Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité 110

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INSTITUT D’ÉTUDES DE SÉCURITÉ

NUMÉRO 110 | FÉVRIER 2019

Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité

Qu’attendre du CPS dans sa nouvelle configuration ? Le président égyptien devra maintenir la dynamique des réformes L’Afrique du Sud peut permettre à l’UA d’être plus proche des Africains Une attention renouvelée envers les réfugiés L’accord de paix en République centrafricaine durera-t-il ? Le CPS devrait inscrire le Soudan à son ordre du jour

Qu’attendre du CPS dans sa nouvelle configuration ? Le 7 février 2019, à l’occasion de sa 34e session ordinaire, le Conseil exécutif de l’Union africaine (UA) a élu quatre nouveaux membres au Conseil de paix et de sécurité (CPS) pour un mandat de trois ans. L’Afrique australe sera représentée par le Lesotho, qui siège pour la première fois au CPS. Concernant l’Afrique centrale, le Burundi a retrouvé une place au CPS après un mandat de deux ans entre 2015 et 2017. L’Algérie a également réintégré le Conseil après avoir retiré sa candidature aux élections de l’année dernière afin de permettre au Maroc d’y siéger — une première, puisque le Royaume a rejoint l’organisation continentale en 2017, après 33 ans d’absence. Le Kenya, qui avait également quitté le CPS en 2018, est de retour pour les trois prochaines années. Enfin, le Nigeria a « naturellement » conservé son siège en vertu de l’entente conclue au sein de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). L’Afrique de l’Est est la seule région à avoir présenté plus d’une candidature pour ces élections, puisque le Kenya, l’Éthiopie et le Soudan se disputaient le siège attribué pour les trois années à venir à leur bloc régional. Le choix des candidatures des autres régions avait été décidé à l’issue de consultations internes à celles-ci.

Le Lesotho et le Burundi : un défi pour le renforcement du CPS ?

Président actuel du CPS Son Excellence Monsieur Hermann Immongault, ambassadeur du Gabon en Éthiopie et représentant permanent auprès de l’UA.

Les membres actuels du CPS sont l’Angola, Djibouti, l’Egypte, le Gabon, la Guinée Equatoriale, le Kenya, le Liberia, le Maroc, le Nigeria, la République du Congo, le Rwanda, la Sierra Leone, le Togo, la Zambie et le Zimbabwe

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Au cours des deux dernières années, des appels en faveur d’un renforcement du CPS ont été lancés par certains États membres désireux de prévenir ce qu’ils considèrent comme une ingérence de la Commission de l’UA. Le retour du Burundi et l’arrivée du Lesotho au sein du Conseil pourraient faciliter l’atteinte de cet objectif.

L’Afrique de l’Est est la seule région à avoir présenté plus d’une candidature pour ces élections Le CPS ayant, par le passé, été instrumentalisé par certains pays pour se protéger d’un éventuel contrôle externe, il ne serait pas étonnant que ces deux pays utilisent leur position d’États membres du Conseil pour éviter que leurs problèmes internes ne soient inscrits à l’ordre du jour. Le Burundi est plongé dans une grave crise politique depuis 2015. Au plus fort de cette crise, le régime burundais a profité de sa présence au sein du CPS pour militer contre le déploiement d’une mission de paix de l’UA sur son territoire.

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Le pays est toujours en proie à l’instabilité politique. En mai 2018, le président Pierre Nkurunziza a renforcé son emprise sur le pouvoir en modifiant la Constitution afin qu’elle lui permette de rester à la tête du Burundi jusqu’en 2034.

La SADC a dirigé les efforts de médiation au Lesotho, qui ont abouti à un transfert du pouvoir en 2015 En décembre 2018, le gouvernement burundais a demandé la fermeture du bureau du Conseil des droits de l’homme des Nations unies sur son territoire. Cette annonce a été provoquée par un commentaire de l’ancien Haut Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Zeid Ra’ad Al Hussein, qui a affirmé que le Burundi était l’« un des pires abattoirs d’êtres humains de ces dernières années ». Le pays a également fait les manchettes pour avoir distribué, lors de la 32e session ordinaire de la Conférence de l’UA, un tract au sujet d’un mandat d’arrêt international émis en novembre 2018 contre l’ancien président et Haut Représentant de l’UA pour le Mali et le Sahel, Pierre Buyoya. La diffusion de ce tract a été vue comme une tentative du gouvernement de faire tomber l’un de ses opposants. Au CPS, le Burundi est susceptible de promouvoir ses propres intérêts en amont des élections présidentielles prévues l’année prochaine et d’empêcher les discussions qui pourraient conduire à l’implication du Conseil dans le pays. Son mandat au CPS s’achevant après les élections présidentielles, Bujumbura constituera, avec le Gabon et la Guinée équatoriale, un puissant front commun pour lutter contre tout changement visant à accorder plus de pouvoir au CPS pour intervenir.

L’instabilité politique au Lesotho Le Lesotho connaît, lui aussi, une instabilité politique depuis plus de dix ans, qui s’intensifie depuis 2014. L’apaisement des tensions devrait être au centre des préoccupations du gouvernement, avec l’appui de la communauté internationale — en particulier africaine. La Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) a dirigé les efforts de médiation

dans le pays, qui ont abouti à la tenue d’élections et à un transfert du pouvoir en 2015. Le président sudafricain Cyril Ramaphosa, médiateur désigné de la SADC, a délégué ces fonctions à l’ancien juge en chef adjoint Dikgang Moseneke. Des efforts sont en cours pour organiser un dialogue national et rédiger une nouvelle constitution. L’année dernière, le CPS a entrepris une mission de terrain au Lesotho. Il a recommandé à la SADC de proroger le mandat de sa force d’intervention militaire déployée dans le pays pour stabiliser le secteur de la sécurité, lequel a causé de nombreux troubles au cours des dernières années. La SADC a cependant mis fin au déploiement en novembre dernier, affirmant que la situation s’était suffisamment améliorée.

