Franc-Vert vol. 15 no. 2 (avril-mai 1998)

Par Stéphane Gagné. 20. Les reculs du ...... prendre Rhéaume Courtois, un autre biologiste du MEF, si le ... pact de la prédation. M. Courtois ne sait pas si c'est.
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NATURE ET ENVIRONNEMENT

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Sommaire

Vol. 15, n ° 2 - avn1-mai 1998

ARTICLES 14

La marche ••. tout azimut Photo de la page couverture: Jean-François Bergeron Le sud du Québec offre, ce printemps, un deuxième sentier de longue randonnée.

CHRONIQUES -4

D'ici l'an 2000, le Québec comptera une dizaine de sentiers de longue randonnée. Plusieurs sont déjà accessibles. Par Stéphane Gagné

20 Les reculs du caribou Là où la forêt recule, le caribou des bois en fait autant. Par Anne Vézina

De votre plume

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Changements climatiques: turbulences à l'horizon Où se feront surtout sentir les conséquences de l'effet de serre? Une étude pointe les secteurs névralgiques du Québec.

Éditorial Exportation d'électricité: Klondike ou Titanic?

Par Gilles Drollin

8 Dans ma cour La culture du ginseng inquiète Kayak: la navigation au minimum Détecteur de pollution dans l'espace Le dérapage contrôlé des pneus Des toilettes sèches

13 Être aux oiseaux Les misères du verglas

30 Penser globalement Eaux souterraines : puiser sans épuiser

32 Agir localement Grand ménage dans Lanaudière Retour à la nature... en ville Verdir les parcs industriels

35 Zoom sur les parcs Le charme discret des sous-bois Papier Lithofect recyclé à 50 %, dont au moins 20 % de fibres post-Gonsommation. Ce magazine est entièrement recyclable.

FRANC- VERT • Avril - mai 1998

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r

De votre plume

Poursuivez votre mission! J

uste un petit mot pour vous confirmer l'arrivée par la poste du magnifique chapeau plein air Tilley. Je prends de plus en plus de plaisir à lire Franc-Ve1t qui s'améliore à chaque fois par sa présentation et son contenu. Je tiens donc à vous remercier et vous encourager à poursuivre votre mission. Claude Papillo11 Partez à la découverte de la nature et de l'environnement sur Internet avec l'ÉcoRoute > pour financer le recyclage et la valorisation énergétique : ce sera le moyen de faire payer les automobilistes pour régler un problème environnemental qu'ils causent. Un système bien financé et bien rodé permettra d'empêcher la montagne de vieux pneus de grossir encore. C'est après, seulement, qu'on pouna penser à la faire disparaître. Pierre Dubois

Récupérer des huiles usées La chaîne Canadian Tire a contribué, depuis 1996, à la récupération et au recyclage de 400 000 litres d'huiles usées en provenance des automobilistes bricoleurs, une portion importante de sa clientèle. Auparavant, ces huiles se retrouvaient plus souvent qu'autrement dans l'environnement. Les huiles usées du moteur, de la transmission et des systèmes hydrauliques sont aujourd'hui récupérées dans les centres de service de Canadian Tire du Québec. Le consommateur n'a qu'à s'y présenter avec sa vieille huile. Pour faciliter la récupération et le recyclage, il faut cependant se garder de mélanger les différents types d'huiles. Rénald Bélisle, marchand associé de cette chaîne et promoteur du programme, pense avoir réussi à rejoindre une bonne partie des automobilistes qui font eux-mêmes leurs petits travaux mécaniques. Voilà un «success-story» qui fait entrer en jeu de très nombreux petits gestes individuels.

Recycler toute l'auto Depuis octobre 1996, Recyclage Saint-François, une entreprise de Laval, poursuit par ailleurs, avec Recyc-Québec, un projet-pilote de recyclage complet de l'automobile. Une voiture est un assemblage d'acier, d'aluminium, de plastique, de caoutchouc, de vitre .. . L'entreprise vise d'abord le marché des pièces de rechange. On commence donc par démonter les pièces réutilisables ou réusinables. C'est le joyeux monde des démarreurs, des moteurs, des transmissions, des alternateurs, etc. On sépare ensuite ce qui reste selon les matériaux constituants. Les plastiques sont même triés par types de résine, une étape nécessaire pour trouver des débouchés. Àla fin, selon Benoît Germain de Recyc-Québec, il ne reste que la carcasse de l'auto, un acier pour lequel on trouve facilement preneur. FRANC-VERT • Avril - mai 1998

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MAITRISE EN RESSOURCES RENOUVELABLES Approche multidisciplinaire Domaines de recherche • Dynamique et méthodes de régénération de la forêt boréale; • Télédétection des microclimats agro-forestiers; • Productivité chimique des ressources végétales; • Mécanismes de la productivité aquatique.

Aide financière En plus des sources de financement traditionnelles, les étudiants oeuvrant en foresterie peuvent compter sur le support financier d'un Consortium de recherche regroupant des partenaires du milieu universitaire, des gouvernements et des entreprises privées. Maîtrise en ressources renouvelables 555, boulevard de l'Université Chicoutimi (Québec), G7H 281 Téléphone: (418) 545-5011, poste 2449 ou 1-800-463-9880 Télécopieur: (418) 545-5012 Courriel: [email protected] http://www.uqac.uquebec.ca

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DÉCHETS

Toilettes écolos lusieurs citoyens cherchent des solutions de rechange au champ d'épuration P conventionnel pour leur terrain. Les Amis de l'environnement de Brandon , dans la région de Lanaudière, ont compilé l'information la plus complète sur le sujet. Leur document, Alternatives écol'eau, traitement des eaux usées, recense l'ensemble des toilettes à compost commerciales et artisanales. Il présente les

Initiation à l'observation des oiseaux Photographe d'oiseaux bien connu au Québec, Michel Sokolyk présente 118 espèces, par ordre de difficulté d'identification. Chapitres sur les mangeoires, les nichoirs et les équipements d'observation. Publié aux Éditions de l'homme. Disponible en libraitie.

normes d'installation selon le règlement québécois sur l'évacuation et le traitement des eaux usées des résidences isolées (découlant de la Loi sur la qualité de l'environnement) . Et un chapitre est consacré au traitement des eaux usées par biofiltration. À l'intention des petites municipalités, on aborde aussi la question du traitement des eaux usées et des lixiviats, ainsi que la valorisation des boues.

Liste annotée des oiseaux de l'Abitibi Synthèse complète des observations réalisées dans cette région: 265 espèces, dont certaines n'ont jamais été mentionnées ailleurs au Québec. Publié par la Société du loisir ornithologique de l'Abitibi, sous la direction d'Edith Van de Walle. Disponible sur commande, à: C.P. 91, Rouyn-Noranda,J9X4Gl.

Les conifères en fleurs L'entretien des arbres CD-ROM sur la reproduction des principaux en milieu urbain conifères indigènes du Québec. Publié par le Deuxième CD-ROM de la série (après les ar- ministère des Ressources naturelles. Dispobustes) , pour amateurs et professionnels de nible aux Publications du Québec. l'horticulture . Publié par Hortipedia. Réserve mondiale de Renseignements: 1 888 445-6618. la biosphère de Charlevoix Un vent de printemps Carte géographique et thématique, puVidéocassette sur l'éveil de la nature, au bliée par la Réserve de la biosphère de printemps. Oiseaux, plantes et insectes fil- Charlevoix. Disponible sur commande à: més du début d'avril à la fin juin. Publié C.P. 758, Baie-Saint-Paul, GOA, IBO, par Les productions sur le vif. Disponible (418) 435-4150. en librairie.

Enfin, le document intègre une sélie de fiches techniques sur le traitement écologique des eaux usées; ces fiches ont été tirées d'un site Internet qu'on peut trouver à l'adresse suivante : http//www.enviroaccess.ca. Pour plus de renseignements sur le document: Lyse Bissonnette,(514) 835-4767, ou Monique Corbeil, (514) 835-1086. Clôde de Guise



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Avril - mai 1998 • FRANC-VERT

r

Être aux oiseaux

Par Serge Beaucher

t les oiseaux, ont-ils souffert du verglas? Assurément; mais les E plus gros impacts, pour eux, restent encore à venir. Et ils ne seront pas que négatifs. Ceux qui avaient choisi de passer l'hiver dans la région touchée y ont «goûté» : plumes complètement détrempées jusqu'à perdre leurs propriétés isolantes, nourriture raréfiée par une couche de glace qui empêche de picorer les insectes sur les troncs ou d'atteindre les petits rongeurs au sol. .. Combien y auront laissé toutes leurs plumes? La mortalité n'a certainement pas été négligeable, estime l'ornithologue André Cyr, de l'Université de Sherbrooke. Rien d'alarmant, croit toutefois le directeur de l'Association québécoise des groupes d'ornithologues (AQGO), Normand David. «L'étendue de la zone verglacée a beau avoir été grande, dit-il, cela reste très petit à l'échelle d'une espèce comme la mésange à tête noire, qui occupe toute l'Amérique du Nord.» Même dans le secteur touché, pense-t-il, nombre d'oiseaux se seront trouvé des abris, comme ils ont l'habitude de le faire par mauvais temps.

Le malheur des uns C'est peut-être à partir de maintenant qu'on verra les effets les plus importants de ce gros épisode de verglas sur la gent ailée. Dès ce printemps, quand ils reviendront parmi nous, que feront les tangaras, les viréos et toutes les autres espèces qui nichent et s'alimentent dans la partie supérieure des arbres? Des boisés complets ont été totalement décapités ! Les oiseaux descendront-ils plus bas? Les strates inférieures sont souvent occupées par d'autres espèces qui ne se laisseront pas nécessairement déloger, répond André Cyr. Déménager dans une forêt moins touchée ne sera pas non plus une garantie de succès pour la nidification: la compétition risque d'y être serrée, d'autant plus que les forêts sont peu nombreuses sur ce territoire fortement agricole et urbanisé. Cela pourrait-il placer dans une situation précaire, par exemple, un oiseau rare comme la

paruline azurée? Ce petit passereau d'un bleu doux (pour le mâle) est un spécialiste de la voûte des forêts feuillues. On ne peut le trouver, au Québec, que dans quelques grands boisés du sud, sur les Montérégiennes notamment. D'après l'Atlas des oiseaux nicheurs du Québec, c'est au mont Saint-Hilaire qu'on l'apercevait le plus souvent voilà 20 ans; mais on ne l'a presque plus revu depuis le début des années 1980, alors que cette montagne a été frappée par ... un verglas.

