Franc-Nord vol. 6 no. 1 (hiver 1989)

Clifford Lincoln a démissionné du cabinet. Bourassa à ... droite: Harvey-L. Mead, Claire Boudreault, Christian Proulx, Louise Gasselin, Clifford ...... Touche Ross.
33MB taille 4 téléchargements 257 vues
1-'ANSE

~

ro- ue ec et 'environnement

..

l'environnement est ~ un bien collectif que les êtres humains se doivent d'utiliser, de transformer, d'aménager et

de gérer de manière concertée afin d'en assurer la protection, la mise en valeur et la pérennité.

l 'ELECTRIFFICACITE

ARTICLES 6

Grandes inquiétudes pour le petit poisson des chenaux Découverte par hasard dans la rivière Sainte-Anne, la présence du poulamon, ou petit poisson des chenaux, est à l'origine d'une fête et d'une industrie d'hiver uniques au monde. Mais l'inquiétude règne depuis deux ans. Craignant une rupture de stocks, le gouvernement a déplacé les sites de pêche commerciale, tout en retardant quelque peu le début de la pêche sportive. C'est là une gestion touristique, et non écologique, d'une ressource vivante, disent certains. C'est plutôt une gestion scientifique et socio-économique, soutiennent les biologistes du MLCP.

par Jean-Pierre Drapeau

15

Libre-échange: un pas de géant ... dans la mauvaise direction Tel quel , le traité du libre-échange est une catastrophe pour l'environnement! Mais on ne s'en est guère formalisé jusqu'à maintenant.

par Serge Beaucher

28

Fabuleuses actions des glaces En hiver, le littoral du Saint-Laurent soumis au balancement des marées se décore de formes glacées d'une surprenante beauté. Ephémères certes, les glaces laissent toutefois leurs traces.

par Chantal Dubreuil

36

Nos animaux, l'hiver Présentement, sous nos latitudes, les écosystèmes fonction nent au ra lenti, à l'insu de la plupart des gens. Dans leur lutte pour la survie, nos animaux ont su s'adapter: l'hiver ne leur fait souvent ni chaud , ni froid.

par Lyne Lauzon

CHRONIQUES 5 19

32 35

3 par Harvey-L. Mead

Éditorial L'après-Lincoln Penser globalement Agir localement FRANC-NORD a cinq ans. Cinq ans de conservation ; votre cadeau : une affiche de Jean-Luc Grondin Le calendrier Les actualités

Photo en page couverture: À la tombée du jour, le village des pêcheurs sportifs de SainteAnne -de -la-Pérade. Cette photo a été prise avant l'écroulement d'une partie du pont du Canadien National. Photo Pierre Pouliot, MLCP

(1

Union québécoise pour la conservation de la nature « Penser globalement, agir localement» 160, 76' rue est, 2' étage, Charlesbourg, GlH 7H5, tél.: (418) 628-9600

Organisme national sans but lucratif, l'Union québécoise pour la conservation de la nature (UQCN) regroupe des individus ainsi que des sociétés oeuvrant dans les domaines des sciences naturelles et de l'environnement. L'UQCN favorise la conservation et l'utilisation soutenable des ressources. Elle fonde son action sur les trois objectifs de la Stratégie mondiale de la conservation: le maintien des processus écologiques, la préservation de la diversité génétique et l'utilisation soutenable des espèces et des écosystèmes. Président et directeur général: Harvey Mead Secrétaire général: Jean-Marc Tardif Administration et membership: Lorraine Côté-Ouellet Directeur du Projet Saint-Laurent: Christian Simard Secrétaire du Projet Saint-Laurent: Monique Arteau Conseil de direction de l'UQCN: Harvey Mead, président; Jean-Luc Bourdages, vice-président aux parcs et aux sites protégés; Luc Gagnon, vice-président à l'éducation; André Delisle, vice-président à la commission éditoriale et aux Éditions FRANC-NORD; Denis Bergeron (dossiers environnementaux) et Gilles Gauthier (dossiers fauniques), vice-présidents à la conservation; Philippe Fragnier, viceprésident à la régie interne; Manon Lacharité, secrétaire; Jacques Proulx, c.a., trésorier.

4

Affiliés: Ami-e-s de la terre de Québec, Amis de la nature de Georgeville, Association des entomologistes amateurs du Québec, Association pour la protection de l'environnement du lac Saint-Charles, Association pour la protection de l'environnement du lac Saint-Joseph, Association québécoise de lutte contre les pluies acides, Association québécoise des groupes d'ornithologues, Association québécoise d'interprétation du patrimoine, Centre atlantique de l'environnement, Centre de conservation de la nature du mont Saint-Hilaire, Centre de la montagne, Centre d'interprétation de la batture, Centre d'interprétation du milieu écologique du mont Saint-Grégoire, Centre local d'écologie de Mirabel, Cercle des jeunes naturalistes, Club des naturalistes Catharine Traill, Club des naturalistes de la vallée de la Saint-François, Club des ornithologues amateurs du Saguenay/Lac-Saint-Jean, Club des ornithologues de la Gaspésie, Club des ornithologues de l'Outaouais, Club des ornithologues du Bas-Saint-Laurent, Club des ornithologues du Québec, Club d'ornithologie de la Manicouagan, Club d'ornithologie Sorel-Tracy, Comité de recherche et d'intervention environnementales du Grand-Portage, Comité permanent sur l'environnement de Rouyn-Noranda, Conseil régional de l'environnement de l'Est du Québec, Conseil régional de l'environnement du Saguenay/LacSaint-Jean/Chibougamau, Corporation d'aménagement de sites écologiques, Corporation de développement économique de la récupération et du recyclage de la région 03, Corporation de protection de l'environnement de Sept-Iles, Duvetnor, Ecologie en action en Sagamie, Environnement Jeunesse, Fédération québécoise de la marche, Fédération québécoise de la montagne, Fondation Echo-logie, Fondation les oiseleurs du Québec, Fondation pour la sauvegarde des espèces menacées, Groupe d'animation en sciences naturelles, Groupe Fleurbec, Groupe Inter-Paysages, Groupe Nature et Patrimoine, Laboratoire d'écologie végétale de l'Institut botanique de Montréal, Laboratoires de géographie de l'Université du Québec à Chicoutimi, Montreal Field Naturalists, Mouvement écologique collégial de Sherbrooke, Musée du Séminaire de Sherbrooke, Naturalistes adultes du Québec, Nature Illimitée, Option verte, Parc régional de la Rivière-du-Nord, Parc régional du Long-Sault/Aux bois des Ombelles, Regroupement pour la préservation de l'île et du marais de Katevale, Société culturelle et écologique de la Basse-Côte-Nord, Société d'aménagement des ressources de la rivière Métis, Société d'animation du Jardin et de l'Institut botaniques de Montréal, Société d'animation scientifique de Québec, Société d'entomologie du Québec, Société de biologie de Montréal, Société de géographie de Québec, Société d'histoire naturelle de la vallée du Saint-Laurent, Société d'ornithologie de Lanaudière, Société d'ornithologie du Centre du Québec, Société du loisir ornithologique de l'Estrie, Société linnéenne du Québec, Société ornithologique du Centre du Québec, Société Provancher d'histoire naturelle, Société québécoise de la spéléologie, Société québécoise pour la conservation des sites naturels, Société québécoise pour la protection des oiseaux, Société zoologique de Granby, Société zoologique de la Mauricie, Société zoologique de Montréal, Société zoologique de Québec. L'Union québécoise pour la conservation de la nature est affiliée à l'Union internationale pour la conservation de la nature et de ses ressources, à la Fédération canadienne de la nature, au Fonds mondial pour la nature - Canada, à la Coalition canadienne contre les pluies acides ainsi qu'au Great Lakes United.

hiver 1989

160, 76' rue est, 2 ' étage, Charlesbourg, Qc, G 1 H 7 H5 Tél.: (418) 628-9600 Directeur et rédacteur en chef: Jean-Pierre Drapeau Publicité et promotion: Hélène Savard Réalisation graphique: Élizabeth Ann Schofield Traitement de texte et secrétariat: Chantal Masson Administ ration et abonnement: Lorraine Côté-Ouellet Comité de direction: André Delisle, Jean-Pierre Drapeau , Harvey Mead, Jacques Proulx Comité de rédaction: Cyrille Barrette, Nico le Beaulieu, Gisèle Lamoureux , Janouk Murdock, Jacques Prescott Révision des textes: René Moisan, Camille Rousseau Conseillers à la production: Yves Bédard, Jean-Luc Grondin, René Lemieux Composition typographique: Typoform Séparation de couleurs: Graphiscan Impression: Imprimerie Canada Média d'information sur la nature et les questions environnementa les au Québec, FRANCNORD a pour objectif de vulgariser les récentes conna issances scientifiques et techniques dans ces deux domaines. FRANC-NORD est publié six fois l'an. En 1989, la cotisation pour les membres individuels de J'UQCN est de 15,_00 $ pour un an; celle des organismes affiliés est de 25,00 $. Les membres de J'UQCN sont automatiquement abonnés à FRANC-NORD. Pour les bibliothèques, les écoles et les autres organismes non affiliés, les abonnements sont de 15,00 $ pour un an au Canada et de 20,00 $ à l'étranger. Copyright 1989 - FRANC-NORD. Le contenu de FRANC-NORD ne peut être reproduit ni traduit sa ns l'autorisation de la direction. La direction laisse aux auteurs l'entière responsabilité de Jeurs te xtes. Dépôt légal: Bibliothèque nationale du Québec et Bibliothèque nationale du Canada , premier trimestre 1984, ISSN-0822-7284. FRANC-NORD est indexé dans «Po int de repère». La publication de ce périodique est rendue possible grâce à J'aide du ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pêche du Québec, du ministère de J'Enseignement supé rieur et de la Science du Québec et du Programme Sciences et Culture Canada. Nous tenons à remercier le Collège régional Champlain pour son appréciable co llaboration.