Un « retour aux sources » pour l’Algérie L’Algérie est de retour au CPS, un organe qui lui est familier en raison de son engagement prépondérant dans les questions de paix et de sécurité à l’échelle du continent, tant auprès de la Commission de l’UA que du CPS, où Alger siège de manière continue depuis 2004, à l’exception d’une interruption entre 2013 et 2016.

Le CPS se doit de faire des choix afin de jouer pleinement son rôle de promotion de la paix et de la sécurité sur le continent Alger avait cédé son siège au Maroc lors du scrutin de l’année dernière, usant d’une stratégie gagnantgagnant dont l’objectif était d’apaiser les tensions avec Rabat tout en s’assurant un siège au Conseil pour trois ans. Il reste à voir si l’Algérie est réellement à même de contribuer à renforcer le CPS, l’attention du pays étant concentrée sur les élections présidentielles qui auront lieu en avril prochain.

Le Kenya fait son retour au CPS et pourrait être élu au CSNU Face à l’Éthiopie et au Soudan, le Kenya a remporté l’élection avec 37 voix. Son retour au Conseil n’est pas considéré comme un obstacle potentiel au renforcement du CPS. Le pays s’est engagé à contribuer à la lutte contre l’extrémisme à travers le continent et contre le terrorisme qui y est associé.

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Le Kenya est également engagé dans une campagne pour obtenir un siège non permanent au Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) pour la période 2021-2022. L’élection doit avoir lieu en septembre 2019. En cas de victoire, le Kenya siégera à la fois au CPS et au CSNU au cours de l’année 2021. Sa voix n’en sera que plus forte sur la scène internationale et continentale concernant les dossiers relatifs à la paix et à la sécurité. Finalement, il est peu probable que les quatre nouveaux membres du CPS modifient fondamentalement le fonctionnement du Conseil. Celui-ci se doit néanmoins de faire des choix afin de jouer pleinement son rôle de promotion et de préservation de la paix et de la sécurité sur le continent.

Le CPS a besoin d’un nouveau départ Outre les facteurs structurels des conflits généralement exacerbés par une mauvaise gouvernance, le CPS constitue souvent un obstacle entre alerte précoce et action rapide sur le continent dans la gestion des conflits imminents ou latents.

Le système de représentation régionale a favorisé la mise en place d’une forme de clientélisme électoral qui permet à tout pays d’accéder au Conseil Le problème réside essentiellement dans le non-respect des critères d’obtention d’un siège au CPS. Le système de représentation régionale a favorisé la mise en place d’une forme de clientélisme électoral qui permet à tout pays d’accéder au Conseil. Les États ignorent fréquemment les exigences dans ce domaine, prévues par le Protocole instituant le CPS. Celui-ci stipule l’obligation pour les membres du CPS de s’engager à respecter les principes de l’UA, de contribuer au maintien de la paix et de la sécurité sur le continent et de respecter la gouvernance constitutionnelle, l’État de droit et les droits de l’homme. Il est essentiel de veiller au respect des critères d’obtention d’un siège au CPS et au renforcement des modalités entourant l’élection de ses membres. Si la pratique électorale actuelle assure une représentation régionale équilibrée au sein du CPS, force est de constater qu’elle n’a pas permis de réagir de manière rapide et adéquate aux crises. La raison en est qu’un pays aux prises avec un conflit n’est guère en mesure de contribuer à la paix dans un autre État.

Le Nigeria SIÈGE AU CPS DEPUIS 2004

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Le CPS doit jouer un rôle essentiel dans la réalisation de l’objectif fixé par l’UA de « faire taire les armes d’ici 2020 ». Même s’il apparaît clairement que cet objectif ne sera pas atteint dans les délais prévus, un nouveau départ du CPS et son renforcement sont essentiels à toute stratégie visant à mettre véritablement un terme à la politique de la violence sur le continent.

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Le président égyptien devra maintenir la dynamique des réformes Le 2 février, le président égyptien Abdel Fattah el-Sissi a réuni son cabinet pour examiner les derniers préparatifs de son accession à la présidence de l’Union africaine (UA), laquelle est effective depuis le 10 février. L’Égypte est membre fondateur de l’Organisation de l’unité africaine, dont elle a occupé la présidence tournante en 1964, 1989 et 1993. Les responsabilités inhérentes à cette fonction sont donc bien connues du Caire. Toutefois, c’est la première fois depuis la création de l’UA en 2002 que l’Égypte a la possibilité de présider l’organisation continentale. Il s’agit d’une évolution importante au vu des relations glaciales qu’entretiennent l’UA et l’Égypte depuis quelques années. En 2013, l’Égypte a été suspendue des instances de l’Union à la suite de la crise politique qui a secoué le pays au cours du printemps arabe de 2011. La présidence tournante du Caire survient à un moment où l’UA et l’Égypte connaissent toutes deux des changements majeurs. La réforme de l’UA vise à aider l’organisation à relever plus efficacement les défis auxquels le continent est confronté. De son côté, l’Égypte tente de se repositionner vis-à-vis de l’Afrique subsaharienne afin d’y préserver et d’y promouvoir ses intérêts stratégiques. La présidence tournante constitue donc pour Le Caire l’occasion à la fois de contribuer aux réformes de l’UA et de défendre ses objectifs de politique étrangère.

