les drh et la transformation digitale - Sia Partners

Le monde s'est engagé avec l'informatique dans une troisième révolution industrielle, dont les bouleversements sont aussi ..... professionnelle, savoir fixer des limites, arrêter le salarié qui en fait ...... inscrites obtiennent la certification finale.
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LES DRH ET LA TRANSFORMATION DIGITALE

Catalyseurs ou premières victimes du changement ?

JUIN 2015

Editorial La transformation digitale des entreprises bouleverse l’économie et se révèle une priorité stratégique pour beaucoup de décideurs. Pourtant sa dimension organisationnelle, culturelle et managériale reste encore mal comprise et sous-estimée face aux enjeux technologiques. Or, comme dans toute révolution technologique, la technologie en ellemême importe moins que la prise de conscience d’un changement de paradigme, amenant l’entreprise à remettre en question son modèle économique, son organisation, ses processus, ses compétences et son management. Alors que les entreprises deviennent de plus en plus étendues à l’échelle globale, leurs organisations tendent à se disperser et à se complexifier. De nouveaux usages disruptifs émergent pour améliorer la productivité des équipes, briser les silos, gagner en flexibilité, en innovation et en compétitivité par la collaboration et la co-création. Paradoxalement, malgré les discours, la contribution active et éclairée de la DRH au chantier digital reste aujourd’hui rarement à la hauteur des transformations humaines radicales qui s’annoncent aujourd’hui dans les organisations. Leur succès nécessite plus que jamais d’activer les leviers régaliens portés par la fonction RH, à travers notamment des politiques ambitieuses de formation, de gestion des emplois et des compétences, de management social et de conduite du changement. Ces fonctions sont elles-mêmes également impactées par le nouveau champ des possibles technologique qui remet profondément en question les pratiques RH telles qu’on les connaît à ce jour. La course contre la montre est engagée. La DRH n’a eu de cesse depuis 20 ans de réclamer ou justifier sa place stratégique dans les comités de direction. La transformation digitale lui permettra-t-elle de se positionner en catalyseur de ce changement humain sans précédent ? Ou bien en sera-t-elle la première victime ?

Anatole de La Brosse Directeur Général Adjoint

1

Sommaire I - La DRH dans la transformation digitale

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La transformation digitale bouleverse tous les secteurs économiques

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La transformation digitale amène l’entreprise à repenser son business model,

5

ses opérations et son organisation La transformation digitale met en tension les emplois et les compétences

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La transformation digitale bouleverse les modes de travail

7

La transformation digitale porte d’importants changements culturels

11

Quelle place pour les RH dans la transformation digitale de l’entreprise ?

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II - La transformation digitale de la DRH Construire l’expérience collaborateur pour attirer, recruter, intégrer et retenir les

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meilleurs talents Mieux évaluer et engager ses collaborateurs : la fin de l’entretien annuel ?

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Former mieux en dépensant moins : l’extension du domaine de la formation

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Exploiter les données RH pour une gestion des talents « data driven »

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Les Relations Sociales à l’épreuve du digital : le salarié-client remis au centre du jeu

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Accompagner socialement sa transformation digitale

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Comité éditorial Damien Joliot, comité de rédaction

France Delamare

Pierre de Villeneuve

Avec également les contributions d’Anatole de La Brosse, Christophe Cazelle, Louise Chiarini, Ronan Guellec, Sandra Malaval, Anne-Karine Baudet, Françoise Gri.

I - LA DRH DANS LA TRANSFORMATION DIGITALE

L’an passé, lors d’un déplacement du comité exécutif que j’avais souhaité réaliser dans la Silicon Valley, nous avons été impressionnés par les dirigeants que nous avons rencontrés. Ils nous ont tous expliqué qu’ils vivaient et conduisaient leur entreprise avec l’idée que celle-ci pouvait changer de métier dans les dix-huit mois. J’ai alors compris ce que nous devions faire pour être dans la vague qui porte le monde. Jean-Dominique Senard, président et gérant associé commandité, Michelin (L’Usine Digitale, 17 mars 2015)

LA TRANSFORMATION DIGITALE BOULEVERSE TOUS LES SECTEURS ÉCONOMIQUES Le monde s’est engagé avec l’informatique dans une troisième révolution industrielle, dont les bouleversements sont aussi considérables qu’en leur temps l’invention de l’écriture puis celle de l’imprimerie1. La transition d’une économie matérielle, fondée sur des biens physiques, à une économie immatérielle s’inscrit dans une histoire déjà vieille de plusieurs décennies, d’Allan Turing (1936) aux ordinateurs IBM 360 (1960), du lancement de l’ordinateur personnel Macintosh (1984) à l’avènement de l’iPhone (2007). À chaque étape, on a parlé de révolution. Depuis 2008, nous sommes entrés dans une nouvelle phase désignée par le terme « numérique » ou son équivalent anglosaxon plus utilisé « digital ». Avec le digital, la course technologique n’est plus tirée par les entreprises. Le terme même « digital » - ou « numérique » - provient de l’univers grand public : son usage se généralise après 2008, année de la commercialisation de l’iPhone par Apple. Massivement équipés à moindre coûts, ce sont désormais les particuliers qui, par un usage incessant des nouveaux outils, inventent à vive allure de nouvelles manières de s’informer, de consommer, de s’associer, de se rencontrer, de vivre. L’homme gagne une possibilité nouvelle de mise en relation (d’individus, de groupes et de réseaux, de savoirs) mais aussi une faculté décuplée d’invention et de création. Avec le développement exponentiel de ces nouveaux usages, l’entreprise fait face à des transformations inédites qui s’accélèrent et se radicalisent.

et ne considère que l’investissement technologique alors que ses implications réelles recouvrent des questions d’infrastructure, d’organisation, de leadership et une attention renouvelée sur l’expérience client ».

Le digital n’est pas seulement une question de technologie. Le terme « digital » dépasse très largement le cadre réducteur des Systèmes d’Information. La référence au « digital » englobe l’ensemble des techniques et outils de traitement de l’information qui modifient profondément notre capacité d’accéder à la connaissance, la culture, la consommation, ainsi que nos manières de communiquer et de nous déplacer2. Il porte donc un impact qualitatif sur les usages, les modèles d’affaire, les organisations, l’économie et la société. Comme le souligne Nicolas Colin3, « La France confond le numérique avec de la technologie

Pour autant, nous n’avons encore rien vu. La vague d’innovations actuelles ne s’appuie que sur des progrès technologiques déjà anciens : les microprocesseurs, la baisse du coût de calcul, les télécommunications, le réseau Internet haut débit et l’usage massif de terminaux mobiles. L’accélération s’accélère : un champ des possibles beaucoup plus large est attendu avec le développement de nouveaux usages permis par l’utilisation combinée du big data, du paiement par mobile, de l’impression 3D, des réseaux d’objets connectés, de l’intelligence artificielle, des systèmes auto-apprenant, de nouvelles interfaces

Le digital repose en effet sur l’exploitation radicale des usages « disruptifs » induits par les technologies, du fait de leur évolution rapide, du large public qu’elles adressent, du changement qu’elles entraînent dans les modes de vie et de travail, et de leur potentiel exponentiel de création de richesse. Tous les secteurs économiques sont bouleversés par les effets combinés d’automatisation, de dématérialisation et de réorganisation des schémas d’intermédiation que la transformation digitale porte intrinsèquement4.

