Porter attention à la culture de scolarisation

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Porter attention à la culture de scolarisation Un document de provocation préparé pour le Colloque Canada-États-Unis Réaliser l’équité par l’innovation Toronto, les 27 et 28 octobre 2010 Prudence L. Carter, Ph.D. Université Stanford

On m’a demandé de faire une brève réflexion sur ce que nous entendons par équité en éducation au 21e siècle. À titre de sociologue de l’éducation, je profite de l’occasion pour vous faire part de ce que j’ai vu « sur le terrain » lorsque j’ai échangé avec des centaines d’élèves d’écoles secondaires aux États-Unis au cours des dernières années. Ma réflexion porte surtout sur les fonctions sociales et culturelles de la scolarisation. Les responsables de politiques cherchent généralement à assurer des résultats positifs quant aux aspects techniques de l’éducation – p. ex. l’aspect capital humain, la nature des compétences et des apprentissages acquis par les élèves – mais je tiens à présenter des arguments dont tient moins compte le milieu d’établissement des politiques, malgré leurs répercussions considérables sur les résultats en éducation. Je ne peux affirmer catégoriquement, toutefois, que ces processus, ou forces, « causent » en fait quelque chose, car je suis d’abord et avant tout une intervieweuse ethnographique – cherchant les sens qu’imposent les élèves au vécu scolaire. Bien qu’il en soit peu question dans les médias et le milieu d’établissement des politiques, ces sens comportent de l’importance. En fait, probablement plus que nous le croyons. Avons-nous suffisamment corrigé les disparités économiques et éducationnelles qui ont une si forte corrélation avec la couleur de la peau, l’ethnicité et le statut social dans la société américaine pour pouvoir affirmer que ces facteurs sociaux n’ont plus d’importance? Je ne le crois pas. D’après tous les indicateurs, nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir avant de pouvoir affirmer que nous sommes une nation post-raciale ou post-classes sociales. Bien que nous sachions que l’inégalité a de multiples origines, je crois que le gouvernement Obama, conjointement avec les cabinets législatifs des États et du pays, doit élaborer des politiques d’éducation tenant compte de la « dette » massive en éducation, selon le terme employé par Gloria Ladson-Billings (2006), qu’ont laissé les systèmes de colonisation, de génocide et d’esclavage en héritage aux personnes de couleur. Cette dette n’a clairement pas été remboursée par l’élection du premier président noir des États-Unis. L’« écart de possibilités » existant entre les races et entre les classes sociales est plus large que cela – beaucoup plus large. Cette dette s’accroît au fil des décennies, car l’inégalité continue !

. Les points de vue exprimés ou suggérés dans le présent document sont uniquement ceux de son auteur ou de ses auteurs et ne reflètent pas nécessairement les points de vue de l’Association canadienne d’éducation (ACE) ou du Stanford Center for Opportunity Policy in Education (SCOPE).

