Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité 96

8 sept. 2017 - ... considérations budgétaires plutôt que guidé par l'évolution de la ..... du comité consultatif dirigé par le gouvernement sur le désarmement,.
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Numéro 96  | OCTOBRE 2017

Dans ce numéro ■ À

l’ordre du jour

  Le CPS a approuvé un nouveau mandat pour l’AMISOM qui lui confère un rôle d’appui aux forces de sécurité somaliennes. Ce changement portera-til fruit ?   Le CPS a discuté de la nouvelle feuille de route de l’UA pour la paix en République centrafricaine alors que le pays fait face à une insécurité croissante.   Des questions subsistent concernant la mise en œuvre du mois d’amnistie de l’UA pour les détenteurs d’armes illicites. ■ Analyse

de situation

  Au Biafra, le gouvernement nigérian devrait entamer le dialogue avec les sécessionnistes et non promouvoir leur cause en adoptant des mesures répressives. ■ Vues

d'Addis

Rapport

sur le Conseil de paix et de sécurité

  Lors de leur réunion conjointe annuelle, le CPS et le Conseil de sécurité des Nations unies se sont à nouveau opposés sur la question du financement des opérations de paix de l’UA.

“ « La capacité

d’Al-Shabaab à perpétrer des violences en Somalie persiste »

Page 3

“ « 70 % du territoire centrafricain est sous le contrôle de groupes armés »

Page 8

“ « Les appels en

faveur d’un Biafra indépendant ne font pas l’unanimité »

Page 16

Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité

À l’ordre du jour Le CPS s’accorde sur une stratégie de retrait prudente pour l’AMISOM Le 12 juillet dernier, le Conseil de paix et de sécurité (CPS) a prorogé d’une année le mandat de la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM), prorogation accompagnée néanmoins d’un certain nombre de modifications majeures. Le 3 octobre prochain, le CPS doit également assister à une séance d’information sur l’AMISOM. Le nouveau mandat de la plus grande opération de soutien à la paix menée par l’Afrique concerne moins la lutte contre Al-Shabaab que l’appui à apporter au gouvernement fédéral somalien dans la mise en place d’une architecture de sécurité fonctionnelle et efficace. L’adoption de ce nouveau mandat survient alors que l’UA envisage un retrait progressif de la Somalie. Cette réorientation semble s’expliquer par le déclin de la menace posée par Al-Shabaab à un niveau tel que les autorités locales devraient être en mesure de la gérer. L’AMISOM dispose ainsi d’un nouveau mandat, tel que défini par le CPS et validé par le Conseil de sécurité des Nations unies dans sa résolution du 30 août 2017. À l’avenir, ses objectifs seront les suivants : • Permettre le transfert progressif des responsabilités de l’AMISOM en matière de sécurité aux forces de sécurité somaliennes, en fonction de leurs capacités et des progrès réalisés par la Somalie concernant la situation politique et les conditions de sécurité ; • Réduire la menace que constitue Al-Shabaab et d’autres groupes

Président actuel du CPS S.E.M. Dieudonné Ndabarushima Ambassadeur du Burundi en Ethiopie et auprès de l’UA

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d’opposition armés ; • Aider les forces de sécurité somaliennes à créer des conditions de sécurité favorisant l’instauration d’un processus politique à tous les niveaux ainsi que la stabilisation, la réconciliation et la consolidation de la paix en Somalie.

Les membres actuels du CPS sont

De nombreuses questions au sujet de ce nouveau mandat demeurent

l’Afrique du Sud, l’Algérie, le Botswana, le Burundi, l’Égypte, le Kenya, le Niger, le Nigeria, l’Ouganda, la République du Congo, le Rwanda, la Sierra Leone, le Tchad, le Togo et la Zambie.

financière de l’Union européenne à la mission, ce virage stratégique est-il

néanmoins en suspens. Compte tenu de la réduction de la contribution dicté par des considérations budgétaires plutôt que guidé par l’évolution de la situation sécuritaire sur le terrain ? Bien qu’Al-Shabaab ait perdu le contrôle de la majeure partie des territoires anciennement sous son autorité, il est évident que le groupe conserve sa capacité de lancer des attaques asymétriques contre les civils, l’AMISOM ou les forces nationales somaliennes.

Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité  •  WWW.ISSAFRICA.ORG/PSCREPORT

Le rapport du Secrétaire général de l’ONU sur la Somalie, publié début septembre, dresse un tableau complexe de la situation sécuritaire. Il attribue la réduction des incidents à Mogadiscio pendant le mois du Ramadan de cette année aux mesures prises par le gouvernement fédéral, mais indique que le nombre de victimes du groupe terroriste a augmenté en raison de l’utilisation d’engins explosifs improvisés. Selon Omar Mahmood, chercheur à l’Institut d’études de sécurité, AlShabaab représente toujours une grave menace pour la sécurité de la Somalie, quelles que soient les fluctuations du niveau de violence au cours des dernières années. Il explique : Certaines dynamiques récentes, telles que les attentats incessants à la voiture piégée à Mogadiscio ou encore les attaques contre des bases militaires comme celle de Beled Hawo, témoignent de ces capacités. En ce sens, bien que des améliorations aient été enregistrées dans certains domaines, la capacité même d’Al-Shabaab à défier les acteurs responsables de la sécurité et à perpétrer des violences en Somalie persiste. Dans un tel contexte, la capacité des forces nationales somaliennes à reprendre à leur compte la lutte contre Al-Shabaab reste incertaine, tant à court qu’à moyen terme.

La capacité des forces nationales somaliennes à reprendre à leur compte la lutte contre Al-Shabaab demeure incertaine Un échéancier de retrait marqué par la flexibilité La nouvelle orientation de l’AMISOM résulte de la publication du rapport de la Commission de l’UA sur les enseignements tirés des dix ans de la mission et d’un examen conjoint UA-ONU. Ces deux exercices concluent que l’AMISOM devrait adopter une stratégie de retrait fondée sur certaines conditions. Le calendrier de retrait actuel prévoit une réduction des effectifs militaires de l’AMISOM d’au moins 1 500 hommes d’ici octobre 2018, tandis que 500 policiers supplémentaires seront déployés dans le pays. Dans cet intervalle, l’UA, l’ONU et le gouvernement fédéral somalien lanceront une évaluation de l’état de préparation opérationnelle des forces de sécurité somaliennes afin d’en dénombrer exactement les effectifs, d’en dresser l’inventaire du matériel et d’en déterminer les besoins en formation. Un plan de transition sera défini ultérieurement pour la période allant de 2018 aux élections de 2021, après un examen qui sera réalisé l’an prochain et en fonction des conditions de sécurité du moment. Il convient de noter que la stratégie de sortie demeure prudente, car le CPS déclare que l’AMISOM

1 500 Réduction du nombre de troupes de l’AMISOM d’ici la fin de l’année prochaine

« reste un partenaire indispensable pour la paix en Somalie, mais doit être

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Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité judicieusement reconfigurée pour apporter son appui à

claniques à s’entendre sur la gouvernance de la sécurité

la prochaine phase de l’édification de l’État en Somalie

dans le pays. Sans une telle entente, l’AMISOM devra

pendant la mise en œuvre du plan de transition ». Cet

probablement repousser la date de son retrait.

