Franc-Nord vol .1 no. 1 (hiver 1984)

que la Convention de la baie James de 1975 y a .... James et du Nord québécois, recon- naissant le droit des .... moto-cross en mobylette sur les dunes bordant ...
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Gouvernement du Québec Ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pêche

LA PROTECTION DES HABITATS ... condition essentielle à la perpétuation de la f~u..

En tant que propriétaires de cette richesse collective, savez-vous que la faune québécoise c'est: - 364 espèces d'oiseaux; 112 espèces de poissons d'eau douce; 78 espèces de poissons d'eau salée; 88 espèces de mammifères; 35 espèces d'amphibiens et de reptiles; - plus de 1 000 000 000 générés annuellement dans l'économie; - avant tout des êtres vivants qui exigent un minimum d'habitat de qualité.

- un indicateur efficace et sensible pour déterminer l'état de santé de votre environnement. Si la faune ne peut survivre à un endroit, croyez-vous que le bien-être des populations humaines puisse demeurer intact?

Québec

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On nouveau sport: le ski hors-piste. La neige est la promesse d'un voyage inédit.

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par Gilles-H. Lemieux

Poste-de-la-Baleine, quatre langues, trois cultures. Ce village côtier de la baie d'Hudson offre au visiteur l'image d'une société par Louise Vallières hétéroclite où chacun garde jalousement son identité.

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L'hiver. . . saison vivante! Subtiles et émouvantes, les empreintes laissées sur la neige nous révèlent la vie cachée des animaux de la forêt. par Jean-Paul Thibault

18 Des caribous au coeur des Grands-Jardins.

Son instinct grégaire et ses importantes migrations sont bien connus, mais que sait-on de son comportement au cours des saisons? par Denis Vanda)

30 Le gros-bec errant, hôte coloré de nos mangeoires. Il y a une cinquantaine d'années, cet oiseau, originaire de l'Ouest, était rarement observé au Québec durant l'hiver. par Jean Giroux et Pierre Laporte

32 Comment je nourris les oiseaux. Quelques « trucs » pour attirer le plus possible d'espèces d'oiseaux par Normand David à nos mangeoires.

Chroniques photo en page couverture de Denis Vandal

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Penser globalement. . . Le

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Agir localement . . • Touchons du bois

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Vous aimerez savoir. . . Quelques échos des régions

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Vous aimerez lire et voir ... quelques idées pour vos loisirs

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Tribune

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printemps silencieux

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encore à nos portes? par André Bourget par Jean Hamann

par Pierre Dansereau

avant· C.P. 7 Haute Ville Québec Gl R 9Z9 Tél. (418) 529-0679 Directrice: Francine Estérez-Mlnvielle Rédactrice: Janouk Murdock Recherchiste: Jean Hamann Conception graphique: Sylvie Brodeur Administration et abonnements: Denise Zicat Secrétaire: Michelle Pelletier Révision des textes Serge Gagné, Marie-Jeanne Pineault, Camille Rousseau Comité de direction Benoît Gauthier, Harvey Mead, Francine Estérez-Minvielle, Monique Piamondon Conseillers à la rédaction Jean Bédard, Louis Fortin Conseillers artistiques Jean-Luc Grondin, René Lemieux Conseillers en administration Léo Légaré, Pierre Rainville Conseiller spécial Arnet Sheppard Composition: Caractéra inc. Séparation de couleurs: Les Ateliers Graphiscan Impression: Imprimerie Canada in€. Distril>utlon en kiosques: Diffusion · Parallèle inc. (514) 525-2513 FRANC-NORD est une revue à but non lucratif, éditée quatre fois par an par l'Union québécoise pour la conservation de la nature. Conseil de direction de l'UQCN: président: Harvey Mead vice-président: Jean-Luc Bourdages secrétaire-trésorier: Yves Bédard Pour l'année 1983-1984, FRANC-NORD bénéficie d'une subvention du programme fédéral de création d'emplois •Relais >.