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! d’augmenter, permettant aux riches de s’enrichir et aux pauvres de s’appauvrir, en termes relatifs et absolus. Cette dette héritée ressort sur le plan matériel et sur le plan éducatif. Au 21e siècle, le diplôme collégial correspond au diplôme d’études secondaires du milieu du 20e siècle. Dans une économie toujours plus initiée en matière de technologies et de savoirs, les États-Unis requièrent des diplômés possédant des compétences spécialisées – en particulier les compétences utiles dans un contexte de mondialisation. Une telle économie requerra de solides bases en mathématiques, en sciences et en littératie. Compte tenu des résultats de tests et des taux de fréquentation collégiale des citoyens afro-américains, hispaniques et autochtones, nous pouvons clairement présumer que les problèmes de race, d’ethnie et de classe persistent en éducation américaine. Les Noirs et les Hispaniques – qui constitueront, d’après les prévisions démographiques, une majorité de minoritaires d’ici le milieu du 21e siècle – pourraient ne pas détenir les compétences requises pour diriger ce pays si nos écoles ne les préparent pas adéquatement aux études supérieures. Beaucoup d’enfants de race noire ou brune ne fréquentent pas des écoles secondaires qui les préparent bien à poursuivre leurs études. Le taux national d’obtention de diplômes aux États-Unis s’établit à 68,8 pour cent de la promotion de 2007, la plus récente année pour laquelle des données sont disponibles. Ce pourcentage a baissé de quatre dixièmes de pour cent par rapport aux 69,2 pour cent de la promotion précédente (Swanson 2010). Les membres de groupes minoritaires historiquement défavorisés aux États-Unis n’ont qu’une chance sur deux de terminer leurs études secondaires (Swanson 2004). Le taux de décrochage des élèves hispaniques est plus du double de la moyenne nationale. Un élève afroaméricain sur cinq échouera pendant une année du primaire ou du secondaire, comparativement à la moyenne nationale de un sur dix. Dans les plus grandes métropoles américaines, le taux de décrochage des écoles publiques est d’au moins 50 pour cent. Seulement le tiers, ou moins, des élèves afro-américains, hispaniques et autochtones s’inscrivent à des cours préparatoires au collégial, contre la moitié ou plus des élèves asiatiques et blancs. La moyenne des Blancs de treize ans lisent à un niveau plus élevé et font mieux en mathématiques que les jeunes Noirs ou Hispaniques de dix-sept ans (KewalRamani, Gilbertson, Fox, et Provasnik, 2007). Par ailleurs, beaucoup trop de nos jeunes Afro-Américains et Hispaniques vont à l’Université du Pénitentier, alors que le parcours de l’école à la prison continue de s’élargir. Composant seulement 16 pour cent de l’ensemble des jeunes, les mineurs afro-américains représentent 45 pour cent des arrestations juvéniles (NAACP Legal Defense Fund, 2006). Leur 2 Les points de vue exprimés ou suggérés dans le présent document sont uniquement ceux de son auteur ou de ses auteurs et ne reflètent pas nécessairement les points de vue de l’Association canadienne d’éducation (ACE) ou du Stanford Center for Opportunity Policy in Education (SCOPE). .

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! criminalisation commence tôt à l’école : les élèves noirs de la maternelle à la douzième année sont deux fois plus susceptibles que leurs pairs blancs d’être suspendus et trois fois plus susceptibles d’être renvoyés de l’école (NAACP Legal Defense and Educational Fund, 2006). Cette crise est particulièrement grave chez les garçons.2 Il est évident que les niveaux de préparation des écoles primaires et secondaires de nombreux centres urbains doivent s’améliorer considérablement pour qu’augmente le nombre d’élèves afro-américains, hispanique et autochtones progressant au collégial. De nombreux collèges et universités se font concurrence pour attirer la « provision » limitée de diplômés du secondaire noirs et latinos; ce problème est aggravé par le fait qu’un grand nombre des élèves admis n’ont pas les moyens financiers requis. Et le ralentissement économique et les budgets réduits consacrés aux études supérieures rendent les collèges encore plus inabordables. Actuellement, le milieu des réformes en éducation exige que des comptes soient rendus. La loi fédérale No Child Left Behind Law (NCLB), qui a accru le rôle du gouvernement américain en éducation publique – exige que les écoles amènent, d’ici 2014, la totalité de leurs élèves au niveau de compétence requise aux tests créés par chaque État. La NCLB de 2001 a considérablement accru les exigences en matière d’examen des États et établi d’exigeants critères de reddition de compte pour les écoles, les conseils scolaires et les États, fixant pour tous les élèves et sous-groupes d’élèves des objectifs mesurables adéquats de progrès annuels, définis en fonction du milieu socioéconomique, de la race ou de l’ethnie, de la connaissance de l’anglais et des incapacités. Certains défenseurs des droits de la personne ont acclamé la NCLB parce qu’elle oblige les conseils scolaires à ventiler les résultats des tests selon la race, l’ethnie et la classe sociale (en utilisant les lunches gratuits ou à prix réduits comme indicateurs), estimant ainsi faire ressortir clairement les contextes éducatifs disparates séparant les milieux minoritaires à faibles revenus des milieux de classe moyenne à prédominance blanche. Les critères de contenu des cinquante États et la rigueur de leurs examens et de leurs normes de rendement varient grandement. Chaque État a dû élaborer un système de reddition de comptes comportant des récompenses et des sanctions pour les écoles, les éducateurs et les élèves, en fonction de l’atteinte des objectifs d’État énoncés dans les objectifs de progrès annuels de l’État. Modifiant la loi intitulée Elementary and Secondary Education Act (ESEA) de 1965, la NCLB exige, par exemple, que les États établissent des normes de contenu en lecture et en mathématiques, que les tests soient liés à ces normes et administrés annuellement aux élèves de troisième et de huitième année et au moins une fois à ceux de la dixième à la douzième année, et que tous les élèves subissent une épreuve en sciences au moins une fois par niveau, du primaire à l’école secondaire. Il s’agit du fondement des tests à enjeux élevés et de la reddition de comptes aux États-Unis. 3 Les points de vue exprimés ou suggérés dans le présent document sont uniquement ceux de son auteur ou de ses auteurs et ne reflètent pas nécessairement les points de vue de l’Association canadienne d’éducation (ACE) ou du Stanford Center for Opportunity Policy in Education (SCOPE). .

