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notamment pour permettre à la coalition d'utiliser son espace aérien, son territoire et ses eaux territoriales. Par ailleurs, le gouvernement fédéral somalien (GfS) ...
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Numéro 78  | Mars 2016

Dans ce numéro ■ À

l’ordre du jour

  Les réunions ouvertes du Conseil de paix et de sécurité (CPS) pour le mois de février ont porté sur les migrations, les ressources naturelles et le contrôle des armements. Ces réunions ouvertes sont-elles vraiment efficaces ? ■ Analyse

de situation

  La Somalie connaît des changements prometteurs et des milliers de visiteurs affluent dans le pays à bord de vols commerciaux. Pourtant, les attaques terroristes d’Al Shebab sont de plus en plus violentes. ■ Vues

d’Addis

  La volte-face des chefs d’État des pays membres du CPS concernant le déploiement d’une force militaire au Burundi a déclenché un nouveau débat sur le processus décisionnel au sein du CPS. Quels enseignements peut-on tirer de cette saga

Rapport

sur le Conseil de paix et de sécurité

burundaise ? ■ Entretien

avec le CPS

  Le Rapport sur le CPS s’entretient avec le médiateur et ancien représentant de l’ONU pour le Burundi, Ahmedou Ould-Abdallah, du rôle de l’UA dans la résolution de conflits.

“ Mogadiscio attire

un trafic maritime de plus en plus important 

Page 5

“ Il existe une

tendance à l’Addisisation au sein du CPS

Page 11

“ L’UA ne peut pas être le gendarme

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Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité

À l’ordre du jour Discussion sur les liens entre conflits et ressources naturelles En février 2016, le Conseil de paix et de sécurité (CPS) a tenu des réunions ouvertes sur les migrations, les ressources naturelles et le contrôle des armements. Ce type de réunions se trouve de temps à autre à l’ordre du jour du CPS. Cependant, quels sont les impacts de ces séances ouvertes sur les activités du Conseil ? Une réunion ouverte est un événement assez rare lors duquel des acteurs extérieurs peuvent interagir avec le CPS et contribuer à ses travaux dans des domaines habituellement réservés aux États membres. Les récentes réunions qui ont porté sur les migrations et les ressources naturelles illustrent l’interaction existant entre le CPS et les organisations de la société civile ainsi que leurs partenaires internationaux. Pourtant, force est de constater que ces séances ne laissent que peu de place à un véritable dialogue.

La gestion transparente des ressources naturelles, un outil essentiel pour la prévention des conflits

Président actuel du CPS S.E.M. Mass Axi Gye Ambassadeur de la Gambie en Éthiopie et auprès de l’UA

Les membres actuels du CPS sont : l’Afrique du Sud, l’Algérie, le Burundi, l’Éthiopie, la Guinée équatoriale, la Gambie, la Guinée, la Libye, le Mozambique, la Namibie, le Niger, le Nigeria, l’Ouganda, la Tanzanie et le Tchad

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Le 11 février 2016, le CPS a tenu une réunion sur le thème « Les ressources naturelles et les conflits en Afrique ». Désiré Assogbavi, chef du bureau de liaison d’Oxfam auprès de l’Union africaine (UA), a présenté un exposé soulignant le contraste entre la richesse d’un continent doté de ressources naturelles telles que des terres arables et des minéraux, et la pauvreté et les conflits qui le caractérisent. Si le lien entre les ressources naturelles et les conflits n’a pas encore été pleinement accepté, l’exposé en question a identifié de nombreux facteurs de conflits liés aux ressources naturelles. Ces facteurs incluent la compétition pour le contrôle des ressources naturelles, la corruption et la mauvaise gestion des revenus pétroliers et miniers et le manque réel ou perçu d’avantages pour les communautés impliquées. Assogbavi a lancé un appel pour la mise en place d’une réponse continentale sous la forme d’une charte minière africaine. Il a insisté sur le fait que ce document devrait avoir une portée contraignante et prévoir un cadre global pour la gestion des ressources naturelles de l’Afrique.

Assogbavi a lancé un appel pour la mise en place d’une réponse continentale sous la forme d’une charte minière africaine Dans sa déclaration de presse publiée après la réunion, le CPS a relevé que « la gestion équitable et démocratique des ressources naturelles est essentielle à la prévention des conflits et à la promotion du développement durable en Afrique ». Il a également demandé à la Commission de l’UA « d’intégrer la dimension de la paix et de la sécurité des ressources naturelles dans ses politiques et programmes existants pour la prévention des conflits, l’alerte rapide, ainsi que la gestion des

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conflits et le maintien de la paix ». En ce qui concerne la suggestion de mettre en place un cadre continental pour la gestion des ressources naturelles, le CPS n’a pas retenu l’idée d’un instrument contraignant. Il a plutôt insisté sur le rôle des États dans l’élaboration d’un « cadre juridique et réglementaire nécessaire, tel que demandé par la VRMA [Vision du régime minier africain], en vue de promouvoir des politiques des ressources naturelles qui contribuent à renforcer la cohésion nationale à travers l’exploitation et la répartition justes et inclusives des ressources naturelles ». Le Conseil a exhorté les partenaires internationaux et la Commission de l’UA à soutenir les États membres dans cette démarche.

