NUMÉRO UNIVERSITÉ DE
SHERBROOKE
Entrevue éditoriale avec le Dr Gérard Eugène Plante Par Danielle Jacques rédactrice en chef de Médecine Sciences Amérique
Vous avez commencé vos études à l’époque de Duplessis. Je me demandais Dr Plante, pourquoi vous avez fait le choix de la médecine ? Était-ce pour des raisons personnelles, familiales ou simplement parce que vous aimiez cette discipline ? Au départ, j’avais choisi une carrière en archi-
discipline médicale, mon choix s’était arrêté aux
tecture, mais mon professeur qui enseignait les
sciences neurologiques plutôt qu’à la néphrologie.
sciences au collège classique de Verdun, et plus
C’est encore une fois lors de mon contact avec un
particulièrement la biologie, monsieur Yvan Girard,
autre professeur, durant mon deuxième stage d’été
était alors étudiant en médecine. C’est lui qui a ou-
à l’Université de Montréal, le Pr Guy Lemieux, que
vert mon esprit au choix possible de cette discipline
mon intérêt pour la physiologie rénale s’est déve-
que j’ai alors découvert en 1964. Quant à la sous-
loppé et poursuivi.
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Qu’est-ce qui vous amené à la recherche médicale ? Est-ce la soif de l’inconnu ou est-ce parce que vous êtes devenu professeur d’université et qu’il fallait faire de la recherche ? Mon intérêt pour la recherche s’est manifesté
À l’époque, la recherche en néphrologie en
tôt dans ma carrière puisqu’ après mon MD
était à ses débuts. L’insuffisance rénale, sa
à l’Université de Montréal, j’ai fait un Ph.D.
progression ainsi que toutes les fonctions ré-
en biologie (physiologie et endocrinologie) à
nales n’étaient pas étudiées en profondeur à
l’Université McGill avec le Pr J.S.L. Brown.
ce moment-là.
Avez-vous fait par la suite un stage postdoctoral ? J’ai fait un stage postdoctoral à Dallas sous la
avec le Dr Jacques Genest, le fondateur de
supervision des Professeurs Seldin et Rector,
l’Institut de recherches cliniques de Montréal. Il
deux éminents néphrologues qui faisaient de
était donc très ouvert au recrutement en néph-
la recherche de très haut niveau en physiolo-
rologie et surtout au recrutement de quelqu’un
gie rénale à l’Université du Texas. Ma venue
qui ferait de la recherche. À l’époque, la 12e
à Sherbrooke s’est faite grâce au Dr Gilles
avenue où se situe maintenant la faculté de
Pigeon, vice-doyen de la faculté de méde-
médecine était en gravier et loin de la ville de
cine à l’époque. Je l’avais connu à l’hôpital de
Sherbrooke. Mes collègues de travail et mes
Verdun quelques années auparavant comme
professeurs ne croyaient pas que j’avais choisi
néphrologue, au moment où j’étais étudiant en
de venir ici, mais c’est le Dr Gilles Pigeon qui
médecine, et où je travaillais dans un labora-
m’avait donné l’image de ce qu’allait devenir
toire de biologie pour gagner un peu d’argent
cette faculté et de l’expansion qu’elle allait
pour les fins de semaine et les vacances. Le
prendre jusqu’ à aujourd’hui. J’y ai donc bâti
Dr Pigeon avait fait ses études post-médicales
toute ma carrière jusqu’à ma retraite récente.
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SHERBROOKE Est-ce parce que vous avez les reins solides que vous avez choisi de vous attaquer aux maladies du système vasculaire ? Oui. En fait, la physiologie vasculaire au niveau du
sanguin au niveau du rein va à l’extérieur de cette
rein, et de l’ensemble de l’organisme lui-même,
fonction de filtration. La microcirculation rénale,
constitue l’introduction à beaucoup de domaines
plus précisément les réseaux de microcirculation
de la médecine, c’est-à-dire qu’elle contribue à
péritubulaire, est liée à une quarantaine de fonc-
développer plusieurs axes pathologiques. En
tions tubulaires extrêmement importantes. C’est
termes d’importance, elle se place même au-
probablement au niveau des marqueurs qui sont
dessus du cerveau et même au-dessus du cœur.