échéancier offre une certaine souplesse et doit être ajusté en fonction des conditions de sécurité.

Au-delà des tâches militaires, quel rôle pour l’AMISOM ?

L’importance cruciale d’un secteur de la sécurité efficace

Les participants à la Conférence sur les enseignements

Alors que les pays fournisseurs de contingents militaires

mars 2017, ont reconnu que le volet militaire de la

et de forces de police attendent avec impatience le

mission était « trop lourd ». La principale préoccupation

retrait de l’AMISOM, la mission tend désormais vers un

qui sous-tend la stratégie de sortie de l’AMISOM

objectif final, à savoir la mise en place de l’architecture

semble être de passer le relais aux forces de sécurité

nationale de sécurité adoptée en avril dernier afin de

somaliennes plutôt que la stabilisation politique du pays.

reprendre les rênes de la lutte contre Al-Shabaab. Elle dispose également d’une date de retrait à court terme, à l’horizon 2020–2021, avec la tenue des premières élections dans le pays sur la base du principe « une personne/une voix ».

Le CPS n’a fixé aucune ligne directrice quant au rôle de l’AMISOM dans la stabilisation civile du pays

L’accent mis sur la mise en place d’un secteur de la

En dépit de son appel en faveur d’un renforcement du

sécurité efficace comme vecteur de stabilisation de la

rôle de l’AMISOM dans une nouvelle configuration, le

Somalie est pour le moins ambitieux. Premièrement,

CPS n’a fixé aucune ligne directrice quant au rôle de la

cette approche part du principe que la construction de

mission dans la stabilisation civile du pays. Le rapport

l’État en Somalie repose principalement sur le secteur

sur les enseignements tirés des dix ans de l’AMISOM

de la sécurité plutôt que sur le contrat social entre les

aborde la question de son rôle futur : celle-ci devrait-elle

autorités et les habitants. Deuxièmement, il n’est pas

se contenter de fournir une présence militaire réduite

certain que l’architecture nationale de sécurité répondra

pour venir en appui dans la lutte contre Al-Shabaab

efficacement au défi posé par Al-Shabaab.

et laisser d’autres acteurs s’occuper de la stabilisation

Le pacte de sécurité adopté en mai 2017 à Londres

civile du pays ? Ou bien devrait-elle procéder au retrait

propose une répartition sans précédent de la gestion

d’une partie importante de sa composante militaire

de la sécurité entre les niveaux national et régional. Par

pour renforcer sa composante civile ? Si cette deuxième

exemple, le Conseil national de sécurité serait chargé

option est privilégiée, il sera nécessaire de définir des

d’élaborer les politiques et les stratégies tandis que le

priorités afin de garantir d’avoir un impact sur le terrain.

Conseil régional de sécurité serait responsable de leur

L’élaboration d’un nouveau concept d’opérations devrait

mise en œuvre. Il est difficile de croire que ce système ne

éclaircir cette question.

reproduira pas les divisions claniques autour desquelles s’organise la politique somalienne, entraînant ainsi une fragmentation du secteur de la sécurité. En outre, les coûts de coordination associés à une telle architecture dans un contexte postconflit pourraient nuire à l’efficacité de la riposte au défi posé par Al-Shabaab.

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tirés des dix ans de l’AMISOM, qui s’est tenue en

Le nouveau mandat de l’AMISOM, tel que proposé par le CPS • Continuer de soutenir le dialogue politique et la réconciliation en Somalie • Protéger les principales agglomérations et la présence

Il est clair qu’au-delà de la défaite d’Al-Shabaab, la

d’acteurs internationaux, sécuriser et faciliter les

clé d’une stabilisation durable de la Somalie réside

processus politiques, la réconciliation, le maintien

dans la capacité des différentes factions régionales et

de l’ordre public, le redressement rapide et la sûreté

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publique, tout en mettant en œuvre avec prudence un transfert des responsabilités aux forces de sécurité somaliennes • Contribuer à sécuriser les principaux axes d’approvisionnement en commençant par ceux qui relient les principales agglomérations, notamment par le biais d’opérations conjointes avec les forces somaliennes • Conduire des opérations ciblées contre Al-Shabaab et d’autres groupes armés d’opposition, conjointement avec les forces somaliennes, poursuivre l’encadrement lors des opérations de combat et apporter un soutien opérationnel aux forces somaliennes • Soutenir le renforcement des capacités des Forces de sécurité nationales de Somalie, conformément à l’Architecture de sécurité nationale et en pleine coordination avec les Nations unies et d’autres partenaires concernés • Faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire et appuyer le redressement rapide et l’extension de l’autorité de l’État, dans les limites des ressources disponibles de la Mission

Les tâches prioritaires de l’AMISOM adoptées par le Conseil de sécurité de l’ONU • Maintenir une présence dans les secteurs définis dans le concept d’opérations de la Mission, en accordant la priorité aux principales agglomérations • Aider, selon qu’il convient, les forces de sécurité somaliennes à assurer la protection des autorités somaliennes pour que celles-ci puissent exercer leurs fonctions de gouvernement et œuvrer en faveur de la réconciliation et de la consolidation de la paix, et à sécuriser les infrastructures essentielles • Protéger, selon qu’il conviendra, son propre personnel, ses installations, son matériel et sa mission, et assurer la sécurité et la liberté de circulation de son personnel, ainsi que du personnel des Nations unies exerçant des fonctions prescrites par le Conseil de sécurité • Sécuriser les principales voies de ravitaillement, y compris les routes menant aux zones reprises à Al-Shabaab, en particulier celles qui sont essentielles pour améliorer la situation humanitaire et celles qui sont indispensables pour fournir un appui logistique à l’AMISOM, tout en soulignant que les services logistiques demeurent une responsabilité partagée de l’ONU et de l’Union africaine • Mener des offensives ciblées contre Al-Shabaab et d’autres groupes d’opposition armés, y compris conjointement avec les forces de sécurité somaliennes • Conseiller et aider les forces de sécurité somaliennes, militaires comme policières, en étroite collaboration avec la MANUSOM et conformément à ce que prévoit le dispositif national de sécurité • Reconfigurer, si les conditions de sécurité le permettent, les effectifs en tenue de l’AMISOM en augmentant la proportion du personnel de police, dans les limites de l’effectif total autorisé de la Mission, et lui faire rapport par l’entremise du Secrétaire général sur l’avancée de cette reconfiguration • Accueillir les transfuges, à titre provisoire et selon qu’il convient, et en coordination avec l’ONU et le Gouvernement fédéral somalien