Le CPS favorable à une approche globale pour réduire la migration forcée Lors de la réunion ouverte dédiée à la thématique « La migration, la paix et la sécurité en Afrique », laquelle s’est tenue le 16 février, Maureen Achieng, chef de mission de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), et Gary Quince, chef de la délégation de l’Union européenne (UE) auprès de l’UA, ont chacun présenté un exposé sur la crise actuelle des migrants. Achieng a demandé au CPS d’évaluer non seulement l’impact de la paix et de la sécurité sur les migrations, mais aussi l’impact des mouvements forcés de populations sur la paix et de la sécurité. Elle a identifié plusieurs défis, notamment l’élaboration d’une réponse efficace aux mouvements actuels de migration forcée, la conciliation entre une régulation efficace de la circulation des personnes et la libre circulation des personnes et des biens, la recherche de cohésion dans les politiques nationales et la coopération aux niveaux national, régional et mondial ainsi que la recherche de solutions pour lutter contre le manque d’opportunités dans les pays sources et la difficile intégration des migrants dans les pays d’accueil. Mme Achieng a proposé dans sa présentation une solution clé, soit « la mise en place de politiques cohérentes et interdépendantes qui tiennent pleinement compte des stratégies tant des pays d’accueil que des pays sources ».

La pauvreté, les conflits et le manque d’opportunités jouent un rôle important dans la décision des individus et des groupes de migrer Le CPS a souligné que « la pauvreté, les conflits et le manque d’opportunités jouent un rôle important dans la décision des individus et de groupes de migrer ». Il a également souligné le fait que les conflits sont l’une des principales causes de la migration forcée et irrégulière, qui est elle-même une source de revenus pour les passeurs, alors que les migrants sont des victimes potentielles des groupes terroristes. Le Conseil a reconnu que les tendances actuelles concernant la migration forcée pourraient contribuer à l’insécurité et à l’instabilité. Il a ainsi souligné que l’une des priorités de l’Agenda 2063 est la création de « sociétés pacifiques inclusives [qui représentent] le principal remède à l’immigration forcée et illégale ». Cette réunion a permis de présenter les différents points de vue sur cette questionclé du CPS et de certains partenaires de l’UA. Alors que la présentation de la délégation de l’UE a porté sur les réponses immédiates à apporter face aux flux migratoires actuels, elle a également reconnu que « [l]a crise des réfugiés ne se terminera pas tant que ses causes profondes – l’instabilité, la guerre et le terrorisme,

L’Afrique est dotée de ressources naturelles telles que des terres arables et des minéraux

y compris dans le voisinage immédiat de l’Europe – ne seront traitées de manière

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Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité durable grâce à des efforts internationaux coordonnés et

Cependant, contrairement à un communiqué de presse, ces

à une action en partenariat ». Certains États membres de

déclarations ne sont pas contraignantes pour le CPS, les

l’UA tels que l’Algérie et le Tchad ont critiqué à demi-mot la

États membres ou la Commission de l’UA. Cette différence

politique migratoire de l’UE qui, ont-ils estimé, repose trop sur

cruciale peut expliquer pourquoi l’impact des acteurs

des réponses sécuritaires. Tout en reconnaissant l’impact de

externes reste marginal.

la « migration forcée » sur la paix et la sécurité, de nombreux États membres ont plaidé en faveur de réponses à ses causes profondes telles que la pauvreté, le manque d’opportunités et les problèmes de gouvernance.

Une opération de relations publiques sans grands résultats politiques

L’opinion des acteurs extérieurs n’est entendue que sur des questions thématiques Si les réunions ouvertes constituent une opportunité d’interaction entre certains acteurs extérieurs pertinents et les États membres, ces derniers restent les principaux décideurs.

Compte tenu de ce qui précède, il est clair que le format

Le fait que les séances ouvertes abordent des questions

actuel des réunions ouvertes du CPS ne permet ni de

thématiques pouvant sembler moins pertinentes que les

véritables échanges ni de débats entre les participants. Ces

questions discutées quotidiennement par le CPS constitue

séances commencent généralement par une introduction du

une autre limite à leur impact. Rares en effet sont les réunions

président en exercice du CPS et par une brève déclaration

ouvertes traitant des dynamiques des crises en cours, comme

du commissaire à la paix et à la sécurité ou du directeur

la Somalie ou le Burundi actuellement.

du département Paix et sécurité (DPS). S’ensuit l’allocution principale donnée par un acteur externe. Du temps est alors alloué aux membres du CPS et aux autres États membres de l’UA pour réagir sur le sujet traité et ce n’est qu’ensuite que les partenaires internationaux ont l’occasion de partager leur opinion. Après ces interventions, les États membres du CPS se réunissent à huis clos pour discuter du contenu d’une déclaration de presse. Cette configuration

Dans cette perspective, une partie du défi pour le CPS réside dans sa capacité à rendre ses débats plus accessibles au public. Bien que le cœur du problème réside dans le fait que la plupart des États africains sont centrés sur eux-mêmes et sont souvent peu disposés à entendre les perspectives d’acteurs extérieurs, une plus grande ouverture des réunions du CPS pourrait constituer une première étape.

fait en sorte qu’il n’y a que peu d’échanges et de débats

Selon un participant régulier à ces réunions ouvertes, « une

réels entre le CPS et les autres acteurs. La plupart des

plus grande collaboration entre le CPS et les participants [aux

participants préfèrent présenter la position de leur institution

sessions ouvertes] aiderait le public en Afrique et au-delà à

respective sur le thème traité plutôt que réagir aux propos de

mieux comprendre la valeur de cette institution. Une meilleure

l’orateur principal.

compréhension du CPS et de ses faiblesses renforcerait le soutien, tant dans les pays en question qu’en dehors, dont

