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Business School WORKING PAPER SERIES

Working Paper 2014-137

Retours d’expérience concernant les activités de veille stratégique dans les entreprises : vers une évolution de l’ingénierie ? Une étude de cas dans une grande organisation d’un secteur industriel Manelle Guechtouli Serge Amabile Coralie Haller Adrien Peneranda

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Retours d’expérience concernant les activités de veille stratégique dans les entreprises : vers une évolution de l’ingénierie ? Une étude de cas dans une grande organisation d’un secteur industriel

Manelle Guechtouli IPAG Business School, Paris-Nice Serge Amabile CERGAM, Aix Marseille Université Coralie Haller CERGAM , IAE Aix en Provence Adrien Peneranda IMPGT, Aix en Provence

Résumé Cet article propose une mise en perspective des principales difficultés liées à la mise en œuvre de système d’information de veille stratégique dans les entreprises. Il s’appuie sur l’étude approfondie du système de veille d’une grande entreprise du secteur industriel à travers une recherche-action qui a duré plusieurs mois. Basé sur une approche inductive, notre étude identifie plusieurs facteurs problématiques que nous classons en 3 catégories. Ces difficultés sont ensuite discutées et des recommandations managériales sont formulées. Mots clefs : Veille stratégique, organisation, difficultés, formalisation.

Abstract This paper is dealing with major issues on a competitive intelligence system. Our research is based on an inductive approach as we study the case of the competitive intelligence system of a big technological firm. Results identify 3 categories of factors that are widely discussed. Key-words: Competitive Intelligence, organization, issues, formal, informal.

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1.

Introduction Des travaux fondateurs d’Aguilar [1967] à des recherches plus récentes [H. Lesca et al. 2005, Guechtouli, 2007, N. Lesca et Caron-fasan, 2008, salvetat, 2008] un consensus semble s’être établi autour de l’intérêt des activités de veille stratégique pour les entreprises. Que l’on parle de survie, d’anticipation ou d’adaptation, les auteurs s’accordent à dire que les activités de veille ou de surveillance de l’environnement sont essentielles. Le système de veille est un système d’information (N.lesca et Caron-Fasan, 2008) visant essentiellement à collecter et analyser et traiter des informations pouvant avoir une portée stratégique et/ou opérationnelle. Cet intérêt décrit dans la littérature dédiée semble cependant contraster ave le constat que peuvent faire les chercheurs sur le terrain. En effet, dès le début des années 1990, des auteurs comme H. Lesca et Raymond [1993] ont souligné que malgré l’intérêt que porte les managers aux activités de veille, ces derniers avouent souvent ne pas savoir précisément en quoi consistent ces activités, ni comment les mettre en place. Aujourd’hui, les activités de veille passent pour un exercice difficile (Boulifa et mamlouk, 2009), de nombreux projets « veille » connaissent des situations d’échec en termes de délai, de cout, de bénéfice ou d’atteinte d’objectifs pour l’organisation (N. Lesca et Caron-Fasan, 2008). Des facteurs d’échec essentiellement organisationnels, comportementaux et stratégiques ont ainsi été identifiés dans la littérature [Ewusi-Mensah et Przasnyski, 1991]. Notre étude s’intéresse également aux facteurs d’échec des systèmes de veille. Précisément, notre objectif est de comprendre les difficultés que rencontrent les acteurs en entreprise dans ce contexte. Contrairement aux auteurs précédents, nous allons partir du terrain dans une démarche inductive. Notre question de recherche pourra donc être formulée ainsi : Quelles sont les principales difficultés que rencontrent les acteurs du système de veille sur le terrain? Notre recherche sera basée sur un cas unique étudié en profondeur. Nous allons précisément nous intéresser à ce que l’acteur « fait » (Orlikowski, 2002). Notre unité d’analyse sera l’activité de veille des acteurs et notre objet de recherche l’acteur du système de veille. Le but de notre recherche sera d’éclairer les managers intéressés sur les principales difficultés identifiées afin de faciliter l’implémentation et le déploiement des systèmes de veille dans les organisations.

La première partie de cet article présente le cas étudié, la méthodologie et l’analyse des données. La seconde partie présente les résultats de la recherche qui sont ensuite discutés. La troisième et dernière partie présente la conclusion et les préconisations managériales.