Six axes prioritaires En amont du sommet de l’UA qui s’est tenu à Addis-Abeba, le ministère égyptien des Affaires étrangères a défini six domaines prioritaires pour la présidence tournante du pays en 2019 : les relations entre les peuples africains ; la coopération avec les partenaires de l’Afrique ; l’intégration économique et régionale du continent ; le développement économique et social ; la réforme institutionnelle et financière de l’UA ; la paix et la sécurité. Qu’impliquent-elles pour l’Afrique ? Elles reflètent ce que l’Égypte considère comme étant les principaux problèmes de l’Afrique et ce que les dirigeants du pays pensent pouvoir apporter pour les surmonter. L’Égypte estime avoir su engager des réformes économiques, sociales et structurelles nationales qui ont contribué à son développement — et pense que les pays africains qui suivent la même voie peuvent en tirer des enseignements. Pour l’Égypte, la priorité réside dans la promotion du commerce intra-africain, conformément aux déclarations faites en décembre dernier par son président à Charm el-Cheikh lors du Forum Afrique 2018. Selon el-Sissi, l’Égypte a pour objectif d’ « accroître ses investissements en Afrique en 2018 de 1,2 milliard de dollars US pour atteindre les 10,2 milliards de dollars US ».

10,2 milliards de dollars US MONTANT PRÉVU DES INVESTISSEMENTS ÉGYPTIENS EN AFRIQUE EN 2018

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Deux des priorités du Caire portent sur des questions économiques, ce qui laisse entendre que la santé financière du continent constituera l’une des principales préoccupations de la présidence égyptienne. Les efforts pour mettre en œuvre l’accord de libreéchange continental africain (AZLEC) pourraient ainsi être intensifiés si l’Égypte joue un rôle moteur dans la promotion du commerce intrarégional et plus largement dans les questions économiques. Toutefois, l’Égypte n’a pas encore ratifié l’AZLEC. Comment est-il possible de promouvoir un accord sans en être partie prenante ? En plus d’œuvrer à l’adhésion des autres puissances économiques du continent comme le Nigeria, la première mission de la présidence égyptienne dans son objectif de promotion du commerce intra-africain et de ses avantages devrait être de ratifier l’AZLEC.

Une attention particulière sur le développement économique Mettre l’accent sur le développement économique serait également utile en ce qu’il contribuerait à attirer les investissements directs étrangers afin de renforcer le socle industriel et infrastructurel de l’Afrique. Sans la présence d’industries à même d’apporter une valeur ajoutée aux produits de base africains, la promotion du commerce intrarégional sur un continent où la plupart des États exportent leurs matières premières et forgent des partenariats commerciaux avec des partenaires non africains est vouée à demeurer une chimère. Le programme économique égyptien repose sur la conviction du Caire selon laquelle les défis économiques sont au cœur du problème africain. Les questions de gouvernance auraient également dû être prises en compte dans les six axes prioritaires, car elles sont centrales dans le sous-développement de l’Afrique. L’absence de gouvernance est une faille politique majeure. Par ailleurs, il est clair que les domaines d’intervention ont été définis en fonction des intérêts de l’Égypte elle-même. Concernant la paix et la sécurité, par exemple, les priorités égyptiennes portent notamment sur l’ouverture, au Caire, du Centre de l’UA pour la reconstruction et le développement postconflit et le lancement d’un forum de dialogue continental de haut niveau à Assouan, en Égypte : le Forum d’Assouan pour la paix et le développement durable.

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Ces deux projets devraient contribuer à instaurer la paix et à trouver des solutions durables aux déplacements forcés de population, en accord avec le thème de l’année de l’UA. Bien que louables, ces propositions et leur mise en œuvre en 2019 pourraient renforcer la perception que la présidence de l’UA serait utilisée par certaines puissances africaines pour façonner l’ordre du jour des pays et des régions. Outre les priorités de l’Égypte, le nouveau président en exercice de l’UA devra faire face à plusieurs problèmes continentaux. Il s’agit de la crise libyenne, du terrorisme au Sahel, des manifestations au Soudan, des conflits au Soudan du Sud et en Somalie, de l’impact des changements climatiques, de la gestion fluviale du Nil et des différends frontaliers.

Selon le ministère égyptien des Affaires étrangères, le pays tient à « obtenir des résultats tangibles » La crise qui sévit en mer Rouge revêt également une grande importance pour la politique étrangère égyptienne. Cette situation et les tensions entourant le Nil ont transformé l’Afrique de l’Est et la Corne de l’Afrique en une zone de rivalité où s’affrontent les intérêts régionaux et internationaux. Il reste à voir si la présidence tournante de l’Égypte donnera priorité à ces questions afin que l’UA puisse les traiter.

Gérer les perceptions Le plus grand défi que le président devra surmonter en 2019 sera peut-être la gestion des perceptions, dans certaines sphères des pays de l’Afrique subsaharienne, des intérêts égyptiens à travers le continent et de l’engagement du Caire envers la réforme en cours de l’UA. En dépit de tous ces défis, la présidence tournante d’el-Sissi en 2019 génère des attentes élevées pour de nombreux Nord-Africains. Selon le ministère égyptien des Affaires étrangères, le pays tient à « obtenir des résultats tangibles ». Si le président dispose d’un pouvoir considérable pour orienter l’ordre du jour de l’UA, tout changement global exige l’implication de l’ensemble de l’organisation, et non seulement de son président. Afin que son passage à la tête de l’UA soit significatif, el-Sissi doit maintenir la dynamique des réformes engagées, ce qui aidera l’organisation continentale à obtenir des résultats.

L’Afrique du Sud peut permettre à l’UA d’être plus proche des Africains L’élection de l’Afrique du Sud à la présidence de l’Union africaine (UA) pour l’année 2020 confirme le retour des grandes puissances du continent aux commandes de l’organisation. Après avoir été dirigée par des puissances économiques plus modestes comme le Rwanda (2018), la Guinée (2017) et le Tchad (2016), l’UA est cette année pilotée par le président égyptien Abdel Fattah el-Sissi, auquel devrait succéder l’an prochain, si le Congrès national africain (ANC) est réélu au mois de mai, le président sud-africain Cyril Ramaphosa.