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Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité Les violences meurtrières se poursuivent en Somalie République centrafricaine

Tchad

Éthiopie

Kenya

République de Somalie

Mali

500

400

150

300 100 200

Nombre de morts signalés

Nombre d’attaques

200

600

50 100

0 juin 2017

mai 2017

avril 2017

mars 2017

février 2017

juin 2017

mai 2017

avril 2017

mars 2017

juin 2017

février 2017

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mars 2017

juin 2017

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mars 2017

février 2017

0

Nombre de morts signalés Source : Armed Conflict Location & Event Data Project (ACLED), Conflict Trends Report n° 60 (juillet 2017)

Note: Les chiffres montrent que le nombre d’attaques et de morts signalés en Somalie reste très élevé. Selon l’ACLED, plus de 2 500 personnes sont mortes en Somalie au cours des six premiers mois de l’année 2017 à la suite d’attaques terroristes. Ce graphique montre également une augmentation du nombre d’attaques en République centrafricaine (article page 7). En comparaison, au cours de la même période, il y a eu moins de morts causées par des attentats terroristes au Tchad et au Mali et par des manifestations en Éthiopie. Au Tchad et au Mali (où des conflits entre groupes ethniques sont également en cours), le nombre de morts est en augmentation. Toujours selon l’ACLED, les violences qu’a connues le Kenya durant cette même période est attribuable aux attaques d’Al-Shabaab, ainsi qu’aux conflits ethniques et communautaires, souvent fonciers, aggravés par les tensions politiques à l’approche des élections qui se sont tenues en août.

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À l’ordre du jour Les futurs défis pour la feuille de route de l’UA sur la Centrafrique Après avoir passé le flambeau aux Nations unies et s’être retirée du pays en 2014, l’UA lance une nouvelle initiative pour aider la République centrafricaine (RCA) à se rétablir. Le CPS s’est ainsi réuni le 16 octobre 2017 pour discuter de la mise en œuvre de la nouvelle feuille de route de l’UA pour la RCA. La violence qui sévit entrave toutefois les diverses tentatives pour obtenir un cessez-lefeu et protéger les civils centrafricains. Les efforts de la communauté internationale pour reconstruire la RCA après le conflit qui a suivi les élections relativement apaisées de 2016 ont été sérieusement ébranlés par la recrudescence des violences et du crime organisé dans le pays. Beaucoup espéraient pourtant que ces élections, qui ont porté au pouvoir Faustin Archange Touadéra, uniraient et stabiliseraient le pays. Le regain de violence fait désormais redouter un génocide.

Le regain de violence fait désormais redouter un génocide À l’instar de plusieurs autres documents signés précédemment, l’accord de paix obtenu le 19 juin 2017 par l’entremise de la Communauté catholique romaine de Sant’Egidio a été bafoué quelques jours seulement après sa signature. L’UA n’a pas encore mis en œuvre sa Feuille de route pour la paix et la réconciliation en RCA et il est à espérer que la réunion que tiendra le CPS le 16 octobre prochain sur la situation dans le pays permettra d’insuffler un nouvel élan aux efforts de médiation de l’organisation continentale. Au vu des dernières évolutions, il est urgent de surmonter les divisions qui perpétuent la violence, de renforcer la confiance entre les communautés et de parvenir à un accord durable qui mettra fin à ce conflit qui dure depuis cinq ans.

Le contexte du conflit en RCA Le 17 novembre 2016, les donateurs internationaux se sont engagés à verser 2,2 milliards de dollars US en faveur de la reconstruction postconflit dans le pays. Aucune information ne permet de savoir si les donateurs ont effectivement honoré leurs promesses, mais toujours est-il que les efforts de consolidation de la paix sont actuellement au point mort en raison des

19 juin 2017 Signature d’un accord de paix négocié par la Communauté de Sant’Egidio

violences persistantes.

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Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité Environ 70 % du pays est sous le contrôle de groupes armés, le gouvernement et la Mission des Nations unies en RCA (MINUSCA) peinant à étendre l’autorité de l’État au-delà de Bangui. Le conflit est alimenté par le manque de confiance et les actes de vengeance entre les groupes armés rivaux et entre les communautés associées aux exSéléka et aux anti-balaka. Les affrontements incessants entravent les efforts déployés pour désarmer, démobiliser et réintégrer les combattants. Si les 14 groupes armés identifiés en RCA participent souvent aux travaux du comité consultatif dirigé par le gouvernement sur le désarmement, la démobilisation et la réintégration, ils refusent néanmoins de déposer leurs armes. Les groupes armés et les communautés craignent qu’en abandonnant les armes, ils ne deviennent vulnérables aux attaques de groupes rivaux désireux de prolonger les hostilités. La complexité du conflit s’est également accrue avec la fragmentation et la prolifération de milices motivées non seulement par leur antagonisme à l’égard de groupes rivaux, mais aussi par la criminalité et l’anarchie. L’exploitation illégale des ressources naturelles est une source importante de revenus pour les factions armées qui se battent entre elles pour le contrôle des sites miniers, en particulier dans l’Est et l’Ouest du pays.

Le conflit a empiré avec le retrait des forces spéciales américaines et des troupes ougandaises Un vide sécuritaire à la suite du retrait des troupes américaines, ougandaises et françaises Le conflit a empiré avec le retrait des forces spéciales américaines et des troupes ougandaises qui combattaient l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) en Afrique centrale, notamment dans le Sud-Est de la RCA. Le 30 octobre 2016, la France a également mis fin à l’opération Sangaris qui avait été déployée dans la région en 2013, au plus fort de la crise. La faiblesse des institutions gouvernementales responsables de la sécurité – pourtant soutenues par plus de 12  000 Casques bleus des Nations unies – n’a pas permis de combler le vide laissé par ces retraits. Les groupes armés, y compris la LRA, opèrent désormais librement dans

70 % Du territoire centrafricain est sous le contrôle de groupEs armés

ces régions et représentent une menace pour les populations civiles du Sud-Est de la RCA. Dans un rapport publié le 8 septembre 2017, Amnesty International fustige l’ONU pour son inefficacité face aux nombreuses attaques perpétrées à l’encontre des civils. Le 8 mai 2017, les Casques bleus de l’ONU sont ainsi arrivés trop tard pour empêcher le massacre d’environ 130 personnes dans la ville d’Alindao. La protection des civils constitue pourtant la priorité immédiate des troupes de la MINUSCA, qui subissent par ailleurs les attaques meurtrières de groupes armés.

