Comme un écho

Luc aimait travailler avec Pierre, comme tout le monde d'ailleurs : efficace et discret, ... La décoration rappelait les bars irlandais, faits intégralement de bois, des ...
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« Vous allez les avoir les gars, encore un peu de patience, de persévérance, et vous les aurez! »

Le gros responsable de l'escouade Éclipse retomba lourdement sur le fauteuil de son bureau. Pas très grand d'ailleurs, le bureau. Voilà plusieurs années maintenant que le service de police de la ville de Montréal, aussi connu sous l'abréviation SPVM, avait décidé de former une escouade pour lutter contre les violences sur l'ensemble de la ville en particulier la nuit. Mais la vraie force de l'escouade Éclipse, c'est sa lutte contre les gangs de rue. Croyez-le ou non, mais la paisible métropole du Québec abrite, et ce depuis plusieurs années, deux gangs importants. Pour résumer très brièvement, l'affrontement se fait entre les rouges et les bleus. Les rouges, nommés les Bloods, opèrent plutôt dans le secteur nord de l'île de Montréal. Les bleus, appelés les Crips, se situent sur le centre de la ville, entre les quartiers de Saint Michel et Pie-IX. La mission de l'escouade Éclipse est d'enquêter minutieusement, en formant des agents experts en matière de criminalité et capable d'obtenir de nombreux renseignements grâce à leurs contacts. Pierre Desrosiers était l'un d'entre eux.

Depuis environ six ans, Pierre était un agent spécial de l'escouade Éclipse. Âgé d'environ trente ans, c’était un homme grand et bien bâti, imposant autant par son physique que par son mental d'acier. Ses cheveux bruns et mi longs retombaient sur ses petits yeux marrons. Réputé pour sa persévérance et son perfectionnisme, Pierre était ce qu'on appelait communément un acharné du travail. Tout ce qu'il faisait, il le faisait pour son métier et pour son escouade. Calme, réfléchi et capable de raisonnement, il était expert en résolution d'enquêtes complexes. Mais Pierre était bien entendu un agent de terrain. De par sa formation dans la police, il possédait d'excellentes aptitudes sportives qu'il entretenait régulièrement, toujours dans le but de se perfectionner pour devenir le meilleur enquêteur possible. Pierre Desrosiers n’était pas un orgueilleux, ni un prétentieux. Il ne souhaitait pas écraser ses collègues sur son passage. Tout ce qu'il faisait, il le faisait pour le bien de l'escouade et plus largement, pour la sécurité de la ville de Montréal. Issu d'une famille de classe moyenne, Pierre n'avait jamais été habitué aux privilèges, et cela lui convenait. Ce qu'il entreprenait et réussissait, il ne le devait qu'à son propre mérite. Alors qu'il se trouvait en face du responsable de l’escouade, monsieur Jérôme Langlois, Pierre passa machinalement sa main dans sa tignasse brune et raide. Cela faisait maintenant plusieurs mois que l'escouade suivait de très près le gang des Crips, et surtout un événement en particulier : l'assassinat de Joannie Sinclair alias Mouse. Elle était la grande patronne des Crips depuis plusieurs années et elle avait été retrouvée sauvagement assassinée dans le quartier d'Outremont. Son corps se trouvait dissimulé 2

derrière un amalgame de neige et de glace, couvert de bleus et de multiples lacérations, notamment au visage. Pour l'escouade, il s'agissait bien entendu d'un règlement de compte mais aucune piste ne s'était dessinée...jusqu'à maintenant.

Quelques jours auparavant, les agents de l'escouade avaient trouvé un enregistrement sonore dans une voiture abandonnée par un gang suite à une descente de police. La voix de la victime, Mouse, était présente sur la bande son, ainsi que celle d'un autre homme. L'informatique n'avait malheureusement pas pu identifier sa voix, à cause des nombreux bruits de fond présents sur l'enregistrement. Voilà ce que les agents avaient pu entendre sur la bande son :

« Ne fais pas ça...non....tu...tu le sais...ma place ne t'apportera rien...vous les hommes...en fin de compte...vous perdrez. - Tu ne seras plus là pour le voir. BANG »

Pierre avait pris connaissance de l'enregistrement et ne cessait de l'écouter. La voix de la victime hantait son esprit, en permanence, chaque seconde qu'il était éveillé. Il ne pouvait plus penser à autre chose. La clé était là quelque part, il en était sûr. Et la voix de l'homme, il la connaissait, il en était sûr. Pierre n'avait personne dans sa vie, probablement à cause de son obsession pour son travail...pour son obsession en général. Depuis que l'enregistrement avait été découvert, il le repassait en boucle, cherchant un indice, un signe, quelque chose.

