non, les tablettes ne nuisent pas à la lecture! - Thierry Karsenti

Canada sur les technologies en éducation. Directeur du ... numérique entre l'école et la société du savoir, il faut se ... des élèves, teintée de technologies, en.
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CRIFPE

THIERRY KARSENTI

OLIVIER BRUCHESI

Titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les technologies en éducation Directeur du CRIFPE Professeur titulaire, Université de Montréal [email protected] Étudiant en enseignement du français au secondaire Auxiliaire de recherche, CRIFPE Université du Québec à Montréal [email protected]

AQEP VIVRE LE PRIMAIRE, VOLUME 28, NUMÉRO 1, HIVER 2015

NON, LES TABLETTES NE NUISENT PAS À LA LECTURE! N

on, les tablettes ne nuisent pas à la lecture, au contraire, et ce, même si plusieurs enseignants le pensent. En effet, cet outil de plus en plus répandu dans les écoles aurait plutôt un impact significatif sur la lecture. C’est du moins ce que révèlent clairement les résultats préliminaires d’une étude que nous avons réalisée au printemps dernier dans des écoles du Québec. C’est également ce que dévoile une étude de l’institut de sondages spécialisé en sciences sociales Pew Research Center (2014). Dans un contexte où les élèves lisent de moins en moins, non seulement les tablettes – et bien souvent l’iPad au premier rang – ne nuiraient pas à leur compétence à lire, mais elles leur permettraient de lire mieux et plus. À cet égard, nous propo-

Cet outil de plus en plus répandu dans les serons, à la fin de ce texte, une dizaine de suggestions de livres numériques pour les élèves du primaire. Des jeunes du primaire qui lisent de moins en moins Ennui et désintérêt des élèves du primaire face à la lecture, tel est le constat de plusieurs recherches publiées ces trois dernières années. Ces recherches montrent également un lien direct entre les compétences en lecture – dévelop22

pées dès le primaire – et la réussite scolaire au secondaire (Hernandez, 2011). De surcroit, une étude de Clark réalisée pour le compte de la National Literacy Trust (2012), et effectuée auprès de quelque 21 000 élèves, a montré que

obligation scolaire (Australian Bureau of Statistics, 2012; Common Sense Media, 2014; Dickenson, 2014).

Pourtant, le plaisir de lire est associé à de nombreux impacts éducatifs positifs, comme la écoles aurait plutôt un impact significatif sur la lecture. réussite scolaire, 40 % des élèves issus de milieux défa- l’engagement social et le développement vorisés quittent le primaire sans être en personnel (Vivian, 2011). Certains vont mesure de lire de façon adéquate, ou dire que les jeunes lisent plus qu’avant encore sans être un « lecteur confirmé » (Octobre, 2014), mais il faut absolument (Giasson, 2011). En outre, il a été révélé tenir compte que cette lecture est souque les élèves du primaire d’aujourd’hui vent superficielle. Les quelque 4200 texlisent beaucoup moins que ceux d’il y a tos envoyés chaque mois par nos jeunes 10 ans (Clark, 2012; Save the Children, (voir Karsenti et Collin, 2013) ou les cen2014). Non seulement les jeunes du pri- taines de pages Facebook qu’ils lisent maire lisent-ils moins de livres papier, ne représentent aucunement la même mais quand ils le font c’est de moins en valeur éducative que les livres. moins par plaisir et beaucoup plus par

Une école qui se doit d’embrasser le livre numérique, de façon réfléchie, pour donner le gout de lire? À l’heure où est souvent décriée l’obsolescence de l’école, voire le fossé numérique entre l’école et la société du savoir, il faut se poser la question de la valeur ajoutée de lire un livre numérique. Qu’on s’en indigne ou qu’on s’en réjouisse, il est là, et il le sera encore plus au fil des ans. Il faut donc plutôt chercher à comprendre comment l’enseignant peut être en mesure de jongler

