Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité 115

9 juil. 2019 - articulation. Ils ont permis par ailleurs d'identifier six axes techniques principaux de répartition du travail : la planification et la formulation des.
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INSTITUT D’ÉTUDES DE SÉCURITÉ

NUMÉRO | JUIN 2019 NUMÉRO 115 114 | JUILLET

Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité

Définir les relations entre l’UA et les CER Sommet de Niamey : la lente mise en œuvre des réformes de l’UA Faire taire les armes au-delà de 2020 Le commerce peut-il stabiliser la Corne de l’Afrique ? Gambie : un processus de démocratisation qui demeure fragile Algérie : et maintenant, que faire ? Entretien avec l’envoyée spéciale de l’UA pour la jeunesse

Définir les relations entre l’UA et les CER L’Union africaine (UA) et les communautés économiques régionales (CER) ont tenu leur première réunion de coordination le 8 juillet à Niamey, au Niger. Cette rencontre s’inscrit dans le sillage des réformes institutionnelles de l’UA pour rationaliser ses relations avec les CER, lesquelles sont considérées comme les piliers de l’intégration africaine.

Le débat sur la coordination UA-CER n’est pas nouveau : il s’ancre dans un choix, celui d’un processus progressif d’intégration. À la base des relations entre l’UA et les CER se trouve le principe de subsidiarité, en vertu duquel les organisations régionales peuvent prendre l’initiative d’intervenir lorsqu’une nouvelle situation, dans leur région ou sous leur juridiction politique, le requiert.

À la base des relations UA - CER se trouve le principe de subsidiarité, en vertu duquel les organisations régionales peuvent prendre l’initiative d’intervenir L’application de ce principe a souvent posé des problèmes, par exemple dans les efforts de résolution du conflit en République centrafricaine (RCA), où la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) et l’UA se sont, dans un premier temps, affrontées pour diriger le processus de paix. Plus récemment, la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) et l’UA se sont trouvées en désaccord au sujet du conflit électoral en République démocratique du Congo (RDC).

Président actuel du CPS Son Excellence Monsieur Sébadé Toba, ambassadeur du Togo en Ethiopie et représentant permanent auprès de l’UA.

Les membres actuels du CPS sont l’Algérie, l’Angola, Djibouti, le Gabon, la Guinée Equatoriale, le Kenya, le Lesotho, le Liberia, le Maroc, le Nigeria, la République du Congo, le Rwanda, la Sierra Leone, le Togo et le Zimbabwe

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Les discussions de cette première réunion de coordination se sont concentrées sur trois domaines clés : la division du travail entre l’UA, les CER et les États membres de l’UA, le premier rapport sur l’intégration régionale africaine et le projet de protocole qui doit modifier le protocole de 2008 sur les relations UA-CER.

La division du travail Les débats sur la coordination entre l’UA et les CER ont mis en évidence que le rôle clé des États membres était la pierre angulaire de cette articulation. Ils ont permis par ailleurs d’identifier six axes techniques principaux de répartition du travail : la planification et la formulation des politiques, leur adoption, leur mise en œuvre, le suivi et l’information, les partenariats et la mobilisation commune des ressources. Parmi ces domaines, la mise en œuvre et le suivi et évaluation représentent les points faibles du continent. À cet égard, l’une des propositions avancées prévoit que la Commission de l’UA (CUA) organise des

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consultations annuelles entre les organes de l’UA et les CER. Ces consultations, qui pourraient porter sur différents sujets tels que la mise en œuvre de l’architecture africaine de paix et de sécurité ou la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, feraient notamment le point sur les progrès réalisés et les défis rencontrés. De fait, les CER sont censées faire un rapport chaque année, lors de la réunion de coordination UA-CER, sur l’état de la réalisation au niveau régional des politiques, programmes et projets continentaux, ainsi que sur leur suivi et évaluation. La CUA serait également chargée de coordonner la mise en œuvre de questions transversales entre les CER. Cette responsabilité pourrait néanmoins se heurter à une ferme résistance de la part des CER et des États membres, comme cela s’est déjà produit par le passé. Cette levée de boucliers est d’autant plus prévisible que ce sont les États membres qui, en dernier ressort, sont responsables de l’application des politiques et programmes continentaux ou régionaux, et des instruments juridiques de l’UA à l’échelon national. L’un des défis pratiques pour les États membres consiste à fournir des données nationales fiables et précises sur la mise en œuvre des politiques continentales et régionales. Cette attente est inscrite dans le nouveau mécanisme de coordination entre l’UA, les CER et les États membres. Les discussions se poursuivront entre la CUA, les CER et les États membres sur l’élaboration d’une matrice de répartition des tâches par domaine thématique. Dans l’ensemble, comme pour tout ce qui touche aux questions de gouvernance sur le continent, l’un des plus grands défis à la coordination entre l’UA et les CER demeure la volonté fluctuante des États membres.

Le rapport sur l’intégration régionale africaine La réunion de coordination UA-CER du 8 juillet a vu le dépôt du premier rapport sur l’intégration régionale africaine, corédigé par la CUA, les CER et la Fondation pour le renforcement des capacités en Afrique (ACBF). Ses conclusions ont été présentées

par le président de la CUA, Moussa Faki Mahamat. La principale conclusion du document est que l’Afrique est en voie de devenir un « continent intégré, prospère et pacifique ». Cependant, il n’est pas surprenant que le rapport indique également que « les huit CER reconnues par l’UA font face à des défis initiaux qui sont le manque de ressources financières et humaines, des adhésions multiples à différentes CER, un niveau insuffisant de mise en œuvre des programmes et projets régionaux d’intégration et un faible alignement institutionnel d’activités par ailleurs peu ciblées ». Il note également que « les conflits tenaces, l’insécurité et les goulets d’étranglement au sein des infrastructures demeurent des obstacles prépondérants à une intégration plus poussée. L’on ne saurait trop insister sur la nécessité de concevoir des mécanismes de financement innovants ».

L’un des plus grands défis à la coordination entre l’UA et les CER demeure la volonté fluctuante des États membres Le rapport analyse les huit dimensions de l’intégration telles que définies dans l’indice multidimensionnel de l’intégration africaine et qui sont : l’intégration commerciale, la libre circulation des personnes, l’intégration des infrastructures, l’intégration politique et institutionnelle, l’intégration monétaire, l’intégration financière, l’intégration sociale et la gestion de l’environnement. Il est intéressant de noter que le rapport souligne également la nécessité de préciser la répartition des tâches entre l’UA et les CER. Bien que mentionnée dans le rapport, et malgré le fait qu’elle représente un défi de taille pour la coordination UA-CER, la question de la multiplicité des adhésions des pays aux différentes CER ne semble pas faire l’objet d’un débat prépondérant. Les problèmes identifiés dans le rapport qui affligent les CER dans leur objectif d’intégration régionale compromettront probablement aussi les efforts de coordination avec l’UA.

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Le nouveau protocole sur les relations UA-CER Par ailleurs, un nouveau projet de protocole sur les relations entre l’UA et les CER a été présenté afin de relever les défis mentionnés plus haut. Il viendrait remplacer le protocole qui l’a précédé dans ce domaine et qui date de 2008. Les deux textes diffèrent sur deux points majeurs : le nouveau projet de protocole a une portée plus large et il définit les structures et les fonctions de la réunion de coordination semestrielle entre la CUA et les CER.

En dépit de son importance, la question de la multiplicité des adhésions des pays aux différentes CER ne semble pas faire l’objet d’un débat prépondérant Au sujet de la portée, l’article 2 du nouveau protocole prévoit d’introduire l’environnement, l’économie bleue, les migrations et l’architecture de gouvernance africaine comme nouveaux domaines à couvrir dans les relations et la coordination entre les régions et l’UA. Ces domaines s’ajoutent à ceux concernant l’économie, la société, la politique et la culture, y compris l’égalité des sexes, la paix et la sécurité. Le projet de protocole prévoit également la création de nouvelles structures ou de nouveaux organes en lien avec la réunion de coordination :

Bien qu’il n’ait pas été adopté lors de cette première réunion de coordination, probablement en raison du caractère controversé de certaines dispositions, le projet de protocole devrait permettre la mise en place d’une nouvelle structure de l’UA dont l’objectif sera de superviser la coordination entre ses différentes composantes. La prolifération, au sein de l’UA, de structures de coordination du travail de nombreux autres organes déjà existants dans le but de rationaliser les activités de l’organisation et de favoriser l’intégration africaine est-elle une bonne chose ? La question mérite d’être posée.

