Compétences numériques : un enjeu européen pour l'innovation et la ...

10 févr. 2014 - En même temps, une nouvelle réalité démographique est en train de s'établir avec une forte proportion de .... La bulle internet a explosé parce.
666KB taille 2 téléchargements 179 vues
« Compétences numériques : un enjeu européen pour l'innovation et la compétitivité de demain » Compte-rendu de la conférence organisée en partenariat avec le CIGREF et la Lettre du Digital le 10 février 2014

Les intervenants de cette conférence étaient : Stimuler la compétitivité, la croissance et l’emploi en Europe  André RICHIER - European Commission, DG Enterprise and Industry Positionnement des acteurs de la formation et de l’enseignement en France  Gilles BABINET - « Digital Champion » : responsable des enjeux du numérique pour la France auprès de la Commission européenne  Emmanuel CARLI - Directeur Général d'EPITECH  Stéphane NATKIN - Professeur titulaire de la chaire Systèmes Multimédia au CNAM Paris et membre du conseil d’administration du CNAM  Didier TRANCHIER - Professeur d'Innovation à l'Institut Mines-Telecom, Président d'Adelit, Coach à Stanford et à l'Ecole Polytechnique Quels sont les besoins à 2020 en compétences numériques pour les entreprises ? Comment former pour adresser de nouveaux territoires connus ou inconnus ?  Gilles BABINET - « Digital Champion » : responsable des enjeux du numérique pour la France auprès de la Commission européenne  Jacques FROISSSANT - CEO ALTAÏDE Head Hunter, Recruitment, HR 2.0  Jean-Marc GUIOL - Représentant du groupe de travail RH EuroCIO et en charge des Systèmes d’Information RH à la DSI de Total  Véronique TORNER - Co-fondatrice et Co-présidente d'Alterway - Administratrice du Syntec numérique et présidente de la commission PME de Syntec Numérique.  Eric VIENNOT - Co-fondateur et directeur artistique de Lexis Numérique

Stimuler la compétitivité, la croissance et l’emploi en Europe Les nouveaux écarts mondiaux La conjonction de la baisse des inégalités de revenus entre pays, de la monté de la classe moyenne et des taux de croissance élevée entrainent l’apparition d’une nouvelle catégorie de consommateurs au niveau mondial En même temps, une nouvelle réalité démographique est en train de s’établir avec une forte proportion de jeunes dans les pays en développement (le nombre de travailleur en Afrique et en Asie doublera entre 1990 et 2020) et un accroissement de la pression migratoire vers les zones d’emplois qualifiés. Il est peu probable que l'emploi puisse rattraper la croissance de la population active.

Enfin dans nos régions on assiste à un déficit démographique qui pourrait conduire à la stagnation de la production économique et à un vieillissement de la population entrainant une diminution du nombre de travailleur et une hausse des dépenses liée à l'âge.

Une demande de compétences numériques en croissance Aujourd’hui, l’évolution du numérique fait que les modèles d’entreprises traditionnelles disparaissent. Les métiers se transforment, certains disparaissent, mais la demande s’accélère dans les domaines à très forte expertise et valeur ajoutée. On assiste à une demande accrue de compétences spécialisées dans l'informatique, les sciences, l'ingénierie et les technologies et ceci dans tous les secteurs. L’écosystème Internet continue de créer 2,6 emplois pour 1 détruit. Mais l’écart sur le marché du travail, entre les travailleurs peu et hautement qualifiés semble s’accroitre. Dans ce contexte, malgré la crise de 2008 la demande en compétences est donc très forte. On considère qu’en 2012 environ 300 000 emploi liés au numérique étaient vacants en Europe. A l’horizon 2015 ce sera environ 500 000 emplois qui seront non satisfaits et les scenarios les plus optimistes donnent entre 700 000 et 900 000 emploi vacants en 2020. Paradoxalement, on constate une baisse de candidats appropriés : à partir de 2003, il y a de moins en moins de jeunes qui s’inscrivent dans les filières IT. Hormis l’Allemagne et la Pologne, tous les pays ont subi un tassement de l’emploi. Il y a donc un véritable défi pour convaincre d’adapter les formations aux nouveaux domaines émergeants de l’économie numérique comme l’analyse des données, les nouvelles architectures, les nouveaux modes de management etc.