union québécoise pour la conservation de la nature

_ _ _ _ _ _t?dibria1_ _ _ _ __ L'après-Lincoln En décembre dernier, après plus de trois ans pendant lesquels il a assumé le leadership environnemental au Québec, le ministre Clifford Lincoln a démissionné du cabinet Bourassa à la suite de la " crise linguistique » provoquée par l'adoption de la Loi 178, qui remplace la célèbre Loi 101. Moins d'un mois plus tard, l'importance de cette démission commence à se faire sentir. La Table ronde sur l'environnement et sur l'économie, mise sur pied par Robert Bourassa dans la foulée du rapport de la Commission mondiale sur l'environnement et le développement (Rapport Brundtland) et du rapport du Groupe national de travail sur l'environnement et l'économie, a perdu deux des trois ministres qui y siégeaient, dont le ministre Lincoln. Le Projet de mise en valeur du Saint-Laurent, dont le Groupe directeur devait déposer sous peu un plan d'action échelonné sur dix ans, a perdu son maître à penser, Clifford Lincoln, et voit son action retardée, possiblement de plusieurs mois. Et bien d'autres dossiers environnementaux risquent eux aussi d'être retardés, y compris l'enquête sur la gestion des déchets toxiques que le ministre Lincoln a confiée au Bureau d'audiences publiques sur l'environnement. Il faut savoir gré à M. Lincoln d 'avoir fait comprendre à tous les intéressés l'importance de l'environnement dans notre société moderne. Autrefois dialogues de sourds, les débats environnementaux doivent maintenant commencer à porter fruit: les industriels ont appris qu 'ils doivent agir et les organismes non gouvernementaux voient leur point de vue écouté et leurs opinions, valorisées. D'ai lleurs, quand le Premier ministre Bourassa a annoncé l'année dernière que son gouvernement prenait le virage écologique, une grande part de ce virage a reposé sur les épaules de M. Lincoln seul, que les groupes écologiques percevaient, au sein du cabinet Bourassa, comme "un missionnaire dans une clique

de païens». Suite à la démission de son ministre de !'Environnement, Robert Bourassa n'a pas tardé à réagir , nommant dès le lendemain une nouvelle ministre intérimaire en la personne de Lise Bacon. Mme Bacon, qui est déjà vice-première ministre et ministre des Affaires culturelles, était critique officielle pour !'Environnement lorsque le Parti libéral formait !'Opposition. Mme Bacon défendait, il y a quatre ans, l'idée de démanteler le ministère de !'Environnement et d'intégrer une Direction de l'environnement dans chacun des ministères à vocation économique. Compte tenu des résultats du travail intensif réalisé par M. Lincoln, personne ne pourrait défendre, sans perdre de la crédibilité, un tel démantèlement du ministère de !'Environnement. Quant à l'intégration de la composante environnementale dans les ministères à vocation économique, l'idée n'était pas mauvaise. Elle répondrait même à certaines préoccupations fondamentales de la Commission Brundtland quant aux exigences d'un développement soutenable, dont la clé est l'intégration de l'environnement dans le processus de prise de décisions économiques. Le défaut majeur de l'idée de Mme Bacon était de ne pa \ admettre qu'il faut, au sein du Cabinet, un porte-parole fort pour !'Environnement, rôle joué de façon exceptionnelle par M. Lincoln. li est maintenant nécessaire que Robert Bourassa nomme à !'Environnement, de façon permanente et à temps complet, une personne de la plus haute crédibilité et qu 'il lui donne un mandat élargi. Tout en conservant le mandat du trop petit ministère actuel de !'Environnement, cette personne aurait la responsabilité, dans son portefeuille, de rendre cohérentes et adéquates les interventions, sur le plan environnemental, des ministères à vocation économique.

Comme preuve de son engagement envers l'environnement et pour témoigner d'un véritable virage écologique, le premier ministre Bourassa devrait: 1- accorder au ministère de !'Environnement une augmentation de budget de 50 millions de dollars (montant qu'a probablement coûté à lui se ul l'incident de SaintBasile-le-Grand) par année, afin qu 'il puisse améliorer sa performance dans les dossiers prioritaires et développer une compétence en prévention environnementale; 2- nommer le (la) ministre de !'Environnement au Comité ministériel permanent de développement économique et placer sous la présidence du (de la) ministre de !'Environnement le Comité ministériel permanent de l'aménagement et du développement régional, où siège déjà le (la) ministre de !'Environnement; 3- accorder des pouvoirs accrus au (à la) ministre de !'Environnement, afin qu'il puisse coordonner les Directions environnementales des ministères à vocation économique et assurer la cohérence des politiques environnementales du gouvernement; 4- créer un poste de Vérificateur environnemental, indépendant des ministères, qui aurait pour mandat de préparer un bilan périodique de la mise e n application des politiques environnementales et de soul igner les lacunes qui empêchent d'atteindre un développement soutenable. Le temps est venu d'avoir enfin un(e) ministre de !'Environnement ayant de véritables responsabilités au plan économique?

André Bélisle, président, Association québécoise de lutte contre les pluies acides Jean Boutet, directeur général, Mouvement pour une agriculture biologique Daniel Green, président, Société pour vaincre la pollution Bruce Walker, directeur de la recherche, STOP

Grâce au ministre Lincoln, les opinions des organismes non gouvernementaux sont maintenant valorisées. Cette photo a été prise lors d'une soirée célébrant la reconnaissance du harfang des neiges comme emblème aviaire du Québec. De gauche à droite: Harvey-L. Mead, Claire Boudreault, Christian Proulx, Louise Gasselin, Clifford Lincoln, Daniel Jauvin et Claude Simard. hiver 1989

Harvey Mead, président, Onion québécoise pour la conservation de la nature

5

poun/eper/I!

Pendant la saison de pêche 1987-1988, les groupes familiaux avec enfants représentaient 40 % des pêcheurs ayant taquiné le petit poisson des chenaux.



INQ voisSON Découverte par hasard dans la rivière Sainte·~;l'.'·""""'""~....t=::~t== Anne, la présence du poulamon, ou petit poisson des chenaux, est à l'origine H'une fête et èl'une ·pdustrie ·d'hiver niques au monde. Mais l'inquiétude règne depuis de x ans. Craignant une rupture de s~oc s, le "8~~- gouvernemeAt a déplacé les sites de pêche commerciale, tout en retardant quelque peu le début de la pêche sportive. C'est à une gestion touristique, et non écologique, d'un ressource vi~ nte, disent cer ain . C' st plutôt ne g sti sci ntifique e so ·oéconomique, soutienn nt les biologistes du MLCP.

Un village temporaire de 1000 cabanes, qui semble sorti tout droit d'un conte de Noël. Aux périodes d'achalandage, il y a plus de monde « sur la glace 11 qu'« en haut•, dans les municipalités voisines de La Pérade et de :JAii~~~; Sainte-Anne-de-la-Pérade.

«Je m'en souviens comme si c'était hier. Pourtant, cela s'est passé il y a 50 ans . C'était en février 1938. J'étais parti avec mon père Eugène et mes frères André, Georges et Arthur, pour faire de la glace sur la rivière Sainte-Anne. À cette époque, les réfrigérateur3 n'existaient pas. Mon père était boucher et il faisait aussi le commerce de la glace . À l'hiver, nous allions sur la rivière , avec notre scie à glace de fabrication artisanale , couper des blocs de glace que l'on arrivait à conserver au cours de l'année en les entreposant dans un hangar , sous du bran de scie. Donc, ce matin-là de février 1938, nous étions à faire de la glace. À un moment donné, lorsque le trou libre de glace est devenu assez grand, nous avons vu lever un long morceau de frasil formé par les cristaux de glace qui s'accumulent entre la glace et le lit de la riv ière . C'est en enlevant le frasil épais d'environ trois pieds (1 m) que j'ai vu des poissons passer dans la rivière Sa inte-Anne . Au début , j'ai pensé qu'il ne s'ag issait que de quelques poissons égarés ; mais non, les poissons passaient par bandes assez nombreuses . » Sans le savoir, notre interlocuteur, Robert Mailhat, un homme chaleureux et encore très alerte malgré ses 72 ans, vena it alors de découvrir, dans la rivière Sainte-Anne, la présence du poulamon, le fameux petit poisson des chenaux , qui fréquentait autrefois en grand nombre la rivière Saint-Maurice (avant qu'elle ne devienne s i polluée par le flottage du bois et par les usines de pâtes et papiers et d'aluminium), mais qu'on ne pêchait plus jusqu'alors que sur le fleuve, à même des cabanes installées sur la glace du Saint-Laurent.

8

Robert Mailhot, le pionnier de la pêche aux petits poissons des chenaux, nous indique l'endroit où il a découvert le poulamon, en 1938, sur la rivière SainteAnne. l'hiver, nous allions chercher les visiteurs en traîneaux à chiens à la gare du chemin de fer. Quand on a commencé à ouvrir les routes à l'année , mon commerce de cabanes est devenu un véritable village sur la glace. Depuis , d'autres pourvoyeurs se sont ajoutés et de la mi-décembre à la mifévrier, l'atmosphère est depuis 40 ans à la fête à Sainte-Anne-de-la-Pérade .. . sauf depuis deux ans, alors que le petit poisson n'est plus au rendezvous. Les biologistes nous disent qu'il y a eu un trou dans la population de poulamons, qui vivent en moyenne quatre ans : en 1 987, ils ont constaté la présence en beaucoup moins grand nombre de po issons âgés de deux et trois ans . La situation est grave . C'est un peu comme si le Québec voyait disparaître d'un coup sec une bonne partie de ses habitants âgés de 25 à 60 ans! Mais je me rappelle qu'en 1948, 1949 et 1950, nous avons connu trois années où le petit poisson des chenaux n'a pas mordu . Je garde donc bon espoir que tout revienne à la normale cette année ou l'an prochain et que l'on puisse à nouveau rendre heureux les 75 000 visiteurs qui venaient à chaque année pêcher, rire et s'amuser dans les cabanes. »