L’Afrique du Sud n’a plus occupé ce poste depuis 2002. Pretoria sera chargée d’établir l’ordre du jour de l’UA et devrait lancer de nouvelles initiatives pour poursuivre la marche en avant de l’Afrique.

joué un rôle important à cet égard. Son ambassadeur sortant accrédité auprès de l’UA, Ndumiso Ntshinga, a été le fer de lance de l’effort des États membres pour s’assurer que l’argent était mieux dépensé.  

Ces dernières années, la Commission de l’UA à Addis Abeba a souffert de querelles intestines entre les représentants de ses 55 États membres, d’un manque de capital humain et de capacités et d’absence flagrante d’orientation. L’ancienne présidente de la Commission de l’UA, la Sud-africaine Nkosazana Dlamini Zuma, a tenté d’améliorer son système bureaucratique, mais, n’ayant effectué qu’un seul mandat, elle n’a pas vraiment pu remodeler l’institution.

Cependant, depuis le départ de Dlamini Zuma en 2017, l’Afrique du Sud n’a occupé aucun poste clé au sein de la Commission de l’UA. Le plus haut responsable sud-africain est Sivuyile Bam, responsable de la division des opérations de soutien à la paix de l’UA. L’universitaire sud-africain Eddy Maloka dirige, quant à lui, le Mécanisme africain d’évaluation par les pairs qu’il a grandement contribué à relancer.

Pretoria sera chargée d’établir l’ordre du jour de l’UA et devrait lancer de nouvelles initiatives Au cours des deux dernières années, la situation a cependant évolué grâce au leadership ambitieux du président rwandais Paul Kagame, soutenu par le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat. L’UA s’oriente maintenant vers le financement propre de ses opérations pour ne plus s’appuyer, entre autres, sur l’Union européenne. La Commission de l’UA comptera un nombre réduit de départements à partir de 2021 et, depuis cette année, un seul sommet annuel regroupant tous les dirigeants africains est organisé par souci d’économies.

Un rôle à jouer en coulisse L’organisation s’est également dotée de meilleurs systèmes de responsabilité financière. L’Afrique du Sud a

À ce stade, il semble évident que l’intégration économique du continent, incarnée par la Zone africaine de libre-échange continentale (ZLEC), restera une priorité pour l’Afrique du Sud. Lors du récent sommet de l’UA, Ramaphosa a ratifié l’Accord sur la ZLEC et déclaré que celle-ci « ouvrait des perspectives prometteuses pour l’Afrique entière ». Le nombre de ratifications est désormais de 18, soit un peu moins des 22 nécessaires à l’entrée en vigueur de l’Accord. Ce seuil devrait être atteint d’ici au sommet extraordinaire de juillet sur l’AZLEC. Le ministre sud-africain du Commerce et de l’Industrie, Rob Davies, qui était présent lors de la signature à Addis Abeba, a exprimé son soutien au projet de bloc commercial.

Bonne gouvernance et démocratisation L’Afrique du Sud peut également apporter sa contribution à tout ce qui a trait à la bonne gouvernance et à la démocratisation, un domaine dans lequel les résultats de l’UA laissent à désirer.

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L’action de Pretoria devrait à tout le moins porter sur ce qui fait sa réputation, à savoir la tenue d’élections libres et équitables et la liberté d’expression.

délicate, en particulier pour l’Afrique du Sud, où la question de la xénophobie et des immigrants constitue un dossier brûlant.

Depuis la fin des années 1990, la Commission électorale de l’Afrique du Sud a accompli un excellent travail de renforcement des capacités sur l’ensemble du continent. Son action s’est toutefois limitée à l’aspect technique. L’Afrique du Sud devra prendre le risque de monter au créneau lorsque des élections ne se dérouleront pas de manière libre et équitable, contrairement à sa réaction lors du récent scrutin entaché d’irrégularités en République démocratique du Congo (RDC).

Parmi les autres défis de taille qui attendent l’Afrique du Sud l’année prochaine, mentionnons l’objectif déclaré de l’UA de « faire taire les armes » sur le continent d’ici 2020. En tant que membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations unies pour les deux prochaines années, Pretoria a indiqué que l’instauration de la paix à travers l’Afrique demeurait l’une de ses principales priorités à New York.

L’UA devrait prendre fermement position contre toute tentative arbitraire de la part d’un gouvernement de couper l’accès à Internet et aux médias sociaux. L’Afrique du Sud pourrait d’ailleurs inscrire cette question à l’ordre du jour. En RDC, le gouvernement en a tout simplement verrouillé l’accès dès le début du dépouillement des bulletins de vote pour empêcher les citoyens de dévoiler les vrais résultats.

L’Afrique du Sud peut également apporter sa contribution à tout ce qui a trait à la bonne gouvernance et à la démocratisation Les mêmes événements se sont produits récemment au Zimbabwe. Au Tchad, les médias sociaux ne sont toujours pas accessibles aux citoyens et dans les régions anglophones du Cameroun, Internet ne fonctionne plus depuis des mois. Paradoxalement, les sociétés sud-africaines Vodacom et MTN comptent parmi les principaux fournisseurs de services Internet et téléphonique dans la plupart de ces zones.

La liberté de circulation des populations L’une des priorités pour le commun des Africains demeure la mise en œuvre du Protocole sur la libre circulation des personnes, adopté par l’UA en janvier 2018, mais qui tarde à se concrétiser. Si les marchandises peuvent traverser les frontières en vertu de l’AZLEC, pourquoi les personnes ne le pourraient-elles pas ? Il s’agit bien sûr d’une question

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En tant que membre non permanent du Conseil de sécurité Pretoria a indiqué que l’instauration de la paix à travers l’Afrique demeurait l’une de ses priorités Siéger au Conseil de sécurité et présider l’UA constituent des occasions uniques pour l’Afrique du Sud. De ce point de vue, le pays pourra inciter la communauté internationale à apporter son soutien à l’objectif de « faire taire les armes ». Il pourra également tenter de combler le fossé qui sépare l’ONU et l’UA. L’Afrique du Sud préside actuellement le groupe de travail spécial du Conseil de sécurité sur la prévention et le règlement des conflits en Afrique. Pretoria possède une vaste expérience dans ce domaine. Depuis la fin des années 1990 et le début des années 2000, l’Afrique du Sud joue un rôle important dans les processus de paix en République démocratique du Congo et au Burundi. L’ancien président Thabo Mbeki a été médiateur au Zimbabwe pendant de nombreuses années et les efforts qu’il a entrepris à Madagascar et au Lesotho semblent porter leurs fruits. L’Afrique du Sud a déployé des troupes de maintien de la paix sur tout le continent et fait actuellement partie de la Brigade d’intervention de la MONUSCO en RDC. La présidence tournante de l’UA ouvre donc des perspectives intéressantes pour Pretoria. Les préparatifs doivent débuter dès cette année si le pays entend aider l’UA à servir le continent et ses citoyens toujours plus efficacement.