L’action européenne L’Europe a tiré la sonnette d’alarme dès 2007. En mars 2013, Manuel Barroso a lancé une grande coalition emploi-éducation-industrie en mobilisant les acteurs européens. L’objectif est de dynamiser et donner un électrochoc à l’écosystème numérique En octobre 2013, le Conseil européen des chefs d’état et de gouvernements s’est penché sur la question du numérique pour bâtir plusieurs scénarios avec des outils de discussion communs à l’ensemble des acteurs. Mais les niveaux de maturité des économies numériques varient d’un pays à l’autre, et notamment les actions liées à la promotion et au développement des compétences. Or il est démontré qu’il y a une forte corrélation entre la dynamique de promotion du développement des compétences numériques et le degré de maturité, dans les infrastructures numériques par exemple. Le Conseil de des Ministres en octobre a donc décidé : -

De reconnaitre et amplifier les objectifs de la grande coalition pour les compétences numériques De mieux utiliser les fonds structurels et sociaux D’essayer d’évaluer les plans de formation nationaux fournis par les états De définir une plus grande cohérence entre les politiques de formation et les plans de financement.

Aujourd’hui en 2014 une certaine dynamique a été mise en place : une douzaines de coalitions régionales sont en préparation, qui se concentrent sur des engagements tels que la facilitation du

recrutement, les stages, les formations en ligne et les initiatives relatives à l’employabilité tout au long de la vie.

Les premiers résultats et outils e-Competence Framework : Un des principaux résultats de ces actions commencées en 2007 est la définition d’un référentiel européen et partagé de compétences numériques : l’e-Competence Framework (e-CF). Répondant à une forte demande de la part de multinationales comme Daimler et Airbus, l’e-CF est une plateforme de convergence qui permet de dialoguer dans un langage commun sur les compétences numériques. C’est la pierre angulaire d’une stratégie pour faire avancer la maturité des industries informatiques et plus globalement de l’écosystème numérique. e-Leadership : Beaucoup d’investissements effectués dans des startups sont des échecs en raison d’un manque de leadership et de coaching des équipes de développement. Développer l’e-leadership chez les managers et dirigeants a semblé essentiel. Mais les potentiels et formations pour développer cette compétence sont très peu nombreux. L’Europe a donc essayé de développer, sur la base des meilleures pratiques, des briques à intégrer dans des parcours de formation. Ces éléments étant disposition des différents acteurs européens pour leur permettre de développer des formations adaptées

Positionnement des acteurs de la formation et de l’enseignement en France Le numérique concerne tout le monde « Le numérique n’est pas lié à l’informatique » (Stéphane NATKIN). Il entre dans une vision transverse qui n’est pas que technique et qui associe de multiples compétences. On aura toujours besoin d’ingénieurs en informatique avec une double compétence, mais ils devront surtout savoir travailler avec une grande diversité de personnes. Bien que ce ne soit pas encore dans notre culture, notre système d’éducation étant trop vertical, avec le numérique, les compétences comme les talents doivent être mélangés. Les formations d’ingénieur informaticien sont peut-être en train de perdre leur sens en opposant un système d’éducation à un besoin (Didier TRANCHIER). Elles spécialisent trop alors que tout le monde est concerné par le numérique, les écoles de commerce comme les écoles d’ingénieur. Même si on exerce un métier non informatique, les compétences numériques/informatiques sont nécessaires. Au final il y aura certainement des experts du numérique mais globalement le professionnel du numérique c’est tout le monde ! C’est surtout une personne qui apprend l’informatique sur tous les médias et sites web actuels et qui devient expert de plus en plus jeune, « plus on commence tôt plus on va devenir très, très bon parce que les technologies n’arrêtent pas d’évoluer » (Didier TRANCHIER).

Quel système éducatif ? L’éducation nationale serait-elle « condamnée à disparaitre » ? (Gilles BABINET). Notre éducation serait peut-être idéologique, et reposerait sur des préceptes quasi religieux, crispant le système en refusant de prendre une posture scientifique. Il n’est par exemple pas envisageable, comme en Floride avec le programme National Reading Panel, de mettre en place une mesure de la performance pédagogique qui permette de répéter et dupliquer les bonnes pratiques. L’institut Montaigne a une entité « agir pour l’école » qui essaie d’enseigner ce protocole pédagogique mais le prisme atlantiste de cette méthode pose problème en France. Pour Didier TRANCHIER, l’informatique devrait être enseignée dès le plus jeune âge pour avoir une expérience pratique alors que notre enseignement est trop théorique. Ce qui n’empêche pas les