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La détérioration de la situation, conjuguée au retrait des forces ougandaises et américaines, a conduit l’ONU à demander le déploiement de 750 soldats supplémentaires pour consolider la présence de la MINUSCA sur le terrain. Le Rwanda a ainsi récemment dépêché 140 soldats en RCA. Le Conseil de sécurité des Nations unies devrait profiter du renouvellement du mandat de la MINUSCA, prévu en novembre 2017, pour renforcer la mission. Celle-ci doit protéger les civils de manière adéquate en plus de garantir un environnement sûr et propice à la fourniture d’une assistance humanitaire à quelque 2,4 millions de Centrafricains, soit près de 52 % de la population du pays.

Dans un effort d’harmonisation des initiatives de médiation, l’UA et ses partenaires ont adopté une nouvelle feuille de route Parvenir à un accord durable : un véritable défi Outre la récente initiative menée par la communauté de Sant’Egidio qui a abouti à l’accord de paix, plusieurs autres tentatives de médiation ont été entreprises pour trouver une solution aux crises qui secouent la RCA. Des efforts ont notamment été entrepris par l’UA, la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL), l’Organisation de coopération islamique (OCI), le Tchad et l’Angola. Dans un effort d’harmonisation des initiatives de médiation, l’UA et ses partenaires ont adopté, en juillet 2017, une nouvelle feuille de route pour la paix et la réconciliation en RCA, dont l’objectif est de promouvoir le dialogue et de parvenir à un accord susceptible d’inciter les combattants à déposer les armes. Cette feuille de route est une initiative conjointe de l’UA, de la CEEAC et de la CIRGL, ainsi que de l’Angola, de la République du Congo et du Tchad. Le document vise à assurer la coordination des efforts de paix des pays voisins ainsi que leur participation active à la mise en œuvre de l’accord. En effet, les chefs de la plupart des groupes armés sévissant en RCA bénéficient de soutiens dans les pays voisins, en plus d’y mener des activités et d’y posséder des biens. Toutefois, force est de reconnaître que la nouvelle feuille de route n’a pas encore eu les effets escomptés sur le terrain.

Privilégier la paix ou la justice ? Compte tenu de l’échec des efforts déployés pour amener les groupes armés à coopérer, certains estiment que ceux-ci n’accepteront de déposer les armes qu’en échange d’une amnistie, au détriment de la justice. D’autres soutiennent au contraire qu’au lieu de mettre un terme aux griefs, une éventuelle amnistie ne ferait qu’encourager la culture d’impunité qui se

12 000 Nombre de soldats de la paix déployés par l’ONU en RCA

développe dans le pays.

Numéro 96 • OCTOBRE 2017

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Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité En outre, une amnistie ne serait pas en accord avec les conclusions du Forum de Bangui de mai 2015 sur la réconciliation nationale, au terme duquel les participants ont décidé que la justice serait au cœur de l’effort de paix. Cette disposition a conduit le gouvernement de l’ancienne présidente par intérim du pays, Catherine Samba-Panza, à promulguer le 3 juin 2015 la création du Tribunal pénal spécial pour la RCA. Cette cour doit enquêter sur les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité perpétrés depuis le coup d’État de 2003 de l’ancien président François Bozizé contre son prédécesseur Ange-Félix Patassé, afin de poursuivre leurs auteurs présumés. Dans un récent discours prononcé devant le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, le président de la RCA a également insisté sur le fait que la paix passait par la lutte contre l’impunité et la reddition de comptes pour les personnes s’étant rendues coupables de crimes.

Les pays voisins doivent coopérer pour que soient respectés les embargos sur les armes imposés à la RCA Le gouvernement et les médiateurs internationaux doivent trouver les moyens de dissiper les craintes sous-jacentes et de garantir aux citoyens que les auteurs de violences seront traduits en justice. Il s’agit notamment d’aider le système judiciaire centrafricain, pour le moins affaibli, à faire de la poursuite des dirigeants qui ont ordonné et financé la perpétration d’actes criminels dans le pays, l’une de ses priorités.

Améliorer l’efficacité des sanctions internationales Dans l’ensemble, les interdictions de voyager, le gel des avoirs et les embargos sur les armes décrétés par l’ONU contre la RCA n’ont pas été respectés. Concernant les embargos sur les armes, le rapport du Groupe d’experts de l’ONU indique que « les hostilités en cours sont alimentées par un flux régulier d’armes transitant par le Tchad, le Soudan et la République démocratique du Congo ». Ce flux illicite d’armes contrevient à la décision du Conseil de sécurité des Nations unies selon laquelle tous les États membres doivent continuer de prendre les mesures nécessaires pour empêcher la fourniture, la vente ou le transfert directs ou indirects d’armes à la RCA. Les pays voisins doivent coopérer pour que soient respectés les embargos sur les armes imposés à la RCA. Il s’agit notamment de soutenir le gouvernement pour qu’il surveille et procède à l’arrestation des personnes qui favorisent le commerce illégal et financent les groupes rebelles.

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À l’ordre du jour Poursuivre la lutte contre les armes illicites en Afrique L’Union africaine a annoncé que d’ici 2020 une amnistie serait décrétée chaque mois de septembre en Afrique pour les détenteurs d’armes illégales contre leur remise et leur collecte. Cette mesure s’inscrit dans le cadre des efforts déployés par l’UA pour mettre en œuvre la feuille de route sur les mesures pratiques visant à faire taire les armes en Afrique d’ici 2020 — un document adopté en janvier dernier. Des questions persistent toutefois quant au rôle des États membres dans cette initiative. Cette nouvelle initiative de l’UA pour lutter contre les armes illicites en Afrique, débattue le 4 septembre dernier lors d’une session publique du CPS, stipule que toute personne qui remettra les armes qu’elle détient illégalement, au cours du mois de septembre, « ne devra pas faire l’objet de dénonciation, d’humiliation, d’arrestation ou de poursuites ». Elle précise également que les personnes qui ne remettront pas les armes qu’elles détiennent illégalement, pendant cette période, seront automatiquement considérées comme contrevenant aux lois nationales et aux dispositions de l’amnistie et seront donc poursuivies conformément aux lois en vigueur dans les États membres.

L’Afrique est le continent le plus touché par la prolifération, la circulation et l’utilisation d’armes illicites L’amnistie sera mise en œuvre sur le modèle des meilleures pratiques africaines et internationales, qui désignent les États comme devant être les destinataires des armes remises. La Déclaration de Bamako de 2000 sur la position africaine commune sur la prolifération, la circulation et le trafic illicites des armes légères et de petit calibre oblige par exemple les États membres à élaborer et à mettre en œuvre des programmes nationaux pour la remise volontaire d’armes légères et de petit calibre détenues illégalement. Cependant, il reste à déterminer si les États membres ont la capacité et la volonté politique de mettre en œuvre cette décision.