La voie à suivre en matière de coordination entre l’UA et les CER Le principal succès de cette première réunion de coordination entre l’UA, les CER et les États membres a été d’envisager la mise en place d’un cadre pour les réunions suivantes, y compris la possibilité d’adopter des sanctions en cas de non-conformité.

• Le comité de coordination, composé du président et des directeurs des institutions financières de l’UA et de l’ADUA (Agence de développement de l’UA) — NEPAD définira les orientations politiques pour l’application du nouveau protocole ; 

Il est évident que les principes de subsidiarité et d’avantages comparatifs demeureront les principes directeurs des relations UA-CER et qu’ils orienteront la répartition des tâches entre elles. Cela signifie que la conception de mécanismes ad hoc ou spécifiques à chaque CER sera parfois nécessaire, compte tenu notamment des disparités entre leurs niveaux respectifs d’avancement et leurs capacités, et compte tenu des particularités intrinsèques à chacune des CER. Les différentes parties prenantes devront tenir compte de tous ces éléments à l’heure de finaliser la matrice qui encadrera la division du travail.

• Le secrétariat de coordination, qui regroupe des représentants de l’UA, des CER et d’autres organes de l’UA, a pour mandat de rédiger et de soumettre des rapports au comité de coordination.

Enfin, il convient de rappeler que les États membres seront soit des facilitateurs, soit des obstacles à l’amélioration des relations entre l’UA et les CER au profit du continent.

• La réunion de coordination semestrielle à proprement parler, qui rassemble le bureau de la Conférence et les présidents en exercice des CER, est notamment chargée d’évaluer l’avancée de l’intégration continentale et de coordonner l’application des décisions de l’UA  ;

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Selon le projet de protocole, l’UA doit ouvrir des représentations permanentes auprès du siège de chaque CER. En retour, chaque CER doit créer une structure d’intégration nationale dans chacun de ses États membres. En outre, l’article 23 du document prévoit des sanctions (par la Conférence et/ou le Conseil exécutif) en cas de retard des CER dans l’exécution des décisions adoptées ou dans les cas où leurs mesures et programmes seraient jugés incompatibles avec les traités de l’UA.

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Sommet de Niamey : la lente mise en œuvre des réformes de l’UA Pour la première fois depuis 2004, la Conférence de l’Union africaine ne s’est pas réunie pour sa traditionnelle session de miannée. La décision de n’avoir dorénavant qu’une session ordinaire annuelle de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine (UA) est l’un des résultats des réformes de l’UA prônées par le président rwandais Paul Kagame et par l’unité de mise en œuvre des réformes de la Commission de l’UA (CUA). L’objectif de la réforme est de limiter le nombre de rencontres qui regroupent de nombreux chefs d’État, et d’où sortent finalement assez peu de vraies décisions, au profit de réunions plus restreintes et plus efficaces comme la Première réunion de coordination de mi-année qui a eu lieu le 8 juillet. Les chefs d’État ont par ailleurs d’autres occasions de se retrouver dans le cadre de leurs communautés économiques régionales (CER) respectives, ou encore sur une base bilatérale. Cependant, en dépit des efforts pour réduire le nombre de sommets annuels de l’UA, plus de 30 chefs d’État ont assisté au sommet extraordinaire sur la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) qui s’est tenu dans la capitale nigérienne le 7 juillet. Une session ordinaire du Conseil exécutif de l’UA et plusieurs réunions parallèles du Conseil de paix et de sécurité et d’autres organes de l’organisation ont également eu lieu, prêtant à l’événement toutes les caractéristiques d’un sommet habituel de l’UA.

Plus de 30 chefs d’État ont assisté au sommet extraordinaire sur la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) L’objectif de limiter le nombre de sommets de l’UA à un seul par année a donc été, dans une certaine mesure, compromis par la décision de procéder à Niamey au lancement de la ZLECAf, dont le président du Niger, Mahamadou Issoufou, est un ardent promoteur. La première réunion de coordination semestrielle entre l’UA et les CER, qui devait remplacer la Conférence, a ainsi été réduite au statut d’événement parallèle et n’a duré que quelques heures. Ceci, ajouté au report de certaines décisions du sommet, a fait de la réunion de Niamey une manifestation incomplète de l’application des réformes de l’UA. Le coût du sommet de Niamey s’est également avéré très élevé pour le pays hôte, qui a décidé de construire un nouveau centre de conférence et des hôtels de luxe, dont certains n’étaient pas encore achevés au moment

7 juillet 2019 LANCEMENT DE LA ZLECAF

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du sommet. L’un des objectifs des réformes de l’UA est de rapprocher l’organisation panafricaine des populations et bien que la décentralisation des activités de l’Union revête une grande importance, les organisations de la société civile sont préoccupées par ces dépenses engagées par des pays africains dont la situation financière est précaire. Dans les projets de décisions du Conseil exécutif de Niamey, il est ainsi recommandé que la CUA « tienne compte des principes d’efficience des coûts, d’équité et de rotation régionale » lorsqu’elle souhaite organiser des réunions hors d’Addis Abeba où est situé le siège de l’UA.

Une mise en œuvre partielle de certaines décisions Le renforcement de la CUA et la rationalisation des activités des sommets ont été l’une des pierres angulaires des réformes de l’UA adoptées en janvier 2017. Parmi les autres réformes, l’on peut également mentionner la priorisation des projets à portée continentale, le réalignement des institutions de l’UA avec cette nouvelle priorisation, l’amélioration de la gestion des activités de l’UA aux niveaux politique et opérationnel et la pérennisation du financement de l’organisation avec la pleine participation des États membres de l’UA.

D’ores et déjà, il a été décidé de réduire le nombre de départements et de commissaires de l’UA de huit à six Concernant la restructuration de la commission, les détails de sa mise en œuvre qui devaient être finalisés par le Conseil exécutif de Niamey ont été reportés au prochain sommet ordinaire qui aura lieu en janvier 2020 à Addis Abeba. D’ores et déjà, il a été décidé de réduire le nombre de départements et de commissaires de l’UA de huit à six, notamment en fusionnant le Département paix et sécurité et le Département des affaires politiques. Il est donc crucial que les décisions concernant les détails de la restructuration soient adoptées rapidement, afin que le processus de sélection des membres de la commission dont le mandat débute en 2021 puisse démarrer dès janvier 2020.

Janvier 2020 PROCHAIN SOMMET ORDINAIRE DE L’UA

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En outre, des divergences subsistent entre certains États membres s’agissant de la question des partenariats. Les réformes initiales visaient un accord qui devait permettre à l’Afrique de « parler d’une seule voix ». L’idée était que la troïka de l’UA (ou le bureau de la Conférence, composé de cinq chefs d’État africains) et la CUA représentent le continent à certaines réunions avec des partenaires extérieurs, en particulier lorsqu’il s’agit d’un seul pays. Un consensus s’est déjà dégagé pour permettre à tous les pays d’assister aux réunions avec des organisations homologues de l’UA, telles que l’Union

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européenne ou la Ligue des États arabes. Certains conviennent également que les partenariats comme avec la Chine (FOCAC) ou le Japon (TICAD) devraient être maintenus tels quels. Cependant, aucun consensus n’a émergé quant à savoir qui devrait représenter le continent lors de rencontres programmées avec des pays, comme la Russie, la Turquie, les États-Unis ou même la France, cette dernière organisant depuis plusieurs années déjà des sommets France-Afrique. De nombreux chefs d’État rechignent à être mis à l’écart en faveur d’une structure moins importante, pas nécessairement représentative de leurs intérêts.

Un budget restreint Si l’on en croit les projets de décisions du Conseil exécutif, le budget de la CUA a de nouveau été réduit par rapport à l’année dernière, cette fois d’environ 40 millions de dollars US, passant de 681 millions à 647 millions de dollars US. Cette réduction a été permise grâce à la suppression des doubles emplois et à une meilleure gestion de la CUA — un élément crucial des réformes. Lors du sommet, le Comité des représentants permanents a également présenté son rapport aux auditeurs externes. Le document a révélé des insuffisances majeures dans les pratiques comptables de la CUA et de ses divers organes. De toute évidence, l’appel en faveur de l’autofinancement de l’UA doit aller de pair avec une reddition de comptes renforcée et une transparence accrue.

