Citoyens,à vos blogs!

l'auteur d'un site Internet consacré à l'histoire de la région, moins… sulfureux. » .... se fait l'écho de l'affaire sur son blog, « Le. Meuil de Ré,revue satirique et de salubrité ... en Charente-Maritime. Avec ses écrits acides, l'e-opposant, ancien DRH à la retraite, a poussé le maire du petit village de 191 habitants à la démission.
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société

Citoyens,à vos blogs! Redresseurs de torts d’un nouveau genre, de plus en plus de citoyens de nos campagnes utilisent la Toile pour épingler les agissements des puissants de leur commune. Rencontre en Charente-Maritime avec deux de ces sulfureux opposants dont les écrits pimentent la vie locale. Fabien Mollon. Photos Rip Hopkins pour Le Monde 2

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de rares rumeurs de télévision. Dans un hangar abritant une distillerie,un homme bricole devant son tracteur : « Si je connais le blog de Pierre Collenot ? Bien sûr ! Et n’étant pas un partisan du maire, je ne le vois pas d’un si mauvais œil : quand les choses sont vraies, pourquoi ne pas les dire ? », lâche-t-il, sous couvert d’anonymat, avant de préciser : « Mais c’est tout de même clochemerlesque… » La guerre est déclarée

En effet, depuis janvier 2008, Brie-sousMatha pourrait être rebaptisé Clochemerlesur-Web : procédures judiciaires, lettre de menaces,agressions physiques,soupçons de manœuvres politiciennes, et même rumeur alertant de la mainmise d’une secte québécoise sur le village, ont pris corps autour du blog citoyen de Pierre Collenot, 63 ans. Six ans après s’être installé avec sa compagne dans une belle bâtisse en bordure du village, cet ancien directeur des ressources humaines au

le rouge : impôts élevés, endettement inquiétant, frais de fonctionnement hors normes. » La guerre était déclarée. Pour ne rien arranger, poussé par un commentateur de son blog à se présenter aux élections, Pierre Collenot est élu au conseil municipal. Les dix autres conseillers proviennent de la liste de Bernard Goursaud, maire depuis 1977. Aujourd’hui, trois d’entre eux ont rejoint l’auteur du Briellois dans l’opposition. Et Bernard Goursaud, malgré les attaques répétées du blogueur l’accusant d’entorses au droit – gestion des permis de construire, faux en écriture publique, magouille des marchés publics, etc. –, est de nouveau à la tête de la commune… après une carence de trois mois et dix-neuf jours. Il avait démissionné en janvier, jugeant impossible d’exercer son mandat face à la situation de « blocage » provoquée par le camp Collenot. « Quand on fait une réunion de conseil municipal, pour trois pages

«L’élément déclencheur a été le discours du maire le jour des vœux.Il disait la commune en parfait état financier.Or je savais qu’il n’en était rien.» Pierre Collenot sein du groupe Carrefour, encarté au PS, avait mis la commune en émoi en inaugurant, trois mois avant les élections municipales, Le Briellois (briellois.overblog.com). Son premier fait d’armes : la mise en ligne des comptes de la commune. « L’élément déclencheur a été le discours du maire le jour des vœux. Il disait la commune en parfait état financier et annonçait des projets mirobolants, se souvient-il. Or je savais, par des chiffres consultables sur le site du ministère des finances, qu’il n’en était rien. J’ai comparé les données des vingt-cinq communes du canton et les ai mises en ligne ; les indicateurs de Brie-sous-Matha étaient dans

de compte rendu ils apportent six pages de rectificatifs à la réunion suivante, déplore l’édile. On n’a le temps de ne rien faire, de ne rien décider. Sur chaque projet, ils menacent de faire des recours administratifs, rien n’avance ! Il faudrait que tout le monde démissionne et qu’on organise de nouvelles élections. » Malgré tout, Bernard Goursaud a été réélu par le conseil municipal, le 7 mai, après la double défection de ses deux premiers adjoints, qui se sont succédé dans le fauteuil du maire en attendant qu’il veuille bien reprendre sa place. Derrière son ordinateur, cette farce fait sourire Pierre qui, non sans un humour acide,