Volubile, enthousiaste et !'oeil .vif, le pionnier du petit poisson des chenaux poursuit son récit: «Au cours des années suivant cette découverte, nous avons constaté que le petit poisson revenait frayer tous les ans aux mêmes dates. Avec mon père, nous allions Montaison, avalaison, frasil déjà sur les glaces du fleuve pêcher dans des cabanes ; nous avons donc ramené nos cabanes sur la rivière Surnommé Sainte-Anne. La pêche au poulamon le petit était si bonne que la nouvelle d'une poisson pêche miraculeuse s'est vite répandue des chedans les journaux. Nous avons comnaux parce qu'on le capturait autrefois mencé à en faire le commerce; les en grand nombre dans les trois checommandes arrivaient nombreuses, naux par lesquels la rivière Saintd'aussi loin (loin, pour l'époque, Maurice rejoint le fleuve Saint-Laurent, s'empresse-t-il d'ajouter) que !'Abitibi le poulamon atlantique (Microgadus et le Lac-Saint-Jean . Puis les visiteurs tomcod) est un petit poisson de la ont commencé à affluer. Au début , famille des Morues (d'où son nom comme on fermait les rnutes pendant hiver 1989

populaire de «petite morue»), qui vit dans les eaux salées mais se reproduit en eau douce . Son aire de distribut ion se limite aux zones côtières du nord de l'Atlantique, du sud du Labrador à la Virg inie. li abonde particulièrement dans l'estuaire du Saint-Laurent, où on l'appelle la «loche» et où les pêcheurs qui en attrapent.. . les rejettent la plupart du temps à l'eau. «Le poulamon ne passe qu'une courte période de sa vie , au plus deux mois par année, dans la rivière Sainte-Anne, nous explique Réjean Fortin , professeur d'ichtyologie (b iologie des poissons) à l'Université du Québec à Montréal (UQAM). Mais cette période, poursu it-i 1, est pour lui d'une importance vitale, pu isqu'il s'agit de sa période de reproduction. La montaison , c'est-à-dire la montée de la SainteAnne vers les frayères situées six kilomètres plus haut (vers l'amont), débute à la mi-décembre et se déroule jusqu'à Ja fin de janvier. L'avalaison , ou le retour vers le fleuve, a lieu quelques semaines plus tard, habituellement du début de janvier à la fin de février. Les deux phénomènes se chevauchent donc, entraînant à l'embouchure de la Sainte-Anne un va-et-vient continuel entre la rivière et le fleuve, le poula-

mon pénétrant en plus grande proportion dans la rivière avec la marée montante et sortant avec la marée descendante. » On a longtemps cru que le poulamon venait frayer dans la rivière SainteAnne parce qu'il y trouvait un lit sablonneux où pondre ses oeufs. Mais les recherches réalisées en 1979 par le

~

ll'l

C7'

~ ~

!!

=::

~

=g

> -8 -;;-

2

~

.,,

d ~ ~

"" a "'0c: "' 'ë"' Q..

-8 .,

Comité d'étude sur le poulamon atlan- ~

tique (qui avait pour tâche de découvrir quel pourrait être l' impact d'un barrage qu'Hydro-Québec envisageait de construire sur la rivière Sainte-

Ces photos d'époque, vieilles de 50 ans, nous montrent comment Robert Mailhat et ses frères s'y prenaient pour faire de la glace, grâce à une scie à glace de fabrication artisanale.

«J'étais parti avec mon père et mes frères pour faire de la glace sur la rivière SainteAnne. »

Anne) ont plutôt mis en évidence à cet égard le rôle du frasil qui permettrait aux poulamons de mettre leurs rejetons à l'abri. « Les oeufs du poulamon, nous explique Yves Mailhot, biologiste à la Direction régionale de TroisRivières du ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pêche (MLCP), poursuivent en effet en toute sécurité leur développement embryonnaire à l'intérieur du frasil , en attendant une dérive vers les eaux du fleuve, sous l'effet des courants. Le frasil, poursuit-il , est constitué de cristaux de glace formés dans un cours d'eau turbulent et qui s'agglomèrent très facilement les uns aux autres. Or, dans la partie inférieure de la rivière Sainte-Anne, un tronçon d'eau calme succède à une zone de rapides. Cette turbulence favorise la production du frasil qui s'accumule au pied des rapides et constitue progressivement un barrage suspendu entre deux eaux, sous le couvert de glace.»

Pêche miraculeuse, industrie florissante Le poulamon représente une véritable

«À l'hiver, nous allions sur la rivière, avec notre scie à glace de fabrication artisanale.»

«Lorsque le trou libre de glace est devenu assez grand, nous avons vu lever un long morceau de frasil. »

::l

.,"' èS"' Ë ., Q.

Q;;

.,"'C: .s

"")

0

.c Q.

One pêche scientifique, effectuée le 23 décembre 1988 par l'équipe du biologiste Yves Mailhat (à gauche), a permis de constater que le poulamon n'a pas déserté la rivière Sainte-Anne. mine d'or pour Sainte-Anne-de-laPérade. En 1979, selon une étude socio-économique faite par le MLCP, les retombées économiques de la pêche sportive ont été estimées à deux millions et demi de dollars, et ce, en moins de deux mois d'hiver. Nulle part au Québec, l'exploitation d'espèces pourtant plus recherchées pour leur intérêt sportif ne rapporte-t-elle autant de retombées économiques en si peu de temps. Et c'est compter sans la

pêche commerciale au poulamon, dont on ne connaît pas l'effet multiplicateur découlant de la transformation et de la commercialisation de ce poisson. L'étude socio-économique de 1979 révélait également que les quelque 70 000 adeptes annuels de la pêche sportive provenaient surtout de Montréal (41,2%), de la Mauricie (33,1 %), de Québec (12,4 %) et de !'Estrie (7,5 %).

9

.,"' ::l

Q.

~ Q

.,Ë Q;;

.,"'C:

"")

"'0

0

s: Trois phases différentes de la «construction» annuelle du village de cabanes sur la rivière Sainte-Anne. À noter, sur la photo du centre, le 11 nouveau» pont du Canadien National, reconstruit à l'été 1988, qui présente une drôle d'allure, la partie remplacée ne respectant pas l'architecture de la partie conservée! hiver 1989

LA Ge LIGNE MENACE-T-ELLE LE POOLAMON?

.."' ::l

.

"-

Ci

,.,"''"' ..Q

~

::l

a

c:"'

6 .

>-

~

m - k .....;...;......_...;___;.;__ __.

Les verveux, des engins de pêche utilisés pour la récolte commerciale du poulamon, ont également servi aux recherches d'Hydro-Québec.

hiver 1989

S:

levé l'idée que des brèches seraient réalisées dans la digue. li nous semblait inacceptable qu'Hydro-Québec n 'envisage qu 'après coup des solutions aux problèmes qu'elle créait. D'après nous, Hydro-Québec n'avait aucun droit d'empêcher un seul poulamon de remonter le fleuve, car ce poisson n 'a pas de prix dans le mode de vie des gens qui en bénéficient. Depuis, HydroQuébec a eu le feu vert pour ses travaux et a réalisé une seule brèche dans la jetée en cause . Mais même là , rien ne prouve que la digue ne nuira pas au poulam on. Et après la fraie , qui peut nous dire que les oeufs ne seront pas détruits quand le frasil et la glace iront s'écraser sur la digue? Qui peut nous garantir que le taux de reproduction du petit poi sson des chenau x ne sera pas affecté? » Face à la digue d'Hydro-Québec, le pêcheur commercial Jean-Claude Vallée partage à peu près les mêmes inquiétudes que M. Roy. Lors des audiences du BAPE en 1986, M. Vallée représentait les pêcheurs commerciaux . «Le poulamon, disait-il alors pour bien se faire comprendre d'un représentant d'HydroQuébec qui semblait suggérer que tout le poulamon pourrait passer dans la brèche , ce n'est pas de l'électricité. li ne va pas en ligne droite . On ne peut pas dire que parce qu'on lui a fait une brèche dans une digue, il va nécessairement passer par là .» M. Vallée déclarait ne pas partager l'avis d'Hydro-Québec quant à l'absence d'impact de la digue sur la migration du poulamon . " Le couloir de migration du poulamon va du chenal de la voie maritime jusqu'au pied du talus , expliquait M. Vallée. La digue pourrait avoir pour effet d'obstruer à plus de 90 % le territoire qu'emprunte le poulamon lors de sa migration. Ce poisson se déplace en nappe sur le fond et se sert principalement du flux de la marée pour effectuer sa montaison. Avec la digue, il serait contraint d'utiliser le chenal de la voie maritime pour atteindre sa rivière natale. Connaissant la petite taille du poulamon, on peut douter de sa capacité de se diriger (de nager) vers son lieu de reproduction , à cause de la forte vélocité du courant dans le chenal. On peut aussi craindre des effets sur le taux de reproduction des poulamons qui pourraient s'accumuler en masse en aval des digues et ne trouveraient pas les éléments propices à la fraie. Et lors de l'avalaison , les oeufs et les alevins risqueront de s'entasser en amont des digues et de ne pouvoir poursuivre leur développement dans les conditions habituelles.» Aujourd 'hu \, alors que la digue et la brèche sont devenues des réalités , M. Vallée éprouve encore certaines craintes. "Dans tout projet de cette envergure, les impacts qui s'ensuivent sont difficile-

ment décelables. Chose certaine , conclut-il , le malheur des uns faisant le bonheur des autres, Hydro-Québec peut se compter chanceuse que la densité de poulamons ait été moindre depuis deux ans, ce qui minimise d 'autant l'impact qu'aurait pu avoir la digue si la densité de la population de petits poissons des chenaux avait été à son maximum. »

:::i

"'"'o.. 0"' Ë

"'

0:

.::

..,"'"' 0

Ce débat sur la 5• ligne et son impact sur le poulamon, qui avait surgi pendant les audiences publiques sur le projet de ligne à courant continu RadissonNicolet-Des Cantons a d'ailleurs amené les commissaires du BAPE, dans leur rapport sur ce projet, à estimer « qu'Hydro-Québec se comporte d'une façon peu responsable à l'égard de l'impact potentiel sur le poulamon » et à considérer comme insuffisant le suivi environnemental qu'effectuera jusqu'en 1989 Hydro-Québec relativement à l'impact des jetées.