L’appel en faveur de l’autofinancement de l’UA doit aller de pair avec une reddition de comptes renforcée Dans son discours aux membres du Conseil exécutif de Niamey, le président de la CUA, Moussa Faki Mahamat, a déclaré que la Commission prenait bonne note des conclusions des auditeurs externes et que des mesures visant à remédier à la situation et à sanctionner les auteurs de malversations étaient en cours d’exécution. Bien que le prélèvement de 0,2 % sur les importations destiné à financer l’UA — l’une des premières réformes à avoir été mises de l’avant – ne soit pas universellement appliqué, les réformes ont créé une certaine dynamique

qui se manifeste par l’augmentation régulière du montant des contributions statutaires déboursées par les membres à l’UA. Les contributions des États membres aux budgets des années 2019 et 2020 ont augmenté pour atteindre la barre des 40 %, contre seulement 27 % pour le budget de l’année 2018.

Plus d’argent pour le Fonds pour la paix L’annonce a également été faite à Niamey que les sommes qui constituent le Fonds de l’UA pour la paix avaient considérablement augmenté pour atteindre 120,7 millions de dollars US. Dans son discours, Mahamat a déclaré que le Fonds pour la paix représentait « un instrument de souveraineté » qui permettrait à l’Afrique d’assurer une présence active dans les zones de conflit en plus d’œuvrer à leur prévention. Bien que les modalités d’accès et de gestion du Fonds n’aient pas encore été clarifiées, les sommes récoltées pourraient donner un élan important aux efforts de médiation et de prévention des conflits déployés par l’UA. Grâce au Fonds pour la paix, l’UA sera ainsi en mesure d’intervenir en tant que médiateur dans des crises comme celles qui déstabilisent le Soudan et la République centrafricaine sans requérir de financement autre. Il s’agit-là d’un point important.

Une attention particulière sur l’objectif de « faire taire les armes » Lors du sommet, il a également été décidé que le thème de l’année 2020 serait « Faire taire les armes : créer des conditions favorables au développement de l’Afrique ». Il s’inscrit dans le droit fil des objectifs de l’Agenda 2063 qui vise à faire taire les armes en Afrique d’ici 2020. Bien que cet objectif soit impossible à réaliser, il s’agit de faire le point sur les progrès réalisés par l’UA et d’élaborer de nouvelles stratégies pour parvenir à la paix sur l’ensemble du continent. À terme, le défi pour l’UA sera de poursuivre la mise en œuvre des réformes et de sanctionner les États membres qui contreviennent aux grands consensus continentaux comme l’autofinancement de l’UA. Les résultats du sommet de Niamey montrent que l’obtention d’un consensus sur certaines questions clés demeure un obstacle à la réforme de l’UA.

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Faire taire les armes au-delà de 2020 En réunion à Niamey, au Niger, en juillet 2019, les ministres du Conseil exécutif de l’UA ont décidé que le thème de l’année 2020 de l’UA serait : « Faire taire les armes : créer des conditions favorables au développement de l’Afrique ». Projet phare de l’Agenda 2063, « Faire taire les armes à l’horizon 2020 » a été adopté en 2013 par les chefs d’État de l’UA à l’occasion du 50e anniversaire de l’OUA/UA.

ans seulement, les innombrables défis de l’Afrique en matière de paix et de sécurité.

Depuis sa première évocation, leur volonté « d’atteindre l’objectif d’une Afrique sans conflits, de faire de la paix une réalité pour tous nos peuples et de débarrasser le continent des guerres, des conflits civils, des violations des droits de l’homme, des catastrophes humanitaires et des conflits violents et de prévenir les génocides », en à peine sept ans, était très ambitieuse.

De toute évidence, l’adoption du slogan « Faire taire les armes : créer des conditions favorables au développement de l’Afrique » comme thème de l’année 2020 ne contribuera pas non plus à faire de l’Afrique un continent exempt de conflits d’ici l’année prochaine. Cela pourrait toutefois inciter les parties prenantes à faire le point sur les progrès et les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de la feuille de route.

Le document souligne néanmoins que les conflits constituent l’un des principaux défis dans la mise en œuvre de l’Agenda 2063, le schéma directeur du continent pour mener l’Afrique à la paix et à la prospérité.

Des étapes concrètes Le Conseil de paix et de sécurité (CPS) a tenté de traduire cette ambitieuse perspective en mesures concrètes avec l’adoption en 2016 d’une « Feuille de route principale sur les mesures pratiques pour faire taire les armes en Afrique d’ici 2020 ». Ce document reconnaît sans ambages le lien entre la paix, la sécurité, la gouvernance et le développement pour pérenniser la paix. Il présente également une interprétation globale des défis auxquels l’Afrique est confrontée dans ses efforts de prévention et de résolution des conflits. En outre, il prévoit la désignation de points focaux pour assurer la mise en œuvre, dans les délais impartis, des actions à mener. Bien que les États membres soient tenus de réaliser certaines activités, le CPS, la Commission de l’UA, les CER/MR, certains organes de l’UA et l’ECOSOCC devraient être les principaux responsables de l’application de cette feuille de route. Si ce document donne un aperçu général des objectifs à long terme, il faut toutefois reconnaître qu’il est depuis le début voué à l’échec, puisqu’il doit surmonter, en quatre

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Faire le point sur les avancées réalisées

Le Conseil de paix et de sécurité a tenté de traduire cette ambitieuse perspective en mesures concrètes Cela aidera le CPS, précurseur de la feuille de route, à prendre en considération les observations des différentes parties prenantes au cours de l’année à venir en vue d’élaborer un plan d’action plus solide qui mènera l’Afrique vers la paix et la prospérité, un objectif qui demeurera d’actualité au-delà de 2020.

Quelles conditions pour «  Faire taire les armes » ? L’opérationnalisation de la feuille de route se heurte à des obstacles d’ordre opérationnel et institutionnel. Ces obstacles découlent principalement de l’hypothèse sousjacente du document selon laquelle « les conditions pour faire taire les armes sont désormais réunies sur le continent ». Les menaces à la sécurité que représentent les groupes extrémistes violents et autres mouvements d’insurgés dans le Sahel et le bassin du lac Tchad, les violences liées aux transitions politiques et l’ampleur sans précédent des changements climatiques et des déplacements provoqués par les catastrophes naturelles

sont autant de menaces qui mettent à mal la capacité des États à assurer la sécurité de leurs populations. Nombre de pays ont sombré dans la violence en raison de la faiblesse de leurs institutions étatiques ou de l’absence d’accords politiques viables comme au Soudan du Sud, en République centrafricaine, au Mali ou encore en Libye. En outre, la volonté politique et la capacité des États membres pour appliquer les décisions et déclarations de l’UA restent limitées.

Une feuille de route peu claire Le flou et les contradictions entourant le séquençage des activités constitue un autre obstacle à la mise en œuvre de la feuille de route. Le document propose par exemple de renforcer les capacités et de rendre opérationnelles les principales composantes de l’Architecture africaine de paix et de sécurité (AAPS), telles que la Force africaine en attente et le Groupe des Sages.

S’attendre à ce que ces structures puissent être fonctionnelles sans qu’on les ait dotées des capacités adéquates les prédispose à l’échec En parallèle, la feuille de route attribue certaines responsabilités à ces mêmes organes dans l’espoir qu’ils soient déjà en mesure de relever les défis de la paix et de la sécurité en Afrique. S’attendre à ce qu’ils puissent être fonctionnels sans qu’on les ait dotés des capacités adéquates les prédispose à l’échec. Le financement de la mise en œuvre de la feuille de route pose un autre problème d’ordre opérationnel. Dans la plupart des cas, les États membres et les CER/MR sont censés financer leurs propres activités, tout comme la CUA, le CPS, le secrétariat du CPS et divers organes et instruments de l’UA. La contribution des États membres au Fonds pour la paix constitue-t-elle une contribution suffisante ? Ou bien s’engageront-ils à mobiliser des fonds et des ressources supplémentaires pour la mise en œuvre de la feuille de route ? Celle-ci dépend dans une large mesure de la collaboration et de la coordination entre l’UA et les CER/MR, mais les discussions officielles sur la répartition des tâches entre ces deux niveaux n’en sont qu’à leurs débuts. En outre, alors que la feuille de route présume du caractère indissociable de la gouvernance et des questions de paix et de sécurité, la structure et le fonctionnement de la CUA ont jusqu’ici abordé séparément les questions de politique et de gouvernance et celles de paix et de sécurité. L’ECOSOCC et les organisations de la société civile (OSC) ont également été incluses en tant que points focaux ou simples exécutants de certaines activités de la feuille de route. Cependant, l’ECOSOCC n’a jamais été pleinement opérationnel et l’UA n’a que très peu d’autres voies pour interagir avec les OSC.