Les effets économiques de la transformation digitale Dématérialisation  Nouveaux canaux de communication et de distribution  Baisse des coûts marginaux de production  Baisse des coûts de transaction

Automatisation Accroissement des facteurs de production :  productivité du travail  productivité du capital  productivité de l’énergie et des matières premières

Désintermédiation / Réintermédiation  Nouveau rôle joué par les personnes, acteurs de l’économie collaborative et réorganisation des chaînes de valeur avec l’irruption de nouveaux acteurs  Nouveaux actifs issus des données

D’après : La transformation numérique de l'économie française, Rapport Philippe Lemoine, Novembre 2014

Michel Serre, Petite Poucette 2 Le choc numérique, Jean-Pierre Corniou et l’équipe SiaPartners, 2013 3 Nicolas Colin, La revue du digital, 14 juin 2014 4 Rapport Lemoine, 7 novembre 2014 1

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hommes-machines basées sur des interfaces vocales ou des écrans haptiques, ou encore l’avènement de la réalité augmentée et de la réalité virtuelle... A l’horizon 2020, les véhicules autonomes, les nanotechnologies, la médecine personnalisée ou les agents intelligents constitueront autant d’opportunités de « changer le monde », comme le revendiquent les entrepreneurs de la SiliconValley. Dans tous les secteurs, des acteurs révolutionnaires bouleversent les modes de pensée établis autant que les équilibres du marché sur lesquels ils évoluent. Comme à la Renaissance ou lors de la révolution industrielle, la révolution numérique est d’abord initiée par ces « outsiders ». Souvent externes aux entreprises et institutions installées, dont ils ne se soucient guère des conventions, ces nouveaux « barbares »5 s’emparent des nouvelles potentialités scientifiques et techniques. Leurs produits innovants entrent profondément dans la vie des individus et peuvent modifier considérablement la façon dont ils consomment, travaillent ou se déplacent. Il y a urgence pour les entreprises à s’adapter à cette nouvelle donne pour

ne pas voir leur position menacée sur leur chaîne de valeur par ces nouveaux entrants, ou par des concurrents plus rapides. La transformation digitale est une priorité affichée par tous les dirigeants d’entreprises ou d’institutions. Quels enjeux pour les DRH ? > Les DRH sont mobilisés en même temps que les autres membres du comité de direction pour proposer des réponses rapides et profondes à l’évolution de l’environnement économique de leur entreprise. > Leurs organisations, ainsi que les hommes et les femmes qui les composent, sont contraints d’évoluer vers de nouveaux modèles culturels marqués par une posture nouvelle face au changement permanent. Pour survivre, l’entreprise de demain doit être agile et résiliente ; sa DRH doit être en mesure d’accompagner par des réponses concrètes les transformations radicales en cours, aussi bien sur le plan culturel qu’organisationnel.

LA TRANSFORMATION DIGITALE AMÈNE L’ENTREPRISE À REPENSER SON BUSINESS MODEL, SES OPÉRATIONS ET SON ORGANISATION La transformation digitale s’applique à toutes les entreprises de différentes manières, selon le métier et le secteur de l’entreprise concernés. L’accélération de la mutation d’une économie de produit vers une économie de la fonctionnalité, basée sur la valorisation de l’usage et du service, positionne la refonte de la relation client comme moteur principal de la transformation interne de l’entreprise et de son organisation. La réinvention de la relation client est souvent le premier moteur externe des nouvelles pratiques portées par le digital. Avec la prolifération de nouveaux terminaux mobiles, l’apparition de nouveaux canaux digitaux et l’avènement des réseaux sociaux, les entreprises repensent la manière dont elles entrent en contact et entretiennent la relation avec leurs clients. La conception de parcours centrés sur une expérience client enrichie, « sans couture» de bout en bout, est aujourd’hui déterminante dans la conversion et la fidélisation des clients. La transformation des organisations et des modèles opérationnels s’avère indispensable pour répondre efficacement aux nouveaux usages et modes de consommation. Dans tous les secteurs, des acteurs traditionnels « brick & mortar » sont menacés par la concurrence aussi soudaine qu’innovante de « pure players» tels que Netflix, Uber, AirBnB, Square… En matière de digital, tout est question d’expérience et l’expérience individuelle est cruciale dans l’acte de consommation. À travers des stratégies omnicanal, les marques articulent canaux internet et physiques comme des maillons d’une même chaîne devant former un continuum d’expérience pour leurs clients. Les nouvelles 5

5

L’âge de la multitude, Nicolas Colin, Henri Verdier, 2011

technologies rendent possible l’hyperpersonnalisation, et préfigure la fin de l’industrialisation de masse et de la standardisation. La multiplication des usages web et la prolifération des objets connectés génèrent des données massives dont l’exploitation intelligente (big data, analytics…) peut offrir un avantage stratégique déterminant dans la connaissance et la relation avec des clients finaux. La transformation organisationnelle de l’entreprise est donc tirée par sa réorientation vers l’expérience client, qui lui donne du sens et de la valeur. L’empilement des fonctions et des niveaux hiérarchiques a éloigné toute une partie de l’entreprise du client. L’organisation taylorienne constitue souvent un frein à la construction de parcours intégrés dépassant les frontières entre les différents « silos » de l’entreprise. Un client ne se soucie pas des frontières organisationnelles qui peuvent exister entre les différents départements et services de l’entreprise, comme entre les centres de relation client et le marketing, ou encore entre les services opérations et informatique. Des transformations organisationnelles importantes doivent alors être menées pour rapprocher les Directions métiers du client final et les faire prendre conscience de

leur impact sur ce dernier. L’alignement des acteurs autour d’une vision commune aussi bien portée sur l’externe que sur l’interne sera déterminant. Il importe de clarifier le périmètre et l’angle de vue sur le digital et d’en assurer progressivement cet alignement dans l’entreprise. L’évolution vers une organisation omnicanal centrée sur le client implique donc un profond changement de culture d’entreprise. L’ensemble des salariés doit être embarqué dans la transformation de l’entreprise, à travers de nouveaux outils digitaux mais surtout des modes de management. Cela passe entre autres par un recentrage de l’entreprise sur de nouvelles priorités comme l’attention portée au client ou la capacité à appréhender les problématiques liées aux données. Quels enjeux pour les DRH ? > Avec le digital, les métiers de l’entreprise entreprennent de profondes transformations organisationnelles, culturelles et managériales pour réorienter entièrement l’organisation vers ses clients. Or, leur réussite repose essentiellement sur le facteur humain, et la capacité des différents acteurs à se réinventer. > Les DRH doivent pouvoir mettre à disposition des Directions métiers – leurs propres clients internes – une offre de service RH lisible, à même de contribuer à les aider à faire face aux défis humains de la transformation digitale. Concrètement, elle doit pouvoir témoigner de sa valeur ajoutée à anticiper, recruter, intégrer et développer les nouvelles compétences requises par la mise en œuvre des nouvelles stratégies.

