Les limites légales du crowdfunding - Agefi.com

11 nov. 2015 - Suisse a ratifié la Convention de. La Haye sur les trusts en 2007, nous avons essayé de convaincre les autorités de réglementer ce secteur. Cette obligation d'auto- risation pour les trustees consti- tue une première étape que nous saluons. Pourquoi la Suisse ne s'est-elle pas dotée d'une réglementation.
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SUISSE

PAGE 4 mercredi 11 novembre 2015

Les avoirs de Gérin ne sont pas aux Bahamas JEAN-MARIE LE PEN. Son majordome a régularisé fiscalement sa fortune en France. Où il l’a transférée.

Une mesure très favorable pour les trusts en Suisse Les trustees devront obtenir une autorisation pour exercer d’ici 2017-2018. Ce qui réjouit les représentants du secteur.

IAN HAMEL

Interrogé par L’Agefi à Genève, l’avocat et ancien bâtonnier Marc Bonnant est catégorique: c’est lui qui gère le trust Balerton Marketing Limited, immatriculé aux Iles Vierges britanniques. Contrairement à ce qui a beaucoup été écrit dans la presse française, «les actionnaires ne sont toutefois ni Jean-Marie Le Pen, ni sa fille Marine, ni aucun autre membre de la famille. Il s’agit d’un Français, un proche de Jean-Marie Le Pen.» Une autre source confirme en France qu’il s’agit bien de Gérald Gérin, le majordome de Jean-Marie Le Pen, par ailleurs trésorier de deux de ses associations de financement, Cotelec et Promelec. C’est ce qu’affirmait le site d’information Mediapart en avril dernier, mais les intéressés avaient toujours démenti. Gérald Gérin, 41 ans, dont le domicile à Rueil-Malmaison a fait l’objet de perquisitions la semaine dernière (diligentées par le parquet national financier français), vit dans une annexe de la résidence de Jean-Marie Le Pen et de son épouse Jany. Depuis que JeanMarie Le Pen, fondateur du Front national, a été couché sur le testament d’Hubert Lambert, héritier de la dynastie des ciments Lam-

bert disparu en 1976, des centaines d’articles de presse et quelques ouvrages ont évoqué des montagnes d’argent cachés dans les banques suisses. Depuis bientôt quarante ans toutefois, les preuves de ces accusations font régulièrement défaut. Le compte de la société Balerton, d’abord géré par HSBC, puis par la Compagnie bancaire helvétique (CHB), était crédité de 2,2 millions d’euros, dont 1,7 million en lingots et pièces d’or. Toutefois, contrairement à des informations publiées par la presse française, l’argent détenu sur le compte appartenant au trust Balerton Marketing Limited n’a pas été viré aux Bahamas en mai 2014. «Les avoirs ont été transférés en France, répond Marc Bonnant. Ils sont aujourd’hui aux mains du fisc. Le détenteur a simplement voulu régulariser sa situation.» Marc Bonnant précise avoir rencontré une seule fois le leader d’extrême droite, mais dans d’autres circonstances. «C’était il y a un quart de siècle. Avant un débat télévisé, Jean-Marie Le Pen tenait à connaître mon opinion sur la liberté d’expression en Suisse. C’est un homme intelligent et cultivé. Je suis plus réservé concernant ses positions politiques…»n

A partir de 2017 ou 2018, l’ensemble des fournisseurs de services financiers devraient être soumis à autorisation en Suisse, y compris les trustees. C’est ce que prévoit le projet de loi définitif du paquet LSFin-LEFin (lois sur les services et les établissements financiers), qui sera soumis au Parlement en début d’année prochaine (L’Agefi d’hier). L’opinion d’Alexandre von Heeren, président de la SATC - la Swiss Association of Trust Companies. Que pensez-vous de l’obligation pour les trustees d’obtenir une autorisation en Suisse?

Nous sommes très contents car nous voulions cette mesure et nous y avons travaillé depuis longtemps. Depuis que nous avons créé la Swiss Association of Trust Companies, lorsque la Suisse a ratifié la Convention de La Haye sur les trusts en 2007, nous avons essayé de convaincre les autorités de réglementer ce secteur. Cette obligation d’autorisation pour les trustees constitue une première étape que nous saluons. Pourquoi la Suisse ne s’est-elle

pas dotée d’une réglementation sur les trusts?

La Suisse est la seule place financière qui se permet de ne pas offrir à ses clients un mix de services bancaires et de structuration patrimoniale. Pour des familles ayant des liens avec différentes juridictions, les services de structuration constituent le seul moyen de ne pas être exposées à des lois qui n’ont pas été pensées pour un contexte international. Or les trusts sont une réalité en Suisse, donc le pays a besoin de les encadrer. L’administration ne voulait peut-être pas encourager le développement d’outils comme les trusts, qui n’ont pas exactement bonne réputation, non?