Une attention renouvelée envers les réfugiés Dans le cadre de la réforme de l’Union africaine (UA), le dossier des réfugiés et des personnes déplacées pourrait être transféré à un autre département que celui des affaires politiques dont il relève actuellement. Cette reconfiguration coïncide avec la décision de l’UA de faire de 2019 l’année des « réfugiés, rapatriés et personnes déplacées internes ». Il s’agit clairement d’une priorité pour l’organisation continentale, et ce geste envoie un message fort allant à l’encontre de la tendance mondiale qui consiste à traiter la question des réfugiés et des migrants comme un enjeu politique et sécuritaire. Le plan consiste à transférer la Division des affaires humanitaires, des réfugiés et des personnes déplacées internes de la Commission de l’UA vers un nouveau département dédié à la santé, aux affaires humanitaires et au développement social. Celui-ci remplacera l’actuel Département des affaires sociales et deviendra ainsi l’un des six départements proposés par l’équipe de réformes lors du sommet de l’UA de novembre 2018. Actuellement, le Département des affaires politiques est responsable des questions de déplacements forcés, y compris les réfugiés et les personnes déplacées à l’intérieur de leur pays, tandis que les migrations sont traitées par le Département des affaires sociales.

Une volonté réelle de s’attaquer aux causes profondes Les nouveaux départements seront opérationnels lors de l’élection des membres de la prochaine Commission en 2021. Après le 32e sommet de l’UA, les responsables des départements des affaires politiques et des affaires sociales se réuniront pour discuter des détails techniques de la probable mise en place d’un nouveau Département santé, affaires humanitaires et développement social. C’est sur cette base que seront prises les décisions relatives à la restructuration et à ses implications financières. L’Afrique accueille plus du tiers des personnes déplacées de force de par le monde, dont 6,3 millions de réfugiés et 14,5 millions de déplacés internes. La décision de créer un département consacré aux affaires humanitaires témoigne de la profonde préoccupation de l’UA face à cette situation et de sa détermination à s’attaquer à ses causes profondes. Les dirigeants africains sont confrontés aux déplacements forcés depuis des décennies. Du temps de l’Organisation de l’unité africaine (qui a précédé l’UA), l’objectif principal de l’organisation était la libération des États africains des puissances coloniales, laquelle s’est effectuée au prix de déplacements de masse. La reconnaissance de ce défi a conduit à l’adoption de la Convention de l’OUA de 1969 régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique.

2021 ÉLECTION DES MEMBRES DE LA NOUVELLE COMMISSION

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Le choix du thème de l’UA pour l’année 2019 vise en partie à célébrer le 50e anniversaire de cette convention. Il marque également le 10e anniversaire de la Convention de l’UA de 2009 sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique (la Convention de Kampala). La Convention de 1969 sur les réfugiés est un instrument progressiste qui défend les principes de la Convention des Nations unies de 1951 sur les réfugiés. Elle donne également une définition large de ce qu’est un réfugié, en incluant l’agression, l’occupation extérieure, la domination étrangère ou l’apparition d’événements entraînant de graves troubles publics comme motifs de demande d’asile.

La Convention de Kampala a été conçue par l’UA en réponse à la recrudescence des déplacements internes sur le continent La Convention de Kampala a été conçue par l’UA en réponse à la recrudescence des déplacements internes sur le continent et à la nécessité de mettre en œuvre des efforts à l’échelle du continent pour en traiter les causes profondes.

L’importance des efforts de sensibilisation Cette année, l’UA souhaite mieux faire connaître ces deux conventions afin que ses États membres puissent renouveler leur engagement à protéger les personnes déplacées de force. Neuf des 55 États membres africains n’ont pas ratifié la Convention de 1969 sur les réfugiés et 30 d’entre eux n’ont pas ratifié la Convention de Kampala. L’UA a élaboré une feuille de route qui prévoit diverses activités à ce sujet. Ce document devrait être adopté lors du sommet de cette semaine. Afin de diriger et de coordonner les activités à entreprendre, un secrétariat a été créé par l’UA en collaboration avec l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Un comité directeur présidé par le directeur du Département des affaires politiques a été mis en place pour assurer la participation la plus large possible, y compris celle des acteurs de la société civile et du monde de la recherche. Cette démarche, qu’il convient de saluer, représente une rare opportunité pour les acteurs extérieurs à l’UA.

1969 ADOPTION DE LA CONVENTION DE L’OUA RÉGISSANT LES ASPECTS PROPRES AUX PROBLÈMES DES RÉFUGIÉS EN AFRIQUE

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Ces avancées sont encourageantes, mais les efforts de l’UA dans ce dossier doivent se poursuivre au-delà de 2019. Alors que la réforme de l’organisation prend corps, il convient d’élaborer la meilleure structure possible pour traiter les problèmes que rencontrent les réfugiés, les déplacés internes et les migrants. Dans l’idéal, trois divisions seraient ainsi créées, reflétant chacune de ces questions. L’UA devrait également envisager d’inclure ces trois problématiques dans le plan de mise en œuvre de l’Agenda 2063 afin qu’elles puissent être intégrées dans la planification à long terme de l’UA.