Quelques chiffres En France, 91% des sondés considèrent la digitalisation de leur entreprise comme un objectif stratégique. (Baromètre Entreprise et médias sociaux d’IdaosLab, 2014) La relation client demeure un poste d’investissement majeur : les budgets ont augmenté de 2,5% en 2014 pour 50% des entreprises, pour faire face à la montée en puissance des mobiles et des réseaux sociaux (Gartner, European Organizations Struggle to Create a Clearly Defined CRM Strategy, 2014) 88% des directions marketing pensent que la personnalisation sera la clé du succès de leurs initiatives à 2 ans (Digital Marketing Insight Report, Teradata & Celebrus Technologies, 2014) 73% des organisations ont investi ou projettent d’investir dans le big data d’ici à 2 ans. Ces investissements concernent en priorité l’amélioration de l’expérience client, en particulier dans les transports, la santé, les assurances, les communications / médias, le commerce de détail et la banque (Big data Investment Grows but Deployments Remain Scarcein 2014, Gartner, 2014)

LA TRANSFORMATION DIGITALE MET EN TENSION LES EMPLOIS ET LES COMPÉTENCES Le digital est « la grammaire de l’efficacité de notre temps »6 et l’histoire nous enseigne que toute révolution technologique s’accompagne nécessairement d’un processus de destruction créatrice, dont les emplois sont la première victime. Pourtant, la révolution actuelle fait monter depuis quelques années une inquiétude sur l’ampleur et la rapidité des destructions d’emplois dues à la vague d’automatisation en cours et ses gains de productivité7. Paradoxalement, dans une moindre mesure, de nouveaux emplois et des besoins de compétences nouvelles apparaissent avec le digital et relancent une « guerre des talents » qui coexiste avec un chômage de masse socialement de plus en plus problématique. Selon une étude conduite par l’université d’Oxford8, 47% des emplois américains sont en risque de disparition au cours des 20 prochaines années en raison de la vague attendue d’automatisation et l’informatisation. Appliquant une méthodologie similaire à l’Europe, le think-tank Bruegel

évalue ce risque à près de 50% des emplois français9. Les robots deviennent de plus en plus intelligents et autonomes, et les capacités intelligentes des systèmes d’information à traiter des demandes complexes sont en croissance exponentielle. Le robot Baxter10 ou le système

Rapport Mission Lemoine, 7 novembre 2014 David Rotman, How Technology Is Destroying Jobs, MIT Technology Review 8 Carl Benedikt Frey, Michael Osborne, The Future of Employment : How Susceptible are Jobs to Computerization ? » 9 Jeremy Bowles, The computerisation of European jobs,juillet 2014 10 Baxter robot, Rethink Robotics 6 7

6

d’intelligence artificielle IBM Watson11 esquissent à peine les capacités démultipliées des machines à traiter dans un futur proche des tâches humaines aujourd’hui jugées complexes. En décomposant les emplois et activités en trois catégories : production, transaction et interactions, une prévision plausible12 est que le secteur de la production va être progressivement conquis par les robots, celui des transactions par les serveurs intelligents, et que les emplois vont se concentrer sur les interactions. La transformation digitale accentue la polarisation du marché du travail, où coexistent paradoxalement guerre des talents et chômage de masse. Les entreprises doivent à la fois faire face à des pénuries sur les compétences stratégiques, rares et émergentes (ex : Data Scientists, Data Architects, développeurs web et mobiles…) et à l’obligation de maintenir l’employabilité de ses salariés les plus fragilisés par les bouleversements en cours exposant leur emploi. La transformation digitale engage les entreprises – et les acteurs publics – dans une période de transition dont la difficulté sera proportionnelle à la prise de conscience de ces défis inédits, et à leur capacité à y répondre par des dispositifs de formation et de gestion des emplois et des compétences adaptés. Au-delà de savoir intégrer et développer rapidement les bonnes compétences au bon moment, la transformation digitale remet en question la conception même de carrière. Alors que s’accélèrent les changements technologiques, économiques et culturels, les trajectoires de carrières sont en permanence remises en question. L’enjeu aujourd’hui pour les entreprises est d’intégrer et développer des profils capables de s’adapter aux turbulences d’une époque incertaine, à savoir : • Des profils qui acceptent l’incertitude. Dans un monde turbulent et interconnecté, la seule constante est le changement, et il s’agit moins de le subir que d’en tirer parti en adoptant les postures les plus à même de gérer l’incertitude, à l’instar des méthodes agiles qui privilégient les itérations, les feedbacks et les cycles courts.

• Des profils qui innovent et apprennent en permanence. Plus personne ne travaillera, en fin de carrière, avec les technologies de sa jeunesse. Les business models, les organisations et les façons de travailler sont sans cesse remis en question par de nouveaux entrants, de nouvelles disruptions. L’apprentissage permanent devient la norme. • Des profils qui multiplient leurs compétences. Avec le digital, chaque métier évolue considérablement, des métiers nouveaux apparaissent, d’autres disparaissent. Chaque collaborateur doit se préparer à ce qu’il ne connait pas. • Des profils qui changeront plusieurs fois de carrières. Des expériences diversifiées ne sont plus signe d’instabilité, mais au contraire une garantie de succès dans un monde instable. L’agilité et la capacité d’innovation d’une organisation repose aussi sur la diversité d’expériences de celles et ceux qui la composent.

Quels enjeux pour les DRH ? > Le choc d’automatisation porté par les innovations technologiques en germe va impacter quantitativement et qualitativement les emplois de l’entreprise. Il est évident que la rapidité inédite de la transition de l’ancien vers le nouveau modèle de production va poser des défis sociaux importants. > Pour y faire face de manière proactive, les DRH peuvent revoir entièrement leurs dispositifs de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, et travailler dès aujourd’hui à développer des dynamiques de formation efficaces, optimisées et adaptables. > Les DRH doivent pouvoir repérer, recruter et développer des profils « agiles » à même de s’adapter et d’adapter l’entreprise à des changements ou à des crises de plus en plus fréquentes, tout en s’attachant à réduire les écarts culturels entre « digital natives » et salariés marqués par des organisations aux codes plus anciens.

LA TRANSFORMATION DIGITALE BOULEVERSE LES MODES DE TRAVAIL Le digital remet en question l’organisation taylorienne du travail et le cadre du travail classique reposant sur des frontières établies, une unité de lieu et de temps et le rapport de subordination. Il rend le monde et les organisations plates13 et libère le collaborateur des carcans hiérarchiques, temporels et géographiques. Cette individualisation des modes de travail peut représenter autant d’opportunités d’autonomisation que de risques d’aliénation. Il est donc nécessaire d’accompagner les collaborateurs du point de vue de la formation, des outils, des réseaux qu’ils mobilisent afin de leur permettre d’être autonomes, mobiles… et multiples. De nouvelles organisations de la chaîne de valeur, 11 12

7

déconstruisent

et

What is Watson?, IBM Susan Lund, James Manyika et SreeRamaswamy, Preparing for a new era of work , Mc Kinsey Global Institute