entreprises américaines d’aimer les ingénieurs et polytechniciens français : si leur savoir est en décalage avec les besoins, ils ont la capacité à se former et à délivrer. Les startups françaises manquent peut-être moins de financements que de ressources informatiques que l’on trouve plus facilement à l’étranger ou chez les autodidactes (Didier TRANCHIER). Paradoxalement, alors qu’il serait possible par des formations courtes de 3 mois de former des informaticiens, les formations actuelles sont très longues, auxquelles il faut encore en ajouter pour s’adapter au monde qui bouge vite. A l’EPITECH, au contraire, on pense qu’il n’est pas possible de faire un bon informaticien en 3 mois (Emmanuel CARLI). Il faut notamment faire travailler les étudiants sur des projets à trois composantes essentielles : la faisabilité technique, la finance et le design. Bien qu’il y ait encore des informaticiens qui ne veulent toujours pas échanger, il faut arriver à faire travailler ensemble des profils différents : dans le monde numérique on ne travaille pas qu’entre informaticiens (Emmanuel CARLI). Comme dans l’Open Source qui a été un moteur énorme de développement de l’informatique et du numérique, la collaboration, via les communautés par exemple, est essentielle au développement du numérique. C’est l’une des caractéristiques de la formation en informatique : le poids de la formation initiale devient de moins en moins important par rapport à la capacité à apprendre et l’apprentissage de demain se fera avec une partie sur le web mais aussi une partie de création et de partage en communauté : les meilleurs informaticiens sont ceux qui communiquent et se stimulent les uns avec les autres. (Didier TRANCHIER) Emmanuel CARLI est conscient qu’on ne peut pas tout enseigner aux étudiants. Il faut donc leur apprendre à apprendre car les choses changent tellement vite qu’on a besoin de les appréhender en permanence. Coder c’est comme l’écriture, ce n’est pas parce qu’on sait écrire qu’on fera des best sellers. Coder c’est donc apprendre en permanence, mettre en place des architectures, des systèmes complexes etc… et en même temps les technologies évoluent continuellement. Aujourd’hui les innovation technologiques ne sortent même plus des bureaux d’étude mais sont amenées par les individus eux même. Et la seule limite du code c’est l’esprit !

Un changement civilisationnel Pour Gilles BABINET, il y a une très forte inadéquation entre la formation et le marché du travail. Et il n’y a pas véritablement de réflexion structurelle qui permettrait de les rapprocher. Le système éducatif n’est pas véritablement adapté aux ruptures de paradigme où les évolutions sont très fortes. Il est encore dans une posture du XXème siècle alors que le modèle actuel n’est plus vertical mais horizontal. Les enjeux ne sont finalement pas vraiment compris entraînant un décrochage presque « civilisationnel » de la France et de l’Europe. La rupture numérique nous place aujourd’hui à la frontière entre deux cultures, celle des grands projets et celle qui consiste à industrialiser l’innovation. Cela se traduit par exemple par des entreprises (surtout US) qui bien que de taille très conséquente, continuent à maintenir un rythme d’innovation qui serait inconcevable avec des modèles européens du XXème siècle. Alors qu’en Europe, on en est encore à chercher à savoir, notamment dans les grandes organisations, comment introduire la culture de l’innovation. Les dirigeants de ces entreprises n’ont pas le bon « logiciel » pour aborder ce changement civilisationnel.

Il faut néanmoins donner du temps au temps (Stéphane NATKIN). La bulle internet a explosé parce que les technologies nécessaires aux usages de l’époque sont arrivées 10 ans plus tard. Il y a des usages qui arrives très vite et d’autres qui arrivent très lentement, de même pour les technologies. Pour s’y préparer il faut bâtir des ponts entre les formations, que les enseignants soient aussi volontaires. Et travailler sur la perception, l’incitation et la reconnaissance de l’informatique en direction de jeunes (André RICHIER). Peut-être qu’il faut des chocs et des ruptures pour cette prise de conscience comme la bulle internet qui a permis pour certains d’être riche en 6 mois. Il faut néanmoins revenir aux questions de base et se poser les questions de ce que sera la société, dans quel environnement global on va se situer et quels sont les efforts à faire. Sinon les meilleurs vont partir aux endroits les plus propices et on va se retrouver en France avec très grande difficulté à maintenir un système de formation initiale de qualité.

Favoriser l’innovation numérique Les exemples étrangers montrent qu’il y a 4 facteurs écosystémiques intéressants qui favorisent l’innovation numérique (Gilles BABINET): 1. Enseigner les sciences de l’information dans l’ensemble du système éducatif et dès le primaire donner des notions (comme par exemple en Israël) 2. Faire en sorte d’avoir des clusters : que les entrepreneurs soient proche des lieux d’enseignement supérieur. Il faut qu’il y ait un lien continu entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée 3. Il est nécessaire d’avoir des financements « soudains » pour permettre à l’écosystème de répondre aux innovations de rupture 4. Il faut se servir de la commande publique qui a donné des résultats en Israël et aux USA (avec la DARPA)

