CanLII - 2000 CanLII 72 (QC TDP)

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C.D.P.D.J. BROCHU c. PRODUITS FORESTIERS DOMTAR INC, T.D.P.Q. D'ABITIBI, 2000 CanLII 72 (QC TDP) Date :

2000-05-11

Dossier :

615-53-000004-998

URL :

http://canlii.ca/t/1fvrh

Référence : C.D.P.D.J. BROCHU c. PRODUITS FORESTIERS DOMTAR INC, T.D.P.Q. D'ABITIBI, 2000 CanLII 72 (QC TDP), consulté le 2013-10-29 Suivi

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CANADA PROVINCE DE QUÉBEC DISTRICT DE D'ABITIBI TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE Dossier :615-53-000004-998 SOUS LA PRÉSIDENCE DE : L'HONORABLE OSCAR D'AMOURS AVEC L'ASSISTANCE DES ASSESSEURS Me Julien Savoie Me Marlène Dubuisson-Balthazar DATE : 20000511 COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE agissant en faveur de Pauline Brochu Représenté par Me Marc-André Dowd Partie demanderesse c. Produits forestiers Domtar Inc Représentée par Me Gilles Ayotte

Parties défenderesses et ROBERT LANDRY Représentée par Me Robert Dufresne Parties défenderesses et PAULINE BROCHU Partie victime et plaignante devant la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse Audience tenue à Val d'Or, les 1er et 2 novembre 1999

JUGEMENT [1] Le Tribunal des droits de la personne (Tribunal) est saisi d'une demande dans laquelle la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Commission) allègue que Robert Landry (défendeur), alors à l'emploi des Produits Forestiers Domtar inc. (défenderesse ou Domtar), a porté atteinte aux droits de Pauline Brochu (plaignante) à des conditions de travail exemptes de discrimination et de harcèlement fondés sur le sexe. [2] La Commission allègue également que les défendeurs ont, pendant la même période, porté atteinte aux droits de la plaignante d'être traitée sans discrimination fondée sur le sexe en négligeant de lui fournir un environnement et des conditions de travail exempts de harcèlement, contrevenant ainsi aux articles 10, 16 et 46 de la Charte. [3] De même, les défendeurs auraient, pendant la même période, porté atteinte aux droits de la plaignante d'être traitée sans discrimination fondée sur le sexe, en la forçant à rompre son lien d'emploi avec Domtar, contrevenant ainsi aux articles 10, 10.1, 16 et 46 de la Charte. [4] Finalement, par son comportement, le défendeur Robert Landry, qui agissait dans le cadre de ses fonctions pour la défenderesse Domtar, aurait porté atteinte aux droits de la plaignante, au respect de son intégrité et de sa dignité sans distinction ou exclusion fondée sur le sexe, le tout contrairement aux articles 1, 4 et 10 de la Charte.

[5]

La Commission demande au Tribunal : D'ORDONNER solidairement aux parties défenderesses de verser à Madame Pauline Brochu à titre d'indemnité, une somme globale de neuf milles dollars (9 000,00 $) répartie comme suit:

une somme de quatre mille dollars (4 000,00 $) à titre de dommages matériels pour pertes salariales; une somme de cinq mille dollars (5 000,00) à titre de dommages moraux pour atteinte à son droit à la reconnaissance et à l'exercice de ses droits en pleine égalité, sans discrimination, et pour atteinte à son droit au respect de son intégrité et de sa dignité; D'ORDONNER au défendeur Robert Landry de verser à Madame Pauline Brochu, à titre de dommages exemplaires, une somme de mille dollars (1 000,00$) en raison de l'atteinte illicite et intentionnelle aux droits de Madame Pauline Brochu.

LE TOUT avec intérêts depuis la signification de la proposition de mesures de redressement, soit le 29 mars 1999, au taux fixé suivant l'article 28 de la Loi sur le ministère du Revenu (L.R.Q., c. M-31), ainsi que le permet l'article 1619 C.c.Q. et les dépens.

1. LES FAITS [6] Le 11 juillet 1995, Pauline Brochu est embauchée par Domtar, au poste de « préposé à la balance » dans son usine située à Malartic (Québec) pour remplacer Robert Landry qui occupe le même poste sur une base régulière et qui a choisi de prendre congé le vendredi de chaque semaine pendant la période estivale pour jouer au golf avec ses amis. Ce travail consiste essentiellement à voir au bon fonctionnement du système de pesée des camions transportant du bois de sciage, à faire des rapports de production et à entrer des données dans le système informatique.

1.1 La description des lieux du travail [7] Pour mieux situer les lieux où Madame Brochu est appelée à travailler, les procureurs ont déposé des croquis des immeubles (P-4, D-4). Le local qui sert au préposé à la balance ainsi que le bureau du représentant à la C.S.S.T.

sont vitrés sur trois côtés. [8] À une quarantaine de pieds de cet immeuble, un autre édifice abrite les bureaux réservés au personnel du secrétariat et au directeur de l'usine, Bernard Gilbert. Suzanne Lévesque, qui occupe le poste de secrétaire, précise qu'elle ne peut, de l'édifice où elle travaille, voir ce qui se passe à l'intérieur du bureau du préposé à la balance. [9] Le bureau adjacent à celui du préposé à la balance est occupé par le représentant de la sécurité, Gilles Mercier. Ce dernier, selon la plaignante, utilise son bureau occasionnellement pour des périodes allant de quinze minutes à une demi-journée maximum. [10] Au cours de son témoignage, Monsieur Mercier confirmera le témoignage de Madame Brochu sur ce point. Il précise qu'il est présent à ce bureau une fois par semaine et qu'il n'y passe jamais une journée complète.

