon tour des amis ici et là. Un stage de moniteur en escalade, sanctionné par la Fédération québécoise de la montagne, officialisait mà compétence. Maintenant, au sein d'une des plus importantes compagnies de loisir en plein

Type de rocher

Équipement

Prix

Bloc ou boulder

souliers d'escalade (facultatif)

75 $

Rocher école

Falaise

1 corde 2 mousq uetons sangle ou 1 rallonge casque protecteur corde 20 mousquetons 20 coinceurs 8 sangles baudrier-cuissard casque protecteur plaque-frein ou figure en 8 décoinceur

120 12 15 35

$ $ $ $

120 $ 120 $ 100 $ 120 $ 50 $ 35 $ 10 $ 5$

La technique de l'escalade Comme tous les sports, l'escalade nécessite un minimum de technique pour l'exécution des mouvements. La position de base est la suivante : le tronc décollé du rocher, les genoux légèrement fléchis, la plante des pieds sur le rocher et les talons bas. Les mains doivent surtout maintenir l'équilibre alors que les membres inférieurs supportent le poids du corps (le rapport de force à déployer serait de l'or-

dre de 2 / 3 pour les jambes et 1/ 3 pour les bras). Cette position permet aux grimpeurs d'avoir une bonne visibilité des prises pour les pieds et les t.. ~ ,} mains. V

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Suivant la règle d'or de sécurité, le ~ grimpeur se déplace lentement, avec !§ ·~ souplesse, un membre à la fois, lais- ~ sant toujours trois points d'appui sur ~ ,.... ..._._ le rocher. -a ........._,....._-=·-""""

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L'équipement de base pour l'escalade en falaise coûte environ 500 $.

air de la région de Québec, mes collègues et moi faisons découvrir plusieurs activités de plein air à des centaines de personnes et groupes de tous genres. L'escalade de rocher prend une part importante de nos activités du printemps jusqu'à l'automne. Personnellement, l'escalade, comme le plein air en général, est devenu plus qu'une activité ou un mode de vie ; c'est une véritable passion. •

À consulter : Patrick Edlinger, 1986. Grimper. Le livre le plus actuel pour apprendre à grimper.

François-Guy Thivierge, président-directeur de Loisirs Passe-Sports Plein Air, se consacre au développement des activités de plein air.

Eugénie Lévesque et Jean Sylvain, 1978. Guide des parois d'escalade au Québec. Ce livre reste un très bon guide, toutefois beaucoup de voies maintenant répertoriées n 'y apparais· sent pas.

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POINT œ MIRE: par Sylvain Paradis

Les chasseurs ont /'oeil sur un nouveau gibier à plumes. Par un frais matin de septembre, deux oiseaux filent à toute allure au-dessus d'un champ. Soudain, surgie de nulle part, une arme s'élève, un coup retentit et un nuage de plombs fend l'air. L'un des oiseaux, touché, s'écrase au sol, laissant derrière lui quelques plumes virevolter au vent. Le gibier en question se nomme tourterelle triste. Rêve ou réalité? Réalité bien actuelle chez ' nos voisins du sud qui en prélèvent des millions par année. Au Québec, rêve qui pourrait bien devenir réalité si le ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pêche (MLCP) donnait suite aux pressions exercées par un petit groupe de chasseurs.

depuis les années 1950. Cependant, l'indice ne renseigne pas sur la population totale de cette espèce.

50 millions par année Bien que symbole de la paix, la tourterelle compte parmi les oiseaux les plus chassés au monde. Les trois millions d'Américains qui s'adonnent à la chasse à la tourterelle triste en abattent 50 mil-

Un nouvel arrivant

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Très rare au Québec au siècle dernier (les premières observations datent de 1831 ), la tourterelle triste n'a commencé à fréquenter véritablement nos régions que dans les années 1950. On la retrouvait alors surtout dans la région du sud de Montréal. De là, la tourterelle s'est répandue, au cours des années 1960, dans !'Outaouais, et dans la vallée du SaintLaurent jusqu'à la péninsule gaspésienne. Dans les années 1970, elle arrivait au Lac-Saint-Jean et, plus récemment, sur la Côte-Nord, à Anticosti et aux Îles-de-laMadeleine. Sa répartition actuelle montre qu'eile occupe surtout les régions agricoles du sud-est du Québec. Bien que l'on s'accorde en général· pour dire que la population de tourterelles a augmenté au Québec, aucun inventaire exhaustif de l'espèce n'a encore été réalisé. Les seules données qui laissent croire à l'augmentation des effectifs de tourterelles proviennent des feuillets d'observation compilés par !'Association québécoise des groupes d'ornithologues (AQGO). Ces feuillets, qui signalent les espèces observées lors d'une sortie, ont permis de calculer un indice de constance (nombre de feuillets indiquant la présence de tourterelles / nombre total de feuillets reçus) confirmant la progression marquée qu'a connue la tourterelle triste

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... La tourterelle triste respire la grâce et la beauté. Sa présence en milieu urbain et ses visites aux mangeoires ont contribué à augmenter sa cote de popularité.

lions par année. C'est beaucoup et peu à la fois puisqu'il y aurait entre 400 et 500 millions de tourterelles aux États-Unis. Cette chasse engendre des retombées économiques importantes chez nos voisins du sud. Pour abattre une tourterelle, chaque chasseur tire, en moyenne, huit cartouches; la récolte totale demande

donc environ 400 millions de cartouches, soit une dépense de 128 millions $ en munitions seulement. Au total, la chasse à la tourterelle injecterait, chaque année, 272 millions$ US dans l'économie américaine. C'est surtout dans les états à vocation agricole que cette chasse fait rage. Dans l'Indiana, l'Illinois, le Nébraska et le Kentucky, les immenses champs en culture abritent des populations importantes de tourterelles. En fait, on dit qu'il y aurait là-bas autant de tourterelles que d'étourneaux sansonnets. Aux États-Unis, 38 des 50 états autorisent maintenant cette chasse. Traditionnellement, les états du nord-est américain s'y sont toujours opposés en raison de la faible abondance de l'espèce chez eux. Mais, au cours de la dernière décennie, cinq de ces états ont ouvert la chasse à la tourterelle et les états de la Nouvelle-Angleterre étudient aussi cette possibilité. Les Américains ne chassent pas la tourterelle pour protéger leurs récoltes, ni pour assurer leur subsistance ou encore moins pour le bien-être de l'espèce. Ils chassent la tourterelle, d'abord et avant tout, pour le plaisir de chasser. L'engouement pour ce type de chasse gagne progressivement le Québec au fur et à mesure que cette espèce se fait plus abondante. À plusieurs reprises au cours des dernières années, des membres de la Fédération québécoise de la faune (FQF, regroupement provincial des associations de chasse et pêche) ont demandé au MLCP d'étudier la possibilité d'ouvrir une chasse à la tourterelle. L'été dernier, le MLCP se rendait à leur requête en publiant un rapport intitulé La situation de la tourterelle triste au Québec. Dans ce rapport, le MLCP examine cinq scénarios allant du statu quo (chasse interdite) à la chasse dans tout le Québec sans suivi des populations (voir encadré). Tourterelle triste ~

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quelle partie de cette somme est attribuable à la tourterelle mais il reste néanmoins que chaque nouvelle espèce acLe chic de la tristesse cessible aux observateurs rend l'activité plus attrayante. La présence de l'espèce en milieu urbain et ses visites occasionLa tourterelle triste est la seule reprénelles aux mangeoires, en hiver, ont consentante indigène de la famille des tribué à augmenter sa cote de popularité. colombidés (pigeons, tourterelles, coLa beauté de l'oiseau et la douceur de lombes) au Québec. D'une trentaine son chant l'ont fait remarquer et appréde centimètres de longueur, ce bel oicier des observateurs. seau au corps élancé se reconnaît faPierre Drapeau, directeur de l'AQGO, cilement à sa longue queue pointue estime que le débat est plutôt mal (13 cm) bordée de blanc. Le pourtour amorcé. « Le MLCP essaie de donner de !'oeil est bleu lavande et le cou est une coloration scientifique à toute l'affaire tacheté de plumes bleues et roses irrialors qu'il ne s'agit que d'une question descentes. Son allule générale inspire de choix politique, affirme-t-il. L'ouverture la grâce et l'élégance. d'une chasse à la tourterelle s'inscrit Le qualificatif " triste » de son nom dans la nouvelle orientation du MLCP viprovient du chant plaintif qu'elle émet sant à commercialiser et rentabiliser la à coeur de jour et qui est parfois faune.» confondu avec celui de la chouette. L'AQGO remet en question quelques Au vol, la tourterelle peut atteindre points du rapport du MLCP. D'abord, on une vitesse de pointe de 110 km / heun'apprécie guère l'interprétation que le re; le mouvement saccadé des ailes ministère a faite des données recueillies provoque un sifflement particulier. par les ornithologues amateurs. L'augLa tourterelle occupe presque mentation de l'indice de constance n'imtoutes les zones défrichées de l'Amériplique pas nécessairement une augmenque du Nord: boisés urbains, vergers, tation de la population de tourterelles. li pâturages, abords de fermes, de rouse peut que les observateurs la signates ou de sites d'entreposage de lent davantage parce qu'ils la reconnaisgrains. Son adaptabilité ne se limite sent plus facilement qu'auparavant ou pas seulement à la variété d'habitats encore que l'espèce se soit progressivequ'elle peut utiliser, mais aussi à son ment déplacée vers les zones habitées. choix de nourriture. Son régime ali« Par ailleurs, souligne Pierre Drapeau, mentaire se compose à 98 3 de graion ne connaît ni la population totale, ni nes: maïs, blé, graines de tournesol, la densité, ni la production annuelle de mauvaises herbes, etc. jeunes au Québec. Comment va-t-on s'y On croit que cette espèce est moprendre pour établir des quotas de nogame et qu'elle s'accouple pour la chasse? " vie. Son territoire, qui au début de la Les demandes répétées faites auprès nidification peut atteindre jusqu'à MLCP pour ouvrir la chasse à la tourdu 1OO m de diamètre, diminue progresterelle ne sont pas venues directement sivement au cours de l'été. Trait partide la FQF mais plutôt de quelques indiculier aux colombidés, les parents vidus. Gilles Rièhard, chroniqueur de nourrissent leurs nouveaux-nés (deux chasse », dit-il. Chasseur d'expérience, il en général) au « lait de pigeon '" une ces requérants . .C'est surtout l'expérience substance crémeuse sécrétée par le américaine qui l'a convaincu que pareille jabot. chasse était possible ici. « Aux États-Unis, les chasseurs récoltent des millions de tourterelles et les populations se maintiennent. Jusqu'à présent, personne ne m 'a prouvé qu'il n'y avait pas assez de Rentabiliser la faune tourterelles ici pour ne pas ouvrir une chasse " dit-il. Chasseur d'expérience, il Une nouvelle guerre entre partisans et estime que la tourterelle est difficile à abattre au vol. La chair délicieuse de cet opposants à la chasse se prépare. Les oiseau (semblable à celle du pigeon arguments ont cependant été adaptés à mais au goût plus fin) et son caractère la mode 1986: on discute en termes de sportif en font donc un gibier de choix. chiffres. Le MLCP estime que 10 000 Même si la tourterelle est appréciée chasseurs pourraient éventuellement parpar beaucoup d'observateurs et qu'elle ticiper à la chasse à la tourterelle et fréquente les mangeoires, Gilles Richard qu'ils y dépenseraient annuellement ne croit pas que cela en fasse un oiseau 450 000 $. Par ailleurs, les activités reliées à l'ob- différent des autres gibiers. « Les gens observent aussi les perdrix et ça ne nous servation des oiseaux (photographie, cabanes, mangeoires, visites de sites) impli- empêche pas de les chasser, note-t-il. Ce sont des raisons purement sentimentales quent environ 4,7 millions de Québécois qui dépensent 210,5 millions $ à ces fins. qu'on donne là. " Selon lui, il serait de mise d'ouvrir une chasse expérimentale Évidemment, on ne peut mesurer

