Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité 114

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INSTITUT D’ÉTUDES DE SÉCURITÉ

NUMÉRO 114 | JUIN 2019

Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité

Le libre-échange va-t-il changer la donne pour l’économie africaine ? Suspension du Soudan des instances de l’UA : les dangers à venir pour Khartoum La médiocrité des processus électoraux en Afrique dénote-t-elle un recul démocratique ? Examen des opérations de soutien à la paix de l’UA  Les relations UA-ONU à l’honneur en vue de la prochaine réunion entre le CPS et le Conseil de sécurité de l’ONU Entretien: « La voix de l’UA dans la région des Grands Lacs reste déterminante »

Sommet de l’UA : Le libre-échange va-t-il changer la donne pour l’économie africaine ? Le 7 juillet 2019, les chefs d’État africains se réuniront à Niamey, au Niger, pour un sommet extraordinaire qui sera marqué par le lancement de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf). Si les experts s’entendent sur le fait que la ZLECAf se mettra en branle lentement, ils affirment qu’elle pourrait stimuler la croissance économique plus que tout autre facteur. L’ambitieux projet de la ZLECAf, qui est techniquement entré en vigueur le 30 mai 2019, pourrait bien changer la donne pour l’Afrique, victime jusqu’ici d’une certaine morosité économique. Conduit, entre autres, par le président rwandais Paul Kagame, le processus pourrait bien battre tous les records africains de rapidité. En effet, ce n’est qu’au mois de mars 2018 que les États membres de l’Union africaine (UA) ont lancé les négociations pour créer cet immense marché de 1,2 milliard de personnes doté d’un PIB combiné de plus de 3,4 milliards de dollars. Jakkie Cilliers, directeur du projet Futurs de l’Afrique et Innovations de l’Institut d’études de sécurité, estime que si la ZLECAf est mise en œuvre de manière appropriée, elle contribuera sur le long terme à la croissance économique et à la réduction de l’extrême pauvreté sur le continent plus que tout autre facteur.

Président actuel du CPS Son Excellence Monsieur Brima Patrick Kapuwa, ambassadeur de la Sierra Leone en Ethiopie et représentant permanent auprès de l’UA.

Les membres actuels du CPS sont l’Algérie, l’Angola, Djibouti, le Gabon, la Guinée Equatoriale, le Kenya, le Lesotho, le Liberia, le Maroc, le Nigeria, la République du Congo, le Rwanda, la Sierra Leone, le Togo et le Zimbabwe

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Dans un ouvrage à paraître sur l’avenir de l’Afrique, Jakkie Cilliers rend compte des résultats des projections obtenues à l’aide du logiciel International Futures sur les impacts anticipés de 11 grandes transitions : l’aide sociale, la dynamisation de l’éducation, la paix, la quatrième vague de démocratisation, l’amélioration de la santé, l’aide extérieure, les dividendes démographiques (un accroissement opportun du nombre de personnes en âge de travailler), l’essor de la production locale, la révolution agricole africaine qui laissera de côté les technologies obsolètes, et la ZLECAf.

Un impact des plus importants sur le PIB d’ici 2050 Selon les résultats obtenus par Jakkie Cilliers, certains facteurs comme les aides sociales, l’agriculture, les sauts technologiques et la production manufacturière devraient avoir une plus grande incidence à court terme sur le PIB par habitant et l’extrême pauvreté. D’ici 2050 toutefois, c’est bien la mise en place de la ZLECAf qui aura l’influence la plus déterminante sur ces deux mesures. Ainsi, dans la tranche inférieure de la catégorie des pays à revenus intermédiaires, on s’attend à ce que la ZLECAf permette un accroissement du PIB annuel par habitant de 1 500 dollars US, alors que le deuxième facteur le plus marquant, à savoir le saut technologique, devrait stimuler la croissance du PIB de quelque 900 dollars supplémentaires. Toujours d’ici 2050, la ZLECAf pourrait avoir généré un recul supérieur à 6 % de

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l’extrême pauvreté, contre 5,5 % pour le deuxième facteur qui a le plus d’impact, la révolution agricole. « Ces résultats ne sont pas si surprenants puisque la ZLECAf vise à élargir le marché, estime Jakkie Cilliers. Par ailleurs, la plupart des échanges intraafricains portent sur les produits manufacturés ; or le secteur manufacturier est un élément clé de la croissance à long terme de l’Afrique. » Tout cela suppose, bien entendu, que l’accord commercial africain soit correctement mis en œuvre. Les 55 États membres de l’UA — à l’exception du Nigeria, du Bénin et de l’Érythrée — ont tous signé le document, lequel est entré en vigueur le 30 mai dernier lorsque le seuil requis des 22 ratifications a été officiellement atteint. Depuis cette date, aucune marchandise n’a toutefois pu franchir une frontière nationale exempte de droits de douane en vertu de l’accord. Trudi Hartzenberg, directrice exécutive du Trade Law Centre, une organisation reconnue d’utilité publique basée à Stellenbosch, en Afrique du Sud, affirme que cela ne devrait pas être le cas avant l’année prochaine. L’entrée en vigueur de l’accord constituera dans un premier temps un symbole de l’engagement du continent en faveur du libre-échange. Pendant ce temps, les négociations se poursuivront.

D’importants détails encore en cours de discussion Certains points essentiels tels que les barèmes tarifaires, les règles d’origine et les procédures de règlement des différends sont encore en cours de négociation. Les règles d’origine stipulent quelle proportion d’un produit doit provenir de la zone de libre-échange pour bénéficier de taux tarifaires préférentiels. L’objectif est d’éviter des règles si laxistes qu’elles permettraient à un pays africain de devenir une porte d’entrée du continent, par exemple, pour des vêtements asiatiques à bas prix auxquels on aurait simplement cousu un dernier bouton pour en faire un produit « africain ». Inversement, les règles d’origine peuvent être définies de manière si restrictive qu’elles protègent de fait les producteurs locaux. Les barèmes tarifaires sont au cœur de tout accord de libre-échange. Ils répertorient toutes les concessions tarifaires à l’importation que les pays sont prêts à accorder aux autres membres de la zone de libre-échange. Trudi Hartzenberg indique que les négociateurs de l’accord de libreéchange n’ont pas encore décidé si ces concessions seront octroyées sur une base bilatérale — entre deux pays ou unions douanières — ou si elles seront appliquées à tous les États membres de la ZLECAf, sur la base du principe de la nation la plus favorisée.

Construire sur un véritable méli-mélo Une particularité essentielle de l’accord est qu’il vise à ordonner, et non à remplacer, le méli-mélo que constituent les divers blocs régionaux de libreéchange existant à travers l’Afrique. Le principe de base est que lorsqu’une

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NOMBRE D’ÉTATS SIGNATAIRES DE L’ACCORD DE LA ZLECAF

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zone régionale de libre-échange offre des clauses commerciales plus libérales que la ZLECAf, ce sont les clauses régionales qui prévalent.  L’idée de maintenir les zones de libre-échange existantes s’est imposée dans le cadre des longues et difficiles négociations de l’Accord tripartite de libre-échange, lesquelles n’ont pas encore été finalisées. L’objectif de ces négociations est de parvenir à la fusion de la Communauté de développement de l’Afrique australe, du Marché commun de l’Afrique orientale et australe et de la Communauté de l’Afrique de l’Est en une seule zone de libre-échange qui comprendrait 27 pays. La lenteur de ces négociations, qui ont débuté en 2011, soulève des doutes quant aux chances de succès de ce projet encore plus ambitieux qu’est la ZLECAf. Les principaux points de friction opposent l’Afrique du Sud et le Kenya, les géants économiques de leur région respective. Trudi Hartzenberg suggère néanmoins que ces problèmes ne sont pas forcément de mauvais augure pour la ZLECAf. Puisque l’accord tripartite perdurera, il pourrait en effet être plus facile pour l’Afrique du Sud de parvenir à un accord avec le Kenya dans ce cadre-ci plutôt que dans celui de la ZLECAf. En outre, la ZLECAf viendra pallier d’autres lacunes importantes dans le libre-échange en Afrique.