Faire taire les armes LE THÈME DE L’ANNÉE 2020

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Quelles perspectives de révision pour la feuille de route ? Malgré ces nombreux défis, la réforme institutionnelle de l’UA, la relance de la coordination entre l’UA et ses CER/MR, ainsi que le choix du thème de l’année 2020 représentent autant d’invitations à procéder à une révision du plan d’action qui doit conduire l’Afrique sur le chemin de la paix et de la prospérité au-delà de l’horizon 2020. La première réunion de coordination semestrielle de l’UA et des CER/MR en juillet 2019 a tenté de clarifier davantage la répartition des tâches entre l’UA, les CER/MR et les États membres en ce qui concerne la formulation, l’adoption et l’application des politiques, ainsi que le suivi et l’évaluation des progrès de leur mise en œuvre. Il est prévu que des débats complémentaires aient lieu lors du prochain sommet de l’UA, en janvier 2020, et de la prochaine réunion de coordination.

Le Fonds de l’UA pour la paix n’a jamais disposé d’un financement aussi important de la part des États membres La fusion des départements Paix et Sécurité et Affaires politiques de l’UA — qui a été actée dans le cadre des réformes de l’UA — pourrait également renforcer les synergies entre l’AAPS et l’Architecture africaine de gouvernance, qui sont les deux principaux piliers de la feuille de route. Le processus de réforme se concentre également sur la revitalisation du Fonds de l’UA pour la paix, qui n’a jamais disposé d’un financement aussi important de la part des États membres. Ces sommes permettront la réalisation d’un plus grand nombre d’activités axées sur les questions de paix et de sécurité, dont certaines proviendront de la feuille de route.

Quelle suite à la campagne « Faire taire les armes » ? L’UA a créé une unité Faire taire les armes au sein du bureau du président. Cette unité, en collaboration avec diverses parties prenantes, a élaboré un plan d’action pour accélérer la mise en œuvre de la campagne, afin d’en hiérarchiser les actions et les interventions jusqu’à la fin de l’année 2020. Elle coordonnera les activités autour du thème de l’année, avec l’appui de S. E. M. Ramtane Lamamra, haut représentant de l’UA pour Faire taire les armes en Afrique.

Ramtane Lamamra HAUT REPRÉSENTANT POUR FAIRE TAIRE LES ARMES

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Dans le courant de la prochaine année, le CPS devrait, à titre de garant de la feuille de route, faire le point sur les réussites et les défis de son application par les diverses parties prenantes. Le projet de mécanisme de suivi et d’évaluation de la feuille de route, dont le CPS a confié la finalisation à la CUA, sera d’une aide précieuse à cet égard. Le suivi et l’évaluation de la mise en œuvre de la feuille de route devront être parachevés avant la fin de 2020, afin que le CPS puisse intégrer les leçons apprises et diriger la rédaction d’un plan d’action cohérent pour faire taire les armes en Afrique au-delà de 2020.

RAPPORT SUR LE CONSEIL DE PAIX ET DE SÉCURITÉ

Le commerce peut-il stabiliser la Corne de l’Afrique ? Le 7 juillet a vu le lancement de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) lors du sommet de l’Union africaine (UA) qui s’est déroulé dans la capitale du Niger, Niamey. La ZLECAf constitue désormais la plus vaste zone de libre-échange au monde, avec 1,2 milliard de personnes et un PIB cumulé de quelque 3,4 milliards de dollars US. Le président nigérien, Mahamadou Issoufou, a qualifié l’avènement de la ZLECAf de « plus grand événement historique pour le continent africain, depuis la création de l’Organisation de l’unité africaine en 1963 ». L’accord de la ZLECAf, signé par 54 des 55 États membres de l’UA et ratifié par 26 d’entre eux, vise à créer un marché continental unique pour les biens et services, à accélérer l’intégration régionale et continentale et à améliorer la compétitivité de l’industrie africaine. Pleinement mis en œuvre, l’accord pourrait produire plus que de simples dividendes économiques : il contribuerait également à la paix et à la sécurité en Afrique en renforçant l’interdépendance économique entre les États. Le mécanisme de règlement des différends prévu dans l’accord permettrait par ailleurs de résoudre à l’amiable les différends commerciaux entre pays africains.

Les défis en matière de paix et de sécurité L’application de l’accord se heurte cependant à des défis de taille, liés pour certains aux questions de paix et de sécurité. C’est dans la Corne de l’Afrique que ces obstacles sont les plus évidents. À l’exception de l’Érythrée, tous les pays de la Corne de l’Afrique ont signé l’accord. Néanmoins, sa mise en œuvre se heurte aux réalités de la géopolitique de la région, notamment la sécurisation des frontières, l’instabilité politique, le commerce et les flux financiers transfrontaliers illicites et le sous-développement des infrastructures et du capital humain. L’instabilité au sein des États représente sans doute le principal obstacle au commerce régional. La Somalie et le Soudan du Sud sont confrontés à des guerres civiles qui perdurent, tandis que le Soudan et l’Éthiopie connaissent depuis peu des turbulences liées à des réformes politiques. La sécurisation des frontières dans la Corne de l’Afrique constitue également un problème pour la

libre circulation des biens et des personnes telle que l’envisage la ZLECAf. Ainsi, la frontière entre l’Éthiopie et l’Érythrée, ouverte à la suite du rapprochement des deux pays en juillet 2018, a depuis été refermée. Des militaires sont déployés de part et d’autre de la frontière. De même, des troupes soudanaises sont stationnées depuis janvier 2018 le long de la frontière entre l’Érythrée et le Soudan. Le lieutenant-général Mohammed Hamdan Dagalo, vice-président du Conseil militaire de transition du Soudan, et le président érythréen Isaias Afwerki ont déclaré lors d’une réunion, le 2 juillet dernier, que la frontière serait rouverte, mais les échanges commerciaux n’ont pas encore officiellement repris.

L’instabilité au sein des États représente sans doute le principal obstacle au commerce régional La frontière entre l’Érythrée et Djibouti est également fermée depuis 2008 à la suite d’un différend frontalier entre les deux pays. Bien que leurs dirigeants se soient brièvement rencontrés en septembre 2018 et qu’ils aient promis une reprise des échanges commerciaux, celle-ci semble peu probable à court terme. La sécurité le long de la frontière entre l’Éthiopie et la Somalie reste précaire en raison de la menace alShabaab. Le Soudan et le Soudan du Sud connaissent également un désaccord territorial au sujet de leur zone frontalière particulièrement riche en pétrole, notamment la région d’Abyei.

Le commerce illicite L’autre défi auquel est confrontée la ZLECAf est la prolifération du commerce illicite dans la région, principalement en raison de la porosité des frontières

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et d’un manque de coordination de la sécurité frontalière. Les zones frontalières entre l’Éthiopie et le Kenya, Djibouti et la Somalie sont le théâtre de razzias de bétail et de leur commerce illicite. D’autres produits d’exportation de valeur, tels que l’or, le khat, le charbon de bois et le sucre, sont également commercialisés illégalement le long de ces frontières. Les recettes engrangées servent parfois à financer des groupes armés. Le trafic d’armes légères et de petit calibre est très répandu le long de la frontière entre l’Éthiopie et le Soudan. La contrebande à grande échelle sape les échanges commerciaux transfrontaliers légitimes et menace tout particulièrement la sécurité des petits et moyens commerçants. Les flux financiers illicites et le blanchiment d’argent, la rétention de sommes considérables d’argent liquide du fait de la spéculation, la contrefaçon de billets de banque et l’existence d’un marché noir florissant pour les devises étrangères constituent autant d’autres problèmes dans cette région. Ces activités sont la plupart du temps liées à la traite des personnes, aux trafics de marchandises, au financement de groupes insurrectionnels et à la corruption à grande échelle. Pour les contrer, l’Érythrée a changé soudainement de monnaie en 2015, tandis que l’Éthiopie a adopté une réglementation stricte et introduit la confiscation des devises étrangères en 2018.