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contrôlée avec des quotas très bas. « Évidemment, il n'est pas question d'avoir des quotas de 15 oiseaux par jour comme dans certains états américains. Un quota de deux tourterelles serait un excellent moyen de mettre cette chasse à l'essai '" estime-t-il. _ Plusieurs chasseurs prétendent qu'on pourrait ouvrir la chasse car de toute façon « nos » tourterelles sont tuées lorsqu'elles migrent aux États-Unis et leur nombre augmente quand même. « Rien n'est moins certain, rétorque André Bourget, du Service canadien de la faune. On ne sait pas du tout quelles régions des États-Unis nos tourterelles fréquentent. li se peut qu'elles demeurent dans les états du nord-est où la chasse est interdite. "

Chasse co-gérée Afin que cette chasse devienne économiquement rentable, il ne faudra pas que le MLCP ait à dépenser des fortunes pour en faire la gestion. Le principal obstacle financier est lié aux coûts des inventaires de populations ; l'inventaire annuel coûterait au minimum 20 000 $. Pour cette raison, le MLCP songe à innover en confiant la réalisation des inventaires aux chasseurs eux-mêmes, par le biais de la FQF, et aux ornithologues amateurs. Yves Jean, président de la commission d'études et de recherches à la FQF, dit que son organisme est « prêt à participer à une co-gestion de l'espèce avec le MLCP '" li admet cependant qu'on connaît encore peu de choses de la population québécoise de tourterelles. « S'il n'y a pas de surplus récoltables, dit-il, on n'est pas en faveur d'ouvrir une chasse et on peut très bien l'expliquer à nos membres '" La FQF n'a pas encore décidé lequel des cinq scénarios du MLCP elle appuiera. L'AQGO, davantage préoccupée par sa propre survie suite aux coupures de subventions du MLCP, n'a pas encore pris position dans le dossier. Curieusement, après leur avoir coupé les vivres, le MLCP se tourne vers les ornithologues amateurs pour solliciter leur participation aux inventaires de tourterelles. Répondront-ils à l'appel? «Je pense que 99 3 des ornithologues ne sont pas intéressés à inventorier des oiseaux dans des aires de chasse '" avance Pierre Drapeau.

One épine dans le pied Est-ce qu'une espèce, jusqu'ici protégée, devrait être chassée uniquement parce que ses effectifs ont augmenté, dans le but de satisfaire une minorité de chasseurs? Comme la tourterelle triste est une espèce protégée par la Cohven-

Répartition de la tourterelle triste au Québec, de 1956 à aujourd'hui..

Chasse ou protection: les choix possibles Le rapport La situation de la tourterelle triste au Québec du MLCP propose cinq scénarios concernant la chasse à la tourterelle triste. 1. Statu quo: chasse interdite

Avantages : - satisfaction du public non-chasseur - aucun frais additionnel pour gérer l'espèce Désavantages : - mécontentement des chasseurs - empêche le développement d'une activité ayant des retombées économiques non négligeables 2. Chasse dans tout le Québec sans suivi des populations

Avantages : - satisfaction des chasseurs -accroissement de l'offre de chasse en milieu agricole - suivi très léger de la part des gestionnaires - nouvelle activité économique Désavantages : - mécontentement probable du public anti-chasse et des ornithologues amateurs - possibilité de surexploitation - nécessité des négociations avec les états américains

3. Chasse dans tout le Québec avec un suivi des populations par le gouvernement Avantages et inconvénients comme en 2 sauf: - plus acceptable pour les nonchasseurs - exige la mise sur pied de programme!:? de suivi des populations 4. Chasse expérimentale dans certaines zones avec programme gouvernemental de suivi des populations commençant deux ans avant l'ouverture de la chasse

Avantages et inconvénients comme en 3 sauf: - les chasseurs devraient patienter encore deux ans - les coûts de gestion augmentent - ne satisfait pas tous les chasseurs -permet de mieux cerner l'effet d~ la chasse sur les populations 5. Chasse expérimentale dans certaines zones avec suivi des populations réalisé par la Fédération québécoise de la faune (FQF) Avantages et inconvénients comme en 4 sauf: - réduit les dépenses gouvernementales - nécessite une coordination gouvernementale, des subventions à la FQF et un contrôle de la qualité des données

tion sur les oiseaux migrateurs, la réponse à cette épineuse question appartient au Service canadien de la faune (SCF). Tourmenté entre les réclamations des partisans de la chasse et celles des opposants, le MLCP a remis, sans doute avec soulagement, la patate chaude dans les mains du fédéral qui devra trancher cet automne. En attendant, les chasseurs astiquent leur fusil, les ornithologues polissent leur jumelle et les tourterelles roucoulent en paix. Une histoire à suivre.

Partie remise Au moment de rédiger ces lignes, Franc-Nord apprenait de source sûre que le SCF s'opposera à l'ouverture d'une chasse à la tourterelle en raison de la faiblesse des données disponibles sur cette espèce au Québec. Le SCF recommandera des études de baguage et de productivité qui pourraient durer cinq ans avant de réexaminer la question de la chasse à la tourterelle. Certains, amers, verront dans cette décision le retour du « macramé power ». D'autres, réjouis, le déclin de l'emprise des chasseurs sur la faune québécoise. Au-delà de ces vaines disputes, il y a dans cette prise de position du SCF, une énorme source d'optimisme pour ceux qui croient encore à une gestion rationnelle de la faune.•

Sylvain Paradis, naturaliste dans /'âm e, travaille depuis quatre ans au parc national de La Mauricie. Il consacre ses temps libres à J'omithologie et au plein air. Il n 'a rien, à prime abord, contre la chasse et la pêche.

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par Jean Hamann

À peine 120 ans se sont écoulés depuis que Gregor Mendel, un moine autrichien passionné par la culture des petits pois, a donné naissance à la science de la génétique. Quelques générations de chercheurs auront suffi pour percer le secret des chromosomes, des gènes et de l'acide désoxyribonucléique (ADN). Les progrès de la génétique sont actuellement si rapides que, d'ici peu, on prévoit être en mesure de produire des vaches donnant 1OO 000 kg de lait par année, des truites de 50 kg et des plantes agricoles et des arbres à très haut rendement. On pense aussi pouvoir synthétiser, à faible coût, des médicaments aujourd'hui rares et dispendieux, et même, éliminer bon nombre de maladies héréditaires chez les humains. Tout cela grâce à la technique de l'ADN recombiné. Voilà pour les promesses. Si la plupart des réalisations dans ce domaine s'avèrent jusqu'à présent beaucoup moins spectaculaires, les chercheurs sont néanmoins en bonne voie de se doter d'outils qui leur permettront de modifier le code génétique des espèces vivantes pour répondre aux besoins de la médecine et des industries agroalimentaire et forestière.

La clé des champs L'ADN est une molécule fascinante. Présente chez tous les êtres vivants sur terre, de la plus minuscule des bactéries à la plus grosse des baleines bleues, on la retrouve surtout sous forme de chromosomes, dans le noyau de chaque cellule. L'ADN constitue une sorte de manuel d'instructions qui dicte à la cellule comment fabriquer les protéines nécessaires à la formation et au fonctionnement d'un être vivant. C'est par le biais des gènes - des segments d'ADN de longueur variable - que les programmes génétiques sont exécutés. Ceux-ci contrôlent des caractères aussi variés que la couleur des cheveux ou des yeux, la taille, le groupe sanguin, etc. En fait, l'ADN régit tous les traits héréditaires des êtres vivants.

Doit-on libérer dans la nature des organismes au code génétique modifié ? Ce qui rend cette molécule particulièrement attrayante aux yeux des chercheurs, c'est la nature universelle de sa structure chimique. En théorie, l'ADN d'une souris pourrait aussi bien fonctionner dans les cellules d'un saumon, d'un humain ou d'une rose. Cette propriété est à la base des recherches effectuées présentement en génie génétique. Un nombre grandissant de chercheurs s'affairent à reprogrammer le bagage génétique de différentes espèces, soit en leur enlevant des gènes indésirables, soit encore en leur ajoutant des caractéristiques recherchées provenant d'autres espèces. Grâce à la technique de l'ADN recombiné, il est désormais possible de franchir la barrière séparant les espèces et de produire des bactéries, des plantes et des animaux que des millions d'années d'évolution n'avaient réussi à créer. Le Québec a emboîté le pas en matière de recherches faisant appel au génie génétique. Bien que les efforts soient surtout axés du côté pharmaceutique, un petit nombre de chercheurs universitaires s'intéressent à l'amélioration génétique des plantes et des animaux. Normand Brisson, chercheur adjoint au dé partement de biochimie de l'université de Montréal, est l'un de ceux-là. Les travaux du docteur Brisson portent sur l'amélioration de plantes d'importance agricole, en particulier le tabac, le maïs et l'orge. Il tente d'insérer dans ces plantes des gènes qui pourront les rendre plus productives et davantage résistantes aux maladies et au froid . Jusqu'à présent, le docteur Brisson est parvenu à insérer et à faire s'exprimer un gène étranger dans une cellule hôte, mais il se butte au problème de régénérer un plant complet à partir de cellules modifiées. Une fois ce problème résolu, il croit que son modèle pourra être utilisé pour d'autres plantes. « Le potentiel de la biotechnologie est énorme en agriculture. Je suis biaisé mais je dirais m ême qu'il y a plus d'avenir en agriculture qu'en pharmaceutique », prétend-il. Patrice Dion, diplômé d'Oxford et professeur au département d'agronomie de l'université Laval, voit aussi beaucoup