Cette configuration fait en sorte qu’il n’y a que peu d’échanges et de débats réels entre le CPS et les autres acteurs En conséquence, les réunions ouvertes pourraient être

efforts plus larges en faveur de la sécurité collective ». Dans cette perspective, certaines options pourraient être envisagées pour améliorer l’impact des réunions ouvertes : • Rendre l’allocution principale disponible avant la session

vues comme des opérations de relations publiques lors

afin d’allouer plus de temps aux échanges entre les

desquelles le CPS reconnaît la contribution des acteurs

participants;

extérieurs, alors que les ambassades peuvent démontrer leur implication au sein de l’UA à leur capitale respective et que les organisations de la société civile ont la possibilité d’influencer le CPS. L’impact politique de ces réunions est difficile à évaluer. Contrairement aux réunions « normales » du CPS, les réunions ouvertes donnent lieu à une déclaration de presse

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bénéficient les opérations africaines de soutien à la paix et les

• Convoquer des réunions ouvertes mensuelles sur les crises et les conflits en cours lors desquelles le CPS effectuerait une présentation des situations et de ses réponses; • Permettre aux participants d’interroger les responsables de l’UA sur les thématiques discutées; • Inclure une disposition contraignante dans les déclarations

reflétant les délibérations, et non à un communiqué de

de presse requérant la Commission de l’UA d’effectuer

presse. Cette manière de rapporter les débats peut fournir

un suivi auprès du CPS et de ses partenaires sur une

des lignes directrices quant aux actions futures de l’UA.

base semestrielle.

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Analyse de situation Combler les lacunes réglementaires en Somalie dans la lutte contre Al-Shebab Après 25 ans de conflits claniques, la Somalie entrevoit enfin des changements positifs. Le pays était devenu un État failli après la chute, en 1991, du régime dictatorial de l’ancien président Siad Barré. Dans les années qui ont suivi ce renversement, la dynamique du conflit avait changé de manière importante. Les insurrections motivées par des griefs avaient alors cédé le pas à une économie de guerre et à une généralisation des pillages. La violence s’était ensuite intensifiée avec l’émergence de groupes extrémistes tels que l’Union des tribunaux islamiques, groupe dont est issue Al-Shebab. L’Institut d’études de sécurité (ISS) a effectué des visites de terrain dans la capitale somalienne Mogadiscio début 2014 et fin 2015. Lors de sa seconde visite, l’ISS a observé des différences notables laissant entrevoir un développement social et économique dans le pays. De nouveaux magasins avaient ouvert et des bâtiments avaient été construits et rénovés. Les gens se déplaçaient librement, les voitures étaient à nouveau présentes en grand nombre dans les rues et sur la plage se prélassaient de nombreuses personnes. On pouvait voir des hommes en uniforme patrouillant les rues, mitrailleuses au poing et avec des véhicules blindés.

Des sources locales ont affirmé à l’ISS que la vie nocturne et le climat social général se sont grandement améliorés Des sources locales ont affirmé à l’ISS que la vie nocturne et le climat social général se sont grandement améliorés. Une certaine effervescence régnait à l’aéroport international Aden Adde de Mogadiscio avec le départ et l’arrivée de plusieurs vols commerciaux intérieurs et internationaux. Selon une source, environ 1 500 voyageurs par jour transitent en moyenne par l’aéroport, la plupart appartenant à la diaspora somalienne. La chaîne Télévision centrale de Chine (CCTV) a rapporté que le port de Mogadiscio « attire un trafic maritime de plus en plus important  ainsi qu’un nombre croissant d’investisseurs étrangers », tandis que la chaîne kenyane de nouvelles KTN a récemment décrit Mogadiscio comme étant « la toute nouvelle destination d’affaires en Afrique de l’Est ». Ces changements sont visibles non seulement à Mogadiscio, mais aussi dans d’autres zones du pays, y compris à Kismayo, à Beletweyne et à Baidoa. La situation sécuritaire s’est également améliorée dans le pays. L’envoyé des

1500

Le nombre de voyageurs entrant en Somalie chaque jour

Nations Unies, Nicholas Kay, a affirmé tout récemment que la Somalie était en

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Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité convalescence : « La Somalie est enfin confrontée aux problèmes d’un pays en devenir plutôt qu’aux problèmes d’un pays en déliquescence », s’est-il réjoui. Le Premier ministre somalien, Omar Abdirashid Ali Sharmarke, a déclaré à la chaîne CCTV Afrique qu’« après s’être sentis pendant 25 ans dans l’impossibilité de revenir [en Somalie], les améliorations qu’a connues le pays ont redonné de l’espoir [aux membres de la diaspora] et ils veulent revenir pour aider à refaire de la Somalie une nation prospère ».

Les améliorations qu’a connues le pays ont redonné de l’espoir aux membres de la diaspora Cependant, les facteurs à l’origine de ces améliorations restent flous. Certains analystes évoquent l’évolution du conflit entre sunnites et chiites dans le Golfe persique, arguant que, selon divers rapports, la Somalie recevrait une aide financière pour se joindre à la coalition militaire menée par l’Arabie Saoudite contre le groupe chiite Houthi au Yémen. La Somalie serait l’un des trois États d’Afrique de l’Est (avec le Soudan et l’Érythrée) à s’être joints à cette coalition pour combattre au Yémen. Le Soudan et l’Érythrée auraient reçu plusieurs milliards de dollars pour faire partie de la coalition antiHouthi et la Somalie pourrait avoir bénéficié d’une aide financière similaire notamment pour permettre à la coalition d’utiliser son espace aérien, son territoire et ses eaux territoriales. Par ailleurs, le gouvernement fédéral somalien (GFS) a récemment décidé de rompre ses liens diplomatiques avec l’Iran, qui soutiendrait les Houthi. D’autres analystes font un lien entre les améliorations observées dans le pays, le système fédéral de gouvernement et les élections devant avoir lieu en 2016. Historiquement un État fédéral, la Somalie a renoué avec le fédéralisme en approuvant la Constitution provisoire de 2012. Conformément au document Vision 2016, l’objectif est de fédéraliser entièrement le pays d’ici la fin du mandat du gouvernement actuel.