1.2 La période de formation de la plaignante et le début de son emploi [11] Puisque le nouvel emploi de la plaignante nécessite une formation préalable, il est alors convenu que Robert Landry aura la responsabilité d'assumer cette tâche. [12] Du 11 juillet au 13 juillet 1995, Pauline Brochu reçoit sa formation. Comme à cette dernière date sa formation n'était pas terminée, Monsieur Landry lui demande de se présenter les jeudis après-midi suivants afin de compléter son apprentissage. [13] Le 14 juillet 1995, elle effectue seule son travail. Au cours de sa première journée, elle est nerveuse car elle ne possède pas bien le fonctionnement de l'ordinateur utilisé à la balance. Madame Brochu se présente donc les jeudis qui suivent pour compléter sa formation et remplace Monsieur Landry les vendredis. [14] Il est arrivé à la plaignante, au cours de la journée du vendredi, de communiquer avec Monsieur Landry directement au club de golf pour solutionner les difficultés qu'elle rencontrait dans le cadre de son travail. À quelques reprises, ce dernier se serait déplacé du terrain de golf à l'usine pour régler certains problèmes suite à un appel de Madame Brochu ou se serait présenté de lui-même à l'usine, le vendredi matin, pour l'encadrer. Monsieur Landry nie avoir reçu des appels de Madame Brochu au club de golf et s'être

déplacé au local de la balance le vendredi.

1.3 Les gestes de harcèlement reprochés au défendeur [15] Parmi les gestes posés, la plaignante indique que Monsieur Landry a commencé par lui toucher les bras et les épaules. À une autre occasion, ce dernier lui a pris un sein. Une autre fois, il lui a demandé quelle sorte de soutien-gorge elle portait. Dans une autre circonstance, il lui dit qu'elle avait un gros ventre et il lui a levé son gilet. Monsieur Landry a aussi glissé ses mains dans sa blouse et aurait dit: « ça remplit une main » en faisant référence à ses seins. [16] Madame Brochu relate avoir demandé au défendeur de cesser cette façon d'agir. Ce dernier a continué à manifester le même comportement, ce qui l'empêchait de se concentrer et créait chez elle stress et anxiété. [17] La plaignante précise que ces événements se sont produits alors qu'ils étaient seuls dans le local réservé au préposé à la balance, à l'exception du geste posé le 19 décembre 1995, lequel est survenu dans l'édifice réservé au secrétariat alors que Madame Brochu remplaçait Suzanne Lévesque. [18] L'événement le plus marquant se produit le 15 janvier 1996 alors qu'elle se présente à l'usine pour vérifier et corriger certaines erreurs dans les rapports de production. À cette occasion, Monsieur Landry, qui travaillait à l'ordinateur, se serait tourné vers elle, lui aurait soulevé le bras et après s'être approché d'elle, aurait posé ses lèvres sur les siennes. Au même moment, il aurait pris la main droite de la plaignante et l'aurait posée sur son pénis en érection en lui disant: « c'est pour toi, tu m'excites » . [19]

La plaignante quitte les lieux du travail en pleurant et se rend chez elle.

[20] Pendant cette période, Madame Brochu ne parle à personne des événements survenus avec Monsieur Landry car cette situation crée chez elle beaucoup de tension: elle ne se sent pas respectée et est profondément déçue. Elle raconte qu'elle était heureuse de quitter son statut de bénéficiaire d'aide sociale et d'avoir obtenu un emploi.

1.4 Les derniers jours de travail de la plaignante

[21] Particulièrement en raison de l'événement du 15 janvier 1996, la plaignante ne souhaite plus travailler en présence de Monsieur Landry. Elle reviendra travailler chez Domtar les 22, 23 et 26 février 1996, alors qu'elle sait que le défendeur n'est pas présent au travail. En effet, le défendeur doit s'absenter en raison du décès des membres de sa famille survenus dans un accident routier au cours de la nuit du 21 au 22 février 1996. [22] Concernant les événements entourant les funérailles des membres de la famille de Monsieur Landry, Madame Brochu précise en contre-interrogatoire qu'elle s'est rendue au sous-sol de l'église de Malartic pour présenter à ce dernier ses condoléances et l'a embrassé sur la joue. Madame Brochu explique qu'elle s'est rendue aux funérailles parce que plusieurs personnes de la paroisse y étaient présentes et aussi parce qu'elle connaissait Monsieur Landry et la nièce de celui-ci, Suzanne Lévesque. [23] La plaignante ne retournera plus travailler chez son employeur suite à ce remplacement, bien qu'elle ait reçu un appel de Madame Lévesque en mars 1996 pour effectuer un autre remplacement. Madame Brochu explique qu'il lui était devenu très ardu de travailler chez son employeur: elle manquait de concentration et faisait des erreurs à cause du harcèlement dont elle avait fait l'objet.

1.5 Les confidences de la plaignante à ses proches [24] La plaignante parle de sa situation pour la première fois en mars 1996 à une amie de longue date, Mireille Valade. En raison de la honte qu'elle éprouve, elle décide de lui décrire les événements dans une lettre qu'elle lui remet en mains propres. [25] Après la lecture de la lettre, Madame Valade est abasourdie par ce qu'elle vient d'apprendre concernant le harcèlement sexuel dont son amie est l'objet. Elle comprit par la suite pourquoi le comportement de celle-ci avait changé au cours de l'automne 1995, notamment lorsqu'elle ne montrait plus d'intérêt pour son travail. Mireille Valade comprenait aussi pourquoi la plaignante était souvent en larmes et avait de la difficulté à s'exprimer. Madame Brochu était anxieuse, angoissée et bouleversée. [26] Madame Brochu admet qu'elle aurait eu, à une seule occasion, une relation sexuelle avec Monsieur Landry en 1990. De 1990 à 1995, elle ne l'a jamais revu. Monsieur Landry a confirmé ces faits lors de son témoignage. [27]

En mars 1996, la plaignante décide de consulter sa thérapeute, Denise

Noël, pour lui faire part des gestes dont elle a été victime. Madame Brochu raconte qu'elle pleurait beaucoup et qu'elle avait honte. Elle trouvait épouvantable de vivre une telle situation à quarante-deux ans. Elle se demandait si sa relation sexuelle de 1990 permettait maintenant à cet homme de commettre des attouchements sur elle. Madame Noël précise que la plaignante se sentait coupable et honteuse. Madame Noël se souvient de lui avoir mentionné alors que ce n'est pas parce qu'elle a déjà eu une relation consentie avec le défendeur que ce dernier avait le droit de la harceler.