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1. L’étude de cas: le système de veille de l’entreprise Technotech1. Les cellules de veille stratégique observées appartiennent à une grande entreprise du secteur industriel implantée dans le sud de la France. Leader sur son marché en termes de volumes et de chiffres d’affaires, l’entreprise évolue sur un marché hautement technologique et fortement concurrentiel. Cela justifie en grande partie notre choix. Nous avons également choisi ce terrain au regard de nos premières interactions avec des membres du système de veille qui nous ont confirmé que l’entreprise possédait bien un système de veille organisé2. 1.1. Méthodologie de la recherche Notre recherche s’inscrit dans une volonté de compréhension des échanges et des processus de diffusion des informations développés au sein de l’entreprise Technotech dans le cadre de son dispositif de veille stratégique. Ainsi, s’agissant d’explorer le contexte hétérogène et multidimensionnel du management de l’information au sein d'une grande organisation, nous avons suivi la recommandation de Miles et Huberman (1984) qui suggèrent l’adoption d’une méthodologie de nature qualitative pour étudier les phénomènes en profondeur. La perspective envisagée est de dégager des caractéristiques originales pour tester, voire compléter une théorie existante (Yin, 1994). Le dispositif de veille stratégique de Technotech ainsi que le fonctionnement, les comportements et, plus particulièrement, les échanges d’information de ses acteurs ont donc été étudiés au moyen d’une étude de cas unique (Yin, 1994 ; Eisenhard, 1989) qui se caractérise par une importante flexibilité lors des interactions avec le terrain. En effet, au travers de contacts approfondis avec ce dernier, cette méthode donne accès à une richesse de données mettant l’accent sur la compréhension des dynamiques présentes (Hlady Rispal, 2009). En outre, notre objet de recherche s’interrogeant sur le « comment » et le « pourquoi » d’une situation de gestion, il semble pertinent de recourir à la méthode des cas (Yin, 2003). Dans ce contexte, nous avons fait appel à plusieurs modes de recueil de données. D’une part, nous avons procédé à une analyse de données secondaires en constituant des corpus documentaires (rapports annuels d’activité, notes internes, lettres d’information, compte-rendus de réunions, etc.). D’autre part, nous avons conduit des entretiens semidirectifs (Wacheux, 1996) auprès de différents acteurs de Technotech. Précisément, nous avons réalisé 45 entretiens semi-directifs (d’une durée moyenne de deux heures). Ces entretiens se sont déroulés dans les locaux de l’entreprise, sur le lieu de travail des salariés concernés. En ce qui concerne la détermination de l’échantillon des acteurs interrogés, notre recherche portant sur le dispositif de veille stratégique de l’entreprise, il était pertinent, dans un premier temps, de rencontrer et d’interroger les acteurs “institutionnels” de la veille dans l’entreprise. Il s’agit des acteurs dont les activités sont “officiellement” définies et reconnues par la hiérarchie comme étant (à temps plein ou à temps partiel) de participer, de développer et d’animer le dispositif de veille. Pour ces acteurs, la première 1

Pour des raisons évidentes de confidentialité liées à la sensibilité des données recueillies, nous resterons discrets quant au nom et aux informations pouvant permettre d’identifier l’entreprise.

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Nous avons interviewé 4 responsables au tout début de l’étude pour avoir un aperçu du système de veille de l’entreprise.