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! Malheureusement, les bonnes intentions des réformateurs nous ont mené dans une voie dangereuse, où nous mesurons la réussite de la majorité des enseignants et des élèves américains en fonction des résultats des élèves à des examens uniques où ils noircissent des bulles. La popularité des examens pour mesurer la réussite s’est établie si rapidement que nous avons perdu de vue les preuves solides démontrant qu’il existe des façons plus efficaces d’évaluer les élèves et les enseignants. Très peu d’États recourent aux questions à développement ou à l’évaluation du rendement – lesquelles sont liées à des compétences de réflexion d’ordre supérieur – pour leurs tests obligatoires (Darling-Hammond 2010). Cette tendance d’examens assortis de punition est présentement remise en question à Los Angeles, où des enseignants ripostent après avoir été étiquetés inefficaces par le Los Angeles Times parce que les résultats de leurs élèves aux tests ont été inférieurs à ceux de l’année précédente à l’examen STAR (Standardized Testing and Reporting) de la Californie. Une telle définition de la réussite scolaire coûtera probablement leur emploi à des milliers d’enseignants – qui, souvent, engagent efficacement les élèves dans leurs apprentissages. À l’opposé, un article du Chronicle de San Francisco traitant de l’un des chouchous du conseil scolaire de la ville, l’école June Jordan School for Equity, montre un établissement où des élèves qui n’obtiennent pas des résultats élevés aux tests de rendement réussissent bien, d’autres façons importantes, sur le plan scolaire. Les résultats des élèves aux tests normalisés placent June Jordan dans la catégorie des écoles moins performantes. Pourtant, plus des trois quarts des diplômés de cette école progressent vers le collégial – un taux fort supérieur à la moyenne de 50 pour cent de l’État. L’existence d’une école comme June Jordan pose une question particulièrement importante : pouvons-nous produire des enfants ayant du succès même s’ils obtiennent des résultats moyens aux tests? Il est évidemment essentiel qu’ils détiennent des compétences élevées en littératie et en numératie lorsqu’ils obtiennent leur diplôme d’études secondaires, de même que de bonnes compétences en réflexion critique et la capacité faire preuve de créativité et d’innovation. À titre de chercheure, j’ai passé des centaines d’heures dans des écoles secondaires du pays au cours des cinq dernières années. J’y ai été témoin de la façon dont les effets des tests à enjeux élevés érodent les liens qu’ont les enseignants avec les dirigeants des écoles, avec les parents et mêmes avec les élèves. Les conversations nationales sur l’amélioration et la réforme de l’éducation font abstraction de qui se produit dans les échanges quotidiens entre les éducateurs et les élèves et même entre les élèves eux-mêmes, sur le plan du traitement et de l’attention accordés à un autre groupe ou à d’autres personnes. Je tends à valider les commentaires d’une élève afro-américaine que j’ai rencontrée un matin dans l’auditorium d’une 4 Les points de vue exprimés ou suggérés dans le présent document sont uniquement ceux de son auteur ou de ses auteurs et ne reflètent pas nécessairement les points de vue de l’Association canadienne d’éducation (ACE) ou du Stanford Center for Opportunity Policy in Education (SCOPE). .