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L’accord de paix mené par l’UA en République centrafricaine durera-t-il ? Le 6 février dernier, le gouvernement centrafricain a signé un accord de paix à Bangui avec 14 groupes armés reconnus. Il s’agit du huitième accord depuis fin 2012 et le glissement de la RCA dans un conflit violent. L’accord est intervenu après 10 jours de pourparlers à Khartoum, au terme de plus de deux ans de négociations intenses dans le cadre de l’Initiative pour la paix et la réconciliation de l’Union africaine (UA) en RCA. Celle-ci a éclipsé toutes les autres initiatives parallèles — notamment celles de la Russie et du Soudan — pour finalement les rassembler au sein d’un seul processus et accroître les chances de parvenir à un accord de paix et de réconciliation qui soit durable. Cet accord pourrait marquer un tournant pour la paix en RCA, étant donné la nature persistante du conflit et le contrôle d’environ 80 % du territoire centrafricain par des groupes armés. Bien qu’il s’agisse d’un succès diplomatique pour l’UA et ses partenaires, certains sont sceptiques quant à la viabilité de cet accord. En quoi diffèret-il des sept précédents et de la demi-douzaine d’accords majeurs signés depuis l’Accord de Bangui en 1997 ? Sera-t-il réellement respecté ?

Un accord de paix classique Le texte de l’accord détaille les principes fondamentaux d’une résolution durable du conflit. Il décrit les rôles et responsabilités du gouvernement, des groupes armés, de la région et de la communauté internationale.

Cet accord pourrait marquer un tournant pour la paix en RCA, étant donné la nature persistante du conflit Il contient également des dispositions sur les thèmes clés du désarmement, de la démobilisation, de la réintégration et du rapatriement, de la justice et de la réconciliation nationale, de la migration saisonnière du bétail (transhumance), de la démocratisation ainsi que des dispositions transitoires de sécurité. Le document prévoit aussi la mise en place d’un mécanisme pour la mise en œuvre de l’accord et son suivi. Ces dispositions sont, somme toute, conformes à un accord de paix classique.

Les défis de l’accord de février 2019 Au cours des mois de consultation avec les intervenants, deux principaux points de divergence ont été soulevés. Ces deux questions qui ont semé la discorde, en particulier entre le gouvernement et les groupes armés, sont celles de l’impunité et du partage du pouvoir.

8 NOMBRE D’ACCORDS DE PAIX SIGNÉS EN RCA DEPUIS 2012

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Bien que prêt à certaines concessions quant au partage du pouvoir, le gouvernement centrafricain est réticent à envoyer un message erroné et à saper la légitimité du président élu, Faustin-Archange Touadera. Le gouvernement n’est pas non plus disposé à accorder une amnistie générale aux groupes armés, l’impunité étant reconnue comme l’un des principaux facteurs de la violence récurrente en RCA. Lors du Forum de Bangui pour la réconciliation nationale de 2015, les citoyens centrafricains ont demandé explicitement que les auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité répondent de leurs actes. Cette position est réaffirmée dans l’accord de paix de février 2019.

Les deux questions qui ont semé la discorde entre le gouvernement et les groupes armés sont celles de l’impunité et du partage du pouvoir Toutefois, certaines clauses comportent des concessions de la part des parties prenantes et prévoient un degré de partage du pouvoir, ce qui pourrait contribuer à rétablir la paix et la stabilité. D’autres laisseraient, quant à elles, de la place à un certain niveau d’impunité. Par ailleurs, les articles portant sur la décentralisation et la nomination d’un gouvernement inclusif après la signature de l’accord de paix abordent également la question du partage du pouvoir. La composition du futur gouvernement inclusif pourrait susciter des dissensions. Reste à savoir quels portefeuilles ministériels seront attribués aux groupes armés et si tous y participeront. La viabilité de la paix dépendra de leur réaction face à ces nominations et à la mise en œuvre du partage du pouvoir au sein de l’administration, y compris au niveau régional. Une autre disposition propose que l’Assemblée nationale adopte une loi accordant aux anciens chefs d’État centrafricains un statut spécial assorti d’avantages pécuniaires. Cette décision semble favoriser les anciens présidents François Bozizé et Michel Djotodia, en exil respectivement depuis 2013 et 2014, qui ont été consultés lors des négociations

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de paix. Certains pourraient s’opposer à un tel statut pour les deux anciens chefs d’État. Même si l’amnistie générale n’est pas explicitement mentionnée dans l’accord, deux clauses ouvrent la porte à la justice réparatrice et à l’attribution d’un certain pouvoir discrétionnaire de la part du président. Concernant le premier point, une Commission vérité, justice, réparation et réconciliation (CVJRR) a été créée. Ce genre de commission ne constitue pas une nouveauté, mais est souvent propice à la paix et à la stabilité, car elle instaure une certaine forme de justice réparatrice. Toujours dans la section sur la justice et la réconciliation nationale – et plus surprenant peut-être –, le texte donne au chef d’État (Touadera) le pouvoir discrétionnaire d’accorder la grâce présidentielle. Cette disposition pourrait constituer la garantie pour certains individus d’être graciés — en particulier les chefs des groupes armés — s’ils venaient à être reconnus coupables et à être condamnés. Toutefois, les décisions de la CVJRR n’ont aucun impact sur les cas portés devant la Cour pénale internationale ou le Tribunal pénal spécial pour la RCA. Une limite évidente à cette hypothèse serait l’éclatement de violences entre l’arrestation ou la condamnation d’un individu et le moment où il serait gracié par le président. Par ailleurs, le caractère sélectif des grâces présidentielles peut être ressenti comme injuste pour ceux qui s’en voient privés et qui pourraient alors replonger le pays dans ses heures les plus sombres.