L’impact de la ZLECAf proviendra moins de la suppression des barrières tarifaires que de l’élimination des obstacles non tarifaires Ainsi, l’Afrique du Sud ne possède pas d’accord de libre-échange avec le Nigeria et les autres pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest. Pretoria considère qu’il s’agit là d’une des principales opportunités de la ZLECAf, surtout si le Nigeria finit par y adhérer. De même, la plupart des pays d’Afrique du Nord n’ont pas d’accords de libre-échange avec l’Afrique subsaharienne et attendent de l’accord qu’il leur ouvre cet espace commercial.

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NOMBRE DE PAYS CONCERNÉS PAR L’ACCORD TRIPARTITE DE LIBRE-ÉCHANGE

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Trudi Hartzenberg affirme que l’impact de la ZLECAf proviendra moins de la suppression des barrières tarifaires que de l’élimination des obstacles non tarifaires. Des règles pourraient être établies à l’échelle du continent pour assurer le transport efficace des marchandises à travers les frontières et ainsi réduire les retards qui augmentent les coûts commerciaux. Elle indique qu’une étude réalisée en 2013 par le Trade Law Centre a montré qu’une réduction ne serait-ce que de 20 % du temps d’attente des marchandises aux frontières dynamiserait davantage les économies africaines que la suppression de toutes les barrières tarifaires à l’importation. « Il n’y aura pas de big bang spectaculaire lorsque l’accord entrera en vigueur. Cela se fera graduellement », prévient Trudi Hartzenberg. Mais on peut espérer que les changements seront, en fin de compte, considérables. L’histoire des accords commerciaux africains n’est pas vraiment brillante. Il s’agit de la dernière chance pour le continent en matière de libre-échange et à ce titre, il se doit donc de la saisir.

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Suspension du Soudan des instances de l’UA : les dangers à venir pour Khartoum Le 6 juin 2019, au cours de sa 854e réunion, le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’Union africaine (UA), présidé par l’ambassadeur de la Sierra Leone, Brima Patrick Kapuwa, a suspendu le Soudan des instances de l’UA. Le Soudan n’est donc plus autorisé à prendre part à aucune activité de l’UA tant que le Conseil militaire de transition (CMT) n’aura pas transféré le pouvoir à des autorités civiles. La décision de suspendre le Soudan s’est imposée avec la fin abrupte des discussions du CMT avec l’opposition, l’annonce de son intention de rester au pouvoir jusqu’aux élections prévues neuf mois plus tard et la violente dispersion d’un rassemblement civil pacifique devant le quartier général de l’armée à Khartoum. La décision de l’UA a été motivée non seulement par la répression brutale des manifestations, mais aussi par la Déclaration de Lomé concernant le Cadre d’action de l’OUA contre les changements anticonstitutionnels de gouvernement. Entre autres aspects importants, ce document prévoit que les régimes issus de coups d’État militaires contre des gouvernements élus seront suspendus jusqu’à ce que l’ordre constitutionnel soit rétabli.

de l’Arabie saoudite et de l’Égypte, qui auraient influencé les choix de la junte, a aussi été crucial. La décision de l’UA était donc devenue nécessaire non seulement pour fournir un cadre d’action mondial au niveau de l’ONU, mais aussi pour préserver le respect du rôle de l’UA en tant que principale garante des normes et des cadres continentaux. Auparavant, le CPS avait déjà cédé à l’influence égyptienne en acceptant les recommandations du Sommet consultatif des partenaires régionaux du Soudan du 23 avril, convoqué au Caire par le président de l’Union, qui repoussait l’échéance initiale de 15 jours, préalablement fixée au 30 avril, à 60 jours. Cette extension a permis au CMT de consolider son emprise sur le pouvoir avec l’appui de puissances extérieures.

Une décision difficile La nature des atrocités commises principalement par la Force de soutien rapide (RSF) – une milice accusée par ailleurs d’avoir perpétré des exactions au Darfour – contre les manifestants à Khartoum le 3 juin 2019 et les réactions internationales qu’elles ont suscitées ont obligé le CPS à faire preuve de fermeté. Les pressions exercées sur le CPS pour mettre fin à l’impunité du CMT étaient manifestes. Premièrement, lors de la réunion du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) du 4 juin dédiée à la situation au Soudan, la Chine et la Russie avaient fait obstacle à un projet de résolution qui condamnait l’action du CMT au Soudan. Cette position impliquait qu’une réaction ferme de l’UA se révélerait utile lors de discussions ultérieures de l’ONU sur le Soudan. Deuxièmement, la junte militaire avait fait fi du délai de 60 jours fixé par l’UA en annonçant qu’elle resterait en place jusqu’aux élections prévues neuf mois plus tard. Le rôle de certains acteurs extérieurs, en particulier des Émirats arabes unis,

La décision de suspendre le Soudan s’est imposée avec la fin abrupte des discussions du CMT avec l’opposition Même si, étant donné le contexte, la décision de suspendre le Soudan devait être aisée à prendre, certains États n’appuyaient pas cette approche. Ils souhaitaient en effet que le CPS accorde plus de temps au CMT pour faire face à la situation. Une fois que la décision de suspendre le pays a été proposée, elle a reçu un large soutien.

Les écueils à venir Cette suspension intervient alors que la tournure dramatique qu’ont pris les événements ne laisse rien augurer de bon. Premièrement, la répression menée par la composante RSF du CMT démontre clairement que les structures de « l’État profond » mises en place

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par el-Béchir tentent de préserver le statu quo, d’où les contestations des manifestants. Deuxièmement, le principal danger dans la confrontation entre l’armée et la population civile, au niveau stratégique, est de perdre une rare occasion de changer la situation soudanaise. Cette opportunité sera en effet gâchée si le recours à la force de la RSF aboutit à un accord négocié dans lequel l’armée prédominerait ou si les manifestations conduisent à la mise sur pied d’un mécanisme dirigé par des civils, mais sans réel contrôle sur les leviers du pouvoir. Ce dernier scénario aboutirait à l’échec des autorités civiles et ouvrirait la voie, sur le long terme, à un nouveau coup d’État militaire. Le troisième danger est le risque de guerre civile. Si le mécontentement à l’encontre d’el-Béchir a rallié de nombreux Soudanais dans la période qui a précédé la chute de son régime, il n’a pas suffi à faire disparaître les divisions au sein de l’armée, à résorber les clivages entre Khartoum et les régions périphériques et à réconcilier les intérêts divergents de la population civile.

La décision de l’UA était nécessaire pour préserver le respect du rôle de l’UA en tant que principale garante des normes et des cadres continentaux La RSF s’est mobilisée pour remettre en cause le contrôle de l’armée sur le paysage sécuritaire au Soudan dans l’ère post-el-Béchir. La persistance d’un certain nombre d’éléments des redoutés Services nationaux de renseignement et de sécurité (NISS) et la mise à l’écart de la police des questions de sécurité nationale témoignent des profondes divisions qui minent les services de sécurité soudanais. En outre, l’existence de nombreuses milices qui opèrent à partir des régions périphériques du pays, en particulier du Darfour, du Kordofan méridional et du Nil Bleu, accentue la fragmentation du contrôle de la violence et de l’usage de la force à travers le pays. La population civile elle-même est loin d’être homogène. Au-delà des groupes disparates des forces de la Déclaration de la liberté et du changement (DFC), l’opposition civile rassemble également différents groupes d’intérêts. Alors que certains d’entre-eux privilégient une approche plus souple à l’égard de

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l’armée, les islamistes veulent, par exemple, que la loi islamique guide la nouvelle législation. À cela s’ajoute l’émergence d’un sentiment de marginalisation au sein de certains groupes des États périphériques du Soudan, en particulier au Darfour, dans le processus de négociations entre la DFC et le CMT. Par ailleurs, l’usage excessif de la force par la RSF à l’encontre de civils innocents pourrait provoquer une militarisation du conflit soit de la part d’un front civil désireux de se protéger, soit de la part de milices opérant en dehors de Khartoum. Le déclenchement d’une guerre dans la capitale d’un pays si divisé ne manquerait pas de provoquer un chaos qui serait difficile de contenir, voire la « somalianisation » du Soudan. L’influence des puissances du Golfe au Soudan constitue un autre aspect crucial. Les inquiétudes de l’UA concernant de possibles ingérences extérieures au Soudan perdureront tant que les recettes du pays continueront à baisser. Dans ce contexte, les riches pays du Golfe pourraient exercer une influence certaine sur les choix des dirigeants soudanais, ce qui constituerait un risque majeur pour la gouvernance au Soudan et minerait la position du pays en Afrique subsaharienne sur le long terme.