Des mesures d'atténuation Lorsque le gouvernement du Québec a autorisé, par décret, Hydro-Québec à aller de l'avant avec la 6• ligne et sa traversée fluviale, il a demandé à la société d'Etat d'ajuster ses plans et devis pour assurer la montaison et l'avalaison du poulamon. Hydro-Québec se devait donc d'évaluer les impacts des jetées sur le poulamon, de déterminer et d'appliquer les meilleures mesures possibles d'atténuation. Pour l'aider à «harmoniser son projet avec les préoccupations et les attentes des autres intervenants », déclare Claude Tessier, biologiste et responsable scientifique du _dossier du poulamon pour la société d'Etat, Hydro-Québec a alors créé le Comité consultatif sur le poulamon atlantique, formé de spécialistes provenant de divers ministères provinciaux et de Pêches et Océans Canada, qui a pour mandat de conseiller HydroQuébec "sur la meilleure manière de réaliser les études permettant l'identification des impacts potentiels sur le poulamon atlantique et d'élaborer les mesures d'atténuation qui s'imposeraient». Avec la collaboration du Comité consultatif, Hydro-Québec a développé un programme d'études s'échelonnant d'une part sur les saisons de pêche 1986-1987 et 1987-1988, soit avant la construction des jetées, et d'autre part sur la présente saison 1988-1989, alors que les jetées sont construites. Trois études forment essentiellement le programme: une étude sur les vitesses d 'écoulement de l'eau et la vitesse de nage du poulamon, une étude sur la détermination des couloirs de migration et enfin une étude socio-économique sur la pêche sportive et la pêche commerciale à Sainte-Annede-la-Pérade.

hiver 1989

ë

capacité de franchir la jetée nord, selon les vitesses de courant prévues à l'extrémité de la jetée. Hydro-Québec considère donc que les jetées ne présentent pas « un obstacle infranchissable pour le poulamon atlantique, mais plutôt une contrainte supplémentaire pour les poulamons qui migrent vers leurs sites de fraie ».

.r:.

c.

Gaston Roy, pourvoyeur à SainteAnne-de-la-Pérade, est inquiet de l'impact que pourrait avoir la digue sur la migration du petit poisson des chenaux, et ce, même si HydroQuébec y a aménagé une brèche.

L 'étude sur les vitesses d'écoulement de l'eau était en fait une étude de modélisation sur les conditions hydrodynamiques prévalant au site de la traversée du fleuve . Réalisée par TAO Simulations, un groupe associé au Département de génie civil de l'Université Laval , cette étude a d'abord démontré que les vitesses d'écoulement de l'eau au bout des jetées ne seraient augmentées que de l'ordre de 10% , la plus grande partie de l'eau s'écoulant dans le chenal de navigation. Elle a aussi permis de savoir que les conditions d'écoulement qui prévaudront au bout des jetées seront légèrement moins favorables que celles existant au bout des pointes de Grondines, un obstacle naturel que le poulamon doit franchir chaque année lors de sa montaison . L'étude sur la détermination des couloirs de migration a mis en évidence qu'au site de traversée de la 6° ligne, sur la rive nord , les poulamons n'utilisent pas un couloir de migration bien précis, mais peuvent fréquenter une zone dont la largeur peut atteindre 11 OO m. L 'étude indique aussi que les poulamons utilisent très peu le secteur de la rive sud comme couloi~ de migration.

À la suite de ces études, explique M. Tessier, Hydro-Québec a décidé, comme mesure d'atténuation, de créer, à environ 400 m de la rive nord, une brèche de 50 m dans la " digue », afin de fournir un passage additionnel au poulamon , et de raccourcir d'environ 50 m la longueur de la digue, pour la rendre un peu plus comparable à la pointe des Grondines sur le plan des contraintes d'écoulement. L'étude sur la vitesse de nage du poulamon , un aspect qui n'avait jamais été abordé jusque là, avait pour but de connaître les vitesses de nage que le poulamon pouvait tolérer (tous les poulamons, indépendamment du sexe ou de la taille , ont pu maintenir une vitesse de 15 cm / seconde pendant au moins 30 minutes). L'étude a aussi permis de déterminer que le poulamon a la

Quant à l'étude socio-économique, elle est menée dans le but d'obtenir des données pour l'évaluation du succès de pêche avant et après la construction de la digue ainsi que des retombées économiques locales et régionales de la pêche au petit poisson des chenaux à SainteAnne-de-la-Pérade. Enfin, Hydro-Québec termine, pendant la saison de pêche 1988-1989, un programme de suivi environnemental afin de vérifier si le passage des poulamons s' effectue normalement dans la brèche et à l'extrémité des jetées. Au moment de "mettre sous presse», soit à la mi-janvier, un dernier appel téléphonique auprès de M. Tessier a permis à FRANC-NORD de connaître les plus récents résultats de ce programme de suivi environnemental. " La firme de consultants en environnement Gilles Shooner et associés a été mandatée afin de placer des caméras vidéo sous-marines dans la brèche et à l'extrémité des jetées. Les images montrent de très grandes quantités de poulamons passant sans difficulté. li est même possible, poursuit M. Tessier, de constater que la migration se produit avec une plus grande amplitude au début de la marée descendante. Des verveux ont également été placés de part et d 'autre de la jetée afin de vérifier si les poulamons s'accumulent en aval de celle-ci. Les résultats des pêches au verveux indiquent qu'il n'y a aucune accumulation de poissons, les prises étant aussi abondantes en aval qu'en amont. De plus, Hydro-Québec a procédé à des pêches expérimentales à l'embouchure de la rivière Sainte-Anne, par l'entremise de certains pêcheurs commerciaux, afin de vérifier l'ampleur de la migration. Les premiers résultats sont fort concluants, puisque les succès de ces pêches s'avèrent excellents. Par exemple, au début de la saison, les pêcheurs commerciaux ont capturé jusqu'à 300 kg dans un seul verveux , ce qui constitue, selon eux, une récolte exceptionnelle. Les prises ont diminué par la suite, variant entre 50 et 150 kg par verveux , ce qui laisse présager une année moyenne. Quant à la pêche sportive , même si aucune statistique offi cielle n'a encore été compilée, un seul coup d'oeil autour des cabanes à pêche permet de constater que les choses vont bien. » Le poulamon serait-il enfin à nouveau au rendez-vous?

J.-P.D.

11

Une étude effectuée à l'hiver 1987-1988 par Hydra-Québec (voir l'encadré « La 6• ligne menace-t-elle le poulamon? ») en arrive à des résultats à peu près semblables, avec 42 % pour Montréal, 27 % pour la Mauricie , 12 % pour Québec et 6 % pour !'Estrie ... avec cette différence près que seulement 13 000 pêcheurs sportifs ont taquiné le petit poisson des chenaux pendant la saison de pêche 1987-1988; ce nombre était constitué à 40 % de groupes familiaux avec enfants et environ 30 % de ces visiteurs d'un jour à La Pérade en étaient à leur première expérience. L'étude d'Hydro -Québec nous apprend aussi qu'en ce qui concerne la pêche commerciale, les ventes en gros (39 % ) et au détail (61 % ) se sont faites surtout à Sainte-Anne-de-la-Pérade (21 %, dont environ 10 % aux pourvoyeurs euxmêmes), ailleurs en Mauricie (35 %) et enfin dans le reste du Québec (44 %). Les travaux du Comité d 'étude sur le poulamon atlantique (CEPA) ont permis d'évaluer à 400 millions de poissons la population du poulamon dans le secteur de La Pérade à l'hiver 1978-1979. Mais cette densité de population peut varier considérablement d 'une année à l'autre, puisqu'à l'hiver 1979-1980, le CEPA l'évaluait cette fois à 940 millions. À la saison hivernale 1978-79, les pêcheurs sportifs ont récolté, sur la rivière Sainte-Anne, environ six millions et demi de poulamons (80 % des prises) et les pêcheurs commerciaux (q u i tendent leurs verveux dans le fleuve Saint-Laurent, à quelques kilomètres en aval de la Sainte-Anne) en ont déclaré 1,6 million (20 % ). L'année suiva nte, la pêche sportive recueillait huit millions et demi de poissons et la pêche commerciale en déclarait 1, 9 m ill io n. Les captures totales représentant m oins de 5 % de la population, il s 'agissait donc là d'un faible ta ux d'exploitation.

12

Mais le CEPA attirait cependant l'attention sur le fait que même si la popu lation du poul amon à La Pérade est composée généralement d'une femelle pour deux mâles , le taux d'exploitation des femelles était en moyenne environ trois fois plus élevé que celui des mâles. Plusieurs raisons amènent ce taux plus élevé d'exploitation des femelles . Atteignant plus jeunes leur maturité sexuelle , une partie des géniteurs mâles sont plus petits et parviennent à échapper en plus grand nombre aux mailles des verveux ten dus par les pêcheurs commerciaux. Quant à la pêche sportive, le fait que les femelles mordent en plus grand hiver 1989