La prolifération des armes illicites en Afrique L’Afrique est le continent le plus touché par la prolifération, la circulation et

Septembre Mois d’amnistie en Afrique

l’utilisation d’armes illicites en raison de la faiblesse des institutions, de la

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Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité porosité des frontières et de la corruption. Ces armes

De telles situations requièrent un engagement renouvelé

offrent aux acteurs non étatiques la possibilité de faire

des États membres à documenter, marquer et protéger

valoir leurs intérêts par la violence.

leurs stocks d’armes, comme le prévoient les instruments

De nombreux États africains n’ont pas encore mis en place de mesures réglementaires adéquates pour contrôler et gérer les armes. Ce qui facilite leur circulation par les trafiquants, non seulement à l’intérieur de ces États fragiles, mais également dans ceux qui sont dotés d’un cadre réglementaire bien établi. Des recherches montrent, par exemple, que le Ghana et la Côte d’Ivoire – deux pays relativement organisés – sont des points d’entrée pour les armes illicites à destination

par le renforcement de la coopération entre les États dans le contrôle des importations et des exportations et l’échange d’informations sur les saisies d’armes, les trafiquants d’armes et les crimes à main armée. Les informations concernant les flux d’armes existants, les voies de passage utilisées par les trafiquants et les techniques de contournement des systèmes de contrôle doivent également être partagées entre tous les États.

de certains États plus faibles d’Afrique de l’Ouest, tandis

L’adhésion aux dispositifs internationaux

que le Soudan constitue une tête de pont pour les pays

Il existe déjà des instruments importants relatifs au cadre

d’Afrique de l’Est. Le Mali sert, quant à lui, de plateforme

réglementaire international sur le commerce des armes.

pour les pays d’Afrique du Nord dotés de mécanismes réglementaires plus stricts.

Par exemple, le Traité sur le commerce des armes (TCA) de 2013 engage les différentes parties prenantes à

L’UA et ses communautés économiques régionales et

adopter des cadres réglementaires à même de mettre

mécanismes régionaux (CER/MR) ont un rôle essentiel

fin à la prolifération et à la circulation des armes illicites.

à jouer dans l’identification des États dont les cadres

Néanmoins, de nombreux États membres de l’UA n’ont

réglementaires sont déficients et dans la détection et

pas encore signé et ratifié le TCA. Celui-ci n’a en effet été

l’interception des armes illégales. Il s’agit notamment d’aider

entériné que par 22 pays africains, tandis que 17 autres

les États membres à définir des lignes directrices claires en

l’ont signé sans l’avoir ratifié.

vue de la mise en œuvre de l’amnistie en question.

Le détournement d’armes obtenues de manière légale Selon plusieurs rapports, même des armes obtenues

12

internationaux en la matière. Cela passe notamment

De nombreux États membres de l’UA n’ont pas encore signé et ratifié le Traité sur le commerce des armes

de manière parfaitement légale peuvent devenir illicites

Même les décisions de l’UA, y compris la Déclaration

à la suite de détournements, d’actes de corruption ou

de Bamako et le Programme d’action de 2001 visant à

encore d’attaques menées par des réseaux criminels

prévenir, combattre et éliminer le commerce illicite des

et terroristes.

armes légères et de petit calibre sous tous ses aspects,

Nelson Alusala, consultant-chercheur au sein de

n’ont pas été mises en œuvre.

l’équipe du bureau de Prétoria de l’Institut d’études de

Selon Alusala, « Une bonne approche serait que l’UA et

sécurité, souligne qu’« actuellement, le détournement

ses CER/MR fassent pression sur les États membres

d’armes appartenant à un État vers des marchés illicites

pour qu’ils adoptent et appliquent au niveau national des

représente une tendance de plus en plus préoccupante

instruments internationaux tels que le TCA, l’Instrument

en Afrique. Il s’agit d’armes importées de manière

international de traçage (IIT) ainsi que des instruments

légitime par les gouvernements, mais qui, en raison

sous-régionaux ». Par ailleurs, les États membres

d’un manque de surveillance des lieux de stockage et

devraient également se conformer aux décisions

de défaillances des systèmes de gestion des stocks, se

pertinentes en matière de gestion transfrontalière et de

retrouvent sur des marchés illicites ».

sûreté maritime.

Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité  •  WWW.ISSAFRICA.ORG/PSCREPORT

Renforcer la volonté des États à faire respecter les embargos sur les armes

des investigations ciblées. Entre-temps, plus d’attention

L’UA et les organisations sous-régionales devraient

zones de conflit.

faire preuve d’une volonté accrue à l’heure d’imposer et de faire respecter des embargos sur les armes dans certaines régions et certains États membres en crise.

devrait être accordée aux flux de munitions dans les

Quid des causes des conflits ? Toutefois, les efforts visant à endiguer les trafics d’armes illicites seront vains si aucune initiative concrète

En effet, les flux illégaux d’armes en Afrique suivent la

n’est lancée pour s’attaquer aux principales causes

demande impulsée par les conflits armés. Plusieurs blocus

des conflits telles que la mauvaise gouvernance, la

sur les armes ont été décrétés par l’ONU dans des zones

marginalisation, l’oppression étatique, les mouvements

touchées par un conflit, comme la Somalie, la République

politiques défaillants, l’injustice et les inégalités.

centrafricaine (RCA), l’Érythrée, la Libye, le Darfour (au Soudan) et la République démocratique du Congo (RDC). Cependant, les États membres de l’UA ont fait preuve de faiblesse dans la mise en œuvre de ces embargos. En République centrafricaine, par exemple, le Groupe d’experts des Nations unies indique dans un récent rapport que « les hostilités actuelles sont alimentées par un flux régulier d’armes le long des itinéraires qui avaient été signalés dans des rapports antérieurs du Groupe d’experts, notamment à partir du Tchad, du Soudan et de la République démocratique du Congo ». L’UA et ses partenaires internationaux devraient trouver des moyens d’aider les États à mettre en œuvre les embargos sur les armes, étant donné que certains pays voisins n’ont pas nécessairement la capacité de les faire respecter, souvent en raison de leurs propres crises internes.

Les États membres de l’UA ont fait preuve de faiblesse dans la mise en oeuvre de ces embargos

La prolifération des armes à feu en Afrique n’est pas la cause première des conflits sur le continent Si la feuille de route de l’UA a bien identifié ces sujets de préoccupation, les efforts déployés jusqu’ici pour mettre en œuvre le document ont surtout porté sur certains aspects tels que les armes illicites, qui ne sont que des éléments catalyseurs des conflits violents. Bien que la prolifération des armes à feu en Afrique demeure un phénomène inquiétant, celle-ci n’est pas la cause première des conflits sur le continent. À l’avenir, l’UA devrait également faire preuve de fermeté dans sa lutte contre la mauvaise gouvernance, la corruption et les inégalités, dans le cadre de ses efforts visant à mettre en œuvre sa feuille de route pour faire taire les armes. D’une simple discussion sur la gestion des crises en cours, le débat pourra alors se transformer en une véritable initiative à portée préventive.