recombinent

les

frontières

de

l’entreprise traditionnelle. Désormais les organisations tendent à devenir des entreprises étendues, insérées dans un écosystème complexe, articulant interne et externe, incluant employés, clients, partenaires, fournisseurs, consultants, concurrents… qui ont un destin de vie commun et fonctionnent en réseau ouvert – mêlant équipes internes et externes – et exploitant de plus en plus les possibilités croissantes d’efficacité et de collaboration qu’offre la technologie. Selon la théorie de la Firme de Ronald Coase14, le niveau des coûts de transaction conditionne le périmètre de l’entreprise et les fonctions qu’elle intègre. Or, l’entreprise est l’organisation qui réduit les coûts de transaction, de telle sorte que l’efficacité interne est supérieure à celle du marché ouvert. Avec la baisse des coûts de transaction induite par le digital, plus la technologie progresse, moins il est nécessaire d’avoir une organisation propre. Cela se traduit par le développement d’organisations en réseau et par la structuration d’écosystèmes autour de plateformes d’activités économiques et de places de marchés de travailleurs indépendants. A l’heure de l’individualisation, les questions d’épanouissement personnel, d’équilibre entre vie privée et vie professionnelle prennent de l’importance. Dans cette nouvelle gestion du temps, des lieux, de l’identité de l’employé et de sa carrière, émerge désormais la figure du freelance, qu’il soit autoentrepreneur ou employé autonome. Les travailleurs indépendants, dont le nombre ne cesse de croître, représentent aujourd’hui près du tiers de la force de travail aux Etats-Unis15. Le développement de plateformes digitales amène de nouveaux modèles d’emploi à se développer, telle la start-up Uber qui concurrence l’industrie des taxis sans flotte de véhicules attitrée, au moyen d’un écosystème d’acteurs indépendants dans une logique de partenariat, non de salariat. Des places de marché en ligne permettent désormais de mettre efficacement en relation une offre et une demande de compétences ponctuelles, allant de la délégation de tâches basiques (RatedPeople, MyBuilder, TaskRabbit) à l’intervention d’expertises pointues (GLG, Odesk, Elance, Codeur, Skiller). Aujourd’hui, des experts recherchés dans certaines industries (développement logiciel, recherche pétrolière...) se recrutent parfois même plus facilement en freelance qu’en CDI. Le digital induit et facilite l’auto-entreprenariat, dont la flexibilité apporte des contraintes et des opportunités nouvelles. Source de liberté mais aussi de précarité pour le travailleur indépendant, elle conduit l’employeur à devoir s’adapter à une gestion des ressources humaines plus dynamique, mêlant des forces de travail hétérogènes, internes et externes, avec des intérêts et des temporalités d’engagement différentes. A terme, de véritables stratégies d’emploi doivent être repensées, en arbitrant entre le besoin de flexibilité et la nécessité de retenir les compétences et les savoirs clés.

A l’heure où il est de plus en plus crucial de détecter et d’intégrer les nouveaux usages, des écosystèmes plus larges sont aussi sources d’accélération et d’innovation. Les stratégies de plateforme permettent de favoriser le développement de nouveaux services à travers une démarche d’innovation collective et ouverte. Les innovations les plus marquantes viennent le plus souvent de l’extérieur de l’entreprise, et l’innovation ouverte est de plus en plus reconnue comme un puissant levier de croissance pour les entreprises intégrant et dynamisant des écosystèmes d’acteurs externes. Clients, partenaires, concurrents, prestataires collaborent aujourd’hui pour créer les produits et services de demain. Les initiatives françaises pour développer l’innovation ouverte se multiplient. On peut citer parmi elles : le dispositif d’amorçage d’AXA, SeedFactory, les dispositifs Open Data de la SNCF et de La Poste, le projet de génération d’idées internes et en co-création « PEPS » (Projet Expérimental Participatif et Stimulant) de la Société Générale, le soutien à l’incubateur Paris Région Lab qui réunit, entre autres, GDF Suez, JC Decaux, Total et Sanofi. Des structures permanentes (incubateurs) ou temporaires (hackathon) permettent à des étudiants, des chercheurs, des designers, des développeurs et des graphistes de se mêler aux professionnels de l’entreprise pour ouvrir de nouvelles perspectives digitales, les prototyper et les implanter rapidement. Il s’agit d’un mode agile, transdisciplinaire, coopératif entre l’extérieur et l’intérieur, basé sur les projets, l’action concrète, le temps court, l’expérimentation et le design thinking. Le digital pousse-t-il pour autant à la déconstruction de l’entreprise, et son externalisation massive en un réseau étendu d’agents indépendants et hyperspécialisés ? Le monde de demain est aussi caractérisé par une complexité accrue, propre à augmenter les coûts de transactions16. Les « Géants du Web » sont d’ailleurs les premiers à privilégier l’intégration de compétences transverses en interne pour minimiser les coûts de transactions17. Le grand défi de l’entreprise de demain sera de réconcilier et intégrer de façon systémique, les liens forts et les liens faibles des nouveaux écosystèmes d’acteurs internes et externes, qui doivent collaborer ensemble de plus en plus étroitement autour de projets communs. Le lieu de travail doit aussi concilier des demandes accrues de synchronicité et de flexibilité. A l’heure où tous les collaborateurs sont déjà devenus des travailleurs mobiles, les entreprises mettent en place de nouvelles politiques de travail à distance et expérimentent de nouveaux modes de travail flexibles, prenant de l’importance sous des formes très diversifiées18.

Daniel Kaplan, Digiwork : les métamorphoses du travail RonaldCoase, The Nature of the Firm ,1937 15 Sara Horowitz,America, say goodbye to the Era of Big Work, 25 août 2014 16 Yves Caseau, Le Futur du travail - l’Entreprise 3.0 est-elle soluble dans la technologie ?, 30 novembre 2014 17 Yves Caseau, The European CIO Conference , 27 novembre 2014 18 Les nouveaux modes de travail à l’ère du digital : enjeux et opportunités, exemples et enseignements, SiaPartners& Orange Business Service 19 Philippe Meda, 10 raisons pour lesquelles votre incubateur interne va échouer en moins de deux ans 13 14

8

Quels enjeux pour les DRH ? > Les DRH contribuent aujourd’hui à gérer un écosystème d’acteurs externes plus nombreux, plus imbriqués dans la chaîne de valeur de l’entreprise. Pour autant, ils doivent s’attacher à maintenir des frontières claires protégeant l’entreprise du délit de marchandage, et être assertifs auprès des Directions métiers pour assurer la pérennité des connaissances et des compétences-clés. > Les DRH peuvent aussi contribuer aux projets d’incubation d’entreprises, en garantissant un « pack RH » solide aux salariés rejoignant l’incubateur (durée de détachement claire avec condition de renouvellement, primes sur objectifs adaptées, conditions de sortie du dispositif)19 Les nouvelles organisations du travail au service de la collaboration Type de collaboration Co-working Contacts élargis avec des professionnels indépendants

Projets internes avec des collègues

Corpoworking

Travail en fab lab Travail dans des lieux publics

Bureau flexible

Hot-desking

Travail sur un tiers-lieu

Travail individuel Bureau fixe Dans l’entreprise

Les technologies qui permettent le travail à distance sont aujourd’hui matures et sécurisées, mais leur adoption est conditionnée à la réussite de la transformation culturelle qu’elles induisent. Le poste de travail est équipé d’une caméra permettant d’organiser des vidéoconférences qui remplacent les e-mails ou le téléphone, et se connecte à des outils d’entreprise de plus en plus en phase avec les flux de travail (intranet, réseaux sociaux d’entreprise, solutions de gestion de projet ou de knowledge management). Entre domicile et bureaux, les «troisièmes places » ou « tiers lieu » offrent une alternative intéressante. Malgré les organisations en réseau distribué et l’importance croissante des nouvelles technologies de communication et de collaboration, l’espace de travail physique garde tout son sens pour maintenir des « liens forts ». Les choix d’organisation du travail est propre au contexte et aux enjeux de chaque entreprise. Toutefois le véritable défi du télétravail n’est pas technologique, mais managérial. La mise en œuvre du travail à distance nécessite un accompagnement du changement soutenu afin de maîtriser la transformation culturelle. L’unité de temps de travail propre au modèle taylorien n’est plus. Avec la place croissante des tâches cognitives, la notion de temps de travail n’a plus beaucoup de sens dans de nombreux métiers où il ne peut être mesuré et directement corrélé à la productivité. Désormais, c’est la réalisation ou non du travail qui importe. Le travail n’est plus tant une quantité que l’on achète qu’une réalisation. Désormais, les employés amènent leur travail à la maison et la vie personnelle entre au travail. 20

