Entrevue éditoriale avec le Dr. Alain Beaudet, Président des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC)
Alain Beaudet Par Danielle Jacques, rédactrice en chef de Médecine Sciences Amérique Dans le cadre de nos entrevues éditoriales, la revue Médecine Sciences Amérique s’est rendue aux bureaux des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) à Ottawa, afin d’y rencontrer son président, le Dr Alain Beaudet. Voici les points saillants de cette entrevue de type profilcarrière. Comme vous le savez si bien, Dr Beaudet, la recherche scientifique universitaire est extrêmement exigeante. Qu’est-ce qui a poussé le médecin que vous êtes à faire un Ph. D. pour entamer une carrière de scientifique universitaire? D’aussi loin que je me souvienne, j’ai
fasciné par la profession elle-même et les
toujours été intéressé et fasciné par le
perspectives qu’elle offrait, j’en ai presque
cerveau et ai voulu en comprendre le
oublié les raisons qui m’y avaient amené!
fonctionnement.
à
Mais la passion pour le cerveau était
l’époque une des voies d’entrée pour qui
toujours là et les deux spécialités entre
était intéressé à la recherche scientifique en
lesquelles j’hésitais étaient, sans surprise, la
santé humaine. J’ai donc fait médecine et,
neurologie, et la psychiatrie. Aucune des
La
médecine
était
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1
deux,
toutefois,
ne
me
satisfaisait
lesquelles agissaient pratiquement tous les
pleinement : en psychiatrie, on donnait des
médicaments
médicaments
psychiatrie à l’époque. C’était la grande
sans
toujours
bien
connaissait
(c’était au début des années ’70!), tandis
découvrir les neurones à noradrénaline et à
qu’en
des
sérotonine dans le cerveau. C’était fascinant
diagnostics très pointus, mais on n’avait que
de pouvoir directement visualiser les sites
peu de traitements à proposer. Alors que
de
j’hésitais entre ces deux spécialités, j’ai
neurotransmetteurs
rencontré un jeune chercheur québécois,
comprendre où s’exerce leur action. Et puis
André-Roch Lecours, qui travaillait alors en
voilà, le reste est de l’histoire… J’ai entamé
recherche en neuropsychologie à l’hôpital
une maîtrise, prévoyant ensuite compléter
de la Salpêtrière à Paris. Mes discussions
ma résidence. Et voilà que les résultats sont
avec Roch m’ont rappelé mon intention
venus très vite, et que la passion s’est
première de faire de la recherche. Comme
installée. Lorsqu’on m’a offert de poursuivre
je
aux
directement au doctorat, ce qui était une
drogues
offre exceptionnelle à l’époque, il ne m’est
susceptibles d’en modifier la libération, il
même pas venu à l’idée de refuser. Le
m’a dirigé vers Laurent Descarries, qui
doctorat a été suivi de trois années de
venait
son
formation post-doctorales, et la pratique de
laboratoire à l’Université de Montréal et qui
la médecine devenue pour moi chose du
travaillait sur les amines biogènes, sur
passé; j’étais dans un autre monde…
m’intéressais
neurotransmetteurs
alors
tout
excellait
à
particulièrement et
juste
aux
d’ouvrir
synthèse
et
Suédois
de
venaient
en
époque
on
les
l’on
comprendre où et comment ils agissaient neurologie,
où
que
libération et
de
d’ainsi
de
ces
mieux
Où avez-vous fait votre stage postdoctoral? J’ai fait deux ans de stage à Paris, plus
dont j’avais besoin. C’est ainsi que j’ai pu
précisément au Centre d’Études Nucléaires
avoir accès très tôt à des marqueurs tritiés
de Saclay, dans le laboratoire du professeur
des récepteurs opioïdes…J’ai ensuite passé
Bernard Droz. Ce qui était extraordinaire,
une année très productive à l’Institut de
c’est que j’avais la possibilité de faire
recherche sur le cerveau de l’université de
synthétiser tous les composés radioactifs
Zurich, sous la direction de Michel Cuénod.