Quels sont les besoins à 2020 en compétences numériques pour les entreprises ? Comment former pour adresser de nouveaux territoires connus ou inconnus ? Des besoins mais difficiles à combler Pour André RICHIER, partout en Europe on a besoin de talents pointus mais pas uniquement. Les besoins sont là et partout. Malheureusement les financements vont aux acteurs établis et ça c’est anormal. Nos startups françaises sont des formules 1 : on a aujourd’hui d’énormes difficultés à recruter dans le numérique (Jacques FROISSANT). Il est par exemple très difficile de trouver certains postes comme les développeurs ou ceux où existe une conjonction entre la technologie et le marketing. De plus les grands groupes, plus que des compétences dans le numérique, veulent des « personnages » dont le mode de recrutement, lourd et long, est en opposition avec l’agilité et la rapidité requises par le numérique. Une startup peu prendre une décision sur un profil en quelques jours alors que pour un grand groupe cela prendra plusieurs semaines et entre temps le monde aura changé… Tous les postes actuellement sont à la frontière de l’informatique, du marketing et du numérique. Dans l’eBusiness on a tendance à rattacher le CTO au directeur marketing et pas au DSI, ni au CEO (Gilles BABINET). Du coup les nouveaux principes du numérique ne sont pas compris par le CEO et beaucoup d’entreprises ne sont pas matures dans le numérique

Attention, il ne faut pas oublier qu’on a besoin de faire marcher le « daily job » et qu’on en aura toujours besoin (Jean-Marc GUIOL). Il manque déjà aujourd’hui sur le legacy des compétences liées au dialogue de la DSI avec les métiers, aux architectures, au pilotage des prestations. En ce qui concerne l’entreprise numérique, se pose la question d’intéresser la DG. Et trouver des gens qui savent assez naturellement engager cette discussion avec la DG et les métiers est assez difficile… De plus en plus pour raconter des histoires dans les jeux vidéo on va utiliser les objets que vous avez autour de vous (Eric VIENNOT). Le jeu vidéo et les transmédias génèrent des nouveaux métiers qui continuent en permanence à évoluer. L’ENJIMIN (Ecole Nationale des Jeux et Media Interactifs Numériques) a par exemple créé le « profiler » : un game designer qui va travailler en temps réel pour analyser comment les gens jouent et sont prêts à payer ou non pour un service.

Le rapport à l’entreprise Il y a un problème d’image de l’informaticien. Et le look « Rodolphe » de la pub de Free a fait des ravages. Notamment en éloignant la population féminine de l’informatique. Il faut faire entrer les collégiens mais aussi les professeurs dans l’entreprise (Véronique TORNER). Mais comment faire changer l’enseignement ? Faire entrer l’entreprise dans l’école. Ça commence par le premier stage de découverte de l’entreprise en troisième. (Jacques FROISSANT) Total s’était rapproché de l’école Centrale pour attirer les jeunes. Mais en général ils préfèrent aller dans la finance et le marketing : ils ne s’imaginent pas qu’il est possible de faire des carrières dans la DSI, ou quel leur carrière passe par la DSI Pourtant aux Etats Unis, l’image est différente : les Codeurs c’est les Rockeurs du XXIème siècle (Gilles BABINET). Ce sont des personnages très symboliques de ce siècle. 42 met un coup dans le système car le niveau de qualité des étudiants est stupéfiant (Gilles BABINET). C’est un signal fort qui est émis par cette école et qui doit être reçu par les politiques sinon il y aura un schisme entre les archéos et les modernes. A Sup de Web (Jacques FROISSANT) les étudiants sont tous formés au marketing et au code. Ils sont tous passionnés et à partir du moment où vous avez des professionnels en face d’eux qui leur explique leur métier, il y a une qualité d’écoute et un niveau qui monte à une vitesse incroyable. Ces écoles comme 42 et d’autres sont des initiatives qui interpellent sur le système et posent la question : pourquoi attendre le BAC pour former ?

L’Europe peut aider La question aujourd’hui revient sur la réforme du système éducatif qui est actuellement bloqué. Il y a une vraie fenêtre d’opportunité pour reprendre le processus d’enseignement mais en se basant sur ce qui se fait dans les autres pays. Il faut amener le regard des gens du XXIème siècle dans le système et insuffler une dynamique sinon on va dans le mur. Il y a un déphasage entre la volonté et l’action. Véronique TORNER : au niveau du SYNTEC on voit qu’il se passe des choses en Europe, on voit la dynamique mais on ne voit pas les passerelles avec la France. L’Europe a une capacité normative très importante. Elle peut éveiller les nations à l’importance de certaines filières et métiers et mettre en place des politiques structurelles (Gilles BABINET). On n’imagine pas à quel point les politiques structurelles sont déterminantes dans la réussite des projets lié à l’innovation et du numérique. Alors qu’on critique beaucoup l’Europe il faut comprendre que sans elle ça va être compliqué.