L’entrée en scène problématique d’Abiy Ahmed Aussi significative que puisse être la suspension du Soudan par l’UA, elle ne représente pas une réponse pratique à la possible désintégration du Soudan à court et moyen termes. Il est particulièrement préoccupant de constater qu’aucune stratégie claire adossée à une quelconque feuille de route n’a été annoncée par l’UA depuis la suspension. Le fait que le premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, se soit autoproclamé médiateur de cette crise, une initiative purement bilatérale, vient compliquer le processus devant aboutir au choix de l’organisation qui mènera les efforts de la communauté internationale au Soudan. Selon les premières indications, l’UA était pressentie pour jouer ce rôle. L’échec des pourparlers entre le CMT et la DFC est la preuve que le défi de la résolution du conflit ne peut être confié, à tout le moins, à ces deux seules parties sans facilitateur crédible tant et aussi longtemps que

les pays du Golfe continueront à soutenir le CMT. L’absence d’une feuille de route de l’UA engendre un vide qui, s’il n’est pas comblé immédiatement, ouvrira la voie à la prolifération des processus de médiation. Cela rendrait la crise soudanaise difficile à résoudre et soumettrait le pays à un écartèlement en règle provoqué par les fortes influences régionales et extérieures, entraînant de lourdes conséquences.

Quelles options politiques ? L’UA doit également réfléchir à l’échéancier qui conduira à la levée de la suspension du Soudan ainsi qu’aux conditions que Khartoum devra remplir à cet égard. L’UA exige que le CMT cède le pouvoir à un gouvernement civil, mais les négociations en cours entre le CMT et la DFC pourraient aboutir à la mise sur pied d’un mécanisme civilo-militaire ou, dans le pire des cas, d’un conseil dirigé par les militaires. Même si l’opposition venait à consentir à un tel scénario, cela constituerait-il un transfert de pouvoir à un organe civil ? La clause de suspension de l’UA est également cruciale : le Soudan réintégrerat-il automatiquement les instances de l’UA dès que le CMT aura cédé le pouvoir aux civils ?

Il est particulièrement préoccupant de constater qu’aucune stratégie claire adossée à une quelconque feuille de route n’a été annoncée par l’UA Il est évident que le CPS doit considérer la suspension du Soudan comme une première étape face à une urgence politique complexe. Le CPS doit définir une stratégie pour la suite. Celle-ci devrait s’appuyer sur une feuille de route qui énonce clairement les principales conditions et échéances, qui encadre le suivi des progrès réalisés et qui prévoie des mesures pénalisant l’absence de progrès. Un tel mécanisme ne devrait toutefois pas enrayer les efforts soudanais, mais au contraire appuyer un processus dirigé par le Soudan, soutenu par l’UA et la communauté internationale, à même de relever les défis que rencontre actuellement le pays. Compte tenu des difficultés auxquelles se heurtent les parties pour parvenir à un consensus sur la composition et le contrôle du Conseil souverain, il est également temps pour l’UA d’envisager la nomination d’un médiateur jouissant du soutien de la communauté internationale et doté des ressources et des leviers nécessaires pour aider les parties prenantes à sortir de l’impasse. L’UA et l’ONU devront enfin engager des discussions ouvertes et franches sur leurs préoccupations respectives concernant les interférences d’acteurs extérieurs au Soudan. L’implication d’acteurs extérieurs devenant une préoccupation majeure sur le continent, elle devra également être discutée au niveau des chefs d’État de l’UA.

3 juin 2019 RÉPRESSION CONTRE DES MANIFESTANTS À KHARTOUM

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La médiocrité des processus électoraux en Afrique dénote-t-elle un recul démocratique ? Les fraudes et les violences qui accompagnent les élections constituent toujours un fléau pour la démocratie et la stabilité sur le continent. Bien que le nombre d’élections ait augmenté et celui des coups d’État diminué en Afrique depuis le début des années 1990, de plus en plus de gouvernements tendent à dévoyer les élections pour imposer des pratiques autocratiques. Les événements récents au Bénin montrent que même dans les pays réputés pour leur stabilité politique, des avancées enregistrées depuis les années 1990 peuvent facilement être effacées. L’observation électorale ne s’est pas avérée être un outil efficace pour remédier à cette situation.

Les élections dominent le paysage politique Au cours des dix dernières années, 26 pays africains environ (soit près de la moitié du continent) ont chaque année organisé des élections. Cela représente une moyenne de 13 scrutins présidentiels et 16 élections législatives par an. Les processus électoraux constituent donc peut-être, à plusieurs égards, la variable qui influence le plus le paysage politique du continent. Désormais, les élections sont essentielles non seulement à l’émergence d’orientations politiques, mais aussi à la stabilité des États. Toutefois, dans de nombreux pays, les périodes préélectorales tendent à devenir des phases de renonciation à des avancées démocratiques acquises au terme de processus longs et ardus. Ces reculs se caractérisent notamment par l’adoption d’amendements constitutionnels, la modification de la législation électorale, le redécoupage sur mesure des circonscriptions afin de favoriser les régimes en place, le contrôle des commissions électorales et des instances judiciaires, et le musellement des oppositions politiques et de la société civile.

Les enseignements de l’expérience béninoise Les récents événements au Bénin ont réveillé une crainte : que les élections soient un facteur de violence et d’instabilité. Au cœur de cette préoccupation se trouve la question de la préservation du pouvoir. Le président Patrice Talon, démocratiquement élu en 2016,

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a modifié la législation électorale pour lutter contre la domination d’un seul parti. Toutefois, l’absence de consensus sur le processus de réforme utilisé a creusé un fossé entre le gouvernement et l’opposition. Depuis, le gouvernement est accusé par l’opposition et la société civile d’utiliser cette réforme comme prétexte pour réduire l’espace politique et assurer le maintien au pouvoir de Patrice Talon. Cette réforme a abouti à l’adoption d’une nouvelle loi électorale et d’une charte des partis politiques qui ont eu pour effet d’interdire à la plupart des partis d’opposition de prendre part aux élections législatives. D’autres ont tout simplement décidé de s’abstenir de participer au scrutin du 28 avril 2019. Il s’agit d’un recul spectaculaire pour l’une des démocraties les plus stables d’Afrique depuis le début des années 1990 et qui s’est démarquée non seulement par le caractère relativement libre et équitable de ses élections, mais également par un pluralisme politique évident et le respect des libertés civiles.