Entrevue éditoriale-‐Dr Alain Beaudet
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Ça a été pour moi l’initiation à la recherche
pour suivre, au fil des ans les progrès de la
multidisciplinaire et au travail en équipe.
neurologie et de l’imagerie cérébrale qui,
Quand je suis revenu au Québec, j’ai obtenu
comme le PET scan ou la résonnance
un poste de professeur à l’Université McGill.
magnétique,
Quel coup de veine de se retrouver
profondément les approches diagnostiques.
chercheur au temple de la neurologie
C’était le poste idéal pour ne jamais perdre
Montréalaise où avaient œuvré les Penfield
de vue le lien bidirectionnel entre le
et Jasper, et d’être aux premières loges
laboratoire et le malade.
devaient
en
modifier
L’Institut de neurologie est un bien bel endroit pour faire carrière! Le neuro, c’est la réussite indéniable de
médicales du Canada (CRM), aux National
l’intégration de la recherche aux soins. Du
Institutes of Health (NIH) aux États-Unis, et
laboratoire au lit du malade, et du lit du
au Human Frontier Sciences Program à
malade au laboratoire. Il n’y avait là ni
Strasbourg. J’ai également fait partie des
dichotomie ni hiérarchisation des différents
comités
domaines de la recherche scientifique,
fondations privées. J’ai évalué beaucoup de
qu’elle soit fondamentale, appliquée ou
demandes de fonds dans ma vie! Mes rôles
clinique. J’ai été témoin de la construction
à
du
de
Neurosciences au CRM, puis de Directeur
radioisotopes PET, de l’introduction de la
adjoint (recherche) à l’institut neurologique
génomique appliquée au diagnostic puis aux
de Montréal m’ont amené à m’intéresser de
soins
plus
cyclotron,
pour
neurologiques,
stéréotactique
la
synthèse
de
dirigée
la
par
chirurgie
résonnance
titre
d’évaluations
de
près
recherche,
président
au à
de
du
Comité
développement l’importance
diverses
de
de
des
la
soutenir
magnétique nucléaire, des premiers essais
l’excellence, et à la nécessité de développer
de thérapie génique, etc. À l’externe, j’ai
des approches stratégiques pour en assurer
commencé
à
l’impact. Ils m’ont aussi amené à apprécier
l’administration de la recherche et à siéger
toutes les facettes de la recherche en santé,
sur des comités d’évaluation par les pairs :
et à élargir mes horizons, au départ très
au Fonds de la recherche en Santé du
classiquement biomédicaux.
Québec,
très
au
tôt
Conseil
à
m’intéresser
de
recherches
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Qu’est-ce qui vous a poussé à quitter votre brillante carrière de scientifique universitaire au profit de postes administratifs? Que vous apportent ces postes-là? Ce sont vraiment les circonstances. J’étais
C’était un peu le meilleur des deux mondes :
heureux dans mon labo. J’ai d’ailleurs
je partageais mon temps entre la Direction
refusé des offres de postes administratifs
et les tranchées, à savoir mon laboratoire,
qui
où
qui était très actif à l’époque. Le choix
d’abandonner ma carrière de scientifique
déchirant est venu plus tard, lorsque le
universitaire. De plus, je ne voyais pas
Ministre Michel Audet m’a offert le poste de
comment je parviendrais à juguler des
Président du FRSQ, et a été très clair que je
responsabilités
une
ne pouvais cumuler ces fonctions avec mon
recherche.
poste universitaire. Cela a été très difficile.
Finalement, le Dr Pierre Boyle, un homme
Dans l’ensemble de ma carrière, deux
très persuasif, qui était alors directeur
décisions ont été pour moi très difficiles à
général du Fonds de recherche en santé du
prendre: quitter la clinique pour la recherche
Québec (FRSQ), m’a convaincu de me
et quitter ma carrière de chercheur pour
joindre à
son équipe comme conseiller
celui d’administrateur de la recherche. Mais
scientifique. Très tôt, je me suis passionné
je n’ai rien regretté. Les années au FRSQ
pour ce que je voyais comme une occasion
ont été formidables. J’ai réalisé que l’on
unique de participer au développement
pouvait être aussi créatif dans un poste
scientifique du Québec. Aussi, lorsque le
administratif
poste de directeur scientifique du FRSQ
chercheur. Car pour moi, la créativité est le
s’est libéré et que Pierre m’a demandé d’y
moteur de la recherche, comme elle l’est
poser ma candidature, je n’ai pas hésité. J’ai
pour les arts. D’ailleurs, les chercheurs ne
obtenu, et occupé ce poste pendant plus de
sont-ils pas un peu des artistes?
m’auraient
carrière
forcé
de
ralentir,
administratives
concurrentielle
en
à
qu’on
peut
l’être
comme
trois ans, et ce furent trois belles années.