Il serait également souhaitable d’améliorer la collecte et l’analyse d’informations concernant les fabricants, les intermédiaires et les destinataires d’armes en Afrique. L’UA convoque parfois des réunions d’experts afin de dresser une cartographie des armes illégales, mais l’organisation doit aussi renforcer ses propres capacités à l’interne sur la collecte des données et l’échange d’informations. Au besoin, l’UA devrait également être en mesure de mettre sur pied des commissions d’enquête pour mener

Numéro 96 • OCTOBRE 2017

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Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité

Analyse de situation L’approche militaire du Nigéria contre les séparatistes avive les tensions L’armée nigériane a réagi avec brutalité à la rébellion qui couvait dans le Sud-Est du pays, menée par des groupes qui se posent en successeurs du mouvement sécessionniste biafrais de la fin des années 1960. Jusqu’à présent, les réactions internationales face à la violence qui sévit dans cette région ont été peu nombreuses. L’Union africaine, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest et les Nations unies devraient exhorter le gouvernement nigérian à rechercher une solution pacifique à ces tensions. Le mois dernier, l’armée nigériane a lancé l’opération « Python Dance », une démonstration de force qui vise à réprimer les troubles qui touchent le Sud-Est du pays. Cette opération militaire cible les partisans du Mouvement indépendantiste pour les peuples indigènes du Biafra (IPOB) et leur chef Nnamdi Kanu, qui est depuis 2015 au centre de cette campagne d’agitation.

Les avis divergent au Nigéria quant aux moyens à mettre en œuvre pour faire face au mouvement indépendantiste biafrais Plusieurs militants séparatistes biafrais ont été arrêtés et l’armée est accusée de brutalités, d’assassinats et d’actes de torture. Le groupe de défense des droits de l’homme, Amnesty International, reproche au gouvernement les exécutions extrajudiciaires et la répression sanglante perpétrées à l’encontre du mouvement sécessionniste biafrais. Déjà en 2016, le groupe avait dénoncé le meurtre de plus de 150 sympathisants de l’IPOB à l’occasion des commémorations de la déclaration d’indépendance du Biafra de 1967. De son côté, l’armée nigériane a qualifié l’IPOB d’organisation terroriste. Les avis divergent au Nigéria quant aux moyens à mettre en œuvre pour faire

150 Militants sécessionnistes biafrais tués en 2016

face au mouvement indépendantiste biafrais. Alors que certains insistent sur la nécessité de mettre fin à l’activisme séparatiste, de nombreux analystes s’accordent à dire que la réaction habituelle des autorités, à savoir le recours à la force militaire – comme dans le cas de Boko Haram – ,pourrait avoir pour conséquences d’accroître la popularité du mouvement séparatiste, de réduire les possibilités de dialogue et d’encourager l’activisme dans la région.

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Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité  •  WWW.ISSAFRICA.ORG/PSCREPORT

Un appel à la sécession qui ne date pas d’hier La dernière revendication pour l’indépendance du Biafra s’inspire de la première tentative dirigée par un ancien colonel de l’armée nigériane, Dim Chukwuemeka Odumegwu Ojukwu, pour faire du Biafra un État séparé. La déclaration de sécession d’Ojukwu, proclamée en 1967, avait alors plongé le Nigéria dans une guerre civile sanglante jusqu’en 1970. Depuis le retour du Biafra dans le giron du Nigéria en 1970, l’agitation n’a jamais totalement disparu dans la région. En 1999, lorsque le pays émerge d’une longue série de dictatures militaires pour devenir un État démocratique, Ralph Uwazuruike crée le Mouvement pour la réalisation de l’État souverain du Biafra (MASSOB). Le MASSOB échoue néanmoins à réaliser ce vieux rêve d’un Biafra indépendant.

Certains observateurs estiment que le récent appel en faveur de l’indépendance du Biafra viserait à saper le pouvoir du président Muhammadu Buhari Lorsque Kanu, un militant indépendantiste relativement méconnu, est emprisonné en 2015 pour trahison, le mouvement séparatiste biafrais redevient populaire. Kanu est détenu pendant plus d’un an à Abuja, dans la prison de Kuje, sans être jugé. Son procès a finalement lieu début 2017. Il est alors libéré sous caution le 28 avril 2017, mais enfreint les conditions de sa libération en intensifiant sa campagne.

La fragilité de l’État nigérian Certains observateurs estiment que le récent appel en faveur de l’indépendance du Biafra viserait à saper le pouvoir du gouvernement du président Muhammadu Buhari, un Nordiste. Les agitateurs biafrais se sont en effet tenus tranquilles sous la présidence de Goodluck Jonathan, un Sudiste. D’autres mettent l’émergence des doléances à travers le pays et l’affaiblissement du Nigéria en général sur le compte de la chute du prix du pétrole, de la dépréciation du naira, du fardeau de la dette nigériane et du coût élevé de la vie sous le régime de Buhari. De fait, le sécessionnisme gagne en popularité au Nigéria. Dans le SudOuest, le Yoruba Liberation Command réclame l’édification de la République d’Oduduwa et, dans le Sud, des militants appellent à la création d’une République du Delta du Niger. Même dans le Nord du pays, certains Hausas cherchent à s’affranchir de ce qu’ils considèrent comme une hégémonie peule. L’insurrection de Boko Haram, qui fait preuve d’une violence extrême dans sa lutte pour la mise en place d’un État islamique indépendant, figure également parmi les défis sécessionnistes avec lesquels le Nigéria

1967 Début de la guerre du Biafra

doit composer.

Numéro 96 • OCTOBRE 2017

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Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité Néanmoins, c’est au Biafra que le mouvement pour

ont fait irruption dans sa résidence et tué un grand

l’indépendance demeure le plus populaire.

nombre de ses partisans.

Les griefs des Igbos Cinquante ans après la déclaration d’indépendance

L’usage à des fins politiques du qualificatif « terroriste »

du Biafra, les griefs qui avaient alors nourri l’essor du

Les avis divergent également quant à l’étiquette «

sécessionnisme et conduit à la guerre civile demeurent

terroriste » accolée par le gouvernement aux groupes

sans réponse. L’IPOB se fait régulièrement l’écho de

indépendantistes biafrais. Lors d’un discours dans

perceptions selon lesquelles les Igbos feraient l’objet

lequel il a lancé un appel au calme et à la retenue, le

de discriminations de la part des autorités fédérales

président du Sénat nigérian, Bukola Saraki, a déclaré

en termes d’infrastructures et de nominations dans les

que l’interdiction de l’IPOB ou son inscription à la liste

institutions gouvernementales.

des organisations terroristes était inconstitutionnelle et

Cependant, les revendications du groupe au nom du

contraire à la loi.