Au cœur de cette préoccupation se trouve la question de la préservation du pouvoir Les événements survenus au Bénin sont révélateurs d’une tendance observable sur l’ensemble du continent, à l’exception notable d’une poignée de pays qui n’ont connu ni manipulation électorale (que ce soit en amont ou en aval d’un scrutin) ni abus du pouvoir. Face aux amendements constitutionnels qui visent à maintenir en place les dirigeants et à renforcer leurs pouvoirs, les élections, loin de contribuer à la consolidation démocratique, sont devenues l’une des principales causes d’instabilité sur le continent. Les perturbations liées aux élections entravent les processus

démocratiques quand elles n’en provoquent pas, dans les pires des cas, un véritable recul. Les États se retrouvent ainsi à devoir continuellement reconstruire leurs institutions démocratiques au lieu de se concentrer sur la consolidation des progrès réalisés au fil du temps.

L’année 2016 marquée par quelques rares cas d’élections pacifiques En 2016, pas moins de 28 pays ont organisé des élections présidentielles, nationales ou locales, ou une combinaison des trois. Les élections au Bénin, à Sao Tomé-et-Principe, au Cap-Vert et au Ghana ont été qualifiées de pacifiques, libres et régulières dans l’ensemble et n’ont guère été perturbées. Cependant, tous les autres scrutins ont été précédés d’amendements constitutionnels, comme en République du Congo, où le président Denis Sassou Nguesso a été autorisé à briguer un nouveau mandat. La suppression des limitations du nombre de mandats présidentiels au Tchad, au Gabon, en Guinée équatoriale, à Djibouti et en Ouganda, par exemple, a permis à tous les régimes en place d’être réélus au terme d’élections dont la crédibilité demeure discutable.

En RDC, les électeurs ont finalement pu voter après une impasse de trois ans La plupart de ces pays ont connu des manifestations et des violences qui ont provoqué des morts, à l’exception de la Guinée équatoriale, pays sous le contrôle total du président Teodoro Obiang Nguema. Ce dernier a présenté sa candidature pratiquement sans opposition et a remporté une victoire écrasante avec 93,7 % des suffrages exprimés. Certaines élections se sont déroulées en dépit de sérieux problèmes de sécurité comme en République centrafricaine (RCA). D’autres élections ont, quant à elles, été boycottées ou reportées.

Le report de certains scrutins L’on observe la même tendance avec les scrutins qui ont eu lieu en 2017, en 2018, et au cours du premier semestre de 2019. En 2017, un grand nombre d’élections ont été reportées comme en République démocratique

du Congo (RDC), au Tchad, au Gabon, en Libye, à Madagascar, au Mali, au Niger, en Somalie, au Togo et en Tunisie. Hormis les cas de la Libye et de la Somalie (et dans une moindre mesure du Mali), où la situation est manifestement précaire, la plupart de ces reports sont à mettre sur le compte de problèmes politiques et socioéconomiques largement provoqués, voire délibérément orchestrés, par les dirigeants en place. L’année 2018 a également connu son lot de reports d’élections puisque le Cameroun et la Guinée-Bissau se sont joints au mouvement. Deux référendums constitutionnels, au Burundi et aux Comores, ont été organisés pour permettre aux présidents Pierre Nkurunziza et Azali Assoumani de briguer un nouveau mandat et, par la même occasion, de renforcer davantage leurs pouvoirs exécutifs. Au Togo, l’opposition a refusé de prendre part au scrutin, tandis qu’au Zimbabwe et au Mali, les élections ont été très controversées. Au Gabon, le processus électoral a été considéré comme une parodie. En RDC, les électeurs ont finalement pu prendre le chemin des urnes après une impasse de trois ans au cours de laquelle Joseph Kabila a conservé le pouvoir. Le scrutin a toutefois débouché sur un différend électoral qui s’est prolongé jusqu’en 2019 et qui a alimenté les divisions régionales sur des questions connexes.

Les turbulences entourant les élections Depuis le début de l’année 2019, seuls le Sénégal et l’Afrique du Sud ont connu des élections pacifiques. La Commission électorale indépendante nigériane a causé la surprise en annonçant au dernier moment le report des élections de février 2019, ce qui a jeté un doute quant à la crédibilité des résultats électoraux. Des morts ont par ailleurs été déplorés le jour des élections, celles-ci ayant finalement bien eu lieu. En Algérie, la tentative de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika de briguer un nouveau mandat s’est heurtée à un fort mouvement de contestation qui a abouti à sa démission après 30 ans passés aux rênes du pays. Les élections au Bénin et aux Comores ont été marquées par des violences qui ont entraîné des pertes en vies humaines. Cette année a également été marquée, en Égypte, par l’adoption d’un amendement constitutionnel qui permet au président Abdel Fattah

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al-Sissi de rester au pouvoir jusqu’en 2030, tout en renforçant ses pouvoirs et ceux de l’armée.

L’observation électorale : un outil trop restreint Le déploiement de missions d’observation électorale par certaines organisations du continent, telles que l’Union africaine (UA) et les communautés économiques régionales, s’est avéré insuffisant pour appréhender les nombreux défis liés aux élections. L’UA doit donc multiplier ses efforts. D’une part, l’organisation continentale devra régler une fois pour toutes la question des amendements constitutionnels et de la manipulation des lois électorales qui sapent l’intégrité des processus politiques et mettent à mal les consensus nationaux sur le constitutionnalisme. Ces pratiques tendent à affaiblir, voire à détruire, les contrats sociaux nationaux et à générer une perpétuelle instabilité.

Le déploiement de missions d’observation électorale par l’UA et les communautés économiques régionales s’est avéré insuffisant Il est nécessaire de repenser la manière dont l’UA traite de la question des élections en contexte autocratique. Une idée serait de délaisser la pratique d’observation électorale au profit de celle de suivi électoral. Ce suivi pourrait débuter par une évaluation approfondie des capacités et de l’impartialité des commissions électorales et se poursuivre par l’élaboration de recommandations visant à améliorer les processus électoraux et le suivi de leur mise en œuvre. Les meilleures pratiques continentales dans le domaine des élections pourraient à ce titre servir de référence. En vertu de son mandat actuel, le Mécanisme africain d’évaluation par les pairs semble le mieux à même d’assumer la tâche de dégager les meilleures pratiques concernant les aspects structurels liés aux élections.

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NOMBRE ANNUEL MOYEN D’ÉLECTIONS EN AFRIQUE

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Parmi ces pratiques exemplaires, certaines portent sur la limitation des avantages dont peuvent jouir les dirigeants sur leurs concurrents. À Madagascar, par exemple, le président doit démissionner deux à trois mois avant le scrutin afin de limiter les abus de pouvoir. Dans d’autres pays comme le Cap-Vert et les Seychelles, les rôles et les prérogatives des maires et des ministres sont restreints en période préélectorale, également dans le but d’éviter qu’ils usent de leurs pouvoirs pour favoriser leur réélection. Il est clair que les élections ne constituent pas un problème en soi, mais les partis politiques, en particulier les partis au pouvoir, s’adonnent à des pratiques telles que la stabilité, la consolidation démocratique et l’État de droit de leurs pays s’en voient fragilisés. Ces abus, qui s’avèrent être une menace de premier ordre pour la paix et la stabilité sur le continent, doivent être corrigés de toute urgence.

RAPPORT SUR LE CONSEIL DE PAIX ET DE SÉCURITÉ

Examen des opérations de soutien à la paix de l’UA : que faire lorsqu’il n’y a pas de paix à maintenir ? En mai 2019, le Conseil de paix et de sécurité (CPS) a discuté des défis que rencontrent les opérations de soutien à la paix (OSP) dirigées par l’UA et de la manière de les surmonter. Le mois dernier, le CPS a également prorogé pour une année supplémentaire le mandat de la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM), qui devait échoir le 31 mai 2019. En juin 2019, le CPS a par ailleurs renouvelé pour une autre année le mandat de la Mission hybride ONU-Union africaine au Darfour (MINUAD), dont le Conseil de sécurité des Nations unies doit débattre le 27 juin prochain.