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! école secondaire où étaient regroupés les élèves suspendus retenus à l’école, en raison de différentes transgressions comme répondre insolemment aux enseignants ou arriver fréquemment en retard à l’école. « Ils ne se soucient pas vraiment de nous sur le plan scolaire », affirme Darlene, jeune Afro-Américaine de 15 ans fréquentant une école secondaire à rendement relativement élevé du Sud. « Ils veulent seulement que nous obtenions de bonnes notes à ces examens pour que l’école paraisse bien et qu’ils (les éducateurs) puissent conserver leurs emplois », poursuit-elle. En fait, nous semblons seulement nous préoccuper, ces jours-ci aux États-Unis, des résultats aux tests et des classements internationaux par rapport à d’autres pays quant à certains résultats en éducation, sans approfondir et examiner les processus et mécanismes qui feront que les jeunes s’engagent dans leurs apprentissages dans une école donnée. Darlene et plusieurs de ses camarades scolaires m’ont dit qu’ils jetaient parfois l’éponge devant ces tests, en particulier s’ils se sentent déconnectés de la matière ou s’ils perçoivent que les tests ne servent qu’à procurer « une bonne impression » sur les éducateurs. Les commentaires de ces élèves et les débats actuels sur la façon d’améliorer le cadre d’éducation publique américain devraient nous imposer de réfléchir sérieusement à l’orientation de nos politiques en éducation. Pour obtenir des résultats élevés aux tests, beaucoup de conseils scolaires exigent que leurs enseignants consacrent beaucoup de temps aux stratégies d’examen, supprimant ainsi du temps qui pourrait servir à cultiver la passion d’apprendre, à enseigner des contenus véritables et les compétences d’apprentissage dont auront besoin les élèves au collège et toute leur vie. Pis encore, les élèves n’obtenant pas de bons résultats aux tests sont « laissés pour compte » dans certaines « bonnes » écoles, où l’objectif de maintenir un classement élevé est tellement prioritaire qu’elles se débarrassent des élèves qui ont de moins bons résultats en les envoyant dans des écoles moins performantes. Quand les éducateurs se mettent à se débarrasser des jeunes, ils confirment certainement les dires de Darlene – les dirigeants ne se soucient pas de l’enfant comme tel, mais plutôt de l’enfant qui rehaussera l’apparence qu’ils ont bien accompli leur travail. Nous devons évidemment intervenir pour épancher les graves iniquités existant entre les écoles et au sein des écoles. Notre fixation actuelle sur les tests découle de l’écart de réalisations scolaires entre les élèves de différentes races et milieux socioéconomiques. Pourtant, la façon dont nous définissons aujourd’hui le succès scolaire pourrait bien menacer le bien-être de millions d’enfants d’âge scolaire ne possédant pas les ressources familiales, 5 Les points de vue exprimés ou suggérés dans le présent document sont uniquement ceux de son auteur ou de ses auteurs et ne reflètent pas nécessairement les points de vue de l’Association canadienne d’éducation (ACE) ou du Stanford Center for Opportunity Policy in Education (SCOPE). .