Bienvenue à tous les lecteurs du premier numéro de Franc-Nord! Cette nouvelle revue est une publication de l'Union québécoise pour la conservation de la nature. Organisme à but non lucratif, l'Union regroupe de nombreuses sociétés dont l'objectif principal est de faire connaître les attraits naturels du Québec. Organe d'information et de sensibilisation, Franc-Nord s'adresse à ceux qui voyagent à travers la province pour y découvrir le charme de ses paysages, à ceux qui s'interrogent sur les questions d'environnement en général et aux nombreux adeptes d'activités de plein air. Chaque numéro de Franc-Nord reflètera, à travers l'aspect saisonnier de sa parution (hiver, printemps, été, automne) la beauté et la complexité du Québec, répondant ainsi aux aspirations de tous les naturalistes amateurs. Les articles de fond porteront sur diverses facettes des sciences naturelles tout en tenant compte de l'intervention humaine dans le milieu. Les chroniques proposeront une gamme d'idées de loisirs et analyseront les nouvelles environnementales à l'échelle mondiale et régionale.

Franc-Nord est réalisée grâce à la conviction et à la collaboration bénévole et enthousiaste de nombreuses personnes. Celles-ci, souvent impliquées dans des organismes oeuvrant à la connaissance et à l'amélioration du milieu naturel, contribuent, par leur dynamisme, à façonner la pensée écologique de tout un peuple. Ainsi Franc-Nord vous présentera les nombreux affiliés de l'Union québécoise pour la conservation de la nature (UQCN) et plusieurs groupes associés. Ces organismes vous offrent une variété de stages, excursions, conférences et autres activités auxquelles vous pourrez participer. Nous voudrions enfin remercier sincèrement toutes les personnes et tous les organismes qui nous aident, d'une manière ou d'une autre, à relever ce défi. Nous invitons le lecteur à se joindre à tous nos collaborateurs pour donner à la revue Franc-Nord le succès qu'elle mérite. En retour, Franc-Nord vous garantit une information et un loisir de première qualité. N'attendez pas davantage pour devenir nos premiers abonnés-fondateurs! Nous avons besoin de vous pour continuer à réaliser un magazine dont vous serez fiers et dont nous bénéficierons tous et toutes. La directrice de la revue

Le premier numéro est tiré à 15 000 exemplaires dont 13 000 sont envoyés au public à des lins promotionnelles. Abonnements: au Canada, 10,00 $ pour un an et

à l'étranger 15,00 $.Le numéro se vend 3,00 $, Les chèques ou mandats postaux doivent être établis à l'ordre de: FRANC-NORD. Courrier de troisième classe.

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La direction laisse aux auteurs lentière responsabilité de leurs textes. Les titres, les sous-titres et les textes de présentation sont !'oeuvre de la rédaction. Le contenu de FRANC-NORD ne peut être reproduit sans autorisation écrite de la direction. Dépôt légal: Bibliothèque nationale du Québec, Bibliothèque nationale du Canada, premier trimestre !984. ISSN-0822-7284 Nous tenons à remercier les personnes et organismes suivants dont les conseils et la collaboration diligente ont contribué à la réalisation de ce premier numéro. Cyrille Barrette, Claire Boudreault L.uc Bouthillier, Guimond Boutin, Collège régional Champlain, Catherine Constantin, Diane Dontigny, EUREKA enr., JeanFrançois Giroux, Jean-Pierre Ménard, René Moisan, Pierre Normand, Marie Prince, Madeleine Richard, Yves Re-- ·

berge, Pierre Robin, Claude Simard, Christian Sommeillier, Claude Wallot.

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Francine Estérez-Minvielle

Union québécoise pour la conservation de la nature Affiliés Atlantic Center for the Environment, Cercles des jeunes naturalistes Club des naturalistes Catharine Traill Club des ornithologues amateurs du Saguenay - Lac-St-Jean Club des ornithologues du Québec Société culturelle et écologique de la Basse Côte Nord Conseil régional de l'environnement de l'Est du Québec Fédération canadienne de la nature Fonds mondial pour la nature (World Wildlife Fund) - Canada Groupe d'animation en sciences naturelles, Groupe Fleurbec Laboratoire d'écologie végétale de l'Institut botanique de Montréal Les laboratoires de géographie de l'Université du Québec à Chicoutimi Société des amis du Jardin Van den Hende, Société de biologie de Montréal Société de géographie de Québec, Société linnéenne du Québec Société Provancher d'histoire naturelle, Société québécoise pour la protection des oiseaux