La reconduction des mandats de l’AMISOM et de la MINUAD intervient à un moment où les deux missions voient leurs effectifs militaires diminuer considérablement dans l’optique de leurs retraits progressifs qui doivent s’achever respectivement d’ici 2020 et 2021. Elle intervient également à un moment où l’UA étudie à nouveau l’élaboration d’une nouvelle doctrine concernant ses OSP, laquelle est en chantier depuis de nombreuses années. Avec ces évolutions en perspective, le CPS devrait non seulement évaluer le succès ou l’échec de ces missions à l’aune de leurs mandats respectifs, mais aussi examiner les enseignements tirés de chacune d’elles afin d’en tenir compte dans la doctrine des OSP et les missions que l’UA pourrait être amenée à déployer à l’avenir. À cet égard, il est important que le CPS prenne en considération la hiérarchisation des processus politiques existants, à même de faire émerger un environnement propice à la réussite des missions et, dans les cas susmentionnés, à leur retrait progressif. L’élaboration de la doctrine des OSP devrait être pour le CPS l’occasion d’examiner plus en détail les situations dans lesquelles l’UA devrait s’impliquer dans des opérations de lutte contre le terrorisme, comme en Somalie par l’intermédiaire de l’AMISOM. La participation à de telles opérations pourrait compliquer l’engagement ultérieur de l’UA dans des efforts de médiation et de consolidation de la paix, en particulier après le retrait de l’OSP. Il est également important que la future doctrine évalue la valeur ajoutée de la participation des pays voisins dans des déploiements où elle a été à la fois décisive et source de tensions supplémentaires.

Le dilemme des pays limitrophes dans les OSP Les différends entourant la participation des États limitrophes aux OSP demeurent un problème majeur dans les opérations de paix en général et dans les missions dirigées par l’UA en particulier. Dans la zone IGAD, par exemple, les réticences concernant l’implication de troupes venant de pays voisins émises par divers partenaires, et réitérées dans la résolution 1725 (2006) du Conseil de sécurité des Nations unies, ont été l’une des principales raisons du non-déploiement de l’opération prévue par l’IGAD en Somalie (IGASOM).

Les dissensions qui ont entouré le déploiement des forces éthiopiennes et kényanes ont eu un impact négatif sur la perception de neutralité de la mission L’absence de participation des pays voisins à de tels déploiements se justifie principalement par le double souci de prévenir tout conflit d’intérêts de la part des États qui ont des intérêts directs dans le conflit et d’éviter que la crise ne se propage aux pays limitrophes, comme ce fut le cas avec le déploiement de troupes kényanes en Somalie. Dans le cas de la Somalie, les dissensions qui ont entouré le déploiement des forces éthiopiennes et kényanes et leur intégration subséquente à l’AMISOM ont eu un impact négatif sur la perception de neutralité de la mission. Ceci a eu, en retour, des répercussions désastreuses sur l’acceptation de l’AMISOM par toute une partie de la population somalienne.

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L’incapacité persistante des troupes de ces deux pays à se conformer pleinement aux structures de commandement et de contrôle de l’AMISOM en raison d’intérêts sous-jacents a également porté atteinte aux structures de direction de la mission, les troupes de divers pays fournisseurs de contingents demeurant sous la coupe de leur hiérarchie nationale. Les soupçons de parti pris sur la présence de troupes éthiopiennes et kényanes au sein de l’AMISOM ont également été exploités par al-Shabaab dans ses campagnes de propagande contre la mission et de recrutement de combattants.

Si les efforts de la MINUAD rendent la situation beaucoup plus stable, il lui est impossible d’instaurer une paix durable sans de réels progrès politiques Indépendamment de leur contribution aux réalisations globales de l’AMISOM, il est évident que la présence des troupes éthiopiennes et kényanes a été contreproductive à certains égards. Bien qu’il soit difficile de trouver une alternative viable à la participation des pays limitrophes, cela n’en demeure pas moins important pour conforter les principes et pratiques des opérations conduites par l’UA et entreprendre des discussions sereines et constructives sur la valeur ajoutée de cette participation dans un théâtre d’opérations voisin.

Donner la priorité aux processus politiques Dans son rapport publié en 2015, le Groupe d’experts indépendant de haut niveau des Nations unies sur les opérations de paix (HIPPO) souligne que « ce ne sont pas les interventions militaires et les mécanismes techniques qui permettent de parvenir à une paix durable, mais plutôt les solutions politiques ». Le plus grand défi que les OSP telles que l’AMISOM et la MINUAD doivent relever depuis leur déploiement est de s’assurer qu’elles soutiennent et s’ajustent à un processus politique viable au terme duquel une paix durable pourra être instaurée. En Somalie, la résolution 2461 (2019) du Conseil de sécurité de l’ONU exhorte le gouvernement fédéral somalien et les États fédérés du pays à parvenir sans tarder à un règlement politique global. Cependant,

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dans l’éventualité où les relations entre Mogadiscio et les États fédérés finiraient par s’apaiser, dans quelle mesure les gouvernements seront-ils prêts à dialoguer avec des terroristes même si, comme c’est le cas avec al-Shabaab, ils représentent la principale menace à la paix et la sécurité dans le pays ? Bien que l’AMISOM ait pu contribuer à contenir al-Shabaab, le retrait de la mission, prévu dans le Plan de transition pour la Somalie, obligera Mogadiscio à assumer la pleine responsabilité de la sécurité. Or cela s’avère impossible depuis 2007, d’où les prorogations successives du mandat de l’AMISOM. Cette situation démontre l’importance des processus politiques en cours qui visent à créer un consensus national sans lequel aucune paix ne peut prendre racine dans les situations de conflit qui déchirent le continent. De même, le gouvernement soudanais et le Mouvement pour la justice et l’égalité (JEM) ont signé en 2011 le Document de Doha pour la paix, qui devait mettre fin au conflit au Darfour. Cependant, certains groupes armés n’ont pas adhéré à l’accord, ce qui a compliqué sa mise en œuvre. Si les efforts de la MINUAD rendent la situation beaucoup plus stable actuellement qu’elle ne l’était en 2003, il lui est impossible d’instaurer une paix durable sans de réels progrès politiques.

L’AMISOM s’est éloignée de son mandat initial pour devenir une opération de lutte contre le terrorisme Tant que les processus politiques censés favoriser la fin des conflits continueront de se heurter à des difficultés, le contexte du retrait des OSP demeurera fragile.

Lutte contre l’extrémisme violent ou OSP ? L’AMISOM s’est éloignée de son mandat initial pour devenir une opération de lutte contre le terrorisme. En effet, la mission avait à l’origine pour mandat d’assurer la protection des institutions fédérales, des infrastructures, des installations et des équipements essentiels, et elle était autorisée à faire usage de la force seulement en cas de légitime-défense. Cette évolution a peut-être été rendue nécessaire par la nature même de la menace d’al-Shabaab et également par le fait que la mission n’était utile sur ce théâtre d’opérations que parce qu’elle parvenait à créer à

Mogadiscio l’espace dont les institutions fédérales de transition avaient besoin pour passer le relais. La participation de l’AMISOM à des opérations de lutte contre le terrorisme et la préférence donnée à l’action militaire ont également soulevé des questions quant à l’impartialité de l’UA en Somalie. Ces considérations influeront sur le niveau d’engagement de l’UA dans le domaine de la consolidation de la paix en Somalie après le retrait de l’AMISOM, prévu en 2021.

Orienter la doctrine des OSP de l’UA Le succès d’une OSP, tel que défini par l’ONU, repose sur les principes fondamentaux du consentement, de l’impartialité et du non-recours à la force, sauf en cas de légitime défense et en défense du mandat. L’adhésion à ces principes doit permettre aux populations des pays hôtes de considérer la mission comme étant légitime et crédible.