/;

de pêche isolés, électrifiés et illuminés le soir, chauffés et mesurant en général six mètres carrés (8' x 8'). On compte certaines années jusqu'à 1000 cabanes pouvant chacune accommoder quatre à six pêcheurs qui y tendront leurs lignes à travers le trou rectangulaire faisant toute la longueur d'un mur. Chaque ligne est appâtée avec du foie de porc et on y attache une allumette qui indique, lorsqu'elle bouge , qu'un poisson a mordu à o.. l'hameçon . Phénomène rare et contrai - .~-r-c ~ rement à de nombreuses autres espè- ~l!'c,,~ :e: ces anadromes (qui naissent et se ,:us~::.~'lc, ~reproduisent en eau douce, mais qui ~,.,,9,,;" "'(~-' §passent une partie de leur vie en eau __ ~salée), les poulamons se nourrissent ~ •· - t; même pendant la fraie, que les adultes ~(les mâles âgés de deux ou trois ans et ~les femelles âgées de deux, trois ou , ---/ ~quatre ans) effectuent à cette période ·-~-='- '~dans la rivière Sainte-Anne .

~~~~~~~~~~~-'~ "~~··~~~~ 0

nombre après avoir frayé pourrait s 'expliquer soit par un besoin conséquent à la ponte (les femelles auraient alors plus «faim»), soit par une caractéristique physique, les femelles pouvant mieux saisir dans leur bouche les gros morceaux de foie de lard que les pêcheurs leur tendent comme appât.

On petit poisson qui attire en grand Mais pourquoi le petit poisson des chenaux attire-t-il autant de gens? Ce n'est pourtant pas un poisson pour des «histoires de pêche»! Avec ses 15 cm de long et ses 40 grammes, le poulamon ne bat pas de record . Il n'y a rien d'impressionnant à se faire photographier avec une telle prise! C'est plutôt le nombre de poissons pêchés (les années où ça mord, bien sûr!) qui permet d'en mettre plein la vue: une moyenne de 50 prises à l'heure se rencontre en effet assez régulièrement. Il faut dire aussi que depuis la perte des frayères des rivières Saint-Maurice (vers 1920) et Batiscan (en 1975), le site de La Pérade s'avère l'endroit où la renommée des petits poissons des chenaux est la plus grande au monde . Il s 'agit de plus du seul endroit au Québec où on a le droit de pêcher sans permis. Enfin, la pêche s'y fait confortable. Les cabanes d'autrefois deviennent aujourd 'hui de véritables petits chalets

On trou qui fait peur Mais voilà , depuis deux ans, l'état de la population du poulamon soulève bien des inquiétudes. FRANC-NORD a rejoint des pourvoyeurs de la rivière Sainte-Anne pour en savoir un peu plus, mais certains ont refusé soit d'en parler, soit d'être cités. C'est à croire qu'une consigne du silence règne parmi eux. Le président actuel de !'Association des pourvoyeurs de la rivière Sainte-Anne, Étienne Leduc, nous a d'ailleurs con firmé que les pourvoyeurs avaient récemment adopté un règlement interne recommandant de ne pas faire de déclarations sur la situation présente du poulamon, afin d'éviter que cela ne nuise à cette industrie régionale , et de référer les journalistes au président de !'Association, à titre de porte-parole officiel. Au cours d'un entretien téléphonique, ce dernier s'est dit optimiste, soulignant qu 'il s'agissait d 'un problème de nature autant cyclique qu'hydrologique (le niveau de l'eau du fleuve était trop bas depuis deux ans), qui pourrait être réglé dès la présente saison de pêche, le niveau du Saint-Laurent ayant remonté cette année . Heureusement , malgré la consigne du silence , l'un des pourvoyeurs a recommandé à FRANC-NORD, s'il voulait connaître le vrai coeur du débat, de contacter Yves Mailhat, biologiste au MLCP, et Jean-Claude Vallée, pêcheur commercial; et un autre pourvoyeur a accepté de nous décrire le problème

structure d'âge nous ont fait craindre, au cours de la saison de pêche 1987-1988, pour la survie du poulamon , nous explique Yves Mailhat , qui est l'un des plus grands spécialistes du poulamon au Québec. Il était alors possible d'appréhender une rupture de stocks. Pour assurer la conservation ~du stock reproducteur et compte tenu ci:: du fait que le poulamon était déjà .E complètement disparu de plusieurs ~ secteurs qu'il avait déjà fréquentés (les 0 rivières Saint-Maurice et Batiscan), ] nous avons demandé aux pêcheurs o.. commerciaux, vers la mi-janvier, de cesser leur pêche. Et les récents rapOn mauvais poisson d'avril: l'effondrement, dans la rivière Sainte-Anne, d'une ports d'Hydro-Québec nous ont d 'ailpartie du pont du Canadien National, le 1er avril 1987. Plusieurs pourvoyeurs pensent que cela a peut-être modifié le lit de la rivière et l'habitat du poulamon. leurs appris que contrairement aux récentes années où la récolte commerciale du poulamon ne représentait qu'environ la moitié de la récolte sporplus pour la montaison du petit poisvécu depuis deux ans . tive , les pêcheurs commerciaux ont son. » (Mais interrogé par FRANCpris l'année dernière (hiver 1987-1988) NORD , le biologiste Claude Tessier, « Lors de la saison de pêche plus de petits poissons que les d'Hydro-Québec, nous a déclaré que 1986-1987, nous déclare Gaston Roy, pêcheurs sportifs: 225 000, comparatides études réalisées par la firme de vement à 90 000. » pourvoyeur depuis 15 ans à Sainteconsultants en environnement Gilles Anne-de-la-Pérade , le poulamon n'a Shooner et associés, pour le compte commencé à mordre que vers le 9 ou Afin de laisser le maximum de chande la société d'Etat, montrent que les le 10 janvier, alors qu'on avait l'habices aux géniteurs de frayer, le MLCP a poulamons devraient pouvoir franchir tude d'en prendre en grand nombre pris , en août dernier, une série de cet obstacle (voir l'encadré « La 5• dès le 20 décembre. Et à l'hiver décisions. Il a fixé au 26 décembre la ligne menace-t-elle le poulamon? »). 1987-1988, soit l'année dernière , il ne date d'ouverture de la pêche sportive. mordait plus du tout. Les récoltes Il a interdit pour la présente saison s'élevaient parfois à deux ou trois poishivernale la pêche commerciale à l'est One rupture de sons seulement par cabane, au lieu de de la rivière Sainte-Anne; par contre, stocks appréhendée 200, 500 ou même 1000 par jour. cette année , la pêche commerciale est Chose curieuse , les poissons étaient permise à l'ouest de la rivière, sans plus gros. » limite ni quota. Le MLCP étudie de À la suite plus la faisabilité d'un creusage expéri des inquiéLa même baisse pouvait être constatée mental de la rivière Sainte-Anne, dans tudes du côté de la pêche commerciale. le but d 'améliorer l'accès aux frayères. manifesD'environ 30 kg qu'ils étaient auparatées par tous les groupes intéressés à vant, les rendements de la pêche au Selon des articles publiés dans le quola question du poulamon, le MLCP a verveux sont respectivement passés à tidien La Presse, le ministre Yvon réalisé ou commandé plusieurs études 11 kg, puis à 7 ,5 kg de poulamons par Picotte a par la suite précisé que les afin d'en savoir plus long sur la quesjour, à l'hiver 1986-1987 et à l'hiver pêcheurs commerciaux étaient tion. 1987-88. d 'accord avec sa décision les concernant et que la mesure visait autant à L'une d'entre elles, portant sur la Interrogé quant aux causes de ce qui améliorer les conditions de pêche population et la structure d'âge des semble un déclin du poulamon, M. sportive sur la rivière Sainte-Anne qu'à géniteurs capturés à l'hiver 1987-1988, permettre à un plus grand nombre de Roy en invoque au moins deux. «L'effondrement du pont servant au a permis de constater un déséquilibre géniteurs d'atteindre leur frayère dans la structure de population: 73 % chemin de fer du Canadien Pacifique, située au nord de la rivière Saintesurvenu le 1er avril 1987, a peut-être des mâles et 26 % des femelles étaient Anne. alors âgés d'un an, alors que par le modifié le lit de la rivière et l'habitat du petit poisson et même aggravé passé, les mâles de deux et trois ans Le ministre Picotte a-t-il été mal cité formaient 85 % de la population et les par les journalistes? Toujours est-il l'ensablement de l'embouchure de la femelles se répartissaient pour leur Sainte-Anne, qui constitue déjà un que FRANC-NORD a téléphoné aux six part à l'intérieur des classes de deux , obstacle aux migrations du poulamon. pêcheurs commerciaux de poulamons trois et quatre ans. Conséquemment, Et ce qui n'est rien pour aider, à l'été faisant affaire au Québec. Quatre ont l'âge moyen des géniteurs, qui était de 1987, le niveau du fleuve Saintpu être rejoints et tous se sont décla2,7 ans pour les mâles et de 3,2 ans Laurent était anormalement bas : il lui rés insatisfaits de la décision gouverpour les femelles, était passé respectimanquait environ deux pieds (56 cm, nementale de déplacer les sites vement à 1,5 et 2 ,3 ans. disent les études hydrologiques), un traditionnels de pêche commerciale problème de plus pour l'accès du pou(ce que plusieurs considèrent comme « La chute du taux de succès des lamon à ses aires de fraie et de reproune interdiction déguisée ou à tout le duction. Il reste maintenant à pêches sportives et commerciales, moins comme un frein). l'apparente diminution de la popula souhaiter que la jetée qu 'a construite Hydra-Québec cette année pour le pastion de poulamons , la présence de L'un d'eux est justement Jean-Claude poissons anormalement plus gros qu'à sage de la 6• ligne ne constituera pas Vallée, dont l'analyse ne manque pas cet hiver ( 1988- 1989) un problème de l'accoutumée et le déséquilibre dans la de soulever des interrogations. hiver

1989

13

Une gestion écologique ou touristique?

14