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! communautaires et matérielles que nous savons améliorer les résultats scolaires. Les élèves qui n’excellent pas à ces examens sont souvent exposés, par rapport à d’autres enfants, à des réalités sociales très différentes à l’extérieur de l’école. Nous nous attendons à ce que les enfants pauvres obtiennent d’aussi bons résultats que les enfants des classes moyennes et fortunées, sans profiter des mêmes soutiens, comme des manuels à jour, des enseignants de qualité, des écoles sécuritaires, des tuteurs individuels et de coûteux programmes de préparation aux examens. Mettre l’accent sur les tests plutôt que sur l’enseignement, c’est mettre la charrue devant les bœufs. Nous devrions utiliser des tests réguliers et uniformes à faibles enjeux permettant aux enseignants de comprendre si leurs élèves apprennent bien et imposer un portefeuille de travaux exigeant la réflexion critique des élèves. Sinon, si la réussite et la qualité ne sont qu’un simple résultat, les responsables de politiques succombent à une notion très étroite de ce qu’est la réussite. Que devrions-nous faire pour veiller à ce qu’ils apprennent, pour inculquer une culture de véritable appréciation des connaissances et de l’apprentissage à tous nos jeunes, plutôt que seulement promouvoir (intentionnellement ou non) une culture d’apprentissage de « choix rationnel » où les jeunes perçoivent l’école comme un moyen et non comme une fin, un titre de compétences assurant la mobilité d’emploi? Beaucoup de nos enseignants doivent maintenant enseigner en fonction des examens, utilisant une approche « bancaire », terme popularisé par Paolo Freire, théoricien et praticien en éducation progressive. Cette notion « bancaire » refait surface dans le documentaire très commenté actuel Waiting for Superman, lorsque le narrateur nous guide dans une animation où les enseignants ouvrent littéralement des têtes d’enfants pour y déverser des connaissances (liquides). Les enfants restent silencieusement assis dans l’atelier de classe, gigotant sans cesse, alors que les ateliers et les exercices de questionsréponses ne les inspirent pas. Franchement, le mode d’enseignement contemporain ennuie à mourir un grand nombre des jeunes du pays. J’ai récemment vu une allocution accompagnée d’une animation intitulée « Changing Education Paradigms » de Sir Ken Robinson, un expert réputé en éducation et en créativité ("##$%&&'''()*+#+,-(.*/&'0#."1234567.58$9:;). Robinson cite des recherches révélant que nous repoussons des millions d’élèves au point de les désengager parce qu’ils ne voient plus à quoi sert l’école. De plus, en ce moment social et culturel particulier, le vécu scolaire des élèves les ennuie à mourir – en particulier s’il est comparé à la stimulation mentale conférée par les progrès technologiques ailleurs qu’à l’école. Je suis tout à fait d’accord avec Sir Robinson. Si je faisais une analyse du contenu des milliers de pages de transcriptions que j’ai obtenues par des observations et des entrevues d’élèves d’écoles secondaires dans le Sud et le 6 Les points de vue exprimés ou suggérés dans le présent document sont uniquement ceux de son auteur ou de ses auteurs et ne reflètent pas nécessairement les points de vue de l’Association canadienne d’éducation (ACE) ou du Stanford Center for Opportunity Policy in Education (SCOPE). .

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! Nord-Est, le terme « ennui » est le plus fréquemment utilisé. Mon expérience personnelle m’incite à dire que c’est vrai. Pendant six mois en 2007, j’ai fréquenté des classes d’écoles secondaires relativement performantes et, à l’exception des pratiques pédagogiques de nombreuses classes d’échelon supérieur, des cours de placement avancé et des cours spécialisés, j’avais du mal, moi aussi, à rester éveillée. Pourquoi il est essentiel porter attention à la culture de scolarisation Alors que les responsables de politiques cherchent des panacées pour rehausser les résultats au pays – en particulier pour éliminer l’écart de réussite entre les races – nous devons composer avec les fonctions sociales et culturelles de la scolarisation. Les écoles ont de multiples buts. Elles constituent une importante institution sociale dans nos vies et visent aussi à développer la citoyenneté. Comment un élève vient-il à respecter ses différents voisins si la peur et l’appréhension face aux groupes sociaux et culturels de ses voisins demeurent si palpables? En 2007, mes adjoints de recherche et moi avons mené une étude dans deux écoles secondaires du Sud et deux du Nord-Est ayant des résultats élevés sur le plan des compétences et de l’excellence dans les bulletins obligatoires requis en vertu de la NCLB. Pendant un an et demi, nous avons visité presque quotidiennement ces « bonnes » écoles. Quoique toutes les écoles étaient considérées multiraciales, deux étaient majoritairement blanches et deux majoritairement noires et hispaniques. Les écoles majoritairement blanches étaient aussi plus riches. Nous avons constaté que les expériences scolaires des élèves noirs et hispaniques des écoles majoritairement minoritaires différaient grandement, en moyenne, de celles de leurs homologues des écoles à majorité blanche. Nous avons constaté qu’il n’y avait qu’un ou deux élèves afro-américains ou hispaniques inscrits dans les cours d’échelon supérieur spécialisés ou les cours avancés dans les deux écoles majoritairement blanches. Fait frappant, lorsque j’ai demandé à des enseignants de l’école à majorité blanche du Sud, South County Prep, s’ils pouvaient repérer des élèves afro-américains obtenant d’excellents résultats, ils n’ont nommé que deux filles parmi les plus de trois cents élèves inscrits à l’école. D’après notre enquête auprès de 469 élèves, l’estime de soi des élèves noirs de cette école était la moins élevée des élèves noirs des quatre écoles. Comme leurs pairs noirs de l’école à majorité blanche du Nord-Est, ces élèves étaient aussi moins susceptibles d’indiquer qu’ils cherchaient des amis d’autres milieux sociaux ou culturels. Par contre, leurs pairs provenant de milieux socioéconomiques similaires des écoles majoritairement noires faisaient preuve de niveaux beaucoup plus élevés de ce que j’appelle la « flexibilité culturelle » et une estime de soi plus élevée (Carter 2010). Du point de vue ethnographique, nous avons observé 7 Les points de vue exprimés ou suggérés dans le présent document sont uniquement ceux de son auteur ou de ses auteurs et ne reflètent pas nécessairement les points de vue de l’Association canadienne d’éducation (ACE) ou du Stanford Center for Opportunity Policy in Education (SCOPE). .