RIP HOPKINS / AGENCE VU POUR LE MONDE 2

A

u téléphone, les premières phrases donnent le ton : « Cette affaire, c’est du harcèlement », soupire Bernard Goursaud, viticulteur à la retraite et maire de Brie-sous-Matha, une petite commune de Charente-Maritime. Un coup de fil plus tôt,son e-opposant,Pierre Collenot, blogueur estampillé « citoyen », s’excusait presque : « Notez que je suis aussi l’auteur d’un site Internet consacré à l’histoire de la région, moins… sulfureux. » Les blogueurs citoyens ? Des internautes qui mettent le nez dans les affaires de leur cité, surveillant de près les faits et gestes de leurs élus et les commentant avec plus ou moins de retenue,de neutralité et d’impact. De MonAulnay.com (Seine-SaintDenis) à Adse-Dinard.net (Ille-et-Vilaine), de 13770-Venelles (Bouches-du-Rhône) à LeNoyellois.com (Pas-de-Calais), ils tentent d’apporter un autre regard sur l’actualité municipale et, pourquoi pas ?, de s’imposer comme « cinquième pouvoir ». La référence en la matière est MonPuteaux.com (Hauts-de-Seine), de Christophe Grébert (MoDem), engagé dans un bras de fer médiatique et judiciaire avec les Ceccaldi-Raynaud, père et fille, qui occupent la mairie depuis quarante ans. Mais c’est sans doute dans les villages ruraux réglés depuis des décennies par les usages locaux que l’arrivée de ces empêcheurs de tourner en rond a créé le plus de remous, provoquant un véritable choc des cultures. Retour à Brie-sous-Matha,191 habitants, village en pente douce cerné de petites parcelles de vignes, terre de cognac entre Saintes et Angoulême. Pas de commerce, des corps de ferme à l’abandon : en cette journée de mai, les maisons de pierre blanche affichent bien souvent des volets clos ;des fenêtres ouvertes ne filtrent que

briellois.over-blog.com Le blog de Pierre Collenot, 63 ans, conseiller municipal de Brie-sous-Matha en Charente-Maritime. Avec ses écrits acides, l’e-opposant, ancien DRH à la retraite, a poussé le maire du petit village de 191 habitants à la démission.

commente sur son blog, à grand renfort de schémas et d’animations représentant les élus en personnages des Simpson, ce « jeu de chaises musicales » : « Comme dans tous les jeux, il y a d’abord une phase d’entraînement. Apparemment, les joueurs ont compris comment ça fonctionne. On passe maintenant au vrai jeu des chaises musicales :on retire une des trois chaises. Musique, maestro ! » « Activistes de la démocratouille »

Prenons un peu le large. Nous voici sur l’île de Ré,chez Jean-Claude Oudry,62 ans, citoyen du Bois-Plage-en-Ré (2 363 habitants).Sur la façade de sa maison,une affichette invite le passant à profiter de sa connexion Wi-Fi en s’asseyant sur le banc prévu à cet effet. Mais attention : JeanClaude Oudry est un tonton flingueur du Web qui a déjà accroché à son tableau de

chasse le maire de Rivedoux-Plage, une autre commune de l’île,et plusieurs de ses conseillers, en 2005. Alerté par un « indic » de magouilles d’élus concernant la gestion du camping municipal, il enquête et se fait l’écho de l’affaire sur son blog, « Le Meuil de Ré,revue satirique et de salubrité publique » (www.lemeuil.net). Mais ne publie pas tous les éléments qu’il a en sa possession, se contentant de menacer de le faire si les élus ne démissionnent pas. Et fait mouche. « En patois charentais,le meuil,c’est le mulet, le poisson fouille-merde. J’ai appelé mon blog ainsi pour prendre les devants, on aurait fini tôt ou tard par m’affubler de ce surnom. » Jean-Claude est un fouineur qui traque sans relâche les bévues des élus rétais « activistes de la démocratouille ». Sa règle première : « Ne jamais m’attaquer à des par-

ticuliers, seulement aux élus. Et, pour leur botter les fesses, je ne me prive pas d’employer des termes crus car ici la politesse ne paye pas ». Arrivé sur l’île de Ré en 1995, JeanClaude,aujourd’hui gravement malade, a eu une vie professionnelle bien remplie : ingénieur de vente en aéronautique,manager et chargé d’audit dans plusieurs pays de la péninsule arabique, fondateur d’un chantier naval à La Rochelle, prospecteur en Chine… D’un passage dans le secteur de la fonderie, il lui reste un vocabulaire qui sert son ton potache ; à propos de Patrice Déchelette, maire de Saint-Martin-de-Ré, représenté sur le blog comme une marionnette, il écrit : « Ce bien piètre maire n’est pas du marbre dans lequel on grave la loi, mais plutôt de la faïence dont on fait les bidets. » L’intéressé n’entre pas dans la polémique : « Certes, je suis l’idole du Meuil, f