autour des îles de !'Exposition universelle de Montréal , qui a fait disparaître plusieurs espèces de poissons qu'exploitaient les pêcheurs commerciaux, la décision d'interdire cette année la pêche commerciale aux petits poissons des ch enaux à l'est de la rivière Sainte-Anne est l'un des plus importants coups durs que nous ayons eu à subir, soutient M. Vallée. Voyezvous, le petit poisson des chenaux, c'est notre gagne-pain d'hiver. Nous sommes tout autant disposés que le MLCP à le protéger, mais encore faut il que les décisions soient logiques et que la gestion se fasse de façon globale. Nous avons présentement le pressentiment que le MLCP fait une gestion touristique, plutôt qu 'écolog ique , de cette ressource vivante. Nous étions d 'accord pour des restrictions et même pour l'arrêt à plus ou moins long terme de la pêche commerciale, afin de laisser toutes les chances aux géniteurs d'accéder en plus grand nombre aux frayères . Mais si l'état de la population est à ce point dramati que, pourquoi autoriser la pêche sportive qu i a toujours, sauf l'année dernière , prélevé au moins autant , sinon plus, de poulamons que la pêche commerciale? Il aurait été préférable de contrôler la ressource en fonction des échantillonnages réalisés par le MLCP au cours des pêches scientifiques et ensuite établir des quotas pour la pêche commerciale. Quant à aller pêcher à l'ouest de la rivière SainteAnne, plusieurs s'y refusent. C'est d'abord à cause des conditions de pêche extrêmement difficiles, sinon impossibles, dues à l'absence de battures et à la prise des glaces qui ne s'effectue que plus tard pendant la saison de pêche, à cause de l'achalandage de la voie maritime . Mais c'est aussi et surtout parce que c'est antiécologique : personne ne devrait hypothéquer les bancs de poulamons qui pourraient un jour recoloniser des frayères propices de la Batiscan ou d'autres rivières. La pêche commerciale n'a jamais compromis la survie du poulamon, mais pouvons-nous en dire autant de la pollution du fleuve ou des modifications d'habitats fauniques le long du Saint:Laurent? Avant de déplacer les filets des pêcheurs commerciaux, le gouvernement devrait commencer par gérer le problème de façon globale . » hiver 1989

Réjean Laprise et Julian Dodson, de l'Université Lava l, qui ont découvert par hasard, en fait dans le cadre d'une recherche sur les larves d'éperlan , que les jeunes poulamons se concentrent pendant l'été dans la zone de l'estuaire comprise entre l'île d'Orléans et l'île aux Coudres et caractérisée par une ~ très grande turbidité . L'habitat d'été g. des jeunes poulamons était autrefois Ci mal connu, puisqu 'on croyait qu'il se Ë rendait aussi loin que Tadoussac. Seul 5: l'avenir (en particulier les résultats de ~ la présente saison de pêche sportive) ~ dira laquelle des deux hypothèses de ~ l'équipe du Dr Dodson est la bonne. ..c::

c..

Pour Jean-Claude Vallée, pêcheur commercial, le poulamon constitue un gagne-pain d'hiver.

Pris par surprise

Mais il faut dire que les biologistes et le MLCP ont été complètement pris par surprise par le déclin soudain de la population au cours des dernières années . D'a illeurs, en 1980, la densité élevée de la populat ion du pou lamon avait amené le CEPA à conclure que « la population des petits poissons des chenaux de La Pérade est donc là pour rester , si la rivière continue de fournir un environnement propice à la fraie» . Les études sur le poulamon ont donc dû être multipliées depuis quelque temps afin de trouver des pistes d'explication. Les résultats de plusieurs d 'entre elles devraient paraître au cours de la présente année. Mais déjà , FRANC-NORD a appris que les recherches effectuées depuis trois ans sur l'état de la population de jeunes poulamons présents à l'été dans l'estuaire du Saint-Laurent montrent que les abondances sont comparables de 1986 à 1988 (mais comme les chercheurs ne disposent d'aucun chiffre sur les années antér ieures, ils ne peuvent donc déterminer si les abondances observées depuis trois ans sont faibles ou non comparativement aux années précédentes). Cela peut signifier ou bien que l'on peut s'attendre à au moins deux autres années moins bonnes de pêche à La Pérade, ou bien , si la pêche est bonne cette année , qu'il y a eu au cours des deux dernières années un problème de montaison dans la rivière . Ces recherches, financées par le MLCP , sont effectuées par

Mais selon Réjean Fortin , de l'UQAM , le récent problème du poulamon pourra it être rel ié, tout comme l'avance un rapport du MLCP, au comportement hydrologique du fleuve et aux condit ions climatiques qui prévalent à l'été: la force des classes d'âge (l'abondance relative de la population) du poulamon pourrait varier selon le niveau du fleu ve lo rs de la période de montaison , selon son déb it au printemps et également selon la température des eaux baignant l'habitat d 'été du poulamon dans l'estuaire. Quant à l'hypothèse voulant que la pollution du SaintLaurent soit en cause, il la considère non encore démontrée . Et il estime prématurée l'idée de procéder à un dragage de la rivière si le poulamon ne remonte pas encore cet hiver en assez grand nombre la Sainte-Anne, jugeant que l'on dispose de trop peu de données pour justifier une telle opération qui pourrait changer radicalement la configuration de l'embouchure de la rivière. Quant à la décision gouvernementale relative à la pêche commerciale, il appuie l'idée de freiner temporairement la récolte de géniteurs, compte tenu de l'état précaire du stock reproducteur au cours des deux dernières années . Mais il considère que l'objectif poursuivi, soit la protection du stock reproducteur, aurait peut-être eu plus de chances d'âtre atteint si l'on avait restreint aussi la pêche sportive. Quant à Yves Mailhat, du MLCP, il fait enfin valoir que la question du poulamon n'est qu'un des problèmes qui montrent qu 'il est grand temps que le Québec mette sur pied un réseau de suivi environnemental et ichtyologique du fleuve Saint-Laurent, où se concentrent non seulement les plus grands efforts de pêche sportive et commerciale du Québec , mais aussi les plus importantes activités humaines et industrielles.

Jean-Pierre Drapeau est directeur et rédacteur en chef du magazine FRANC-NORD.

Un pas de géant ... dans la mauvaise direction

par Serge Beaucher

Tel quel, le traité du libre-échange est une catastrophe pour l'environnement! Mais on ne s'en est guère formalisé jusqu'à maintenant. Au moment où à peu près tout le monde accepte enfin la nécessité d 'intégrer une dimension écologique à toute forme de développement, la plus importante décision économique nord-américaine des 50 dernières années, l'accord canada-américain de libre-échange, nie carrément toute préoccupation environnementale . Cet accord est ainsi de façon flagrante en contradiction avec le Rapport Brundtland sur l'environnement et le développement, « Notre avenir à tous». En 1987, devant l'Assemblée générale des Nations unies, le Canada avait pourtant souscrit en grande pompe à ce rapport , par la voix du ministre de !'Environnement d 'alors, Tom MacMillan. Parce qu 'elle fait fi de toute considération écologique , l'entente sur le libre-échange risque d 'avoir de nombreux effets, profonds et désastreux, sur l'environnement canadien. Elle constihiver 1989

tue « un pas de géant... dans la mauvaise direction ». Cet avertissement a été lancé par un front commun de 85 groupes écologiques canadiens (dont six organismes québécois , incluant l'Union québécoise pour la conservation de la nature), peu avant le début de la récente campagne électorale fédérale. Le front commun voulait sensibiliser le public qui allait avoir à se prononcer, lors de cette élection, sur le libreéchange. Ce fut peine perdue, ou presque: e xception faite de la question de l'exportation de l'eau et de l'énergie, tout le débat ayant entouré le libre-échange a été centré sur l'économie, sur les programmes sociaux et sur la culture. L'analyse détaillée du traité selon une perspective environnementale, rendue publique par le front commun

dans un document intitulé « La vente au rabais de l'environnement canadien », était pourtant de nature à faire comprendre les enjeu x environnementaux et à fournir bien des arguments à qui aurait voulu en débattre. Les groupes québécois (Union québécoise pour la conservation de la nature , Association québécoise de lutte contre les pluies acides, Mouvement pour l'agriculture biologique, Greenpeace et deux organismes régionaux), avançaient même des solutions de rechange en énonçant les conditions devant être ratta chées à un éventuel accord de libre-échange. Pourquoi a lors l'environnement n'est-il pas devenu aussi présent, dans le débat , que les programmes sociaux ? Est-ce la faute des journalistes qui n'ont pas accordé assez d'importance aux conséquen-

15

ces environnementales de ce traité? Des opposants eux-mêmes du libre-échange, qui n'en auraient pas saisi l'importance? Ou carrément des électeurs, préoccupés par des considérations plus personnelles et immédiates comme les questions d'emploi ou la promesse d'une prospérité accrue? L 'environnement s'annonçait pourtant comme un thème majeur de la campagne , avant que le libreéchange n'en devienne l'enjeu. L 'irrémédiable s'est-il produit? li ne resterait plus qu'à assister passivement à la mise en place du traité et à attendre ses conséquences néfastes? Justement, il reste à mettre en place cette entente. Peut-être qu'en continuant de pousser ...

Des effets tous azimuts Que ce soit dans les secteurs de l'énergie, des ressources ou de l'agriculture, les effets environnementaux négatifs du libre -échange se feront sentir partout, selon le document du front commun. Entre autres choses, la capacité du Canada d'imposer des normes et d 'accorder des stimulants à ses propres industries pour la protection de l'environnement sera nette ment amoindrie.

16

Comme plusieurs clauses de l'entente visent à promouvoir l'harmonisation des normes et de la réglementation, cela aura pour effet, soutiennent les écologistes, de créer des pressions en faveur d'un mouvement à la baisse vers le plus petit dénominateur com mun environnemental. Cela pourrait être le cas, par exemple, pour l'homologation des pesticides, plus permissive aux États-Unis, ce qui entraînerait des répercussions non seulement sur l'environnement, mais sur la santé publique. Des subv~ntions pour l'utilisation du charbon o. basse teneur en soufre de l'Ouest canadien, moins polluant que le charbon américain, pourraient d'autre part être considérées comme des mesures injustes ou discriminatoires ... et tant pis pour les pluies acides! Des subsides pour le recyclage des prohiver 1989

