Valérie Borde Boisés de ferme, tourbières et

même ordre d'idée, le Service canadien de la faune (SCF) et le ministère de l'Environnement et de la Faune (MEF) ont lancé un projet conjoint pour étudier les.
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Vol.12, nº5 - octobre-novembre 1995 Un archipel pour la biodiversité P.23-26 - Valérie Borde Boisés de ferme, tourbières et bandes riveraines constituent autant d'îlots de nature essentiels au maintien de la biodiversité. Vus du ciel, les boisés du sud du Québec semblent bien isolés au milieu des champs. À un point tel qu'il suffirait de changer quelques couleurs sur la carte aérienne pour que ce paysage se mette à rassembler à un archipel tropical, formé de quelques îlots perdus dans l'océan. Penchons-nous maintenant sur les habitants de ces îlots. Même si, pris isolément, les animaux et les plantes de ces boisés sont très différents de leurs congénères des tropiques, globalement, ils adoptent certaines attitudes caractéristiques de la vie dans un archipel. Cette analogie permet d'étudier les relations entre un type de paysage bien particulier, les archipels, et la biodiversité qu'il renferme. Elle a déjà été utilisée aux États-Unis pour étudier la richesse biologique de différents sommets situés dans les parcs nationaux. Au Québec, l'équipe de Luc Bélanger, du Service canadien de la faune, l'applique à l'étude de l'évolution de la faune et de la flore dans les boisés dispersés en milieu agricole. Paysage: un agencement d'habitats Plus on développe et on aménage les paysages agricoles, plus on a tendance à fragmenter et à isoler les milieux naturels qui s'y trouvent, explique Luc Bélanger. Or, l'isolement et la fragmentation sont parmi les principales causes de la raréfaction et de la disparition croissante d'espèces animales et végétales. Ainsi, du point de vue des espèces animales et végétales, le paysage qu'on observe n'est ni plus ni moins qu'un assemblage de différents habitats, agencés selon une géométrie qui leur est propre. Quand on modifie ces paysages, en supprimant par exemple quelques boisés, on agit donc inévitablement sur la richesse biologique du milieu. Il y a quelques années, les biologistes travaillaient essentiellement sur les habitats eux-mêmes, raconte Jean-Luc DesGranges, chercheur au Service canadien de la faune. Maintenant, ils s'intéressent de plus en plus à l'agencement dans l'espace de ces habitats, qui forme le paysage. Nous approchons les éléments de paysage un par un, explique Luc Bélanger. Mais nous ne regardons plus un boisé, par exemple, seulement si une espèce chassée comme le cerf de Virginie vient y passer l'hiver. Nous considérons plusieurs espèces et, surtout, nous nous attardons au rôle de cette composante dans les paysages: le boisé sert-il de halte migratoire, empêche-t-il l'érosion, a-t-il une valeur culturelle ou esthétique notable? Pour l'instant, nous avons travaillé sur les boisés, les haies brise-vent et nous démarrons des études sur les étangs de ferme et les bandes riveraines. À l'Université Laval, André Desrochers, professeur en aménagement et en conservation de la faune, utilise également l'analogie des archipels pour étudier les tourbières du sud du Québec, elles aussi coincées au milieu des paysages agricoles. Pour Jean-Luc DesGranges, le maintien de la biodiversité doit être planifié à l'échelle régionale. En effet, fait-il remarquer, ce niveau de perception intègre la majorité des écosystèmes qui dépendent du cycle des perturbations naturelles, de même qu'il comprend des habitats suffisamment vastes pour assurer la viabilité des populations d'animaux à grand domaine vital. L'évolution de la richesse biologique, directement

