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l'Etat et le Conseil national des barreaux, relative à la communication électronique entre les juridictions ordinaires du premier et second degré et les avocats ;.
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Patrice SPINOSI Avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation 27 Boulevard Raspail 75007 PARIS

CONSEIL D’ÉTAT

SECTION DU CONTENTIEUX REQUETE INTRODUCTIVE D’INSTANCE

POUR :

L’Ordre des avocats du Barreau de Marseille, dont le siège est situé 51, rue Grignan à MARSEILLE (13006), pris en la personne de son bâtonnier domicilié en cette qualité à l’Ordre et dûment habilité à agir en justice Monsieur Jacques JANSOLIN, avocat au barreau de MARSEILLE, domicilié 27 rue Grignan 13006 MARSEILLE Monsieur Christian BAILLON PASSE, avocat au barreau de MARSEILE, 39, rue Paradis 13001 MARSEILLE Monsieur Bernard KUCHUKIAN, avocat au barreau de MARSEILLE, domicilié 29 rue Lulli, 13001 MARSEILLE Monsieur Jean de VALON, avocat au barreau de MARSEILLE, domicilié 18, rue Stanislas Torrents, 13006 MARSEILLE Madame Catherine PONTIER de VALON, avocat au barreau de MARSEILLE, domicilié 18, rue Stanislas Torrents, 13006 MARSEILLE Madame Nathalie KERDREBEZ GAMBULI, avocat au barreau du Val d'Oise, 16 rue Adrien Lemoine 95300 PONTOISE Ayant pour avocat Maître Patrice SPINOSI, avocat au Conseil d’Etat

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CONTRE :

1°) la décision du Président du Conseil National des Barreaux de signer la convention conclue le 16 juin 2010 entre l’Etat et le Conseil national des barreaux, relative à la communication électronique entre les juridictions ordinaires du premier et second degré et les avocats ; 2°) la décision du Ministre de la justice et des libertés de signer la convention conclue le 16 juin 2010 entre l’Etat et le Conseil national des barreaux, relative à la communication électronique entre les juridictions ordinaires du premier et second degré et les avocats ; 3°) les clauses réglementaires de la convention conclue le 16 juin 2010 entre l’Etat et le Conseil national des barreaux, relative à la communication électronique entre les juridictions ordinaires du premier et second degré et les avocats.

Les exposants, défèrent les décisions susvisées à la censure du Conseil d’Etat en tous les faits et chefs qui leur font grief. Dans un mémoire complémentaire qui sera ultérieurement produit, les requérants feront valoir notamment les considérations de fait et les moyens de droit suivants.

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FAITS I. Dans le cadre de la mise en place d’un réseau numérique destiné à permettre l’accès virtuel aux informations relatives aux procédures en cours devant les juridictions judiciaires, le Conseil national des barreaux (CNB), en lien avec les différents barreaux présents sur l’ensemble du territoire, a développé le Réseau Privé Virtuel des Avocats (RPVA). Ce système ayant vocation à comporter de nombreuses déclinaisons techniques, le Conseil national des barreaux s’est rapproché du Ministère de la justice et des libertés afin de mettre en place un système destiné à organiser la communication électronique entre les juridictions ordinaires du premier et second degré d’une part, et les avocats d’autre part. C’est à cette fin qu’il a conclu avec le Ministre une convention en date du 16 juin 2010, laquelle se substitue, selon son préambule, à une précédente convention conclue le 28 septembre 2007. Ce texte entend donc régir les modalités et les conditions de consultation et d’échanges électroniques de documents et données relatifs aux affaires civiles et pénales traités par ces juridictions et les avocats, soit les Tribunaux d’instance, les Tribunaux de Grande Instance et les Cours d’appel. La présente requête tend à l’annulation, d’une part, des décisions de signer la convention conclue le 16 juin 2010 et des clauses réglementaires de cette convention, d’autre part.