1.6 Les rencontres de la plaignante avec les représentants de Domtar [28] Suite au conseil de son amie Mireille Valade, Madame Brochu décide de rencontrer Suzanne Lévesque, le 19 avril 1996, dans un restaurant à Malartic. La plaignante considérait Madame Lévesque comme une employée cadre car celle-ci a toujours supervisé son travail et communiquait avec elle pour lui demander d'effectuer les remplacements. [29] Lors de sa rencontre avec Madame Lévesque, Madame Brochu décrit les gestes dont elle fut l'objet de la part de Monsieur Landry. Madame Lévesque lui propose alors d'en parler immédiatement à Bernard Gilbert et Jeannot Gervais qui prenaient également leur repas au même restaurant. Spontanément, Madame Brochu refuse car elle se sent incapable de les rencontrer. À la fin du repas, Madame Lévesque informe la plaignante qu'elle tentera d'en parler directement à Monsieur Landry. [30] Deux semaines plus tard, n'ayant pas reçu de ses nouvelles, la plaignante décide de recommuniquer par téléphone avec Madame Lévesque. Cette dernière lui dit que la compagnie lui a défendu de parler de ces événements. Elle est en conflit d'intérêt car Robert Landry est son oncle. [31] Pour sa part, Madame Lévesque relate une version différente des faits concernant leur rencontre et leur conversation téléphonique subséquente. Lors de la rencontre au restaurant, Madame Brochu voulait qu'elle parle uniquement à Monsieur Landry. Madame Lévesque n'en a parlé ni à Monsieur Landry, ni à ses supérieurs, Messieurs Gilbert et Gervais. [32] Suzanne Lévesque confirme qu'elle a bel et bien eu une conversation téléphonique avec Madame Brochu environ deux semaines après leur rencontre au restaurant. Elle aurait mentionné à la plaignante qu'elle n'en avait pas parlé à Monsieur Landry car elle se sentait en conflit d'intérêt. Madame Lévesque affirme que la plaignante lui a demandé de signer une déclaration pour confirmer qu'elle était au courant des faits mais elle a refusé.

[33] Le 20 mai suivant, Madame Brochu décide de prendre contact avec le directeur de l'usine, Bernard Gilbert. Vers 21h00, elle lui téléphone et se rend à sa résidence. Elle lui fait part du harcèlement sexuel dont elle a fait l'objet de la part de Monsieur Landry. À cette occasion, elle remet à Monsieur Gilbert les « clés de la balance » . Ce dernier lui dit qu'elle prend une bonne décision en ne revenant plus sur les lieux du travail. Il l'informe qu'il va recueillir la version des faits de Monsieur Landry et qu'il la rappellerait après avoir consulté le directeur des ressources humaines, Jeannot Gervais. [34] Le 23 mai 1996, Monsieur Gilbert contacte la plaignante et l'invite à le rencontrer à son bureau vers 15h00 le même jour. Lors de l'entretien, il lui mentionne que Monsieur Landry lui a fourni une version différente des faits. Dans les circonstances, il ne pouvait rien faire: c'était sa parole contre celle de Monsieur Landry en l'absence de témoins. [35] Monsieur Gilbert lui mentionne que dans les cas de harcèlement sexuel, la compagnie doit s'assurer qu'il n'y ait pas de contact entre les personnes concernées. Compte tenu qu'elle n'est pas revenue au travail depuis le mois de février, la première condition de la politique de la compagnie (E-1) était donc respectée. [36] Madame Brochu quitte le bureau de Monsieur Gilbert et se présente en pleurs à la clinique de sa thérapeute Denise Noël. La plaignante lui raconte alors ce que Monsieur Gilbert lui avait dit, à savoir qu'il ne pouvait rien faire étant donné que Robert Landry lui avait donné une autre version des faits. Madame Noël souligne que la plaignante était complètement stupéfiée et qu'elle exprimait des idées suicidaires. [37] Le 3 juin 1996, Madame Brochu rencontre Jeannot Gervais, directeur des ressources humaines chez Domtar. Ce dernier était au courant de la situation et il lui offre un emploi à la balance en l'assurant que la situation qu'elle avait vécue ne se reproduirait plus. [38] Madame Brochu refuse cette proposition car elle ne voit pas comment elle pourrait éviter les contacts avec Monsieur Landry. Madame Brochu désire plutôt un emploi dans un autre département. À la fin de cette rencontre, Monsieur Gervais s'engage à lui téléphoner. Elle ne recevra aucune nouvelle de la part du directeur des ressources humaines.

1.7 Les lettres de dénonciation transmises à Domtar et Robert Landry

[39] Carole Caron, du groupe « Assaut sexuel secours » , a rédigé deux lettres datées du 10 juin 1996 (P-2, en liasse) qu'elle a ensuite remises à Madame Brochu qui devait les transmettre à Jeannot Gervais et à Robert Landry. [40] La première lettre adressée à Jeannot Gervais dénonce officiellement le harcèlement sexuel qu'elle a subi. Dans cette lettre, Madame Brochu réclame également un poste dans un autre département. [41] La deuxième lettre adressée au défendeur Robert Landry dénonce les gestes que ce dernier aurait posés envers elle. Cette lettre indique également que ces événements seraient survenus les vendredis 28 juillet 1995, 11 août 1995 et le lundi 15 janvier 1996. [42] Le mémoire de la Commission indique que les gestes posés par Monsieur Landry sont survenus le ou vers le 27 juillet ainsi que le ou vers le 3, 10 et 17 août 1995. [43] Contre-interrogée par le procureur de Monsieur Landry, Madame Brochu précise que les dates apparaissant dans la lettre transmise à ce dernier ont été inscrites par erreur. Ces erreurs ont été commises puisqu'elle n'avait pas son agenda au moment où elle a rencontré Marie Brunelle, responsable des plaintes à la Commission, et Carole Caron du groupe « Assaut sexuel secours » . [44] Elle explique qu'elle ne croyait pas qu'une plainte serait préparée immédiatement lors de cette rencontre. Elle était paniquée et elle se serait fourvoyée en identifiant les jours de la semaine et les dates où les événements se sont produits. Ces erreurs ont été modifiées par la suite, notamment dans le mémoire que le procureur de la Commission a produit au Tribunal. [45] La demanderesse ne peut non plus expliquer pourquoi la lettre adressée à Monsieur Landry indique qu'elle n'est pas revenue au travail après le 15 janvier 1996 alors qu'elle admet être revenue effectivement au travail les 22, 23 et 26 février 1996, suite aux décès accidentels des membres de la famille de Monsieur Landry. Les feuilles de temps (D-2 en liasse) versées au dossier par le procureur de Monsieur Landry montrent que Madame Brochu aurait aussi travaillé le 29 janvier 1996, ce qu'elle ne peut confirmer car elle ne s'en souvient pas et n'a pas cette information à son agenda.