Vivre «franc-nord » en Amérique! Voilà tout un défi pour nous, habitants d 'un milieu nordique dont les caractéristiques ne sontjamais aussi évidentes qu'à cette époque-ci de l'année. Stimulés par les contraintes et les rigueurs de l'hiver, nous puisons dans cette saison les sources de la joie de vivre et de la ténacité qui font probablement la particularité des Québécois en Amérique. Nous y trouvons en même temps le principe du défi que nous devons constamment relever, celui de reconnaître que nos relations avec l 'environnement s'inscrivent dans des limites qu'il faut apprendre à respecter. Franc-Nord se propose de nous mettre en rapport plus direct avec les divers éléments de cet environnement naturel et humain. En montrant sa grandeur et ses beautés, au fil des saisons, il mettra en valeur notre patrimoine et fera comprendre les raisons de le conserver. Car notre connaissance des beautés et des traditions que recèle notre milieu de vie devrait aller de pair avec la connaissance des dangers qui menacent ce milieu. Nous avons succombé trop souvent à la tentation de croire qu'un territoire aussi vaste que le nôtre possédait des ressources quasi illimitées - en eau, en bois, en gibier, et autres -, dont nous pouvions user et abuser. Notre environnement subit sans cesse de multiples assauts, les uns plus évidents, telle la pollution de nos cours d 'eau, les autres moins perceptibles, telles les précipitations acides. Pouvons-nous rester indifférents à cela? Franc-Nord cherche à devenir la voix de la conscience écologique de notre pays. En l'écoutant, peut-être apprendrons-nous enfin à nous sentir solidaires de tous les êtres vivants qui partagent avec nous le même milieu de vie. Dans cette optique, René Dubos suggère une nouvelle approche au défi que veut relever Franc-Nord. «Penser globalement, agir localement », propose-t-il. Nous qui habitons ce milieu «franc-nord » en Amérique sommes engagés, sans pouvoir y échapper, dans les processus naturels qui contrôlent l'environnement local. Plus conscients de nos liens avec cet environnement, peut-être saurons-nous mieux le respecter dans notre agir. En même temps, mais de façon moins évidente, cet environnement est relié inéluctablement à celui de la planète. Un regard sur notre façon de vivre nous montre que nous exploitons souvent cette planète à mauvais escient, et sans égard pour l'avenir. Ainsi, pour apprendre à «agir localement '" en vue d 'une vie de qualité et en fonction de nos limites, il nous faudra apprendre aussi à «penser globalement'" à découvrir les liens de notre environnement avec ceux du globe dont, en fin de compte, nous faisons aussi partie.

5 Le président de l'UQCN

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Harvey Mead

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par Gilles-H. Lemieux

Pour l'authentique hivernant, la neige est la promesse annuelle d'un voyage inédit sur un tapis magique. On vous dira que vous avez le cerveau complètement brulé, ou tout au moins que vous avez des araignées dans le plafond, si vous dites que vous préférez l'hiver à l'été. Eh bien, consolez-vous, il y a d'autres «sinistrés de la toiture» qui ont redécouvert les grandeurs civilisatrices de nos hivers québécois.

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Lorsque la neige, la pluie, le froid et le vent s'allient, toute la forêt se métamorphose. Renouer avec les espaces sauvages . . . sonder les forces et les limites de son corps.

Les grands ennemis de l'hiver

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Voici un liste non exhaustive des principaux ennemis à combattre si vous voulez éviter à tout prix la « barbarisation ,, qu'appàrtent les milieux pollués de nos grandes villes sécurisantes pendant la « belle » saison: - les vitrines multicolores des agences de voyages aux quatre S (Sea, Sun, Sand, and Sex) qui vous font miroiter mers et monde d'insolation et de chaleur torride; - les météorologistes de la télévision et de la radio qui, dès qu'une belle tempête s'annonce, vous conditionnent avant le sommeil en vous disant: «malheureusement ,, il neigera demain; - les boutiques de la mode hivernale qui vous habillent confortablement de plastique et de trucs minces et moulants pour votre plus grand désespoir s'il vente ou si l'autobus se fait attendre plus d'une minute; - le faux confort urbain avec ses trottoirs chauffants, ses courants d'air artificiels, ses systèmes de chauffage déréglés et tous les gadgets qui tentent de nous faire oublier qu'une ville est bâtie dehors; - la laideur hivernale de nos rues et trottoirs qui s 'encroûtent sous l'accumulation des polluants atmosphériques et des sels de déglaçage: - le monde reclus de nos enveloppes « calciumisées ,, à roulettes (communément appelées « bagnoles »); - le pelletage. Tout cela nous amène à haïr l'hiver.