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DISCUSSION

I. A titre liminaire, il est nécessaire de préciser que la convention litigieuse est un contrat administratif, dès lors qu’elle est signée par le Ministre de la justice et un organisme à compétence nationale disposant d’un pouvoir réglementaire lui permettant de définir les règles générales applicables à une profession réglementée. Le critère organique apparaît donc rempli en l’espèce. Par ailleurs, la convention du 16 juin 2010 vise à fixer les modalités et les conditions de consultation et échanges électroniques de documents relatifs aux affaires civiles et pénales entre les juridictions ordinaires du premier et second degré et les avocats, dans le cadre du service public de la justice. Le critère matériel du contrat administratif semble donc également rempli, dans la mesure où cette convention peut être regardée comme constituant une modalité d'exécution du service public, tel que défini par l’arrêt CE, 20 avril 1956, Grimouard du Conseil d'Etat. Il s'agit en effet de définir la technique choisie par l'administration pour assurer le service public dont elle a la charge. Enfin, la convention litigieuse a pour but de confier au CNB la mission de fournir à l’administration les moyens nécessaires à la mise en place du système de communication projeté. Ce faisant, celui-ci participe donc bien à l’exécution du service public de la justice. La nature de cette convention ne souffre aucune difficulté.

II. Par ailleurs, il y a lieu de souligner que les clauses de cette convention présentent un caractère réglementaire. En effet, cet accord ayant pour objet de définir et de prévoir les modalités techniques de mise en place d'un système de communication ayant vocation à concerner tous les avocats de France, le CNB et le Ministre de la justice ont clairement entendu fixer les règles applicables à l’ensemble des avocats de France.

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Ces stipulations engagent l’ensemble de la profession quant au choix des moyens et de la technique utilisée pour accéder aux informations relatives aux procédures judiciaires en cours, et imposent des sujétions aux différents Barreaux sans que ces derniers n’aient au demeurant pu faire valoir leur point de vue. En particulier, l’article 3 de la convention, relatif aux obligations des parties et des personnes participant à la communication électronique, stipule que : « (…) 2) Le Conseil national des barreaux : -

Est responsable de la mise en place de l’infrastructure technique permettant le raccordement de l’équipement terminal des avocats au RPVA sauvegardant les principes de confidentialité et de secret professionnel ;

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(…)

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Détermine en concertation avec le Ministère de la justice et des libertés les modalités de l’interconnexion du RPVA avec le RPVJ autorisant un accès unique national entre les deux réseaux indépendants à usage privé et sauvegardant les principes de confidentialité et de secret professionnel qui permettent la communication électronique de la présente convention

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Met en œuvre l’ensemble des mesures générales et particulières prises pour garantir la fiabilité de l’identification des avocats parties à la communication électronique, l’intégrité des documents adressés, la sécurité et la confidentialité des échanges, l’établissement avec certitude de la date d’envoi et de celle de la réception par le destinataire ainsi que l’utilisation des procédés de communication conforme aux finalités de la convention

3) L’ordre des avocats :

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Détermine en concertation avec les juridictions ordinaires du premier et second degré les modalités de mise en œuvre organisationnelle de la communication électronique en matière civile comme en matière pénale ; Met en œuvre l’organisation et la gestion des informations nécessaires à l’inscription et à la résiliation de l’inscription des avocats du barreau à « ComCI CA et ComCI TGI ».

4) L’avocat qui choisit de s’inscrire « ComCi CA et ComCi TGI » s’oblige à respecter, pour ce qui le concerne, l’ensemble des obligations de la présente convention et notamment les modalités techniques de raccordement au RPVA de l’équipement terminal de son cabinet ». Ces dispositions, données à titre d’exemple, sont clairement réglementaires. La convention litigieuse fixe en outre de nombreuses dispositions relatives à la sécurité du réseau projeté, aux conditions d’accès des avocats, aux obligations incombant aux juridictions elles-mêmes, ainsi qu’une série d’autres mesures de nature réglementaire par ailleurs déterminées par des considérations techniques fournies par le biais d’une annexe.