1.8 Les témoins de la défense

[46] Témoignant pour la défenderesse Domtar, Bernard Gilbert explique que quelques jours après le décès des membres de la famille de Monsieur Landry, soit vers le 28 février 1996, une décision fut prise à l'effet de trouver une autre personne pour effectuer les remplacements sur appel. Ils voulaient compter sur une personne fiable car Madame Brochu avait parfois refusé de travailler. [47] Monsieur Gilbert reconnaît que Madame Brochu n'a pas été licenciée en février mais en juin 1996. [48] Monsieur Gilbert précise qu'il connaît, depuis mars 1994, la politique et la procédure de la compagnie (E-1) concernant le harcèlement sexuel au travail. [49] Monsieur Gilbert admet que la politique de la compagnie n'a pas été suivie à la lettre car Madame Brochu et Monsieur Landry n'ont pas présenté par écrit leurs versions des faits. Mise à part sa discussion avec Monsieur Gervais, il n'a pas acheminé le dossier de Madame Brochu à d'autres instances de la compagnie. [50] Pour sa part, Jeannot Gervais, le directeur des ressources humaines en poste en 1995, a été mis au courant des événements suite à une discussion téléphonique avec Monsieur Gilbert. Il confirme s'être rendu à l'usine à Malartic pour rencontrer Messieurs Gilbert et Landry. [51] Madame Lévesque, témoin de la défenderesse Domtar, travaille à l'usine depuis 20 ans. Lorsque le besoin se présentait, elle téléphonait à Madame Brochu pour lui demander d'assumer des remplacements. Madame Lévesque relate qu'à plusieurs occasions, à partir du mois d'octobre ou du mois de novembre 1995, la plaignante a refusé d'effectuer des remplacements pour des raisons médicales ou familiales. Cependant, elle ne peut indiquer exactement combien de fois elle a refusé de travailler et dans quelles circonstances précises. [52] En janvier et février 1996, la plaignante n'a pas travaillé sur une base régulière en raison de ses refus. [53] En mars 1996, Rita Dion a été embauchée pour occuper le poste de Madame Brochu. Madame Lévesque affirme que la plaignante le savait car à l'occasion d'une visite à l'usine, elle a rencontré Madame Dion qui occupait ses anciennes fonctions.

[54] Après les funérailles des membres de la famille de Monsieur Landry en février 1996, Madame Lévesque n'aurait pas rappelé Madame Brochu, sauf en mars 1996 pour effectuer le remplacement de Madame Dion qui n'était plus disponible pour le travail. Monsieur Landry avait décidé de prendre deux semaines de vacances à cette époque. Entre les mois de février et juin 1996, Madame Brochu n'a jamais demandé à Suzanne Lévesque d'effectuer des remplacements. [55] Le procureur du défendeur Monsieur Landry a ensuite fait entendre Fernand Grenier qui déclare jouer au golf tous les jours de l'ouverture du terrain à sa fermeture en octobre ou novembre de chaque année. [56] Il mentionne qu'au cours de l'été 1995, il a pratiqué son sport à tous les vendredis avec Monsieur Landry. À sa connaissance, il n'est jamais arrivé que Monsieur Landry soit appelé et qu'il ait quitté le terrain de golf pour se rendre à l'usine. Il précise que le terrain de golf est situé en voiture à environ dix minutes de l'usine. [57] À chaque vendredi, il déjeunait au club de golf en compagnie de Monsieur Landry, entre 8h00 et 8h30. Ils commençaient le parcours de golf vers 9h00. Une fois leur partie terminée, ils avaient l'habitude de prendre quelques bières au club jusqu'à 16h30 ou 17h00. Seules des mauvaises conditions climatiques les empêchaient de jouer. [58] Appelé à commenter un rapport météo (D-5) déposé par le procureur de Monsieur Landry établissant les conditions climatiques des jours du mois de septembre 1995, Monsieur Grenier affirme que le 15 septembre 1996, il était sûrement à jouer au golf avec Monsieur Landry car lors de cette journée, la température était de 14o C. [59] Un autre compagnon de Monsieur Landry, Pierre Drolet, témoigne qu'il est également un maniaque du golf. Il confirme essentiellement les faits relatés par Monsieur Grenier. Il joue normalement dix-huit trous et il prend ensuite quelques consommations sur place. Il quitte le club de golf pour aller chercher son épouse au travail vers 17h00. Monsieur Drolet affirme qu'à sa connaissance, il n'est jamais arrivé à Monsieur Landry de se faire appeler et de quitter le club de golf pendant ou après leur partie. [60] Le dernier témoin à être entendu en défense est Robert Landry. Il confirme avoir pris en congés les vendredis au cours de l'été 1995. Il affirme qu'il ne s'est jamais présenté à l'usine au cours de ces congés. Il a commencé à prendre ses vacances sous cette forme en 1994 suite à une entente avec Bernard Gilbert.

[61]

Il n'a jamais pris part à la décision d'embauche de Madame Brochu.