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Auparavant, le ski alpin ou le patin à glace étaient des activités que je pratiquais pour tuer le temps avant que l'été ne revienne. Un jour vint où il m'apparut évident que les hivers étaient plus marquants au chapitre de mes activités de plein air. Ces dernières années, tout est différent: je fais des choses en été (randonnée pédestre, canot-camping, planche à voile, etc.), mais je me prends à rêver au temps où tout gèlera à nouveau. Le froid, tout comme l'eau salée pour les marins, ça pénètre dans les veines. Pendant vos randonnées pédestres estivales, vous vous prenez parfois à rêver en plein jour de la délicieuse musique que feraient vos skis de bois si vous pouviez subitement glisser sur deux mètres de neige ferme recouverte de quelques centimètres de «plumes ».

Lorsque la terre s'assoupit

Le Moyen-Nord québécois est le paradis ou la terre promise des horspisteurs. Lorsque l'hiver arrive, au Québec, les grands espaces se calment. Le cycle énergétique naissance-viemort de l'été est fini. Le grand mouvement des masses de vacanciers et les effets spoliateurs de leur machinerie en tout genre (4 x 4 , trois roues,. une hélice, deux hélices, une ailes, deux ailes, diesel et turbo, avec ou sans plomb, etc.) sont choses du passé. Quand la neige étend les draps, la terre s'assoupit et prend son repos. Et, dans ce calme hivernal, les espaces natur_els sont en quelque sorte plus invitants, voire plus accessibles. Cependant, les cartes sont sur table: la glace ou le froid vous tueront si vous fautez. À la différence de l'été qui récèle une plus grande diversité

de surprises, les pièges et les embûches de l'hiver peuvent être plus facilement repérés et évités par le skieur averti. D'aucun vous diront, cependant, que l'été est superbe et plus varié, qu'il y a ,toujours un torrent de sensations et d'événements , , , les choses bougent et changent continuellement , , , les eaux déferlent, les oiseaux abondent, les nuages s'élèvent en champignons vertigineux, les glaciers fondent (même ceux des dépôts urbains de neige usée) et les ruisseaux se gonflent, la pluie tombe à verse (au désarroi des communautés urbaines), Puis arrive l'automne, et tous les êtres vivants se préparent, en hâte, pour l'hiver qui s'annonce, Mais en hiver, hors de tout ce branle-bas général, le « pleinairiste » peut aborder un paysage en toute quiétude d'esprit. Comme la nature dort, il peut s'y mouvoir calmement car le neige vient feutrer ses mouvements. li s'émerveille donc du plus petit événement qui, pendant l'été, serait passé inaperçu. li peut s'arrêter dans un champ de neige balayé et croûté par le vent et observer les gracieuses déflations autour de simples gerbes de paille séchée. Dans les creux de la

topographie, les couleurs de l'arc-enciel se réfléchissent à travers les multiples facettes des critaux de neige. Le pèlerin de l'hiver

Après chaque chute de neige de consistance aussi variée qu'imprévue, le linceul nival s'offre à lui comme un tableau immaculé sur lequel sont inscrits les événements de la dernière nuit. Les pistes d'oiseaux, de souris et de musaraignes, d'hermines, de renards, de lièvres et les traces d'envol des perdrix lui racontent les occupations et les luttes des autres êtres vivants. Le pèlerin de l'hiver, qu'il soit à skis, en raquettes ou en traîneau à chiens, suit et observe les habitudes des prédateurs et des proies. li ne peut voir les animaux, mais il sait qu'ils sont là. Même les m9ustiques, plaie vivante de ses étés, ne sont à cette période que de simples larves inoffensives. Les technologies récentes de l'habillement et de !'équipement de ski hors-piste et de camping hivernal léger permettent ces intrusions dans des mondes inédits. Mais apprendre à surmonter les nombreux préjugés