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! que les élèves noirs fréquentant des écoles blanches affluentes vivaient une ségrégation sur le plan scolaire et dans les activités extrascolaires, même si les écoles étaient « déségrégationnées ». Effectivement, leur participation aux cours préparatoires au collège (réputés pour l’expansion des bases de connaissances des élèves de façons très différentes par rapport aux cours ordinaires du secondaire) et leur participation à des activités culturelles comme les orchestres, le théâtre et le Modèle des nations unies est beaucoup moins grande que celle de leurs pairs noirs des écoles à majorité noire. En résumé, nous avons trouvé que les élèves noirs (ou hispaniques) d’écoles majoritairement blanches s’engageaient peu ou pas du tout dans des cours complémentaires ou dans des activités susceptibles d’élargir leurs horizons. L’organisation sociale de leurs écoles, ainsi qu’un climat culturel particulier, transmettaient des messages implicites et explicites au sujet des différents territoires raciaux et ethniques aux paliers scolaire et extrascolaire (Carter, 2005; Mickelson et Velasco, 2006; Tyson, Darity, et Castellino, 2005). « L’équité implique, par-dessus tout et comme avec l’amitié, une habitude d’accorder de l’attention. Les citoyens demeurent conscients des équilibres et des déséquilibres de ce qu’ils laissent tomber pour d’autres citoyens », écrit Danielle Allen (2004, p. 134). Allen propose un diagramme conceptuel de l’établissement de réseaux qui se chevauchent d’« amitiés politiques », où les gens négocient la perte et la réciprocité sans ressentir qu’ils perdent leur agence et leur volonté politique lorsque les institutions, incarnées par les systèmes de justice et d’éducation, interviennent pour équilibrer les ressources et les possibilités. Il est toutefois difficile de réaliser l’équité décrite par Allen dans la société américaine. Il n’est pas facile de bien comprendre ce qu’il faut faire pour recalibrer équitablement le système de mobilité pour tous les citoyens, dans une société où les valeurs nationales libérales sont l’individualisme, la compétition et un désavœu de la façon dont les pratiques et les politiques historiques excursionnistes ont placé des personnes (faisant partie de groupes raciaux en particulier) dans les situations économiques et scolaires précaires où ils se trouvent actuellement. Pour paraphraser une question purement rhétorique posée par Allen : « Pouvonsnous élaborer une éducation qui, plutôt que d’enseigner aux citoyens à ne pas traverser les frontières sociales ou parler à des inconnus ou à des membres de l’extérieur de leur groupe, leur enseigne à interagir avec eux avec assurance et équité? » (p. 165) Je le crois. En plus d’enseignants bien formés disposant de l’accès à des multiples outils et aides à l’apprentissage, l’équité requiert de la part des éducateurs une sensibilisation accrue pour qu’ils composent avec la diversité en enrichissant leurs propres connaissances pour contribuer à vaincre les divisions dommageables communicatives entre les élèves et entre les enseignants, ainsi que parmi eux, résultant de différences sur le plan de la race, l’ethnie, la culture et la situation socioéconomique, parmi d’autres identités sociales; en travaillant de façon à ce que 8 Les points de vue exprimés ou suggérés dans le présent document sont uniquement ceux de son auteur ou de ses auteurs et ne reflètent pas nécessairement les points de vue de l’Association canadienne d’éducation (ACE) ou du Stanford Center for Opportunity Policy in Education (SCOPE). .