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Pensez-vous que le beau temps de la recherche médicale est derrière ou devant nous? Au contraire, je pense que la recherche en
de santé sont au cœur des préoccupations
santé a un horizon brillant devant elle. C’est
des Canadiens. Avons-nous mis tout en
vrai que le contexte a changé : vous aurez
œuvre
remarqué que je n’ai pas utilisé le terme
parfaitement intégrée aux systèmes de
recherche
soins, qu’elle réponde aux attentes des
médicale,
mais
celui
de
pour
que
doit plus porter uniquement sur la cause et
maximiser l’impact de la recherche sur la
le traitement des maladies, mais aussi sur
qualité des soins? Sur leur accessibilité?
leur prévention, sur le bien vivre et le bien
Sur leur rapport coûts/bénéfices? Le public
vieillir. Le vocabulaire des bailleurs de fonds
doit être mieux informé de l’extraordinaire
a lui aussi changé : on ne parle plus de
performance du Canada en recherche en
subventions,
en
santé et de l’importance de cette recherche
recherche. Et qui dit investissements pense
pour son système de santé. Il ne s’agit pas
retour sur investissements. On parle en effet
ici
maintenant beaucoup plus que par le passé
immédiats
d’impact de la recherche, sur la santé et sur
académique. Il s’agit de développer des
le développement économique et social. On
mécanismes
ne se satisfait plus de ce que le chercheur
efficacement possible des réussites de la
fasse progresser les connaissances; on lui
recherche et de former des chercheurs qui
demande aussi d’en assurer le transfert.
sachent en
Quand un gouvernement investit plus d’un
pratique. Les Canadiens sont favorables à
milliard de dollars de fonds publics en
ce que leurs impôts servent à soutenir la
recherche en santé (c’est la contribution du
recherche en santé. Nous avons le devoir
gouvernement fédéral au budget des IRSC)
de
il demande à ce qu’on évalue l’impact de
découvertes.
de
faire
faire
la
où
décideurs?
soit
patients
d’investissements
des
recherche
recherche en santé. Car la recherche ne
mais
et
la
chasse de
pour
aux
réduire tirer
le
résultats la
parti
implanter les
profiter
Peut-on
liberté le
résultats
public
de
plus
en
nos
ces investissements. Les soins et services
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Quel est votre prochain défi? Pourquoi pas ne pas diriger un jour le système de santé au Canada? Mon défi immédiat, c’est de m’assurer que
entraves des meilleures idées et l’éclosion
les divers changements que j’ai initiés ici,
des plus grands talents, et la recherche
aux IRSC, soient solidement implantés et
ciblée, qui vise à répondre à des problèmes
commencent
Ces
spécifiques ou à développer des secteurs
changements visent, tout d’abord à mieux
émergents. Je veux m’assurer que nos
soutenir l’excellence, et ce dans tous les
investissements
domaines
Je
vraiment fruit; que les provinces, qui ont
voudrais m’assurer que les IRSC répondent
pour mandat de soutenir les soins et
à l’ensemble de leur mandat, tel que défini
services de santé, pensent spontanément
dans la loi qui les a créés. Je veux voir
aux IRSC comme partenaire pour améliorer
s’établir un équilibre entre la recherche
les soins et services à partir de données
ouverte,
probantes.
à
de
qui
porter
recherche
permet
fruit.
en
santé.
l’expression
sans
stratégiques
portent
Une dernière question: si vous avez un conseil à donner aux jeunes scientifiques universitaires, quel serait-il? La recherche scientifique, c’est la plus belle
été. Donnez-moi une autre profession où
profession au monde. Qu’ils y aillent les
l’ensemble des citoyens d’un pays vous
yeux fermés. Qu’ils n’aient pas peur. On dit
offre du financement pour que vous puissiez
que la carrière scientifique est devenue
satisfaire votre curiosité tout en contribuant
particulièrement
au bien commun. Il n’y en a pas beaucoup!
difficile,
exigeante,
concurrentielle. Je pense qu’elle l’a toujours
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