9

Travail à domicile Hors de l’entreprise

Ce qu’un salarié fait en dehors du temps de travail va avoir une incidence sur ses activités professionnelles : cela peut augmenter sa productivité, ses performances. Un résultat professionnel prend sa source en dehors du monde du travail. Aujourd’hui, et plus encore demain, les gains de productivité des salariés et donc des entreprises dépendront de la captation de connaissances qui ne sont pas forcément dans l’entreprise et souvent en dehors du temps de travail20. Le rôle du manager, traditionnellement ancré dans le contrôle du temps de travail, va devoir définir de plus en plus la frontière entre vie privée et vie professionnelle, savoir fixer des limites, arrêter le salarié qui en fait trop au risque de s’épuiser. Car le digital a aussi intensifié le travail, les cadres disent travailler davantage, faire plus de choses dans des temps plus courts. L’organisation même du travail est questionnée à travers la remise en cause du modèle hiérarchique traditionnel. La virtualisation des relations managériales, la transversalité de la communication et la diffusion des pratiques de communication digitales risquent d’entraîner l’émergence d’autorités sans pouvoir et de pouvoirs sans autorité. L’information se diffuse désormais de manière tridimensionnelle et erratique, via les nœuds de connexion entre les différents collaborateurs, remettant en cause lentement mais profondément les systèmes hiérarchiques classiques. Le rôle du manager glisse ainsi d’une gestion traditionnelle en râteau à la coordination d’une communauté où les compétences s’entrelacent au gré des objectifs de l’entreprise. L’organigramme s’efface devant le sociogramme.

Henri Isaac, La notion de temps de travail n’a plus de sens dans de nombreux métiers, L’Usine Nouvelle, 25 octobre 2013

Quelques chiffres 74% des entreprises affirment que s’ouvrir à des collaborateurs extérieurs est capital ou souhaitable pour de futurs modes de travail - Les nouveaux modes de travail à l’ère du digital, Sia Partners & Orange Business Services, 2014 80% des entreprises leader du digital forment de nouveaux partenariats avec des développeurs externes au périmètre SI de l’entreprise afin de combler le déficit de compétences pour le développement d’applications et instiller plus de collaboration et d’innovation dans le cloud, l’analyse de données, les initiatives mobile et les technologies sociales Business Tech Trends Study, IBM, 2014 5 à 10% des salariés pratiquent le télétravail selon l’OCDE. La France accuse un retard vis-à-vis des pays anglo-saxons et scandinaves (entre 20% et 35%) - «Le télétravail : où en est-on en 2014 ? », octobre 2013, ANACT Le nombre d’espaces de coworking dans le monde a été multiplié par 32 depuis 2007. On en compte plus de 200 en France aujourd’hui - Maddyness, 2014 42% des entreprises ont mis en place un réseau social d’entreprise ou ont prévu de le faire - Les nouveaux modes de travail à l’ère du digital, Sia Partners & Orange Business Services, 2014

Quels enjeux pour les DRH ? > La contribution active des DRH est indispensable dans les projets d’évolution du poste de travail, de réorganisation de l’espace de travail et de flexibilisation du temps de travail. > Les DRH ont l’opportunité d’animer en amont le développement des nouvelles façons de travailler en favorisant les nouveaux usages décentralisés de communication, de management et de collaboration portés par les outils digitaux. > La nouvelle organisation du travail à l’ère digitale peut aussi à la fois être source d’aliénation que d’émancipation. Seule la fonction RH peut l’inscrire dans une politique globale de qualité de vie au travail et d’engagement durable des collaborateurs.

Focus sur la Qualité de vie au travail à l’ère digitale Réaffirmé par l’accord national interprofessionnel de 2013, le lien entre performance de l’entreprise et Qualité de Vie au travail s’affirme comme une évidence. Au croisement de l’organisation du travail, des relations au travail, des environnements de travail et des équilibres de vie, la transformation digitale devient tout à la fois levier d’amélioration de la qualité de vie au travail et catalyseur des préoccupations du corps social. Défi n°1 : Nomadisme et nouveaux espaces de travail A l’instar de la SNCF qui a entrepris d’associer le déménagement de son siège au sein d’un nouveau CAMPUS avec le développement du télétravail, certaines entreprises n’hésitent pas à adresser la question du numérique sous l’angle de la contribution à la qualité de vie au travail. La centralité du numérique dans la conception des nouveaux espaces de travail est promue comme vecteur de l’équilibre des temps de vie et facteur de diffusion du télétravail. En pratique, le succès du recours au travail à distance est conditionné par la distinction entre les activités nécessitant une présence physique des collaborateurs, ne serait-ce que pour le maintien de la dimension de socialisation comme fondement de la performance collective – et les activités de production autonome, non impactées par l’éloignement. Défi n°2 : Travail en réseau et instantanéité Véritable illustration du lien entre performance et qualité de vie au travail, l’explosion des solutions instantanées de communication – chat, mail, réseaux – facilite l’ancrage de nouveaux modes de collaboration fondés sur le raccourcissement des cycles de production (méthodologies agiles). En parallèle, la dilution du poste de travail au profit d’outils nomades (tablettes, smartphones) favorise tout à la fois l’autonomie des collaborateurs et l’intensification du travail. Cette évanescence du temps et de l’espace constitue pour le DRH un enjeu crucial de régulation du temps de travail à l’heure où l’équilibre entre hyper-connectivité et dépendance n’a de cesse d’inquiéter un salariat de confiance fortement exposé au facteur d’intensification. Aussi les « 15 engagements pour l’équilibre des temps de vie » de BNPP ou autres initiatives tentent de réguler non pas l’outil mais l’usage.

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Défi n°3 : Compétences émergentes et accompagnement des collaborateurs Démocratisation de l’information et multiplication des canaux de diffusion transforment notre rapport à la donnée. A l’image du big data, l’activité quotidienne autrefois centrée sur la recherche d’information est désormais sous-tendue par la capacité des collaborateurs à sélectionner et exploiter l’information de manière pertinente. En parallèle des modes de régulation (temps, lieux, modalités de contrôle) qui dressent le cadre du travail, l’accompagnement des compétences s’avère essentiel, plus encore au regard du raccourcissement des cycles d’absorption des nouvelles technologies dans les usages des entreprises. De l’infobésité débridée et génératrice de stress à l’exploitation productive des outils de gestion des flux (en commençant par le mail), il n’y a qu’un pas que le DRH soucieux de la qualité de vie des collaborateurs devra adresser en priorité. Une qualité de vie au travail à plusieurs vitesses Au service de la transformation des modes de travail, le numérique porte en lui les promesses de la qualité de vie au travail. Au-delà des fantastiques opportunités de performance, son usage harmonieux passe par l’analyse approfondie de l’impact sur chacune des dimensions : management, autonomie, temps de travail, compétences… et surtout du degré de maturité de l’entreprise sur chacune de ces questions. Aussi on s’attachera toujours à resituer l’introduction d’un nouveau mode de travail au regard de la capacité du corps social à s’approprier et à capitaliser sur ces nouvelles technologies, questionnement au fondement des démarches préventives d’amélioration de la qualité de vie au travail.

Echelle de maturité de la Qualité de Vie au Travail

3

2

1

0

INCORPORATION « BRUT » Les nouvelles technologies sont implémentées partiellement et de manière hétérogène , sans accompagnement, créant des disparités

MESURES RESTRICTIVES Les usages sont limités aux réseaux sociaux et moyens de contrôle. Les mesures d’encadrement sont restreintes au contrôle de l’accès (fermeture après 18H)

Le Digital, facteur de Risques Psycho-Sociaux

ACCOMPAGNEMENT PONCTUEL Les usages du numérique sont encadrés et accompagnés de manière distincte : télétravail et chartes d’utilisation.