d'avenir pour la biotechnologie agricole. Ses travaux visent principalement l'amélioration de la pomme de terre, « parce que c'est une production importante au Québec et aussi parce qu'elle se cultive bien in vitro », précise-t-il, pragmatique. Le messager qu'il utilise pour faire pénétrer les gènes utiles dans la pomme de terre est Agrobacterium, une bactérie pathogène responsable de la tumeur du collet (galles) chez les arbres fruitiers. Les cellules végétales infectées par Agrobacterium prolifèrent de façon anarchique et synthétisent des produits que l'ADN de la bactérie a commandés. L'équipe du docteur Dion tente de remplacer le gène causant la tumeur par un caractère utile, bref de tirer parti de la capacité de la bactérie à s'infiltrer dans l'ADN de la plante pour y faire entrer des gènes permettant de meilleures récoltes. « Nous n'en sommes pas encore au point où on peut procéder à l'amélioration génétique de la pomme de terre pour tel ou tel caractère. De ce côté, nous sommes encore à cinq ou dix ans de notre objectif », estime-t-il. La production d'animaux de ferme pourra aussi bénéficier de la manne biotechnologique. Ainsi, le docteur Urs Kuhnlein, professeur de zootechnie au collège Macdonald, tente d'introduire des gènes codant pour l'hormone de croissance et la résistance à certaines maladies dans des oeufs de poule. Il espère de cette façon produire des poules plus en chair qui demanderont moins d'antibiotiques pour résister aux maladies.

Dans les forêts, les lacs, les mers ... La forêt québécoise est en mauvais état, affirment les experts. D'ici quelques décennies, on prévoit même que certaines régions connaîtront des pénuries de bois. « La foresterie s'est limitée jusqu'à maintenant à l'utilisation de ce que la nature a fait. La forêt naturelle met beaucoup de temps à pousser dans nos conditions et il y a de moins en moins de bois de qualité disponible », affirme Mau-

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rice Lalonde, professeur-chercheur à la faculté de foresterie de l'université Laval. Là encore, la biotechnologie est appelée à la rescousse. Le principal facteur limitant la croissance des arbres est l'abondance d'azote. L'azote atmosphérique (80 3 de l'air) ne peut être assimilé directement par les végétaux sauf chez certaines espèces qui ont la capacité de s'associer à des champignons microscopiques fixateurs d'azote. Ainsi, le champignon du genre Frankia qui se développe sur les racines de l'aulne permet à cet arbre de pousser rapidement même sur des sols très pauvres. Caprices de la nature, l'aulne n'a pas de valeur économique, tandis que les essences commerciales sont incapables d'accueillir Frankia sur leurs racines. Le docteur Lalonde et son groupe de recherche tentent ·d'identifier les gènes permettant à l'aulne de s'associer au champignon afin de les refiler aux bouleaux d'abord, puis si tout va bien, aux autres essences commerciales. « On n'invente rien, observe le volubile chercheur. On utilise les informations naturelles qui existent pour améliorer ce que la nature a pu faire. » On a déjà trouvé des applications pour !'ADN recombiné dans le domaine des pêcheries commerciales et de la pêche sportive. L'élevage du saumon dans les eaux côtières de l'est du Canada est confronté au problème des basses températures qu'on connaît pendant l'hiver. Pour pallier le problème des mortalités hivernales des saumons, Garth Fletcher, de l'université Memorial de Terre-Neuve, tente de transférer dans leurs oeufs, le gène produisant une protéine « anti-gel » qu'on retrouve chez la plie rouge. À l'université McMaster en Ontario, Ron Sonstegard concentre, quant à lui, ses recherches sur la production de truites géantes. En insérant des gènes codant pour l'hormone de croissance dans des oeufs de truites, il croit être en mesure d'obtenir des poissons pesant jusqu'à 50 kg. Pareils spécimens, une fois libérés dans des lacs, attireraient une foule de pêcheurs en mal de prises records, ce qui ne manquerait pas de profiter à l'industrie récréo-touristique. Enfin, les recombinaisons génétiques pourraient résoudre certains problèmes environnementaux d'importance. Une bactérie reprogrammée par des chercheurs peut maintenant dégrader le pétrole. L'utilisation de cette bactérie permettrait de limiter les impacts causés par des déversements de pétrole en mer.

Germes de discorde Des récoltes plus abondantes, de grosses poules en bonne santé, des forêts en meilleur état, des truites records,. la biotechnologie nous présente une vision de l'avenir où l'homme pourra non

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ADN reprogrammé La recette la plus répandue permettant de restructurer le génome d'une plante ou d'un animal est, en théorie, fort simple. Après être parvenu à isoler le gène responsable d'un caractère recherché ( 1 ), on « l'accole • à de !'ADN bactérien (plasmide) (2) qui, mis en présence de bactéries, pénètre à l'intérieur de celles-ci (3). Les bactéries ainsi modifiées servent de messagers (vecteurs) pour livrer le gène désirable dans une cellule de l'hôte (4) (les virus peuvent aussi servir de vecteurs). La dernière étape consiste à régénérer une plante ou un animal complet à partir d'une cellule modifiée (5). Si l'opération réussit, cet individu possédera le gène recherché et il le transmettra à ses descendants avec le reste de son patrimoine héréditaire. La technique de la fusion cellulaire gagne aussi en popularité. Dans ce cas, les scientifiques tentent de créer des hybrides en fusionnant deux cellules provenant d'espèces différentes. Ils réussissent de cette façon des croisements impossibles à réaliser par procédés génétiques classiques.

seulement maîtriser la nature, mais aussi en remodeler le design à sa guise. Si certains scientifiques y voient une panacée, de plus en plus de gens, surtout aux États-Unis, expriment des craintes face à cette technologie. Jeremy Rifkin, auteur de Who should play God (Les apprentis-sorciers) et Algeny, mène depuis 10 ans une lutte judiciaire en règle contre toutes les expériences de génie génétique tentées en sol américain. Son groupe, la Foundation on Economie Trends, composé d'avocats et de bénévoles, a réussi à rallier bon nombre de sympathisants dans la population, parmi les scientifiques et dans les milieux religieux. Ceux-ci voient dans ces expériences une menace envers l'environnement et la santé humaine. Rifkin prétend aussi que le transfert de gènes « menace le principe d'intégrité des espèces et viole le droit de chaque espèce d'exister en tant que groupe unique et distinct ». De plus, il craint que les chercheurs ne nous entraînent inéluctablement sur la voie de l'eugénisme, l'amélioration génétique de la race humaine. Grâce à sa ténacité, Rifkin est parvenu à faire adopter des mesures de contrôle sur les manipulations génétiques en laboratoire et sur la libération, en milieu naturel, d'organismes au code génétique modifié. Car, il va de soi que les découvertes réalisées grâce au génie génétique ne sont pas que des curiosités destinées à satisfaire l'esprit inquisiteur des chercheurs. Les généticiens veulent que leurs créations servent - en laboratoire ou dans la nature - nul doute là-dessus. Y a-t-il des risques pour l'environnement? Les avis sont partagés sur cette question. « Pourquoi les gens paniquent-ils lorsque l'on parle de génie génétique ou de clonage d'individus? Parce que c'est nouveau et qu'on a peur du nouveau, affirme Maurice Lalande. La nature introduit elle-même de nouveaux gènes, c'est la base même de l'évolution. Si on introduit un gène qui n'est pas acceptable au niveau d'une niche écologique, ce gène va être éliminé. Les monstres qui envahissent tout, ça existe rarement dans la nature. • « Le problème avec la biotechnologie, c'est que ça paraît mystérieux, analyse de son côté Patrice Dion. Dans une société qui vit assise sur la bombe atomique, le danger que représentent les manipulations génétiques est vraiment dérisoire et minime comparé aux avantages qu'on va en tirer. » Normand Brisson admet quant à lui qu'une certaine prudence s'impose quant aux essais d'organismes modifiés en milieu naturel. « Il faut un certain contrôle, admet-il, mais pas trop parce que ça limite la créativité des c~ercheurs dans le domaine ».

Ces propos rassurants ne font pas l'unanimité parmi les scientifiques et les conservationnistes. Cyrille Barrette, professeur d'éthologie et de mammalogie à l'université Laval, voit dans l'introduction d'espèces modifiées un danger pour l'environnement. « En milieu naturel, les espèces n'apparaissent pas tout d'un coup. Il faut peut-être de 10 000 à 20 000 générations avant qu'une nouvelle espèce ne soit constituée. Pendant tout ce temps, elle est en équilibre dynamique avec ce qui l'entoure. Je pense qu'il serait important de réglementer la libération instantanée en milieu naturel d'espèces modifiées génétiquement. Au niveau médical ou en usines, je ne vois pas de problème. En milieu naturel, c'est plus risqué », analyse l'éthologiste. Pour Jacques Prescott, président de la Fondation pour la sauvegarde des espèces menacées, les espèces au code génétique modifié se comparent aux espèces non indigènes. « L'introduction d'espèces exotiques est l'une des principales causes de la raréfaction de la diversité biologique sur terre. Tout comme les espèces exotiques introduites, les espèces reprogrammées sont parachutées dans des écosystèmes où elles n'ont pas évolué, où elles risquent de causer beaucoup de dommages, juge-t-il. Je crois que nous ne sommes pas prêts à utiliser rationnellement ces nouvelles espèces. D'ailleurs, on ne réussit même pas à bien gérer celles qui existent déjà », ajoute-t-il, en insistant sur la nécessité d'un contrôle des expériences de manipulations génétiques. Selon le rapport Germes d'avenir, publié l'an dernier par le Conseil national des sciences, Environnement Canada et le ministère des Sciences et de la Technologie étudient la possibilité d'instaurer des règlements pour « surveiller le transit de la biotechnologie entre le laboratoire et le monde commercial ». Il n'existe actuellement aucune mesure légale régissant la libération d'organismes modifiés génétiquement dans l'environnement au Canada. Les semences issues de manipulations génétiques doivent être homologuées avant d'être commercialisées mais on peut les tester sur le terrain sans préavis, ni études préliminaires. Par ailleurs, Agriculture Canada ne vérifie pas les impacts environnementaux que pourraient engendrer les nouvelles semences. Dans son rapport, le Conseil des sciences recommandait de « combler les lacunes de la législation tant pour le bien des industries ... que pour celui du grand public ». Cet avis, comme bon nombre de recommandations touchant la protection de l'environnement, a été classé dans le dossier des voeux pieux. En 1983-1984, le Canada a englo~ti 300 M $ dans la recherche en biotechnologie. L'Institut de recherche en biotechnologie de Montréal, qui ouvre ses portes cet automne, aura coûté, à lui seul,