Le trust n’a effectivement pas la meilleure réputation du monde, à tort car cette réputation provient d’abus constatés ces trente dernières années dans le domaine fiscal essentiellement, alors que le trust existe depuis des siècles. Les places financières concurrentes comme Bahamas, les BVI ou Jersey se sont dotées de cet instrument afin de favoriser leur développement, en créant des in-

teractions avec l’activité bancaire. Le succès des banques suisses a été tel que le pays n’a apparemment jamais eu besoin de s’intéresser aux trusts. Mais le trust conservera des atouts uniques avec l’échange automatique de renseignements, sans aucune considération fiscale d’ailleurs. Quels atouts?

Le trust restera le seul moyen d’éviter une double transmission dans le cadre de l’échange d’information. Prenons l’exemple d’un trustee basé à Singapour, qui détient le pouvoir sur un compte bancaire à Genève, pour un ayant droit économique italien. Sans trust, le fisc italien recevra des informations sur le compte genevois et de la part du trustee basé à Singapour. Comme les règles ne sont pas exactement identiques dans tous les pays, le fisc italien recevra deux types de données sur un même montant. Le client devra peut-être expliquer qu’il ne détient pas deux fois ce montant, et il supportera en tout cas deux fois les frais liés à la double transmission de renseignement.

FINANCEMENT PARTICIPATIF. La Suisse se place en 13e position en Europe. En cause, la difficulté de trouver des banques agissant comme dépositaire.

Quelles sont les règles qui encadrent le financement participatif en Suisse?

Il existe plusieurs règles auxquelles on peut faire référence, mais il n’existe pas de loi spéciale couvrant le financement participatif en Suisse, contrairement à nos voisins européens, notamment anglo-saxons. La Circulaire Finma (2008/3) concerne les dépôts du public auprès d’établissements non bancaires. La Finma considère - dans certains cas - que l’activité des plateformes de crowdfunding ou celle des entreprises (start-up) qui lèvent des

fonds via de telles plateformes pourrait être considérée comme une activité de dépôt et tomberait ainsi sous l’application de cette circulaire. Cela étant, l’activité de crowdfunding ne vise pas une activité dépôt et ne devrait en principe pas être considérée comme une activité d’appel au public pour obtenir des fonds en dépôt, dès lors que sont typiquement des actions (crowdinvesting) ou des obligations (crowdlending) qui seront attribuées aux investisseurs, et non des dépôts. Une activité de crowdfunding signifie-t-elle forcément un dépôt?

C’est là tout le débat. Pour ma part, j’estime que l’investisseur achète une action ou une obligation, mais ne recherche pas un «dépôt» au sens de la Loi sur les banques, de son ordonnance d’application et de la Circulaire Finma susmentionnée. L’Ordonnance sur les banques ainsi que cette Circulaire indiquent même expressément que les emprunts par obligations (émis en grand nombre et sous une forme standardisée) ne sont pas considérés comme des dépôts. Cela étant, la question d’un dépôt peut se poser par exemple dans l’hypothèse où le projet inhérent au crowdfunding ne voit jamais le jour et que l’argent levé est rendu (par hypothèse avec des intérêts) au client. Cette problématique est traitée au cas par cas. Il convient de structurer la plateforme de crowdfunding

afin de s’assurer qu’il ne s’agit pas d’une activité bancaire soumise à autorisation, et de demander le cas échéant une confirmation (demande de ruling) à la FINMA. Chaque dossier est différent et requiert une structuration juridique. Il existe quatre formes d’investissement participatif: le crowdinvesting ou crowdfunding equity (sous forme d’investissement en actions en faveur de l’investisseur), le crowdlending (sous forme de prêt), le crowdfunding reward based (sous forme de contre-prestation en nature en faveur de l’investisseur) et le crowddonating (sous forme de don sans contre-prestation en faveur de l’investisseur). La Circulaire FINMA 2008/3, d’un côté et la règle des 20 du Code des Obligations, de l’autre, constituent-elles un obstacle à l’essor du crowdfunding en Suisse?

La problématique est complexe. La situation doit être analysée au cas par cas (selon la structure de la plateforme de crowdfunding). Il est clair que ces problématiques doivent donc être adressées. S’agissant de la règle des 20 en vertu du Code des obligations, ce chiffre de «20» ne figure pas en tant que tel dans le Code des obligations. Le Code des obligations indique simplement qu’en cas de mise en souscription publique d’une action nouvelle ou d’emprunt, il convient d’établir un prospectus respectant un contenu

minimum déterminé par le Code des obligations. La question se pose pour le crowdinvesting et le crowdlending. Il est clair qu’une diffusion par internet remplit a priori le caractère «public» de l’offre. Cela étant, la préparation d’un prospectus ne devrait pas constituer un obstacle majeur à l’essor du crowdfunding, dès lors que ce dernier peut être établi dans des coûts raisonnables. S’agissant de la Circulaire FINMA 2008/3, cela requiert également une analyse au cas par cas. La structuration de la plateforme liée à une demande de ruling auprès de la FINMA permettent de s’assurer que le projet n’est pas considéré comme un appel public pour du dépôt. Cela a certes un coût, mais encore une fois sous contrôle. L’une des règles à respecter pour éviter que la plateforme de crowdfunding ne soit pas considérée comme faisant de l’appel public pour du dépôt est de ne jamais avoir l’argent des investisseurs sur le compte de la plateforme. Enfin, il ne faut pas mélanger ces deux règles. L’exigence de prospectus en vertu du Code des obligations relève du droit privé, alors que la question du «dépôt» relève de la Loi sur les banques et par conséquent de la réglementation (obligation d’être titulaire d’une autorisation en tant que banque). Je précise qu’il y a d’autres lois qui s’appliquent, notamment la Loi sur le blanchiment d’argent et la Loi sur les bourses et le com-