VISION INTEGREE La révolution numérique est intégrée dans une réflexion globale sur l’évolution de l’organisation du travail. Celle-ci est anticipée, évaluée en termes d’impact QVT et accompagnée.

Le Digital, levier de Qualité de Vie au Travail et de Performance

LA TRANSFORMATION DIGITALE PORTE D’IMPORTANTS CHANGEMENTS CULTURELS Il est difficile de réduire la transformation digitale à l’introduction de nouvelles technologies et de nouveaux usages en espérant maintenir les mêmes processus, les mêmes organisations et les mêmes méthodes de travail. Audelà de la maîtrise technologique, une culture et des principes de management radicalement différents sont à l’œuvre. S’il appartient à chaque entreprise de construire sa propre « culture digitale » en fonction de son histoire et ses métiers propres, des tendances digitales communes peuvent être observées dans les organisations les plus avancées en la matière, notamment les entreprises « born digital » comme les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon).

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La culture digitale est agile. Face à une complexité accrue et des délais sans cesse raccourcis, la culture digitale privilégie les cycles courts, les petits projets itératifs à court terme plutôt que les grands plans quinquennaux, et utilise en ce sens des méthodes de management (Scrum) permettant de développer une relation étroite avec le client et de s’adapter en permanence à ses besoins changeants. La culture digitale favorise l’autonomisation des personnes et renouvelle le rôle du manager. La vitesse de réaction exigée des entreprises remet en cause le modèle traditionnel de management « command and control » pour des raisons d’efficacité mais aussi de coût, remettant en question la place et le rôle du management de proximité. En effet, la technologie modifie profondément la façon dont les collaborateurs travaillent et se coordonnent. Les travailleurs du savoir – génération Y en tête – ne reconnaissent plus la valeur ajoutée à devoir rapporter à un supérieur hiérarchique dont le rôle se limiterait seulement à contrôler leurs actions – en même temps que de contrôler l’information montante et descendante au sein d’organisations pyramidales. Le développement des outils de communication et des modes de coordination en réseau facilite la fonte des hiérarchies pyramidales et silotées, et l’émergence de pôles davantage « auto-régulés». A l’heure des réseaux sociaux collaboratifs, véritables armes de productivité massives, les couches hiérarchiques intermédiaires - parfois perçues comme se limitant à recevoir des emails de ses supérieurs, les retransmettre pour action à ses subalternes et en contrôler l’exécution – ne sont plus considérées comme nécessaires pour coordonner l’action collective. Elles constitueraient même un frein à l’efficacité et brideraient initiative, innovation et engagement au travail21. Google a même dû déployer une stratégie pour vendre le bien fondé du management à des ingénieurs qui voient dans cette activité un frein à la productivité et l’innovation22. Ce changement d’état d’esprit traverse toutes les couches de l’organisation et implique de nouvelles postures de management facilitant le partage de l’information, la coopération interne et externe et la montée en compétences. Le besoin autant que la crédibilité du management de proximité s’exprime désormais auprès des nouvelles générations dans sa

capacité à justifier d’une expertise à même de lui faire jouer un rôle de mentor. Loin d’être remise en question, l’autorité d’un manager de proximité ne découle plus de son statut mais de sa capacité à faire progresser son équipe – techniquement (hard skills) et humainement (soft skills) – pour atteindre les objectifs qui lui sont impartis dans un environnement incertain. Le « manager contrôleur » des organisations tayloriennes doit laisser la place à un « manager coach » plus adapté aux sociétés en réseau, sans oublier toutefois qu’il restera le principal garant des réalisations opérationnelles. Le collaborateur, quant à lui, est le premier acteur de son autonomisation. La tendance managériale au « lâcher prise » doit être contrebalancée par une culture de la responsabilisation et du « rendre compte ». Elle implique aussi une régulation par les pairs plus importante, qui n’est pas sans poser problème. La culture digitale privilégie l’action et l’expérimentation. A l’heure de l’économie de la connaissance, le principe de division du travail issu du monde industriel, séparant ceux qui pensent et organisent – le management – et ceux qui produisent est profondément remis en question. Dans la culture portée par le mouvement des « makers »23, c’est la réalisation et la matérialisation en quelque chose qui fonctionne et qui est utilisable, bien plus que le potentiel d’un concept, qui seront valorisées. Les nouveaux outils et méthodes de prototypage rapide (maquettage d’interface graphique, imprimantes 3D, etc.) ou de traitement des données (big data) offrent de nouvelles perspectives rapides et peu coûteuses d’avancer et d’innover en privilégiant la créativité par essais-erreurs par rapport à la pensée hypothético-déductive. A l’image de Renault ou d’Airbus, des FabLab sont progressivement mis en place dans les organisations afin de stimuler la créativité et le prototypage de projet. Cela a le mérite de libérer les processus d’innovation et de créativité des contraintes traditionnelles d’innovation, et permet d’apprendre en faisant (« learning by doing », Dewey). Les leaders digitaux n’hésitent d’ailleurs pas à aller sur le terrain pour se confronter à la réalité, faciliter l’alignement des équipes et comprendre les problèmes concrets là où ils se présentent: les managers des grandes entreprises du numériques privilégient la culture de l’opérationnel24.

Quels enjeux pour les DRH ? > La transformation digitale nécessite un changement de culture managériale qu’il faut accompagner concrètement sur la durée et sur le terrain. Au-delà des discours et des effets d’annonce, la DRH a un rôle important à jouer en accompagnant la chaîne hiérarchique à se remettre en question et en favorisant l’émergence de nouveaux modèles. > La transformation digitale appelle notamment à une véritable transition des rôles et responsabilités des middle-managers. Cela implique de modifier profondément la façon d’appréhender leur rôle, de revoir leur objectifs, leur structure de rémunération et de prévoir le redéploiement de certains. Ce changement important est à anticiper et à accompagner. En effet, les middle-managers pourront tout particulièrement se trouver fragilisés par les bouleversements technologiques et culturels, et se retrouver en porte à faux entre des injonctions paradoxales de « lâcher prise » et de « rendre compte ». Lynda Gratton, The End of the Middle Manager, Harvard Business Review David A. Garvin, How Google Sold Its Engineers on Management, Harvard Business Review 23 Chris Anderson , Makers: The New Industrial Revolution 24 Cecil Dijoux, Transformation Digitale : le Lean comme évidence stratégique 21 22

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La culture digitale a l’obsession de la mesure. Les géants du Web ont pour la plupart, développé une culture poussée de la mesure, qui n’est pas seulement celle du chiffre et des KPIs mais surtout l’expression d’un rapport radical à la réalité, qui débute par le bout de la chaîne de valeur avec la relation client. La digitalisation et les réseaux sociaux permettent aux entreprises d’établir une plus grande proximité avec leur client et de raccourcir la boucle d’apprentissage par ce que le fournisseur de service apprend de ses retours clients pour s’améliorer. La culture digitale place le feedback au cœur de l’organisation pour progresser et évoluer rapidement. Le principe de rétroaction (feedback) est au cœur de nombreux systèmes tant physiques, biologiques que sociaux. Au sens large, la rétroaction est l’action en retour d’un effet sur le dispositif qui lui a donné naissance, et donc, ainsi, sur elle-même. Appliqué aux interactions humaines, le principe du feedback est simple : fournir à une personne les informations pertinentes sur ses actions, de façon à ce qu’elle soit en mesure de s’améliorer. Sans feedback, il est difficile de corréler au quotidien son travail avec les réalisations concrètes de l’organisation dans laquelle on s’insère. On ne prend pas forcément conscience de la perception de sa contribution par les autres, contribution qui pour les kwowledgeworkers articule de plus en plus savoir-faire et savoir-être, objectivité et subjectivité. Le feedback est au cœur de nouvelles méthodes de travail issues des nouvelles technologies comme par exemple les méthodes agiles.

