Position du Barreau - Projet de loi C-304 - Barreau du Québec

19 avr. 2012 - médias et les associations canadiennes des libertés civiles qui le considèrent comme une atteinte à la liberté d'expression et qui demandent ...
NAN taille 13 téléchargements 145 vues
Le 19 avril 2012 Monsieur Dave Mackenzie Président du Comité permanent de la justice et des droits de la personne 131, rue Queen, 6e étage Chambre des Communes Ottawa (Ontario) K1A 0A6 Canada

OBJET : Projet de loi C-304 Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne (protection des libertés)

Bonjour Monsieur le Président, Le 30 octobre 2011, le projet de loi C-304 - Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne (protection des libertés) a été déposé en première lecture à la Chambre des communes. Le projet de loi vise à retirer l’article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (« LCDP ») qui interdit la propagande haineuse. Le projet de loi propose aussi d’autres modifications de concordance, destinées à accompagner celle qui précède, notamment en ce qui concerne l'article 54 LCDP qui prévoit depuis 1998 une « sanction pécuniaire » pour une atteinte à l’article 13. Le Barreau du Québec a pris connaissance de ce projet de loi et désire vous faire parvenir ses observations et commentaires. L’article 13 de la LCDP est une interdiction civile qui suscite un grand intérêt chez les médias et les associations canadiennes des libertés civiles qui le considèrent comme une atteinte à la liberté d'expression et qui demandent depuis plusieurs années, que cet article soit supprimé. Tel que libellé, le projet de loi C-304 semble être destiné à répondre à cette demande et donc de promouvoir une liberté plus absolue. Le Barreau tient à réaffirmer le caractère raisonnable et proportionnel de l’interdiction de la propagande haineuse et appuyer la sanction civile prévue par l’article 13 de la LCDP. Bien que nous défendons vigoureusement la liberté d’expression selon l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés, nous sommes toutefois convaincus de la pertinence des balises législatives et jurisprudentielles qui articulent l’exercice de ce droit.

Monsieur Dave Mackenzie, Président du Comité permanent de la justice et des droits de la personne Objet : Projet de loi C-304 – Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne (protection des libertés)

Au Canada, la liberté d’expression est consacrée et protégée par l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés. Or, la portée de cette liberté ne doit pas être déterminée de façon isolée; à cet effet, l’article 319 du Code criminel interdit formellement le recours à la propagande haineuse. En outre, le Barreau du Québec tient à rappeler les obligations internationales que le Canada s’est engagé à respecter et promouvoir. Notamment, le Canada a ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques en 1976, qui consacre la liberté d’expression à l’article 19 et en définit les limites à l’article 20 notamment, en condamnant toute propagande haineuse et toute incitation à la violence. De plus, la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, ratifiée par le Canada en 1970, oblige les États parties à condamner toute propagande et toute organisation qui s’inspire ou fait la promotion de toute forme de haine et de discrimination raciale. Les États parties s’engagent à adopter immédiatement des mesures positives destinées à éliminer toute incitation à une telle discrimination ou tout acte de discrimination, mais aussi à déclarer délits punissables par la loi toute diffusion d’idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale, toute incitation à la discrimination raciale, ainsi que tout acte de violence, ou provocation à de tels actes. Ainsi, à notre avis, la suppression de l’article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne afin de souligner la valeur plutôt absolue de la liberté d’expression, n’est pas conforme avec les obligations internationales du Canada, en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ni avec les principes élaborés par la Cour suprême. En effet, bien qu’en théorie l’article 13 de la LCDP puisse être perçu comme une entrave importante à la liberté d’expression, dans la pratique, cette préoccupation a été dissipée dans l’arrêt Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor [1990] 3 RCS 892, où la Cour suprême a affirmé que l’article 13 est soumis à une interprétation stricte. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada a confirmé la constitutionnalité de l’article 13 de la LCDP, en affirmant que l’interdiction civile qu’elle prévoit est une restriction raisonnable à la liberté d’expression, conforme à la Charte et aux obligations internationales du Canada, car le maintien d’une interdiction civile protège les membres des groupes vulnérables, tels les divers groupes raciaux, culturels et religieux. La décision phare de la Cour suprême dans l’affaire Taylor, ainsi que les obligations qui découlent du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, préconisent des mesures positives afin de restreindre les messages haineux, ce qui rend légitimes des restrictions raisonnables à la liberté d’expression. Par conséquent, le Barreau du Québec s’inquiète que l’abolition de l’article 13 de la LCDP ne crée une lacune législative en ce qui concerne des sanctions civiles en rapport avec la propagande haineuse et ne laissera subsister aucune mesure permettant de combattre efficacement ce genre de discrimination, sauf des sanctions criminelles. Il

2

Monsieur Dave Mackenzie, Président du Comité permanent de la justice et des droits de la personne Objet : Projet de loi C-304 – Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne (protection des libertés)

va sans dire que des sanctions criminelles sont plus problématiques en ce qui concerne la liberté d’expression et les conséquences pour les libertés civiles. De plus, il importe également de rappeler que seul l’article 13 de la LCDP offre une certaine protection contre la propagande haineuse dirigée contre les femmes, l’article 319 du Code criminel réservant plutôt sa protection à « toute section du public qui se différencie des autres par la couleur, la race, la religion, l’origine ethnique ou l’orientation sexuelle ». Ainsi, l’abrogation de l’article 13 de la LCDP pourrait avoir des effets fortement préjudiciables à l’égard des femmes. CONCLUSION Pour ces motifs, le Barreau du Québec s'oppose au projet de loi C-304 - Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne (protection des libertés), tel que présenté. Alternativement, nous soumettons que le projet de loi pourrait être revu afin de proposer des modifications qui, tout en maintenant l'article 13 de la LCDP en vigueur, permettraient de rendre cette disposition plus conforme aux enseignements de la majorité dans l'arrêt Taylor. Plus particulièrement, nous croyons que les termes « haine [ou] mépris » compris dans le libellé de l'article 13 devraient être interprétés de sorte à refléter des émotions exceptionnellement fortes et profondes de détestation, se traduisant par des calomnies et de la diffamation. En l'occurrence, l'interprétation de ces termes ne devrait pas se limiter à la seule perception subjective de l'individu qui agit de manière offensante. Une modification du libellé de cette disposition assurerait que les tribunaux des droits de la personne demeureront bien conscients de l'objet du paragraphe 13(1) de la LCDP et qu'ils tiendront compte de la nature à la fois virulente et extrême des sentiments évoqués par ces termes. Nous soumettons également qu'il serait approprié de protéger explicitement la liberté d'expression dans le paragraphe 13(1) de la LCDP, afin de s'assurer que les activités d'expression, qui font l'objet d’une analyse sous cette disposition, puissent jouir de la protection la plus large possible. En espérant le tout utile à votre réflexion, veuillez recevoir, Monsieur le Président, nos salutations les plus distinguées. Le bâtonnier du Barreau du Québec,

Louis Masson, Ad. E. LM/AVA/vs Réf. : 194

3