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vague d’entretiens s’est donc réalisée à partir d’un critère institutionnel. Au nombre de 12 (3 veilleurs à temps plein et 9 veilleurs à temps partiel), ces personnes ont été rencontrées et interrogées de façon exhaustive. Ce premier investissement nous a permis d'appréhender le réseau des veilleurs de l’entreprise. Notons, toutefois, que notre objectif n’était pas de déterminer les structures exactes de ce réseau mais d’appréhender les processus d’échanges et de diffusion des informations se réalisant dans l’entreprise et, en particulier, entre les acteurs de la veille. Exprimé autrement, il s’agissait de saisir la dynamique des interactions existant entre ces derniers. Dans un second temps, nous avons interrogé des acteurs de l’entreprise avec lesquels les veilleurs avaient indiqué avoir développé des échanges d’informations. En d’autres termes, nous avons sollicité leurs correspondants (boule de neige). La deuxième indication qui nous a permis de délimiter les personnes à interroger nous a donc été directement fournie par les acteurs institutionnels de la veille. Il s’agit des acteurs (dont les activités dans l’entreprise ne sont pas directement liées à la veille) avec lesquels ils entretiennent une relation de partage d’informations. Ce deuxième groupe d’acteurs forme un “small world” au sens de Milgram : il s’agit de relations non locales, même très peu nombreuses, qui réduisent considérablement la distance moyenne entre les individus sans pour autant nuire à la cohésion locale du réseau (Bouba-Olga, 2003). Douze de ces correspondants ont ainsi été interrogés. 2. Résultats 2.1. l’organisation globale du système de veille L’organisation des activités de veille chez Technotech est répartie en plusieurs cellules de veille de taille très réduite, conformément aux cellules de veille ou d’intelligence économique observés dans d’autres recherches (Belmondo, 2008, El-mabrouki, 2007). L’entreprise Technotech possède une cellule de veille dédiée en interne. Malgré leur statut formel, les acteurs de cette cellule semblent difficiles à identifier et à approcher. De même, les interactions entre cette cellule centrale et le reste de l’organisation furent difficile à identifier car extrêmement complexes. Une grande partie de ces interactions est informelle, irrégulière et emprunte différents supports (mails, réunions, téléphone, etc.). Le système de veille possède un statut formel chez Technotech. Il est officiellement organisé en trois cellules de veille principales à travers l’entreprise et coordonnées par une cellule de veille centrale (en corporate). Cette cellule centrale reçoit ses directives du directeur stratégie dont elle dépend hiérarchiquement. Le système est globalement soutenu par le top management dont il reçoit régulièrement des requêtes directes ou indirectes . Le rôle de cette cellule centrale est de gérer toutes les informations de veille provenant des veilleurs dans l’entreprise. Cette cellule est également censée coordonner les autres cellules de veille et faire le lien entre ces derniers et la stratégie. Ainsi, la cellule coordonne les équipes de veilleurs dans les trois principales structures de l’entreprise, à savoir les 3 BU (Business Unit) de l’entreprise. Les acteurs de la veille Nous avons classés les acteurs de la veille dans l’entreprise en trois catégories (selon leurs activités de veille) : les veilleurs formels (regroupant les veilleurs temps plein et mi-temps), les veilleurs informels et les veilleurs potentiels. 2.2

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Catégorie d’acteurs

Nombre d’acteurs interrogés

Proportion Description (%)

« Veilleurs formels » veilleurs temps plein

9,5% 2/3

Les veilleurs à temps partiel « Veilleurs formels »

80% 8/10

Les veilleurs 3/NC informels

Les veilleurs potentiels 9/NC

14,2%

42,8%

Les veilleurs de la cellule de veille centrale de l’entreprise. La veille correspond à 100% de leur travail. Ce sont des veilleurs formels au sens ou ils sont reconnus comme tels par le management et évalué sur leurs activités de veille. Les acteurs font de la veille de manière formelle au sens où ils sont évalués par leurs supérieurs en partie sur ces activités là. La veille représente en moyenne entre 25 et 50% de leur activité professionnelle. Ces acteurs font partie du réseau de veille informel au sens ou ils font de la veille, sont en relation avec les veilleurs formels mais ne sont pas « contraint » ou sollicités officiellement par leur management pour participer au système de veille. Ce sont des acteurs qui font de la veille sans être en contact avec le système de veille formel /veilleurs formels de l’entreprise.

La proportion des acteurs interrogés est différente d’une catégorie à l’autre dans la mesure où les catégories ont été construites a posteriori3. Le diagramme suivant permet de voir le nombre d’acteurs interrogés par catégorie.

Les acteurs furent essentiellement questionnés au sujet de leurs activités de veille (organisation, sources d’information, etc.). Nous avons également pu observer ces activités directement dans l’entreprise. Nous avons ensuite mis en perspectives un certain nombre de difficultés ou « freins » à la veille en partant de nos observations mais également à travers nos différentes interactions avec les acteurs sur le terrain.

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Nous avons commencé par interroger les acteurs des cellules de veille de l’entreprise, puis nous avons élargit notre échantillon à d’autres acteurs - liés au système de veille - ensuite nous avons explorer le périmètre d’acteurs susceptible d’avoir des activités de veille a cause de leur proximité avec le terrain (essentiellement des vendeurs ou responsables client) que nous avons appelé potentiels (car n’ayant pas de relation avec le réseau de veille formel de l’entreprise).