Biafra ne font pas l’unanimité : les opinions radicales de

Considéré comme une organisation terroriste, l’IPOB

l’IPOB rebutent souvent les militants potentiels.

pourrait désormais se voir contraint à la clandestinité

Kanu est par exemple critiqué pour ses propos haineux et ses remarques offensantes à l’égard du gouvernement nigérian. Les déclarations de l’IPOB sur l’existence d’une garde nationale et de services secrets biafrais suscitent également des inquiétudes. Le groupe affirme toutefois

pour atteindre ses objectifs par des moyens violents.

Considéré comme une organisation terroriste, l’IPOB pourrait désormais se voir contraint à la clandestinité

qu’il ne s’agit que d’unités d’autodéfense non armées. L’IPOB menace également d’empêcher la tenue d’élections dans la région du Biafra, à commencer par celles qui sont prévues en novembre prochain dans l’État d’Anambra.

Que faire pour apaiser les tensions ? L’Union africaine, les Nations unies et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) devraient exhorter le gouvernement à rechercher une solution pacifique aux tensions qui minent le

La riposte militaire suscite des réactions mitigées

pays. Ce dernier doit éviter d’avoir automatiquement

La négligence dont fait preuve le Nigéria face aux

des contestations, car cela ne fait qu’accroître la

doléances des populations du Sud-Est et la riposte

notoriété des dissidents et renforcer le soutien dont ils

militaire au problème du Biafra s’inscrivent dans la

peuvent bénéficier.

continuité de l’utilisation de la force brutale qui fait

Il est nécessaire que les autorités recherchent

sa triste réputation et qui a pour effet d’exacerber

systématiquement le dialogue afin de convaincre les

les conflits. Ainsi, la rébellion de Boko Haram est-

Nigérians de l’importance de préserver l’unité du pays,

elle à mettre en partie sur le compte du meurtre de

plutôt que de les contraindre par la violence.

Mohammed Yusuf, le chef du groupe, perpétré en 2009 par le pouvoir.

recours à l’option militaire quand il est confronté à

De véritables efforts restent à déployer par le gouvernement pour garantir aux Nigérians l’équité,

Les récents assassinats de membres du Mouvement

la justice et l’amélioration de leurs conditions de vie

islamique du Nigéria, une organisation chiite basée

et remédier aux allégations de discrimination des

dans le Nord du pays, font également craindre

populations du Sud-Ouest.

l’apparition de troubles dans la région. Le chef du groupe, Ibrahim El-Zakzaky, est emprisonné depuis décembre 2015 après que les forces gouvernementales

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Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité  •  WWW.ISSAFRICA.ORG/PSCREPORT

À l’ordre du jour Les questions de financement demeurent un sujet de discorde avec le Conseil de sécurité des Nations unies Les 7 et 8 septembre derniers, le Conseil de sécurité des Nations unies et le Conseil de paix et de sécurité ont tenu leur 11e réunion consultative au siège de l’Union africaine à Addis Abeba. Bien qu’un consensus ait émergé sur plusieurs questions relatives à la paix et à la sécurité en Afrique, des désaccords persistent entre les deux organes au sujet du financement des opérations de paix de l’UA en Afrique. Comme en 2016, la réunion consultative du mois dernier entre le CPS et le Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) était structurée en deux étapes avec une séance formelle précédée d’une séance informelle, cette dernière devant permettre des débats francs sur des questions d’intérêt commun aux deux organisations. Trois points étaient inscrits à l’ordre du jour de la séance informelle : les partenariats UA-ONU, le financement des opérations de soutien à la paix de l’UA et la consolidation de la paix/la reconstruction et le développement postconflit. La séance formelle a, quant à elle, porté sur les conflits au Soudan du Sud, en Somalie et dans le bassin du lac Tchad.

La séance formelle a porté sur les conflits au Soudan du Sud, en Somalie et dans le bassin du lac Tchad À l’instar de la précédente édition qui a eu lieu à New York l’année dernière, cette réunion consultative a semblé confirmer l’émergence d’un modèle qui permettrait aux deux organes d’échanger sur un large éventail de questions — y compris celles de nature litigieuse.

Un consensus sur l’évaluation des situations de crise Concernant la crise dans le bassin du lac Tchad, les deux organes, mais plus particulièrement les membres du CSNU, ont insisté sur la nécessité d’inclure le principe du respect des droits de l’homme dans les politiques de lutte contre le terrorisme. Ils ont également mis l’accent sur la protection des civils comme étant de la responsabilité première des gouvernements, faisant écho à l’argument avancé dans la récente résolution du CSNU qui refuse d’autoriser la Force conjointe du G5 au titre du chapitre VII de la Charte de l’ONU. Le CPS et le CSNU ont suggéré l’organisation d’une visite

7–8 septembre 2017 Réunion consultative entre le CSNU et le CPS

conjointe des dirigeants de la Commission de l’UA, de la Banque mondiale

Numéro 96 • OCTOBRE 2017

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Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité et des Nations unies dans la région afin de stimuler

De leur côté, les membres du CSNU ont une opinion

la mobilisation des ressources. Ils ont également

différente sur la question du financement. Un membre

encouragé la Commission économique des États de

permanent du CSNU a ainsi exclu toute utilisation des

l’Afrique centrale, la Communauté économique des États

contributions obligatoires pour des opérations de soutien

de l’Afrique de l’Ouest et la Commission du bassin du lac

à la paix de l’UA, à moins que des progrès ne soient

Tchad à élaborer une stratégie commune pour la région.

accomplis, notamment en matière de responsabilité

Les discussions sur l’avenir de la Somalie ont à nouveau été marquées par les désaccords entre le CSNU et le CPS sur le financement de la Mission de l’UA en Somalie (AMISOM). Alors que la première ébauche du document du CPS sur les conclusions de la réunion consultative évoquait l’amélioration de la prévisibilité et de la durabilité du financement de l’AMISOM, la version finale ne contient qu’un appel général en faveur d’un financement accru des opérations de soutien à la paix menées par l’UA et autorisées par le CSNU. Dans l’attente du rapport du secrétaire général des Nations unies sur le financement de

financière et de protection des droits de l’homme. Il a également été souligné qu’aucun nouveau financement de l’AMISOM par le biais des contributions statutaires n’était à prévoir dans un avenir proche. D’autres membres du CSNU ont fait valoir que la question du financement ne relevait pas de la compétence du CPS et devait plutôt être traitée par l’Assemblée générale des Nations unies, qui a compétence sur les questions budgétaires. Un État membre a expressément souligné la nécessité d’explorer des pistes de solution d’ordre bilatéral.

l’AMISOM, qui doit être présenté en novembre 2017, les

Le débat autour du financement de l’AMISOM reflète les

acteurs concernés sont appelés à proposer de nouvelles

divergences de points de vue des États membres du CPS

solutions pour financer la mission, outre le recours aux

et de certains membres du CSNU quant à l’évaluation

contributions obligatoires des Nations unies.

des résultats obtenus par la mission. Les premiers considèrent en effet que celle-ci est une réussite, tandis

Le CPS a souligné les progrès réalisés par l’UA pour se conformer aux critères des Nations unies

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que les seconds estiment qu’en dépit de certains accomplissements la plus grande mission de paix de l’UA ne représente pas nécessairement un modèle de partenariat à suivre pour les deux organisations.