1,3

milliard USD Montant des transferts d’argent envoyés chaque année en Somalie par la diaspora

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Peu importe que l’amélioration de la situation soit causée par les facteurs susmentionnés ou par d’autres éléments : les effets semblent encourageants. Cependant, une certaine incertitude entoure la régulation de ces améliorations. La Somalie ne dispose pas encore d’institutions publiques efficaces pour orienter et réglementer les activités dans le pays. Dans un récent ouvrage intitulé The Real Politics of the Horn of Africa, l’auteur Alex de Waal indique qu’« à aucun moment de son histoire, depuis 1991, la vie politique somalienne n’a été gouvernée par des institutions formelles; elle a toutefois été réglementée par des éléments de consensus social ». Selon de Waal, l’économie en Somalie est en grande partie basée sur les salaires perçus à l’étranger (les transferts d’argent), le commerce et les services (en particulier le secteur des télécommunications), trois éléments qui ne sont pas réglementés par le GFS. Un rapport datant de 2013 analyse les effets de l’absence d’une banque centrale efficace au pays depuis la chute du régime de Barré. Cette institution a depuis été rétablie, mais elle ne fonctionne toujours pas de manière efficace. Les institutions financières privées, lesquelles ne sont pas contrôlées par le GFS, sont donc les principaux acteurs de l’économie. Beaucoup de ces institutions financières opèrent selon un schéma calqué sur le système clanique qui prévaut en Somalie.

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Ce rapport de 2013, rédigé par Victor Owuor, a identifié les moyens utilisés par les investisseurs pour importer des ressources – y compris l’argent – en Somalie. La principale méthode utilisée est celle d’un système de transfert informel de fonds appelé « hawala », qui fonctionne grâce à des institutions ou à des banques spécialisées dans les transferts de fonds telles que Dababshiil, Amal Express, Mustaqbal et Kaah Express. Une fiche d’information officielle portant sur les transferts de fonds envoyés en Somalie depuis le Royaume-Uni et publiée en mars 2015 estimait qu’au minimum 1,3 milliard USD est transféré chaque année par les membres de la diaspora somalienne. Cette somme représente environ la moitié du revenu national brut de la Somalie et 80% des investissements au pays. Ces transferts ne sont pas répertoriés et les transactions sont basées sur la confiance. Un client dépose de l’argent dans une institution financière à l’étranger et son destinataire reçoit l’argent d’un marchand en réseau en Somalie. Selon Owuor, le système de hawala est « rentable, efficace, sans bureaucratie et fiable et pourtant il ne laisse aucune trace papier ». La Somalie ne dispose pas actuellement d’institutions ou de systèmes pour permettre des protocoles financiers classiques, dans lesquels l’argent est accessible via des banques ou des institutions financières établies, lesquelles sont à leur tour contrôlées par une banque centrale par le biais de mécanismes établis. L’argent circule principalement grâce aux systèmes de téléphonie mobile. Une estimation fiable indique qu’au moins 70% des Somaliens ont accès à des services de téléphonie mobile pouvant être utilisés pour les transferts d’argent. La téléphonie mobile offre non seulement un moyen bon marché de communication, mais elle sert aussi de bouée de sauvetage financière aux habitants. Selon le rapport rédigé par Owuor, les individus peuvent transférer jusqu’à 1220 USD par transaction à un autre utilisateur mobile, et ce même si le destinataire n’utilise pas le même opérateur de téléphonie mobile.

L’économie en Somalie est en grande partie basée sur les salaires perçus à l’étranger, le commerce et les services Considérant le manque de régulation des transactions et des flux financiers en Somalie, il est facile de voir comment les extrémistes et d’autres criminels peuvent exploiter ces lacunes. Les finances des groupes tels qu’Al-Shebab reposent sur l’utilisation de systèmes de transfert d’argent non réglementés pour recevoir et transférer leurs fonds. Certains affirment qu’Al-Shebab bénéficie d’un soutien important parmi les membres de la diaspora et plusieurs s’entendent pour dire que la structure bureaucratique d’Al-Shebab est encore plus profondément ancrée dans le système clanique que l’appareil d’État somalien. En un sens, les améliorations sociales et économiques que connaît la Somalie pourraient avoir pour effet de renforcer les capacités financières et la base sociale d’Al-Shebab. Afin de lutter contre cela, le GFS doit adopter de manière prioritaire des mesures pour réglementer les changements observés. La Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM), dont le mandat est de prendre toutes les mesures nécessaires pour réduire la menace posée par Al-Shebab et d’aider le GFS à établir des structures efficaces et légitimes de gouvernance, pourrait également être mise à

70%

Le pourcentage de Somaliens ayant un téléphone portable

contribution à cette fin.