duits d 'emballage (30 % de nos déchets) pourraient subir le même sort et les normes imposées à l'industrie de l'emballage pour rendre ses produits recyclables seraient susceptibles d 'être contestées si elles s'avéraient plus sévères que celles de nos voisins du Sud. Pour rassurer à cet égard les environnementalistes, les partisans du libre-échange brandissent la clause d'exception de l'article 603 du traité. Cette clause stipule que des obstacles au libre-échange (normes, subventions, règlements ... ) pourront être imposés s'ils répondent à un «objectif intérieur légitime», ce que le Canada pourrait notamment invoquer pour des questions d'environnement. «Mais cela ne s'applique qu'aux normes fédérales, alors que la majorité de la réglementation environnementale est provinciale», répond l'auteur du document du front commun, l'avocat Steven Shrybman. «En outre, dit-il, une telle clause d'exception en faveur de l'environnement est la seule dans tout le traité; on n'en trouve ailleurs ni pour l'énergie, ni pour l'agriculture, ni pour quelque autre ressource naturelle.»

ses trois dernières années d 'exportation d 'électricité à cet État. Cela l'obligerait du même coup à déve lopper de nouvelles sources pour son marché interne, ce qui risquerait de déboucher sur des méga projets, style Baie-James li, généralement perturbateurs de l'environnement. Selon Luc Gagnon, porte-parole de l'UQCN pour le dossier du libre échange, le Canada a fait preuve d 'une naïveté historique en acceptant d'ouvrir ainsi son marché énergétique. «Pendant les 1OO dernières années, dit-il, les États-Unis ont été protectionnistes parce qu'ils avaient des ressources abondantes. Maintenant qu'ils les ont gaspillées, ils deviennent «libreéchangistes » et le Canada signe un traité qui leur assure l'accès à nos ressources énergétiques. » Même l'abondant gaz naturel canadien pourrait se voir menacé à long terme, la demande américaine augmentant d'année en année. À tout le moins, le Canada risquerait de se priver d'une bonne part des avantages économiques et environnementaux (le gaz naturel étant moins polluant que le ' pétrole ou le charbon) que lui confèrent ses importantes réserves.

On désastre pour l'énergie De tous les secteurs, l'énergie est sans doute celui où les dégâts risquent d'être les plus grands. L'article 904 du traité, notamment, garantit aux États-Unis un accès proportionnel, à la mesure de leurs importations canadiennes des trois dernières années, à toutes les ressources énergétiques canadienJ')es, et ce, aussi longtemps que celles-ci seront disponibles, peuton déduire du texte. Cette clause >. Salon international de la j eunesse. Au Vé lodrome, à Montréal. Renseignements: Daniel Guertin , coo rd onnateur du Pavillon de l'écologie, (514) 383 -6124.

Nouvelles parutions «Nos oiseaux marins vus par les enfants de la Basse-Côte-Nord du Québec». Calendrier 1989 produit par la Fondation Québec-Labrador. La Fondation présente les oeuv res gagnantes de son concou rs d'affiches et de poèmes, organ isé l'automn e dern ier dans les éco les primaires et seconda ires de la Basse-Côte-Nord . Prix unitaire: 9.50 $.Rense ignements: (514) 843-8297. Affiche du pluvier siffleur. Dans le cadre de sa campagne de levée de fonds pour la protection des o iseaux, plus particulièrement ceux qui apparai ssent su r la li ste des espèces menacées, l'UQCN a produit une magnifique affiche en couleu r du pluvier siffl eur. L'affiche comprend aussi une fiche technique su r la biologie de cette espèce menacée et représente un précieux outil d'éducation et de sens ibili sat ion pour le milieu sco laire et les groupes env ironnementaux. Prix unitaire: 3.00 $;p ri x spéciaux pour des commandes en nombre. Renseignements: (418) 628-9600. Carte des milieux humides. Carte thématique de format 86 cm x 110 cm. Localisation de 142 sites dont la protection est prioritaire pour le maintien de la qualité de l' environnement. Localisation de 40 sites déjà protégés. Quatre oeuvres de peintres naturali stes, représentant les grands types de milieux humides du Québec. Texte d'introduction aux milieux humides. Texte descriptif pour chaque site sé lectionn é. Cette carte a pour but de favoriser la conservation des plus importants milieux humides de la province, qui font face à une situat ion devenue alarmante , lorsqu 'on pense au rythme accéléré de dégradation et de perte d' habitats que subissent ces milieux. Les 182 sites ont été sé lectionnés en collaboration avec le Groupe de travail de l'UQCN sur les milieux humides, à partir d ' une consultation auprès des différents ministères , des groupes environnementaux ainsi que des spécialistes des milieux humides. Coût: 8 $, plus les frais de poste (1 $ de frais de poste par commande pour les cartes pliées et expédiées sous enveloppe; 2,50 $ de frais de poste par commande pour les cartes roulées et expédiées dans un tube).

-

Voulez-vous le savoir? Les sciences de l'environnement à l'UOAM Présente dans le milieu depuis 20 ans, l'UQAM a développé des programmes de deuxième et troisième cycles dont l'axe priorit aire est l'environnement. La famille des sciences offre plus ieu rs programmes de premier cycle dont la préoccupation est de former des int er venants de qualité, aptes à oeuvrer dans ce vaste champ interdisciplinaire que sont les sciences de l' environnement. Baccalauréat Baccalauréat Certificat en Certificat en Certificat en

en biologie en géographie physique écologie géographie physique sciences de l'environnement

Renseignements : Pour toute information concernant ces programmes, communiquez avec la famille des sciences en composant le (514) 282-3678 ou écrivez à: Université du Québec à Montréal, famille jes sciences, C.P. 8888, succursale A, Montréal (Québec) H3C 3P8. •• ,

Université du Québec

a Montréal

le savoir universitaire,

UQAM

une valeur sûre!

TENU SOUS LE THEME:

ENVIRONNEMENT LE PLUS GRAND ÉVENEMENT JEUNESSE EN AMÉRIQUE

du 15 au 19 mars 1989 au Vélodrome de Montréal PROCUREZ-VOUS VOS BILLETS D'ENTRÉE GRATUITS CHEZ TOUS LES DÉTAILLANTS ULTRAMAR Il vous donnera la chance de gagner une automobile Firefly '89 de GM

Une présentation de:

en collaboration avec:

.n,;+H>

I!

U.;,~ Télévision _,~D'-' Quatre Saisons

Pour plus amples informations: (514) 383-6124

AU PA\llLLON DE !:AGRICULTURE ET DE LA JEUNESSE DE QUEBEC, DU 2 AU 5 MARS.

CAMPING • PLEIN AIR • CHASSE • PÊCHE Venez découvrir ce que la nature a à vous offrir comme activités pour 1989. Vous pourrez examiner de près des véhicules récréatifs, rencontrer des pourvoyeurs, échanger avec des manufacturiers et des détaillants de produits de chasse et pëche ... et ce n'est pas tout!

Beaucoup de truites à taquiner. Amateurs de pëche, un bassin bourré de truites a été aménagé pour vous donner un avant-goût de votre prochaine saison . Tenez-vous bien ... ça mord!

Démonstrations de lancer léger. Un champion de l'équipe canadienne de lancer léger, Peter Edwards, viendra vous donner des démonstrations de "coach" au bassin de lancer. N'y manquez pas! Et beaucoup plus!

le 2 mars, de le 3 mars, de le 4 mars, de le 5 mars, de

17h à 22h; 12h à 22h; 11h à 22h; 11h à 19h.

Le Blizzard de Kanuk: bien chaud même à -311' C! Vous serez toujours au chaud grâce à la construction Kanuk du Blizzard (aucune couture ne traverse le manteau) et à la double isolation en Polarguard. L'air chaud ne peut s'échapper grâce à la jupette-tempête, au double rabat sur la fermeture à glissière, aux poignets ajustés et au col enveloppant. De plus, un capuchon isolé se camoufle dans le col. Même s'il est très chaud, le Blizzard est très léger. Ses coudes pré-formés vous donne pleine liberté de mouvement!

Les vêtements Kanuk: un investissement sûr Vous porterez votre Kanuk avec plaisir pendant de nombreuses années. Les coutures sont si solides qu'elles sont garanties à vie sans condition!

Le parka BJi!.zard de Kanuk :.:..:.:..··:.:.:.::::.:.:.:.··.::.:.:: :. :.:. :. : ·:.:..:.:..··:.:.:.:.: ::.:.:.:.·:. :.:. :. : ·:. :. :. :. : 334$

r!Postez ce couponRecevez GRATUITEMENT le catalogue Kanuk. à Kanuk, 152 Rachel E, Mt/, llC H2J 2H5

-ir

t

514·521-44114 1

As su rez-vous le support, la stimulation et l'expertise d'un groupe de professionnels dynamiques et exigeants.

ô Charette, Fortier, Hawey Touche Ross COMPTABLES AGRÉ ÉS ET CONSEILLERS EN MANAGEMENT

INom ..................................................................................................................................... 1 !Adresse ................................................................................................................................

1

=·=. =·=··.:.J

~ll=··:.:.::.:;·=: ..:.:.::.:;·=: ...::.:.::...:.:.::.:.:·::.::.::·~v ..::.::;·:.:.:.:;.; ~:!'.'~..

17 bureaux au Québec, 44 au Canada et représenté dans 89 pays.

______Les actl!1alités_ _ _ __ ________________ CARIBOUS--------------On projet d'élevage Un projet expérimental d'une durée de cinq ans visant l'éle· vage de caribous pourrait démarrer dès le printemps pro· chain à Kuujjuaq , métropole du Nouveau-Québec. Soumis par Nayumivik, la corpo· ration foncière de Kuujjuak , en collaboration avec le Conseil régional de développement de Kativik et la Société Makivik, ce projet d'au moins 3,5 millions de dollars prévoit la capture de 110 bêtes à compter de février 1989, rapporte Robert Lanary, coordonnateur des projets de recherche à la Société Makivik. Du matériel n écessaire à la construction d 'enclos ainsi que du foin ont déjà été transportés à Kuujjuaq.

Cl.

u

..J

::e: vi :::1

Les Inuit craignent qu'une chute draconienne du nombre de cari· bous ne se produise comme au début du siècle. De fait, des études récentes démontrent que l'un des deux grands troupeaux du Québec-Labrador, le troupeau de la rivière George, connaît un taux de natalité à la baisse depuis quelques années (voir " Les grandes migrations animales. 1ère partie: Sur les pistes du caribou », FRANC.NORD, Automne 1987). Présentement, ce phénomène se traduit par une stabilisation de la population de caribous. Toutefois, certains croient que cette stabilisation pourrait en réalité dissimuler le début d'un déclin majeur. Dans le but, entre autres, de garantir la pérennité du troupeau de cari bous de la rivière George, explique Serge Couturier, biologiste au ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pêche, les Inuit proposent de prélever un certain nombre de ces animaux et d'en faire l'élevag(". Cette pratique leur assurerait par la même occasion un approvisionnement stable pour la consommation. Selon Jean Huot, professeur de gestion de la faune au Départe· ment de biologie de l'Université Laval, un tel projet est à priori très concevable. Depuis des générations déjà, l'élevage de rennes est pratiqué en Laponie. " Comme le renne et le caribou sont de fait une seule et même espèce qui évolue sur des conti nents différents, on peut donc admettre que le caribou d'ici possède le même potentiel géné·