Des points de vue divergents sur le financement

Ce blocage sur la question du financement pourrait

Le financement demeure donc un point de discorde

pour la paix. En effet, celui-ci a été établi en partant du

majeur entre les deux organes. Au cours de la séance

postulat que si l’UA parvenait à fournir 25 % du budget

informelle, le CPS a présenté un front commun. Ses

des opérations de paix, l’ONU financerait le reste. En

membres ont ainsi fait part de leur frustration concernant

l’absence de toute décision formelle des États membres

l’absence de progrès au sujet d’une éventuelle utilisation

du CSNU à cet égard, il n’est pas exclu que certains

des contributions obligatoires des Nations unies pour

États membres de l’UA reviennent sur leur engagement à

avoir pour effet d’entraver l’opérationnalisation du Fonds

payer la solde des troupes déployées dans le cadre

contribuer au fonds.

d’opérations de soutien à la paix menées par l’UA et

Le Fonds pour la paix est basé sur le nouveau modèle

autorisées par le CSNU. Le CPS a souligné les progrès

d’autofinancement de l’UA, selon lequel un prélèvement

réalisés par l’UA pour se conformer aux critères des

de 0,2 % sur les importations admissibles doit être

Nations unies afin de pouvoir bénéficier de fonds

reversé à l’UA et au Fonds pour la paix. Un membre

provenant des contributions statutaires. Il a notamment

du CSNU a soulevé la question de la conformité de

mentionné la création du Fonds de l’UA pour la paix et

cette taxe à l’importation de 0,2 % avec les règlements

l’adoption par l’organisation continentale d’une politique

de l’Organisation mondiale du commerce. Si ce

de respect des droits de l’homme.

point a été minimisé par les architectes du modèle

Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité  •  WWW.ISSAFRICA.ORG/PSCREPORT

d’autofinancement, plusieurs partenaires commerciaux de l’Afrique y voient néanmoins un réel obstacle.

Une évolution positive du format des réunions consultatives Bien que les États membres du CPS aient exprimé leur frustration face à l’absence de progrès en matière de financement, force est d’admettre que les réunions consultatives conjointes sont devenues un espace de dialogue important entre les deux organes. Il convient de noter que le CPS et le CSNU ont des perceptions très différentes de l’importance de ces rencontres. Pour le CPS, elles sont cruciales et doivent à la fois être davantage formalisées et aboutir à plus d’actions communes, alors que pour le CSNU, elles ne constituent que des discussions informelles sans impact contraignant. Ainsi, les précédents communiqués conjoints parlaient de manière systématique des « membres du Conseil de sécurité des Nations unies » et non du « Conseil de sécurité des Nations unies ». Légalement, les membres du CSNU peuvent échanger avec les membres d’une organisation régionale sans que cela constitue un engagement contraignant pour le CSNU en tant qu’institution. Il existe également une certaine réticence à formaliser ces réunions à un point tel qu’elles placeraient les deux organes sur un pied d’égalité. La plupart des membres du CSNU estiment qu’il est important de préserver leur prééminence et soulignent leur primauté dans cette relation.

Il existe une certaine réticence à formaliser ces réunions à un point tel qu’elles placeraient les deux organes sur un pied d’égalité Cependant, il existe un consensus parmi les participants sur le fait que ces réunions consultatives conjointes représentent un mécanisme utile pour maintenir le dialogue et renforcer la coopération entre l’ONU et l’UA dans le domaine de la paix et de la sécurité. Ces rencontres étant organisée chaque année, des progrès ont été réalisés dans la recherche d’un format qui permette des discussions franches sur différents dossiers, qu’ils soient litigieux ou non, entre le CSNU et le CPS. Elles contribuent donc avant tout à dissiper les tensions et à lever les malentendus entre les deux organes.

Numéro 96 • OCTOBRE 2017

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Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité À propos de l’ISS

ISS Pretoria

L’Institut d’études de sécurité établit des partenariats pour consolider les savoirs et les compétences en vue d’un meilleur futur pour l’Afrique. Notre objectif est de renforcer la sécurité humaine en tant qu’outil pour parvenir à une paix et à une prospérité durables. Le travail de l’ISS couvre un large éventail de thématiques, dont la criminalité transnationale, les migrations, le maintien de la paix, la prévention de la criminalité et la justice pénale, la consolidation de la paix et l’analyse des conflits et de la gouvernance.

Block C, Brooklyn Court 361 Veale Street New Muckleneuk Pretoria, South Africa Tel: +27 12 346 9500

L’ISS fait usage de ses réseaux et de son influence pour proposer aux gouvernements et à la société civile des analyses pertinentes et fiables, ainsi que des formations pratiques et une assistance technique. Ces initiatives agissent de manière positive sur le renforcement des politiques et des pratiques, car grâce à elles, les dirigeants sont plus à même de prendre des décisions éclairées sur les questions de sécurité humaine en Afrique.

ISS Addis Abéba 5th Floor, Get House Building, Africa Avenue Addis Ababa, Ethiopia Tel: +251 11 515 6320

ISS Dakar 4ème étage, Immeuble Atryum Route de Ouakam Dakar, Sénégal Tel: +221 33 860 3304/42

Les personnes qui ont contribué à ce numéro

ISS Nairobi

Yann Bedzigui, chercheur, ISS Addis Abeba

The Pavilion, 5th Floor Mwanzi Rd, off Lower Kabete Rd Westlands, Nairobi Tel: +254 20 237 84 75/79

Liesl Louw-Vaudran, consultante principale de recherche, ISS Ndubuisi Christian Ani, chercheur, ISS Addis Abeba Damien Larramendy, traducteur Anne-Claire Gayet, réviseure

Contact Liesl Louw-Vaudran Consultante ISS Pretoria Courriel: [email protected]

Les bailleurs de fonds

Ce rapport est publié grâce au soutien du Hanns Seidel Stiftung et du gouvernement de la Nouvelle-Zélande. L’ ISS souhaite également remercier pour leur appui les membres suivants de son Forum des partenaires: les gouvernements de l’Australie, de l'Irlande, du Canada, du Danemark, des États-Unis, de la Finlande, du Japon, de la Norvège, des Pays-Bas et de la Suède. © 2017, Institut d’Études de Sécurité L’ISS dispose des droits d’auteur pour l’intégralité de ce volume et aucune partie ne peut être reproduite, en totalité ou en partie, sans l’autorisation explicite, par écrit, de l’Institut. Les opinions exprimées ne reflètent pas nécessairement celles de l’Institut, de ses fiduciaires, des membres du Conseil consultatif ou des donateurs.

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