UNE FAMILLE SYRIENNE

Un son mat, plat, et c'est fini. La domestique a assisté à la scène. Sa patronne l'oblige à garder le silence. Tout le monde a peur. Le beau-père, splendide barbu ...
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UNE FAMILLE SYRIENNE

de Philippe Van Leeuw





Quelle actrice ! Dehors, c'est la guerre. On entend des bruits d'hélicoptères, des rafales de mitraillette. La Syrie vit au rythme des bombardements. Une famille ne bouge pas de son appartement. Le reste de l'immeuble est désert. Les autres étages sont en ruine. Hiam Abbass veille sur ses enfants. Elle a recueilli la voisine du dessus, qui a un bébé et projette de partir le soir même en douce pour le Liban. Elle ne sait pas que son mari a été abattu dans la cour par un sniper. Le corps git au milieu des gravats. Un son mat, plat, et c'est fini. La domestique a assisté à la scène. Sa patronne l'oblige à garder le silence. Tout le monde a peur. Le beau-père, splendide barbu au regard noir, fume sa cigarette en silence. II en a vu d'autres. On sent qu'il n'attend plus rien de l'avenir. Dans ces quelques mètres carrés, l'espoir est interdit de séjour. La maîtresse de maison s'agite, bouscule ses filles, secoue son garçon, barricade la porte d'entrée avec des planches. La situation n'empêche pas le cousin de flirter. Le nourrisson pleure, ignorant du drame. Des miliciens sonnent. On les observe à travers l'œilleton. Qui sont-ils ? Que veulent-ils ? Quelle erreur de leur ouvrir. La voisine subit les derniers outrages tandis que le reste des occupants se terre dans la cuisine. Ils comprennent, impuissants, ce qui se passe de l'autre côté de la paroi. On se recroqueville sous la table. On parle à voix basse. Jamais une scène n'a aussi bien résumé la terreur au quotidien. L'épouvante, ce ne sont pas des monstres, mais de petits bonshommes en costumes froissés qui se croient investis d'une mission, qui roulent des mécaniques devant plus faible qu'eux. L'humiliation se digère sans un mot. Le courage n'utilise pas de majuscules, au Moyen-Orient ou ailleurs. Le film évite la grandiloquence. La caméra va d'une pièce à l'autre, scrute les visages. Le huis clos récapitule toute la gamme des sentiments et des émotions. Ils attendent. Ils ne peuvent faire que ça. La vérité n'est pas toujours bonne à dire. À quoi cela servirait-il de dire à cette femme qu'elle est sans doute veuve, qu'elle ne quittera jamais son pays ? Voici une madone en larmes, ses vêtements en vrac, son enfant sur les genoux. Le téléphone n'a pas de réseau. Ils sont là, reclus, tremblants. Ils apprennent à survivre au pire. Avec Une famille syrienne, Philippe Van Leeuw tient son sujet au plus près, atteint l'universel en s'attardant sur les détails prosaïques, la peur, la faim, la désolation. Le film fourmille de justesse. II décrit un foyer d'inquiétude, évoque un monde ou rien ne sera plus jamais pareil. Les heures passent dans leur ronde aveugle. La Syrie est dans les cœurs. Pour affronter le pire, il faut avoir une personne de l'envergure de Hiam Abbass. Avec sa majesté, son profil de hiéroglyphe, elle est capable de repousser l'enfer du bout du pied. Quelle actrice ! Grace à elle, le malheur des innocents ne se résume plus à un entrefilet en bas de page. Éric Neuhoff