Le commerce peut contribuer à pacifier la région Conscient de ces difficultés, le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, a déclaré à Niamey qu’il serait « illusoire de parler de commerce et de développement sans paix ni sécurité ». Bien qu’elle soit fondée, cette déclaration ne présente qu’un aspect de la relation entre commerce et paix. Cette relation est en effet soumise au dilemme de « l’œuf et la poule » : si la paix est bel et bien nécessaire pour stimuler le commerce, le commerce est également un élément essentiel dans le processus de rétablissement et de pérennisation de la paix. Grâce aux processus de mise en œuvre de la ZLECAf, les pays de la Corne de l’Afrique pourraient instaurer

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les conditions d’une cohabitation pacifique dans la région. Les relations entre l’Éthiopie et Djibouti en sont un bon exemple. Les deux pays ont investi plus de 15 milliards de dollars US pour améliorer leur connectivité routière et ferroviaire. L’Éthiopie fait transiter 95 % de son commerce extérieur par les ports djiboutiens, d’où les investissements considérables qu’Addis Abeba y a réalisés. Les échanges commerciaux de Djibouti avec l’Éthiopie représentent quant à eux plus de 80 % du PIB de ce petit pays, y compris les importations d’électricité et d’eau.

Les pays de la Corne de l’Afrique pourraient instaurer les conditions d’une cohabitation pacifique Cette interdépendance inciterait les deux pays à régler à l’amiable leurs éventuels différends diplomatiques ou commerciaux. Aucun des deux ne s’est jamais engagé dans des relations à somme nulle ni dans des guerres par procuration en soutenant des groupes d’opposition armés pour déstabiliser l’autre. Ces guerres par procuration — qui ont par moment caractérisé les relations des pays de la Corne de l’Afrique, notamment celles entre l’Érythrée et l’Éthiopie — ont, par le passé, été une source majeure d’instabilité dans cette région. Djibouti et l’Éthiopie ont également consenti d’importants investissements pour sécuriser les routes et les infrastructures commerciales, rationaliser leurs procédures douanières, leurs cadres juridiques et réglementaires et créer un poste frontière unique. La région est en mesure d’appliquer efficacement la ZLECAf et d’en récolter les dividendes en termes de paix et de sécurité. Les éventuels litiges commerciaux qui surviendraient entre les pays de la Corne de l’Afrique au cours de ce processus pourraient être résolus grâce au mécanisme de règlement des différends. Les responsables de ce mécanisme doivent être conscients des défis à relever ainsi que de la spécificité des dynamiques de paix et de sécurité dans la région. Il est essentiel de rappeler que l’une des causes de la guerre qui avait opposé l’Érythrée et l’Éthiopie, laquelle demeure l’une des plus dévastatrices qu’ait connue la Corne de l’Afrique, concernait justement leurs relations commerciales.

Gambie : un processus de démocratisation qui demeure fragile Au cours de la dernière semaine de juillet, le Conseil de paix et de sécurité (CPS) doit effectuer une visite de terrain en Gambie afin de suivre les progrès réalisés depuis la destitution de l’ancien président Yahya Jammeh en janvier 2017. La chute du président gambien à la suite des élections de décembre 2016 avait suscité beaucoup d’espoir au sein de la population et la communauté internationale. Il semblait alors plus difficile d’assurer une transition démocratique pacifique que de panser les plaies causées par 22 années de régime autoritaire. Pourtant, près de trois ans après avoir connu sa première alternance démocratique, la Gambie est confrontée à de nombreux défis qui fragilisent le processus de démocratisation entamé depuis janvier 2017. En effet, en dépit des réformes démocratiques initiées par le gouvernement du président Adama Burrow, des fractures sociopolitiques persistent qui ralentissent la mise en œuvre des initiatives et des réformes définies dans le Plan national de développement (PND).

Des fractures sociopolitiques persistent qui ralentissent la mise en œuvre des initiatives et des réformes définies dans le Plan national de développement Lancé en février 2018 par les nouvelles autorités, le PND a été élaboré à l’issue de consultations avec des membres du gouvernement, des organisations de la société civile, du secteur privé et plusieurs partenaires internationaux. Il a pour objectif d’assurer la bonne gouvernance, de revitaliser l’économie, de garantir la cohésion sociale et la réconciliation nationale. Dans cette optique, différentes initiatives et réformes parmi lesquelles un processus de justice transitionnelle, une réforme du secteur de la sécurité ainsi que la révision de la Constitution ont été initiés.

Une justice transitionnelle qui divise Le processus de justice transitionnelle, qui a débuté en janvier avec les auditions de la Commission vérité, réconciliation et réparations (CVRR) est crucial pour l’unité nationale et la consolidation de la démocratie. Installée officiellement en octobre 2018 pour un mandat de deux ans, la Commission a pour mission d’enquêter et d’enregistrer les témoignages de violations des droits humains perpétrées durant les 22 années du régime de Jammeh et de formuler des recommandations. Alors que la Commission a entamé sa cinquième session le 10 juin dernier, le processus n’a toujours pas reçu l’adhésion de l’Alliance patriotique pour

22 années DURÉE DU RÉGIME DE YAHYA JAMMEH

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la réorientation et la construction (APRC) de l’ancien président Jammeh et certains de ses anciens collaborateurs. Celui-ci est en effet perçu comme un instrument qui permettrait aux autorités de lancer une « chasse aux sorcières » à leur encontre. Si plusieurs hauts responsables du parti et militaires de haut rang ont accepté de témoigner devant la Commission, le refus de l’ancien membre de la junte militaire accusé d’exactions, Yankuba Turay, de témoigner devant la Commission montre bien les résistances auxquelles le processus de justice transitionnelle fait face. Par ailleurs, les procédures de la Commission sont de plus en plus décriées depuis l’arrestation de Turay pour le meurtre de l’ancien ministre Ousman Koro Ceesay alors que les auditions sont toujours en cours.

Si le pays s’est doté pour la première fois d’une politique de sécurité nationale, la mise en œuvre effective de la RSS connaît une avancée timide De plus, les révélations très médiatisées de Gambiennes accusant le président Jammeh de viols et agressions sexuelles à l’issue d’une enquête des ONG Human Rights Watch et Trial exercent une pression supplémentaire sur la Commission, celle de faire la lumière sur les violences sexuelles commises sous l’ancien régime. Ces allégations, démenties par l’APRC, sont perçues comme une campagne de diffamation et de diabolisation du parti, ce qui contribue à renforcer le sentiment de justice sélective.

Une réforme du secteur de la sécurité délicate La réforme du secteur de la sécurité (RSS) est un autre aspect clé du processus de stabilisation de la Gambie. Le programme est entrepris depuis septembre 2017 avec comme objectif de créer un secteur de la sécurité efficace, professionnel et responsable. Il a été établi en coordination avec la Mission de la CEDEAO en Gambie (ECOMIG), l’Union africaine (UA) et les Nations unies (ONU) qui sont toutes membres du comité de pilotage de la réforme. Si le pays s’est doté pour la première fois d’une politique de sécurité nationale, la mise en œuvre effective de la RSS connaît une avancée timide.

6 500 hommes EFFECTIFS DE L’ARMÉE GAMBIENNE

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Cela est dû à deux facteurs. Premièrement, un rapport de l’évaluation du secteur de la sécurité, conduit en 2017 par les Nations unies, a non seulement révélé plusieurs défaillances à corriger telles que le manque de formation, la politisation de l’armée et un cadre légal flou, mais a aussi souligné la nécessité de réduire la taille des services, en particulier de l’armée. Cette réduction des effectifs préconisée par les partenaires demeure une question délicate. L’armée gambienne, estimée à 6 500 hommes, est constituée en majorité de membres de la communauté diola, à laquelle appartient l’ancien président Jammeh. Il convient de rappeler que pendant ses 22 années au pouvoir, Yahya Jammeh a promu plusieurs officiers militaires, sur la base non pas de leurs compétences, mais de leur loyauté.

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Les militaires issus de la communauté diola redoutent ainsi d’être visés par la réduction de l’effectif de l’armée recommandée par les partenaires engagés. Deuxièmement, le fait que certains militaires accusés de violations des droits humains sous le régime de Jammeh soient toujours en fonction constitue un autre frein au processus. Leur maintien dans l’armée provoque un malaise au sein des troupes et place le gouvernement de la Gambie devant un dilemme. Le refus de collaborer de certains d’entre eux avec la Commission risque non seulement de compromettre le processus de justice transitionnelle, mais aussi de rendre plus difficile la mise en œuvre de la RSS.