Mais le vrai cadeau pour l'escouade Éclipse, ça n'était pas l'enregistrement, mais la voiture abandonnée par le gang. La bande son ne s'était pas retrouvée là par hasard, bien au contraire. Un jeune membre du gang, connu sous le pseudonyme de Shadow, venait de se rallier à la cause de la police et devenait ainsi un informateur de premier choix. Shadow avait rendez-vous dans un bar le soir même, avec Pierre et un collègue, Luc Couderc. Les trois hommes se réunissaient pour échanger des informations capitales concernant le tueur. Selon Shadow, et grâce aux indices laissés par l'enregistrement, l'assassin était en réalité un membre du gang de Mouse, un homme qui souhaitait prendre sa place et qui était ainsi devenu le patron de Crips. Shadow possédait visiblement des informations sur une prochaine rencontre entre ce mystérieux individu et des dealers. Ces nouvelles informations et découvertes avaient rendu le chef Langlois particulièrement généreux puisqu'il décida de laisser Pierre partir du bureau plus tôt, afin de bien se préparer pour son rendez-vous 3

du soir. Sur le chemin qui menait à son appartement au centre-ville de Montréal, Pierre avait comme de coutume lancé l'enregistrement dans sa voiture.

« ...vous les hommes...en fin de compte...vous perdrez. - Tu ne seras plus là pour le voir. BANG »

Pierre inspira profondément et tenta encore une fois de trouver, quelque part au fond de sa mémoire, qui était cet homme et où il l'avait entendu. Peut-être un animateur radio, ou télé, ou un journaliste, un chanteur, un acteur peut être? Pierre soupira. Le trafic en direction du centre-ville était dense à cette heure-là, ce qui lui laissa le temps de réécouter l'enregistrement de très nombreuses fois. Les voix de la victime et du tueur étaient imprégnées dans sa tête, comme une chanson populaire que l'on fredonne et qui ne nous quitte pas. Pierre était un homme de valeur, droit, juste, mais sa capacité à être obsédé par toutes sortes de choses le rendait vulnérable. Rien ni personne n'aurait pu le déconcentrer à ce momentlà, il ne pouvait entendre que les voix. Absorbé par l'enregistrement, il entra dans son appartement, jeta ses clés sur le divan et pris une douche rapide. Lorsqu'il ressorti, il se rendit compte qu'il ne se rappelait pas être rentré, ni même avoir posé ses clés, rien. Pierre s'adossa contre le mur de la cage d'escalier et respira quelques instants. Les voix raisonnaient encore et encore dans sa tête. Il devait se ressaisir, reprendre ses esprits. Il devait être capable d'extirper les sons de son esprit, il devait se concentrer sur son travail. Mais quelque part au fond de lui, quelque chose lui disait que cette voix mystérieuse de l'homme inconnu, résoudrait l'enquête.

Le froid était glacial quand Pierre sortit de sa voiture et s'engouffra dans la rue qui menait au point de rendez-vous. L'hiver à Montréal était rude, surtout durant le mois de Janvier. Cela faisait plusieurs jours que le thermomètre extérieur indiquait -20 degrés Celsius. Pierre resserra la capuche de son manteau et pressa le pas. Devant le bar, son collègue Luc l'attendait. C'était un homme d'une trentaine d'années lui aussi, tout aussi grand mais plus gras. Il avait des cheveux très bruns, courts et de petits yeux marrons. Luc n'était pas l'agent d'exception qu'était Pierre mais il était apprécié pour sa joie de vivre et sa bonne humeur permanente. Luc était un homme positif, qui avait toujours le mot pour rire. Les collègues disaient qu'il était le vivant non nécessaire et Pierre le mort efficace. En effet, les deux hommes étaient parfaitement opposés. L'un était froid et méthodique tandis que l'autre était sociable et dispersé dans son travail. Le chef Langlois aimait les voir travailler tous les deux, car ils étaient selon lui complémentaires. Luc aimait travailler avec Pierre, comme tout le monde d'ailleurs : efficace et discret, deux qualités 4

essentielles pour un agent spécialisé. Pierre n'était pas aussi enthousiaste quant à son collègue. Les blagues et tapes dans le dos n'avaient jamais vraiment été sa tasse de thé. Les deux hommes se retrouvèrent devant le bar. Luc asséna une accolade chaleureuse à son collègue qui tenta de dissimuler tant bien que mal son agacement : « Âllo Desrosiers, il fait frette hein? Tu vas bien? -

Pas pire. »