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! tous les élèves disposent de chances égales d’apprentissage au sein de l’école; en maintenant une culture d’attentes élevées pour tous les élèves; en mettant au point une pédagogie et un curriculum informés et historiquement exacts; ainsi qu’en prévenant diligemment de nouvelles formes de ségrégation à l’école. Malheureusement, bien que certaines des écoles du pays aient réalisé la déségrégation, peu ont atteint l’intégration sociale. Du point de vue idéologique, des penseurs peuvent être en désaccord au sujet des fins de l’éducation. Pour ma part, je continue de croire que l’éducation, en tant qu’institution sociale, est un moyen de transformer la société pour obtenir une meilleure société, de promouvoir des pratiques et des idéaux démocratiques vitaux, de maintenir l’harmonie sociale et l’équilibre, et d’établir l’esprit et la capacité communautaires, en plus de maintenir la vigueur économique. De nos jours, les valeurs fondamentales à la base des politiques sociales et éducationnelles formulées aux États-Unis indiquent qu’il s’agit effectivement de certains des objectifs de l’éducation. En portant attention à ces aspects du discours, des politiques et des pratiques, il est possible de réaliser l’égalité des chances, l’équité et l’intégration des peuples d’une nation.

9 Les points de vue exprimés ou suggérés dans le présent document sont uniquement ceux de son auteur ou de ses auteurs et ne reflètent pas nécessairement les points de vue de l’Association canadienne d’éducation (ACE) ou du Stanford Center for Opportunity Policy in Education (SCOPE). .

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! CITATIONS Allen, Danielle S. 2004. Talking to Strangers: Anxieties of Citizenship since Brown v. Board of Education. Chicago: University of Chicago Press. Carter, Prudence. 2005. Keepin' It Real: School Success beyond Black and White. New York: Oxford University Press. Carter, Prudence. 2010. "Race and Cultural Flexibility among Students in Different Multiracial Schools." Teachers College Record 112(6): 1529-1574. Darling-Hammond, Linda. 2010. The Flat World and Education: How America's Commitment to Equity Will Determine Our Future. New York: Teachers College Press. Kewal Ramani, Angelina, Lauren Gilbertson, Mary Ann Fox, and Stephen Provasnik. 2007. "Status and Trends in the Education of Racial and Ethnic Minorities (NCES 2007-039)." Washington, D.C.: National Center for Education Statistics, Institute of Education Sciences, U.S. Department of Education. Ladson-Billings, Gloria. 2006. "From the achievement gap to the education debt: Understanding achievement in U.S. schools." Educational Researcher 35:3-12. Mickelson, Roslyn Arlin and Anne E. Velasco. 2006. "Bring it On! Diverse Responses to "Acting White" Among Academically Able Black Adolescents." Pp. 27-56 in Beyond Acting White: Reassessments and New Directions in Research on Black Students and School Success, edited by E. Horvat and C. O'Connor. New York: Rowan and Littlefield. NAACP Legal Defense and Educational Fund. (2006). Dismantling the school-to-prison pipeline. Retrieved March 23, 2009, from !""#$%%&&&'())*#+,-'./0%*.("1("%#,-%#2#1+2(1%3245)("+2(06"!167*!..+6".68/24.(682#1+2(1'#,Tyson, Karolyn, William Darity, and Domini Castellino. 2005. "It's Not a Black Thing: Understanding the Burden of Acting White and Other Dilemmas of High Achievement." American Sociological Review 70:582-605 Swanson, Christopher. 2010. “U.S. Graduation Rate Continues Decline,” Education Week, "##$%&&'''(-#@.A-B&CDED&DF&ED&G:B'0HB*H("CI("#/A

Swanson, Christopher. 2004. “Graduation Rates: Real Kids, Real Numbers.” Education Policy Center, The Urban Institute: Washington, D.C. Prudence L. Carter est professeure adjointe d’éducation et de sociologie à l’Université Stanford. Elle est également la codirectrice du Stanford Center for Opportunity Policy in Education et l’auteure de Keepin' It Real: School Success beyond Black and White (Oxford University Press, 2005). Madame Carter prépare un nouveau livre intitulé Stubborn Roots: Weeding Out Race, Class, and Educational Inequality in U. S. and South African Schools. 10 Les points de vue exprimés ou suggérés dans le présent document sont uniquement ceux de son auteur ou de ses auteurs et ne reflètent pas nécessairement les points de vue de l’Association canadienne d’éducation (ACE) ou du Stanford Center for Opportunity Policy in Education (SCOPE). .

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