[62] Monsieur Landry a initié Madame Brochu aux tâches de préposé à la balance pendant quelques jours consécutifs et ensuite, en après midi, à l'occasion d'un ou deux jeudis. Cette formation aurait débuté au début du mois de mai 1995. Requestionné, Monsieur Landry indique qu'il s'est trompé en mentionnant qu'il avait formé Madame Brochu en mai. Cette formation avait plutôt eu lieu en juillet 1995. Il attribue cette erreur de date au fait que les événements ont eu lieu il y a déjà plusieurs années. [63] Le défendeur mentionne que Pauline Brochu l'a déjà appelé le jeudi pour lui demander des informations à propos du travail qu'elle devait effectuer le lendemain. De même, à certaines occasions, cette dernière se présentait à la balance pour voir ce qui se passait sans que ce soit pour de la formation. Cependant, Pauline Brochu ne l'aurait jamais appelé au club de golf. [64] Robert Landry qualifie les relations qu'il entretenait avec Pauline Brochu de cordiales: elle était attachante et il avait plaisir à parler avec elle. Il confirme avoir eu une relation extraconjugale avec Madame Brochu en 1990. Entre 1990 et 1995, ils n'ont pas eu de contact. [65] Le défendeur a été surpris d'apprendre que Pauline Brochu lui reprochait des gestes de harcèlement sexuel et de recevoir une lettre de la Commission à cet effet. [66] Il admet avoir reçu, par courrier recommandé, la plainte datée du 26 juin 1996, qui l'accusait de harcèlement sexuel. Cependant, Monsieur Landry affirme n'avoir jamais reçu la lettre de Madame Brochu datée du 10 juin 1996 (pièce P-2). [67] Monsieur Landry nie catégoriquement avoir posé les gestes décrits dans la plainte et dans les procédures. Lorsqu'il a reçu la plainte, il en a parlé à des amis et ensuite, il a décidé de consulter un avocat. [68] Au départ, il a relevé dans la plainte des erreurs. Les dates indiquant le moment où plusieurs des événements se seraient produits correspondaient à des vendredis. Selon lui, il était impossible que ces événements soient survenus puisqu'il n'était jamais à l'usine les vendredis. Il a transmis cette information à son avocat qui a communiqué avec les responsables de la Commission. Par la suite, la Commission a modifié trois ou quatre des dates indiquées pour situer les événements les jeudis.

[69] Monsieur Landry confirme qu'il a rencontré Messieurs Gilbert et Gervais relativement aux événements dénoncés par Madame Brochu et qu'il a nié les accusations portées contre lui par la plaignante. Au départ, il prenait ces accusations à la légère, mais par la suite, cette plainte l'a stressé. Il a réalisé qu'une plainte pour harcèlement sexuel avait bel et bien été portée contre lui. [70] Contre-interrogé par le procureur de la Commission, il mentionne que Suzanne Lévesque ne lui a jamais parlé des gestes de harcèlement sexuel dont Madame Brochu lui avait fait part le 19 avril 1996 au restaurant à Malartic. 2. LE DROIT APPLICABLE

[71] :

Les dispositions de la Charte applicables en l'espèce sont les suivantes1

Article 1: Toute être humain a droit à la vie, ainsi qu'à la sûreté, à l'intégrité et à la liberté de sa personne. Article 4: Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation. Article 10: Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l'orientation sexuelle, l'état civil, l'âge, sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue l'origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l'utilisation d'un moyen pour pallier ce handicap. Il y a discrimination lorsqu'une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit. Article 10.1: Nul ne doit harceler une personne en raison de l'un des motifs visés dans l'article 10.

Article 16: Nul ne peut exercer de discrimination dans l'embauche, l'apprentissage, la durée de la période de probation, la formation professionnelle, la promotion, la mutation, le déplacement, la mise à pied, la suspension, le renvoi ou les conditions de travail d'une personne ainsi que dans

l'établissement de catégories ou de classifications d'emploi.

Article 46: Toute personne qui travaille a droit, conformément à la loi, à des conditions de travail justes et raisonnables et qui respectent sa santé, sa sécurité et son intégrité physique. Article 49: Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte. En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages exemplaires.

2.1 Le harcèlement [72] La partie demanderesse appuie d'abord son recours sur le moyen fondé sur le harcèlement sexuel. [73] L'article 10.1 de la Charte, qui reconnaît à toute personne le droit de ne pas subir de harcèlement en raison de l'un des motifs visés dans l'article 10, est un droit indépendant et autonome. Dans l'affaire Janzen2, la Cour suprême du Canada s'exprimait comme suit à propos du harcèlement sexuel en milieu de travail:

« Sans chercher à fournir une définition exhaustive de cette expression, j'estime que le harcèlement sexuel en milieu de travail peut se définir de façon générale comme étant une conduite de nature sexuelle non sollicitée qui a un effet défavorable sur le milieu de travail ou qui a des conséquences préjudiciables en matière d'emploi pour les victimes du harcèlement. [...] Le harcèlement sexuel en milieu de travail est un abus de pouvoir tant économique que sexuel. Le harcèlement sexuel est une pratique dégradante, qui inflige un grave affront à la dignité des employés forcés de le subir. En imposant à un employé de faire face à des gestes sexuels importuns ou à des demandes sexuelles explicites, le harcèlement sexuel sur le lieu de travail est une atteinte à la dignité de la victime et à son respect de soi, à la fois comme employé et comme être humain. » 3 [74] Le harcèlement sexuel en milieu de travail renvoie à un abus de pouvoir tant économique que sexuel. C'est une pratique dégradante qui inflige un grave affront à la dignité de la personne qui en est victime. Comme le

soulignait le Tribunal dans l'affaire Habachi4, le harcèlement sexuel peut prendre diverses formes: « Cette conduite illicite peut revêtir diverses formes, tantôt subtiles, tantôt plus flagrantes. Mentionnons, à titre indicatif : des manifestations verbales (paroles, avances, propositions ou demandes de faveurs, remarques pouvant affecter défavorablement le milieu de travail psychologique et émotif), physiques (regards concupiscents, attouchements, étreintes, frôlements, pincements, et actes divers non sollicités pouvant aller jusqu'à l'agression), ou psychologiques (insinuations, invitations sous forme de sous-entendus jusqu'aux demandes explicites, attentions et marques d'affection importunes et connues comme telles, menaces de représailles expresses ou implicites) » 5 [75] Plus particulièrement à l'égard du harcèlement de type « donnantdonnant » , le Tribunal s'exprimait comme suit dans l'affaire Lippé: « Le modèle de harcèlement sexuel le plus fréquemment observé est celui du harcèlement donnant-donnant qui vise la subordination d'une femme à des demandes sexuelles explicites, généralement posées par un seul harceleur, en contre-partie de l'accès aux bénéfices rattachés au travail. Ainsi, les tribunaux ont retenu deux éléments essentiels pour reconnaître une situation de harcèlement prohibé: le caractère non-désiré des actes ou comportements de nature sexuelle ou à connotation sexuelle et l'effet harcelant, c'est-à-dire répétitif ou grave, de la conduite reprochée. » 6