Pierre avait un don pour les réponses courtes. Luc était habitué et ne se vexait plus depuis longtemps. Le bar dans lequel les deux hommes entrèrent était très sombre et peu fréquenté. Il ne s'agissait pas d'un beau bar du centre-ville, décoré de néons de couleurs et rempli de touriste, bien au contraire. Le peu de clients présents semblaient être des habitués à la façon dont ils dévisagèrent les deux hommes lorsqu'ils entrèrent. La lumière était très basse, la salle plutôt spacieuse et les tables n'étaient pas collées les unes aux autres. La décoration rappelait les bars irlandais, faits intégralement de bois, des chaises au plancher. Pierre et Luc s'assirent en attendant leur contact : « C'est moi qui vais le trouver le meurtrier, on parie? Questionna Luc. -

Probablement, soupira Pierre.

-

Le chef va nous avoir une promotion. Ça va bien tomber, faut que je change mon char, sinon ma femme va finir par s'énerver. T'as pas de femme toi au moins! »

Luc aimait particulièrement ce genre de taquinerie. Il savait que Pierre souffrait encore du départ de son ancienne petite amie. La séparation ne s'était pas réellement déroulée en bons termes. Luc pensait que par l'humour, la situation s'arrangerait. Pierre n'était pas de cet avis. L'humour, probablement trop lourd, de son collègue ne faisait que lui rappeler son échec et son incapacité à entretenir une relation amoureuse dite normale. Luc ne s'arrêta pas là : « Puis t'as pas besoin de femme toi, tu as le boulot! » Pierre soupira. Il n'était pas surpris mais demeurait affligé par le comportement de son collègue. Quelque part, les deux hommes se retrouvaient toujours en opposition, ils ne jouaient pas ensemble mais bien l'un contre l'autre. Le chef Langlois le savait, et trouvait qu'un peu de compétition entre les agents ne faisait que les rendre plus performants. C'était vrai pour Luc, mais pas pour Pierre.

Le contact ne se fit pas attendre. À l'heure précise du rendez-vous, Shadow passait la porte du bar et rejoignait les deux hommes à leur table. Shadow était jeune, environ vingt ans. Il était plutôt beau garçon, grand et très mince, les cheveux blonds courts, des yeux noisette pénétrants. Pierre ne put s'empêcher de penser que ce jeune homme méritait mieux. Shadow avait une triste histoire. Ses parents étaient de riches 5

assureurs, vivant dans un des quartiers les plus chics de la ville. Autoritaires et bornés, ils souhaitaient que leur fils entreprenne des études de droit, après avoir accompli une scolarité parfaite. Shadow avait tout simplement craqué sous l'oppression de sa famille et s'était enfui de chez lui à l'âge de dix-sept ans. Le gang des Crips l'avait recueilli, hébergé, nourri, jusqu'à ce qu'il leur serve pour leur trafic de drogue. Aujourd'hui il les trahissait, pour la justice et pour l'honneur. Pierre croyait beaucoup en ce garçon, selon lui, il aurait dû y en avoir des centaines comme lui. Le jeune homme s'installa face aux deux agents et inspira profondément avant de prendre la parole : « Avant que je commence, j'aime autant vous le dire : si vous ratez votre coup, je suis mort. Je suis la seule personne à connaître ses informations dans le gang. L'homme que vous cherchez rencontrera deux dealers demain soir pour une transaction, dans un entrepôt sur le port. Il sera le seul représentant du gang. Vous avez sur ce papier l'adresse et l'heure du rendez-vous. » Luc et Pierre se regardèrent. Luc afficha son plus beau sourire : « Ça sent le nouveau char! Merci gamin. » Pierre baissa les yeux. C'était trop simple, quelque chose ne tournait pas rond. Il avait confiance en Shadow, mais aucune enquête criminelle de cette importance ne se terminait aussi facilement. Son collègue ne semblait pas trouver quoi que ce soit suspect. Pierre déglutit avec difficulté.

« Tu ne seras plus là pour le voir »

Les voix revenaient. Encore cette voix, encore cet homme. Pierre passa sa main sur son visage, il devait se ressaisir. Mais pourquoi cette voix revenait-elle sans arrêt? Pourquoi revenait-elle à ce moment précis? Pierre tenta alors de chercher de l'aide auprès de son collègue : « Luc, la voix de l'homme sur l'enregistrement, tu ne l'as jamais entendue? Elle ne te fait penser à rien? -

A rien du tout! C'est ton imagination Pierre. On va résoudre l'enquête, il n'y a pas de piège! »

Tout fonctionnait parfaitement. Shadow était un allié de poids, la police le savait depuis qu’il avait décidé de les aider à résoudre l’enquête. Mais rien ni personne n’aurait pu ôter le doute de l’esprit de Pierre. Alors que Luc se levait, il resta assis quelques secondes pour méditer. Il chercha dans son esprit une faille, un détail qu’il aurait oublié et qui lui permettrait de prouver à son collègue que quelque chose ne tournait pas rond. Les voix l’en empêchèrent.