Le bonheur des autres Selon André Cyr, plusieurs espèces qui se nourrissent d'insectes sur les arbres (pics, mésanges, sittelles ... ) pourraient, de leur côté, profiter de la manne que leur apporteront les nombreuses blessures aux arbres. Peut-être au point de favoriser une meilleure production d'œufs et des augmentations de populations! Par ailleurs, les amas de branches au sol (là où on n'aura pas tout «nettoyé») pourraient aider à la nidification des oiseaux de broussailles, comme les bruants et le troglodyte mignon. Et les anfractuosités créées sur les troncs par des branches tombées constitueront sans doute des sites favorables à la nidification d'espèces qui

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Si certains arbres brisés restent en place, les pics profiteront des conséquences du verglas, tout comme plusieurs bruants qui apprécieront les branches laissées au sol. Photo Jacques Pharand

nichent dans des cavités, comme le grimpereau brun. Enfin, les pics trouveront sûrement plus d'arbres morts à épouiller après quelques années, le temps que les insectes s'installent et à condition qu'on laisse des chicots. Mais tout cela n'est pour l'instant que spéculation. Seules des études variées et soutenues pendant plusieurs années pourraient nous indiquer ce qu'il en sera vraiment. Or, il ne faut pas s'attendre à grand chose de ce côté, semble-t-il, sauf pour quelques initiatives prises par le Service canadien de la faune depuis le mois de février. Pourtant, s'il est vrai qu'un réchauffement climatique est en train de se produire, fait valoir Jean Gauthier du SCF, des verglas comme celui-là risquent de survenir assez souvent. «Et si des populations chutent à chaque fois, dit-il, il faudra savoir prendre des mesures au moins pour protéger les espèces rares.» En attendant, astiquez vos jumelles. C'est le printemps et les «snowbirds» s'en reviennent!

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lère des télécommunications, du TGV et de la navette spatiale, le plus vieux mode de déplacement du monde est en plein essor au Québec : la marche! Un nombre grandissant de gens s'y adonnent ... et en redemandent. Pour répondre à cette hausse de la demande, les projets foisonnent et les trajets longs y occupent une bonne place. Trois sentiers gigantesques viendront bientôt s'ajouter aux six longues randonnées accessibles.

Un sentier international Il y a d'abord le Sentier international des Appalaches (SIA), un prolongement de l'Appalachian Trail de ce côtéci de la frontière américaine. D'ici l'an 2000, ce tronçon partira du plus haut sommet de l'État du Maine, le mont Katahdin, pour se terminer sur le bord de la mer, au voisinage des phoques et des mouettes, à Cap-Gaspé dans le parc Forillon. Une balade de près de 600 km! Au Québec , une spectaculaire section de ce sentier international est déjà ouverte au public, celle qui chevauche les Chic-Chocs dans le prolongement du sentier du parc de la Gaspésie. Ces 32 km reliant le mont Logan (parc de la Gaspésie) au lac Beaulieu (réserve faunique de Matane) ont été tracés par Robert Rioux, professeur de littérature à Cap-Chat, et aménagés l'an dernier sous sa supervision (bénévole !) dans le cadre du projet de SIA. Selon M. Rioux, le paysage y est époustouflant. «D'abord, du mont Logan au mont Collins, le sentier défile sur la crête des montagnes, relate M. Rioux, d'où on a une vue sur le fleuve, la CôteNord et les méandres de la rivière CapChat. Plus loin, le sentier passe au pied des chutes de 125 m . Le marcheur peut ensuite admirer d 'innombrables lagons et chutes.» Maintenant que ce tronçon est terminé, M. Rioux et son équipe de bénévoles doivent poursui-

vre le balisage et entretenir le sentier. Bientôt, des toilettes et des sites de camping seront aussi aménagés.

Et deux canadiens Projets de plus grande envergure encore, deux sentiers pancanadiens - le Sentier transcanadien et le Sentier national - verront également le jour et s ' étendront sur environ 10 000 km chacun. Le premier sera polyvalent (pour marcheurs, cyclistes, cavaliers, skieurs et même motoneigistes), alors que le deuxième sera conçu pour les marcheurs et, à certains endroits, pour les skieurs. Dans sa portion québécoise , le Sentier national (SNQ) débutera à Hull. Il traversera le parc de la Gatineau sur 55 km (tronçon déjà complété) puis bifurquera vers l'est pour rejoindre les hauts sommets des Laurentides dont le pic Johannsen (935 m), mieux connu comme le mont Tremblant. Il poursuivra ensuite sa course vers l'est, traversant les régions de Lanaudière, Mauricie, Québec, Charlevoix et Manicouagan. À la hauteur des Escoumins, il sautera au sud du fleuve où il se divisera en deux. Un tronçon se rendra à Edmunston (N.-B.) et l'autre ira rejoindre le Sentier international des Appalaches. Dès ce printemps, avec l ' ajout de la Traversée de la Charlevoix, le tiers du trajet de 1 OOOkmdu SNQ sera complété. Objectif pour l'an 2000:

Les deux sentiers allant d'un océan à l'autre partageront quelques tronçons, dont celui qui est déjà aménagé dans le parc de la Gatineau. Photo Jean-François Bergeron Parmi les projets de sentiers de très longue randonnée, figure celui qui partira du Maine pour se terminer au parc Forillon, en Gaspésie. Dès l'été 2000, les randonneurs pourront parcourir ses 600 km. Photo Jean-François Bergeron

FRANC- VERT • Avril - mai 1998

les deux tiers du sentier, espère le coordonnateur provincial, Réal Martel. L'autre mégaprojet, le Sentier transcanadien, devrait être complété pour l'an 2000 sur une de ses deux sections, le sentier se divisant à la hauteur de Montréal: le tronçon de la rive sud sera conçu pour la famille et celui de la rive nord, pour les aventuriers. Les deux se rejoindront ensuite pour amener le marcheur vers le NouveauBrunswick, par le Petit Témis qui va de Rivière-du-Loup à Edmunston. Le sentier pourrait emprunter des sections de la Route ve1te (le futur réseau cyclable du Québec) ou d'anciennes emprises ferroviaires non utilisées par la Route verte, laisse savoir Richard Sénécal, secrétaire-trésorier de la portion québécoise du sentier. Le Petit Témis ainsi que le sentier traversant le parc de la Gatineau sont les deux seules portions confirmées et qui accueillent déjà les randonneurs. Tout le reste sera déterminé dans les mois à venir, car ce sont les intervenants régionaux qui auront le dernier mot sur le choix du tracé. Le sentier qui traverse les Chic-Chocs, dans le parc de la Gaspésie, offre une randonnée époustouflante. Photo Jean-Pierre Huard

À vos bottes! Ces gran ds réseaux du Québec seront une destination de choix p our les randonneurs d'ici et d'ailleurs. Mais il ne faut pas croire qu 'il n'existe rien pour eux, actuellement. Le dernier répertoire des lieux de marche au Québec recense 402 itinéraires. Cela comprend toutes les catégories de randonnées: dans les parcs urbains, régionaux, provinciaux ou nationaux, sur les sentiers polyvalents, en montagne, etc.

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Graduellement aménagés depuis 30 ans, les Sentiers de l'Estrie offrent 130 km de randonnée ponctuée de sommets appalachiens. Photo LMl-Daniel Pouplot

Beaucoup de ces itinéraires ont été créés au cours des 20 dernières années. Mais la première piste de longue randonnée, les Sentiers de !'Estrie, n'a été complétée qu'en 1986. Le projet remontait cependant à 1968. Ce sentier de 130 km relie tous les plus hauts sommets de la région sud-ouest de !'Estrie, dont le mont Otford, et va rejoindre la Long Trail (qui traverse le Vermont), à la frontière canada-américaine, en passant par les monts Sutton. Au début des années 1990, trois autres grands sentiers ont vu le jour: le réseau du parc du Saguenay (80 km), la Traversée de la Charlevoix (piste de 100 km conçue d 'abord pour le ski de fond, mais accessible aux marcheurs depuis 1994) et le sentier du parc de la Gaspésie (106 km), qui permet de fouler les plus hauts sommets du Québec . De l'avis de plusieurs marcheurs, ce sentier offre une randonnée tout à fait époustouflante. Il grimpe sur le mont Jacques-Cartier où le vent déferle jusqu'à 170 km/h dans un paysage de toundra, croise les caribous du mont Albert, se mire dans un lac limpide au fond d'un cirque glaciaire , contourne chutes et lagons

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Avril - mai 1998 • FRANC-VERT

dans la réserve faunique de Matane, et présente des vues aériennes imprenables sur le fleuve et sur la Côte-Nord (voir Franc-Vert, juin-juillet 1995). Plus récemment, les Sentiers frontaliers, en Estrie (90 km - voir l'encadré) et le Sentier des caps de Charlevoix se sont ajoutés à la liste. Voué à un bel avenir, le Sentier des caps a accueilli 2 000 marcheurs à sa première saison, l'an dernier, et on en attend 25 % de plus en 1998. Le lacet se déroule sur 37 km le long des crêtes (de 600 à 700 m de hauteur), de Saint-Titedes-Caps jusqu'au sommet du massif de Petite-Rivière-Saint-François. Il offre lui aussi des vues superbes sur le fleuve et est l'hôte d'une érablière à bouleaux jaunes où l'on peut marcher sous des arbres de plus de deux mètres de diamètre. Éventuellement, ce sentier sera intégré au SNQ.

Pourquoi ça marche? Comment expliquer un développement aussi rapide de grands réseaux au Québec? Le directeur de la Fédération québécoise de la marche, Daniel Pouplot, y voit surtout trois raisons : le développement général de l'écotourisme, les faibles coûts liés à la pratique de l'activité (voir l ' encadré «Le bâton ... ») et le vieillissement de la population, bien que de nombreux jeunes fassent partie des adeptes.

Destination sud-est la

es marcheurs qui connaissent beauté des L sentiers du mont Mégantic seront heureux de pouvoir poursuivre, sur 90 km supplémen-

En 1994, un autre promoteur a proposé un nouveau projet, mais plus personne n'était intéressé. Deux ans plus tard, la montaires, leur exploration de ce coin de nature tagne a finalement été préservée grâce à un sauvage, aux confins des Cantons de l'Est. Ou- projet témoin de forêt habitée, financé par le verts à l'été 1996, les Sentiers frontaliers sont ministère des Ressources naturelles. parmi les derniers nés au Québec. Ils sinuent Pour André Blais, le président des Senle long de trois petites rivières nerveuses sous tiers frontaliers, il s'agit d'une victoire. «J'ai la fraîcheur des érables, ondulent de colline en toujours combattu le projet de développevallon dans un décor charlevoisien et gamba- ment, tout en essayant de sensibiliser la popudent sur un énorme barrage de castors. Mais lation aux vertus de l'écotourisme», raconte+ leurs attraits majeurs restent sans contredit les il. Mais la victoire n'est pas encore complète. trois sommets qu'ils permettent de découvrir: Il reste beaucoup à faire pour achever l'améle mont Saddle, à 967 m, la montagne de Mar- nagement des sentiers, de la frontière de l'Esbre, à 920 m, et le mont Gosford, parmi les dix trie à l'État du Maine. Après avoir ouvert les plus hauts du Québec avec ses 1 189 m. 90 km entre le parc du mont Mégantic et le Ces deux dernières élévations offrent un mont Gosford, M. Blais et son équipe s'affaiintérêt particulier. La montagne de Marbre, rent maintenant à consolider les acquis: netconstituée de roche sédimentaire (et non de toyer les sentiers (le verglas est passé dans le marbre), présente un profil vertigineux avec des coin), aménager des sites de camping, ériger falaises qui ont jusqu'à 240 m de hauteur. La des abris et eonstruire des toilettes sèches. montagne héberge aussi des plantes inhabituelIl faudra aussi relocaliser une section de les pour la région (propres au littoral du golfe sentier (déjà!) qui a été complètement saccadu Saint-Laurent). La sapinière à épinette rouge gée par de récents travaux forestiers. Des et à oxalide de montagne sur le versant nord du coupes ont été effectuées en toute contravenmont Gosford constitue, de son côté, une asso- tion aux normes d'intervention en forêt publiciation végétale rare, qui doit éventuellement que édictées par le ministère des Ressources être protégée par une réserve écologique (pro- naturelles, notamment quant aux bandes de jet en veilleuse). Le sentier ne la traverse pas, protection à laisser de chaque côté d'un senmais il l'offre au regard, à partir du sommet. tier pédestre. L'entrepreneur forestier, repenLe mont Gosford présente par ailleurs un tant, propose maintenant un nouveau tracé. intérêt d'une tout autre nature. Son histoire réCet accroc ne concerne tout de même cente est chargée d'émotions pour les résidants qu'une petite portion de l'ensemble du tracé de la région. En 1988, la monta- (1 km). C'est donc par le biais de la marche gne devait faire l'objet d'un que les gens pourront découvrir la région énorme développement, comme frontalière du sud-est de l'Estrie. Et éventuelau mont Tremblant. On avait lement, les plus aventureux pourront rejoinplanifié d'y construire un village- dre l'Appalachian Trail, en passant par le vacance quatre saisons à voca- mont Bigelow dans le Maine. Ou encore les tion internationale; un projet Montagnes Blanches, dans le New Hampshire, évalué à 1,5 milliard$. Les ci- via le poste de douane de Chartierville. Cela toyens de la région y ont investi représente plusieurs dizaines de kilomètres 852 000 $ en échange de 22 % de pistes à ouvrir du côté américain, et moins des actions. Mais le projet n'a ja- de 20 km du côté québécois. Lorsque ce sera mais vu le jour et les petits inves- fait, les Sentiers frontaliers seront intégrés tisseurs ont tout perdu. dans une grande boucle internationale.

Deux sentiers de longue randonnée ont accueilli leurs premiers randonneurs l'été passé : les 90 km qui relient les monts Mégantic et Gosford, dans les Cantons de l'Est, ainsi que le sentier de 37 km qui longe le fleuve par les caps de Char1evoix pour se tenniner ici, à Petite-RMère-Saint-François. Photo Jean-François Bergeron

M. Pouplot croit aussi que l'intérêt des Européens pour nos vastes espaces naturels encourage FRANC-VERT • Avril - mai 1998

l'aménagement de sentiers de grande randonnée. «Ces marcheurs, dit-il, sont habitués de fréquenter ce type de sentier chez eux et s'attendent à retrouver la même chose ici.» En outre, ils raffolent des sentiers québécois, qui offrent des panoramas sur de grandes étendues sauvages et sont beaucoup moins fréquentés que les leurs. Eudore Fortin, responsable de la logistique de la Traversée de la Charlevoix, estime qu'un quart de sa clientèle vient d'Europe. Au delà de ces considérations, il semble aussi y avoir une tendance à la 17

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A vril - mai 1998 • FRANC-VERT

Verglas! A

vis aux marcheurs: plusieurs sentiers du sud-ouest du Québec ont été durement affectés par la tempête de verglas du mois de janvier. Il vaut mieux s'informer à la Fédération québécoise de la marche ou aux associations touristiques des régions où l'on veut aller marcher, avant de s'y rendre; il se pourrait que certains tronçons soient fermés. Vous pouvez aussi donner de votre temps pour participer au nettoyage. Une grande corvée aura lieu le 6 juin. Renseignements: FQM, (514) 252-3157.



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constitution de grands réseaux de randonnée en Occident. Et le Québec ... emboîte le pas. Ainsi, les Américains ont déjà l'Appalachian Trail (3 450 km du sud au nord des Appalaches) et la Pacifie Crest Trail (plus de 4 247 km sur la côte du Pacifique ) . Ils projettent maintenant de créer l'American Discovery Trail, qui traversera les États-Unis d'est en ouest, sur 10 000 km. Plus de la moitié de ce sentier, qui aura deux embranchements à partir de Denver (Colorado), est déjà balisée. Les Européens ont également leur mégaprojet qui s'étendra sur 8 000 km. Échéance des deux projets: l'an 2000.

Pérennité Maintenant que l'engouement semble là pour demeurer, et même s'accroître, il reste à assurer la pérennité des sentiers. Pour ceux qui sont situés dans des parcs, la question ne se pose pas; leur tracé est protégé. Mais pour les autres, rien n'est acquis. Le cas de la Traversée de la Charlevoix l ' illustre bien. «Depuis l'inauguration de notre sentier, nous

avons ouvert 175 km de piste pour finalement n'en garder qu'une centaine», raconte Eudore Fortin. Le sentier a dû être déplacé à la suite de coupes forestières, et les marcheurs ont ainsi perdu une belle descente de sept kilomètres. Il a aussi fallu remplacer deux refuges qui n 'étaient plus situés au bon endroit. Le tracé des Sentiers de !'Estrie, en grande partie sur des terres privées, a aussi dû être modifié à plusieurs reprises. «Les droits de passage s'éteignent avec les changements de propriétaires, explique M. Pouplot de la Fédération de la marche. Et chaque fois, il faut en renégocier des nouveaux.» Une solution, selon lui, serait de faire passer les sentiers sur des terres publiques, lorsque possible, et de signer des ententes avec les papetières qui y coupent du bois, pour préserver des corridors de verdure. Développer des sentiers ne suffit plus, il faut aussi penser à protéger leur tracé pour les générations futures. +

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FRANC-VERT • · Avril - mai 1998

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our entreprendre une longue randonnée, le marcheur se munit bien sûr d'une bonne carte, de bottes bien adaptées, d'un sac à dos confortable, d'insectifuge, d'eau, de nourriture sèche et, de plus en plus ... d'une bonne gaule. Il peut s'agir d'une simple branche ramassée par terre, aussi bien que d'un bâton télescopique vendu dans les boutiques de plein air. «Le bâton est apparu chez nos randonneurs voici deux ou trois ans», confirme Nicole Beauvais, directrice de Randonnée Plein air, un club qui accueille plus de 1 500 marcheurs chaque année. Très populaire en Europe, le bâton de pèle1in - souvent un pour chaque main - permet d'amortir le choc aux genoux lors des descentes et d'assurer l'équilibre du marcheur lourdement chargé. Mais il ne fait pas l'unanimité. «Ici, contrairement à l'Allemagne par exemple, nos sentiers sont souvent ponctués de roches et de racines en plus d'être abmpts, remarque Mme Beauvais. Le bâton risque alors de déraper ou de rester coincé.»

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omment protéger le caribou des bois, ce cervidé aux déplacements imprévisibles, qui a déjà brouté du lichen jusque dans le New Hampshire? Après le chevreuil, l'orignal, le caribou de la toundra, l'ours et le loup, c'est au tour du caribou des bois de recevoir l'attention des biologistes du ministère de l'Environnement et de la Faune (MEF). Leur intérêt vient du fait que les compagnies forestières ont commencé à couper la forêt boréale où vit le caribou des bois, et l'histoire montre qu'à mesure que l'exploitation forestière avance vers le nord, le caribou des bois recule. Les gestionnaires de la faune veulent faire des recommandations aux compagnies forestières , mais pour y arriver, il leur faut des données.

C

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Jean Huot, qui enseigne l'aménagement de la faune à l'Université Laval, n'envie pas les biologistes du MEF. «C'est une fichue affaire à démêler, dit-il. On n 'est pas devant un simple problème d'habitat, comme pour le chevreuil ou l'orignal.» En effet, même si les habitats donnent l'impression qu'ils peuvent supporter plus d'individus qu'ils ne le font, les densités de caribou dans la forêt boréale oscillent obstinément autour d'un individu par 100 km2 (sauf pour trois petits troupeaux, au sud du 49e parallèle). D'autres facteurs semblent entrer en jeu; la prédation, par exemple. C'est tout le contraire de la situation dans le nord du Québec, où le loup n 'a aucun impact sur les caribous de la toundra, notamment ceux de la ri-

vière George. Mais il faut dire que ce troupeau compte plusieurs centaines de milliers d'individus. Autre différence, les caribous de la toundra effectuent des migrations qui peuvent les mener de la baie d'Ungava à la forêt boréale, tandis que les caribous des bois sont plutôt sédentaires. Pourtant, qu'ils vivent dans la forêt ou dans la toundra, ces caribous sont unis par le même nom latin, Rangifer tarandus. Une espèce, deux destinées. «Il est assez exceptionnel de retrouver une aussi grande adaptabilité chez une même espèce», souligne Cyrille Barrette, professeur d'écologie du comportement animal à l 'Université Laval. À sa connaissance, seuls le bison et l'impala (une antilope) ont, comme le caribou, une sous-espèce forestière vivant en fai-

Avril - mai 1998 • FRANC-VERT

Les compagnies forestières ont commencé à couper la forêt boréale où vit le caribou des bois, sous-espèce forestière du caribou de la toundra. Plusieurs études cherchent à évaluer les conséquences possibles de telles coupes sur l'animal. Photos Jacques Turcotte

individus au début du siècle, dit-0n. Même si ce nombre semble exagéré, il n'en demeure pas moins qu'en 1925, il en restait exactement zéro . Entre 1969 et 1972, on a réintroduit 82

caribous dans le parc des Grands-] ardins . Cette population, qui compte maintenant environ 125 individus, constitue l ' une des trois hardes isolées vivant au sud du 49e parallèle. Les deux autres broutent dans le parc de la Gaspésie (au moins 200 individus) et dans la région de Val-d ' Or (une quarantaine). Dans le sud, la chasse semble avoir eu raison de cet animal peu farouche (donc vulnérable) , qui aime la compagnie de ses congénères et qui a besoin de beaucoup d 'espace . Certes, le caribou des bois est sédentaire en comparaison du caribou de la toundra; mais il parcourt quand même plusieurs dizaines de kilomètres entre ses habitats d'été et ses terrains d 'hiver. Il a besoin de vieilles forêts de conifères autant que de milieux ouverts. Sa principale source de nourriture est le lichen, de préférence terrestre, mais il se nourrit également de lichen arboricole. L'été, sa diète est plus variée et Jadis répandu dans le sud-est canadien et le nord américain, le caribou des bois a trouvé refuge en forêt boréale où il se nourrit de lichen. Photo MRN

ble densité et une sous-espèce de milieu ouvert vivant en grands troupeaux.

Population zéro Le caribou des bois est désormais associé à la forêt boréale (entre le 49e et le 55e parallèle au Québec), mais au siècle dernier, on le trouvait jusqu 'au New Hampshire. Il aurait même déjà fait partie du paysage de l 'Île-du-Prince-Édouard ! Les Européens qui ont colonisé le continent ne s'intéressaient pas au caribou, ce qui lui a valu un sursis; mais à partir du XJXe siècle, sa chance a tourné. Il a d'abord disparu du Vermont, en 1840, puis de quatre autres États américains et des provinces maritimes. La harde des Grands-Jardins, dans Charlevoix, aurait regroupé quelque 10 000 FRANC- VERT • Avril - mai 1998

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les animaux sont dispersés, tandis qu'en hiver, des individus sans liens apparents forment de petits groupes.

Des infidèles La vie serait plus simple pour tout le monde si les caribous allaient toujours aux mêmes endroits, mais ce n 'est pas le cas. «Ils ne sont pas fidèles aux terrains d 'hiver, dit Jean Huot. Leurs mouvements sont donc difficiles à prévoir. » Et c'est ce qui rend leur gestion si compliquée. Les biologistes du MEF, qui suivent le petit troupeau de Val-d'Or depuis quelques années, en savent quelque chose. Il y a trois ans, mentionne Luc Belisle du bureau régional d ' AbitibiTémiscamingue, ces caribous, munis de colliers émetteurs, se sont mis à fréquenter des secteurs où ils n 'allaient pas auparavant. Jean Huot ne sait pas s'il s'agit d'une stratégie pour éviter de surutiliser la nourriture, mais quoi qu'il en soit, le travail des gestionnaires ne sera pas aussi facile que pour le chevreuil, par exemple, dont on a seulement besoin de protéger le ravage. «On ne peut pas cartographier les déplacements des caribous sur un an ou deux et se contenter de protéger ce territoire», faitil remarquer. Comment décider quels secteurs sont à préserver? Certains habitats-clés semblent quand même plus importants que d'autres et méritent d'être protégés, ajoute le biologiste. Pour plusieurs troupeaux , comme celui des Grands-Jardins, c'est la pessière à cladonie. Le règlement sur les normes d'intervention dans les forêts publiques protège effectivement ce type de forêt d 'épinettes , mais seulement celles qui ont quatre hectares et plus d 'un seul tenant. Or, dans la région des Grands-Jardins, les pessières à cladonie d'une telle superficie sont rares , souligne Daniel Banville, biologiste du MEF à Québec. «Nous aimerions bien faire descendre la norme à un hectare», dit- il. Pour une protection adéquate, on ne peut guère compter non plus sur la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune. Son règlement stipule qu'au sud du 52e parallèle, seuls les territoires servant à la mise bas, au rut et à l'alimen-

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Dispersés en été, les caribous des bois se rassemblent en petits groupes pour l'hiver. Photo Jacques Turcotte

tation des troupeaux d'au moins 50 caribous sont protégés. Hormis les trois hardes connues, il n 'y a pas de troupeau identifié comme tel à ces latitudes. Qui plus est, pour qu'une aire de fréquentation soit protégée, il faut que cet habitat soit identifié dans un plan dressé par le ministre ! Présentement, setùe la harde de la Gaspésie jouit de cette protection, signale Daniel Banville. Toute une protection, puisqu'elle n 'empêche pas les coupes forestières actuelles dans des vieilles sapinières fréquentées par ces caribous (voir Franc-Vert, octobrenovembre 1997) ! Les caribous de Val-d'Or doivent aussi composer avec les coupes fores-

tières , sauf qu 'ils ne sont même pas protégés théoriquement par la loi puisqu'ils sont moins de 50. Leur population fait partie de la liste des espèces susceptibles d'être désignées menacées ou vulnérables, mais elle n'a pas encore été désignée. Les biologistes du MEF ont donc pris l'initiative de documenter les habitats fréquentés par les caribous de Val-d'Or et de mettre en place un plan d'aménagement. Ils se sont entendus avec les compagnies forestières pour protéger certains secteurs de mise bas et d 'alimentation, pour ne bûcher qu'en hiver d 'autres secteurs et pour préserver une bande forestière de 50 m autour des tourbières fréquentées par ces animaux. Ce fut un peu difficile de faire accepter le secteur

A vri l - mai 1998 • FRANC-VERT

sans exploitation, signale Luc Belisle du bureau d'Abitibi-Témiscamingue, mais les compagnies ont coopéré·: «Après tout, on ne leur demande pas d'énormes sacrifices». Le biologiste ne peut pas dire si la harde est en augmentation, mais ,le nombre de faons, à tout le moins, est redevenu normal, après avoir été très bas voilà quelques années. On pourrait parler de «raffermissement» du troupeau.

Où commence le troupeau? Pour les caribous qui, comme ceux de Val-d'Or, des Grands-Jardins et de la Gaspésie, sont isolés de leurs congénères, la notion de troupeau va de soi. Mais plus au nord, où les animaux sont dispersés sur un vaste territoire, comment sait-on où commence et où finit un troupeau? C'est justement ce qu'espère apprendre Rhéaume Courtois, un autre biologiste du MEF, si le gouvernement autorise le projet de recherche qu'il a conçu avec ses collègues. L'étude serait menée dans deux secteurs de 17 000 kmZ et 19 000 km 2, au nordouest de Baie-Corneau. Il s'agirait de délimiter les différents troupeaux, de caractériser les habitats fréquentés, de comparer des secteurs déboisés avec des secteurs intacts et d 'évaluer l'impact de la prédation. M. Courtois ne sait pas si c'est la prédation qui maintient le caribou des bois à de si faibles densités. «Dans le Moyen Nord, dit-il, il y a assez peu de prédateurs.» Pour l'instant! Certains craignent, en effet, que la coupe forestière qui s'en vient, en favorisant l'orignal, profite également à son prédateur, le loup. Or, quand ils sont plus nombreux, les loups augmentent leur prédation sur les caribous. Le triangle orignal-loup-caribou à la suite d'une coupe forestière a été observé ailleurs au Canada. En Ontario, on essaie de voir s'il est possible de Le gouvernement protège certaines forêts d'épinettes que fréquentent les caribous, à condition que ces pessières aient au moins quatre kilomètres et que le troupeau compte plus de 50 bêtes. Des ententes particulières avec des compagnies forestières peuvent aussi être prises, comme c'est le cas dans la région de Val-d'Or. Photo Jacques Turcotte

minimiser les effets de la coupe. Dans le nord-ouest de la province, indique Bruce Petersen, du Fonds mondial pour la nature (WWF), on est en train d'effectuer des tests pour voir si, en concentrant la coupe dans un grand bloc bien délimité, on peut réduire la prédation du caribou à l'extérieur de ce bloc. Si tel était le cas, cela démontrerait un avantage à regrouper les activités forestières dans certains secteurs de la forêt boréale, plutôt que de laisser les compagnies gruger un peu partout. André Gingras, biologiste du MEF à Sept-Îles, pense que la coupe à blanc avec protection de la régénération et des sols - la CPRS - pourrait réduire l'impact de l'exploitation forestière. «La coupe favorise l'orignal parce que la régénération est généralement composée de feuillus, dit-il. Mais lorsqu'on fait une CPRS, on protège les semis de conifères déjà installés. L'orignal devrait être moins favorisé.» L'étude éventuelle du MEF devrait élucider cette question puisque deux traitements seraient inclus: les secteurs coupés avant 1987 et ceux où la CPRS a été pratiquée plus récemment. Mais il reste la question des routes: certains experts mettent la voirie forestière en cause. Quand il y a aussi peu d'animaux que ces caribous, chaque mort par accident routier pèse lourd sur la survie d'un troupeau. Les routes favori-

FRANC- VERT • Avril - mai 1998

Les coupes forestières nordiques n'affectent pas seulement le paysage que fréquente le caribou. Comme on l'a noté ailleurs au Canada, elles amènent dans leur sillage l'orignal, bientôt suivi du loup, qui devient un prédateur efficace du caribou. PhotoMRN

sent aussi l'accès aux braconniers et aux chasseurs qui, même s'ils visent l'orignal, peuvent tuer le caribou par accident. Sans parler de la chasse légale au caribou qui est encore pratiquée dans la région du réservoir Manicouagan. Chaque automne, 600 permis de chasse au caribou des bois sont octroyés. «Bon an, mal an, on récolte entre 15 et 30 animaux, évalue André Gingras. Dans le secteur de Fermont, un peu plus au nord, on chasse aussi le caribou en hiver, mais habituellement les chasseurs se pointent seulement si le caribou de la toundra est dans les parages. Il est fort possible, néanmoins, que des caribous des bois vivant dans la région soient abattus. N'apparaît-il pas pour le moins étonnant qu'on permette encore la chasse, compte tenu de la situation précaire de l'animal et de l'effet dévastateur que cette pratique a eu dans le passé? Le caribou des bois semble à la limite de sa capacité à survivre, estime Jean Huot de l'Université Laval, et comme son taux de recrutement est faible, quand on le dérange, cela a presque toujours un effet négatif. +

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DE ~t~l9TRE

L

es récentes catastroph es naturelles viennent nous rapp eler que les changements climatiques pourraient poser un problème planétaire. Pour l'instant, nous ne pouvons établir un lien direct entre les événements extrêmes tels que la tempête de verglas et les phénomènes globaux comme les changements climatiques et El Nüio. Il est clair par contre que partout dans le monde, on commence à subir les répercussions que ces changements pourraient causer . C'est pour cette raison que le gouvernement du Canada s'est engagé formellement , en décembre dernier à Kyoto , à réduire ses émissions de gaz à effet de serre pour afficher, entre 2008 et 2012, des niveaux infé-

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Environnement Canada

rieurs de six pour cent à ceux enregistrés en 1990. Notre objectif est réaliste et réalisable, et il se compare à ceux des autres pays développés. Le gouvernement canadien , de concert avec les gouvernements provinciaux et territoriaux, entend consulter tous les intervenants en matière de changements climatiques, y compris les organismes voués à la protection et à la conservation de l 'environnement, pour établir un plan d'action national nous assurant l'atteinte des objectifs de Kyoto. Mais les gouvernements et organismes ne peuvent y arriver seuls . Ils doivent pouvoir compter sur un effort collectif, engageant tous les Canadiens et les Canadiennes. Les personnes

déjà sensibilisées à l'environnement, comme les lecteurs et lectrices de Franc-Vert, peuvent contribuer considérablement à l' atteinte des objectifs fixés, et peut-être même à leur dépassement. Vous pouvez aussi inciter vos voisins, vos amis, vos collègues de travail et vos partenaires d'affaires à imiter vos gestes . Vous pouvez diffuser l'information trouvée dans des magazines comme Franc-Vert, lancer des initiatives communautaires ou participer activement à celles lancées par d'autres, encourager les gens qui vous entourent à adopter des habitudes respectueuses de l'environnement, ne serait-ce que de les encourager à limiter l'usage de leur automobile. En tant que ministre de !'Environnement du Canada, je sollicite aujourd'hui votre apptù. Ensemble, nous pouvons protéger notre environnement et réduire les émissions de gaz à effet de serre. Ensemble, nous relèverons le défi des changements climatiques.

Canada

Environ ment Canada

Message du ministre de l'Environnement et de la Faune Chers lecteurs et chères lectrices,

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En décembre 1997, j'ai dirigé une délégation du Québec qui a participé à la Conférence de Kyoto sur la gestion des changements climatiques. Nous avons pu constater que l'esprit des négociations, fort positif, était résolument tourné vers la recherche de solutions concrètes. Même si les discussions furent difficiles, on sentait chez tous les participants la volonté de conclure une entente parce que, dans les faits, plus personne ne remet en cause le sérieux de la problématique des changements climatiques.

Les résultats ont dépassé les attentes de plusieurs observateurs, même si l'entente actuelle n'est qu'un premier pas vers la résolution de cette problématique. Par ses prises de position responsables concernant cet enjeu environnemental majeur, le Québec a contribué à faire avancer très significativement le débat au Canada .. Soyez assuré que nous continuerons à le faire au cours des différentes étapes de mise en œuvre du Protocole de Kyoto.

faut donc commencer tout de suite à prendre des mesures de stabilisation et de réduction de ces gaz si nous voulons être dans une meilleure position dans 25 ou 30 ans. Je ne crois pas avoir à convaincre les lecteurs de Franc-Vert de l'importance des impacts environnementau.t, économiques et sociaux des changements climatiques, ni des pressions que les activités humaines exercent sur l'environnement par l'émission de gaz à effet de serre, ni de l'urgence d'agir. Si nous n'avons pas encore toutes les réponses à nos questions ou tous les outils nécessaires pour agir, nous devons travailler à les acquérir. Au Québec, nous mettrons en place les mécanismes requis afin que tous les acteurs concernés par cette problématique puissent participer activement au développement et à la mise en oeuvre d'un plan d'action québécois efficace sur la gestion des gaz à effet de serre. En tant que ministre de /'Environnement et de la Faune, je me fais un point d'honneur de mettre tout en œuvre pour que nous puissions trouver ensemble des solutions acceptables et réalistes à la problématique des gaz à effet de serre responsables du phéntJmène des changements climatiques.

Au rythme où le développement mondial s'effectue, nous n'avons que quelques décennies pour donner un coup de barre majeur dans la gestion des émissions de gaz à effet de serre. Il ENVIRONNEMENT ET FAUNE QUEBEC

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PaulBégin

Québec :: Avril - mai 1998 • FRANC-VERT

Par Gilles Drouin

Où se feront surtout sentir les conséquences de l'effet de serre? Une étude pointe les secteu-rs névralgf,ques du Québec. a crise du verglas, les inondations du Saguenay, celles du Manitoba ... les occasions ne manquent pas pour évoquer le réchauffement de la planète et ses conséquences néfastes. Équation trop simple? Peut-être que oui, peutêtre que non. De façon générale, on veut bien admettre qu'il y a augmentation du gaz carbonique et des gaz à effet de serre, qu'il y a un réchauffement planétaire et que les conditions climatiques globales en seront perturbées. D'ailleurs, en 1995, le Groupe intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), qui regroupe 135 pays et plus de 350 scien-

L

tifiques, a énoncé pour la première fois que «l'homme a une influence perceptible sur le climat global». C'est tout dire lorsqu'on sait avec quelle circonspection ces déclarations de nature diplomatique sont rédigées ... Par contre, lorsqu'il faut parler des effets à une échelle régionale ou locale, la certitude laisse place à la nuance, aux données insuffisantes et, surtout, aux connaissances partielles sur les interactions entre le climat et les divers écosystèmes. C'est pour déblayer le terrain que l'Étude pancanadienne sur les impacts et l'adaptation à la variabilité et au changement climatique a été entreprise en

FRANC-VERT • Avril - mai 1998

La plupart des pays admettent maintenant que l'humain a une influence perceptible sur le climat global. Au niveau local, notamment au Québec, les scientifiques appréhendent déjà certains effets. Photo Claude Ponthieux

1996. À partir d'un examen de la documentation scientifique existante, l'étude a pour principal objectif d'identifier les secteurs les plus sensibles aux changements climatiques, de même que ceux qui ont une capacité d'adaptation , explique Gérald Vigeant, chef de la Division des services scientifiques à Environnement Canada. Avec Luc Bergeron, un consultant en environnement, et Jacinthe Lacroix, présidente de l'Association de climatologie du Québec, M. Vigeant a rédigé le chapitre de l'étude consacré au Québec. Une quarantaine de scientifiques québécois ont contribué directement à cette étude, apport au-

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quel il faut aj outer celui de s nombreux participants à deux séminaires sur le sujet. La première phase, terminée à l ' automne 1997, a surtout permis de mesurer les connaissances actuelles et de pointer les lacunes à combler pour mieux comprendre les effets des variations climatiques sur les écosystèmes et les activités socioéconomiques . Au total , les auteurs ont relevé 34 lacunes et formulé 57 recommandations ! Le second volet de l'étude, qui devrait s'étendre jusqu'en 2002, aura pour principal objectif de combler ces lacunes dans nos connaissances. «Il s'agit de donner des bases plus solides à ceux qui auront à faire des choix politiques», souligne Gérald Vigeant.

Des secteurs sensibles Les auteurs sont donc loin de prétendre apporter des réponses à toutes les questions qui concement les effets des changements climatiques. Leur travail leur a tout de même permis de pointer les secteurs où pourraient se faire sentir les plus grands effets. Les scénarios sont élaborés à partir de l'hypothèse d 'un doublement de la concentration en C0 2 au cours des 50 prochaines années (de 360 ppm en 1996 à plus ou moins 650 vers l'an 2050) , si les tendances actuelles se maintiennent. Selon la modélisation du climat présentée dans l 'étude, il en résulterait une tendance générale au réchauffement de 1° C à 40 C partout dans le sud du Québec, et de 20 C à 60 C dans la partie septentrionale de la province. Ce réchauffement serait plus accentué en hiver, ainsi que plus important et intense dans le nord du Québec. «Le» grand secteur affecté serait évidemment celui des ressources hydriqu es: l'eau , dont tout le reste dépend, et qui constitue sans contredit la question centrale du réchauffement climatique. Le sud du Québec recevrait des précipitations près ou légèrement audessus des normales saisonnières (jusqu'à 10 % d'augmentation), tandis que les régions plus nordiques écoperaient entre 10 % et 20 % de plus que les va-

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leurs actuelles. Il faut dire que ces données correspondent à la variabilité naturelle des précipitations d'une année à l'autre. Pas de quoi écrire à sa mère? Pas si sûr, car la hausse des températures moyennes provoquera une plus grande évapotranspiration ainsi qu'une fréquence accrue des orages et des averses violentes. Ces deux facteurs mis ensemble auront pour conséquence de réduire le niveau des eaux des rivières. L'étude pancanadienne avance l'hypothèse d 'une réduction de 40 % des débits moyens du fleuve Saint-Laurent à Montréal et de 33 % à Québec! Conjuguée à la diminution estimée du débit des rivières du nord du Québec (jusqu 'à 35 %) , cette baisse influencerait la production hydroélectrique. Au sud, érosion des berges, assèchement des terres humides en bordure du fleuve et diminution de l'eau disponible pour l'irrigation des terres agricoles sont également au nombre des conséquences possibles, sans oublier les problèmes d 'app rovisionnement en eau p otable pour les municipalités qui p uisent dans le fleuve (45 % de la population québécoise). Selon Luc Bergeron, l'un des auteurs de l'étude, les municipalités sont relativement bien équipées pour assurer l'approvisionnement en eau potable, même avec des niveaux plus bas. «Mais elles auront des difficultés impor-

L'Étude pancanadienne avance l'hypothèse d'une réduction du débit du Saint-Laurent de 40 % à la hauteur de Montréal. Cela pourrait rendre chroniques des épisodes de basseseaux comme on en connaît de temps à autre, ici aux îles de Verchères en juillet 1995. Érosion des berges et assèchement des milieux humides s'en suivraient. Photo Centre Saint-Laurent

tantes si ces niveaux baissent de façon durable jusqu'aux extrêmes atteints dans les bas de cycles, comme au milieu des années 1960», prévient-il. Or, si se réalisait l'hypothèse d'une réduction de 40 % du niveau des Grands Lacs, utilisée pour la modélisation dans l'étude, le débit moyen du fleuve se comparerait justement à celui des basses eaux des années 1960. «On doit toutefois comprendre qu'il s'agit d'une hypothèse de travail et non d'une évaluation p récise», souligne M. Bergeron. Il faut dire aussi que, depuis cette époque, de nombreux ouvrages ont été construits pour régulariser le débit du fleuve . Reste à savoir s'ils ne seront pas utilisés pour maintenir le niveau d'eau des Grands Lacs ... au détriment du Saint-Laurent. Chose certaine, la navigation serait touchée par une diminution du débit dans le fleuve . Non seulement devrait-on réduire le tonnage des navires mais, en plus, on pourrait être tenté de draguer certaines portions du chenal maritime, avec tous les impacts environnementaux qui en découleraient.

A vril - mai 1998 • FRANC-VERT

Migration de quenouilles? Mais d'un point de vue naturaliste, ce sont peut-être les milieux humides qui subiraient les conséquences les plus importantes d'un assèchement partiel du fleuve; d 'autant plus que les ouvrages de régulation servent davantage les besoins de la voie maritime que ceux des habitats naturels qui bordent le cours d'eau. Le manque de connaissances quant aux effets du réchauffement du climat sur les milieux humides constitue l'une des lacunes relevées dans l'étude pancanadienne . Mais on n'en est tout de même plus au point zéro. Biologiste au Centre Saint-Laurent, Christiane Hudon est l'une des scientifiques dont les travaux ont servi de base à l'étude. Depuis quelques années, elle s'intéresse aux changements qui peuvent se produire dans la section des eaux douces du Saint-Laurent. L'été radieux de 1995 a donné un niveau d'eau exceptionnellement bas dans la vallée du Saint-Laurent. «Nous avons alors vu des zones habituellement inondées s'assécher, rappelle+ elle. Les espèces émergentes, comme les quenouilles, ont eu la vie dure, mais ont survécu.» Que se serait-il passé si les épisodes de basses eaux s'étaient répétés en 1996 et en 1997? «Ces plantes auraient probablement migré vers le fleuve ou seraient disparues, estime la biologiste. Nous pensons qu'il serait aussi possible de voir des espèces exotiques mieux adaptées à ces conditions coloniser les terres asséchées.» En bref, étiage ou crue auraient pour effet de changer considérablement le paysage et probablement de provoquer la disparition de certaines espèces. La variabilité du niveau des eaux du fleuve est un phénomène naturel, mais elle suit toujours sensiblement le même scénario : hautes eaux au printemps et diminution progressive jusqu'à la fin d'août ou au début de septembre. La faune et la flore sont adaptées à ce rythme. «Mais si des températures élevées provoquent l'inondation en plein

hiver plutôt qu'au printemps, les règles du jeu changent>>, souligne Mme Hudon. Les oiseaux migrateurs ne sont pas là, les poissons ne sont pas prêts pour le frai et les plantes qui se pointeraient le nez souffriraient rapidement du froid.

Cette possible récurrence des événements extrêmes semble être ce qui inquiète le plus la communauté scientifique, notamment les auteurs de l'étude pancanadienne. C'est vrai pour des phénomènes météorologiques

Ce qui inquiète les scientifiques est le risque de récurrence d'événements extrêmes comme les tempêtes de verglas ou les feux de forêt. Un épisode de verglas est certes dommageable, mais ce serait la catastrophe s'il revenait chaque année ... Photo Jocelyn Boutin

Les risques de la récurrence L'écosystème du fleuve a connu des variations importantes au cours du dernier siècle et y a survécu. Toutefois, si les changements climatiques provoquent une recrudescence de ces événements exceptionnels, de surcroît à des moments inopportuns, les conséquences pourraient être dramatiques. «Il suffirait d'une diminution supplémentaire d'environ un mètre du niveau des eaux pour transformer le lac SaintPierre en une zone où domineraient les marécages», estime Christiane Hudon.

FRANC-VERT • Avril - mai 1998

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comme le verglas ou les inondations (imaginez un instant de telles crises qui se répéteraient à tous les deux ou trois ans!), mais aussi pour les catastrophes qui touchent des écosystèmes comme la forêt, ou encore des phénomènes millénaires comme les courants marins. «Les patrons de circulation des eaux côtières sont stables depuis des milliers d'années, souligne Mme Hudon. Il est certain que des changements dans les vents dominants et les courants de surface auront un effet sur la productivité marine. » En forêt , les scénarios avancés dans l'étude évoquent des transformations radicales. On estime ainsi que la forêt boréale pourrait se déplacer de 300 km vers le nord et que la productivité serait à la hausse. «À première vue, estime toutefois Serge Payette, directeur du Centre d 'études nordiques de l'Université Laval, il est peu probable que les choses se passent ainsi. Il n'y a rien de linéaire en forêt. C'est un écosystème complexe, influencé par beaucoup de facteurs . Une augmentation des températures moyennes favorisera sans doute la productivité, mais d ' autres éléments joueront. Nous pourrions avoir une recrudescence des feux de forêt . Si de tels événements se produisent au printemps, juste après la fonte des neiges, il faut s'attendre à des feux catastrophiques qui influenceront le paysage forestier pendant des décennies.» Aux violents feux de forêt pourraient s ' ajouter une cascade d 'événements comme des épidémies (insectes ou maladies) ou encore des sécheresses prolongées qui transfor-

meraient les forêts en véritables barils de poudre. «La forêt boréale est plus fragile qu'on le pense généralement, prévient Serge Payette . Une série d 'événements catastrophiques peut mettre en péril des peuplements.»

Industrie et santé Et qu'en serait-il de l 'agriculture? Voilà un autre secteur très sensible. Les nombreuses recherches en génétique ont toutefois montré que plusieurs plantes agricoles pourraient s'adapter aux changements climatiques. L'augmentation importante de la saison de croissance et du nombre de degrés-jour serait aussi favorable à des récoltes plus abondantes. .. mais dans la mesure où les événements climatiques extrêmes tels que le verglas, les orages violents, la grêle ou les périodes de sécheresse ne viendraient pas annuler les effets bénéfiques. Encore ici, la disponibilité et la gestion des ressources en eau pourraient être au cœur des préoccupations. Des hivers plus doux, des forêts plus vulnérables, des rivières et un fleuve au débit plus faible: autant d 'ingrédients qui bouleverseraient sans doute aussi l'industrie québécoise du loisir et du tourisme. Les études dans ce secteur sont rares, mais il y a lieu de croire qu'il se produirait une réorientation importante de l'industrie. Autre domaine peu documenté : la santé humaine. «Dans ce secteur, souligne Gérald Vigeant, il est prioritaire de rehausser le niveau de sensibilisation des gens.» On sait cependant que les épisodes de smog et les vagues de froid ou de chaleur peuvent causer

une hausse de la mortalité. L'étude pancanadienne avance un scénario où le taux de mortalité associé aux vagues de chaleur pourrait être jusqu'à 20 fois plus élevé qu'actuellement. Ce survol des effets possibles des changements climatiques montre qu'il reste encore beaucoup d'éléments à éclaircir. En décembre dernier, le sommet de Kyoto a permis de préciser un peu plus la volonté des pays participants en ce qui concerne la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Pour l'an 2012, les signataires se sont engagés à ramener leurs émissions à un niveau inférieur de 5,2 % à ce qu'elles étaient en 1990; un chiffre dont la précision est sans doute rendue possible par une série d'habiles calculs .. . Mais encore faudra-t-il que les pays respectent leur engagement. Déjà, les États-Unis ont exprimé leur réticence et le lobby du pétrole n 'a sûrement pas encore pesé de tout son poids dans la balance. Et même si l'objectif de 2012 est atteint, il s'agira ensuite de maintenir un contrôle serré. «Il ne faudrait pas simplement repousser l'échéance du doublement du co2 au siècle suivant», souligne Luc Bergeron. Rien n'empêche, non plus, que l'augmentation de la concentration des gaz à effet de serre se produise plus rapidement que prévu, ou que ses effets se fassent sentir plus tôt. «Une chose est sûre, indique Gérald Vigeant, nous avons besoin de renforcer la surveillance climatique et ne pas perdre de vue que les divers systèmes ont des temps de réponse de plusieurs années. Il faut agir maintenant pour espérer obtenir des résultats dans l'avenir.» +

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A vril - mai 1998 • FRANC-VERT

Publi-reportage

Les outils de réduction des émissions de gaz à effet de serre: la position d'Hydro-Québec 1. Développement hydroélectrique En 1994, le gouvernement fédéral créa it un processus de concertation pour évaluer la capacité du Canada à réduire ses émissions des gaz à effet de serre (GES). En 1995, suite à ce processus, le groupe de trava il ( Forecast Working Group of the National Air Issues Coordinating Mechanism ) déposait son rapport. Parmi les 85 mesures étudiées, aucune ne portait sur le développement hydroélectrique comme moyen de réduire les émissions. Le groupe de travail a donc oubl ié que le Québec a réduit ses émissions de gaz carbonique de 26 % entre 1975 et 1995,essentiellement à cause du développement hydroélectrique. De plus en 1996, les exportations québécoises d'hyd roélectricité ont permis d'éviter des émissions de GES équiva lentes à celles de 4 millions de véhicules automobiles.

plantation, ailleurs, de mesures moins coûteuses. De plus, comme le gestionnaire du système a distribué, au moment du démarrage du système, des permis dont le total est équiva lent à la limite des émissions, il y a un grand niveau de certitude quant au respect de l'objectif environnemental.

Avantages comparatifs des systèmes de permis

Si les autorités politiques n'adoptent pas un instrument économique (comme un système de permis ou une taxe sur le carbone), la seu le autre approche consiste à intervenir dans plusieurs secteurs de la société (tran sport, indust rie, électricité ... ), avec une panoplie de réglementations ou de subvention s. En comparaison avec une telle approche réglementaire, un système de permis: • évite le recours à une multitude de réglementations complexes; 2. Appui à l'implantation d'instruments économiques, • évite le recours à des subventions contraires au principe« pollueur payeur » ; comme un système de permis échangeables pour la ·assure une plus grande équité entre les secteurs et entre les gestion des GES entreprises ; • est compatible avec une économie de La gestion des GES au Canada impliquera 21 _,._ _ _____ marché et les tendances récentes assodirectement toutes les provinces et tous .~ ci ées à la restructuration des marchés de les grands secteurs économiques.Le défi 13' 19 Canada l'énergie ; excluant les données consiste donc à élaborer un plan d'action ~ 17 québécoises ·offre aux intervenants un choi x plus m qu i sera assez souple pour tenir compte § 15 large de mesures (substitution de carbu.Q des situations et intervenants très diverrants, économies d'énerg ie, dévelopsifi és, tout en assurant un haut nivea u Suède 13 pement hydroélectrique ); d'efficacité économique (da ns le sens ~ 11 • représente un mécanisme formel pour qu'il faut choi sir les options les moins c .Q 9 accorder des crédits pour des mesures coûteuses par tonne de réduction de la .~ de compensation dans d'autres secteurs ,J] 7 pollution).Après plusieurs années à éva(ex. reboisem ent) ou pour des projets luer les moyens d'action et approches dans d'autres pays. 1975 1980 1985 1990 1995 envisagés par les autorités politiques, ~

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Hydro-Ouébec considère que la meilleure approche, pour relever ce défi, est un système de permis échangeables.

Appui formel d'Hydro-Québec Qu'est-ce qu'un système de permis échangeables ? Dans le cadre d'un système de permis échangeables, les pollueurs des divers secteurs doivent acquérir des permis pour« couvrir» leurs ém iss io ns ann uelles. Si leurs émiss ions augmentent, il s doivent acheter des permis d'autres participants ou si elles baissent, il s peuvent ve ndre des permis. À la fin de chaque année, chaque participa nt doit faire rapport concernant ses émissions. Si un participant ne possède pas le nombre de permis requis, il doit payer une pénalité pour non-conformité. (Notons que, selon les modalités d'application, certa ins auteurs parlent de perm is de pollution, de crédits de pollut ion, d'allocations ou de quotas. li s'agit de synonymes ou de systèmes légèrement d ifférents qui fonctionnent selon les mêmes principes). Un système de permis favorise les mesures les plus efficaces sur le plan économique, car un pollueur peut respecter ses obligations, soit en réduisant ses propres ém issions, soit en payant pour l'im-

L'appu i à un système de permis a été décidé en 1994 et réitéré en février 1997 : « pour éviter l'implantation de mesures sectorielles et peu équitables, Hydra-Québec soutient l'implantation d'un système canadien de perm is échangeables, pour la gestion des émissions de GES associées à la consommation d 'énergie. » L'appu i d'Hydro-Québec est cependant conditionnel au maintien de la capacité de concurrence de l'industrie électrique. Cette position est donc sujette aux deux conditions suivantes: Un système canad ien de perm is est acceptable seulement: a) si toute la distribution de carburants au Canada est incluse dans le système, non seu lement les carburants utilisés par l'i ndustrie électrique ; b) si les Ëtats-Unis adoptent un système de permis ou d'autres mesures équivalentes qui assureront le respect des engagements américains.

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Penser globalement

Eaux souterraines

Puiser sans épuiser Par Caroline Julien Ile fait rêver les uns en bleu. Elle fait broyer du noir à d'autres. Une chose est ce1iaine, E au cours des derniers mois, l'eau a fait beaucoup jaser. L'un des thèmes particulièrement discutés: les eaux souterraines. La réflexion n'est pourtant pas nouvelle. Deux grandes commissions d'enquête (rappo1is Legendre en 1972 et rapport Pearse en 1986) se sont déjà penchées sur la question. Mais depuis plus d'un an, regain d'intérêt. En décembre dernier, au Symposium sur la gestion de l'eau au Québec, organisé par l'Institut national de la recherche scientifique (INRSEau), on a porté beaucoup d'attention aux eaux souterraines. «Le débat s'est même cristallisé autour de cette question, qui n'est pourtant pas la plus importante», s'exclame Louise Vandelac, une des porte-parole de la Coalition Eau-Secours. Peut-être pas la plus importante, mais sans doute l'une des plus révélatrices des lacunes de la gestion de l'eau au Québec. Pourquoi donc toute cette agitation autour de la ressource hydrique souterraine? C'est qu'une quinzaine de compagnies embouteillent de l'eau puisée dans le sous-sol québécois, et que certaines ont augmenté leur production de façon impo1iante dernièrement. L'une d'elles, Breuvage Nora, a enregistré une croissance de plus de 30 % de son chiffre d'affaires annuel depuis sa fondation voilà dix ans. Cette croissance inquiète; mais elle fait aussi rêver. «Nous sommes les Arabes de l'eau; ma boule de cristal me dit que, d'ici 20 ans, le commerce mondial de l'eau douce deviendra très important, et je vois venir la soif des Américains», déclarait David Cliche, alors qu'il était encore ministre de l'Environnement et de la Faune, en 1997.

Surexploitation de l'eau? Rêve ou crainte .. . les embouteilleurs nous poussent à nous interroger. Naviguonsnous vers une surexploitation des eaux souterraines? «Les entreprises ne puisent que 0,01 % de cette ressource renouvelable», affirme.Jean Filion, vice-président d'Aquaterra, qui embouteille l'eau Labrador. Dans un rapport publié en avril 1997, le ministère de l'Environnement et de la Faune (MEF) abonde dans le même sens. L'exporta30

tion d'eau commerciale, soutient ce rapport, ne représente pas une menace globale sur les réserves d'eau souterraine; elle correspond tout au plus à la consommation annuelle d'un village de 400 à 600 habitants. Le volume des eaux souterraines dans les régions habitées du Québec a été évalué à environ 2 000 km3. Dans son rapport «Contexte social de la gestion des eaux souterraines au Québec», l'INRS-Eau affirme que le climat et le relief du Québec privilégient une abondance de l'eau telle qu'il est difficile d'imaginer qu'on pourrait en manquer. Abondance. Un mot déjà entendu pour d'autres ressources naturelles, ce qui devrait commander la prudence ... Il faut dire que, pour l'instant, l'inquiétude se loge à un autre niveau. À l'échelle du Québec, l'exploitation de l'eau souterraine ne cause pas de problème, admet Stéphane Gingras, coordonnateur régional de l'Union SaintLaurent-Grands Lacs et représentant de la Coalition montréalaise pour un débat public sur l'eau. «C'est sur une plus petite échelle qu'il faut se pencher, dit-il. Localement, la surexploitation peut devenir extrêmement problématique, surtout si un promoteur s'installe là où la ressource est déjà convoitée.» Gennain Franche, un producteur en serres de la municipalité de Saint-André, près de Mirabel, fait partie de ceux qui disent avoir été affectés par l'activité des embouteilleurs. «Depuis 1983, raconte-t-il, la compagnie Transport Richard Foucault pompe l'eau souterraine pour différents embouteilleurs. Son puits est situé à un ou deux kilomètres du mien. Je ne m'en suis jamais plaint ... jusqu'à l'automne 1996.» Cette année-là, Transport Foucault a commencé à vendre à la compagnie Breuvages Nora, et sa production est passée de 6 à 18 litres par seconde. Ce n'était plus cinq ou six camions par jour que Germain Franche voyait passer chez lui, mais

près d'une trentaine, chargés de 28 000 litres chacun. Il a alors commencé à manquer d'approvisionnement dans son puits, tout en observant une détélioration de la qualité de l'eau. Le taux de fer est passé de 0,04 à 0,63 ppm (paiiie par million), et le taux de soufre était tellement élevé que la faniille Franche avait du mal à boire son eau. «Nous étions très inquiets!»

Une ressource convoitée Le problème, selon plusieurs citoyens de Saint-André, n'a lien à voir avec la quantité d'eau prélevée annuellement. «C'est que cette eau est toute puisée au même endroit! Près de 75 % de l'eau embouteillée au Québec est pompée proche de chez moi, dans la région de Mirabel», se plaint Germain Franche. Mais pour Guy Filion, de la compagnie Aquaterra, la production des embouteilleurs n'est pas inquiétante, même localement. «Avant de nous installer sur un site, assure-t-il, nous réalisons des études. Nous engageons des hydrogéologues qui calculent la recharge naturelle, et nous nous assurons de pomper moins que cette quantité.» Sauf qu'ils ne sont pas les seuls à pomper dans une même nappe. Les eaux souterraines représentent environ 20% des sources d'approvisionnement en eau potable du Québec. Elles alimentent 60 % des municipalités et on s'en sert à des fins agricoles, industrielles et minières: irrigation des terres, abreuvement du bétail, cultures hydroponiques et en serres, pisculture, production de boissons, climatisation ... Les embouteilleurs tiennent-ils compte de tous ces autres usages dans leurs études? En fait, selon Michel Ouellet, hydrogéologue du MEF et chargé de projet pour la politique de conservation des eaux soute11'aines, les spécialistes engagés par les embouteilleurs ne sont pas tenus d'estimer la consommation des autres utilisateurs. Ils doivent cependant dresser

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entenau et qui commanae ta pruaence .. •

Avril - mai 1998 • FRANC- VERT

l'inventaire des usagers dans un rayon d'un kilomètre et mesurer les impacts d'un test de pompage sur ces utilisateurs. «Il y aurait sans doute lieu de réaliser des études plus exaustives», suggère Joseph Tremblay, hydrogéologue pour la Coop Envirotech-Eau, de Dorval. Mais le problème vient smiout du fait que les citoyens n'ont pas accès à ces études; les producteurs ne sont pas tenus de dévoiler la quantité d'eau pompée. Et lorsque surviennent des conflits entre les utilisateurs d'une région, aucune contre-expertise aux études des embouteilleurs n'est réalisée par le gouvernement. À l'automne 1996, lorsque la compagnie Aquate1rn courait les autodsations pour creuser un puits à Franklin, près de la frontière américaine, quelques citoyens inquiets ont eux-mêmes commandé une contreexpertise. Ils ont fait appel à un agronome et à l'hydrogéologue d'Envirotech-Eau, un des seuls spécialistes qui ait accepté de se prononcer sur la question. Cette contre-expertise leur appds que la recharge était encore moins rapide qu'ils pensaient; elle les a aidés dans leur lutte contre l'embouteilleur, mais elle leur a coûté 50 000 $, une situation honteuse, estime Louise Vandelac de la Coalition Eau-Secours. «Il est anormal que le fardeau de la preuve revienne aux citoyens; c'est au gouvernement à réaliser les contre-expertises», juge Mme Vandelac.

«Ün s'acharne sur les embouteilleurs, mais à la limite, je pense que le débat est faux» , rétorque Olivier Banton, hydrogéologue pour l'INRS-Eau. L'ensemble des embouteilleurs du Québec, selon lui, ne puisent pas plus d'eau que certains propriétaires de pisciculture isolément. Et certaines autres utilisations affectent beaucoup plus la qualité de l'eau que les embouteilleurs, l'agriculture notamment.

Une politique de l'eau? Des discussions sont en cours dans les coulisses du pouvoir pour instituer une nouvelle politique de l'eau qui correspondrait mieux à la réalité québécoise. Par exemple, on remet en question le droit de propdété individuelle. Actuellement, l'eau souterraine appartient à celui qui possède le ten-ain où elle se trouve, et aucun utilisateur n'est tenu de rendre compte de la quantité qu'il consomme. Une politique de l'eau pourrait permettre de contrôler, par des compteurs, le pompage des eaux souterraines de tous les utilisateurs commerciaux. «Pas pour faire payer la ressource, mais pour savoir exactement la quantité puisée», précise Martine Ouellette, porte-parole du Parti québécois sur ce dossier. Il s'agirait d'assurer que la quantité prélevée ne dépasse pas la capacité de recharge. L'instance politique parle par ailleurs de nationalisation de l'eau. D'autres,

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dont la Coalition Eau-Secours, préfèrent parler d'un système de redevances qui pe1mettrait à tous les Québécois de profiter de la vente d'eau, en vrac ou embouteillée. Manifestement, il y a matière à discussions. Plusieurs avenues méritent examen, par les experts, mais aussi par la population elle-même. Il faudra donc un débat encadré par une commission indépendante, selon le président de l'Union québécoise pour la conservation de la nature (UQCN), Harvey Mead, ce qui est loin d'être acquis pour l'instant, juge-t-il. Un débat est prévu pour ce printemps, mais tout indique que le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) en sera écarté, ce qui serait inadmissible, fait valoir M. Mead. «Je ne vois pas d'autres instances que le BAPE pour assurer un débat démocratique et rigoureux.» Le président de l'UQCN ajoute que les embouteilleurs auraient eux-mêmes tout avantage à souhaiter un véritable débat. «L'étude approfondie des dossiers, dit-il, révélera peut-être que l'embouteillage n'est pas le centre du problème.» Qualité de l'eau, approvisionnement en eau potable, privatisation des réseaux d'aqueducs, gestion des eaux usées ... voilà autant d'aspects à explorer lors d'un véritable débat sur la resssource. Tempête dans une bouteille d'eau? Disons plutôt: bouteille qui étanchera peut-être notre soif de réponses.

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Agir localement

Grand ménage dans Lanaudière 'époque n'est pas si loin où chaque coin de campagne cachait son petit L dépotoir denière une grange, dans une coulée ou dans un boisé. Au fil des ans, s'y sont entassés pêle-mêle de la ferraille, des électroménagers, des débris de construction et jusqu'aux vieilles carcasses d'automobiles et de machinerie agricole. Dans Lanaudière, le Conseil régional de l'environnement (CREL) vient de lancer une opération nettoyage d'une partie de ces dépôts «sauvages». Une première au Québec pour un projet d'une telle envergure! Ce programme expérimental de restauration de sites de résidus en milieu rural se déroulera sur 75 fermes, totalisant 101 sites. La majorité de ces dépotoirs clandestins sont répartis dans cinq municipalités qui ceinturent la ville de Joliette vers l'ouest.

Cet été, une centaine de dépotoirs sauvages de la région de Joliette seront débarrassés de leurs déchets.

La cour est pleine Le repérage des dépôts sauvages s'est déroulé au cours de l'automne 1997. «Nous avons trouvé de tout, rapporte Michel Lambert, responsable du programme au CREL : des matéliaux secs, des bidons d'huile et d'essence, des piles, des pneus, de la broche de clôture. Nous prévoyons remplir 350 conteneurs de démolition, en excluant les 72 carcasses d'automobiles et les 65 vestiges de machineries agricoles.» Cette entreprise «grand ménage» vise à diminuer la pollution diffuse (25 sites contiennent des déchets dangereux et 30 sont situés en milieu riverain); mais elle veut aussi éliminer une source de pollution visuelle, parce que la beauté du paysage fait partie intégrante du patlimoine naturel. Un nouveau métier Pour que l'action soit un succès, il faut la collaboration du milieu et un soutien financier. «De ce côté, assure Michel Lambert, nous avons des acquis. L'Union des producteurs agricoles (UPA) de Lanaudière, ses syndicats de base, des agriculteurs, la Corporation du bassin versant Saint-Esprit et la Société d'agriculture de Montcalm nous appuient.» Le ministère de l'Environnement et de la Faune (MEF), celui de l'Agriculture, des Pêcheries et de l' Alimentation (MAPAQ) et celui de la Solidarité et de l'Emploi ont également collaboré. Pour sortir la ferraille de ces dépotoirs, en général difficilement accessibles, il faut de la machinerie lourde et une main-d'œuvre qualifiée. 32

Photo CRE-Lanaudière

Voici une belle occasion de créer un nouveau métier, signale Michel Lambert: travailleur spécialisé en nettoyage et restauration des milieux naturels. Actuellement, une dizaine de personnes reçoivent la première formation, d'une durée de six semaines, élaborée avec l'aide du Service de formation professionnelle de la Commission scolaire de l'Industrie de Joliette. M. Lambert prévoit que le nettoyage de tous les dépôts se tenninera au mois de novembre. Par la suite, le CREL compte offlir son expertise pour étendre son programme à l'ensemble des 2 300 fermes de Lanaudière et faire le grand ménage des dépotoirs illicites sur les terres publiques. Mais l'ambition ne s'arrête pas là; tQUtes les fermes du Québec devront éventuellement être nettoyées. On en compte approximativement 40 000. Voilà une mesure de création d'emplois dans le secteur environnemental qu'il vaut la peine d'explorer, s'enthousiasme Michel Lambert. Des emplois à temps plein et pour longtemps.

Les 3RV Que fera-t-on de tous ces résidus? Ils seront récupérés, recyclés, valorisés. Le CREL a obtenu de Recyc-Québec la certification 3RV (réduction, réemploi, récupération et valolisation). On reconnaît par cette certification que l'organisme aura tout mis en œuvre pour valoliser les résidus qui seront extraits des dépôts sauvages. L'équivalent de 36 conteneurs sur 350 poseront cependant des difficultés de recyclage. Parmi les élé-

ments problématiques : les sacs de moulée, les bâches et les grands polythènes, l'amiante, l'uréthane, le gypse, les tuyaux en PVC, les néons et les tubulures d'érablières. «Cela nous permettra également de mettre en lumière qu 'il n'existe toujours pas de système adéquat de collecte des résidus pour le secteur agricole» , précise M. Lambert. Pour restaurer le paysage en milieu rural, il y a encore du pain sur la planche!

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Clôde de G11ise

IfBabillard Vous désirez plus d'information sur les dossiers traités dans Agir localement? Vous avez une expérience à partager avec les groupes cités ou vous aimeriez les appuyer ?Voici leurs coordonnées.

Conseil régional de l'environnement de Lanaudière 365, rue Saint-Louis C.P. 658 Joliette, Qc, J6E 7N3 Nature-Action Boucherville C.P. 243 Boucherville, Qc, J4B 5T6 Société de l'arbre du Québec 45, rue Desjardins, bureau 104 Lévis, Qc, G6V 5V3

Avril - mai 1998 • FRANC-VERT

Retour à la nature 'est le début d'un temps nouveau, pour la livière aux Pins, qui traverse Boucherville sur la live sud du Saint-Laurent, en Montérégie. Une première plantation d'arbres, d'arbustes et de plantes glimpantes a été réalisée en bordure du cours d'eau, l'automne dernier. Et les efforts de renaturalisation se poursuivent cette année. «La livière aux Pins représente un type de milieu très rare dans la région de Montréal», signale Élie Molin, le président de Nature-Action Boucherville, un groupe environnemental né en 1990. Elle ablite la frayère la plus considérable du couloir fluvial, entre Montréal et le lac SaintPierre. Sur les 44 espèces de poisson présentes dans cette section du fleuve, 16 se reproduisent dans la frayère, dont le grand brochet, la perchaude et l'achigan à grande bouche. Le site attire, en outre, plusieurs espèces d'oiseaux associées aux milieux humides: martin-pêcheur, hibou des marais, chevalier branle-queue, butor d'Amélique et busard Saint-Martin pour ne nommer que celles-là. La plupart des canards barboteurs du Québec y ont aussi été observés.

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Des rives urbanisées «Le problème, indique Claude Juteau, un administrateur de Nature-Action Boucherville, c'est que les 1iverains avaient en quelque sorte plis possession de la plaine inondable entourant la livière et l'avaient tout simplement ur-

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en ville

banisée.» «Croyant bien faire, explique Éric Molin, plusieurs tondaient leur pelouse jusque sur le bord de l'eau.» C'est dans l'espoir de redonner un environnement plus favorable à la faune et à la flore du secteur, que Nature-Action Boucherville a proposé son projet de renaturalisation. Grâce à l'appui financier de Saint-Laurent Vision 2000, de la Ville de Boucherville et de la Fondation de la faune dµ1 Québec, entre autres, le groupe a planté, sur une superficie de 14 ha, plus de 2 350 végétaux: quelques grands arbres comme le pin blanc, le peuplier à feuilles deltoïdes, le tilleul amélicain et l'érable rouge; mais srutout des sureaux du Canada, des viornes lentago, des cornouillers stolonifères, des myliques baruniers, des vignes des livages et autres plantes de berges. Nature-Action Boucherville a aussi incité la Ville à modifier l'entretien de ses parcs liverains et a obtenu l'assurance que la municipalité appliquera sa Politique de protection des lives, du littoral et de la plaine inondable. Cette politique exige une bande de protection riveraine de 10 m à paitir de la ligne naturelle des hautes eaux.

Un compromis nécessaire Ayant reçu leurs subventions tard, les instigateurs du projet ont dû passer rapidement à l'action après avoir rencontré les citoyens. «Les voisins des parcs liverains se sont sentis un peu bousculés, reconnaît Claude Juteau, mais la plupart se sont dit très heureux du pro-

jet. Seulement une quinzaine étaient mécontents ou réticents sur plus de 60. » Pour rallier l'ensemble de ses citoyens, la Ville a suggéré de créer une zone tampon entre les terrains touchés et la partie qui deviendra en friche aux abords de la livière. «Par souci esthétique, nous ferons donc appel, dès ce plintemps, à des ai·chitectes paysagistes afin d'ajouter des arbustes et des plantes de frange», souligne Bruno Bergeron, le chef du Service de l'urbanisme.

Un projet plus vaste La Ville souhaite cependant aller plus loin. Pour protéger de façon permanente plus de 150 ha de la frayère et favoliser la nidification de la sauvagine, elle négocie, avec l'aide de la Fondation de la faune, des acquisitions de terrains et des ententes de conservation avec des propliétaires et des producteurs aglicoles. Par ailleurs, en vue d'augmenter la productivité de la frayère, la municipalité veut aménager, avant la fin de l'année, un fossé piscicole et un étang pour la sauvagine en aval du secteur renaturalisé. De plus, l'an prochain, un ouvrage de régulation de l'écoulement des eaux pourrait être implanté. En attendant, un circuit d'auto-interprétation sera inauguré. Tout comme le projet de Nature-Action Boucherville, ce circuit sensibilisera la population à la valeur de ce petit bijou qu'est la rivière aux Pins. LyneLauzon

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'automne dernier, un premier parc industriel, celui de Lauzon sur la live sud de Québec, a reçu la visite d'un commando de planteurs d'arbres. Un commando surtout pas clandestin puisque les entreplises du secteur, les groupes locaux et nationaux ainsi que les citoyens le composaient ou l'appuyaient, chacun à sa façon: achat des jeunes plans, travaux d'aménagement, plantation, etc. Le Conseil régional de l'environnement de Chaudière-Appalaches, qui a lancé l'action, s'est pour l'occasion associé à la Société de

FRANC-VERT • Avril - mai 1998

l'arbre du Québec (SODAQ). Cette dernière compte maintenant porter ses efforts sur d'autres parcs industliels, à commencer par SaintNicolas (Chaudière-Appalaches). Un parc de votre voisinage ferait-il un bon candidat?

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Calendrier

EXCURSIONS ET VOYAGES

CONFÉRENCES ET EXPOSITIONS

Jusqu'en juillet Visites ornithologiques guidées des îles du Saint-Laurent. Tournées d'une journée aux îles de Boucherville, Varennes, Verchères et Contrecœur (embarcation et marche). Groupes de trois à cinq personnes. Renseignements : Martin Picard, (514) 655-0146.

Jusqu'au 23 avril L'art et la clientèle en or. Exposition de peintures, sculptures et photographies sur le thème des oiseaux, par des personnes de l'âge d'or de Granby. Au Centre d'interprétation de la nature du lac Boivin. Organisé par le CINLB. Renseignements: (514) 375-3861.

2 mai Appel à la chouette. Excursion dans les sentiers du Centre d'interprétation du lac Boivin, à Granby, précédée d'une conférence sur les chouettes et les hiboux. À 19 h 30. Organisé par leCINLB. Renseignements: (514) 375-3861.

Jusqu'au 16 août Chasseurs du ciel Exposition itinérante sur les rapaces, maintenant au Musée de la civilisation, à Québec. Renseignements: (418) 643-2158.

9 mai Migration des rapaces à Saint-Fabien. Rendez-vous à 10 h au belvédère Raoul-Roy, à Saint-Fabien. Organisé par le Club des ornithologues du Bas-Saint-Laurent. Renseignements: Gérard Proul:x, (418) 722-8947.

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