L’accord donne au chef d’État le pouvoir discrétionnaire d’accorder la grâce présidentielle Le gouvernement et les groupes armés doivent désormais commencer à appliquer l’accord de paix. C’est à cette étape que les accords antérieurs ont échoué. Obtenir la signature des différentes parties représente un accomplissement non négligeable en soi — et l’initiative de l’UA a porté ses fruits à cet égard — mais le vrai travail débute maintenant avec sa mise en œuvre.

Celle-ci semble rencontrer des résistances tant du côté du gouvernement que de celui des groupes armés. La nomination d’un nouveau gouvernement est toujours attendue avec impatience. L’absence, lors de la signature de Bangui, de certains dirigeants de groupes armés importants, notamment Noureddine Adam, Abdoulaye Hissen et Ali Darassa, suscite également des inquiétudes quant aux prochaines étapes du processus. Concernant la sécurité, le projet de créer des unités spéciales mixtes de transition — composées, comme le prévoit l’accord, de forces gouvernementales et de membres des groupes armés — constituera un véritable test de la volonté des protagonistes de travailler ensemble.

Un contexte différent, de nouvelles possibilités ? Dans l’ensemble, cependant, le contexte actuel semble favoriser un accord de paix durable. Le succès de l’initiative de paix de l’UA, qui a réussi à rassembler toutes les parties prenantes sous une même bannière, indique qu’il existe une certaine détermination de la part de tous les acteurs extérieurs à faire en sorte que cet accord soit respecté, malgré quelques voix divergentes. Par le passé, des acteurs étrangers ont apporté un soutien financier et matériel à différentes factions, exacerbant ainsi les tensions et compromettant le retour d’une paix durable.

La création d’unités spéciales mixtes représentera un véritable test de la volonté des protagonistes de travailler ensemble Il est évident qu’il incombe également aux protagonistes centrafricains eux-mêmes de s’engager dans la mise en œuvre de l’accord de paix. Avoir pu réunir tous les groupes armés de Khartoum — et pour la première fois — est en soi un signe fort de leur volonté de changer le statu quo. En outre, l’insistance de l’UA et du gouvernement centrafricain pour limiter le dialogue au gouvernement et aux groupes armés afin d’éviter une répétition du Forum de Bangui, constituait une bonne stratégie. Lorsque Touadera est devenu président de la RCA en 2016, après une transition politique tumultueuse qui a duré trois ans, il s’est engagé à initier un dialogue de fond avec la multitude de groupes armés qui ravageaient le pays. Le processus a été long et éprouvant, mais l’accord de paix pourrait être la pierre angulaire sur laquelle une RCA pacifique et prospère serait en mesure de se bâtir. L’UA, en tant que garante principale et facilitatrice du processus de paix centrafricain, doit faire preuve d’une résolution sans faille dans sa mise en œuvre. Elle devra veiller, en prenant les mesures appropriées prévues dans l’accord, à ce que les efforts qu’elle a déployés pour parvenir à la signature de l’accord ne soient pas vains et surtout que les habitants de la RCA puissent enfin jouir d’une paix durable.

2016 TOUADERA DEVIENT PRÉSIDENT DE LA RCA

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Le CPS devrait inscrire le Soudan à son ordre du jour Une commission gouvernementale chargée d’enquêter sur les manifestations qui se déroulent au Soudan a admis, début février, que le corps d’Ahmed El Kheir, un enseignant décédé alors qu’il était en détention sous la responsabilité du redouté Service de sécurité nationale, présentait des signes de torture. L’information de la mort d’Ahmed est l’une des rares à avoir été relayées par les journaux depuis le début des manifestations, mais elle ne constitue pas un cas isolé. Le gouvernement soudanais a fait preuve de brutalité pour tenter de réprimer les manifestations qui secouent le pays depuis la mi-décembre 2018. Celles-ci ont débuté le 19 décembre 2018 dans la ville d’Atbara, au nord-est du pays, pour protester contre la hausse des prix du pain et du carburant. Elles se sont amplifiées et étendues pour devenir depuis quelques semaines un mouvement généralisé de contestation antigouvernementale, réclamant un changement de régime et le départ du président Omar el-Béchir, au pouvoir depuis trois décennies.

Plus de 50 personnes seraient mortes entre la mi-décembre 2018 et début février 2019 Si ces manifestations populaires ne sont pas les premières auxquelles le Soudan fait face, l’ampleur du mouvement actuel s’explique par les facteurs économiques et politiques sous-jacents et par le soutien de la Sudanese Professional Association (SPA), plutôt que celui des groupes d’opposition qui sont toujours très faibles au Soudan. Selon les groupes de défense des droits de l’Homme, plus de 50 personnes sont mortes en 56 jours, entre la mi-décembre 2018 et début février 2019, soit près d’un décès par jour.

Les manifestants demandent-ils seulement le départ d’el-Béchir ? Les nombreux manifestants réclament, à grand renfort de chansons, plus de liberté, exigeant le départ d’elBéchir. L’on peut donc en déduire que la plupart des

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Soudanais considèrent le président comme étant l’une des principales causes — voire la principale cause — aux problèmes du pays. Cette revendication est l’aboutissement d’une série de mécontentements qui puisent leur source plus largement dans les problèmes structurels sous-jacents qui sont à l’origine des préoccupations du pays. Dans cette perspective, les protestations seraient donc moins une tentative de renverser l’État soudanais qu’un moyen d’attirer l’attention sur le mécontentement qui règne dans le pays. Les manifestants blâment ceux qui, selon eux, ont joué un rôle clé dans l’apparition de ces problèmes. Ces troubles constitueraient également un appel pressant en faveur d’un dialogue structuré sur l’avenir politique et sécuritaire du Soudan.