reliés aux fonctions tubulaires rénales, au trans-
C’est la raison pour laquelle je suis content de pro-
port dans les deux directions, sécrétion et résorp-
voquer mes collègues qui font de la neurologie et
tion, que nous allons trouver des marqueurs éven-
de la cardiologie. Quand on regarde l’évolution de
tuels précoces de la progression de l’insuffisance
l’organisme humain à partir de la distribution des
rénale. Malgré ce que nous faisons aujourd’hui en
volumes liquidiens, nous constatons que le rein
thérapeutique de néphrologie, de l’hémodialyse à
est apparu très tard : les êtres unicellulaires n’en
la greffe rénale, la modification de vie des insuffi-
avaient pas besoin. Quand l’organisme a dévelop-
sants rénaux reste encore limitée et nous sommes
pé les liquides interstitiels pour accommoder les
encore loin de pouvoir les guérir.
masses cellulaires autour des espaces vitaux, la
Il faudra donc aborder l’étape centrale qui est
circulation n’existait pas encore. Elle est apparue
essentiellement vasculaire, par l’ensemble des
plus tard, et dans les organes vascularisés, le rein
contributions endothéliale et épithéliale du tissu
a pris une place primordiale.
rénal, et surtout par l’identification urgente des
Dans le phénomène de la progression de l’insuf-
biomarqueurs, lesquels y jouent de manière cen-
fisance rénale, il faut, compte tenu de ces événe-
trale. Ce volet critique constitue maintenant ma
ments, s’attaquer maintenant à un autre aspect
passion de retraité, je l’espère, pour les années
de la filtration du rein. En fait, 80% du volume
qui viennent.
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SHERBROOKE Qui a le plus influencé votre carrière de professeur d’université ; y a-t-il une personne en particulier ? J’avais commencé à m’intéresser à l’enseigne-
la recherche, des soins aux malades et de l’en-
ment quand je travaillais en groupe avec mon
seignement.
professeur, le Dr Paul Poirier, qui m’avait orienté
Quand je regarde les étudiants qui sont passés
vers la physiologie neurologique à l’Université
chez moi et ce qu’ils font aujourd’hui, je trouve
de Montréal. Mes interactions avec les étudiants
extraordinaire d’avoir contribué au volet d’orien-
plus jeunes ont ouvert la porte de l’enseignement.
tation qu’ils ont choisi. En effet, le suivi des 36
J’ai donc continué d’enseigner par la suite à tous
étudiants qui sont passés en formation de néph-
les niveaux universitaires et dans des domaines
rologie et des 60 étudiants qui ont cheminé en
scientifiques différents. Depuis longtemps, l’ap-
recherche, 46 sont demeurés localement ou
proche triangulaire de ma vie professionnelle,
sont allés à l’étranger dans divers domaines de
classiquement académique, s’est constituée de
recherche et/ou d’enseignement.
Parmi vos nombreuses réalisations académiques et scientifiques, laquelle considérez-vous comme la plus importante ? C’est celle d’avoir créé un intérêt chez les étu-
jours au plus haut point, même aujourd’hui. Les
diants que j’ai supervisés dans les soins aux
contacts et collaborations à l’étranger incluent
malades, dans la communication et la recherche.
des pays européens (France, Angleterre, Hol-
Ce qui me réjouit, c’est de constater l’évolution
lande, Suisse, Allemagne, Italie, Espagne et
de ma carrière sur 40 ans, autant dans le nombre
République tchèque), moyen-orientaux (Liban,
de patients que j’ai soignés que dans la chance
Égypte, Syrie, Tunisie, Maroc, Algérie et Irak),
que j’ai eue de créer un réseau de collabora-
asiatique (Chine, Japon et Inde) ainsi que l’Aus-
teurs à travers le monde. Lorsque je regarde la
tralie et la Nouvelle-Zélande. Tous ces contacts
liste de tous ces collègues, cela me stimule tou-
continuent d’intéresser des collègues et étudiants
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à maintenir échanges et collaborations étroits.
par le mélange positif du support financier des
La difficulté de maintenir certaines activités du
organismes traditionnels (gouvernements du
côté de la recherche, en termes de financement,
Québec et du Canada), ainsi que du support pri-
a varié beaucoup au cours des années. Mes 42
vé (industrie pharmaceutique) et ce, de manière
ans en recherche ont quand même été possibles
continue, heureusement.