III. Dans ces conditions, et en vertu de la théorie jurisprudentielle des clauses réglementaires des contrats administratifs, le présent recours en excès de pouvoir est recevable en ce qu’il est dirigé contre de telles clauses. Il est admis, depuis l'arrêt ayant fondé le courant jurisprudentiel qui s'y rapporte, soit la décision d'assemblée CE, 10 juillet 1996, Cayzeele, n° 138.536, que les clauses réglementaires contenues dans un contrat administratif peuvent faire l'objet d'un recours en excès de pouvoir, même en l'absence d'un décret d'approbation. De plus, dans une décision récente, CE 8 avril 2009, Alcaly, le Conseil d'Etat a abandonné la condition nécessaire qu'une clause réglementaire soit divisible pour pouvoir être annulée, en considérant que de telles clauses sont par nature divisibles du reste du contrat.

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IV - En tout état de cause, le présent recours est aussi dirigé à l'encontre des décisions prises tant par le Ministre que le président du CNB de signer la Convention du 16 juin 2010. Dans ces conditions, le conseil retiendrait-il que les clauses critiquées ne présenteraient pas un caractère réglementaire que le recours n'en serait pas moins fondé. (Voir inter allia, CE 28 mai 2010, Ensenconfiance, recours n°328.731, a paraitre au table.)

Sur la compétence du Conseil d’Etat V. Les clauses réglementaires contenues dans la convention litigieuse ayant été prises par le Ministre de la justice et le Conseil national des Barreaux, organisme ayant pour objet, dans l’exercice de son pouvoir réglementaire, de fixer et d’unifier les règles applicables à la profession d’avocat, le Conseil d’Etat est compétent pour en connaître, en vertu des dispositions de l’article R. 311-1 du Code de justice administrative : « Le Conseil d'Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort : (…) 2° Des recours dirigés contre les actes réglementaires des ministres et des autres autorités à compétence nationale et contre leurs circulaires et instructions de portée générale ».

Sur la légalité externe

VI. En premier lieu, le Président du Conseil national des barreaux n’était compétent ni pour décider de signer ce contrat au nom du Conseil national des barreaux, ni pour le signer. Le Président du Conseil national des barreaux n’a en effet pas été habilité par son assemblée générale à conclure un tel accord avec le Ministre de la justice. De ce premier chef, la censure est acquise.

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VII. En second lieu, la décision du Président du CNB de signer la convention et les clauses réglementaires litigieuses ont été stipulées par une autorité incompétente, en ce que le Conseil national des barreaux ne pouvait signer cette convention contenant des clauses réglementaires ayant pour objet d’imposer les règles et les modalités techniques d’accès au système de communication mettant en lien les avocats et les juridictions ordinaires du premier et second degré, sans méconnaître les dispositions de l’article 21-1 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques. En effet, il ne ressort pas des termes de ces dispositions que la mission confiée par le législateur au CNB pour définir les règles et usages applicables à la profession d’avocat lui confie une compétence générale pour prendre des dispositions intéressant le fonctionnement du service public de la justice. VII-1 De même, le Ministre de la justice et des libertés n’était pas compétent pour décider de signer et signer cette convention, sans méconnaître les dispositions des articles 34 et 37 de la Constitution. En effet, les clauses réglementaires de la convention litigieuse ayant pour objet de fixer les règles applicables à l’accès à l’information relative aux procédures judiciaires se déroulant devant les juridictions civiles et pénales, elles concernent directement les garanties fondamentales accordées aux citoyens, par l’intermédiaire de leur avocat, pour l’exercice de leur droit de se voir garantir un accès confidentiel et libre aux données essentielles à leur défense dans le cadre d’une instance judiciaire. L’intervention du législateur était donc indispensable pour intervenir dans cette matière. De ce second chef, la censure est certaine.