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Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité

Vues d’Addis Rétrospective : les enseignements politiques des efforts du CPS au Burundi Lors du sommet du CPS, qui s’est tenu le 29 janvier 2016 à Addis-Abeba, les 15 chefs d’État et de gouvernement des pays membres du CPS ont suspendu la décision prise par ce même organe un mois plus tôt de déployer une force militaire au Burundi pour mettre fin à la détérioration de la situation sécuritaire dans le pays. Cette décision a soulevé de nombreuses questions. Certains enseignements sont également à tirer concernant le processus décisionnel au sein du CPS. De toute évidence, les chefs d’État de l’UA ne sont pas prêts à intervenir dans un État membre sans le consentement de celui-ci. Que s’est-il passé entre la décision de décembre 2015 prise par les ambassadeurs de l’UA d’envoyer une force militaire au Burundi et la suspension un mois plus tard de ce déploiement par les chefs d’État du CPS ? La décision initiale n’avait-elle pas été mûrement réfléchie ? Les ambassadeurs du CPS savaient-ils si les chefs d’État de l’UA étaient prêts à aller de l’avant avec cette décision, même sans le consentement de Bujumbura ? Et que doit-on désormais penser de l’utilisation de mesures drastiques, telles que l’article 4 (h) de l’Acte constitutif de l’UA, pour intervenir dans un État membre ?

La délégation de haut niveau s’est rendue au Burundi le 26 février et aucune mention n’a été faite de la MAPROBU Bien que le CPS ait appelé le 17 décembre 2015 au déploiement de la Mission africaine de prévention et de protection au Burundi (MAPROBU), et ce sans le consentement du gouvernement hôte, les chefs d’État ont fait machine arrière face à cette décision audacieuse. Le communiqué publié par le CPS, après deux semaines de négociations à l’UA, inclut les décisions suivantes : • « [N]e pas déployer la MAPROBU, considérant que l’envoi d’une telle force au Burundi est prématuré et qu’il convient de privilégier le dialogue politique inclusif sous les auspices du président de la République de l’Ouganda ».

MAPROBU La Mission africaine de prévention et de protection au Burundi

• «[D]épêcher une délégation de très haut niveau de l’UA au Burundi, pour rencontrer les plus hautes autorités de la République du Burundi ». Le sort de la MAPROBU reste incertain. Le communiqué de presse annonçant la composition de la délégation de haut niveau (les présidents de la Mauritanie, du Sénégal, du Gabon et de l’Afrique du Sud, et le Premier ministre de l’Éthiopie) indique que le mandat de cette dernière est « de consulter le gouvernement, ainsi que d’autres acteurs burundais, sur le dialogue inclusif et le déploiement de la

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Mission africaine de prévention et de protection au Burundi (MAPROBU), si elle est acceptée par le gouvernement du Burundi ». La délégation de haut niveau s’est rendue au Burundi le 26 février et aucune mention n’a été faite de la MAPROBU. Une mission de terrain des membres du CPS, prévue du 20 au 22 février, a été annulée.

Un retrait tactique Outre l’envoi d’une délégation de haut niveau, la seule autre tâche de l’UA est d’aider la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) concernant le dialogue interburundais et de rallier le soutien de la communauté internationale en faveur de cette initiative. Cette nouvelle position est en rupture avec celle adoptée ces derniers mois lorsque l’UA avait assumé le leadership en faveur d’une action internationale plus ferme au Burundi, avec entre autres le déploiement d’un envoyé spécial du président de la Commission de l’UA et l’envoi d’une équipe d’observateurs des droits de l’homme et d’experts militaires.

Cette nouvelle position est en rupture avec celle adoptée ces derniers mois lorsque l’UA avait assumé le leadership Malgré la confusion entourant les actions de l’UA dans le dossier burundais, plusieurs enseignements peuvent être tirés de cet épisode. Cette crise a mis à l’épreuve divers principes et instruments de l’architecture africaine de paix et de sécurité (AAPS). Le dernier sommet du CPS a mis en évidence quatre défis : la mise en œuvre de l’article 4 (h); le principe de subsidiarité; le processus décisionnel au sein du CPS; et la lutte entre les intérêts continentaux et les préférences nationales.

Article 4(h) : le glas de l’effet dissuasif Depuis la création de l’UA, l’article 4(h) a été considéré comme l’illustration de la rupture entre la nouvelle organisation continentale et l’Organisation de l’unité africaine et sa tradition de non-intervention, y compris dans des situations telles que celle du Rwanda en 1994. L’invocation indirecte de l’article 4(h) a contribué à la nature spécifique de la décision de décembre du CPS. En mettant le CPS au pied du mur et en ralliant assez de chefs d’État hésitants, le gouvernement burundais a mis à nu les défis de la mise en œuvre de cet article. Tel que l’a déclaré l’Institut d’études de sécurité, le déploiement d’une force de maintien de la paix sans le consentement du gouvernement hôte soulevait plus de questions qu’il n’apportait de réponses. Pour de nombreux chefs d’État, ce projet de déploiement constituait une ligne rouge parce qu’il était assimilé à un changement de régime. En outre, la situation au Burundi n’était pas considérée comme étant aussi grave qu’en Somalie, en Libye ou au Soudan du Sud. À cet égard, il est possible d’avancer l’idée que la décision adoptée le 17 décembre par le CPS comportait une contradiction. Même si le document faisait référence à l’article 4(h) pour imposer le déploiement de la MAPROBU, la force militaire en question avait un mandat préventif correspondant au scénario 4 de la Force africaine en attente plutôt qu’au scénario 6, lequel est conçu pour mettre fin à un génocide et à des crimes contre l’humanité. Outre ces éléments circonstanciels, de nombreuses questions ont été soulevées au cours du sommet du CPS sur les conséquences d’un déploiement sans le consentement du gouvernement hôte. Comment est-il possible d’intervenir dans un pays où le gouvernement en place a encore une large base politique ? Ses partisans

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Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité doivent-ils être considérés comme des ennemis de la paix et de la sécurité ? Comment peut-on assurer la sécurité de l’opposition pendant le déploiement ? La suspension de la MAPROBU est l’occasion parfaite pour réfléchir aux modalités d’application de l’article 4(h). Il semble que la plupart des chefs d’État considèrent cet article comme un élément dissuasif et un outil de dernier recours. En l’absence de consensus quant à la gravité de la situation au Burundi, l’invocation de l’article 4(h) n’a donc pas été considérée comme crédible.