61 M $. Considérant les risques potentiels pour l'environnement et même pour la santé humaine, pourquoi le Canada est-il si empressé de négocier le virage biotechnologique? « Si on ne suit pas le courant de la biotechnologie, on va être complètement dépassé par rapport aux

Patrice Dion, chercheur à l'université Laval. « Le danger que représentent les manipulations génétiques est vraiment dérisoire et minime comparé aux avantages qu'on va en tirer. »

ment des richesses naturelles. Harvey Mead, président de l'Union québécoise pour la conservation de la nature, croit qu'on se leurre si on pense que la technologie va régler la pénurie de matières premières. « On devrait s'attaquer au noeud du problème, la gestion des ressources, plutôt que d'espérer que la technologie nous arrive avec des solutions miracles. ''

L'âge de l'ADN

Au départ, la biotechnologie agricole était bourrée de bonnes intentions. On devait développer de nouvelles variétés de plantes destinées à nourrir un TiersMonde affamé. Mais, bien vite, les recherches ont été réorientées en faveur de ceux qui avaient les moyens de se payer des chercheurs. Shell, qui en 1972 ne possédait aucun intérêt dans le domaine de la reproduction des plantes, est aujourd'hui la plus importante compagnie de semences au monde. Les multinationales DuPont, Monsanto et Ciba-Geigy, spécialisées dans la production d'engrais chimiques, de pesticides et d'herbicides, ont, elles aussi, d'importants actifs en biotechno.logie. Le biais de ces firmes pour une agriculture basée sur la machinerie lourde et l'utilisation de produits chimiques de toutes sortes risque d'être transmis aux nouvelles semences développées par leurs laboratoires comme le démontre la première « grande réalisation » canadienne en biotechnologie agricole. En début d'année, la firme Allelix de Mississauga réussissait à produire, par fusion cellulaire, une variété de canola (hybride du colza) parfaitement résistante aux herbicides de type triazine. Les champs de c canola pourront désormais recevoir des ~ doses massives de cet herbicide sans ~ que la récolte n'en soit affectée. Selon ~ Jack Doyle, auteur de Altered Harvest, ' 26 compagnies développeraient présente~ ment des variétés de plantes résistantes .c a. aux herbicides. Les autres secteurs d'application de la biotechnologie prendrontÀ Jacques Prescott, président de la FOSEM. ils la même tangente? Le développement des manipulations " Tout comme les espèces introduites, les espèces reprogrammées sont parachutées génétiques nous propulsera d'ici peu dans des écosystèmes où elles n'ont pas dans une ère nouvelle ' où plus que jaévolué, où elles risquent de causer beau- mais, l'homme aura mainmise sur son environnement. Les promesses que nous coup de dommages. » fait la biotechnologie sont trop alléchantes pour être ignorées. Mais, jusautres pays, estime Patrice Dion. On ne qu'où peut-on aller dans la modification sera plus en mesure de contrôler notre des espèces et de l'environnement natupropre développement agricole. » Mêmes rel? Qui décidera de ce qui est accepéchos du côté foresterie. « La biotechnotable, moral, superflu? Il faudra bien un logie va nous permettre d'augmenter la jour se pencher sur ces questions. Sinon, productivité de la forêt, d'avoir un meilcomme le prétend Jeremy Rifkin, il y a leur produit pour être plus compétitif sur de fortes chances que, tôt ou tard, nous le marché des exportations », renchérit soyons confrontés à un Hiroshima bioMaurice Lalande. logique.• Le Conseil des sciences du Canada voit dans le développement de la biotechnologie une façon de pallier l'épuiseT

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1,5 Une entente canado-américaine pour la sauvegarde des oies et des canards. par Serge Beaucher Un milliard et demi de dollars pour la protection de la sauvagine en Amérique du Nord au cours des 15 prochaines années, dont un milliard pour des projets au Canada et les trois quarts de ces sommes défrayés par les États-Unis. Voilà de quoi susciter de l'enthousiasme, beaucoup d'espoir et bien des attentes chez ceux que préoccupe la conservation de la faune aviaire. Le ministre fédéral de !'Environnement, Tom McMillan, pour sa part, n'a pas caché sa satisfaction au mois de mai lors de la signature, par le Canada et les États-Unis, de ce « plan nordaméricain de gestion de la sauvagine » qui prévoit mettre un frein au déclin des populations d'oiseaux migrateurs en Amérique du Nord. En fait, le pro-

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gramme ne doit pas seulement freiner la "É.

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décroissance de certaines espèces; il est censé ramener les populations aux niveaux plus élevés des années 1970, et ce, principalement par la protection et l'amélioration de leurs habitats. Officiellement lancé en 1984, le projet était en gestation depuis 1978, année où les gestionnaires de la faune des deux pays ont reconnu que les disparitions incessantes d'habitats des deux côtés de la frontière nécessitaient une action commune. Les études menées depuis lors sur l'ensemble des territoires canadien et américain ont conduit à la réalisation de deux plans nationaux qui ont été à l'origine du plan nord-américain. Le plan national canadien a lui-même été produit à partir de la contribution des différentes régions du pays, dont le Québec.

L'habitat d'abord C'est l'Ouest canadien, où les pertes d'habitats au profit de l'agriculture sont énormes, qui bénéficiera le plus du programme. Quelque 956 millions de dollars, soit la presque totalité des sommes prévues pour le Canada, y seront consac rés au rétablissement des habitats de reproduction principalement du canard malard et du canard pilet. Les populations de ces deux espèces de m ême que

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celle de la sarcelle à ailes bleues sont considérées sérieusement en baisse depuis 15 ans. Dans l'Est du Canada, c'est surtout le canard noir qui attire l'attention ... et les dollars. La plus grosse part des 25 millions prévus pour les basses terres des Grands-Lacs et le Saint-Laurent (20 millions) ainsi que l'Atlantique (5 millions) doit en effet permettre de sauvegarder et de restaurer les aires de nidification et de repos migratoire de cette espèce. La population de canard noir, on le sait, est jugée en déclin depuis une trentaine d'années déjà. Des inventaires effectués aux États-Unis établissaient à 750 000, en 1955, le nombre de canards noirs dans leurs quartiers d'hiver, soit plus du double des recensements de 1983-1984. Ces chiffres des années 1950 sont toutefois mis en doute par bien des biologistes du Québec qui s'interrogent sur la valeur des inventaires d'alors. Une part non négligeable de l'argent affecté au plan servira à la réalisation d'inventaires et à la surveillance des oiseaux et des habitats, de même qu'à la production de diverses études. Sensibilisation et information feront aussi partie des stratégies du plan. Le gros des efforts portera cependant sur la protection



Le canard noir occupe Je sommet de la liste des priorités dans l'est du pays. Plus de 24 000 ha d'habitats humides devont être protégés pour restaurer ses effectifs d'antan.

comme telle des habitats et plusieurs moyens seront mis en branle pour y parvenir. On fera bien sûr de l'acquisition et de l'aménagement de terrains ; mais d'autres formules, encore peu éprouvées, seront également mises à l'essai. Par exemple, on pourra offrir des encouragements financiers à des cultivateurs et à des éleveurs pour les inciter à gérer leurs terres de façon à favoriser la reproduction de canards. Les gouvernements acceptant de s'y prêter, les propriétaires de terres humides pourraient aussi se voir accorder des rabais de taxes foncières ou d'autres avantages fiscaux pour garder intacts certains secteurs de leurs propriétés. Deux projets pilotes impliquant des gouvernements provinciaux et municipaux, la Fondation habitat faunique Canada et, pour un des deux, le Service canadien de la faune (SCF) et Canards illimités, seront réalisés sous peu dans cette optique au Manitoba et en Saskat-

LA

La population de garrots communs de la Voie Atlantique est passée de 96 000 à 51 000 entre 1963 et 1984. Le plan tentera de renverser la situation.

Le plan de gestion aura des effets bénéfiques sur la chasse, une industrie dont le chiffre d'affaires dépasse Je milliard $ au Canada. Plus de 40 000 emplois dépendent de ce secteur.

19 chewan. Les propriétaires fonciers de deux régions particulièrement importantes pour la reproduction d'oiseaux aquatiques seront invités, par des programmes incitatifs, à protéger les habitats se trouvant sur leurs terres. En Alberta, un programme semblable a été implanté en 1978 dans le comté de Red Deer. li visait principalement à protéger 4500 ha d'habitats pour le cerf de Virginie, mais il devait aussi tester l'efficacité de divers incitatifs auprès des propriétaires. Tous les participants qui furent interrogés après un certain temps se

montrèrent favorables à l'expérience et le tiers d'entre eux avouèrent avoir modifié leurs pratiques agricoles même sur les terres non couvertes par le programme.

Québec: un bon pas de fait Le plan nord-américain de gestion de la sauvagine est un document général ne comportant que des données, des stratégies et des objectifs généraux. Pour la réalisation d'activités précises et de pro-

jets spécifiques, il faudra donc lui rattacher tout un ensemble de plans d'action régionaux qui contiendront les informations détaillées nécessaires. Ces plans d'action, qui feront l'objet d'une coordination nationale, devront être déposés d'ici l'été prochain et auront une portée de cinq ans. Le Québec a un bon pas de fait dans la réalisation de son plan. En fait, il possède déjà un plan de gestion de la sauvagine (dont la version finale a été rendue publique cet été) et un plan quinquennal d'action (non public) qui

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automne 1986

s'inscrivent tout à fait dans l'esprit du plan nord-américain, mais dont l'optique diffère sur certains points, en particulier sur la façon de concevoir les objectifs en termes d'effectifs de canards à atteindre (voir encadré Une question de gros sous). Fruit d'une collaboration entre le ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pêche (MLCP) du Québec et le Service canadien de la faune (SCF) d'Environnement Canada, le Plan de gestion de la sauvagine au Québec fait d'ailleurs suite au plan national qui, avec celui des États-Unis, a été à l'origine du plan nordaméricain. Le document conjoint du MLCP et du SCF sera-t-il donc ce plan régional à être rattaché au plan nordaméricain ou bien lui préférera-t-on un autre document qui s'en inspirerait? « Chose certaine, un plan régional qui serait joint au plan nord-américain devrait parler le même langage que celui-ci », affirme Jean Cinq-Mars, directeur du SCF pour le Québec et, à ce titre, coordonnateur au Québec du plan nord-américain.