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Les difficultés liées aux activités de veille Le codage des données a mis en perspective un certain nombre de points liées aux pratiques de veille dans l’entreprise. Nous les avons classées en différentes catégories définies dans les paragraphes suivants. 2.3

Visibilité et communication concernant les activités de veille Des problèmes de visibilité et de communication concernant les activités de veille sont très largement relevés par les « veilleurs potentiels » interrogés. En effet, il ressort des entretiens que la quasi-totalité de ces derniers déclarent ne pas connaître les activités ou les acteurs du système de veille de l’entreprise. 2.3.1

Je ne connais pas le service strategy Marketing. Je ne sais pas ce qu’ils font… (veilleur potentiel 1) Je ne sais pas s’il s’agit d’une pratique développée ici ! (veilleur potentiel 2) Je ne savais pas qu’il y avait un service qui faisait ça… (veilleur potentiel 3) Je crois qu’a « Technotech » (NDRL : nom fictif) la veille ce n’est pas d’actualité… (veilleur potentiel 4) Du fait de ce niveau de connaissance des activités de veille stratégique, de leur mode de fonctionnement, de leurs procédures et des veilleurs institutionnels eux-mêmes, il s'ensuit que l'ensemble des acteurs peut difficilement y participer, voire y contribuer. Cela peut sembler surprenant dans la mesure où ces acteurs ont été désignés par les veilleurs institutionnels de l’entreprise comme étant ceux avec qui ils échangent des informations, se trouvant sur la liste de diffusion de la cellule de veille de l’entreprise, etc. Coordination, légitimité des veilleurs et des activités de veille stratégique En relation avec le point précédent, les verbatim font également apparaître une dispersion concernant les activités de veille ou, plus exactement, un problème de compréhension et de coordination. 2.3.2

Je pense qu’ils font un peu le même travail que nous ! Les acteurs ne comprennent pas ce que l’on fait, à quoi cela va servir. Il n’y a pas de retour concernant leur travail. Ils ne voient pas l’intérêt « direct » Au final, on se tire dans les pattes ! Plus largement, la recherche met en perspective une gestion informationnelle confuse au sein de l'entreprise. La plupart des acteurs interrogés (les veilleurs « institutionnels » comme les veilleurs potentiels) soulignent ainsi une forte absence d'implication et de coordination. Pour caractériser les résultats diffusés par les veilleurs, les acteurs de l'entreprise évoque souvent une information décalée, voire dégradée. Je ne pense pas que ça doit être utile. J’ai mon propre réseau...

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Ils reprennent souvent nos analyses, ils ne sont pas aussi précis que nous…Ça les dépasse un peu ! Au-delà d'un manque de légitimité des veilleurs institutionnels, ce sont les activités de veille elles-mêmes qui semblent remises en cause et ne présenter qu'une faible légitimité vis-à-vis de l'ensemble des acteurs de l'entreprise. Il y a des outils de VES. Enfin, je crois que c'est en cours. C'est pas déployé mais les gens sont déjà réfractaires ! C'est pas évident de les convaincre à utiliser un nouvel outil, encore moins de VES Il n’y a que dans notre BU qu’il y a des personnes dédiées à la VES Les gens ne veulent pas, ne prennent pas le temps de nous donner les infos Les collègues n’utilisent pas les outils. Il faut faire du forcing pour qu'ils répondent aux requêtes Le weekly est intéressant mais ça ne marche pas. Les personnes ne le remplissent pas ou elles font de la quantité et pas de la qualité. On a du mal a communiquer avec les vendeurs. Ils ne veulent pas partager leurs informations. Ils n'utilisent pas les outils qu'on leur propose. Nous avons essayé avec plusieurs outils de faire remonter l’information mais les gens n’y participent pas. Certaines personnes ne reconnaissent pas notre rôle... Globalement, les veilleurs institutionnels font référence au fait qu’ils ne sentent pas leur travail de veille comme reconnu ou valorisé (60% des veilleurs institutionnels manque de reconnaissance par rapport à leurs activités dans l'entreprise). Discussion des résultats Plusieurs points sont mis en perspective par notre étude, certains viennent conforter des aspects déjà présents dans la littérature tandis que d’autres sont plutôt « émergents ». Nous proposons de discuter ces résultats selon 3 volets : l’utilité d’une veille centralisée, la légitimité des activités ou acteurs de la veille, les outils supports de la veille.