contre l'hiver ne s'acquiert point dans les catalogues. Pour l'authentique hivernant, la neige est la promesse annuelle d'un voyage sur un tapis magique. Une toute nouvelle géographie des grands espaces s'offre à lui. Les marécages infranchissables en été deviennent des dédales féériques et les plans d'eau bombés et gelés se convertissent en autoroutes lactées. La hauteur de la neige aidant, le skieur se déplace à trois ou quatre mètres au-dessus du niveau du sol et circule ainsi, sur des kilomètres, plus près de la cime des arbres dans un monde difficilement imaginable. Les ruisseaux et les rivières deviennent autant de voies d'accès à d'innombrables circuits de lacs en chapelets, et soudainement tout le Québec devient accessible au randonneur. L'hiver, et seul l'hiver, permet le rendu sonore du glissement des skis sur la neige sèche comme un sifflement feutré qui veut se faire discret. Et si l'occasion s'y prête, ce son prendra toute son ampleur nostalgique à la nuit étoilée, quand le randonneur s'arrêtera pour écouter le chuintement d'une cascade en éveil ou le gargouillis sourd d'un ruisseau sous la glace. Et, dans la lumière grise et rasante, sa propre respiration lui rappellera qu'il vit ce moment intensément. Repenser son pays, l'hiver ... repartir à la découverte du patrimoine en empruntant la voie nivale ... renouer avec les espaces sauvages .. . sonder les forces et les limites de son corps ... sont autant d'occasions pour le skieur hors-piste de faire un retour aux sources et vivre un moment en harmonie avec la nature.

9 Gilles H.-Lemieux est professeur de géographie à l'université du Québec à Chicoutimi, il dirige le laboratoire de télédétection. Il est aussi membre du Club de monlâgne du Saguenay.

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par Louise Vallières

On voyageur de passage à Postede-la-Baleine, village côtier de la baie d'Hudson, pourrait croire, en observant les clients au bar du club social, que la Convention de la baie James de 1975 y a délimité des territoires cri, inuit, et non autochtone de la même façon qu'elle a partagé le village et l'immense territoire du Nouveau-Québec. En effet, il semble qu'au bar,

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comme au travail et dans la vie quotidienne, les trois cultures se mêlent peu et que, malgré leurs 25 années de vie commune, elles ne se marieront jamais. Qu'en est-il?

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Poste-de-la-Baleine est le seul vile !age du Nouveau-Québec où cohabitent, en nombre important, les indiens Cris et les Inuit. Cette caractéristique a longtemps causé, et cause encore, de curieux dédoublements tant administratifs (conflits de juridictions canadienne et québécoise) que culturels et linguistiques. En effet, depuis l'arrivée des «blancs », la localité compte trois cultures et quatre langues. En pratique, cela a longtemps signifié deux dispensaires, deux écoles, deux centres communautaires, deux services de police et cela signifie encore deux commissions scolaires et trois zones domiciliaires: blanche, inuit et cri. Tout ça pour une localité de 1200 habitants occupant 7,4 km 2 • Quelle sélection naturelle capricieuse a donné naissance à un tel casse-tête? La Compagnie de la baie d'Hudson, la base militaire et la Société Hydre-Québec ont favorisé ces disparités. Jusqu'en 1955, il n'y avait d'établissements permanents à Poste-de-laBaleine que la mission anglicane et la Compagnie de la baie d'Hudson. La présence d'autochtones dans la région remonte bien à quelques millénaires

