Décision Jelsevar et autres c. Slovénie - HUDOC - COE

3 avr. 2014 - entre le droit au respect de la vie privée et le droit à la liberté artistique dans une affaire concernant une œuvre littéraire de fiction. Dans sa décision en l'affaire Jelševar et autres c. Slovénie (requête no 47318/07), la Cour européenne des droits de l'homme déclare à l'unanimité la requête irrecevable.
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du Greffier de la Cour CEDH 093 (2014) 03.04.2014

Les tribunaux slovènes ont ménagé un juste équilibre entre le droit au respect de la vie privée et le droit à la liberté artistique dans une affaire concernant une œuvre littéraire de fiction Dans sa décision en l’affaire Jelševar et autres c. Slovénie (requête no 47318/07), la Cour européenne des droits de l’homme déclare à l’unanimité la requête irrecevable. Cette décision est définitive. L’affaire concerne le grief des requérantes selon lequel la publication d’un livre décrivant la vie d’un personnage de fiction, dont l’histoire était inspirée de celle de leur défunte mère, a terni leur réputation. La Cour considère que la méthode suivie par les tribunaux slovènes – lesquels ont recherché si l’histoire pouvait être perçue comme réelle ou offensante par un lecteur moyen – était raisonnable et compatible avec sa propre jurisprudence. Elle conclut donc qu’un juste équilibre a été ménagé entre les intérêts concurrents en jeu, à savoir le droit des requérantes au respect de leur vie privée et familiale et le droit de l’auteur à la liberté d’expression. L’affaire est intéressante en ce qu’elle réaffirme l’importance de la liberté artistique dans le cadre d’une œuvre littéraire de fiction. De plus, la Cour y adapte sa jurisprudence à une pratique littéraire courante, à savoir l’utilisation d’une personne ayant réellement existé comme modèle d’un personnage de roman.

Principaux faits Les requérantes, Marta Jelševar, Ana Ložar, Marija Piškur et Štefka Mežnar, sont des ressortissantes slovènes nées respectivement en 1930, 1927, 1915 et 1922 et résidant en Slovénie. En 1998, un écrivain, B.M.Z., publia à compte d’auteur un roman décrivant la vie d’une femme de la campagne slovène qui émigra aux Etats-Unis au début du 20e siècle, épousa un ressortissant slovène du nom de Brinovc puis rentra chez elle pour reprendre la ferme familiale, faire commerce de fruits et légumes et fonder une famille. Le personnage principal, Rozina, est dépeint comme une femme vivante, ambitieuse et pleine de ressources. Toutefois, le livre décrit également comment elle a utilisé le sexe pour parvenir à ses fins avec son mari, a vendu illégalement de l’alcool pendant la Prohibition aux Etats-Unis et accordait plus d’importance à l’argent qu’à ses enfants. Les requérantes ont reconnu dans cette histoire celle de leur famille, et plus particulièrement de leur défunte mère. Le roman se déroule notamment dans la région où vivait leur famille et le nom de Brinovc, sans être leur véritable patronyme, est celui sous lequel ils étaient connus au sein de la communauté locale. Les requérantes engagèrent une action civile contre B.M.Z. pour dénoncer une violation des « droits de la personnalité » et réclamer réparation du dommage moral causé par la publication de ce livre ainsi qu’une annonce publique d’excuses. Elles faisaient notamment valoir que B.M.Z. avait brossé un portrait négatif et diffamatoire de leur mère, ce qui les avait humiliées aux yeux de la communauté locale. Au cours de la procédure, des connaissances de la famille des requérantes furent entendues comme témoin et déclarèrent qu’elles n’avaient eu aucun mal à faire le rapprochement entre l’histoire racontée dans le livre et les personnes dont il s’était inspiré. Cependant, bien que choqués par la description de la vie sexuelle du personnage principal, les

témoins étaient pour la plupart convaincus que les passages controversés du roman ne correspondaient pas à la réalité. Pour finir, en avril 2007, la Cour constitutionnelle rejeta l’action des requérantes, déclarant que le lecteur moyen ne considérerait pas les événements racontés dans le roman comme des faits concernant des personnes ayant réellement existé. Elle estima par ailleurs que la description de la mère des requérantes n’avait rien de péjoratif, et que B.M.Z. n’avait pas eu l’intention de nuire.

