ITW Nadine Regnier juin 2011 - CFE-CGC

Le Conseil de discipline de Versailles a rendu une décision inédite le 1er avril 2011, concernant un fonctionnaire qui attaquait violemment son administration ...
25KB taille 6 téléchargements 368 vues
Maître Nadine Regnier Rouet : « Il n’existe pas de règles de droit spécifiques aux réseaux sociaux et les juges appliquent à ces technologies nouvelles des règles existantes qui ont été posées dans un contexte plus traditionnel. » Lola Rocher : Maître Nadine Regnier Rouet, pouvez-vous vous présenter ? Maître Nadine Regnier Rouet : Je suis avocate au Barreau de Paris et détiens la spécialisation « droit social ». J’ai créé mon Cabinet en 2009 après avoir travaillé dans des cabinets de conseils juridiques et d’avocats d’affaires parisiens, pour une clientèle de groupes français et étrangers. Du début de ma carrière de Conseil Juridique, j’ai conservé le goût du conseil juste et personnalisé. Pour cela, je privilégie l’écoute, la proximité et la réactivité, ainsi que la veille quotidienne, essentielle dans le domaine du droit social qui est en constant changement. Passionnée par les évolutions du droit social, je publie régulièrement des articles d’actualité juridique sur mon site internet d’avocate (http://www.n2r-avocats.com) ainsi que sur des sites d’information en droit et en RH.

L.R : Nous assistons actuellement à une explosion de l’utilisation des réseaux sociaux par l’ensemble de la population, et donc des salariés, avec récemment quelques cas emblématiques de « Licenciements Facebook ». L’employeur peut-il valablement utiliser des données provenant de réseaux sociaux pour justifier un licenciement ? Maître Nadine Regnier Rouet : Aujourd’hui, 22 millions de Français sont inscrits sur au moins un réseau social, soit 6 internautes sur 10*. Et 30% de ces derniers indiquent poster des informations d’ordre professionnel**. Pour autant, les litiges portés devant le juge prud’homal en France sont très peu nombreux à ce jour. Le jugement du Conseil des Prud’hommes de Boulogne-Billancourt (du 19/11/2010) qui a approuvé le licenciement pour faute grave prononcé contre des salariés pour avoir dénigré leurs supérieurs hiérarchiques sur Facebook et porté atteinte à l’image de la société employeur, est une décision de « départage » (aux 4 conseillers prud’hommes s’est joint un juge professionnel pour opérer départage des voix) ce qui prouve la difficulté à statuer, et de surcroît, elle n’est pas définitive puisque frappée d’appel. Ce qui doit nous inciter à la prudence dans nos actes et dans nos avis.

L.R : Les propos tenus sur Facebook par des salariés font-ils partie de la sphère privée ou publique? Maître Nadine Regnier Rouet : C’est bien toute la question qui était posée au juge prud’homal de BoulogneBillancourt : dans cette affaire, les salariés avaient paramétré l’accès à leur mur à leurs amis et aux amis des amis. Parmi leurs amis, des salariés de l’entreprise. Analysant ces deux faits, le Conseil a jugé que les messages avaient un caractère « public » et ne constituaient pas une « correspondance privée » protégée par la Loi. Je souligne l’analyse des faits qui a été opérée car, pour l’instant, il n’existe pas de règles de droit spécifiques aux réseaux sociaux et les juges appliquent à ces technologies nouvelles des règles existantes qui ont été posées dans un contexte plus traditionnel. Ainsi, le Conseil a retenu le motif unique de faute grave justifiant le licenciement, tiré d’un fait de la vie privée, l’employeur ayant soutenu avec succès que les propos tenus par les salariés portaient atteinte à l’image de l’entreprise, à la réputation de leur supérieur et excédaient le droit d’expression. Si par contre, les messages échangés avec les « amis » avaient été qualifiés par les juges de « correspondance privée », ils auraient été protégés, l’employeur n’aurait pas pu en faire état dans le cadre d’une procédure de licenciement et celui-ci aurait donc été jugé abusif.

L.R : Existe-t-il une jurisprudence née de l’utilisation des réseaux sociaux par les salariés ? Maître Nadine Regnier Rouet : On ne peut donc pas à ce stade parler d’une jurisprudence spécifique. Voyez ce qui se passe pour la construction jurisprudentielle, toujours en cours depuis 2002, à propos de l’usage de la messagerie et d’Internet via le poste professionnel !

er

Le Conseil de discipline de Versailles a rendu une décision inédite le 1 avril 2011, concernant un fonctionnaire qui attaquait violemment son administration sur Facebook : la sanction a été une simple suspension d’un mois. Autre décision : la Cour d’appel de Reims du 9 juin 2010 a annulé un avertissement notifié par le journal l’Est Eclair à l’un de ses journalistes pour avoir mis un commentaire très « remonté » contre son « chef » sur le mur Facebook d’une autre personne. Le message n’a pas été considéré comme une correspondance privée, le mur de la personne étant ouvert à tous, mais l’atteinte aux intérêts de l’entreprise n’a pas été retenue, aucun nom n’étant cité dans le message et le seul mot générique de « chef » ne permettant pas de désigner avec certitude la sphère professionnelle, selon les magistrats. Encore une analyse pointue des faits par le juge…

L.R : Qu’est-ce que cela implique en termes d’utilisation ? Maître Nadine Regnier Rouet : Premier point : La liberté d’exprimer publiquement une opinion, droit constitutionnel protégé, sauf lorsqu’il dégénère en abus qui cause un dommage (d’où la nécessité pour l’employeur de démontrer un préjudice ou une atteinte aux intérêts de l’entreprise) est garantie au salarié citoyen. Ne la confondons pas avec le « droit d’expression directe et collective sur le contenu, les conditions de travail et l’organisation du travail » codifié sous les articles L2281-1 et suivants du Code du travail. Ne la confondons pas non plus avec des propos excessifs, calomnieux ou diffamatoires, dirigés contre une personne désignée, fut-elle le supérieur ou l’employeur, car alors, le dommage est caractérisé et pourra être sanctionné. La prudence est dans la mesure des propos lorsqu’ils sont publics. Second point indissociable : veiller à sécuriser la confidentialité des messages privés qui sont exprimés via les réseaux sociaux. Les salariés prudents iront sur le site de la CNIL (http://www.cnil.fr/la-cnil/actucnil/article/article/maitriser-les-informations-publiees-sur-les-reseaux-sociaux/) consulter les conseils qu’elle a présentés le 10 janvier 2011 sous forme de questions - réponses. Il s’agit d’utiliser les fonctionnalités des réseaux sociaux pour protéger sa vie privée : créer différentes listes de contacts, vérifier et adapter le paramétrage de confidentialité pour chacune de ces listes.

Juin 2011 *source : observatoire des usages internet de Médiamétrie **source : Atelier BNP Paribas Ifop, novembre 2010