La culture digitale affaiblit les modes de coordination et d’évaluation hiérarchique. La coordination managériale se chevauche désormais au sein des organisations avec la coordination réalisée par le projet et la coordination en réseau. Managers, chefs de projets transverses et experts métiers deviennent des contributeurs indispensables à parts égales au succès des grands chantiers de transformation, en mêlant à la fois expertise pointue et pluridisciplinarité pour combiner les talents et innover. Cette hybridation perturbe d’abord les grilles de définition et d’évaluation des résultats25. Le contrôle et l’appréciation du travail sont plus complexes: l’encadrant évalue les contributions de l’encadré sans les avoir lui-même définies, tout en s’appuyant sur les avis des autres acteurs. La coordination en réseau crée une véritable rupture : les qualités attendues changent de nature ; la capacité de conviction se substitue à l’injonction hiérarchique et la gestion des relations et le savoir-être deviennent prépondérants pour aligner des acteurs métiers habitués à travailler en silo. Quant aux logiques de réseau, informelles par nature, elles reposent sur le principe d’autonomie et nécessitent de créer et d’entretenir des relations de travail davantage basées sur la confiance. Pour autant, les systèmes d’évaluation, de reconnaissance et d’évolution de carrière restent fondés sur la primauté de la trajectoire de carrière purement managériale.

Quels enjeux pour les DRH ? > Le développement d’une culture d’autonomie et d’innovation nécessite d’encourager la prise d’initiative et l’apprentissage par essais/erreurs («test & learn »). Elle nécessite aussi de savoir accepter et intégrer les échecs – et leur dimension humaine - dans des démarches d’amélioration continue. > La politique RH doit s’afficher en phase, avec des dispositifs RH alignés, notamment en matière de systèmes d’évaluation et de reconnaissance. > La DRH peut contribuer à l’évolution de l’entreprise vers une culture « Data-driven » en s’attachant à recruter ou développer de nouveaux talents stratégiques, spécialistes du traitement et de l’analyse des données massives (data scientists, big data architect, etc.). > La DRH peut innover en accompagnant la diffusion dans l’entreprise de nouvelles pratiques de feedback continu, et en les articulant avec les processus d’évaluation de plus en plus remis en cause aussi bien par les collaborateurs que les managers. > La fonction RH peut aussi en tirer parti pour se confronter plus fréquemment au feedback de ses clients internes sur son offre de service, ou plus globalement savoir prendre la mesure du « baromètre humain » de l’organisation (Engagement Survey) . > La professionnalisation des filières « expertes » et Projets est stratégique dans l’évolution des organisations vers des modes de coordination plus transverses, structurés en réseau ou en équipe projet. > Ces filières doivent proposer des trajectoires de carrière attractives et lisibles (identification, reconnaissance, formations, rémunération…). > Longtemps, la place symbolique de la voie managériale dans les organisations pyramidales a été prépondérante. Les parcours de carrières proposés doivent davantage s’équilibrer avec les filières projets et « expertes ».

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Alexandre Mallard,L’encadrement face au développement des interactions en réseau, Presses des Mines 2012

Développer une culture de l’innovation Placer l’innovation au cœur de l’ADN culturel de l’entreprise implique d’amener l’organisation à libérer la créativité des carcans organisationnels qui la brident – tout en sachant en maîtriser les risques. Elle nécessite d’amener de nouveaux modes de pensée en facilitant les échanges et les initiatives, en interne ou au sein d’écosystèmes élargis. Concrètement, sur quels outils les DRH peuvent-ils s’appuyer ? La boîte à idées est une solution éprouvée au principe simple : mettre à disposition des employés un espace dédié à la collecte de leurs idées pour améliorer l’organisation, l’innovation ou le fonctionnement. Autrefois simple boîte en carton, le concept s’est numérisé avec l’apparition des boîtes emails, des portails intranet et des réseaux sociaux d’entreprises. Plus élaborées, des plateformes participatives permettent aux salariés de proposer et co-construire des idées plus abouties, ou encore de participer en équipe à des défis organisés sur un thème précis ou dans un objectif d’amélioration continue. Les « hackathons » rassemblent dans une unité de temps (généralement deux jours) et de lieu des équipes permettant l’hybridation en mode projet de compétences diversifiées aussi bien internes qu’externes, mêlant équipes produits avec des développeurs ou designers freelances ou issus de start-ups, des étudiants et parfois même des clients. Tout à la fois dispositif créatif et mode d’animation, ce type d’évènements permet aux entreprises ou institutions organisatrices d’ouvrir les esprits en créant un environnement éphémère et stimulant pour adresser leurs défis métiers, par exemple par le prototypage d’applications mobiles ou la valorisation de jeux de données mis à disposition (open data). Plus consommateurs en ressources, les incubateurs internes ont vocation à faire naître le plus grand nombre possible de projets entrepreneuriaux liés au core business de l’organisation. Si l’immense majorité sera infructueuse, ils permettent à l’entreprise d’explorer le champ des possibles mais surtout de renouveler sa culture interne en insufflant dans l’organisation un esprit d’intraprenariat. Une bonne pratique dans ce cas est de définir un cadre RH préalable à l’engagement de salariés au sein de l’incubateur : durée de détachement, budget alloué, schéma de primes, conditions de sortie et de retour dans l’organisation doivent être clarifiées et communiquées en amont.

QUELLE PLACE POUR LES RH DANS LA TRANSFORMATION DIGITALE DE L’ENTREPRISE ? La transformation digitale porte d’abord et avant tout des enjeux humains d’organisation, d’emploi et de compétences, de changement de mode de travail et de culture. Pourtant, elle reste aujourd’hui essentiellement disputée entre les directions Marketing et Informatique. Malgré sa légitimité à accompagner ces transformations humaines sans précédent, la DRH dispose d’une marge de progrès importante pour s’y positionner en interlocuteur incontournable. Elle joue pourtant ici la place de partenaire stratégique qu’elle réclame depuis de nombreuses années. L’humain est le cœur de la révolution digitale. L’entreprise de demain ne pourra pas se développer ni s’adapter sans des politiques RH ambitieuses de formation et de gestion des emplois, à condition d’anticiper ses problématiques lourdes d’outillage et de gestion sociale.26 La fonction RH est-elle déconnectée de la transformation digitale ? Perçue à tort par les décideurs - voire par les DRH eux-mêmes - comme un sujet principalement technologique, les chantiers digitaux ne sont pas toujours raccordés au périmètre de responsabilité RH. Traditionnellement peu dotée en budget par rapport à ses consœurs IT et marketing, la fonction RH reste d’abord centrée sur le fonctionnement de ses missions régaliennes et ses contraintes administratives, sociales et légales. Le changement de paradigme induit par les révolutions en cours n’est pas toujours mesuré à la hauteur de ses enjeux, et le temps manquent souvent aux DRH pour « sortir la tête du guidon » et s’inscrire à long terme dans ce mouvement historique de réinvention du travail. Concrètement, les plans d’actions RH « digitaux » se réduisent souvent à des postures de communication. 26

Or, les RH font aujourd’hui face au même impératif que les DSI il y a quelques années : les RH ne peuvent plus se contenter de « faire tourner la machine » mais doivent justifier de leur contribution au volet « humain » de la stratégie d’entreprise. Comme la DSI, la DRH doit se repositionner comme fournisseur d’offres de services à valeur ajoutée. Comme les autres départements de l’entreprise, les RH vivent des mutations technologiques allant vers une intégration plus poussée de leurs produits et services qui bouleversent leurs façons de travailler. La DRH peut aujourd’hui s’appuyer sur des socles technologiques puissants et matures pour dégager des gains d’efficience et réduire le poids de l’administratif (Dématérialisation, Automatisation, Externalisation, SelfService RH, etc.). Cette digitalisation des processus RH représente l’opportunité de recentrer la fonction vers des

Bertrand Duperrin, les RH, premiers déclassés de l’ère digitale ?