Résultats préliminaires de la recherche menée au printemps 2014 Nous avons réalisé une recherche auprès d’un peu moins d’une centaine d’élèves qui utilisaient l’iPad au quotidien en classe au printemps 2014 (Karsenti et Bruchesi, sous presse). Les jeunes nous ont clairement mentionné ne pratiquement plus lire de livres papier, « sauf quand ça compte », « quand ils sont obligés », « et même encore ». En fait, moins de 5 % des élèves rencontrés affirment lire un livre papier par plaisir, Le livre numérique c’est presque magique, et non par obligation. Certains parce que « tout est là : le dictionnaire, le ont avoué n’avoir jamais plongé le nez dans un livre : « Je n’ai dictionnaire des synonymes, les recherches... » jamais lu un livre [papier] de ma avec cette nouvelle réalité, non pas au vie, je pense! » Quand on leur demande détriment du livre papier, mais bien au si la lecture sur l’iPad est faite par plaiprofit du gout des élèves pour la lecture. sir, cette proportion grimpe à près de C’est ce qui est avant tout important, et 30 %. « J’aime lire des livres électronon le moyen utilisé pour lire. niques », affirment-ils vivement. Pour eux, en plus, le livre numérique c’est Nous devons aussi agir en étant presque magique, parce que « tout est conscients, comme l’a si bien dit Michel là : le dictionnaire, le dictionnaire des Serres, que les élèves du primaire seront synonymes, les recherches […]. Tu n’as rapidement cette « Petite Poucette », et ils pas besoin de regarder partout. Tout est tiendront demain le monde dans le creux là dans l’iPad ». Il ne faut pas non plus de leur main grâce à leur téléphone intel- s’étonner que les jeunes prennent plailigent. Ainsi, nous croyons que l’école sir à lire sur une tablette, car pour eux, doit se rapprocher de la vie quotidienne c’est un peu, comme l’exprimait une des élèves, teintée de technologies, en enseignante, « une bibliothèque ouverte embrassant la lecture sur la tablette tac- sur le monde ». tile. Il importe toutefois de préciser que l’objectif n’est pas de suivre aveuglément Les élèves aiment surtout l’interactivité la mode numérique; il consiste plutôt à rendue possible par le livre numérique, former des élèves qui pourront, grâce à la non seulement avec le texte, mais aussi lecture, devenir des citoyens contribuant avec des illustrations, des photos, des de façon réfléchie à l’épanouissement et vidéos et d’autres compléments. Il sufau bienêtre de notre société. fit aussi de cliquer sur un mot incompris pour en avoir la signification :

« […] pour la recherche d’information dans le texte, ça va très bien sur l’iPad ». Ainsi, les élèves sont en contact avec la littératie multimodale, qui leur permet de devenir « de bon(s) communicateur(s) contemporain(s) […] qui [possèdent] les clés d’autres modes sémiotiques et de supports technologiques toujours plus […] interactifs […] et complexes » (Stafford, 2010, dans Lebrun, Lacelle et Boutin, 2013). En bref, pour les élèves rencontrés, la lecture d’un livre numérique – par rapport à un livre papier – comporte une douzaine d’avantages :  elle est plus intéressante;  elle pousse les jeunes à lire plus souvent;  elle conduit les jeunes à lire plus longtemps;  elle participe à la lecture d’une plus grande variété de textes;  elle est, globalement, plus agréable;  elle accroit et facilite les possibilités de partager ce qui est lu avec d’autres;  elle permet de comprendre plus facilement les mots plus difficiles (en « cliquant » sur le mot, on obtient la définition);  elle facilite la recherche rapide d’informations supplémentaires sur ce qui est lu;  elle favorise la collaboration en temps réel, avec d’autres camarades de classe, pendant la réalisation de la tâche de lecture;  elle stimule et inspire les jeunes par la présence d’un contenu multimédia présenté durant les différentes étapes de lecture (Lacelle, 2012); elle participe à l’organisation des livres et autres textes; elle est plus motivante qu’une lecture sur papier. Bien sûr, le livre numérique n’est pas la panacée ou la solution miracle au problème de désintérêt des jeunes pour la lecture. Et son usage en classe s’accom23

C'est insuffler le gout de lire aux élèves qui est primordial si l’on souhaite réellement participer à la mission de l’école dans notre société du savoir où les technologies sont omniprésentes.

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pagne parfois aussi de défis, à commencer par la distraction que l’usage de la tablette peut susciter. Le rôle de l’enseignant demeure tout de même fondamental. Insistons sur ce point : ce n’est pas la simple présence du livre numérique qui fera une différence dans la compétence à lire de l’élève, c’est ce que l’enseignant l’amènera à faire avec ledit livre. Pourquoi vouloir garder l’école loin des bienfaits de la tablette numérique? Pourquoi tant d’enseignants cherchentils à aller à contrecourant en suggérant même parfois de bannir les technologies à l’école? Avoir recours à la lecture numérique et plonger les élèves dans un milieu d’apprentissage qui n’est pas à mille lieues de leur réalité technologique quotidienne pourraient certainement favoriser leur motivation à lire plus. En ce sens, l’école, et surtout les élèves, en ressortiraient gagnants. Bien que nous soyons en faveur d’un usage réfléchi de l’usage du livre numérique en contexte scolaire, nous sommes de ceux qui sourcillent quand nous voyons certains enseignants qui innovent – en amenant, par exemple, leurs élèves à lire des livres électroniques – faire l’objet d’une « sorte de quête inquisitoriale de résultats » (voir Merrieu, 2014), alors qu’à côté, l’absence du manque d’intérêt de la lecture de livres papier est constatée avec une bienveillante indifférence. La solution, et elle n’est pas simple à mettre en place pour les enseignants, c’est peut-être aussi trouver une façon de faire le pont entre le livre papier – encore plus accessible par tous les élèves et leurs parents – et le livre numérique, car, après tout, c’est insuffler le gout de lire aux élèves 24