Le trustee devra avoir des connaissances dans le domaine des trusts, il devra suivre des règles d’organisation internes et disposer d’une garantie financière. Nos membres sont déjà tenus d’avoir une assurance professionnelle adaptée à leur activité. Finalement, quelle importance a le secteur des trusts en Suisse?

C’est difficile à dire, car les trustees ne sont pas supervisés sauf pour le blanchiment. On estime que parmi la clientèle internationale des banques suisses, au-delà d’un certain montant, plus de la moitié de ces clients sont structurés d’une manière ou d’une autre, avec un fonds familial, une fondation ou un trust. Dans le détail, on compte une centaine de trustees professionnels dans le pays et de trois à quatre fois plus de trustees occasionnels, qui sont par ailleurs gérants, avocats ou fiduciaires. En tout, le secteur des trusts occupe probablement entre 2000 et 3000 personnes en Suisse. INTERVIEW:

Quelles seront les conséquences

Les limites légales du crowdfunding De nombreuses initiatives voient le jour en matière d’investissement participatif en Suisse. Une trentaine de sites existe, mais le pays n’occupe que la 13e position en Europe après l’Estonie et loin derrière le Royaume-Uni et la France. La réglementation n’explique qu’en partie ce retard pris sur les voisins européens. La culture anglo-saxonne traditionnellement est bien plus avancée visà-vis du crowdfunding. En outre, en tant que «simple» banque dépositaire, les gains pour les banques sont limités, ce qui ne les incite pas forcément à soutenir ces nouveaux modes de financements concurrentiels, sous réserve des quelques banques. Alexandre de Boccard, avocat en l’Etude Ochsner & Associés à Genève, répond aux questions de L’Agefi sur les limites légales au crowdfunding en Suisse.

pratiques de cette obligation d’autorisation, si le projet de loi est accepté tel quel?

SÉBASTIEN RUCHE

Event sur le crowdfunding à Genève

merce de valeurs mobilières (LBVM). La présence d’une banque agissant comme escrow agent permet de résoudre un certain nombre de questions sur le plan réglementaire.

L’association dédiée organise une table ronde lors de la présentation du premier livre blanc. L’occasion de débattre de la réglementation suisse.

La taille du marché du crowdfunding en Suisse a atteint 15 millions en 2014. Quels sont les autres facteurs limitatifs à son développement?

Le 17 novembre à l’Impact Hub Geneva aura lieu la soirée de lancement du premier livre blanc sur le financement participatif en Suisse. L’initiative de cet évènement revient à la Swiss crowdfunding Association qui invite plusieurs acteurs du secteur. Son président, Vincent Pignon, accueillera les intervenants composés de Alexandre de Boccard, avocat chez Ochsner & Associés, sur la perspective légale; Anca Draganescu-Pinawin de Novagraaf sur la propriété intellectuelle; Maxime Pallain de Raizers sur les challenges et opportunités et Amanda Byrde de l’Impact Hub Geneva avec son témoignage sur sa campagne de crowdfunding. Une table ronde sera animée par Jonathan Normand, membre du conseil de la Swiss crowdfunding Association. Un des thèmes abordés sera la réglementation suisse du financement participatif, obstacle ou soutien à l’essor du crowdfunding. Une réunion est prévue avec la Finma prochainement dans le but de trouver des solutions. La Suisse se classe en treizième position en Europe avec seulement une trentaine de sites existants.n

Selon mon analyse, la règlementation ne suffit pas à elle seule à expliquer le volume très bas du crowdfunding en Suisse. Il s’agit peut-être d’une différence culturelle, dans la mesure où nous n’avons pas forcément l’habitude d’investir par internet dans une start-up. Ce mode d’investissement peut être considéré à l’heure actuelle comme «alternatif» en Suisse. Les anglo-saxons sont probablement beaucoup plus avancés que nous en la matière. En outre, il est difficile pour les plateformes de crowdfunding de trouver des établissements bancaires qui agissent en tant que banque dépositaire/escrow agent. Cela étant, je pense que les investissements par le biais de telles plateformes de crowdfunding vont augmenter dans les prochaines années. Le travail de communication et de la Swiss Crowdfunding Association permet de mieux faire connaître ce mode très intéressant de financement. INTERVIEW: ELSA FLORET