L’utilité d’une veille centralisée pour …une meilleure gestion de l’information ? L’organisation des activités de veille en réseau centralisé confirme non seulement l’aspect nécessairement collectif de la veille, déjà suggéré par des auteurs comme Gilad et Gilad, [1983], H. Lesca [1994] mais aussi, l’aspect obligatoirement interactif et centralisé des activités de veille. Dans le même esprit, des auteurs comme (Medhaffer et Lesca, 2010) insistent sur le rôle important du coordinateur ou « animateur » du réseau de veille. Cette centralisation semble également jouer un rôle pour ce qui est de la prise de décision. En effet, la personne ou structure qui centralise l’information est souvent en lien direct avec les décideurs.

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De plus, nous pouvons noter que le lien avec les décideurs est différent d’une catégorie d’acteur à une autre (seuls les veilleurs temps plein, qui centralise l’information veille, sont en relation directe avec les décideurs dans notre étude). Le système de veille étant par essence un système d’aide à la décision, nous pouvons une nouvelle fois relativiser le lien systématique entre information et décision déjà mis en perspective par plusieurs auteurs (March et Simon1958, Amabile 1997, Vidal et al 2005).

La légitimité des activités et des acteurs de la veille Notre étude montre que les acteurs du système de veille se plaignent autant d’un manque de visibilité que de reconnaissance dans l’entreprise. En effet, ces acteurs (appelés acteurs formels dans notre analyse) ne sont pas identifiés pour leur activités de veille par un grand nombre de leurs collègues dans l’entreprise. Ces derniers ne pouvant vraisemblablement pas participer à un système dont ils ignorent les règles d’interaction voire même l’existence. De cette méconnaissance des acteurs et activités de veille au sein de l’entreprise résulte un manque de participation et d’implication des acteurs. En effet, les informations de veille étant par nature disparate, et non répétitive (Reix 2002), il apparait difficile de savoir qui fait de la veille et qui n’en fait pas. En d’autres termes, ne pas envoyer d’information veille tous les jours veut-il nécessairement dire ne pas faire de veille tous les jours ? Comment « quantifier » cette activité ?. De plus, une organisation de type informelle ici semble plus difficile à analyser, une organisation formelle (structurée, préscrite par le management) peut donner une certaine visibilité au système et aux acteurs de la veille dans l’entreprise. Enfin, le rôle du management ici n’est pas négligeable, ce dernier pourrait insuffler une réelle légitimité aux acteurs et au système en les soutenant ouvertement. Dans le même temps, le management ne semble pas jouer non plus son rôle d’incitateur ici car les veilleurs formels se disent peu ou pas du tout reconnus par ce dernier (peu ou pas de processus d’encouragement ou de récompense). Ce résultat est toutefois à relativiser car il semble difficile d’utiliser un système classique de récompense en vue de la nature des activités de veille (Guechtouli, 2007). Finalement, notre analyse montre globalement que le « manque de légitimé » ressenti par les acteurs semble essentiellement lié à trois facteurs: d’abord un manque de connaissance des activités de veille car les acteurs de l’entreprise (veilleurs informels ou potentiels dans notre étude) ne comprennent pas forcément ce qu’est la veille ou l’importance et l’utilité de cette dernière. Nos observations montrent que leur réaction se traduit soit par de l’indifférence, soit par le mépris. Le second facteur est lié à la culture organisationnelle, et précisément pour ce qui est du partage de l’information. Dans cette entreprise, les acteurs semblent peu enclins à partager leurs informations. La difficulté liée à la culture de l’entreprise ou les acteurs ne « partagent pas » l’information a été recensée comme facteur d’échec des systèmes de veille par d’autres chercheurs (N. Lesca et Caron-Fasan, 2008). Le troisième facteur qui peut expliquer ce manque de légitimité perçu est lié au soutien de la direction générale. En effet, la direction générale ne se positionne pas clairement en faveur (ou en défaveur) par rapport aux activités de veille. Une problématique déjà

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soulevée par plusieurs auteurs en système s’information (Yeo, 2002, Kapelman et al, 2006). Les outils supports de la veille Notre étude souligne l’incohérence entre les outils de veille mis en place (ou en cours de mise en place) dans l’entreprise et les besoins décrits par les utilisateurs. En effet, les veilleurs formels ont mis en place plusieurs outils pour tenter de faire remonter l’information des différents acteurs de l’entreprise en prenant en compte leurs propres besoins en information (sans pour autant prendre en compte l’avis des autres utilisateurs). Au final, ces derniers n’ont pas compris l’intérêt d’utiliser ces outils car pas directement connectés a leurs activités. Encore une fois, ni les veilleurs formels ni le management n’a pris le temps d’expliciter l’utilité de ces outils et du système de veille (de manière plus globale) pour la survie et la pérennité de l’entreprise. Ce constat vient renforcer le postulat déjà présent dans la littérature (des usages des SI notamment) qui souligne l’importance de l’explicitation et la compréhension du système pour assurer l’implication de ses acteurs. Conclusion et préconisations managériales