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avant Jésus-Christ, mais ces nomades sillonnaient le territoire au gré des ressources et des saisons. Plus tard, ils ont pris l'habitude de s'installer de façon irrégulière et temporaire à l'embouchure de la Grande rivière de la Baleine, le temps d'effectuer des échanges avec la Compagnie de la baie d'Hudson. Ils découvraient ainsi la notion d'échange, la très sudiste notion de commerce. Ces autochtones étaient des Inuit, occupant la côte depuis les îles Belcher jusqu'à Povungnituk, et des indiens Cris poussant plus au nord leur recherche de gibier. L'administration de soins et de médicaments par la femme du pasteur, et la distribution de vivres lors de famines par la Compagnie de la baie d'Hudson, ont créé doucement une relation de dépendance entre «blancs» et autochtones. Le coup de grâce fut donné par le gouvernement fédéral. En 1945, reconnaissant les autochtones comme citoyens canadiens, il décide de leur attribuer des allocations familiales sous forme de marchandises distribuées mensuellement par lentremise de la Compagnie de la baie d'Hudson; dès lors, on vient plus souvent et on séjourne plus longtemps à Poste-de-la-Baleine. Et quand le gouvernement fédéral entreprend, dix ans plus tard, d'y construire une base militaire, c'est par centaines que les autochtones arrivent, attirés par la possibilité d'emplois rémunérés. C'est le début de la sédentarisation et de l'abandon du mode de vie traditionnel. En quelques années, les campements inuit et cris se transforment en domiciles permanents, la base militaire est convertie en logements pour fonctionnaires et le modeste comptoir de la Compagnie de la baie d'Hudson devient un supermarché.

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photos SAIGMAI/ Alain Vézina

La vieille mission anglicane, et la nouvelle. Poste-de-la-Baleine et ses rues rectilignes, flanquées de maisons toutes semblables.

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Aujourd'hui Lorsque le Boeing 707 se pose sur la piste de gravier, tout l'avion est secoué et semble vouloir se désarticuler, mais la vue du manteau glacial qui recouvre la baie d'Hudson, au mois de juin, nous distrait vite. L'air froid nous saisit sur la plus haute marche de l'escalier. Et pourtant, il faisait si chaud à notre départ! La petite salle d'attente de l'aérogare déborde

d'autochtones souriants. L'enseigne du restaurant du coin, rédigée en inuktitut, nous invite à entrer. On se sent vite dépaysé. L'aéroport joue un rôle capital dans les villages nordiques; il suffit qu'un vol soit annulé pendant quelques jours à cause d'un brouillard tenace pour s'en convaincre. Ce que le touriste ne sait pas, c'est que l'avion transporte également le courrier de tous les habitants de la côte, la cargaison de nourriture périssable commandée par le magasin La Baie, et peutêtre aussi le jeune Indien qui vient de terminer son année de CÉGEP dans le Sud. À son arrivée, le touriste est frappé par le paysage dénudé, l'apparente pauvreté du village et surtout par lexistence de deux quartiers distincts. Au nord de l'ancienne piste d'atterrissage, le quartier des «blancs » comprend le dispensaire, le bureau de poste, l'aéroport et les bâtiments gouvernementaux. Au sud de la piste s'alignent les habitations cris, les magasins de la Coop, la corporation municipale, tout le quartier inuit et . . . le vieux Poste-de-la-Baleine, c'est-à-dire la Compagnie de la baie d'Hudson et la mission anglicane. On circule très peu à pied sur les 5,5 km de rue de gravier du village. Véhicules lourds de la municipalité, camions de différents organismes, mobylettes et tricycles motorisés se croisent allègrement aux quelques intersections, les conducteurs laissant au suivant le soin de faire l'arrêt signalé. En hiver, la motoneige règne et, le tapis de neige aidant, on oublie jusqu'en avril, le tracé des rues. Le premier contact du nouvel arrivant se fait souvent au bar du club social. C'est le lieu de rencontre par excellence des travailleurs de lendroit et bien que les membres seulement y aient accès, les visiteurs peuvent y aller à titre d'invités. Le simple choix d'une table risque d'intimider au début, quand on n'a pas encore saisi la «géographie ethnique » de l'endroit; aux dernières nouvelles, les Cris occupaient la section populaire autour du jeu de fléchettes. Le club social signifie également bibliothèque, accessible une heure par semaine et occasionnellement discothèque, bingos, projections de films et sports. Pas de cinéma dans le village, pas de journal local, les seuls journaux disponibles arrivent du Sud avec un certain retard. On s'informe via Radio-Canada.