Griefs, procédure et composition de la Cour La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 16 octobre 2007. Invoquant l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale), les requérantes alléguaient que la Cour constitutionnelle n’avait pas ménagé un juste équilibre entre leur droit au respect de leur vie privée et familiale et celui de B.M.Z. à la liberté d’expression. La décision a été rendue par une chambre de sept juges composée de : Mark Villiger (Liechtenstein), président, Angelika Nußberger (Allemagne), Boštjan M. Zupančič (Slovénie), Ann Power-Forde (Irlande), Vincent A. de Gaetano (Malte), Helena Jäderblom (Suède), Aleš Pejchal (République tchèque), juges, ainsi que de Claudia Westerdiek, greffière de section.

Décision de la Cour Article 8 La Cour indique que la liberté artistique dont jouissent les auteurs d’ouvrages littéraires constitue en soi une valeur, qui doit à ce titre être protégée par la Convention. En l’espèce, recherchant si les autorités slovènes ont ménagé un juste équilibre entre la réputation des requérantes et le droit de B.M.Z. à la liberté d’expression, elle note que les juridictions nationales ont accordé une importance primordiale à la question de savoir s’il était possible de reconnaître la famille des requérantes dans les personnages du roman, et si ces personnages étaient dépeints d’une manière offensante susceptible de s’analyser en diffamation. Elle observe aussi que, dans son arrêt de 2007, la Cour constitutionnelle a évalué les portraits littéraires selon un critère objectif et a conclu que l’histoire racontée dans le roman ne pouvait ni être considérée comme correspondant à la réalité ni comme offensante par le lecteur moyen. La Cour juge que la méthode employée par la Cour constitutionnelle slovène pour statuer sur la question de savoir si un juste équilibre avait été ménagé entre les intérêts concurrents en présence – à savoir rechercher si le lecteur moyen considérerait l’histoire comme véridique (et non comme relevant de la fiction) et s’il la trouverait offensante compte tenu du contexte général de l’ouvrage – était une approche raisonnable qui s’inscrivait dans le droit fil de sa propre jurisprudence. Elle juge particulièrement important le fait que les témoins aient pour la plupart déclaré qu’il n’était pas possible que le personnage principal du roman constitue une description fidèle de la défunte mère des requérantes. Partant, la Cour conclut que la réputation des requérantes n’a pas été sérieusement ternie et rejette leur requête pour défaut manifeste de fondement (article 35 § 3 a) de la Convention).

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La décision n’existe qu’en anglais. Rédigé par le greffe, le présent communiqué ne lie pas la Cour. Les décisions et arrêts rendus par la Cour, ainsi que des informations complémentaires au sujet de celle-ci, peuvent être obtenus sur www.echr.coe.int. Pour s’abonner aux communiqués de presse de la Cour, merci de s’inscrire ici : www.echr.coe.int/RSS/fr ou de nous suivre sur Twitter @ECHRpress. Contacts pour la presse [email protected] | tel: +33 3 90 21 42 08 Jean Conte (tel: + 33 3 90 21 58 77) Tracey Turner-Tretz (tel: + 33 3 88 41 35 30) Nina Salomon (tel: + 33 3 90 21 49 79) Denis Lambert (tel: + 33 3 90 21 41 09) La Cour européenne des droits de l’homme a été créée à Strasbourg par les États membres du Conseil de l’Europe en 1959 pour connaître des allégations de violation de la Convention européenne des droits de l’homme de 1950.

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