Les résultats de notre recherche ont essentiellement permis de mettre en perspective trois aspects « émergents » de difficultés pour les activités de veille en entreprise. D’abord, un manque de visibilité des veilleurs (ou cellules de veille) au sein de l’entreprise. Ensuite, un manque de légitimité pour ces derniers qui ne sentant pas leur travail valorisé. Et enfin un manque d’adéquation entre les outils de veille mis en place et leur utilisation et utilité perçue par leurs utilisateurs. Ces résultats nous mènent à un certains nombre de recommandations « pratiques »pour les entreprises. D’abord en termes d’organisation du système de veille, l’entreprise a intérêt à formaliser ce dernier, au moins en partie. Pour des raisons déjà explicitées, cette formalisation permet de faciliter les interactions entre les acteurs mais soutient aussi l’identification de ces derniers (savoir quelles personnes contacter si l’on a besoin d’obtenir/d’envoyer une information de veille en particulier). L’entreprise doit communiquer autour de ces pratiques de manière appropriée. Par ailleurs, formaliser le système permet également d’avoir l’appui de la direction. En effet, quand l’activité est informelle, les veilleurs ont du mal à légitimer leur rôle et à persuader les acteurs de l’entreprise de collaborer. D’un autre côté, les systèmes sont souvent organisés en réseau dans un contexte de veille. Nos résultats encouragent une structure centralisée (un animateur ou un responsable veille) car nous avons constaté l’utilité d’avoir, au moins, une personne qui centralise l’information. Cette personne (ou structure) peut être en charge de la coordination et de l’organisation des activités au sein du système de veille. Elle peut également jouer le rôle indispensable d’animateur du système en organisant des réunions entre veilleurs ou en instaurant des incitations directes pour les veilleurs. Notre étude suggère également de se baser sur les pratiques qui existent déjà dans une entreprise pour éviter les phénomènes de résistance au changement. En effet, de nombreux acteurs ont besoin de faire de la veille par rapport à leur métier (les vendeurs, les commerciaux, les ingénieurs R&D, etc.). Ces acteurs ont également des procédures pour communiquer l’information dans l’entreprise, au moins pour ce qui est de l’information opérationnelle (comme les systèmes de reporting ou les bases de données). Notre modèle propose de se greffer sur un dispositif déjà existant en y ajoutant l’aspect « veille ». 9

Il s’agit, par exemple, d’ajouter une case concurrence à un weekly ou de créer un fichier concurrence dans une base de données. Globalement, nos suggestions consistent à repenser le système de veille de manière globale et fonctionnelle. Nous retenons que l’organisation du système dépend, de façon sensible, du management et de la manière dont ce dernier perçoit et soutient les activités de veille. La formalisation du système de veille est une question de degré et dépend essentiellement d’éléments contingents à l’organisation (comme la manière dont les acteurs communiquent, la culture organisationnelle, etc.). Si les résultats de notre recherche suggèrent une organisation formelle du SIVS, ils indiquent, dans le même temps, que certains aspects de ce système gagnent à rester informels. En particulier, nous recommandons une structure du système en réseau centralisée en soulignant l’importance de la fonction de l’acteur (ou des acteurs) qui centralise l’information de veille, anime et organise le SIVS. Par ailleurs, la formalisation du système permet également de donner une certaine visibilité aux acteurs et aux cellules de veille, en effet, ils pourraient être intégrés à l’organigramme de l’entreprise, faire partie d’un service particulier, et être connu par leurs activités. Cette visibilité pourrait en même temps se traduire dans une forme de reconnaissance du management qui pourrait agir sur un éventuel sentiment de frustration ou de manque de légitimité ressenti par ces acteurs. Finalement, notre étude de cas autour de l’organisation du système de veille stratégique à l’entreprise Technotech nous a essentiellement permis de faire certaines suggestions aux managers pour améliorer l’opérationnalisation et le fonctionnement de leur SIVS. L’idée étant de permettre à ces acteurs en particulier et à d’autres de pouvoir comprendre comment un SIVS pouvait être organisé dans une entreprise et de mettre en perspective certains des enjeux qui lui sont liés.

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