Les limites de la subsidiarité Au fil des ans, certains mécanismes régionaux (MR) ont joué un rôle de premier plan dans la gestion des crises secouant le continent. Le problème avec cette approche réside dans la proximité des mécanismes régionaux avec les théâtres de conflits : cette proximité renforce la légitimité des interventions des mécanismes régionaux, mais elle rend aussi ceux-ci plus méfiants face aux dynamiques des conflits. Par conséquent, l’UA se voit forcée de soutenir des efforts régionaux visant à résoudre différentes crises. Au Burundi, la subsidiarité n’a donné que de maigres résultats. Les dirigeants de la CAE n’ont pas été en mesure de suspendre le processus électoral qui a mené aux élections présidentielles si controversées l’année dernière.

La médiation menée par le président ougandais n’a pas abouti à un dialogue inclusif Par ailleurs, la médiation menée par le président ougandais n’a pas abouti à un dialogue inclusif entre les parties. Lors d’une retraite à Abuja l’année dernière, le CPS et les communautés économiques régionales (CER) ont décidé que « [d]ans les cas où les CER/ MR concernés n’ont pas une approche commune quant à la manière de régler la situation en question, la responsabilité de rétablir la paix revient au CPS ». Cette approche ne tient pas compte de la possibilité qu’un organisme régional échoue dans ses efforts. Dans un tel contexte, l’UA n’a pas la possibilité de reprendre en charge le processus de médiation sans renier le principe de subsidiarité. De plus, le facteur de proximité – qui soi-disant constitue un atout – peut devenir un désavantage. Par exemple, le déploiement hypothétique d’un contingent rwandais dans le cadre de la MAPROBU aurait été très controversé en raison des tensions entre Bujumbura et Kigali.

Le processus décisionnel au sein du CPS : consensus ou unanimité Traditionnellement, le fonctionnement du CPS repose sur une prise de décision

17 décembre

2015

Le CPS décide de déployer une force militaire au Burundi

consensuelle. Le principe sur lequel est basée cette méthode est celui de la préséance de l’intérêt continental par rapport aux calculs plus étroits de politique étrangère des pays membres. Ainsi, toute hésitation de la part d’un État membre entrave la prise de décision au sein du CPS. Les réserves émises publiquement par la Tanzanie au sujet de la décision adoptée en décembre ont ainsi préparé le terrain pour la suspension de la MAPROBU un mois plus tard. D’une certaine manière, la pratique du consensus au sein du CPS tend plus vers celle de l’unanimité. Dans cette perspective, une voix discordante est plus susceptible d’être entendue qu’un acquiescement. Au cours des derniers mois, ceux opposés ou réticents au déploiement de la MAPROBU se sont fait plus entendre que ceux en faveur. D’où la question de savoir si le CPS devrait voter plus régulièrement. En effet, l’état actuel des choses au CPS – qui est caractérisé par une dépendance excessive

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Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité  •  WWW.ISSAFRICA.ORG/PSCREPORT

au consensus – dilue la responsabilité des pays pour des

les capitales et leurs représentants diplomatiques auprès de

décisions souvent motivées par des préoccupations qui sont,

l’UA. Bien que la décision adoptée le 17 décembre reflétait un

elles, bel et bien d’ordre national. Passer au vote de manière

consensus entre les États membres à Addis-Abeba, elle ne

plus fréquente accroîtrait la responsabilité des États membres

faisait pas consensus dans de nombreuses capitales. À Addis-

par rapport à leurs décisions prises au niveau continental.

Abeba, la création d’une mission de prévention représentait

Un tel changement permettrait également de réduire le

une étape logique après avoir dépêché un envoyé spécial et

phénomène de volte-face des États membres.

déployé une équipe d’experts militaires et d’observateurs des

Une tentative de faire prévaloir les intérêts du continent plutôt que les préférences nationales La suspension de la MAPROBU par les chefs d’État pourrait s’expliquer par une tendance à l’« Addisisation ». Ce que nous appelons l’« Addisisation » est le phénomène qui fait en sorte que les décisions prises au niveau de l’UA à Addis-Abeba tendent de plus en plus à défendre les intérêts continentaux – définis par les valeurs incluses dans l’Acte constitutif de l’Union africaine et la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance – plutôt que les préférences nationales.

droits de l’homme alors même que la situation au Burundi se détériorait début décembre. D’une certaine façon, la décision a été prise pour des raisons techniques et les aspects politiques ont été sous-estimés. À cet égard, suite à l’adoption de la décision du CPS, le commissaire Smaïl Chergui soulignait que l’objectif de la force était de protéger la population burundaise, minimisant ainsi les implications politiques. Cependant, ces considérations ont prévalu dans la manière dont de nombreuses capitales ont perçu un déploiement hypothétique au Burundi sans le consentement du gouvernement. Il est important de se rappeler que ces facteurs (l’existence