qui est primordial si l’on souhaite réel- Références lement participer à la mission de l’école • Australian Bureau of Statistics (2012). The National Year of Reading : Libraries Helping to Make dans notre société du savoir où les techAustralia a Nation of Readers. Belconnen : ABS. • Clark, C. (2012). Children’s Reading Today : nologies sont omniprésentes. 10 suggestions de livres numériques captivants pour les élèves du primaire  Clicmots : frissons garantis (Grand Duc en ligne) : https://itunes.apple.com/ ca/book/frissons-garantis-!-eleve/ id578139933?l=fr&mt=11  La grande fabrique de mots (livre) : https://itunes.apple.com/fr/ app/la-grande-fabrique-de-mots/ id715582746?mt=8  Pipo et l’histoire inachevée (livre) : https://itunes.apple.com/fr/ app/pipo-et-lhistoire-inachevee/ id862452203?mt=8  Le singe au chapeau (livre) : https:// itunes.apple.com/fr/app/le-singe-auchapeau/id904565251?mt=8  Grégoire la grenouille (livre) : https:// itunes.apple.com/fr/app/gregoire/ id581872350?mt=8  Pierre et le loup (livre) : https://itunes. apple.com/fr/app/pierre-et-le-louppar-gerard/id455651651?mt=8  La marche des dinosaures : https:// itunes.apple.com/fr/app/la-marchedes-dinosaures/id492657537?mt=8  Les fantastiques livres volants : https://itunes.apple.com/fr/app/ les-fantastiques-livres-volants/ id438052647?mt=8  Tara Duncan : https://itunes. apple.com/fr/app/tara-duncan/ id529469410?mt=8 (pour les élèves du 3e cycle)  Lucky Luke, Cavalier seul (BD active) : https://itunes.apple.com/fr/app/ lucky-luke-cavalier-seul-app/ id563010680?mt=8

Findings from the National Literacy Trust’s Annual Survey. Londres : National Literacy Trust. • Common Sense Media. (2014). Children, Teens and Reading : A Common Sense Media Research Brief. San Francisco CA : Common Sense Media. • Dickenson, D. (2014). Children and Reading : Literature Review. Sydney : University of Western Sydney. • Giasson, J. (2011). La lecture : apprentissage et difficultés. Montréal : Gaëtan Morin éditeur. • Hernandez, D. (2011) Double Jeopardy. How Third-Grade Reading Skills and Poverty Influence School Graduation. New York, NY : The Annie E. Casey Foundation. • Howard, V. (2011). The Importance of Pleasure Reading in the Lives of Young Teens : SelfDetermination, Self-Construction and Self-Awareness. Journal of Librarianship and Information Science, 43(1), p. 46-55. • Karsenti, T., et Collin, S. (2013). Quand les TIC font mouche : leur impact sur l’engagement scolaire des élèves. Éducation Canada, 53(1), p. 26-28. • Karsenti, T., et Bruchesi, O. (sous presse). L’iPad à l’école : quels impacts sur la lecture et l’écriture? Étude exploratoire auprès de quelque 100 élèves. Montréal : CRIFPE. • Lacelle, N. (2012). Des propositions d’enseignement de lecture littéraire et filmique pour fonder une didactique de la lecture multimodale. In Lebrun, M., Lacelle, N., et Boutin, J.-F. (dir.). La littératie médiatique multimodale. De nouvelles approches en lecture-écriture à l’école et hors de l’école (p. 171-188). Québec : Presses de l’Université du Québec. • Lebrun, M., Lacelle, N., Boutin, J.-F. (2013). La littératie médiatique à l’école : une (r)évolution multimodale. Globe : revue internationale d’études québécoises, 16(1), p. 71-89. • Merrieu, P. (2014). Du bon usage des « innovations ». Café pédagogique, 263. Récupéré de http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2 014/09/19092014Article635467071520753195.aspx • Octobre, S. (2014). Les jeunes lisent toujours, mais pas des livres. Le Monde (24 septembre). Récupéré de http://campus.lemonde.fr/campus/article/2014/ 09/24/les-jeunes-lisent-toujours-mais-pas-deslivres_4491903_4401467.html. • Pew Research Center. (2014, mars). From Distant Admirers to Library Lovers : a Typology of Public Library Engagement in America. • Save The Children. (2014). Read On Get On : How Reading can Help Children Escape Poverty. Londres : Save The Children.