Bref, en prévoyant dans ses bagages sa pitance intellectuelle, une bonne pointe de curiosité et un oeil à l'affût de nouveautés, le séjour à Poste-de-la-Baleine peut être agréable, voire très intéressant. Le revers de la médaille Mais à quel point un Inuit ou un Cri se sent bien chez-lui en jouant au volley-ball, en écoutant Pat Benatar ou en regardant Terre humaine? Il y a un malaise. Il faut se rappeler qu'avant 1958 il n'y avait aucune habitation fixe et qu'en moins de 25 ans les traîneaux à chiens et les campements de chasse ont été troqués contre des « ski-doo » et des logements préfabriqués de cinq pièces et demi, chauffés et éclairés. Sans doute, l'arrivée des «blancs » a été un apport positif, particulièrement du point de vue médical, mais le prix à payer pour ces services implique-t-il dépendance, acculturation et assimilation? On assiste, dans le Nord québécois, à une autodétermination lente et difficile. Une prise en main du devenir collectif est la réaction saine des autochtones vis-à-vis de ce que leur offre la nouvelle société établie chez eux à la recherche d'hydro-électricité. Voilà un autre morceau du casse-tête. L'arrivée de cette société et les objectifs gigantesques de lensemble des projets annoncés en 1971 ont réveillé l'Indian & Eskimo Power et changé les règles du jeu. Oubliant alors leur indifférence réciproque, voire leur hostilité mutuelle, Cris et Inuit s'unissent pour faire front commun et tenter de préserver leurs modes de vie et leur environnement. Une bataille rangée et serrée donne lieu, en 1975, à la signature de la Convention de la baie James et du Nord québécois, reconnaissant le droit des autochtones à l'autodétermination à l'intérieur de structures québécoises bien définies. Dès lors, l'administration locale et régionale, les services sociaux et de santé, les systèmes d'éducation et de justice et des programmes de protection de lenvironnement se structurent de façon précise et cohérente pour lensemble du territoire touché. Suit la période d'ajustement et de fignolage où les autochtones ont leur mot à dire. L'utile remplace le beau à Postede-la-Baleine, avec ses rues rectilignes flanquées de maisons toutes sembla-

bles, et aux abords délabrés. Le sol, lui, est inuit ou cri selon le tracé de la Convention, mais les HLM qui s'y trouvent ont été construits par le ministère des Affaires indiennes et du Nord et sont loués à des coûts variant en fonction du type d'habitation et du nombre de pièces. Aucun service d'aqueduc ni d'égout ne les dessert; la municipalité se charge de l'approvisionnement en eau potable et de la récupération des eaux usées. Elle s'occupe également du chauffage de ses résidants, ce qui représente beaucoup de planification à cette latitude. Un beau matin de juillet, on aperçoit dans la baie, ancré au large, le pétrolier qui ravitaille une fois l'an les 26 réservoirs d'une capacité de 10,5 millions de litres de carburant prévus et de combustible pour les avions, les véhicules et le chauffage de tout le village. Un deuxième navire livre, également une fois l'an, mobilier, matériaux de construction, véhicules, nourriture non périssable, etc. Du reste, il n'y a pas que les bateaux qui ne passent qu'annuellement; il en va de même pour le dentiste et I' optométriste qui travaillent au dispensaire lors de leur visite. Il y a sur place en permanence, trois infirmières, un interprète et un médecin, quand ce dernier n'est pas appelé d'urgence dans un autre village. Quel est le diagnostic de la santé à Poste-de-IaBaleine? Tuberculose, infections cutanées, maladies vénériennes. De plus, l'arrivée récente d'aliments riches en sucre (bonbons, boissons gazeuses, etc.) occasionnent la carie dentaire, l'obésité, l'anémie ferrique et, probablement, une baisse de résistance à l'infection. Outre les problèmes strictement médicaux, la consommation abusive d'alcool et l'importation de drogues sont à lorigine de plusieurs troubles physiques et psychologiques et sont perçus comme l'expression d'un malaise social. Le remodelage du système d'éducation pourrait constituer un élément de solution à tous ces problèmes sociaux qui affligent la communauté autochtone. C'est l'occasion rêvée pour eux de se prendre en charge, puisque la Loi 101 permet l'utilisation des langues autochtones comme langue d'enseignement et que la Convention reconnaît aux Inuit et aux Cris des pouvoirs spéciaux leur permettant d'adapter le système scolaire à leurs besoins linguistiques et culturels.