La suspension de la MAPROBU par les chefs d’État pourrait s’expliquer par une tendance à l’ « Addisisation »

d’une communauté normative et le fait que chaque crise soit vue comme une opportunité) jouent aussi un rôle dans l’opérationnalisation de la politique de sécurité et de défense de l’Union européenne (UE) et qu’ils ont donné lieu à des interventions militaires en République démocratique du Congo

Le processus de prise de décision au sein du CPS contribue à cette tendance. Le département Paix et Sécurité a la prééminence dans l’élaboration de solutions aux crises, alors que les représentants nationaux ne disposent pas des ressources institutionnelles et humaines pour remplir ce rôle. Même si les décisions rédigées sont modifiées par les États membres, la Commission de l’UA encadre les débats et choisit les options politiques en conformité avec les intérêts continentaux susmentionnés. Les liens sociaux qui existent entre les responsables de l’UA et les membres des délégations contribuent à créer une communauté très unie partageant le même ensemble de croyances et de valeurs et la même conception des instruments nécessaires pour faire face aux crises qui secouent le continent.

et au Tchad. Cela ne pouvait toutefois pas se produire à l’UA pour deux raisons. La première réside dans l’exigence de l’unanimité dans les décisions prises par le CPS. Dans le cas de l’UE, la réticence de l’Allemagne n’a pas empêché le déploiement d’une force au Tchad et en République centrafricaine en 2008, puisque de nombreux pays y étaient en faveur. À l’UA, l’hésitation de certains chefs d’État a conduit à la suspension de la MAPROBU.

La régionalisation de la Force africaine en attente constitue une autre contrainte

En outre, étant donné que cette soi-disant communauté se

La deuxième raison porte sur la régionalisation de la

considère investie d’une mission, chaque crise est vue comme

Force africaine en attente, qui constitue une contrainte

une occasion de renforcer l’AAPS. Cette tendance est encore

supplémentaire dans une situation où il n’y a pas de

plus visible depuis que les organisations régionales contestent

consensus entre les États membres. Les désaccords entre

toute prééminence de l’UA dans la résolution des crises sur

les États de la CAE rendent le déploiement d’une force peu

le continent.

probable sans le consentement du Burundi. Si la Capacité

Le fossé entre les capitales et les diplomates à Addis

africaine de réponse immédiate aux crises avait été le concept dominant de l’AAPS, une telle option aurait été plausible, car elle repose sur des contributions volontaires

La tendance à l’« Addisisation » peut expliquer le fossé observé

et sur le principe d’une nation-chef de file dotée d’une forte

au cours des deux derniers mois au sujet du Burundi entre

volonté d’intervenir.

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Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité

Entretien avec le CPS « Nous demandons trop à l’UA » Le médiateur mauritanien chevronné Ahmedou Ould-Abdallah a été le représentant spécial de l’Organisation des Nations unies (ONU) au Burundi (au début des années 1990), au Soudan et en Somalie. Il a également dirigé le Bureau des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest. Le Rapport sur le CPS lui a demandé dans quelle mesure l’Union africaine (UA) parvenait selon lui à lutter contre les conflits en Afrique.

Il y a un certain nombre de conflits sur le continent dans lesquels l’UA tente d’intervenir. Est-ce que l’UA a les capacités pour résoudre ces conflits ? Le principal problème est le suivant : bien que l’UA ait de très bonnes intentions pour résoudre les conflits, elle n’a pas les capacités pour le faire. C’est ce à quoi nous faisons face au Burundi, par exemple. À mon avis, nous parlons beaucoup de prévention [des conflits], mais cela est plus facile à dire qu’à faire. Pour prévenir un conflit, vous devez avoir une forte autorité morale et les capacités matérielles et financières. L’exemple du Burundi est flagrant, car il s’agit d’un problème ancien. J’étais représentant au Burundi lors des accords de 1994, qui ont abouti à l’Accord d’Arusha de 2005. Mais pour que les pays mettent en œuvre ces accords, il faut un gendarme. Sinon cela ne fonctionne pas.

Nous parlons beaucoup de prévention [des conflits], mais cela est plus facile à dire qu’à faire L’UA peut-elle jouer ce rôle de gendarme ? L’UA ne peut pas résoudre ce problème [au Burundi], de la même manière que l’Union des nations sud-américaines n’est pas en mesure de résoudre les problèmes en Amérique latine, comme en Colombie, par exemple. La Ligue arabe ne peut pas non plus résoudre les problèmes entre les pays arabes. Nous demandons à l’UA de faire des choses qui ne correspondent pas à la réalité mondiale. Nous avons donné à l’UA un mandat et des responsabilités qui n’existent pas dans les relations internationales. Ce que je dis est très sérieux. L’UA ne peut résoudre ces problèmes, en partie parce qu’elle n’en a pas les capacités matérielles et financières – l’organisation a certes la capacité morale, ce qui est bon –, mais il est nécessaire de trouver un moyen de renforcer ces capacités. Toutefois, l’UA ne peut pas jouer le rôle de gendarme, car elle n’a pas les moyens de le faire.

Chaque fois qu’un conflit émerge, nous voyons une multitude d’envoyés spéciaux de l’ONU, l’Union africaine, des organisations régionales. Il y a aussi le Groupe des Sages de l’UA. Quelle est l’efficacité de ces émissaires?

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Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité  •  WWW.ISSAFRICA.ORG/PSCREPORT

La médiation est devenue un problème, mais ce n’est pas la faute de l’UA. Il y a une multitude d’acteurs externes dans tous les conflits – certains sont indépendants et d’autres représentent des gouvernements et des organisations. Cette prolifération des acteurs est devenue si grave que nous avons besoin d’un médiateur pour servir d’intermédiaire entre les médiateurs. Mais il y a aussi un avantage à cela, car chacun de ces acteurs apporte sa propre sensibilité, sa propre approche. Cela reste toutefois un problème qui doit être réglé.