La situation Ce qui fait pour l'instant encore le plus défaut, ce sont des données exactes sur la plupart des espèces de sauvagine présentes au Québec, de même que sur leurs habitats, surtout au nord du 50' parallèle où très peu d'inventaires ont été

effectués. Les auteurs du plan de gestion québécois ne manquent pas de signaler ces lacunes et" mettent en évidence la nécessité de poursuivre de façon incessante les études et inventaires. Ils considèrent notamment prioritaire de produire et de diffuser un atlas des zones importantes pour la sauvagine, un peu comme le document La sauvagine dans le système du Saint-Laurent, mais pour l'ensemble du territoire. Aussi faibles soient-elles, les données disponibles permettent tout de même de savoir qu'en période de migration, les canards, les oies et les bernaches sont presque deux fois plus nombreux au Québec que ne le sont les humains. On évalue en effet à près de 10 millions le nombre d'anatidés présents chez nous au printemps et à l'automne. Cela inclut évidemment les individus de d'autres territoires qui ne sont ici qu'en transit durant la migration. En période de nidification, environ deux millions de reproducteurs donneraient naissance à quelque six millions et demi d'oiseaux. Et à peu près 240 000 canards passeraient l'hiver chez nous. Aucune espèce de sauvagine nichant au Québec n'est en danger d'extinction ; quelques-unes ont toutefois vu leurs populations décliner sensiblement au cours des dernières années. Le cas du canard noir est le plus connu: certains estiment qu'il aurait perdu jusqu'à 60 % de ses effectifs. Dans le sud-ouest du Québec,

son déclin est évident, mais on ignore si l'espèce a été affectée sur tout le territoire. Le garrot commun aurait subi un sort semblable à celui du noir; du moins, a-t-on recensé des baisses importantes du garrot dans ses aires d'hivernage. Deux autres groupes, mais dont la majorité des individus viennent de l'Ouest, sont aussi considérés en diminution au Québec: la sarcelle à ailes bleues et les grand et petit morillons qui, depuis une dizaine d'années, garnissent beaucoup moins abondamment les gibecières.

Des urgences Le territoire québécois ne manque pas de milieux humides propices à la nidification et au repos migratoire de la sauvagine. Le Saint-Laurent et ses tributaires offrent une bonne partie de ces habitats, de même que la baie James et la baie d'Ungava qui comptent parmi les zones d'utilisation intensive. Les inventaires disponibles concernent surtout le sud du Québec. Les habitats du Saint-Laurent, en particulier, sont bien connus non seulement des biologistes et des chasseurs, mais aussi de la population en général. Certains marais de l'estuaire et le lac Saint-Pierre n'ont plus besoin de présentation. Le lac Saint-François dans le sud-ouest du Québec et celui des Deux-Montagnes près de Montréal

One question de gros sous

20

On peut se demander pourquoi deux pays ont décidé de consacrer autant d'argent que 1,5 milliard$ pour protéger des espèces animales loin d'être en danger, dont les individus se comptent en fait par centaines de milliers, voire par millions. Le plan nord-américain de gestion de la sauvagine ne le dit pas explicitement ; mais il n'est pas nécessaire d'étudier le document à la loupe pour comprendre que c'est une motivation économique qui sous-tend tout le programme. Au Canada seulement, informe le document de présentation du plan, les activités reliées à la sauvagine (chasse et observation) « génèrent des dépenses directes et indirectes dépassant annuellement le milliard de dollars et créent plus de 40 000 emplois ». Si on ajoute les retombées économiques aux États-Unis, il devient assez clair que la protection des oiseaux dans ce programme est en grande partie redevable à la volonté de protection des dollars que ces oiseaux mettent en circulation.

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Si on veut relever les populations de sauvagine à leurs niveaux des années 1970, c'est qu'on veut permettre à autant de chasseurs qu'alors de remplir leur gibecière et donc de continuer à pratiquer leur activité lucrative ... pour l'économie. Et si les Américains défraient 75 % des projets à être réalisés au Canada, c'est qu'ils comptent bien profiter de l'amélioration de la récolte qui va en résulter chez eux. Les objectifs d'augmentation de populations (par exemple de 300 000 à 450 000 canards noirs) ont d'ailleurs été fixés partiellement en fonction de la récolte aux États-Unis et d'après des inventaires effectués en territoire américain. Or, les biologistes du SCF-Québec et du MLCP, d'une part sceptiques sur la valeur de ces inventaires et sur l'importance du déclin du canard noir tel qu'estimé aux États-Unis, craignent d'autre part de se voir « suggérer » par les Américains (ceux qui payent pour le plan) des limites de récolte ici

même au Québec s'ils ne peuvent atteindre l'objectif de 450 000 pour satisfaire la demande américaine. Les biologistes québécois froncent donc les sourcils devant les exigences spécifiques du plan nord-américain et préfèrent envisager des objectifs plus généraux. C'est ce qui explique que le plan de gestion de la sauvagine au Québec ne parle pas tout à fait le même langage que le plan nord-américain. Tout compte fait, faut-il donc se réjouir de la manne de dollars promise pour assurer le maintien des niveaux élevés de populations de sauvagine en Amérique du Nord? Chose certaine, par la protection des habitats de ces oiseaux (qui forment tout de même le plus important groupe d'oiseaux migrateurs), on protégera en même temps bien d'autres espèces vivantes qui, elles, faute de stimuler l'économie, n'auraient pu bénéficier d'un milliard et demi de dollars pour leur conservation.

D'ou viendra l'argent? 1,5 milliard de dollars pour les canards, c'est assurément beaucoup d'argent, surtout en période de restrictions budgétaires. D'où viendront ces sommes faramineuses ? Qui paiera quoi? Le plan de gestion est on ne peut plus ambiguë sur la question. Selon la plupart des biologistes du MLCP et du SCF, les gouvernements canadien et américain ne mettront pas « d'argent neuf » dans ce programme. Chaque pays pourrait tout simplement couper dans les budgets alloués à d'autres secteurs environnementaux pour investir davantage dans la sauvagine. Sans préèiser de sommes exactes, le plan de gestion laisse entendre que le financement des projets proviendra

en grande partie des groupes qui profiteront le plus du rétablissement des populations d'oiseaux aquatiques. On sait déjà, par exemple, qu'une portion de cet argent émanera de la taxe spéciale de 4 $ (le timbre sur le permis) que les chasseurs d'oiseaux migrateurs ont à défrayer depuis l'an dernier à l'achat de leur permis fédéral et dont les recettes servent à financer la Fondation habitat faunique Canada (cette fondation a collaboré, entre autres, au projet UI} fleuve, un parc et à l'acquisition de l'ile-aux-Lièvres par Duvetnor). Les conservationnistes et les chasseurs devront donc sortir beaucoup d'argent de leurs poches sinon jamais l'objectif de 1,5 milliard de dollars ne sera atteint.

sont également réputés. La plupart des îles du fleuve ainsi qu'un nombre croissant des centaines de lacs, rivières et terrains humides en milieux forestiers ont été recensés, mais dans l'ensemble, « les inventaires sont encore fragmentaires », avouent les auteurs du plan de gestion. Il reste donc beaucoup de travail à effectuer de ce côté. Plusieurs habitats importants sont maintenant protégés d'une façon ou d'une autre (bien qu'on n'en possède pas un répertoire exhaustif): certains appartiennent à des pourvoyeurs ou à des clubs de chasse, d'autres ont été acquis par des organismes privés tels la Fondation habitat faunique Canada, Duvetnor et la Société pour la conservation des sites naturels ; d'autres encore, grâce à des ententes signées par leurs propriétaires, font l'objet d'une protection temporaire et sont aménagés par Canards illimités. Les superficies maintenant protégées n'ont toutefois pas empêché les pertes énormes subies au cours des dernières décennies. Entre 1945 et 1976, révèle le plan de gestion de la sauvagine au Québec, plus de 3600 ha d'habitats ont été détruits ou rendus impropres aux oiseaux aquatiques, et ce, dans la seule portion du fleuve comprise entre Cornwall et Matane. L'agriculture a été responsable de 34 % de ces pertes. Comme il n'existe toujours pas au Québec une loi de protection des habitats fauniques et que la Loi sur la qualité de l'environnement n'est guère efficace pour protéger les habitats, il ne faut pas penser que les destructions vont cesser la semaine prochaine. Car les menaces vont continuer de se faire pressantes.

PROTÈGE NON PROTÉGÉ PERDU

Situation dans les principales aires de nidification et d'hivernage d 'importance particulière, au Canada et aux États-Unis.

AIRES DE DISTRIBUTI ON PRI ORITAI RES DES HA BITATS

....

Sources: Plan nord-américain de gestion de la sauvagine, Environnement Canada, novembre 1985, p. 22. Situation des populations des principales espèces de canards, d 'oies et de cygnes en Amérique du Nord, en 1985. (Tiré du Plan nord-américain de gestion de la sauvagine). Espèce Canard malard Canard pilet

Canard chipeau Canard siffle ur d 'Amérique Sarcelle à ailes ve rtes Sa rcelle à ailes bleues et sarcell e canelle Cana rd souchet Morillon à tête rouge Morillon à dos blanc Petit et grand m orillon Be rnache du Canada Grande oie blanche Petite oie blanche

Oie de Ross Oie à front blanc Bernache cravant

Cygne siffleur Cygne trompette • En milliers d'individus

Tendance

Objectifs

États-Unis

Population *

Canada

Total

récente

(an 2000)

1597 1 339 464 969 433 1190 796 167 126 1339

3878 1 596 946 1 537 1440 2 566 1 156 539 285 4 893

5 475 2 935 1 410 2 506 1 873 3 756 1 952 706 4 11 6 232 2652 200 1 796 106 376 269 139 10

En baisse En baisse Stable Stable Stable En baisse Stable Stable Stable Stable

'8700 6300 1 600 3300 2300 5300 2 100 760

En En En En

hausse hausse hausse hausse

580

7 600 2979 185 1350 100 630 309 140 13

Les interventions de protection devront donc être nombreuses et une étiquette d'urgence devra être apposée sur la vallée du Saint-Laurent. Parmi les zones où les besoins d'aménagement des habitats sont les plus urgents, le plan de gestion du Québec cite les marais du lac SaintFrançois et de la région de Beauharnais. « Les terres humides des basses Laurentides et de la zone agricole de !'Abitibi demandent aussi une intervention rapide, étant menacées ou perturbées par les travaux de drainage agricole et d'exploitation forestière », ajoute le document. Pour sa part, la Fédération québécoise de la faune voudrait qu'un intérêt particulier soit également porté au lac SaintJean qu'elle considère un habitat indispensable pour la reproduction du canard noir. La Fédération trouve d'ailleurs que

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le plan de gestion SCF-MLCP ne tient pas assez compte des milieux forestiers en général.

