Déclaration relative à la culpabilité d'un individu par ... - HUDOC - COE

21 juil. 2015 - Dans son arrêt de Chambre1, rendu ce jour dans l'affaire Neagoe c. Roumanie (requête no 23319/08), la Cour européenne des droits de l'homme dit, à l'unanimité, qu'il y a eu : Violation de l'article 6 § 2 (présomption d'innocence) de la Convention européenne des droits de l'homme. L'affaire concerne ...
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du Greffier de la Cour CEDH 252 (2015) 21.07.2015

Déclaration relative à la culpabilité d’un individu par la porte-parole d’une juridiction roumaine avant le prononcé de la décision de justice Dans son arrêt de Chambre1, rendu ce jour dans l’affaire Neagoe c. Roumanie (requête no 23319/08), la Cour européenne des droits de l’homme dit, à l’unanimité, qu’il y a eu : Violation de l’article 6 § 2 (présomption d’innocence) de la Convention européenne des droits de l’homme L’affaire concerne une déclaration de la porte-parole de la cour d’appel avant le délibéré de cette cour, incitant le public à croire à la culpabilité du requérant accusé d’homicide involontaire, d’atteinte involontaire à l’intégrité de la personne, de non-respect des dispositions relatives à la sécurité au travail et de destruction volontaire. La Cour considère que la porte-parole de la cour d’appel a communiqué au public son opinion personnelle sur la culpabilité du requérant, alors que la cour d’appel n’avait pas encore rendu son arrêt. La Cour rappelle que la condamnation ultérieure du requérant n’a aucune incidence sur le droit à la présomption d’innocence, qui doit être respecté avant le prononcé d’une décision de justice.

Principaux faits Le requérant, M. Ionel-Ionut Neagoe, est un ressortissant roumain, né en 1963 et résidant à Craiova (Roumanie). Le 24 mai 2004, un camion conduit par un chauffeur employé par la société dont M. Neagoe était un des gérants se renversa près d’un village, alors qu’il contenait vingt tonnes d’engrais agricole. Un incendie se déclara, que des pompiers et des passants tentèrent d’éteindre. Une explosion se déclencha et dix-huit personnes furent tuées, treize autres blessées, et d’importants dégâts matériels furent causés. M. Neagoe ainsi qu’un autre gérant et le directeur général de la société furent mis en examen pour homicide involontaire, atteinte involontaire à l’intégrité de la personne, non-respect des dispositions relatives à la sécurité au travail et destruction volontaire. Le tribunal de première instance condamna M. Neagoe. Ce dernier interjeta alors appel et fut acquitté par le tribunal départemental. Après l’acquittement, le président de la Roumanie déclara que la décision judiciaire, qu’il ne pouvait se permettre de discuter, lui paraissait néanmoins injuste. Le parquet et les parties civiles introduisirent ensuite un recours devant la cour d’appel.

1 Conformément aux dispositions des articles 43 et 44 de la Convention, cet arrêt de chambre n’est pas définitif. Dans un délai de trois mois à compter de la date de son prononcé, toute partie peut demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre de la Cour. En pareil cas, un collège de cinq juges détermine si l’affaire mérite plus ample examen. Si tel est le cas, la Grande Chambre se saisira de l’affaire et rendra un arrêt définitif. Si la demande de renvoi est rejetée, l’arrêt de chambre deviendra définitif à la date de ce rejet. Dès qu’un arrêt devient définitif, il est transmis au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe qui en surveille l’exécution. Des renseignements supplémentaires sur le processus d’exécution sont consultables à l’adresse suivante : http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/execution.

Le 29 février 2008, alors que le délibéré n’avait pas encore été rendu, la juge G.I., porte-parole de la cour d’appel, fit la déclaration suivante à la presse : « il est probable que la cour d’appel casse le jugement du tribunal [départemental]. Je suppose qu’il y [aura] condamnation des inculpés ». Par un arrêt rendu le 3 mars 2008, la cour d’appel, siégeant en une formation de 3 juges dont la juge G.I. ne faisait pas partie, cassa effectivement l’arrêt du 5 octobre 2007 et confirma la condamnation du requérant.

Griefs, procédure et composition de la Cour Invoquant l’article 6 § 2 (présomption d’innocence), le requérant se plaint d’une violation de la présomption d’innocence en raison des déclarations du président de la Roumanie et de celles de la porte-parole de la cour d’appel. La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 16 mai 2008. L’arrêt a été rendu par une chambre de sept juges composée de : Josep Casadevall (Andorre), président, Luis López Guerra (Espagne), Ján Šikuta (Slovaquie), Kristina Pardalos (Saint-Marin), Johannes Silvis (Pays-Bas), Valeriu Griţco (République de Moldova), Branko Lubarda (Serbie), ainsi que de Marialena Tsirli, greffière adjointe de section.