Nous avons désormais besoin d’un médiateur pour servir d’intermédiaire entre les médiateurs En ce qui concerne l’intervention dans les conflits, il semble que ce soit les organisations régionales qui ont le dernier mot, comme nous le voyons au Burundi. Cette manière de faire est-elle efficace? La question des relations entre l’UA et les organisations régionales est très complexe. Prenons le cas du Burkina Faso. Il était très difficile pour la CÉDÉAO [Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest], une organisation très respectée, d’intervenir. En fin de compte, la population et l’armée ont fait front commun pour résoudre le problème. La Communauté d’Afrique de l’Est, dont le Burundi est membre, a une vaste expertise, mais nous revenons toujours au même problème, à savoir les intérêts nationaux des États : la Tanzanie, le Rwanda, l’Ouganda et d’autres.

Y a-t-il actuellement un pays africain qui possède une autorité morale et des moyens suffisants pour intervenir avec succès dans les conflits ? Les pays voisins peuvent jouer un rôle important, mais le problème est qu’au sein de nombreux pays africains, l’intégration est loin d’être satisfaisante. Il est donc difficile de donner des leçons de morale et d’éthique alors que vous avez des problèmes dans votre propre pays. Vous devez donner l’exemple. Il doit y avoir un modèle reconnu par tous. Entre le désir [de faire la paix] et la capacité à y parvenir, il y a un écart énorme. La question des sanctions vient à l’esprit. L’UA fait un bon travail et elle cherche des moyens de convaincre les pays à faire les bonnes choses, sans avoir recours à des sanctions.

L’un des effets pervers de ces sanctions est que lorsqu’un dirigeant arrive au pouvoir à travers des élections truquées, vous lui dites : vous êtes en sécurité, quoiqu’il arrive, il n’y aura pas de coup d’État parce que dans ce cas nous imposerons des sanctions. Il s’agit d’un bon principe, mais les sanctions doivent être imposées en cas de coup d’État contre un gouvernement qui a été élu de manière libre et honnête. Mais quand vous volez une élection et que les gens disent que vous pouvez continuer à gouverner, ce n’est pas bien. La position de l’UA est bonne, mais elle doit être nuancée.

Plusieurs affirment que la nature des conflits en Afrique a changé et qu’une nouvelle approche est nécessaire. Qu’en pensez-vous ? Chaque région, chaque pays fait face à des problèmes qui lui sont propres mais il ne faut pas pousser cette logique trop loin et faire de l’Afrique un cas à part. Les Africains, tout comme les habitants des autres continents, se défendent lorsque leurs intérêts vitaux, matériels, spirituels, moraux ou politiques sont menacés. Ensuite, certains politiciens irresponsables et populistes exploitent ces mêmes considérations politiques et ethniques. Et certains présidents n’ayant pas de vision pour leur pays font la même chose afin de marginaliser des régions ou des communautés. La nature des conflits est la même partout. En fait, le conflit fait partie intégrante de la vie quotidienne. Seuls les conflits violents et sanglants ne font pas partie de la vie.

Certains politiciens irresponsables et populistes exploitent ces considérations politiques et ethniques La spécificité en ce qui concerne l’Afrique réside dans le niveau d’exclusion. Quand un groupe prend le pouvoir, il ne veut tout simplement pas le partager ou bien appliquer les règles qu’il a contribué à forger. D’autre part, il ne contribue pas au développement du pays. Le pays reste pauvre, donc il n’y a pas assez de richesse pour tout le monde. En outre, l’explosion démographique en Afrique est une bombe à retardement. Je sais que certains disent que cela pourrait être un avantage pour l’Afrique, mais cela reste quelque chose que nous ne pouvons pas contrôler.

L’UA impose des sanctions contre les régimes mis en place par un coup d’État. Cette manière de faire est-elle efficace ?

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Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité

À propos de l’ISS

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L’Institut d’Études de Sécurité est une organisation africaine œuvrant au renforcement de la sécurité humaine sur le continent. Elle effectue de la recherche indépendante et reconnue, fournit des analyses et conseils sur les politiques provenant d’experts, tout en menant des formations pratiques et de l’assistance technique.

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Les personnes qui ont contribué à ce numéro Yann Bedzigui, Chercheur, ISS Addis Abeba Liesl Louw-Vaudran, Consultante Meressa Kahsu, Chercheur et coordonnateur de la formation, ISS Addis Abeba Damien Larramendy, Traducteur Anne-Claire Gayet, Réviseure

Contact Liesl Louw-Vaudran Consultante ISS Pretoria Email: [email protected]

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Ce rapport est publié grâce au soutien de la Confédération suisse, du Grand-Duché de Luxembourg, du gouvernement de Nouvelle-Zélande et du Hanns Seidel Stiftung. L’ ISS souhaite également remercier pour leur appui les membres suivants de son Forum des partenaires: les gouvernements de l’Australie, du Canada, du Danemark, des États-Unis, de la Finlande, du Japon, de la Norvège, des Pays-Bas et de la Suède.

© 2016, Institut d’Études de Sécurité L’ISS dispose des droits d’auteur pour l’intégralité de ce volume et aucune partie ne peut être reproduite, en totalité ou en partie, sans l’autorisation explicite, par écrit, de l’Institut. Les opinions exprimées ne reflètent pas nécessairement celles de l’Institut, de ses fiduciaires, des membres du Conseil consultatif ou des donateurs.

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