La position de l’UA sur les principes de l’ONU déterminera le degré d’implication défendu par l’UA pour tout État limitrophe à un conflit dans le déploiement d’une OSP Il n’existe actuellement pas de consensus sur l’adhésion de l’UA à ces principes onusiens, ses missions s’écartant de ces principes. Ce débat devrait être tranché dans le cadre du processus de rédaction de la doctrine des OSP de l’UA. Préciser la position de l’UA sur ces principes permettra de circonscrire l’appui que l’UA pourra apporter aux opérations d’imposition de la paix et aux opérations de lutte contre le terrorisme afin qu’il puisse concourir à une paix durable. La position de l’UA sur les principes de l’ONU déterminera également le degré d’implication défendu par l’UA pour tout État limitrophe à un conflit dans le déploiement d’une OSP. La doctrine de l’UA concernant les OSP devrait en outre garantir que les stratégies de déploiement et de retrait des opérations prennent en compte l’état des processus de paix en cours et leurs avancées. L’AMISOM et la MINUAD sont déployées depuis plus d’une décennie. À l’origine, leur objectif n’était pas de s’attaquer aux causes profondes des conflits qui sévissaient dans le pays où elles étaient déployées. L’introduction d’un volet succinct de consolidation de la paix dans le mandat de futures OSP ne saurait résoudre les conflits prolongés dont les deux missions s’apprêtent à se retirer. Il est clair que les OSP ne constituent que des mesures temporaires devant permettre l’émergence de conditions nécessaires à la mise en place de processus politiques et qu’elles nécessitent donc d’être déployées en conjonction avec une stratégie devant favoriser cet objectif. La doctrine des OSP de l’UA devrait avant tout être guidée par les réalités africaines et par les aspirations des populations des pays-hôtes, car ce sont elles qui subissent les affres d’un conflit sans fin.

27 juin 2019 DISCUSSION SUR LA MINUAD À L’ONU

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Les relations UA–ONU à l’honneur en vue de la prochaine réunion entre le CPS et le Conseil de sécurité de l’ONU L’Union africaine (UA) et les Nations unies (ONU) ont tenu leur conférence annuelle le 6 mai dernier à New York. Il s’agit de la troisième réunion de ce type organisée en application du Cadre conjoint ONUUA pour un partenariat renforcé pour la paix et la sécurité (2017) et du Cadre UA-ONU de 2018 pour la mise en œuvre de l’Agenda 2063 et du Programme de développement durable à l’horizon 2030. Ces deux documents encadrent le partenariat établi entre ces institutions. Le Cadre conjoint ONU-UA de 2017 affirme le caractère central des questions de paix et de sécurité dans la coopération entre les deux organisations.

L’importance que les deux organisations accordent à la coopération en matière de paix et de sécurité s’illustre par l’institutionnalisation d’une réunion consultative annuelle conjointe du Conseil de paix et de sécurité de l’UA et du Conseil de sécurité des Nations unies, motivée par la prévalence des conflits en Afrique. Alors que les préparatifs de la 13e réunion de ce type sont en cours, des questions se posent quant aux résultats concrets de ces discussions et quant à savoir si l’Afrique peut en définitive obtenir ce qu’elle souhaite de sa relation toujours plus étroite avec l’ONU.

Des questions qui divisent Les interactions régulières entre l’UA et l’ONU, grâce notamment à la volonté du secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, et du président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, représentent sans conteste une avancée encourageante en vue d’une collaboration accrue entre ces deux institutions. Mais ce rapprochement dépendra de la résolution de certaines questions controversées, en particulier la demande de l’UA de voir les opérations de soutien à la paix (OSP) déployées sur le continent financées par les contributions statutaires des Nations unies et l’épineux dossier de la réforme du Conseil de sécurité de l’ONU. Plusieurs membres du Conseil de sécurité de l’ONU, y compris certains membres permanents en mesure de faire valoir leur droit de veto, s’opposent à la demande de financement des OSP. Ceux-ci soutiennent que l’UA doit assumer 25 % du coût des OSP et s’assurer que la formation des troupes déployées soit adéquate. Ces différends s’inscrivent dans un contexte marqué par la réduction des contributions des États-Unis

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au financement des Nations unies et d’autres engagements internationaux.

La prééminence du Conseil de sécurité de l’ONU Le Cadre conjoint de 2017 prévoit que l’UA et le Bureau de l’ONU auprès de l’UA travaillent ensemble pour identifier des « moyens novateurs de mobiliser des ressources » à destination des efforts de paix et de sécurité de l’UA, y compris les OSP dirigées par l’UA. Dans la pratique, une autorisation du Conseil de sécurité des Nations unies est requise avant le déploiement d’une OSP donnée afin qu’elle puisse s’inscrire dans le cadre de la mobilisation conjointe des ressources nécessaires à son organisation. La nécessité d’obtenir l’autorisation du Conseil de sécurité réaffirme toutefois la suprématie de l’ONU dans les relations entre les deux organisations en matière de paix et de sécurité.

Des questions se posent quant aux résultats concrets de ces discussions et quant à savoir si l’Afrique peut en définitive obtenir ce qu’elle souhaite Afin que cette disposition s’exerce, les membres africains non permanents du Conseil de sécurité de l’ONU (ces pays, appelés « A3 », comprenaient alors la Guinée équatoriale, l’Éthiopie et la Côte d’Ivoire) ont présenté en décembre 2018 un projet de résolution sur le financement des OSP dirigées par l’UA et autorisées par le Conseil de sécurité. Cette proposition se base sur la position commune africaine en faveur d’un

financement prévisible et durable des OSP par le biais des contributions statutaires de l’ONU. Du côté de l’UA, d’aucuns estiment que l’organisation, en s’engageant dans des réformes institutionnelles et financières, a montré sa volonté d’atteindre l’objectif de financement de 25 % de ses OSP requis par certains membres du P5. D’autres font également valoir que les États membres de l’UA sont des États membres légitimes et à part entière de l’ONU et qu’ils pourraient à ce titre demander l’appui de l’ONU pour financer les OSP, même lorsque le processus politique et les opérations sur le terrain sont dirigés par l’UA.

La nécessité d’obtenir l’autorisation du Conseil de sécurité réaffirme toutefois la suprématie de l’ONU dans les relations entre les deux organisations en matière de paix et de sécurité Concernant l’état de préparation des troupes, l’UA estime avoir la capacité de relever ce défi. D’autres insistent sur le fait que l’accent devrait plutôt porter sur les mécanismes de reddition de comptes et les mesures punitives pour les troupes qui contreviendraient aux droits de l’homme, puisqu’il ne s’agit pas d’un « problème strictement africain ». Les soldats étrangers déployés en Afrique, comme les forces françaises en République centrafricaine dont la présence est autorisée par la résolution 2127, sont responsables d’abus sexuels perpétrés entre 2013 et 2014 contre des mineurs.

Divergences d’opinions concernant la réforme du Conseil de sécurité de l’ONU Les demandes de l’UA en faveur d’une réforme du Conseil de sécurité des Nations unies constituent également un obstacle dans les relations entre les deux organisations. Bien que le débat sur la réforme du Conseil de sécurité soit ouvert depuis plus de 25 ans et que l’UA ait exposé sa position sur la question dans le Consensus d’Ezulwini de 2005, aucune solution claire ne parvient à s’imposer. Au cours de la 32e session de la Conférence de l’UA qui s’est tenue en février 2019, l’organisation panafricaine a réaffirmé son attachement à la position africaine commune sur ce point, conformément au consensus d’Ezulwini en vertu duquel l’Afrique réclame cinq sièges non permanents et deux sièges permanents dotés d’un droit de veto. En dépit d’un consensus généralisé (à l’exception des pays du P5) au sujet de la nécessité de réformer le Conseil de sécurité de l’ONU, certains soutiennent que l’insistance de l’Afrique à obtenir deux sièges permanents empêche le débat d’avancer. C’est le cas de Jakkie Cilliers, responsable du projet Futurs de l’Afrique et Innovations de l’Institut d’études de sécurité (ISS) et cofondateur de la campagne Elect the Council, qui met de l’avant des propositions novatrices pour sortir de l’impasse.