Des mesures à prendre Dans leur document, le SCF et le MLCP énumèrent toute une série de mesures à prendre pour rencontrer les objectifs de gestion jusque vers l'an 2000. Parmi les mesures jugées prioritaires, c'est-à-dire qui devraient être appliquées au cours du premier quinquennat du plan d'action, figure au premier chef l'adoption d'une loi sur la protection des

Mais ce plan d'action, qui n'avait pas encore été approuvé au moment de rédiger cet article, ne fait pas non plus état de projets spécifiques, nous a-t-on informés. Il reprendrait simplement les éléments du plan de gestion en spécifiant la nature des ressources humaines et financières à y être affectées pour les cinq prochaines années.

seurs. Dans les mesures tertiaires, on étudierait, entre autres choses, la possibilité « d'ensemencer» du canard noir. Évidemment, les études sur les populations se poursuivraient durant les trois quinquennats. Pour George Arsenault, directeur de Canards illimités au Québec, le plan de gestion SCF-MLCP est un acquis important, surtout dans le contexte de la nouvel!e volonté de gestion coopérative qu'il manifeste. Mais il est trop général. Il aurait fallu identifier des sites, jusqu'au niveau du cadastre, et déterminer des projets spécifiques à réaliser, notamment le réaménagement de nombreux barrages

Leur part du gâteau

o..

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-5.

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habitats (cela devrait être chose faite à l'automne 1987, mais cette loi n'englobe- Les agriculteurs seront incités à gérer rait pas la protection des milieux huleurs terres de façon à favoriser la mides, lesquels feraient l'objet d'une loi reproduction du canard. Ils pourraient distincte). Figurent aussi dans les mesuainsi se voir accorder des rabais de res prioritaires l'inventaire, l'acquisition et taxes foncières ou d'autres avantages l'aménagement des sites détériorés ou à fiscaux. protéger, la production et la diffusion de documents d'information (dont un atlas), qui ont créé des habitats propices à la la poursuite des études sur les populasauvagine partout sur le territoire, soutions en déclin, une révision de la régletient George Arsenault. « Le plan nordmentation sur la chasse et plusieurs américain, dit-il, mettra beaucoup d'arautres. gent en circulation. Ceux qui en Quelques-uns des objectifs secondaires (qui devraient être réalisés dans le obtiendront le plus seront ceux qui sauront présenter des projets précis et en deuxième quinquennat) sont la création démontrer les effets bénéfiques tangid'îles de nidification avec des matériaux bles. » de dragage (un potentiel présentement « Notre document n'a pas été conçu inexploité faute de concertation entre les intervenants), la création de nouveaux re- dans cette optique, rétorque Michel Lepage, responsable du dossier des oiseaux fuges et aires de repos pour les migraau MLCP et co-rédacteur du plan de teurs, ainsi que le développement de nouveaux sites d'observation, étant donné gestion. Il s'agit d'un document d'orientale nombre croissant d'observateurs, la ra- tion qui tente d'identifier les problèmes les plus urgents pour réorienter l'ensemreté et donc l'encombrement des sites ble des interventions. C'est le plan d'acactuels, de même que la compétition pour les sites entre observateurs et chas- tion qui devra proposer des activités. »

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Sans savoir encore quels seront les montants effectivement disponibles et quelle en sera la répartition, les intervenants privés n'en attendent pas moins leur part de la manne pour réaliser des projets relatifs à des priorités établies depuis plus ou moins longtemps. Il restera à savoir comment on entend interpréter le paragraphe du plan nordaméricain qui précise que le programme « s'ajoute aux activités de conservation prévues, sans viser à les remplacer ou à les supplanter ». Cela signifie-t-il que des projets déjà prévus voilà cinq ans mais pas encore réalisés ne pourront être financés par le plan? Bien des questions relatives, entre autres, au financement du programme ne trouveront leur réponse qu'au fur et à mesure de son application. L'important pour l'instant, estime André Bourget, biologiste au SCF et co-rédacteur du plan québécois, c'est de savoir que le plan nord-américain amènera de l'argent nouveau dans la préservation de la qualité de la ressource. « Et, peut-être encore plus important, il s'agira d'argent mis en commun par deux pays en vue d'une gestion coopérative des fonds ~t de la ressource. » « Cela fait des années, ajoute André Bourget, que le Canada et les États-Unis collaborent ensemble à divers programmes sur la sauvagine, notamment pour des inventaires dans l'Ouest et du baguage dans l'Est. À certains points de vue, le plan nord-américain ne changera peutêtre donc pas grand-chose; mais en mettant sur papier un certain nombre de préoccupations communes et d'activités conjointes à réaliser, il assurera qu'on mettra l'épaule à la roue des deux côtés de la frontière ... et que tout le monde poussera dans le même sens. ,, •

Serge Beaucher est journaliste pigiste. Il s'intéresse particulièrement aux dossiers traitant d 'environnement et de foresterie.

DES

AL' par André Robitaille et Jean Tremblay

9000 barrages au Québec. Sont-ils infaillibles? Les Québécois, on le sait, sont de grands constructeurs de barrages. Environ 9000 barrages et digues de différentes natures, dimensions et utilités ont été construits au fil des ans. Parmi ceux-ci, quelque 174 sont la propriété d'HydroQuébec, 170 du ministère de !'Environnement du Québec (MENVIQ) et les autres appartiennent à des propriétaires privés (alumineries, compagnies forestières, municipalités, citoyens). Ces ouvrages, tout en étant fort utiles et dans certains cas, essentiels, peuvent aussi causer des dégâts importants, voire même des catastrophes lorsqu'ils succombent au poids des années et des importantes masses d 'eau qu'ils retiennent. On se souvient encore des ruptures de barrages survenues en Italie en juillet 1985 et au Sri Lanka l'automne dernier qui ont fait des centaines de victimes. Le Québec est-il à l'abri de pareilles catastrophes? Difficile de répondre mais chose certaine, de nombreux barrages, retenant des quantités d'eau suffisantes pour provoquer de violentes ondes de crues, sont abandonnés à eux-mêmes depuis quelques années.

Cinq fois par an Les barrages et les digues servent à des fins variées: production d'énergie, protection contre les inondations, réservoir d'eau pour combattre les incendies ou pour alimenter la population en eau potable, flottage du bois, loisirs et aménagement pour la faune. Au cours des années, la vocation principale ou l'utilité d'un barrage peut changer. Par exemple, il n'est pas rare qu'un barrage construit

par une compagnie forestière pour le flottage du bois soit ultérieurement préservé suite aux demandes du ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pêche (MLCP) qui tient à ce que l'habitat faunique ne soit plus bouleversé. Évidemment, à quoi bon modifier le niveau du lac une seconde fois? La fonction d'un barrage détermine, en grande partie, le type de matériau utilisé pour sa construction, son design et le programme de surveillance et d'entretien qui lui est attribué. En général, au

23 Le lac Beloeil après la catastrophe. Les restes du barrage indiquent l'ancien niveau du lac.

La rupture du barrage a entraîné la vidange du lac. Le potentiel piscicole perdu est estimé à 17 000 truites par année.

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Québec, les barrages et digues sont faits de bois, de béton ou de terre. Selon Jacques Lapointe, directeur du Service de l'hydraulique du MENYIQ, les barrages de bois, fréquemment rencontrés dans les parcs et les réserves, sont les plus sûrs, car en cas de bris, il s'agit le plus souvent de brèches qui n'entraînent pas de rupture totale. Les barrages de béton sont les plus massifs; leur poids suffit généralement à retenir les eaux emmagasinées. Rarement affectés par des bris majeurs, on suppose dans de telles circonstances qu'il y aurait ouverture totale de la structure. Enfin, les barrages en terre sont les plus nombreux, probablement les moins surveillés et lors d'un bris, on suppose une ouverture progressive de la brèche provoquant une rupture totale. « Plusieurs bris de barrages sont survenus dans les dernières décennies (en moyenne cinq à six par année) reconnaît Jacques Lapointe. Certains sont passés inaperçus aux yeux du public, d'autres ont attiré davantage l'attention. » C'est le cas du bris du barrage à Saint-Josephde-la-Rive qui, vers la fin des années 1960, avait causé la mort de quatre personnes. À la suite de cette tragédie, le gouvernement de l'époque a mis sur pied un programme de surveillance des barrages et a ajouté une série d 'articles dans la Loi sur le régime des eaux, visant à régir la construction et la surveillance de ces ouvrages. La surveillance, le contrôle et l'entretien des barrages sont depuis assurés par des organismes-propriétaires (Direction de l'hydraulique du MENVlQ, HydroQuébec, Alcan). Par contre, les directions régionales du MENVlQ sont responsables de la surveillance et de l'inspection des barrages et digues appartenant à des propriétaires privés. Mais ce programme est-il vraiment efficace? Sans aucun doute, Hydro-Québec fait figure de leader dans le domaine de l'entretien et de la surveillance de ses 174 barrages. Pour la Société d'État, la surveillance et l'équipement qui s 'y rattache est fonction de la dimension, de l'âge et de l'importance des structures. Évidemment, des barrages comme ceux aménagés dans les complexes Manie et la Grande Rivière sont équipés d'appareils très précis qui détectent les moindres défaillances. Par ailleurs, d'autres barrages beaucoup plus petits et qui n'exigent pas de tels équipements sont tout de même soumis à des inspections rigoureuses. Le MENVlQ, pour sa part, possède 170 barrages de dimensions souvent fort appréciables qui, parfois, lui ont été légués par des compagnies forestières ou autres. La surveillance que ce ministère effectue auprès de ses barrages et digues est généralement limitée à une inspection visuelle. Les autres 8600 et les nouveaux barrages et digues qui appartiennent à diffé-

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rents propriétaires privés sont inspectés et approuvés, depuis 1968, par le gouvernement du Québec, suite aux événements de 1966 à Saint-Joseph-de-la-Rive. Cependant, depuis quelques années, il semble que, sous l'effet des coupures de budget, la majeure partie de ces barrages et digues ne fassent même plus l'objet d'une inspection, soit technique soit visuelle. Selon Claire Monette, sousministre _adjointe aux opérations (MENVIQ), « seuls les barrages dont l'état laisse à désirer et qui sont susceptibles de causer des dommages à des personnes ou à des biens, advenant une rupture, font l'objet d'inspection. En 1985 et 1986, nous avons inspecté 325 barrages sur 8600 et l'équivalent de 2,5 personnes / année sont affectées à ce travail pour l'ensemble de la province.»