reliée à l'état du paysage, est donc entre les mains des gestionnaires du territoire. Pour connaître précisément la richesse biologique d'un lieu, il faudrait idéalement rechercher toutes les espèces présentes, tant végétales qu'animales. Mais les moyens et le temps manquent inévitablement pour des travaux aussi exhaustifs. Pour caractériser la biodiversité, les biologistes choisissent donc des indicateurs représentatifs, comme les populations d'oiseaux. Les oiseaux, précise Luc Bélanger, ont l'avantage d'être des espèces très étudiées, bien connues et qui peuvent être facilement suivies pendant de longues périodes. Une fois que la biodiversité d'un site est déterminée à l'aide de tels indicateurs, les biologistes cherchent à établir des liens entre ces données et les caractéristiques du paysage. Dans le cas des paysages naturels morcelés, on peut prédire ce qu'il advient de la biodiversité en analysant la configuration des différents îlots dans l'archipel. Par exemple, illustre André Desrochers, on sait que les îlots les plus petits et les plus isolés sont souvent ceux qui présentent la plus faible diversité d'espèces. Comme certaines sont plus exigeantes que d'autres, on peut aussi savoir quelles espèces sont susceptibles d'abandonner en premier ces îlots. Bien sûr, l'analogie a des limites, car l'isolement des îlots dans le paysage terrestre n'est pas total. Plusieurs animaux, comme les oiseaux, sont pourtant très fidèles à leurs habitats, et encore plus fidèles à leurs lieux de reproduction. Si l'on peut prouver que l'analogie de l'archipel est pertinente avec les oiseaux, soutient M. Desrochers, alors on a toutes les chances qu'elle fonctionne avec des espèces moins mobiles. Regard satellite L'agencement du paysage influence donc directement la biodiversité. Au cours des dernières années, grâce à l'imagerie satellite et au traitement des données cartographiques par ordinateur, notre regard sur le territoire a beaucoup évolué. Ces nouvelles technologies nous permettent de mieux observer les effets d'agencement, précise Luc Bélanger. Or, ces effets géométriques jouent un rôle majeur dans les relations entre un paysage et la biodiversité qu'il abrite. Dans le cas des boisés, explique-t-il, nous nous servons de la télédétection pour caractériser les habitats présents. Grâce à des grilles d'interprétation, nous pouvons alors classer ces boisés selon leur importance pour le maintien de la biodiversité. Les paysages agricoles ne sont pas les seuls à être observés du haut des airs. Dans le même ordre d'idée, le Service canadien de la faune (SCF) et le ministère de l'Environnement et de la Faune (MEF) ont lancé un projet conjoint pour étudier les relations entre les différents types de paysages qui jalonnent les rives du Saint-Laurent et les organismes qui y vivent. Le but ultime de cette étude est de modéliser ces relations, de manière à avoir une bonne idée, à partir des seules caractéristiques du paysage, de la richesse biologique d'un site. Nous aurons alors une sorte de catalogue des paysages du littoral du Saint-Laurent, constate Jean-Pierre Ducruc, de la Direction de la conservation et du patrimoine écologique au MEF. Toujours à partir d'images satellites, les biologistes du SCF cherchent aussi à construire un modèle qui permette de déduire, à partir des caractéristiques de végétation d'une forêt, quelles sont les populations aviaires présentes. Nous sommes partis de plus de 1 000 recensements d'oiseaux réalisés en forêt dans le nord-est des États-Unis et dans l'est du Canada, qui comportaient une description botanique sommaire du paysage, raconte Jean-Luc DesGranges. Au total, on a ainsi classé les forêts en treize catégories: coupe à blanc, forêt feuillue mature, forêt de résineux jeunes, et autres. Les chercheurs construisent

actuellement un modèle capable de prédire, pour une classe de végétation et pour une superficie données, le nombre d'individus qu'on devrait observer pour chaque espèce. Des inventaires en cours à la forêt modèle du Bas-Saint-Laurent et au parc national de la Mauricie permettront de tester la validité du modèle au fur et à mesure de son élaboration. Nouveau zonage Au Québec, les recherches sur les relations entre la biodiversité et les paysages ne font que commencer. Ultimement, elles devraient permettre d'acquérir suffisamment de connaissances pour que les gestionnaires du territoire puissent mieux tenir compte de la biodiversité dans leurs décisions et respecter ainsi les principes du développement durable. Cette gestion pourrait se faire à l'échelle régionale. En premier lieu, ces recherches devront surtout permettre de construire un plan de protection globale de la biodiversité au Québec. Il faut d'abord établir une cartographie écologique du territoire québécois, précise Jean-Luc DesGranges, puis reconnaître dans cette carte les grandes régions naturelles, et ensuite imaginer un réseau d'aires protégées à partir de cette cartographie. Dans le sud du Québec, ces aires protégées seraient tantôt de propriété publique et tantôt des lots privés que leurs propriétaires se seraient engagés à préserver ou, encore, des terres sur lesquelles, par zonage, on n'autoriserait que certains usages. La première étape, celle de la mise au point d'une carte écologique, est sur le point d'être finalisée au MEF. En croisant des données obtenues à partir de diverses images satellites numérisées, nous avons divisé le Québec en 81 régions naturelles, explique Jean-Pierre Ducruc, du MEF. Au bout du compte, la carte présentera la diversité relative des paysages les uns par rapport aux autres. Grâce à cet outil, croit-il, nous pourrons alors analyser le réseau d'aires protégées existant, et voir si l'on protège effectivement des milieux représentatifs des différents paysages naturels du Québec. En principe, on enclenche alors un processus logique de protection de la biodiversité. Sur le territoire, nous allons distinguer trois types de paysages, explique Jean-Luc DesGranges. D'abord des aires protégées, puis des zones tampons ou des corridors permettant la circulation des espèces entre ces aires et, finalement, des zones d'exploitation plus intensive. Mais dans ce domaine, il y a encore beaucoup de théorie... et peu de pratique. Ainsi, on n'a encore aucune idée des superficies minimales que devraient avoir les zones protégées et les zones tampons. On ne sait pas non plus où sont situés les éléments de paysage qui pourraient servir de zones tampons ou de corridors, ajoute Luc Bélanger. Entre un boisé de ferme et une tourbière, il pourrait s'agir d'une bande de végétation sauvage longeant un ruisseau. On sait qu'un corridor doit intervenir comme couloir entre des zones protégées, jouer le rôle de filtre entre différents milieux et constituer un habitat en soi. Mais jusqu'à présent, rappelle M. Bélanger, on a toujours regardé les corridors en fonction d'espèces bien particulières, comme les orignaux, et on n'a jamais eu l'approche biodiversité. Entre paysage et biodiversité, il reste encore de nombreux liens à établir.