« Tu ne seras plus là pour le voir »

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Pierre se leva malgré lui, il devait encore une fois se ressaisir et faire le vide dans sa tête. Luc l’attendait dehors, préparant déjà probablement sa prochaine boutade. Alors qu’il se dirigeait par la sortie, Shadow attrapa le bras de Pierre et plongea son intense regard noisette dans celui du policier : « Vous êtes un homme bien, je vous souhaite bon courage. Mais vous savez, j’aurais souhaité ne jamais vous avoir rencontré. » Et c’est ainsi que le jeune s’éclipsa du bar, sans un bruit. Pierre retint son souffle. Que cela signifiait-il ? Il s’était depuis le départ pris d’affection pour Shadow, mais que voulait-il dire à cet instant précis ? Le jeune homme semblait désespéré, et terriblement effrayé. Son comportement ne faisait que renforcer les doutes de Pierre quant au dénouement de l’enquête. Lorsqu’il retrouva son collègue à l’extérieur, celuici affichait une mine ravie : « On va l’avoir ! Ça y est ! J’ai lu le papier de Shadow, le rendez-vous est demain soir. Tu sais ce qu’ils disent au bureau ? Que celui qui tuera le méchant aura une promotion ! -

Alors elle est pour toi. »

Pierre laissa Luc dans son euphorie et rejoignit sa voiture. Une fois seul dans son appartement, à l’abri de tout bruit parasite, il s’enfonça lentement dans son canapé et ferma les yeux. Bien entendu, il ne put trouver le sommeil. Les voix de l’enregistrement défilaient en boucle dans sa tête. Une dernière voix s’était ajoutée à l’obsession qui envahissait son esprit. Une voix qu’il connaissait cette fois mais qui n’était pas moins puissante.

« ...vous les hommes...en fin de compte...vous perdrez. - Tu ne seras plus là pour le voir. BANG » « Mais vous savez, j’aurais souhaité ne jamais vous avoir rencontré. »

Shadow, énigmatique jeune homme perdu. Pierre tenta toute la nuit de trouver le sommeil, en vain. À la place, il resta victime du concert qui se jouait en boucle dans sa tête, mystérieux et obscur.

******* Le soleil était tombé depuis plusieurs heures déjà derrière la colline du Mont-Royal. La ville s’illuminait peu à peu, faisant scintiller l’épaisse couche de neige qui la recouvrait. Pierre pris quelques secondes pour observer les lumières du centre-ville de Montréal, visible depuis le vieux port. Son collègue Luc n’était pas avec. Il s’était posté de l’autre côté de l’entrepôt. Ainsi, les deux hommes couvriraient 7

l’ensemble du terrain. Le regard de Pierre se perdit dans les lumières de la ville. Les voix raisonnaient encore et toujours dans sa tête, comme si elles faisaient à présent partie intégrante de son esprit. Comme il n’avait pas réussi à s’en débarrasser, Pierre essayait de se convaincre que les voix l’aideraient, qu’elles lui permettraient d’arrêter le coupable, qu’elles lui donneraient la force d’avancer. Mais en réalité, elles n’étaient rien de plus que le fruit de son obsession. Pierre vérifia plusieurs fois son arme avec précision et rapidité avant de quitter sa voiture. Le moment était venu d’arrêter le meurtrier et de placer un visage sur cette voix.

« Tu ne seras plus là pour le voir »