[76] Le harcèlement sexuel comporte deux éléments dont le premier est le caractère vexatoire ou non désirée de la conduite reprochée. L'expression du refus ou du caractère non désiré des actes ou comportements à connotation sexuelle peut varier selon chaque situation. Au même titre que le rejet catégorique de propositions sexuelles plus directes, le refus implicite face à une conduite subtile peut être suffisant pour établir le caractère vexatoire de la conduite. En somme, le caractère non désiré d'une conduite s'évalue en fonction du refus exprimé de la part de la personne visée selon une norme de raisonnabilité qui s'applique avec souplesse. Tel que mentionné dans l'affaire Genest, les conditions dans lesquelles se trouve la victime de harcèlement sexuel doit être prise en compte: "La personne démunie est sans doute beaucoup plus fragile et cette fragilité doit être prise en compte non seulement dans l'octroi des dommages, mais également dans l'analyse des éléments constitutifs du harcèlement sexuel."7

[77]

Comme le mentionnait le Tribunal dans l'affaire Roberge8, il ne s'agit

pas d'une analyse purement objective ou purement subjective mais plutôt d'une norme de raisonnabilité sensible à la situation de la victime: "Une analyse confinée à une appréciation purement objective ne peut satisfaire à la reconnaissance du droit à l'égalité de traitement tel que l'énonce la Charte. De même, une analyse qui reposerait essentiellement sur une appréciation subjective ne pourrait répondre au principe d'égalité que garantit la Charte. C'est dans l'application d'une norme de raisonnabilité, norme objective, qui demeure sensible à l'appréciation subjective de la victime que le Tribunal évalue la conduite reprochée."9 [78] Le deuxième élément constitutif du harcèlement sexuel renvoie à l'effet de durabilité de la conduite reprochée. Cet élément peut être établi par la preuve de la répétition de la conduite à connotation sexuelle, mais également par la preuve de la gravité des conséquences d'un seul acte qui produit des effets continus dans l'avenir. À ce sujet, le Tribunal s'exprime ainsi dans Dhawan10: « ... de par son essence même, le harcèlement est forcément établi par une preuve de la répétition d'actes à connotation sexuelle mais également par un enchaînement d'actes qui y sont reliés, dont la gravité quant aux conséquences, qu'il s'agisse de menaces, de promesses ou de représailles diverses, peut même aller jusqu'au congédiement ou à la démission forcée de la victime. C'est dans un rapport inversement proportionnel entre la répétition de tels actes et l'impact de leurs conséquences que se situe la nécessité de démontrer la durée du harcèlement. Ainsi, le refus qui conduit au congédiement peut être qualifié de harcèlement vu la gravité des conséquences et malgré que la conduite reprochée ne puisse plus être répétée. » [79] Concernant la gravité d'un seul acte et son effet continu pour les fins de l'établissement du deuxième élément de la notion de harcèlement sexuel, l'honorable Jean-Louis Baudouin, de la Cour d'Appel du Québec, exprime l'opinion suivante:

« Quoi qu'il en soit, et au-delà de la magie des mots, je tiens pour acquis, comme les auteurs précités, qu'en droit du moins, contrairement à la linguistique, un seul acte, à condition qu'il soit grave et produise des effets dans l'avenir, puisse effectivement constituer du harcèlement. J'endosse donc, à cet égard, les conceptions larges proposées par certains auteurs (...).

Cependant, à moins de vider complètement le concept de harcèlement de tout son sens, de banaliser et de réduire ainsi l'impact que voulait donner le législateur à cet acte, il faut pour qu'un seul acte puisse ainsi être qualifié, que

celui-ci présente un certain degré objectif de gravité. Les auteurs précités parlent de viol ou de tentative de viol, donc d'agression sexuelle. On peut probablement ajouter à ceux-ci la sollicitation insistante d'obtenir des faveurs sexuelles sous menace, par exemple, de congédiement dans le cas d'une employée. Alors, en effet, l'acte ne reste pas véritablement isolé puisque son impact (la menace de congédiement) se perpétue dans le temps. » 11

3. L'APPLICATION DU DROIT AUX FAITS EN L'ESPÈCE [80] Après analyse des différents témoignages et de l'ensemble de la preuve, le Tribunal conclut que la demande présentée au nom de la plaignante, Pauline Brochu, doit être accueillie pour les motifs qui suivent.

3.1 La conduite du défendeur Robert Landry [81] En l'espèce, les témoignages entendus sont contradictoires relativement aux gestes que le défendeur aurait posés entre les mois de juillet 1995 et janvier 1996, lesquels font indiscutablement l'objet essentiel du débat. Ainsi, le Tribunal doit donc examiner la présente affaire sous l'angle de la crédibilité des témoins. [82] Aussi, étant donné les circonstances du présent dossier, la crédibilité des témoins doit s'analyser en prenant en compte tant le contenu des témoignages que l'impression générale qui se dégage des témoins entendus. [83] Tout au long de son témoignage, Pauline Brochu a décrit sans ambages les différents gestes et paroles de Robert Landry à son égard. En contreinterrogatoire, la version des faits présentée par la plaignante est toujours demeurée la même. [84] Lors de son témoignage, la plaignante a indiqué que certains événements sont survenus le jeudi alors qu'elle était en période de formation et le vendredi lorsqu'elle remplaçait le défendeur et ce, au cours des mois de juillet, d'août et de septembre 1995. La plaignante a témoigné que les autres événements s'étaient produits en octobre, en décembre 1995 et en janvier 1996. Par ailleurs, Madame Brochu a également été en mesure de préciser les lieux où les gestes ont été posés. Seul l'événement du 19 décembre 1995 s'est déroulé au bureau du secrétariat, les autres ayant été posés au bureau de la balance. [85]