Décision de la Cour Article 6 § 2 La Cour rappelle que l’article 6 § 2 (présomption d’innocence) protège le droit de toute personne d’être « présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie », c’est-à-dire jusqu’à ce qu’elle soit déclarée coupable par une juridiction (Allen c. Royaume-Uni [GC], 12 juillet 2013). La Cour a ainsi précisé dans Allenet de Ribemont c. France, 10 février 1995, qu’aucun représentant de l’État ou d’une autorité publique ne doit déclarer une personne coupable d’une infraction avant que sa culpabilité ne soit établie par un tribunal. Concernant la déclaration du président de Roumanie, la Cour observe que le grief doit être rejeté pour exception de tardiveté, M. Neagoe ayant saisi la Cour en dehors du délai de six mois prescrit par l’article 35 § 1 de la Convention. La Cour observe que la juge G.I., porte-parole de la cour d’appel, fit une déclaration à la presse le 29 février 2008. Elle y présenta M. Neagoe comme un coupable qui serait « probablement » condamné, alors que sa culpabilité n’avait pas été légalement établie. En effet, l’arrêt de la cour d’appel n’a été rendu que plusieurs jours plus tard, le 3 mars 2008. La Cour constate en outre l’importance de cette affaire pour le public, et en déduit ainsi l’intérêt d’informer la presse sur le déroulement de la procédure. Néanmoins la porte-parole de la cour d’appel ne s’est pas contentée de transmettre des informations procédurales, puisqu’elle a divulgué son opinion personnelle sur la culpabilité de M. Neagoe. La Cour souligne qu’une distinction doit être faite entre le simple exposé de suspicions pesant sur un individu et le sentiment personnel de culpabilité dévoilé au public. Or la porte-parole de la cour

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d’appel n’a pas simplement informé les médias des charges qui pesaient à l’encontre de M. Neagoe, mais a révélé au public son opinion personnelle sur sa culpabilité. La Cour précise également que, eu égard à sa qualité de porte-parole de la cour d’appel, la juge G.I. était tenue au respect de la présomption d’innocence et aurait dû faire preuve de prudence. Cependant, la déclaration réalisée par la porte-parole incitait le public à croire en la culpabilité du requérant. Enfin, la Cour rappelle que le fait que le requérant ait finalement été reconnu coupable n’a aucune incidence sur le droit à la présomption d’innocence, qui doit être respecté avant qu’une décision de justice ne soit rendue. L’article 6 § 2 de la Convention régit en effet l’ensemble de la procédure pénale, et ce « indépendamment de l’issue des poursuites » (Minelli c. Suisse, 25 mars 1983). La porte-parole de la cour d’appel a donc effectué une déclaration à la presse faisant état de la culpabilité de M. Neagoe alors même que l’arrêt de la cour d’appel n’avait pas encore été rendu. Dès lors, on ne peut pas considérer que M. Neagoe a bénéficié des garanties nécessaires à la tenue d’un procès équitable. En conséquence, la Cour juge que la présomption d’innocence de M. Neagoe n’a pas été respectée et qu’il y a eu violation de l’article 6 § 2 de la Convention.

Satisfaction équitable (Article 41) La Cour dit que la Roumanie doit verser au requérant 3 600 EUR pour dommage moral. L’arrêt n’existe qu’en français. Rédigé par le greffe, le présent communiqué ne lie pas la Cour. Les décisions et arrêts rendus par la Cour, ainsi que des informations complémentaires au sujet de celle-ci, peuvent être obtenus sur www.echr.coe.int . Pour s’abonner aux communiqués de presse de la Cour, merci de s’inscrire ici : www.echr.coe.int/RSS/fr ou de nous suivre sur Twitter @ECHRpress. Contacts pour la presse [email protected] | tel: +33 3 90 21 42 08 Tracey Turner-Tretz (tel: + 33 3 88 41 35 30) Céline Menu-Lange (tel: + 33 3 90 21 58 77) Nina Salomon (tel: + 33 3 90 21 49 79) Denis Lambert (tel: + 33 3 90 21 41 09)

La Cour européenne des droits de l’homme a été créée à Strasbourg par les États membres du Conseil de l’Europe en 1959 pour connaître des allégations de violation de la Convention européenne des droits de l’homme de 1950.

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