Un climat politique tendu Les rivalités entre les deux principales figures politiques du pays, le président Adama Barrow et Ousainou Darboe, le dirigeant du Parti démocratique unifié (UDP), avec en toile de fond la présidentielle de 2021 continuent d’attiser la tension dans le pays. La volonté du président Barrow de briguer un second mandat à la fin de son quinquennat serait à l’origine des crispations au sein de la coalition, et en particulier avec Ousainou Darboe à qui il est également prêté des ambitions présidentielles. Les limogeages de Darboe du poste de vice-président ainsi que de deux ministres de l’UDP du gouvernement ont matérialisé la rupture de Barrow avec son ancien parti. Il est cependant soupçonné de vouloir transformer en parti politique le Barrow Youth for National Development, un mouvement de jeunesse créé au sein de l’UDP, et d’en faire une rampe de lancement pour sa candidature à la prochaine élection présidentielle. L’Accord de 2016 entre sept partis de l’opposition, qui prévoit une période transitionnelle de trois ans, divise les membres de la coalition qui a porté la candidature de Barrow à l’élection présidentielle de 2016. Barrow s’appuie sur la Constitution pour justifier son maintien à la tête de la Gambie jusqu’en 2021, tandis que certains membres de la coalition exigent le respect de l’Accord qui prévoit l’organisation d’une élection présidentielle en décembre 2019.

La nécessité de l’accompagnement de la communauté internationale Afin de calmer les tensions au sein de la classe politique, un consensus sur la durée de la transition doit être trouvé. Pour ce faire, l’UA devrait encourager les acteurs politiques à poursuivre le dialogue, car c’est seulement dans un contexte politique pacifié avec une cohésion nationale renforcée que la Gambie pourra mettre en œuvre les réformes indispensables à sa stabilité et relancer véritablement son économie. La Gambie se situe à une étape cruciale de son processus de transition. Plus de deux ans après le départ de Jammeh le processus de démocratisation initié reste fragile. L’implication de la société civile et du gouvernement dans la sensibilisation des populations sur les enjeux de la démocratie et sur le dialogue intercommunautaire ainsi que des efforts d’inclusion de toutes les communautés pourraient favoriser une transition efficace et une réconciliation apaisée.

2021 ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES EN GAMBIE

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Algérie : et maintenant, que faire ? Vendredi 19 juillet 2019, Algérie. Une fois de plus, comme chaque vendredi depuis 22 semaines, les manifestants battent le pavé des villes du pays. Ils constituent un échantillon représentatif de la population algérienne : on y trouve des jeunes et des moins jeunes, des hommes et des femmes, des employés de bureau et des ouvriers. Tous défilent dans le calme, certains couverts du drapeau algérien, appelant à la démocratie et au respect des droits civiques. Ces manifestations ont produit bien plus de résultats que ce à quoi s’attendaient de nombreux observateurs. Abdelaziz Bouteflika, le président usé dont l’annonce de la candidature pour un nouveau mandat a déclenché les protestations, n’est plus au pouvoir. Les politiciens et les hommes d’affaires qui lui étaient proches font l’objet d’enquêtes quand ils ne sont pas tout simplement derrière les barreaux. La longévité, le dynamisme et le caractère pacifique des manifestations constituent en soi une réussite et témoignent du soutien résolu de nombreux Algériens en faveur de la refonte d’un système politique profondément impopulaire.

Ces manifestations ont produit bien plus de résultats que ce à quoi s’attendaient de nombreux observateurs Malgré ces succès, l’incertitude politique en Algérie est loin d’être dissipée. Loin d’apaiser l’opinion, les actions symboliques entreprises par le gouvernement, comme les arrestations d’anciens responsables du régime ou d’hommes d’affaires peu appréciés, n’ont fait que renforcer les exigences des Algériens pour des changements plus radicaux.

Une situation de blocage qui se dégrade Les manifestants exigent que le pouvoir soit débarrassé de tout vestige de l’ancien régime et en particulier du président par intérim Abdelkader Bensalah et du premier ministre Noureddine Bedoui. Leur rejet par les manifestants et la préconisation par le gouvernement d’un processus de transition plus large ont conduit à l’annulation des élections prévues pour le 4 juillet. Le 9 juillet, le mandat du gouvernement intérimaire a expiré, créant de facto un

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vide constitutionnel, même si le gouvernement intérimaire reste aux commandes. Malgré la mise en place d’un forum de dialogue national, la suite des événements reste floue. Cette incertitude est exacerbée par l’impasse dans laquelle se trouvent les relations entre le mouvement de protestation et le gouvernement. La police durcit le ton et interpelle de plus en plus de manifestants et de dissidents. Le chef d’état-major de l’armée algérienne, le général Ahmed Gaïd Salah, est considéré par beaucoup comme étant celui qui possède actuellement le pouvoir de décision. Ses déclarations condamnent avec une fermeté croissante tous ceux qui dénoncent les projets de transition du gouvernement. Des obstacles à l’émergence d’une solution consensuelle face à l’impasse politique subsistent toutefois des deux côtés.

Aucune personnalité à même de rassembler les manifestants Au sein du mouvement, le leadership formel reste diffus et aucune idéologie ne prédomine. Au départ, ces particularités constituaient l’une des plus grandes forces des manifestants. Ainsi, le gouvernement n’a pas été en mesure d’arrêter les dirigeants du mouvement pour mettre fin aux manifestations. Et l’absence d’idées forces autre que le rejet de la candidature de Bouteflika pour un autre mandat a permis l’émergence d’une large coalition populaire. Mais l’absence de dirigeants constitue désormais une faiblesse. Il est en effet difficile pour le gouvernement de négocier avec les manifestants et de mettre en place un processus qui permettrait de traduire les revendications de la rue en propositions politiques concrètes. Pour que des négociations constructives avec le gouvernement puissent débuter, le leadership doit être renforcé.

Il est essentiel qu’une fois renforcé, ce leadership vise autant à trouver un consensus qui transcende les différences de classe, de sexe et d’appartenance régionale au sein même du mouvement de protestation qu’à négocier avec le gouvernement.

Les intérêts particuliers La recherche d’un processus de négociation est également gênée par la présence de factions au sein du gouvernement et, plus important encore, au sein des forces armées. L’institution militaire a joué, le plus souvent en coulisse, un rôle déterminant dans les choix politiques du pays depuis l’indépendance. Cependant, l’armée n’est pas neutre concernant la transition politique puisqu’elle est profondément ancrée dans l’ancien régime. Cet ancrage est en partie institutionnel, avec la multiplication par cinq du budget de la défense pendant les années Bouteflika. Les hauts responsables de l’armée, qu’ils soient en activité ou à la retraite, sont également investis sur un plan personnel dans le système et bon nombre d’entre eux mettent à profit leurs années de service pour se consacrer à de lucratives opportunités d’affaires.

Le leadership doit permettre un consensus qui transcende les différences de classe, de sexe et d’appartenance régionale Les intérêts institutionnels et personnels de l’armée dans la préservation du statu quo compliquent grandement les négociations. Les officiers supérieurs sans lesquels aucun accord n’est possible sont justement ceux dont les intérêts seront les plus affectés par d’importants changements.

Des forces armées divisées Le manque de cohésion de l’armée complique encore davantage le processus décisionnel des autorités. Elle compte dans ses rangs différents centres de pouvoir et différentes factions. Les purges qui ont touché les officiers supérieurs vers le milieu et la fin 2018, puis de nouveau en juillet 2019, ont mis en évidence ces divisions et ont probablement alimenté les tensions au sein de l’armée. Des dissensions existent également entre les officiers supérieurs et leurs officiers subalternes, qui bénéficient moins du système en place et sont donc plus ouverts aux demandes de changement des manifestants. Ces clivages au sein de l’armée limitent le choix des concessions que Salah et d’autres officiers supérieurs pourraient consentir. Un trop grand nombre de concessions ou quelques compromis sur certains points clés pourraient les pousser vers la sortie. Il est d’ailleurs possible que la posture de plus en plus belliqueuse de Salah vise en partie à conforter ses propres appuis dans les rangs de l’armée.