On lac à sec Le 19 septembre 1985, une « catastrophe ,, écologique s'est produite dans la réserve faunique des Laurentides. Le barrage du lac Beloeil (2,2 km 2 ) , situé à 70 km au sud de Chicoutimi par la route 175, a brusquement cédé provoquant la vidange de ce dernier. Ce barrage en terre, construit pour des fins de flottage du bois par une compagnie forestière en 1967, était la propriété du MENVlQ depuis 1980. Le drame, heureusement, s 'est déroulé en territoire forestier et les autorités gouvernementales (MENVIQ) ont pris la décision de garder sous silence cette catastrophe pendant près de deux semaines. Peut-on appréhender que la véritable cause de cette rupture mette en doute le type de vérification et l'entretien qu'effec-

tue le MENVIQ de ses barrages? li est évidemment souhaitable que non ... Compte tenu de la violence de la crue occasionnée, les impacts ont été considérables sur le plan économique, mais manifestement plus imposants sur le milieu biophysique. Sur le plan économique, les dégâts se limitent à la destruction de deux barrages, de deux petits ponts de bois et de quelques centaines de mètres de chemin forestier menant au lac Beloeil. Beaucoup de barrages construits par les compagnies forestières pour permettre Je flottage du bois sont maintenant abandonnés. Chaque année, cinq barrages cèdent au Québec.

C'est sur le milieu biophysique que les perturbations causées par la rupture sont les plus considérables, même si difficilement quantifiables. La rupture a eu pour effet de vidanger le lac et de dégager une cuvette d'une profondeur maximale de 10 m . Elle a aussi occasionné la destruction complète de la petite , _1ière Pikauba sur 6 km. Le long de ce cours d'eau, originellement large de 3 m environ, un corridor de 75 à 200 m de largeur marque nettement le territoire forestier. La majorité des arbres ont été arrachés et entraînés par la crue conséquente de la vidange du lac. On estime · à environ 600 000 m 2 la superficie de forêt, composée presque exclusivement d'épinettes noires, détruite par la crue. Par endroit, les dépôts meubles sont ravinés sur près de 20 m de profondeur, parfois jusqu'au substrat rocheux. On note aussi la présence de grandes zones de

Le cas de Manie V Le barrage Daniel Johnson est le plus grand barrage en béton à voûtes (13 voûtes) et à contreforts du monde. À la différence des barrages classiques qui opposent leur masse à la poussée de l'eau, le barrage à voûte résiste à celle-ci en prenant appui sur des contreforts assis sur la roche. La hauteur du barrage est de 214 m , sa longueur de 1314 m et son volume de 2 255 000 m 3 . Il retient un lac artificiel d'une superficie de 2000 km 2 et permet à Hydro-Québec de produire 1 292 000 kW. De plus, des travaux de suréquipement, actuellement en cours, permettront d'accroître la puissance de 988000 kW. Les Québécois peuvent donc être fiers de cette réalisation qui attire chaque année touristes et spécialistes de tous les coins du monde. D'ailleurs cette fierté se devine bien sur le chantier : « C'est le plus beau barrage », « C'est notre barrage », « C'est le plus grand et il est solide ». D'accord pour la beauté et la grandeur, mais pouvons-nous douter de sa résistance? Il semblerait que non. La durée de vie du barrage Manie V est difficile à préciser mais elle est estimée à près de 100 ans. Pourtant, il n'a q4e 20 ans et, depuis 1981 , des fissures apparaissent à divers endroits à la surface des voûtes. Selon Gilles Dubé d'Hydro-Québec à Baie-Corneau, « les fissures 81 et 83 (les deux plus importantes) ont amené Hydro-Québec à entreprendre un vaste programme d'études détaillées sur l'état actuel du barrage. » À l'automne 1985, Hydro-Québec laissait savoir que Manie V allait devoir être réparé. Dans un rapport déposé peu après, les maisons d'experts ABBDL et SNC recommandaient d'entreprendre • sans délais » des travaux de confortement (il s'agit dans ce cas de combler le fond de 10 des 13 voûtes à l'aide de béton) parce que la sécurité des voûtes était en-dessous des normes mathématiques. Par contre, au début de 1986, un comité d'experts internationaux affirmait que « somme toute, le barrage tient le coup et qu'il y aurait lieu de raffiner davantage les études ». Hydro-Québec s 'est rangée du côté de ce comité, d'autant plus que les firmes montréalaises précédemment mentionnées se sont ravisées dans un rapport ultérieur. Les travaux ne devraient débuter qu'au printemps 1987.

On constate tout de même quelques fissures internes d'importance majeure (81 et 83) et plusieurs centaines de fissures dites normales associées au cycle gel-dégel. Ces dernières, situées sur la paroi aval du barrage, sont généralement longues et étroites de l'ordre du millimètre. On croit que leur profondeur peut atteindre jusqu'à 10 m. L'entretien et la surveillance qu'effectue Hydro-Québec sur ce barrage sont impressionnants. D'abord Manie V est un des barrages les plus surveillés du monde. Dans le réseau de 8 km de tunnel à l'intérieur du barrage, quatre techniciens spécialisés effectuent la lecture d'environ

sédimentation (1 à 3 m d'épaisseur) parsemées d'arbres résiduels. En tout, trois à quatre millions de tonnes de matériel meuble ont été érodées, transportées et déposées. Au niveau de la faune aquatique et particulièrement de la truite mouchetée, les effets sont aussi très marqués, étant donné la grande productivité de ce secteur de la réserve faunique et l'importance de cette espèce pour la pêche sportive. L'abaissement de plusieurs mètres du niveau d'eau · du lac Beloeil a eu pour effet d'exonder le périmètre du lac, le rendant ainsi inaccessible pour les poissons

Manie V: la fierté d'Hydro-Québec ébréchée.

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1200 appareils mesurant la stabilité du barrage : pendule, corde vibrante, séismographe et autres. De plus, toutes les fissures sont identifiées, surveillées et font l'objet d'un suivi rigoureux. Advenant la rupture du barrage, seule la municipalité de Baie-Corneau-Ouest (Hauterive) serait touchée. Hydro-Québec et la Protection civile ont d'ailleurs élaboré un plan d'évacuation pour la population et les citoyens disposeraient de quatre heures pour quitter les lieux avant que la vague géante n'engloutisse leur ville.

et diminuant du même coup la zone d'alimentation de la truite (mortalité élevée du benthos durant l'hiver). Pour sa part, la petite rivière Pikauba, qui servait de lieu de reproduction privilégié pour les populations de truites des lacs Beloeil et Talbot, ne coule plus sur son lit original. Cette nouvelle configuration sans fosse, caractérisée par un écoulement torrentiel, limite le nombre et la qualité des aires de frai. De plus, le long du cours d'eau, la végétation est absente, ce qui entraîne l'érosion des berges, une augmentation de la turbidité et de la température de l'eau. Malheureusement, comme dans plusieurs cas où des « désastres » écologiques ont eu lieu, il est presque impossible de quantifier l'ampleur des dégâts en termes de valeur biophysique. Dans le

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cas présent, on peut, à tout le moins, évaluer les pertes en termes de rendement de ces cours d'eau au niveau de la pêche sportive. Ainsi, en moyenne 1300 pêcheurs/ année utilisaient ce secteur et capturaient 12 500 truites/ année, d'un poids moyen variant de 92 à 221 grammes. La perte nette du potentiel de prélèvement annuel est de 17 000 truites, ce qui veut dire que le nombre de poissons affectés directement par ce désastre est de beaucoup supérieur, en plus des pertes importantes à venir, au niveau de la chaîne alimentaire.

nos barrages, grands et petits, justifient fort bien cette réputation. Cependant, il y a lieu de s 'interroger sur la capacité actuelle de certains organismes gouvernementaux à contrôler et à surveiller ces structures: plusieurs milliers de barrages et digues sont carrément à l'abandon.

union québécoise pour la conservation de la nature

L'onde de crue a détruit la petite rivière 2 Pikauba sur 6 km. Environ 600 000 m de forêt ont été détruits.

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DE CONVOCATION A TOUS LES MEMBRES .D~ L'UNION QUEBECOISE POUR LA CONSERVATION DE LA NATURE (UQÇN) P.OUR L'ASSEMBLEE GENERALE ANNUELLE

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Suite à un changement à un règlement adopté par le C.E. , l'exercice financier de l'UQCN se terminait le 31 août dernier; tous les membres sont donc convoqués à la prochaine assemblée générale annuelle

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samedi le 15 novembre 1986 salle du Conseil, collège Champlain au 790, Nérée-Tremblay, Sainte-Foy, Québec

heure: inscription à 9h00.

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Un milieu ayant subi de telles perturbations prend plusieurs années avant de retrouver un nouvel équilibre. C'est pourquoi il est important que des travaux de stabilisation des berges et de restauration de la rivière Pikauba soient entrepris le plus rapidement possible. Le cas du lac Beloeil est beaucoup plus critique puisque le rétablissement du niveau d'eau entraînerait la construction d'un barrage très coûteux. Il faudrait alors démontrer que le potentiel faunique du lac reconstitué justifie une telle dépense, ce qui ne semble pas être le cas, selon les évaluations préliminaires du MLCP.

Ouvrir I'oeil Que les Québécois soient de bons et grands constructeurs de barrages, c'est fantastique. Nos techniques de construction sont reconnues mondialement et

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Les membres seront appelés à entériner: 1) le changement de l'exercice financier adopté lors de la réunion du C.E., tenue à Sainte-Foy le 22 août 1986, définissant selon l'article 40 la période de l'exercice financier du 1'' septembre au 31 août; 2) le changement de l'article 46 portant l'avis de convocation requis pour un changement aux règlements de soixante (60) à trente (30) jours.



L'ordre du jour comprend , entre autres, l'adoption des priorités en conservation pour l'année 1986-87 ainsi que les modalités d'intervention de l'UQCN par rapport aux activités des affiliés de l'organisme. Pour plus de renseignements , contacter les bureaux de l'UQCN à Québec (418) 628-9600 ou à Montréal (514) 381-2235.

En se référant au passé, faut-il attendre des pertes de vies humaines pour que la mise sur pied d'un programme rigoureux de surveillance et de contrôle soit réinstauré? Pourtant, le cas du lac Beloeil le justifierait amplement et devrait servir d'avertissement aux autorités « responsables ».•

André Robitaille, géographe spécialisé en géomorphologie, s 'intéresse aux phénomènes d 'érosion et de sédimentation en milieu fluvial. Jean Tremblay est biologiste et enseignant au cégep de Saint-Félicien. Tous deux sont à /'emploi de la firme Urbatique.