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Si le froid nous saisit à l'arrivée, l'accueil des autochtones souriants a vite fait de nous réchauffer

git évidemment plus d'activités artisanales mais de subsistance, de revenus et de participation à la vie économiLa fierté est sans doute un éléque de la communauté. Conçus dans ment-clé dans la recherche du mieuxcette optique, des programmes disêtre; elle peut se présenter de diverses tincts d'aide aux chasseurs et aux façons. Par exemple, un inventaire des trappeurs des deux ethnies ont été noms de lieux, de montagnes, de lacs, mis sur pied de façon à assurer lende rivières, de baies, etc. a été effectué tretien du matériel, l'achat de munipar les Inuit en 1982 avec la collabotions, les frais de déplacement sur le ration des Anciens, suite à une propoterritoire, etc. La mise en oeuvre de sition de la Commission de toponymie ces programmes a déjà eu des effets du Québec. Une liste de 213 topopositifs, comme une diminution consinymes a été dressée et entérinée par dérable du nombre d'assistés sociaux le Conseil municipal; un des objectifs et l'approvisionnement de la commuest d'officialiser les noms de lieux utinauté en produits locaux. D'autre part, lisés par les autochtones. Ces noms la vente des produits de la chasse et évoquent souvent l'histoire locale et de la pêche et des fourrures se fait nationale et font appel aux légendes, par l'intermédiaire de la coopérative aux croyances et aux éléments natulocale qui s'occupe aussi des ventes rels. Ils reflètent le rapport de l'homme de sculptures, de vêtements artisanaux avec son milieu. et de gravures. Plusieurs familles de Poste-de-laBaleine vivent encore du trappage, de Le mythe autochtone la chasse et de la pêche, s'assurant ainsi un certain revenu complété par le travail artisanal. Des chiffres? Parmi les visiteurs qui voyagent 1OO 000 kg de produits comestibles dans le Nord québécois pour une ont été obtenus en 1980 soit plus de foule de raisons, de nombreuses per1 /2 kg par personne par jour. Il ne s'asonnes partent avec des idées préconFierté et tradition

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çues, bien entretenues par la récente mode du retour à la nature. Elles risquent d'être fortement déçues en croisant un autochtone qui fait du moto-cross en mobylette sur les dunes bordant la baie. Elles risquent également d'être choquées de voir parmi les sculptures bien rangées sur les tablettes de la Coop, un magnifique « ski-doo » en pierre à savon. Elles seraient sans doute scandalisées de trouver quantité de boîtes de conserves et d'emballages de plastique qui parsèment les terrains vagues. L'ouverture d'esprit est certainement le meilleur remède contre ce choc culturel. L'arrivée des «blancs » a eu l'effet d'un raz-de-marée et les autochtones découvrent malgré eux les avantages et les inconvénients de notre société de consommation. Pendant des siècles, ces nomades ont vécu essentiellement de la nature et se sont peu souciés de l'environnement. Leurs déchets étaient vite réabsorbés par le milieu. Notre contribution indirecte à la pollution du Nord, sous toutes ses formes, n'est certainement pas négligeable.

En hiver, la motoneige règne et on oublie le tracé des rues jusqu'en avril.

Les 1001 façons de voir Poste-de-la-Baleine Dès le 17• siècle, sous l'égide de la Nouvelle-France et de la Compagnie de la baie d'Hudson, plusieurs expéditions d'exploration sont parties à la découverte du Nord québécois. On cartographiait, on mesurait les champs magnétiques, on récoltait des plantes. Aujourd'hui, les recherches se poursuivent à un rythme accéléré; on assiste à la redécouverte du Nord. Outre les études concernant les aménagements hydro-électriques et le développement du Nouveau-Québec, les chercheurs du Centre d'études nordiques de l'université Laval, chapeautant des groupes aux intérêts variés tels le Groupe interuniversitaire de recherche océanographique du Québec et le Groupe de recherche sur les insectes piqueurs, ont une station à Poste-dela-Baleine. Depuis plusieurs années déjà, ils étudient la région sous tous ses aspects, du moustique à la formation géologique en récoltant les données à la loupe, à la louche, à la pincette, à la pelle, au pic, à la scie, en avion, en bateau et à pied. Dans un contexte plus touristique, un appareil-photo, des jumelles et des

vêtements chauds remplacent avantageusement cet attirail hétéroclite P