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Sur la légalité interne

VIII. En troisième lieu, les décisions de signer la convention du 16 juin 2010 sont illégales en ce que les stipulations contractuelles de ce texte sont elles-mêmes entachées d’illégalité. La convention litigieuse, et en particulier ses clauses réglementaires, instaurent en effet une rupture d’égalité dans l’accès au fonctionnement du service public de la justice. Les sujétions techniques, administratives et financières relatives à l’accès à la communication électronique, telles qu’elles ressortent tant des dispositions de la convention que de ses annexes, ne sont pas identiques selon les barreaux. De sorte que d’importantes différences de traitement sont instaurées au détriment des avocats en fonction de leur rattachement à un Barreau donné, ainsi qu’au détriment des justiciables eux-mêmes, selon le Barreau de rattachement de leur avocat. En particulier, il doit être souligné que l’annexe de la convention litigieuse prévoit que le Barreau de PARIS, dès lors qu’il a dores et déjà mis en place son propre système de communication, n’est pas concerné par les dispositions pourtant imposées à l’ensemble des autres Barreaux. Ainsi, et notamment, seuls les avocats inscrits à l’Ordre des avocats au Barreau de PARIS pourront accéder à la plateforme « e-barreau », consacrant ainsi sa particularité. S’il est compréhensible que le Conseil National des Barreaux se montre soucieux de déterminer un cahier des charges communs à l’ensemble des Barreaux de France, il n’est cependant guère justifié que le Barreau de PARIS conserve une solution déjà existante pour ce seul motif, et qu’il soit dans le même temps imposé aux autres Barreaux un système unique. A moins de leurs permettre, sous réserve du respect de règles communes à l’ensemble des Barreaux sans exception, de conserver les systèmes qu’ils utilisent déjà à l’heure actuelle.

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De sorte que, en l’état, la convention litigieuse instaure bien une rupture d’égalité justifiant l’annulation des clauses qui en sont à l’origine. Et ce d'autant plus que la rupture d'égalité dénoncée ne concerne pas seulement les avocats tenus à utiliser les boitiers Navista mais aussi l'ensemble des justiciables lesquels sont les usagers finaux du service public de la justice. De ce chef à nouveau, l’annulation est requise.

IX. En quatrième lieu, la convention du 16 juin 2010 porte atteinte au principe de la libre concurrence, notamment au regard des dispositions des articles L. 420-1 et suivants du Code du commerce, en ce qu’elle a pour effet d’imposer, par des clauses réglementaires, des sujétions techniques entraînant des surcoûts importants pour les avocats rattachés aux Barreaux de province. En effet, et à titre d’exemple, l’installation d’un boîtier technique particulier rendu obligatoire par les termes de la convention litigieuse n’est pas adaptée à la plupart des cabinet d’avocats français, lesquels vont devoir soit investir dans la mise d’un dispositif coûteux et inefficace alors même que les équipements informatiques existants apparaissent déjà largement suffisants pour accéder de manière efficace et sécurisée au réseau, soit, à défaut, se déplacer systématiquement à la Maison de l’avocat pour y accéder. De telles sujétions avantagent un certain nombre, au demeurant fort limité, de cabinet d’avocats existants utilisant déjà un tel système, au détriment de la majorité des avocats de France qui n’auront aucune autre alternative que de se plier aux choix arrêtés sans concertation par le Ministre de la justice et le CNB. De ce chef à nouveau, l’annulation est inévitable.

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PAR CES MOTIFS, et tous autres à produire, déduire, suppléer, au besoin même d’office, les exposants concluent à ce qu’il plaise au Conseil d’Etat : - ANNULER, la décision du Président du Conseil National des Barreaux de signer la convention conclue le 16 juin 2010 entre l’Etat et le Conseil national des barreaux, relative à la communication électronique entre les juridictions ordinaires du premier et second degré et les avocats ; - ANNULER, la décision du Ministre de la justice et des libertés de signer la convention conclue le 16 juin 2010 entre l’Etat et le Conseil national des barreaux, relative à la communication électronique entre les juridictions ordinaires du premier et second degré et les avocats ; - ANNULER, les clauses réglementaires de la convention conclue le 16 juin 2010 entre l’Etat et le Conseil national des barreaux, relative à la communication électronique entre les juridictions ordinaires du premier et second degré et les avocats. - METTRE A LA CHARGE de l’Etat et du Conseil national des barreaux la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article L.7611 du code de justice administrative ;

Avec toutes conséquences de droit.

Patrice SPINOSI Avocat au Conseil d’Etat

Production : - Convention et ses annexes conclue le 16 juin 2010 entre l’Etat et le Conseil national des barreaux, relative à la communication électronique entre les juridictions ordinaires du premier et second degré et les avocats.