Une réticence à considérer les causes sous-jacentes aux protestations El-Béchir a décrit les manifestations comme une manœuvre visant à le renverser et à déstabiliser le pays. Il a qualifié les manifestants d’« infiltrés », affirmant notamment qu’il s’agissait d’« étrangers tentant d’infiltrer et de déstabiliser le Soudan », d’« individus recevant des ordres » de la part de « pays de la région ou du monde qui essaient d’empêcher l’application du droit islamique au Soudan » ou « de faire un copier-coller du printemps arabe » dont les médias se font l’écho. Tout récemment, cependant, il a changé son fusil d’épaule, imputant les manifestations à des jeunes aux perspectives d’avenir limitées. Ce changement signifie-t-il que le dialogue serait désormais une option ? Si c’est le cas, comment les manifestants pourraient-ils inciter un dirigeant politiquement paranoïaque et au pouvoir depuis si longtemps, à accepter des pourparlers ? Depuis son inculpation par la Cour pénale internationale en 2009, el-Béchir réagit aux problèmes politiques émergents par une logique d’autopréservation.

Cette caractérisation des manifestations et leur répression par la force soulèvent des questions quant à la perception qu’a le gouvernement du sérieux des revendications populaires et de la nature existentielle de l’agonie que vivent les Soudanais.

Un appel aux réformes qui n’est pas entendu Le gouvernement ne comprend pas qu’il s’agit d’un appel du peuple soudanais en faveur de réformes globales à même de rendre leur vie économiquement supportable dans un espace démocratique caractérisé par la liberté d’expression, la tolérance politique et le respect des droits de l’homme. Khartoum a plutôt préféré privilégier l’usage de la force. Contrairement à ce à quoi on aurait pu s’attendre, la répression semble plutôt avoir attiré plus de manifestants dans les rues. Elle a également érodé davantage la popularité du gouvernement et aggravé les tensions entre l’État et les citoyens.

Pour contribuer à désamorcer la situation, le CPS devrait envisager d’inscrire la situation au Soudan à son ordre du jour La SPA, l’organisation à l’origine et en tête des manifestations, s’est également vu refuser l’opportunité de formuler la totalité des revendications du mouvement. Par ailleurs, les partisans de la ligne dure au sein du gouvernement d’el-Béchir tirent profit de la déformation des revendications populaires, car elle leur permet de rallier leur base de soutien et d’utiliser les moyens sécuritaires de l’État. Il est évident que les manifestations méritent une attention accrue de la part du Conseil de paix et de sécurité (CPS).

Les options pour le CPS Le recours à la force par le gouvernement face au désir de changement du peuple soudanais ne manquera pas d’alimenter l’instabilité du pays. Malgré la menace de l’impasse, la crise n’a pas encore bénéficié de l’attention nécessaire du CPS. Pour contribuer à désamorcer la situation, le Conseil devrait envisager d’inscrire la situation au Soudan à son ordre du jour. Ce geste démontrerait l’importance de la crise soudanaise et de ses impacts sur la paix et la sécurité en Afrique. Le CPS pourrait par la suite déployer une mission exploratoire qui dialoguera en toute indépendance avec les différentes parties prenantes et fournira au Conseil des informations de première main sur la situation. Sur la base des résultats de cette mission, le CPS pourrait alors attirer l’attention sur l’usage excessif de la force lors de la répression des manifestations et finalement le condamner, comme l’ont déjà fait d’autres acteurs comme l’Union européenne. Enfin, le CPS pourrait envisager de faciliter la visite d’un haut responsable du Conseil pour souligner sa préoccupation face à l’usage excessif de la force à l’encontre des citoyens et la nécessité d’engager le dialogue face aux demandes de réformes globales au Soudan.

2009 INCULPATION D’EL-BÉCHIR PAR LA CPI

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INSTITUT D’ÉTUDES DE SÉCURITÉ

À propos du Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité  Le Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité analyse les évolutions et les décisions du Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’Union africaine. Cette publication mensuelle est la seule à offrir une analyse sur l’actualité des travaux du CPS. Le rapport est rédigé par une équipe d’analystes de l’ISS basée à Addis Abeba.

À propos de l’ISS L’Institut d’études de sécurité (ISS) établit des partenariats pour consolider les savoirs et les compétences en vue d’un meilleur futur pour l’Afrique. L’ISS est une organisation africaine nonlucrative dont les bureaux sont situés en Afrique du Sud, au Kenya, en Éthiopie et au Sénégal. Grâce à ses réseaux et à son influence, l’ISS propose aux gouvernements et à la société civile des analyses pertinentes et fiables, ainsi que des formations pratiques et une assistance technique.

Les personnes qui ont contribué à ce numéro Mohamed Diatta, chercheur, ISS Addis Abeba Liesl Louw-Vaudran, consultante principale de recherche, ISS Andrews Attah-Asamoah, attaché principal de recherche, ISS Tsion Tadesse Abebe, chercheur principal, ISS Damien Larramendy, traducteur Anne-Claire Gayet, réviseure

Contact Liesl Louw-Vaudran Consultante pour le Rapport sur le CPS ISS Pretoria Courriel: [email protected]

Les bailleurs de fonds

Ce rapport est publié grâce au soutien de la Fondation Hanns Seidel et des gouvernements des Pays-Bas et du Danemark. L’ISS souhaite également remercier les membres suivants de son Forum des partenaires pour leur appui : l’Union européenne, la Fondation Hanns Seidel et les gouvernements de l’Australie, du Canada, du Danemark, de la Finlande, de l’Irlande, des Pays-Bas, de la Norvège, de la Suède et des États-Unis.

© 2019, Institut d’études de sécurité Les droits des auteurs de l’ensemble de ce volume appartiennent à l’Institut d’études de sécurité et à ses auteurs, et aucune partie ne peut être reproduite, en tout ou en partie, sans l’autorisation expresse, par écrit, des auteurs et des éditeurs. Les opinions exprimées ne reflètent pas nécessairement celles de l’Institut, de ses fiduciaires, des membres du Conseil consultatif ou des donateurs. Les auteurs contribuent aux publications de l’ISS à titre personnel.