Pierre avançait dans le silence le plus complet. La nuit était noire et glaciale. La neige ne tombait plus depuis plusieurs heures et avait laissé place à un ciel dégagé d’un bleu extrêmement intense. Les pas de l’agent de police étaient étouffés par la neige encore molle présente sur le sol. Plus il avançait de l’entrepôt, plus sa respiration s’accélérait. Il était l’un des meilleurs agents de l’escouade Éclipse, il connaissait son métier mieux que quiconque. Mais cela ne l’empêchait pas d’avoir conscience des risques. Avant chaque intervention, Pierre sentait l’adrénaline monter en lui, cette adrénaline qu’il aimait tant et que seul son travail pouvait lui procurer. L’entrepôt nommé par Shadow n’était pas très grand mais avait l’avantage sur les autres d’être parfaitement isolé. Aucune fenêtre n’était brisée et la porte de devant fermait parfaitement. Pierre devait s’infiltrer par une petite porte proche de celle de l’entrée qui, d’après les informations de Shadow, ne se verrouillait pas. Luc devait se tenir de l’autre côté et attendre que Pierre lui donne le signal. Le signal était un coup de feu tiré en l’air, excellent moyen de montrer aux dealers que les policiers ne plaisantaient pas avec les trafics de drogue et les gangs. Pierre avait déjà connu ce genre d’intervention dans sa vie, mais jamais il n’avait dû faire face à un leader de gang. Pierre glissa près de la petite porte et la poussa doucement de l’épaule. Elle s’ouvrit. C’est alors que deux coups de feu retentirent. Pierre se précipita à l’intérieur en criant : « SPVM, plus un geste ! » Lorsqu’il arriva au centre de l’entrepôt, son sang se glaça, sa respira se coupa, il vacilla. Deux hommes, visiblement les dealers, étaient étendus sur le sol, une balle dans la tête. L’homme responsable de leur mort portait une capuche. Lorsqu’il la retira, Pierre manqua de lâcher son arme. Il hoqueta, voulu parler mais aucun son ne parvint à sortir de sa bouche. Cet homme devant lui, assassin de deux dealers et de 8

Mouse, nouveau leader des Crips, c’était Luc. Soudain prit de tremblements, Pierre fit quelques pas en arrière et arriva tant bien que mal à articuler quelques mots : « …Pourquoi ? Luc, pourquoi ? » Luc laissa apparaître un sourire carnassier qui fit froid dans le dos à son coéquipier : « Pour l’argent Pierro, pour l’argent ! Je suis le bras droit des Crips depuis dix ans maintenant et je suis infiltré au SPVM depuis le début. Mais comme tu le sais, depuis plusieurs années, l’étau se resserre, la police se rapproche de nous. Il fallait qu’on fasse quelque chose ! Alors j’ai orchestré le tout. J’ai tué Mouse, cette pétasse voulait me dénoncer. Et maintenant, tout le service de police sait que, toi et moi, on est en train d’arrêter le nouveau leader des Crips. Cependant, comme tu le vois, l’un d’entre nous est un traître. J’ai pas le choix Pierro, ne le prend pas personnellement ! » Luc pointa son arme en direction de son collègue. C’est à cet instant que Pierre comprit. Ils étaient ici, dans un entrepôt désert du vieux port de Montréal, tous les deux. Luc allait le tuer, et le faire accuser à sa place. Luc reprit la parole, son atroce sourire toujours affiché sur son visage : « J’ai fait placer plusieurs preuves dans ton condo. La police y trouvera plusieurs relevés de compte concernant les trafics de drogue. Il y a aussi l’arme qui a servi à tuer Mouse. La police te regrettera.» Luc s’approcha un peu plus de son collègue. Pierre laissa tomber son arme, il ne pouvait plus rien faire. Il avait perdu, il avait échoué. Depuis des années, il avait été aveugle. C’est alors que l’image de Shadow lui revint à l’esprit, tout comme sa voix douce et pénétrante : « Mais vous savez, j’aurais souhaité ne jamais vous avoir rencontré. »

Pierre comprit. Shadow savait, depuis le début. Il avait sans aucun doute été payé par les Crips, par Luc. Pierre voulait cependant en avoir le cœur net : « Shadow…tu l’as payé ? Il était avec toi depuis le début ? » Luc soupira : « Non. Malheureusement pour lui, Shadow a découvert ma véritable identité après notre rencontre d’hier soir. Ne te fais pas de soucis pour lui, je lui ai déjà réglé son compte, sans souffrance. » Pierre serra ses poings. La haine monta en lui, il sentit la chaleur envahir son corps et son visage. Il voulait hurler, se jeter sur Luc pour le stopper. Depuis toujours, il s’était battu pour la paix, pour la justice. Aujourd’hui, les valeurs qu’il avait tant défendues s’effondraient, disparaissaient dans la nuit comme des poussières. Pierre s’approcha de Luc, il n’était plus qu’à quelques centimètres de lui : 9

« Un jour, tu seras arrêté, et jeté en prison. Un jour, la justice te trouvera. » Et c’est avec le plus grand sarcasme et sadisme possible, dans la nuit noire et glaciale de Montréal que Luc répondit : « Tu ne seras plus là pour le voir. » Pierre inspira profondément. La voix de Luc retentit comme un écho dans son esprit, se mêlant à l’enregistrement qui défilait toujours dans sa tête.

BANG.

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