Vos enfants n’ont pas choisi de faire la même carrière que vous. Est-ce parce qu’elles étaient certaines qu’elles ne pourraient faire mieux que leur père ? Non, mes deux filles font mieux dans d’autres
tage du temps passé au travail, au bureau, dans
domaines qui sont le droit et la musique. La
les congés, dans les voyages de détente qu’on
question est bonne parce qu’elle concerne les
est censé faire a peut-être joué un rôle dans
erreurs que j’ai peut-être faites en les privant de
leur choix. La musique est pour moi un passe-
ma présence à la maison. Le nombre d’heures
temps intéressant. J’ai essayé d’apprendre le
passées au travail, à l’enseignement, à la re-
violoncelle, mais cela aurait été tragique pour
cherche et aux soins des malades a peut-être
l’auditoire. Cette question s’applique bien aux
été un peu lourd pour mes deux filles et aussi
passionnés du travail que nous sommes en mé-
pour mon épouse. Le déséquilibre dans le par-
decine, en recherche et en enseignement.
Est-ce une bonne idée, lors de la retraite, de faire une coupure avec la vie que vous avez toujours menée ? Continuer de faire ce qu’on a fait pendant 40
toujours des articles et corrige des articles pour
ans, est-ce bien ou pas? C’est une question à
des revues scientifiques. Il est en bonne santé,
poser aux collègues qui ont pris leur retraite. J’ai
mais je ne sais pas ce que ses enfants et son
un collègue américain âgé de 90 ans. Il rédige
épouse pensent de cela.
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SHERBROOKE Selon vous, quelle direction la recherche devrait-elle prendre dans le futur et quels objectifs devrait-elle atteindre les dix ans à venir ? La recherche du futur devrait s’intéresser à la
sur d’autres planètes. Cette idée peut sembler
vie sur d’autres planètes, car la Terre arrive à
un peu folle, mais si on y découvre de l’eau, des
ses limites. Je pense que, compte tenu de son
horizons scientifiques formidables s’ouvriront
état, il faut envisager de plus en plus, un voyage
devant nous.
Quels conseils donneriez-vous aujourd’hui aux jeunes professeurs d’université ? D’être passionnés pour leur travail, et de s’intéres-
et même si je considérais son attitude comme un
ser en particulier à des gens qui font des choses
peu marginale, elle a bien réussi ses examens.
différentes des autres, de la majorité. La margina-
Alors, je pense qu’il faut porter attention à ce que
lité, pour moi, c’est un choix parfois difficile et c’est
les autres ne font pas, à ce que les autres n’ont
problématique en recherche ou en enseignement.
pas fait, à ce qu’ils auraient dû faire. Pour les pro-
Quand on enseigne à une classe d’étudiants,
fesseurs, cette marginalité est une qualité impor-
même réduite, certains parfois s’intéressent vive-
tante à déceler chez les étudiants, chez les autres
ment, contrairement à la majorité, à des aspects
professeurs et dans l’entourage professoral en
accessoires d’un sujet abordé. C’est le cas d’une
général quand c’est encore modulable comme
étudiante à qui j’ai enseigné en novembre dernier,
conduite et façon de faire.
En dernier lieu, Dr Plante, dites-nous si votre retraite est planifiée. En d’autres termes, poursuivezvous votre carrière de professeur, mais sans engagement ? C’est bien cela. Mon intention est de continuer
J’ai été privilégié, parmi tous les contacts que
mon travail avec mes collaborateurs actuels des
ma vie à permise, de bénéficier de l’amitié du
Universités McGill, de Montréal (à Verdun), ainsi
Pr Michel Émile Safar, encore très actif à Paris.
qu’avec ceux que j’ai depuis 40 ans, qui sont en
J’ai eu le privilège de le proposer et de le faire
France, en Suisse, en Hollande, aux États-Unis,
accepter comme Docteur honorifique de l’Uni-
en Angleterre, en Australie, en Nouvelle-Zélande.
versité de Sherbrooke.
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