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société Citoyens, à vos blogs ! sourit-il. Mais le trait est tellement forcé que ça n’est plus crédible. » Epinglé pour sa gestion de la commune en général, et pour deux affaires en particulier – la construction d’un parking sans autorisation des Bâtiments de France et l’hébergement gratuit, dans un local de l’ancien hôpital, d’une radio associative dirigée par son adjoint à la communication et aux associations –, Patrice Déchelette partage en fait la vedette du Meuil avec son homologue de Sainte-Marie-de-Ré, Gisèle Vergnon. Elue en 2008, « Tatie Gisèle » est accusée par le blog de vouloir défaire de façon quasi maladive tout ce que son prédécesseur avait construit. Pour Yann Werdefroy,rédacteur en chef de l’hebdomadaire Le Phare de Ré, « ces attaques sont souvent justifiées, car JeanClaude met en avant certaines “erreurs illégales” commises par les maires. Ça ressemble à de l’acharnement mais c’est souvent plein de vérité.Sur une île,et qui plus est en milieu rural, tout le monde se connaît, ça crée des arrangements locaux, une forme d’indulgence. Mais il

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ne faut pas excuser les erreurs des élus ». Il est d’ailleurs arrivé,exceptionnellement,que Le Phare de Ré fournisse au Meuil des informations que l’unique journal de l’île ne pouvait pas se permettre de passer. Alors, Le Meuil de Ré, un média comme un autre ? « C’est un bon complément au Phare », répond Yann Werdefroy. « Et puis, comme tout média, il est beaucoup instrumentalisé. Certains élus sont de très bons informateurs… » Le Meuil a ses informateurs, mais aussi ses contributeurs. Jean-Claude Oudry n’a « pas voulu faire un site où Dieu s’adresse aux autres ».« J’ai souhaité que tout le monde puisse s’exprimer et, après beaucoup d’hésitations, j’ai accepté les pseudos », indique celui qui signe ses billets Hotdna (ADN chaud) sans faire mystère de sa véritable identité. En fait, si Le Meuil compte 1 800 adhérents, seuls quatre ou cinq sont régulièrement actifs. Mais ce blog participatif en a séduit plus d’un sur l’île, dont Richard Auger, alias Marcus : « A l’époque, l’outil était plutôt novateur et la tournure volontiers humoristique. L’île de Ré ronronnait dans un

«Ce bien piètre maire n’est pas du marbre dans lequel on grave la loi,mais plutôt de la faïence dont on fait les bidets.» Jean-Claude Oudry sur son blog

www.lemeuil.net « revue satirique et de salubrité publique » de Jean-Claude Oudry, 62 ans, citoyen du Bois-Plage-en-Ré,la bête noire des maires de deux communes de l’île.

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paysage politique bien installé dans ses certitudes et finalement assez convenu. Sans doute l’arrivée de Jean-Claude Oudry a-t-elle réveillé un peu tout ça. » Marcus a depuis pris ses distances avec Le Meuil et créé son propre blog (marcus-retais.blogspot.com). « Le site était devenu un ring, pas un lieu de débat, avec une instruction toujours à charge. » A charge, mais pas sans preuve. Les blogueurs citoyens ont à cœur d’exploiter au mieux le potentiel du Net pour appuyer leurs dires de la façon la plus irréfutable possible. Et de publier des arrêtés municipaux, des textes de loi, des photos compromettantes,etc. Tous mettent un point d’honneur à enregistrer les réunions de conseil municipal pour les mettre en ligne sous forme audio ou vidéo. Vide juridique

La soixantaine passée, nos deux blogueurs ne sont pas fâchés avec le multimédia, loin s’en faut. Ils sont même montés dans le train de l’Internet en gare de départ. Pierre Collenot a initié nombre d’habitants de Brie-sous-Matha à l’informatique, il a construit le site Internet de la commune, il administre la salle multimédia du canton. Jean-Claude Oudry est un des artisans de l’arrivée d’Internet sur l’île de Ré, dont France Télécom ne voulait pas entendre parler jusqu’à ce qu’il menace de fonder une coopérative fournissant Internet par voie hertzienne. Après avoir mis les gros sabots d’Internet dans le plat des habitudes locales, ils ont placé leur combat sous la bannière des « valeurs républicaines », au risque de passer pour des « ayatollahs », dixit JeanClaude. Mais la grogne monte. « J’attends qu’il fasse le pas de trop », prévient le maire de Saint-Martin-de-Ré.A Brie-sous-Matha, Bernard Goursaud,après avoir sans succès tenté de faire interdire Le Briellois, a vu une plainte en diffamation rejetée par le tribunal correctionnel de Saintes. Motif : le délai de prescription – trois mois – entre la publication des écrits poursuivis et le dépôt de la plainte était écoulé. L’élu estime qu’il existe un vide juridique concernant les blogs, soumis au même régime que la presse alors que leur contenu demeure. Il a donc apporté ses réflexions à une proposition de loi déposée par le sénateur (UMP) de Charente-Maritime Michel Doublet, qui préconise de porter à un an le délai de prescription pour les infractions commises sur Internet. Il en faudra probablement plus pour décourager les redresseurs de torts de la Toile. b