9 juillet 2019 EXPIRATION DU MANDAT DU GOUVERNEMENT

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Le processus de transition dépendra de la capacité des manifestants et du gouvernement, principalement les militaires, à faire fi de leurs intérêts, à surmonter leurs contraintes internes et à trouver un consensus. L’issue de ce processus sera toutefois également influencée par d’autres facteurs, notamment la situation économique du pays et le niveau d’activité des groupes terroristes.

Les difficultés économiques L’économie algérienne, qui dépend fortement des exportations de pétrole, s’est considérablement dégradée au cours des dernières années. Toute détérioration supplémentaire — ou la simple perception populaire d’une telle détérioration — engendrerait des risques pour les deux parties. Le gouvernement est évidemment le plus exposé, une dégradation de la conjoncture économique pouvant exacerber les frustrations et les griefs des Algériens et renforcer le soutien apporté aux manifestants. Cependant, ces derniers ne sont pas non plus à l’abri, notamment si le gouvernement cherche à attribuer les difficultés économiques à leur intransigeance. Dans le cas peu probable d’une amélioration économique, la position du gouvernement intérimaire se trouverait probablement renforcée. Bénéficiant de plus de revenus, le gouvernement pourrait renouer avec les programmes sociaux mis en place vers la moitié de l’ère Bouteflika, ce qui dissiperait les principales frustrations des Algériens.

La menace terroriste De même, les activités terroristes pourraient peser de manière significative sur le processus de transition. Al-Qaïda au Maghreb islamique continue d’opérer dans le Centre-Nord et le Nord-Est du pays. Bien que les capacités du groupe aient décliné, les attentatssuicides qui ont touché les centres urbains en 2017 prouvent qu’il constitue toujours une réelle menace. À l’heure actuelle, le danger n’est pas de voir les terroristes s’implanter de nouveau en Algérie, mais plutôt de les voir faire avorter un processus de transition déjà bien précaire. Une ou deux attaques meurtrières ou fortement médiatisées pourraient

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avoir un impact décisif sur les attitudes et les choix des manifestants, de l’armée ou de la société en général. L’Algérie traverse une période d’incertitude politique, ce qui représente à la fois une opportunité et un défi. Avec le départ de Bouteflika et le déclin de la génération qui a lutté pour l’indépendance, le pays entre dans une nouvelle ère.

La prudence des acteurs étrangers Si les autres pays observent avec un intérêt évident l’évolution du processus de transition politique de l’Algérie, ils doivent aussi reconnaître n’avoir qu’un rôle productif limité à jouer. La possibilité d’une médiation étrangère est faible : il est peu probable que le gouvernement soit disposé à accepter un tel appui, et les manifestants s’exposeraient à un danger bien réel en réclamant ce type de soutien. Cela ne signifie pas pour autant que les acteurs étrangers n’ont aucun rôle à jouer. Ils peuvent exercer des pressions diplomatiques, publiques ou non, en faveur d’un processus de transition inclusif et pacifique qui soit axé sur la recherche d’un consensus social autour des prochaines étapes politiques.

La possibilité d’une médiation étrangère est faible, car il est peu probable que le gouvernement soit disposé à accepter un tel appui Au début du mouvement de protestation, l’Union africaine (UA) avait adopté une telle approche. Le président de la Commission, Moussa Faki Mahamat, avait alors affirmé son soutien au processus plutôt qu’à une issue spécifique. Afin de soutenir au mieux le processus de transition, l’UA, l’Union européenne et les États voisins devraient se contenter de ce type de messages et de pressions diplomatiques. Le caractère inclusif et pacifique du mouvement, tout comme la ténacité des manifestants, sont autant de signes porteurs d’espoir pour l’avenir de l’Algérie. Afin de surmonter l’incertitude politique qui prévaut, les manifestants et le gouvernement devront faire preuve d’un grand courage et d’une patience stratégique. Toutefois, si l’on se fie aux événements des cinq derniers mois, les chances de succès sont bien réelles.

« Je ne suis pas une case que l’on coche », déclare l’envoyée spéciale de l’UA pour la jeunesse L’UA a nommé l’année dernière sa première envoyée spéciale pour la jeunesse, une fonction qui devrait avoir une incidence sur l’Agenda de l’organisation panafricaine pour la jeunesse, la paix et la sécurité. Le Rapport sur le CPS s’entretient avec Aya Chebbi pour lui demander comment elle pense outiller les jeunes pour les aider à prendre part à l’objectif de faire taire les armes en Afrique, au cours des deux années que durera son mandat. Vous avez participé au printemps arabe dans votre pays d’origine, la Tunisie. Que pensez-vous du niveau d’inclusion des jeunes dans les processus de gouvernance et de paix en Afrique ? En un mot, les jeunes doivent être impliqués dans la gouvernance. Nous ne devons pas nous contenter d’avoir des gouvernements, nous devons avoir des gouvernements jeunes. Les jeunes ne devraient pas seulement être présents à la table des négociations : ils devraient également occuper des postes décisionnels clés pour que les exclus du processus puissent élaborer des stratégies avec eux et faire entendre leurs revendications. La gouvernance, pour moi, c’est, premièrement, le pouvoir des gens et la participation des citoyens. Deuxièmement, c’est une grande table représentative de la jeunesse, c’est-à-dire autour de laquelle est assise une population diverse et non homogène. Troisièmement, ce sont des jeunes qui occupent des postes clés — et pas seulement des postes de direction. On devrait par exemple retrouver des jeunes à des postes de députés, de ministres, de maires, de présidents et de présidents directeurs généraux d’entreprises. On devrait les voir à la tête des partis politiques et non pas à la marge ou uniquement dans leur section jeunesse. Un bon début serait donc d’avoir des jeunes à la fois à des postes décisionnels clés et à des postes de direction. Selon moi, la gouvernance se situe à différents niveaux et l’on doit travailler sur chacun d’eux. Même au cours de la révolution tunisienne, nous nous disions : « Pour diriger le pays, nous devons nous présenter aux élections, notamment aux législatives, et nous devons faire ci et faire ça ». Mais nous avons pris conscience que cet espace avait été accaparé. Nous avons donc décidé de bâtir une société civile forte et résiliente. Nous avons constitué des groupes de plaidoyer. Des représentants de ces groupes se sont retrouvés à

l’assemblée constituante et, finalement, ce sont eux qui ont rédigé la Constitution pour les membres de cette assemblée. Nous avons dû faire pression sur plusieurs fronts. En fin de compte, c’est nous qui avons rédigé la Constitution. Je pense que c’est cela, le premier niveau de gouvernance : le pouvoir des gens.

Les jeunes ne devraient pas seulement être présents à la table des négociations : ils devraient également occuper des postes décisionnels clés Le deuxième niveau de gouvernance, ce sont les jeunes qui occupent des postes de direction. La jeunesse doit avoir son mot à dire dans les processus décisionnels. Au cours des cinq dernières années, nous avons ouvert la voie au plaidoyer concernant l’inclusion des jeunes dans ces processus et nous constatons que leur présence augmente. Mais, si l’on y regarde de plus près, on se rend compte que ce n’est pas suffisant, car seuls les jeunes issus de la classe des élites sont représentés. Les jeunes réfugiés, migrants et handicapés, notamment, sont encore exclus... On a coché la case « Jeunes », et c’est tout. Comment comptez-vous soutenir ou compléter le programme Jeunesse africaine pour la paix (Youth4Peace) de l’UA ? Ce que mon conseil consultatif et moi-même essayons de faire, c’est d’abord d’analyser les initiatives qui existent déjà concernant les jeunes au sein de la commission et d’en déceler les éventuelles insuffisances. Nous devons voir comment nous pouvons promouvoir ces initiatives, mais aussi comment nous pouvons apporter notre aide pour les améliorer. Je travaille en étroite collaboration