hiver 1989

;: ~

u.. 0

0

.::::

Cl.

Afin de s'assurer d'un approvisionnement stable pour leur consommation, les Inuit projettent de prélever un certain nombre de caribous du troupeau de la rivière George et d'en faire l'élevage. Ici, ce caribou a les bois rougis par la chute du velours; les bois ont terminé leur croissance, signe que le caribou approche de la période du rut.

tique de domestication. Après une sélection à plus ou moins long terme des caribous captu· rés et de leurs rejetons, on devrait ainsi pouvoir obtenir leur domestication '" explique le pro· fesseur. La réalisation d'un projet sem blable sous-tend cependant plusieurs difficultés. La première est d'ordre financier. Il faut en effet prévoir des coûts pour la main -d 'oeuvre, pour le foin, pour la moulée ainsi que pour les soins vétérinaires qui pourraient être requis . Des sommes importantes doivent aussi être rete· nues pour le transport des denrées, la moulée par exemple. Ainsi , précise Robert Lanary, même si l'on compte débuter le projet modestement, les dépen· ses totales pourraient atteindre 185 000 $ au cours de la pre mière année. Afin de pouvoir absorber ces frais, Nayumivik est présentement à la recherche de subventions. cc Si la corpora· tion n'en obtient pas suffisam· ment, le projet pourrait ne pas voir le jour », souligne Serge Couturier.

La deuxième difficulté englobe tout l'aspect technique de l'éle· vage. Comment seront construits les enclos dont on aura besoin? Seront-ils efficaces pour prévenir la prédation des loups? A l'été, comment les caribous seront-ils protégés des insectes? Voilà quelques-unes seulement des questions auxquelles un peuple sans tradition d'élevage devra trouver réponse. Se souvenant qu'un projet d'élevage de boeufs musqués a avorté dans le passé, certains émettent des doutes quant au succès d 'une telle entreprise, les Inuit étant consi· dérés comme un peuple de chas· seurs, plutôt que d'éleveurs. « L'élevage du caribou par les Inuit mérite pourtant que des efforts soient déployés, conclut le professeur Huot. Car non seulement ce projet assurerait-il aux Inuit la disponibilité d'une den· rée traditionnelle à laquelle ils tiennent, mais il créerait aussi une activité économique locale. »

Lyne Lauzon

Lyne Lauzon est journaliste pigiste .

GROS

lrnuT POUR L'ORNITHOLOGUE ! MATÉRIEL POUR LES AMATEURS DE SCIENCES NATURELLES - DIFFUSION CATALOGUE GRATUIT SUR DEMAN DE LI VRE S • DISQUES • JUMELLES NICHOIRS • MANG EOIRES AB REU VOIRS POUR COLIBRIS APPEAUX • GRAINS • LOUPES FILETS À PAP ILLONS HER BIERS • CONSEI LS • ETC.

LE CENTRE DE CONSERVATIO N DE LA FAUNE AILÉE DE MONTRÉAL 7950, RUE DE MARSEILLE MONTRÉAL H1 L 1N?

ac

(MÉTRO HONORÉ-BEAUGRAN D) Tél.: (514) 351·5496

""

BUSHnELL D•V•S •DN DF-

BAUSCH& LOMB

JUMELLES • LUNETTES TELESCOPES • TRÉ PIEDS À PRIX RÉDUITS

35

Nos animaux,

l'hiver par Lyne Lauzon

Présentement, sous nos latitudes, les écosystèmes fonctionnent au ralenti, à l'insu de la plupart des gens. Dans leur lutte pour la survie, nos animaux ont su s'adapter: l'hiver ne leur fait souvent ni chaud, ni froid. Dehors, il fait - 15° C. Le vent souffle et balaie la terre habillée de blanc. Au premier coup d'oeil, tout semble immobile et sans vie dans les champs et dans les bois. Pourtant, une promenade à pied permettant d'y regarder de plus près dévoile une foule d'indices témojgnant de la présence vivante de nombreux animaux.

Écureuils: la prévoyance même

36

Parmi les petits mammifères qui laissent des traces bien perceptibles sur la neige, on compte les écureuils. De fait, explique Cyrille Barrette, professeur d'éthologie (biologie du comportement des espèces animales) à l'Université Laval, les écureuils doivent souvent quitter leur gîte (situé dans un arbre creux, dans un terrier ou sous un amas de pierres), afin de retrouver leurs réserves de glands, de noix et de cônes qu'ils avaient à l'automne enterrés superficiellement çà et là dans la litière Si certains écureuils peuvent parfois flairer une noix même sous 30 cm de neige, leurs recherches ne s'avèrent toutefois pas toujours très fructueuses. C'est pourquoi ils doivent consacrer beaucoup de temps à leur quête de nourriture. L'hiver, c'est durant les heures les plus chaudes de la journée que les écureuils quittent leur abri et vaquent à leurs occupations. La période idéale pour observer discrètement ces jolies petites bêtes hiver 1989

correspond donc à l'avant-midi et au milieu du jour. À pareil moment, il est cependant presque impensable de voir vagabonder un lièvre, même si l'on se trouve dans son lieu de prédilection, c'est-à-dire dans une forêt de conifères. En effet, le lièvre d'Amérique est plutôt nocturne. À moins que le temps ne soit sombre, il n'entreprend ses activités qu'au crépuscule. Le jour, il se tapit dans une dépression naturelle, sous un fourré ou une souche, où il en profite pour s'assoupir par moments. Comme son pelage d'hiver se confond bien avec la neige, il demeure, la plupart du temps, inaperçu. Il est pourtant facile de deviner sa présence. De fait, afin de rendre plus aisés ses déplacements et donc de minimiser ses dépenses énergétiques, le lièvre trace sur son territoire un réseau de petits couloirs qui encerclent et relient les divers couverts où il s'abrite et s'alimente. Pour peu qu'on regarde par terre au cours d'une promenade en forêt coniférienne, on ne peut manquer de remarquer ces nombreux sillons piétinés et parsemés de petits excréments ovoïdes très fibreux.

Le cerf fait ses ravages. Le cerf de Virginie, aussi appelé chevreuil, est un autre de nos mammifères qui se regroupent à l'hiver et créent d'importants

réseaux de pistes. On retrouve ces réseaux, nommés ravages, surtout dans les forêts où la proportion de résineux est élevée. «La cédrière constitue par exemple un endroit idéal, souligne Cyrille Barrette. Contrairement à l'érablière, la cédrière offre en effet un bon couvert qui protège contre le vent, tout en limitant l'accumulation de neige au sol. De plus, la cédrière constitue une source abondante de nourriture facilement accessible.» Il ne faut pas oublier que le chevreuil n'est pas de très grande taille. Quelque 60 cm séparent généralement son poitrail du sol. Pour se nourrir, le chevreuil doit donc pouvoir compter sur la présence de rameaux suffisamment bas. Le cèdre répond parfaitement à ce besoin. Le vinaigrier, l'érable rouge et l'érable à épis comptent parmi les autres végétaux appréciés par le cerf, particulièrement l'hiver. D'ailleurs, en portant attention aux ramilles qui longent les sentiers 1OO fois piétinés, on peut assez aisément remarquer si l'animal en a brouté sur son passage. Imprégnées dans la neige, des traces de pieds digités indiquent que les chevreuils ne sont pas seuls à bénéficier des sentiers qu'ils tracent. «De fait, explique le professeur Barrette, il arrive que certains prédateurs, tels les coyotes, empruntent ces mêmes sentiers. » «S'ils s'y trouvent seuls, renchérit Daniel Banville, biologiste au ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pêche, ils y chercheront

"'

"' "'c u"'

"' Ci.

.; 0 u c

:.::"' B 0

.c ~

Dès l'automne, la marmotte aménage son terrier pour l'hiver, y transportant feuilles, branches et brindilles.

37

ë

ïii > >, rJl

c

...,"'"' B 0

.c

~

Cette souris sauteuse qui hiberne sur un lit de feuilles sèches à la surface du sol n'a probablement pas eu le temps de se retirer dans ses quartiers d'hiver, à plus de 30 cm sous terre, avant de commencer son hibernation. Pour minimiser les pertes de chaleur et d'énergie pendant sa période d'hibernation, la souris sauteuse se doit de diminuer la surface de contact entre son corps et le sol. Elle se roule donc en boule, la tête enfoncée entre ses pattes arrière.

hiver 1989

du petit gib ier. Cependant, si quelques individus apparentés forment une meute , le groupe choisira plutôt de donner la chasse à un cerf, s'il y en a . Cette alternative est d 'ailleurs beaucoup plus avantageuse », note-t-il. Se nourrir: voilà l'activité principale à laquelle s'adonnent la plupart des mammifères qui, l'hiver, demeurent sous nos latitudes. Car pour affronter les rigueurs de la saison froide , les graisses accumulées au cours de l'été et de l'automne sont loin d 'être suffisantes pour répondre à leurs besoins énergétiques. Cyrille Barrette souligne toutefois qu'elles n'en constituent pas moins des réserves importantes dont dépend, en grande partie , leur survie. Plusieurs espèces possèdent d 'ailleurs un mécanisme ralentissant le métabolisme, c'est-à-dire, dans ce cas-ci , l'utilisation de ces réserves lipidiques l'hive r. Ce mécanisme permet donc de bénéficier plus longuement de ces graisses. Outre cette 51uantité plus grande de graisses, un pelage généralement plus dense et plus long, de même que, par exemple, l'apparition de poils sous les pieds procurent à l'animal une bonne protection contre le froid hivernal.

Les oiseaux: pour ne pas rester en froid

38

Chez les oiseaux, on parle bien entendu d 'un plus grand nombre de plumes. « C'est cependant moins le nombre de plumes que le gonflement de celles-ci qui assure aux oiseaux l'isolation thermique dont ils ont besoin», précise Sylvain Lessard, biologiste et ornithologue amateur. En gonflant leurs plumes, les oiseaux créent effectivement une barrière qui retient à la surface de leur corps une mince couche d 'air , maintenue tiède grâce à la chaleur qui se dégage de leur corps. Par ce comportement, les oiseaux peuvent donc garder relativement constante leur température corporelle. Toutefois, par grand froid ou lorsqu 'il fait tempête, ces mécanismes ne suffisent pas toujours. Les oiseaux recourent donc au frisson, hiver 1989

Quartiers d'hiver S 'il est fréquent de pouvoir noter des traces laissées par les oiseaux f5 sur la neige , il est beaucoup plus :