6 mai 2019 CONFÉRENCE UA–ONU À NEW YORK

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Jakkie Cilliers estime que « les négociations interminables qui visent à élargir le Conseil de sécurité sont de toute façon vouées à l’échec » et que le système devrait être revu dans son intégralité et non pas se contenter d’ajouter de nouveaux membres dotés du droit de veto. Il est également évident que, quelle que soit la forme de la proposition de restructuration du Conseil de sécurité, rien ne pourra se faire sans un minimum de volonté politique de la part du P5. Un premier pas en ce sens pourrait consister à prendre conscience qu’une telle réforme est dans l’intérêt de la paix et de la sécurité internationales, dont le Conseil de sécurité des Nations unies est le garant.

Une collaboration efficace entre l’UA et l’ONU passe-t-elle par une réforme du Conseil de sécurité ? Les objections soulevées par certains membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU au sujet du financement des OSP africaines sont la preuve que la collaboration entre l’UA et l’ONU dans leurs efforts de lutte contre l’insécurité sur le continent continuera à pâtir de l’absence d’une réforme. Nombre d’organisations militant en faveur d’une réforme du Conseil de sécurité de l’ONU, telles qu’Elect the Council, rappellent également que le maintien de la paix en bénéficierait au niveau mondial.

Nombre d’organisations militant en faveur d’une réforme du CSNU rappellent que le maintien de la paix en bénéficierait au niveau mondial Il est indéniable que le succès de toute tentative pour renforcer les relations entre l’UA et l’ONU est en grande partie conditionné par ce qui se passe au Conseil de sécurité de l’ONU et dépend de ce que le P5 est prêt à accepter. La question de la réforme du Conseil de sécurité dépasse donc les demandes visant simplement à faire en sorte que l’organe exécutif onusien reflète le principe d’égalité entre les États sur lequel se base le système international actuel.

2005

CONSENSUS D’EZULWINI DE L’UA

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Il s’agit également de reconfigurer le Conseil de sécurité de l’ONU afin de faciliter la coopération avec les organisations continentales, telles que l’UA. Sur certains dossiers, les intérêts solidement ancrés des membres du Conseil de sécurité tendent à renforcer le sentiment, somme toute ancien, d’un Conseil de sécurité biaisé et dominé par ses cinq membres permanents, lesquels exerceraient leur pouvoir en prenant exclusivement en compte leurs intérêts nationaux. La configuration et la dynamique qui prévalent au sein du Conseil de sécurité de l’ONU ne permettent pas à l’Afrique de faire pleinement entendre sa voix, d’où la nécessité de réformer l’organe onusien qui est le principal garant de la paix et de la sécurité internationales.

RAPPORT SUR LE CONSEIL DE PAIX ET DE SÉCURITÉ

Entretien avec le Rapport sur le CPS « La voix de l’UA dans la région des Grands Lacs reste déterminante » L’ancien diplomate algérien, Saïd Djinnit, a récemment quitté ses fonctions d’envoyé spécial des Nations unies pour la région des Grands Lacs (UNSEGL). Le Rapport sur le CPS lui a posé quelques questions sur la situation dans la région et sur le rôle qu’y jouent les institutions de l’Union africaine (UA), telles que le Conseil de paix et de sécurité et les communautés économiques régionales. Vous venez de passer les trois dernières années comme envoyé spécial des Nations unies pour la région des Grands Lacs. Quel est l’état de la paix et de la sécurité dans cette région ?

l’Est de la RDC et les allégations de soutien par procuration dont ils bénéficieraient. Cette situation est aggravée par les rivalités concernant l’accès aux ressources naturelles de la région. 

Sur le plan politique, les conflits et les crises politiques qui frappent la région, notamment la République démocratique du Congo (RDC) et le Burundi, mais aussi le Soudan du Sud et la République centrafricaine, ont eu un impact significatif sur la stabilité régionale et sur la mise en œuvre des engagements régionaux, notamment l’Accord-cadre du CPS pour la paix, la sécurité et la coopération pour la RDC et la région. Au cours de l’année écoulée, d’importantes opportunités de consolidation de la paix et de stabilisation ont émergé dans la région. Parmi celles-ci, l’on peut mentionner les élections pacifiques qui se sont déroulées en RDC, la signature de l’Accord revitalisé sur le règlement du conflit au Soudan du Sud sous l’égide de l’Autorité intergouvernementale pour le développement, et la signature d’un accord de paix entre le gouvernement centrafricain et 14 groupes armés au terme d’un processus facilité par l’Initiative africaine de paix et de réconciliation menée par l’UA. Ces réussites sont à mettre sur le compte du leadership et de la volonté politique des acteurs nationaux, lesquels ont été accompagnés et soutenus de manière adéquate par leurs partenaires régionaux et internationaux.

Dans quelle mesure la stabilité en RDC est-elle essentielle à celle de la région des Grands Lacs dans son ensemble ?

Ces avancées restent toutefois fragiles. Nous devons tirer parti des possibilités qui s’offrent à nous et soutenir sans hésitation les parties en présence pour qu’elles assument leurs responsabilités. Selon vous, quelle est la principale source d’instabilité dans la région ? La plus grande cause d’instabilité demeure la présence et les activités de groupes armés non étatiques dans

La stabilité en RDC est indispensable à la stabilité régionale. La RDC est le plus grand pays de cette région dont il constitue le cœur géographique. Par ailleurs, le pays est riche en ressources naturelles et humaines et si cette richesse venait à être exploitée légalement et durablement, la RDC pourrait devenir le moteur de la croissance économique et du développement dans cette région.

La plus grande cause d’instabilité demeure la présence de groupes armés non étatiques dans l’Est de la RDC Inversement, les chocs internes liés à l’activité économique, ainsi qu’aux crises politiques et sécuritaires, ont des répercussions dans toute la région. L’insécurité qui prévaut dans l’Est de la RDC perpétue tout particulièrement la méfiance entre certains pays de la région et alimente ainsi de nouveaux cycles d’insécurité. Comment évaluez-vous la situation en RDC ?   Depuis son entrée en fonction, le président Félix Tshisekedi a envoyé les bons signaux et a entrepris un certain nombre de bonnes choses. Il s’est rendu dans chacun des pays voisins et a exprimé son ferme attachement à la coopération et à la stabilité régionales et à l’Accord-cadre du CPS. De leur côté, les dirigeants de la région semblent prêts à lui apporter leur soutien dans les efforts qu’il déploie pour mener

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à bien le changement que la population de la RDC a demandé en l’élisant. La décision de Félix Tshisekedi de libérer les prisonniers politiques est conforme à l’Accord du 31 décembre [2016]. Il est important qu’il continue à promouvoir la réconciliation entre tous les enfants de la RDC. La contribution de l’ensemble de la population congolaise et l’appui de la communauté internationale sont indispensables pour faire face aux défis économiques et sécuritaires de la RDC. Selon vous, l’Accord-cadre du CPS est-il toujours pertinent et les principaux pays de la région des Grands Lacs y sont-ils toujours attachés ? Je suis tout à fait convaincu de sa pertinence. Les engagements pris par les pays de la région en vertu de l’Accord-cadre du CPS, en particulier les engagements régionaux, ne se réfèrent pas à une situation ou une période spécifique. Ils définissent plutôt les conditions qui leur permettront de garantir une coopération systématique dans les domaines qui les concernent mutuellement, notamment les causes profondes du conflit qui secoue la région.