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avec l’ambassadeur Fred Ngoga Gateretse, chef de la Division prévention des conflits et alerte précoce, et avec son incroyable équipe Youth4Peace. Nous bénéficions du réel soutien de S.E. Smaïl Chergui, Commissaire à la paix et à la sécurité. Je l’ai rencontré récemment et nous avons discuté de l’aide dont ont besoin les jeunes en situation de conflit et les jeunes déplacés. Nous travaillons également en étroite collaboration avec Madame Aïssatou Hayatou, directrice des opérations pour la campagne « Faire taire les armes », au sein même de l’équipe du président. Nous devons faire entendre à ces responsables notre propre voix et, en même temps, nous devons les aider à promouvoir le travail qu’ils réalisent au bénéfice des jeunes. Que pensez-vous des efforts entrepris jusqu’ici par l’UA pour tenter de faire taire les armes sur le continent africain ? Je pense que des efforts sont déployés sur différents fronts. Lorsque l’on parle de faire taire les armes d’ici 2020, c’est-à-dire d’ici l’année prochaine, il ne s’agit pas vraiment d’une date-butoir. Il s’agit plutôt de nous interroger sur notre non-violence, tant dans nos gestes que dans nos esprits, et sur la viabilité d’une telle attitude. Je pense que l’un des obstacles, depuis la perspective qui est la mienne, c’est le faible niveau de participation des jeunes à ces initiatives qui ne sont pas construites de façon participative. Ces efforts apportent-ils, au niveau de l’UA, une réponse aux besoins réels et actuels de la jeunesse ? La question reste entière. Avec le Conseil consultatif de la jeunesse, nous cherchons à influencer certains processus et certaines décisions politiques et à formuler des recommandations. Je pense que mon rôle premier est de veiller à ce que les jeunes disposent d’un espace permanent où ils puissent s’exprimer et apporter leur contribution, et m’assurer que cet espace est utilisé. Par exemple, je travaille actuellement à l’organisation de tables rondes avec des jeunes sur les transitions politiques non violentes. Ce projet doit réunir des jeunes du Soudan, de l’Algérie et d’autres pays qui ont connu une transition politique depuis 2011 comme la Tunisie, la Gambie et le Zimbabwe, afin qu’ils puissent partager expériences et meilleures pratiques. Mon objectif est d’organiser une table ronde par mois.

Tunisie Gambie Zimbabwe

PAYS AYANT CONNU UNE TRANSITION POLITIQUE

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J’espère aussi que nous pourrons tenir des tables rondes régionales avec les CER [communautés économiques régionales] et que nous aurons l’occasion de dire au Conseil de paix et de sécurité de l’UA : « Vous savez quoi ? Voici ce que les jeunes ont à dire à propos de ce qui se passe dans leur pays. Cela pourrait peut-être vous aider dans vos prises de décision parce qu’ils ont une perspective différente et parce que, finalement, ce sont eux qui sont les moteurs d’un changement pacifique et positif dans leur pays. » Beaucoup de jeunes sont difficiles à rejoindre, surtout lorsqu’ils sont dans des zones touchées par un conflit. Comment pensez-vous résoudre ce problème ? Nous travaillons à faire connaître les plates-formes de jeunes déjà fonctionnelles sur le continent. En Afrique, l’on recense de nombreux

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mouvements dotés de mandats similaires dans le domaine de la jeunesse, de la paix et de la sécurité. La plupart d’entre eux ne sont peut-être pas présents sur la toile et les personnes avec lesquelles ils travaillent n’ont parfois pas non plus accès à Internet. Nous essayons donc justement de nous déconnecter, de parler aux jeunes sur le terrain et de soutenir les centres, les associations et les clubs dédiés aux jeunes. Il s’agit-là, selon moi, d’un autre niveau de gouvernance : celui de la mobilisation. Par exemple, si l’une de nos initiatives ou l’un de nos événements est annoncé en ligne, nous pourrions demander aux jeunes qui souhaitent y participer de venir accompagnés d’un ami qui n’a pas accès à Internet, ou encore de filmer un autre jeune qui ne parle pas leur langue et qui n’a pas Internet mais qui aurait un message à transmettre.

Nous essayons de nous déconnecter d’Internet et de parler aux jeunes sur le terrain Les solutions créatives à explorer ne manquent pas. Il suffit d’un peu de volonté. Puis il faut passer à l’action parce que c’est bien beau d’avoir de grandes idées, mais ce qui compte, c’est de créer des espaces inclusifs. Tout récemment, mon Conseil et moi discutions de la façon d’être plus présents sur le terrain. Et nous avons parlé de la toute première conférence TEDx (TEDx Kakuma Camp) à s’être déroulée dans un camp de réfugiés, au Kenya. Il s’agit d’un excellent exemple d’une initiative qui vise à rencontrer les jeunes là où ils se trouvent, à leur présenter des idées novatrices et à s’assurer de leur participation. Le Conseil de paix et de sécurité a souligné la nécessité de voir les jeunes ambassadeurs de paix de l’UA vous soutenir dans vos tâches. Quelles sont vos attentes à l’égard de ces cinq personnalités lorsqu’elles se mettront au travail ? Je suis très enthousiaste face à cette initiative. D’après moi, toute tribune offerte aux jeunes est une excellente chose. Reste à voir l’identité de ces ambassadeurs. Les gens disent : « Mettons sur pied une nouvelle structure pour que tout le monde puisse avoir son mot à dire ». Mais quelles voix entendra-t-on ? La voix des personnes touchées par un conflit ? Celle des réfugiés ? Des migrants ? Il faudrait que les cinq ambassadeurs aient déjà été confrontés à de réelles difficultés et qu’ils les aient surmontées afin qu’ils puissent être porteurs d’espoir pour d’autres jeunes. Un « ambassadeur » doit être une source d’inspiration. Quand, en tant qu’ambassadeur, vous vous rendez dans des camps de réfugiés et que vous parlez aux jeunes, le message que vous leur transmettez est le suivant : « Gardez espoir : vous vous en sortirez, car vous êtes formidables et vous avez du talent. Vous allez vous tirer de cette situation ». C’est ce dont nous avons besoin pour faire en sorte que le processus soit inclusif. Ainsi, grâce à cette initiative, nous pourrons être connectés avec le plus grand nombre possible de jeunes, et pas seulement sur Internet.

“VOUS DEVEZ ÊTRE UNE SOURCE D’INSPIRATION”

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INSTITUT D’ÉTUDES DE SÉCURITÉ

À propos du Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité  Le Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité analyse les évolutions et les décisions du Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’Union africaine. Cette publication mensuelle est la seule à offrir une analyse sur l’actualité des travaux du CPS. Le rapport est rédigé par une équipe d’analystes de l’ISS basée à Addis Abeba.

À propos de l’ISS L’Institut d’études de sécurité (ISS) établit des partenariats pour consolider les savoirs et les compétences en vue d’un meilleur futur pour l’Afrique. L’ISS est une organisation africaine nonlucrative dont les bureaux sont situés en Afrique du Sud, au Kenya, en Éthiopie et au Sénégal. Grâce à ses réseaux et à son influence, l’ISS propose aux gouvernements et à la société civile des analyses pertinentes et fiables, ainsi que des formations pratiques et une assistance technique.

Les personnes qui ont contribué à ce numéro Mohamed Diatta, chercheur, ISS Addis Abeba Liesl Louw-Vaudran, consultante principale de recherche, ISS Andrews Attah-Asamoah, attaché principal de recherche, ISS Shewit Woldemichael, chercheuse, ISS Addis Abeba Maurice Toupane, chercheur, ISS Dakar Muneinazvo Kujeke, chercheuse junior, ISS Pretoria Matt Herbert, consultant principal de recherche, ISS Senai W Andemariam, professeur assistant, Faculté de droit, Université d’Asmara, Erythrée Damien Larramendy, traducteur

Contact Liesl Louw-Vaudran Consultante pour le Rapport sur le CPS ISS Pretoria Courriel: [email protected]

Les bailleurs de fonds

Ce rapport est publié grâce au soutien de la Fondation Hanns Seidel et des gouvernements des Pays-Bas et du Danemark. L’ISS souhaite également remercier les membres suivants de son Forum des partenaires pour leur appui : l’Union européenne, la Fondation Hanns Seidel et les gouvernements de l’Australie, du Canada, du Danemark, de la Finlande, de l’Irlande, des Pays-Bas, de la Norvège, de la Suède et des États-Unis. © 2019, Institut d’études de sécurité Les droits des auteurs de l’ensemble de ce volume appartiennent à l’Institut d’études de sécurité et à ses auteurs, et aucune partie ne peut être reproduite, en tout ou en partie, sans l’autorisation expresse, par écrit, des auteurs et des éditeurs. Les opinions exprimées ne reflètent pas nécessairement celles de l’Institut, de ses fiduciaires, des membres du Conseil consultatif ou des donateurs. Les auteurs contribuent aux publications de l’ISS à titre personnel.