VOlA5 aimerez visit?r par Christian Autotte

• Un lac devenu marais Située à mi-chemin entre Montréal et Sherbrooke, la ville de Granby est bien connue pour son jardin zoologique. Moins bien connu mais tout aussi intéressant, le Centre d'interprétation de la nature du lac Boivin s'étend à quelques minutes à l'est du centre-ville. Le lac Boivin , nommé en l'honneur de l'ancien maire Pierre-Horace Boivin, fondateur du zoo de Granby, vit le jour en 1945 lorsque la ville érigea un barrage sur la rivière YamaskaNord dans le but de créer un réservoir d'eau potable. Durant les années qui suivirent, l'accumulation des matières organiques transforma peu à peu le lac en marais. Finalement, en 1970, un nouveau réservoir fut creusé et le lac Boivin retourna à la nature. De nos jours, le marais du lac Boivin est grouillant de vie. Considéré comme un véritable paradis ornithologique, pas moins de 222 espèces d'oiseaux y ont été observées. Le Centre d'interprétation a ouvert ses portes en 1980; son mandat est de protéger et de démystifier le marécage de 280 ha, habitat que trop de gens considèrent toujours comme « malsain » et tout juste bon à être asséché. Accessible à longueur d'année - sans aucun frais d'entrée - le Centre compte 13 km de pistes et deux plates-formes d 'observation. Point de départ des sentiers, le kiosque d'interprétation se double également d'un modeste musée où sont présentées des collections itinérantes en provenance des Musées nationaux du Canada ou d'ailleurs. Tout visiteur se doit de passer par le kiosque avant de s 'engager sur l'un ou l'autre des sentiers ; il y recevra des brochures décrivant la faune et la flore que l'on peut observer à l'intérieur de la réserve. Spécialement intéressant, le sentier de la Prucheraie (1,3 km) longe le marais sur la moitié de sa longueur. Dès le départ, une tour

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Véritable paradis ornithologique, pas moins de 222 espèces d'oiseaux s'arrêtent au lac Boivin.

s 'élevant au-dessus des arbres permet d'avoir une vue d'ensemble sur le marais. Toute la journée, mais plus particulièrement le matin, l'observation à la jumelle révèlera de nombreux canards et hérons qui nichent dans la réserve. Plus loin, une deuxième plate-forme offre une vue plus rapprochée de la végétation aquatique. Un autre sentier, le Marécage (2,2 km), forme une boucle qui serpente entre quenouilles et plans d'eau peu profonds. C'est un endroit privilégié pour observer grenouilles et tortues tout en restant au sec sur un trottoir de bois. L'été, on sera souvent assailli par le carouge à épaulettes qui tente par tous les moyens d'éloigner les visiteurs de son nid caché au milieu des quenouilles. Plus discret, le troglo-

dyte des marais tisse également son nid à partir de la végétation du marécage. Le long des deux sentiers, des panneaux d'interprétation attirent l'attention sur divers phénomènes. Ainsi apprend-on que l'utriculaire est une plante carnivore qui se nourrit de microorganismes aquatiques et que les saules empêchent l'érosion des berges grâce à leurs racines très ramifiées. Le sentier des Ormes (1,8 km) longe un ruisseau qu'il traverse finalement pour mener au dernier sentier, la Randonnée (7,7 km), dont le principal intérêt est une série de canaux creusés par Canards illimités dans le but d'offrir un habitat idéal à la nidification des canards de la région. En s'approchant lentement et silencieusement, le visiteur a toutes les chances de voir de près qui une sarcelle à ailes vertes, qui un canard pilet, un malard, ou même le spectaculaire canard huppé. Tout au long de l'année, des visites spéciales sont prévues à des dates précises. Les visiteurs

sont alors pris en charge par des guides-invités et mis en contact avec des phénomènes aussi divers que le concert nuptial des rainettes, le hululement des hibous ou une pluie d'étoiles filantes.•

À part ces événements spéciaux, les

visites guidées du marais ne sont possibles que pour des groupes organisés qui réseNent à J'avance. Pour plus de renseignements, il suffit d 'écrire au Centre d 'interprétation de la nature du lac Boivin, 700 rue Drummond, Granby, QC, J2G 8C7, tél.: (514) 375-3861.

Christian Autotte est journalistephotographe sp!!cialisé dans le domaine de /"environnement.

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par Groupe de travail sur les usines d'armements au Québec

Le Les Québécois et les Québécoises sont, paraît-il, contre la guerre, c'est bien connu. L'armée n'a jamais été valorisée chez nous. D'ailleurs, les politiciens d'Ottawa se plaignent périodiquement du peu d'empressement des Québécois à entrer dans l'armée canadienne. À la rigueur, nous pouvons accepter l'armée si elle participe à de nobles missions de paix. Pour le reste, nous préférons, disent certains, aider les victimes de la guerre des autres. N'avons-nous pas accueilli des milliers de Chiliens, de « Boat People», de Polonais? Décidément, nous n'aimons pas la guerre! Peut-être. Mais ...

de la paix

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One planète militaire •





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750 milliards de dollars ont été dépensés dans le monde en 1982 pour des armements: près d'un million et demi de dollars par minute ... La somme des têtes nucléaires stratégiques - projectiles des arsenaux atomiques représente une charge explosive équivalent à 1,5 million de bombes Hiroshima. Depuis la Deuxième Guerre mondiale, 1165 essais nucléaires ont eu lieu, la plupart après le traité de 1963 sur l'arrêt partiel de tels essais. Aujourd'hui, plus de 60 000 systèmes d 'armements nucléaires existent sur la planète. Plus de la moitié des physiciens et des ingénieurs dans le monde ne travaillent que po1.,1r les besoins de la Défense. Des centaines de milliers d'hommes et de femmes travaillent dans l'industrie militaire ... Les dépenses militaires mondiales représentent plus du double des dépenses publiques pour la santé et sont supérieures aux dépenses de l'éducation.

En ajoutant les quelque 140 guerres qui ont été déclenchées ici et là depuis la Seconde Guerre mondiale, tel est le tableau qu'on obtient du gouffre dans lequel sont aspirées chaque année des sommes d'argent si élevées qu'une partie seulement de celles-ci suffirait à elle seule à solutionner les problèmes de sous-alimentation, de famine, de santé dans le monde.

Plus de la moitié des usines d'armements de tout le Canada se trouve au Québec.

Mais chaque année aussi, les gouvernements contribuent à noircir ce tableau déjà si sombre, si minime soit la contribution de chacun à ces activités destructrices de l'humanité. Le Canada n'y échappe pas.

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One industrie bien de chez nous Les faits sont là. Plus de la moitié des usines d'armements de tout le Canada se trouve au Québec. Nous participons, par nos impôts, à raison de 200 $ par personne par année, à financer une industrie de guerre qui tend à se développer. Dans la seule région de Montréal, des milliers d 'emplois dépendent, partiellement ou en totalité, de la production militaire. En 1983 seulement, 3380 contrats militaires d'une valeur excédant 1,9 milliard de dollars ont été accordés à des industries de la région de Montréal. Les contrats d'exportation représentent 40 % de la production et rapportent environ 770 millions $. Mais pourquoi se plaindre? « L'industrie de guerre crée des emplois et engendre des retombées économiques importantes pour le Québec! Les gens de-

.Â. En 1982, plus de 750 milliards $ ont été dépensés pour l'armement. Plus de la moitié des physiciens et des ingénieurs du monde travaille pour les besoins de la défense.

vraient le reconnaître », confiait au Devoir le colonel Pierre Lalande, commandant de la base des forces canadiennes de Montréal, le 30 mars 1983. Ce que le colonel ne dit pas et ne pourra sûrement pas dire, c'est ce qui suit. Dans une étude préparée par des experts des Nations Unies, on montre qu'une moyenne de deux postes de travail peuvent être créés dans les secteurs civils de l'économie en échange de la dépense exigée par un seul poste de travail dans le secteur militaire. Ce que le colonel ne dira pas davantage, c'est que l'industrie militaire est devenue un corn-

merce qui profite d'abord à quelques industries privées et aux banques qui garantissent les millions nécessaires. Le gouvernement encourage ces compagnies, leur verse des subventions considérables pour les aider à moderniser leur technologie et achète, en plus, leur pro-

Un cas parmi tant d'autres: le Brésil Plusieurs pays en voie de développement consacrent de 25 à 40 % de leur budget aux dépenses militaires. Même l'Éthiopie, malgré la famine qui sévissait en 1984, engloutissait plus de 25 % de son budget dans la défense nationale. Environ 70 % de la population du Brésil est sousalimentée. Pourtant, entre 1977 et 1980, 33 % de tous les achats d'armement effectués dans le Tiers-Monde ont été faits par ce pays. Sa dette extérieure énorme le force à orienter son économie vers les exportations. À l'instar des pays riches, le Brésil s'est lancé, il y a quelques années, dans le commerce des armes. En 1985, les ventes des industries brésiliennes d'armement ont dépassé 1,5 milliard de dollars ce qt.ii en faisait le 5• producteur mondial. Le Canada achemine environ 10 % de sa production militaire vers les pays du Tiers-Monde. Parmi ceux-ci, le Brésil est son principal client. Franc-Nord

duction. Non content de cette aide, il organise des foires de ventes d'armements pour stimuler les exportations d'armes à l'étranger. Il ne s 'agit plus ici d'assurer la sécurité du Canada mais de mousser la vente d'armements. Qui donc profite d'abord de cette situation, sinon les compagnies subventionnées ellesmêmes? Elles pourront même augmenter, en cours de route, le prix de leurs produits, fabriquer des biens qui vieilliront vite, ne pas investir dans d'autres secteurs non militaires, remplacer des ouvriers par des robots, contribuer ainsi à stimuler l'inflation et le chômage, l'État canadien paiera toujours la note.

Ce que le colonel ne dit pas non plus, c'est que ce commerce subventionné a des retombées économiques et sociales encore plus désastreuses dans les pays pauvres à qui nous vendons des armes. Ces armes servent souvent à maintenir en place des dictatures militaires qui, pour pouvoir payer ces armes, coupent dans les réformes agraires, industrielles et sociales, et s'endettent auprès des banques internationales. Qu'on pense ici au Salvador, pour ne citer qu'un exemple.

maintienne, le Canada doit acheter, lui aussi, de l'industrie militaire américaine. Les deux pays connaissent actuellement un véritable boom économique dans le matériel militaire alors que nous ne sommes pas en guerre! Les ventes canadiennes aux États-Unis sont passées de 267 millions de dollars en 1978 à environ 1 milliard en 1982. Et le Canada, pour sa part, a acheté autant chez son voisin. Inutile de souligner qu'une telle dépendance économique signifie aussi une profonde dé-

Nombre d'emplois crees avec un investissement d'un milliard $ ( 1984) Missiles

11 000 à 16 000

Contrats militaires

24000 à 28000

Travaux publics (incluant le transport en commun)

28000 à 30000

Santé

46000 à 50000

Éducation

50000 à 60000

Source: