décembre1995-janvier 1996 Penser globalement Joue-t

6 déc. 1995 - pour mettre en place un forum national sur les biotechnologies. ... Département de biomédecine vétérinaire de l'Université de Montréal à Saint-.
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Vol.12, nº6 - décembre1995-janvier 1996 Penser globalement Joue-t-on à la roulette russe avec la vie P.34-35 - Stéphane Gagné D'ici quelques années, le consommateur pourra faire provision de plusieurs fruits, légumes et céréales génétiquement modifiés. Au Canada, la tomate MacGregor, à mûrissement plus lent, ainsi que deux variétés de colza résistants aux herbicides ont déjà été homologués. Des centaines d'autres produits sont en développement dans les centres de recherche privés et gouvernementaux. Mais le consommateur veut-il de ces produits créés artificiellement en laboratoire? Selon un sondage réalisé en 1994 pour le compte du ministère fédéral de l'Industrie, une majorité de consommateurs refusent d'acheter des aliments issus des nouvelles biotechnologies. Plusieurs craignent que ces produits représentent un danger pour leur santé et pour le règne végétal ou animal concerné. D'autres sont contre toute forme de manipulations génétiques et ne veulent pas consommer des aliments issus de ces opérations. D'autres sondages ont aussi confirmé la même tendance chez les consommateurs. Absence de loi Pourtant, d'importantes multinationales, dont Mosanto, Calgene et Rhone Poulenc poursuivent le développement d'aliments nouveaux. On pense notamment à des plants de café dépourvus de caféine, à des légumes auxquels on aura transféré les composés anticancéreux d'autres légumes, à des saumons pouvant être élevés en eau très froide. De son côté, le gouvernement canadien procède à l'homologation de produits génétiquement modifiés sans même avoir adopté de loi régissant les activités dans ce domaine. À Ottawa, on tente de corriger cette situation. Des rencontres réunissent présentement entreprises, associations de consommateurs, groupes écologistes et gouvernement pour mettre en place un forum national sur les biotechnologies. On prévoit y discuter de tous les aspects liés aux biotechnologies, impacts environnementaux et socioéconomiques compris, en prévision de l'adoption d'une loi cadre. Le hic, s'indigne Rose-Marie Schneeberger, responsable du dossier à la Fédération nationale des associations de consommateurs (FNACQ), c'est que le gouvernement n'a qu'un budget de 150 000 $, ce qui est bien peu pour organiser un tel forum! De plus, on ne s'entend pas sur les sujets à discuter lors de ces consultations. Plusieurs sont même mal à l'aise à l'idée de discuter des risques associés aux biotechnologies. Pendant ce temps, les entreprises de biotechnologies marquent des points. Exemple: la somatotrophine bovine recombinante (Stbr). Cette hormone de croissance administrée aux vaches laitières permet d'accroître leur production de lait de 10 à 25%. En février 1994, la Stbr a été autorisée aux États-Unis. Au même moment, le gouvernement fédéral imposait un moratoire devant l'opposition de plusieurs individus et groupes qui doutent de l'innocuité du produit sur la santé humaine et sur celle des bovins. Même la Fédération des producteurs de lait du Québec se prononce contre son usage devant la grande réticence des consommateurs à boire du lait modifié à la Stbr. Malgré cela, à la fin de l'été 1995, le moratoire sur l'usage de la Strb a été levé. Sans consultation et malgré l'envoi à la ministre fédérale de la Santé, Diane Marleau, de centaines de milliers de lettres de citoyens s'opposant à l'usage de l'hormone.

Des craintes La crainte de la population face aux produits biotechnologiques est-elle justifiée? Le gouvernement et les entreprises de biotechnologies prétendent que non. Les méthodes de manipulations génétiques se sont beaucoup améliorées; on ne procède plus au hasard comme avant, disent-ils, et le processus d'homologation des produits biotechnologiques est rigoureux. Pour chaque nouveau produit végétal, nous évaluons, entre autres, ses possibles impacts environnementaux, ses risques sur la santé humaine et animale, sa qualité agronomique ainsi que sa sécurité et son efficacité nutritionnelle, soutient Marie-Christine Bonfils, biologiste à la division des produits végétaux au Bureau des biotechnologies végétales à Ottawa. Lorsque le produit est enfin autorisé, le risque est minimal. Un processus similaire existe aussi pour les biotechnologies touchant aux animaux, à l'environnement et aux produits pharmaceutiques. Pourtant, les associations de consommateurs, les groupes écologistes et les gens au fait du dossier sont inquiets. Par exemple, comment saura-t-on si une réaction allergique est due à tel légume consommé ou plutôt à une protéine produite dans ce légume à cause d'un gène animal introduit dans le nouveau code? En fait, le consommateur ne sait plus devant quel type d'aliment il se trouve, pas plus qu'il ne connaît les conséquences de la culture de ces nouveaux produits sur l'environnement, notamment sur la chaîne alimentaire. Les risques à long terme ne sont pas évalués en détail, juge Lise Pilon, professeur d'anthropologie à l'Université Laval et auteure d'une étude sur les biotechnologies pour le compte de la FNACQ. Dans le cas de la tomate MacGregor, dont la vente est déjà autorisé au Canada, l'homologation a été trop rapide et uniquement basée sur les renseignements fournis par la compagnie américaine Calgene, créatrice du produit, dénonce-t-elle. D'une manière plus générale, beaucoup de personnes doutent de la capacité des organismes réglementaires à déterminer l'innocuité de nouveaux produits, selon RoseMarie Schneeberger, de la FNACQ. Depuis les événements du sang contaminé, des prothèses mammaires ou de la mousse d'urée formaldéhyde, affirme-t-elle, les gens font moins confiance au gouvernement. Rappelons que ces produits, qui se sont révélés dangereux à l'usage, avaient reçu la bénédiction du gouvernement. Hormone en question Le cas de la Stbr illustre bien cette divergence de vue entre les entreprises de biotechnologies et le gouvernement d'un côté, les groupes de pression et les citoyens avisés de l'autre. Divergences sur l'étiquetage, sur les études à faire avant d'autoriser la vente du produit et sur les dangers du produit pour la santé. Il n'y a aucun risque à utiliser la Stbr de façon contrôlée et réglementée, croit Arthur Tremblay, professeur au Département de biomédecine vétérinaire de l'Université de Montréal à SaintHyacinthe. Au Québec, seuls les vétérinaires seront autorisés à administrer, l'hormone contrairement aux États-Unis où tout le monde peut se la procurer. M. Tremblay croit que cette hormone peut être très utile pour les vaches paresseuses qui ne produisent pas leur plein potentiel. L'hormone, assure-t-il, permet d'économiser l'énergie nécessaire au métabolisme de la vache, ce qui lui permet de diriger plus d'énergie vers la production de lait.

Et le développement possible de maladies chez la vache dans tout cela? Certains chercheurs prétendent, en effet, avoir observé une fréquence plus élevée de mammites (irritations des glandes mammaires), de mastite (infection du pis), de surmenage et d'avortements chez les vaches qui carburent à la Stbr. Chez l'humain, consommateur de ce lait, on parle de possibilité de cancer à cause de la hausse du taux de IGF-1, une hormone associée à la croissance de nombreuses tumeurs, dans le lait modifié à la Stbr. Rien de tout cela ne peut se produire si la Stbr est administrée sous la surveillance d'un vétérinaire qualifié, soutient M. Tremblay. À cela, Lise Pilon réplique: Les vétérinaires sont en conflit d'intérêts dans ce dossier puisque ce sont eux qui auront l'exclusivité de la vente et de la distribution de la Stbr. Étiquetage clair Une fois le lait modifié à la Stbr sur le marché, le consommateur devrait normalement avoir la liberté de choisir entre un lait produit avec ou sans hormone. Or, ce droit fondamental ne semble pas acquis. La compagnie fabricante du produit, Monsanto, souhaite que le lait modifié à la Stbr ne fasse l'objet d'aucun étiquetage spécifique, comme aux États-Unis, affirme Lise Pilon. Pourtant, la majorité des consommateurs canadiens souhaite le contraire. L'étiquetage du lait à la Stbr (ou de tout autre produit biotechnologique) est au centre du débat. Les entreprises prétendent qu'un étiquetage de leurs produits pourraient sous-entendre qu'ils sont dangereux pour la santé. Selon la FNACQ, les entreprises préféreraient aussi que leurs produits ne soient pas identifiés clairement pour contrer la résistance des citoyens à les consommer. Le gouvernement parle d'un étiquetage négatif (ex.: lait sans Stbr), tandis que les consommateurs et leurs représentants veulent un étiquetage distinct. Si nous pouvons aujourd'hui nous procurer des produits génétiquement modifiés, c'est que ceux-ci, tout comme les techniques utilisées pour les obtenir, ont été brevetés. D'un point de vue éthique, on peut se demander s'il convient de breveter des créatures vivantes, créées par manipulation génétique, de la même façon que tout autre produit de consommation courante. Andrée Roberge, professeure invitée à l'Institut national de recherche scientifique (INRS-Santé), se posait la question lors d'un colloque sur le sujet en 1994, à l'Université de Montréal. On doit s'interroger sur les limites de ce qui peut être breveté, déclarait-elle. Hier, c'était une bactérie qu'on brevetait, aujourd'hui, une souris transgénique et demain... l'être humain? Pour un agent de brevet, la question ne se présente pas de la même façon. Pourquoi faire une discrimination entre la brevetabilité d'un objet inanimé et celui d'un être vivant, se demande Thierry Orlhac, agent de brevet chez Léger, Robic et Richard. Dans la mesure où les critères nécessaires à l'obtention d'un brevet sont respectés (utilité, nouveauté, originalité et possibilité de décrire le nouveau produit), pourquoi ne pas l'accorder? Dans l'histoire de l'humanité, des brevets ont été accordés dans des domaines bien plus néfastes pour l'homme: gaz moutarde, agents de guerre bactériologique.