La plaignante n'a pas identifié exactement le jour de la semaine de la

survenance de ces événements, mais il n'en demeure pas moins que la preuve a démontré qu'au cours de ces journées, ou bien elle travaillait, ou bien elle était présente à l'usine en dehors de son horaire de travail pour des motifs reliés à ses fonctions. Ces faits étant établis, le mélange de date qu'elle avoue avoir commis ne rend pas pour autant improbables ses affirmations à l'effet que le défendeur ait posés les gestes reprochés. [86] Par ailleurs, les autres témoins de la partie demanderesse, en l'occurrence Mireille Valade, Denise Noël et Carole Caron ont confirmé l'état de panique dans lequel la plaignante se trouvait en raison des événements qu'elle a vécus auprès du défendeur, Robert Landry. [87] Rappelons comment Pauline Brochu, en mars 1996, expose à son amie Mireille Valade la situation de harcèlement dont elle était l'objet; elle a transmis d'abord une lettre avant d'accepter de lui relater de vive voix ce qu'elle vivait. Lors de son témoignage, Mireille Valade a affirmé que la plaignante était anxieuse, angoissée et bouleversée lors de la rencontre. [88] Denise Noël a décrit le désarroi de la plaignante suite à ses entretiens avec Suzanne Lévesque, Bernard Gilbert et Jeannot Gervais. En effet, cette thérapeute, qui connaît Pauline Brochu depuis janvier 1992, raconte que la plaignante se sentait coupable et honteuse. Elle l'a même accueilli en pleurs suite à sa rencontre avec Bernard Gilbert. Finalement, Carole Caron du groupe « Assault sexuel secours » a indiqué que la plaignante était démoralisée, dépourvue de moyen et perturbée par les événements au moment où elle est venue la consulter. [89] De plus, les dépositions des mêmes témoins révèlent que la plaignante leur a raconté essentiellement les mêmes faits à propos des gestes de harcèlement qu'elle avait subis de la part du défendeur, Robert Landry, ce qui constituent des déclarations que le Tribunal ne peut ignorer. [90] Dans une situation de harcèlement sexuel pour laquelle il n'y avait pas de preuve directe pour corroborer le témoignage de la plaignante, le Tribunal a déjà reconnu qu'une preuve indirecte constituée de « plaintes spontanées nombreuses et faites à des périodes contemporaines à des témoins crédibles » 12 par la plaignante constitue des éléments à prendre en compte pour apprécier la crédibilité de cette dernière. [91] La plaignante a admis sans hésitation les événements qui militaient en sa défaveur. Le Tribunal se réfère aux réponses que Madame Brochu a fournies concernant sa relation extraconjugale avec Monsieur Landry en 1990; sa présence aux funérailles des membres de la famille du défendeur à l'occasion de laquelle elle a admis lui avoir serré la main et l'avoir embrassé. Il en est

ainsi des explications qu'elle a données concernant les erreurs commises dans l'énumération des dates et des jours au cours desquels sont survenus les gestes de harcèlement. [92] Il importe de souligner que les erreurs ne découlent pas de déclarations faites lors de l'audience mais plutôt de certains documents préparés par une représentante de la Commission qui a eu la responsabilité de recevoir les faits pour ensuite rédiger la plainte. De même, les lettres datées du 10 juin 1996 (P2) ont été rédigées par Carole Caron du groupe « Assault sexuel secours » . [93] Pour leur part, les témoins entendus en défense n'ont pas apporté d'éléments de preuve reliés directement à la situation de harcèlement décrite par la plaignante et impliquant Monsieur Landry. [94] En défense, seul le témoignage de Monsieur Landry par une dénégation générale est venu contredire directement les faits relatés par la plaignante concernant les gestes à connotation sexuelle qu'on lui reproche d'avoir posés. Les témoignages rendus par les partenaires de golf de Monsieur Landry, Monsieur Grenier et Monsieur Drolet, n'ont pas, à l'analyse du Tribunal, renversé la preuve établie par la partie demanderesse. [95] Les témoignages des partenaires de golf de Monsieur Landry ne remettent aucunement en question les faits relatés par la plaignante concernant les gestes que le défendeur aurait commis les jeudis pendant la période estivale et ceux qu'il aurait posés en décembre 1995 et en janvier 1996 . [96] Enfin, il convient de préciser que les autres témoins de la défense n'ont pas contredit le témoignage de la plaignante relativement aux gestes que le défendeur aurait posés. Au contraire, la preuve tend plutôt à démontrer que Monsieur Landry et Madame Brochu travaillaient dans un local isolé et qu'au cours d'une journée de travail, il arrivait qu'ils soient seuls. [97] Pour ces raisons, le Tribunal conclut que le témoignage de la plaignante est crédible et qu'il y a lieu de retenir sa version des faits concernant les gestes posés par le défendeur. [98] Le Tribunal conclut également que les gestes de nature sexuelle posés par le défendeur Robert Landry constituent du harcèlement sexuel prohibé par la Charte. La preuve montre le caractère vexatoire et répétitif des gestes posés par Robert Landry. La preuve a établi que la plaignante a indiqué au défendeur de cesser sa conduite, mais ce dernier n'a pas modifié sa conduite malgré les différents refus exprimés par celle-ci.

[99] De plus, au cours de son témoignage, Pauline Brochu a indiqué que la conduite du défendeur l'a empêché d'effectuer convenablement son travail. Les mêmes événements ont également provoqué chez elle de l'anxiété et de l'angoisse. En somme, elle ne désirait plus retourner à son travail par crainte de subir la conduite du défendeur. [100] Dans les circonstances, le défendeur a porté atteinte aux droits de la plaignante de bénéficier de conditions de travail exemptes de harcèlement fondé sur le sexe. Les mêmes événements l'ont également forcée à rompre son lien d'emploi avec Domtar. Finalement, le Tribunal est d'avis que le défendeur a porté atteinte aux droits de Pauline Brochu au respect de son intégrité et de sa dignité, le tout contrairement aux dispositions de la Charte.

3.2 La conduite de la défenderesse Domtar [101] La preuve ayant établi que la plaignante a été victime de harcèlement sexuel de la part de Robert Landry, qu'en est-il de la conduite de la défenderesse Domtar? Peut-on conclure, comme l'allègue la Commission, que la défenderesse Domtar a porté atteinte aux droits de Madame Brochu d'être traitée sans discrimination fondée sur le sexe? [102]

Le Tribunal répond négativement à cette question.