Malgré tous les efforts déployés jusqu’ici, la situation au Burundi demeure préoccupante Plus récemment, la participation des pays de la région aux différents sommets du Mécanisme régional de suivi de l’Accord-cadre du CPS, ainsi que le leadership dont ils ont fait preuve pour relever les défis de la mise en œuvre de cet accord, notamment la question des combattants étrangers désarmés dans l’Est de la RDC, au Rwanda et en Ouganda, témoignent de l’importance que la région y accorde. Que pensez-vous de l’efficacité des efforts de médiation de la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE) dans les négociations politiques au Burundi ?  Malgré tous les efforts déployés jusqu’ici, la situation au Burundi demeure préoccupante. Cette situation résulte des divergences persistantes entre le gouvernement et l’opposition au sujet de la configuration politique et économique du pays et, surtout, des conditions nécessaires pour assurer en 2020 la tenue d’un scrutin

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pacifique, crédible et inclusif. Pour aller de l’avant, la CAE devrait exercer toute son influence et utiliser tous les outils à sa disposition, notamment en engageant le poids politique de ses États membres en faveur du médiateur et de l’équipe de facilitation. Après tout, l’intégration économique régionale, qui reste au cœur de la CAE, ne pourra être considérée comme un succès que si elle parvient à créer un environnement bénéfique qui permette à tous ses États membres de participer pleinement aux échanges commerciaux et aux investissements économiques régionaux. Selon vous, que faut-il faire d’ici les élections de 2020 au Burundi pour assurer un retour de la stabilité et de la liberté politique ? Tout d’abord, il faut créer les conditions propices à un dialogue entre le gouvernement et l’opposition. Cela passe par le plein respect des droits de l’homme dans le pays et par l’ouverture de l’espace politique. Deuxièmement, l’Accord de paix d’Arusha doit demeurer la pierre angulaire de l’organisation politique et de tout dialogue qui pourrait se nouer. Troisièmement, toutes les parties prenantes burundaises devront être amenées à s’asseoir autour de la table de négociation afin de discuter des moyens à mettre en œuvre pour parvenir au déroulement pacifique, crédible et inclusif des élections de 2020. Les pays de la région des Grands Lacs sont membres de plusieurs communautés économiques régionales, dont la CAE et la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC). La Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) est la seule organisation régionale à laquelle appartiennent les principaux pays de la région, mais elle demeure faible. L’absence d’une organisation régionale forte contribue-t-elle à l’instabilité dans la région ? L’UA serait-elle en mesure de combler ce vide ? En effet, la voix de la région reste fragmentée et est donc parfois faible. Cela est dû en partie à l’absence d’une organisation régionale forte capable de fédérer les pays, mais aussi dans certains cas à un manque de volonté politique. Il existe divers mécanismes régionaux portant sur la sécurité et le renforcement de la confiance, mais nombre d’entre eux ne sont pas en mesure de s’acquitter efficacement des tâches qui leur sont confiées. Cela s’explique par l’absence de contributions des États membres, tant en ressources financières qu’en ressources humaines, ainsi que par l’absence d’un soutien politique

adéquat à leurs mandats respectifs. Le soutien de l’UA continuera d’être utile, mais je ne pense pas que l’UA soit en mesure de combler le vide que connaît la région. Les solutions doivent émaner de la région pour être acceptées et donc efficaces.  Les dynamiques et les problèmes présents dans la région des Grands Lacs sont-ils différents de ceux d’autres régions dans lesquelles vous avez travaillé, par exemple l’Afrique de l’Ouest ? La région des Grands Lacs est unique à bien des égards, notamment en raison de l’absence d’une communauté économique régionale forte comme la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest ou la SADC en Afrique australe. L’histoire imbriquée des pays de la région et de leurs dirigeants accentue encore la particularité de cette zone et rend difficile l’implication d’acteurs extérieurs.

Toutes les parties prenantes burundaises devront être amenées à s’asseoir autour de la table de négociation Pour parvenir à une paix et une sécurité durables, les relations entre les pays de la région doivent être renforcées à tous les niveaux et leur méfiance vis-à-vis les uns des autres doit être surmontée. Il faudra pour cela que les dirigeants s’engagent à s’attaquer fermement au problème de la méfiance persistante. Ils devraient permettre aux mécanismes de renforcement de la confiance déjà en place, tels que le Mécanisme conjoint de vérification élargi, de fonctionner efficacement. Quelle serait la contribution la plus efficace que l’UA pourrait apporter à la paix et à la stabilité dans la région des Grands Lacs ? En tant que co-garante de l’Accord-cadre du CPS, l’UA a un rôle central à jouer dans la région des Grands Lacs, au-delà de son mandat plus générique d’organisation responsable de la paix et de la sécurité sur le continent. La voix de l’UA reste essentielle et doit continuer à se faire entendre sur les questions centrales qui nous préoccupent. Si les communautés régionales doivent agir en premier lieu pour relever les défis qui affectent la paix et la sécurité, elles doivent toujours le faire avec l’appui de l’UA. Et lorsqu’une communauté régionale ne parvient pas à faire face à une situation telle que celle du Burundi, l’UA devrait être invitée à lui prêter assistance.  Pensez-vous que l’Afrique du Sud ait un rôle à jouer dans la région des Grands Lacs. Si oui, lequel ? L’Afrique du Sud entretient des liens historiques avec la région et devrait continuer à user de son influence sur les acteurs régionaux pour promouvoir les relations de bon voisinage et la coopération politique et économique. Ces dernières années, l’Afrique du Sud semble s’être moins impliquée qu’auparavant. Pour ma part, je me suis toujours efforcé d’encourager l’Afrique du Sud à continuer de jouer un rôle central en faveur de la paix et de la stabilité, notamment à titre de signataire de l’Accord-cadre du CPS et de garante de l’accord d’Arusha. 

2020

PROCHAINES ÉLECTIONS AU BURUNDI

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INSTITUT D’ÉTUDES DE SÉCURITÉ

À propos du Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité  Le Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité analyse les évolutions et les décisions du Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’Union africaine. Cette publication mensuelle est la seule à offrir une analyse sur l’actualité des travaux du CPS. Le rapport est rédigé par une équipe d’analystes de l’ISS basée à Addis Abeba.

À propos de l’ISS L’Institut d’études de sécurité (ISS) établit des partenariats pour consolider les savoirs et les compétences en vue d’un meilleur futur pour l’Afrique. L’ISS est une organisation africaine nonlucrative dont les bureaux sont situés en Afrique du Sud, au Kenya, en Éthiopie et au Sénégal. Grâce à ses réseaux et à son influence, l’ISS propose aux gouvernements et à la société civile des analyses pertinentes et fiables, ainsi que des formations pratiques et une assistance technique.

Les personnes qui ont contribué à ce numéro Mohamed Diatta, chercheur, ISS Addis Abeba Liesl Louw-Vaudran, consultante principale de recherche, ISS Andrews Attah-Asamoah, attaché principal de recherche, ISS Shewit Woldemichael, chercheuse, ISS Addis Abeba Peter Fabricius, consultant, ISS Damien Larramendy, traducteur

Contact Liesl Louw-Vaudran Consultante pour le Rapport sur le CPS ISS Pretoria Courriel: [email protected]

Les bailleurs de fonds

Ce rapport est publié grâce au soutien de la Fondation Hanns Seidel et des gouvernements des Pays-Bas et du Danemark. L’ISS souhaite également remercier les membres suivants de son Forum des partenaires pour leur appui : l’Union européenne, la Fondation Hanns Seidel et les gouvernements de l’Australie, du Canada, du Danemark, de la Finlande, de l’Irlande, des Pays-Bas, de la Norvège, de la Suède et des États-Unis.

© 2019, Institut d’études de sécurité Les droits des auteurs de l’ensemble de ce volume appartiennent à l’Institut d’études de sécurité et à ses auteurs, et aucune partie ne peut être reproduite, en tout ou en partie, sans l’autorisation expresse, par écrit, des auteurs et des éditeurs. Les opinions exprimées ne reflètent pas nécessairement celles de l’Institut, de ses fiduciaires, des membres du Conseil consultatif ou des donateurs. Les auteurs contribuent aux publications de l’ISS à titre personnel.