[103] La preuve n'a pas établi qu'entre juillet 1995 et fin janvier 1996, période pendant laquelle la plaignante a fait l'objet de harcèlement sexuel de la part de Robert Landry, la défendresse Domtar a, par son action ou omission, favorisé ou refusé de poser des gestes en regard de la situation de harcèlement. [104] La preuve ne révèle pas de la part de Domtar une conduite fautive ou négligente impliquant directement l'entreprise dans la conduite du défendeur Robert Landry.

3.3 Les dommages [105] La preuve ayant établi que Pauline Brochu a été victime de harcèlement sexuel dans son milieu de travail par le défendeur Robert Landry, le Tribunal doit évaluer les dommages subis par la plaignante.

[106] La demanderesse réclame 4 000$ à titre de dommages matériels. Pour établir ces dommages, elle a déposé en liasse (P-6) les relevés TP-4 de la plaignante pour les années 1995 et 1996 établissant les gains de cette dernière chez Domtar, soit 4 074$ en 1995 et 528$ en 1996. [107] La plaignante avait un intérêt à travailler et elle a fait des démarches auprès de Suzanne Lévesque à cet effet. Elle désirait même augmenter le nombre de ses heures de remplacement, comme l'a confirmé Madame Lévesque dans son témoignage. [108] N'eut été des événements qui ont fait l'objet de la présente demande, la plaignante, dont les services étaient requis par Suzanne Lévesque, aurait maintenu son emploi auprès de Domtar et sûrement augmenté ses revenus pour l'année 1996. Une indemnité équivalente au gain enregistré pour cette partie de l'année 1995 de juillet à décembre constitue une justification du montant réclamé comme dommages matériels subis. [109] Le Tribunal considère que le 4 000$ réclamé à titre de dommages matériels est juste et équitable. [110] La réclamation de 5 000$ à titre de dommages moraux est également justifiée. La preuve a établi que par suite des événements, la plaignante a eu des problèmes psychologiques; elle a vécu de l'anxiété et de l'angoisse suite à l'atteinte à ses droits garantis par la Charte. [111] Les démarches que la plaignante a effectuées pour atténuer sa perte de quiétude due aux comportements du défendeur et à l'atteinte de son intégrité et à sa dignité sont autant d'éléments que le Tribunal prend en considération pour conclure à la justesse du montant réclamé. [112] Étant donné le caractère intentionnel des gestes posés et de l'atteinte illicite à l'intégrité de la plaignante, la réclamation de 1 000$ à titre de dommages exemplaires est également fondée. [113] À la fin de l'audience, la partie défenderesse Domtar a admis sa solidarité comme employeur dans la présente demande et requiert l'application du principe établi par le Tribunal13 en regard du remboursement des montants qu'elle devra débourser à la plaignante comme employeur du défendeur Robert Landry.

[114]

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

ACCUEILLE la demande;

CONDAMNE solidairement les parties défenderesses à payer à Pauline Brochu la somme de quatre mille dollars (4 000$) à titre de dommages matériels;

CONDAMNE solidairement les parties défenderesses à payer à Pauline Brochu la somme de cinq mille dollars (5 000$) à titre de dommages moraux;

CONDAMNE le défendeur Robert Landry à payer à Pauline Brochu la somme de mille dollars (1 000$) à titre de dommages exemplaires;

LE TOUT avec intérêts depuis la signification de la proposition de mesures de redressement, soit le 29 mars 1999, au taux fixé suivant l'article 28 de la Loi sur le ministère du Revenu (L.R.Q., c. M-31), ainsi que le permet l'article 1619 C.c.Q. et les dépens, contre le défendeur Robert Landry; CONDAMNE le défendeur Robert Landry à rembourser aux Produits Forestiers Domtar Inc. tout montant que cette dernière aura à débourser en capital et intérêts en application du présent jugement.

OSCAR d'AMOURS, Juge au Tribunal des droits de la personne OdA/cg __________________ 1

Voir notamment les jugements suivants: Commission des droits de la personnes et des droits de la jeunesse (Lippé) c. Procureur général du Québec, 1998 CanLII 30 (QC TDP), [1998] R.J.Q. 3397 (T.D.P.Q.) , J.E. 98-2370; CDPDJ (Arseneault) c. Dottrex Marketing Limited, T.D.P.Q. Longueuil, 50553-000001-989, 13 juillet 1998. j. Rivet.

2

Janzen c. Platy Enterprises Ltd, 1989 CanLII 97 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 1252. 3

Id., 1284.

4

Commission des droits de la personne du Québec c. Habachi, 1992 CanLII 1 (QC TDP), [1992] R.J.Q. 1439 (T.D.P.Q.). (Jugement confirmé en partie par la Cour d'appel du Québec: Habachi c. Commission des droits de la personne du Québec, 1999 CanLII 13338 (QC CA), [1999] R.J.Q. 2522, juges Baudouin, Proulx, Deschamps). 5

Id., 1450.

6

Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Lippé) c. Procureur général du Québec, précité, note 1, 3420. 7

Commission des droits de la personne c. Genest, 1997 CanLII 66 (QC TDP), [1997] R.J.Q. 1488, 1506 (T.D.P.Q.), (en appel). 8

Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Roberge) c. Procureur général du Québec, T.D.P.Q. Montréal, 500-53000086-981, 27 janvier 1999, j. Rivet. 9

Id., para. 53.

10

C.D.P.Q. c. Dhawan, (1997) 28 C.H.R.R. D/311, D/316 (en appel).

11

Habachi c. Commission des droits de la personne du Québec, précité, note 4, 2528 (motifs du juge Baudouin auxquels souscrit le juge Proulx). 12

Commission des droits de la personne c. Dhawan et al. , précité, note 9, D/314 et Commission des droits de la personne c. Lavoie, D.T.E. 97T -1436. 13

C.D.P. c. Virage santé mentale Inc. et al. T.D.P.Q. 1998 CanLII 55 (QC TDP), [1998] R.J.Q. 2199. Portée des collections

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