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missions d’accompagnement des acteurs terrain à plus forte valeur ajoutée. L’humain est le cœur de la transformation digitale. L’expérience et les leviers traditionnels de la DRH sont cruciaux pour réussir les transformations à court et long terme. Le recrutement, la formation, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, la gestion des mobilités et les relations sociales peuvent lui permettre d’accompagner les Directions Métiers porteuses du changement, et d’en être le catalyseur. Les start-ups ont d’ailleurs parfaitement compris que l’élément humain est à la base de leur succès. Elles sont parmi les premières à mettre l’accent sur l’excellence de leurs méthodes de recrutement, le développement et l’engagement de leurs

collaborateurs et à promouvoir de nouvelles méthodes de management à fort impact culturel. A l’ère digitale, le changement n’est plus un état transitoire, initié et contrôlé par le haut. Il devient permanent, et les modèles de transformations programmatiques sont de plus en plus inadaptés. Le succès des projets dépend aujourd’hui davantage de l’agilité des équipes, de l’adoption « par le bas » de nouveaux usages de collaboration qu’il s’agit de développer et d’amplifier pour favoriser l’innovation ascendante27 et s’adapter au plus près des besoins changeants de leurs clients. La DRH ne construit pas mieux l’entreprise de demain qu’en travaillant à rendre son organisation agile, résiliente aux nombreux changements à venir.

EN SYNTHÈSE > Un nouveau monde économique et technologique émerge. Entreprises et institutions font aujourd’hui face à la nécessité urgente de transformer leur modèle d’affaire, leur organisation et leur culture. Le changement, hier occasionnel, devient aujourd’hui permanent. > Pour y faire face, elles doivent faire preuve d’agilité et d’innovation pour réinventer leur proposition de valeur dans un environnement concurrentiel et réglementaire sous pression. Les projets de transformation digitale émergent du besoin de faire évoluer radicalement la relation client, les processus et l’organisation du travail. > Le succès de la transformation digitale d’une organisation repose avant tout sur les hommes et les femmes qui la composent, à la fois impactés et porteurs du changement. Il dépendra directement de sa capacité à gérer évolution à court et long terme de ses emplois et ses compétences, et plus largement de sa culture. > La fonction RH a donc légitimement un rôle de catalyseur du changement à jouer, à condition de savoir anticiper les enjeux métiers et les traduire dans une stratégie opérationnelle cohérente et lisible. > Concrètement, une stratégie digitale RH attendue sera de revoir la manière d’attirer, intégrer, reconnaître, développer et engager ses collaborateurs à l’aune des besoins issus de la nouvelle stratégie d’entreprise. Pour autant, partenaire engagée dans la transformation digitale de l’organisation qu’elle sert, la DRH est tout autant concernée par un nouveau champ des possibles technologique qui lui offre l’opportunité d’évoluer dans ses fonctions.

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Gary Hamel, Michele Zanini, Build a change platform, not a change program

II - LA TRANSFORMATION DIGITALE DE LA DRH

Les Ressources Humaines, comme d’autres activités, sont vraiment transformées par le digital. Les collaborateurs ou les candidats ont l’habitude d’avoir énormément d’informations très facilement via internet. Ils ont l’habitude de donner leur avis en tant que clients et naturellement vont avoir le même type de comportement en tant que candidats ou collaborateurs. Cela modifie donc tous nos processus RH. Muriel Rocher, DRH ING Bank France

CONSTRUIRE L’EXPÉRIENCE COLLABORATEUR POUR ATTIRER, RECRUTER, INTÉGRER ET RETENIR LES MEILLEURS TALENTS Le développement d’une expérience utilisateur globale est devenu un impératif pour de nombreuses entreprises cherchant à se recentrer sur leurs clients. Pourtant, si ces dernières commencent à tirer les conséquences de la transformation digitale en termes d’organisation et d’évolution de leurs processus métiers, ce n’est pas le cas avec les processus RH. Dans un marché de l’emploi paradoxalement marqué par un chômage important et une pénurie de compétences rares, la fonction Recrutement doit tout autant faire face à des volumétries importantes de candidatures que des demandes de profils très disputés qu’il lui faudra capter, sélectionner et séduire rapidement. Pour répondre à des besoins opérationnels de plus en plus pressants, elle doit personnaliser son approche pour s’adapter à des cibles aux attentes et aux codes différents. Elle peut pour cela compter sur un nouveau champ des possibles technologique lui donnant l’opportunité d’industrialiser qualitativement ses capacités de sourcing, de sélection et de suivi. La transformation digitale amène nécessairement à repenser les processus de l’entreprise à l’aune de l’expérience de ses clients externes et internes. Une fonction transactionnelle et relationnelle comme le recrutement n’y échappe pas. A l’image de l’expérience client, l’expérience employé se traduira par la somme d’une multitude de moments, miroirs de la culture d’entreprise vécue et ressentie au niveau individuel, marqués par la collaboration, le style managérial, l’environnement de travail, les moments d’apprentissage ou de formation, la qualité de l’exécution, de la collaboration et de l’autonomie dans le travail. Or, dans une économie de plus en plus portée par la capacité à attirer, mobiliser et faire collaborer des talents, la construction d’une expérience employée différentiante et attractive devient indispensable. A l’heure où une transparence accrue s’installe avec les sites de notation comme Glassdoor ou Meilleures-entreprises. com, une simple requête sur LinkedIn permet d’identifier dans son réseaux des contacts pertinents pour informer les candidats sur la réalité interne d’une entreprise audelà des discours convenus qu’elle peut porter sur son site institutionnel. Cette visibilité nouvelle induit une polarisation accrue entre les entreprises à la proposition de valeur employeur attractives, fondées sur des pratiques authentiques, et les autres. Potentiellement promoteurs ou détracteurs de leur entreprise, les collaborateurs sont désormais les principaux porteurs de sa marque employeur. Ces derniers sont directement à intégrer dans des stratégies de marketing RH à concevoir désormais très en amont de l’acte de candidature. La stratégie de sourcing doit permettre à l’organisation d’identifier et d’attirer les collaborateurs de demain et s’aligner sur les besoins actuels et futurs de l’organisation engagée dans la transformation digitale. Elle nécessite souvent la remise en question des référentiels de compétences existants pour favoriser l’adaptabilité et l’évolutivité des profils et garantir l’agilité de l’organisation. Certaines compétences techniques rares (ex : data scientists) induisent un niveau de concurrence de plus en plus élevées. Parallèlement, les « soft skills » et le 28

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potentiel prennent aussi de plus en plus d’importance, les seules compétences et expériences techniques pouvant être menacées d’obsolescence à moyen terme. Dans ce monde changeant, l’adéquation aux valeurs de l’entreprise représente au contraire un point d’ancrage et une garantie d’évolutivité et d’engagement qu’il s’agira d’évaluer et valider. Le management de proximité en est souvent le premier garant, et doit être formé à davantage préparer l’organisation de demain plus que répliquer celle existante. Pour cette population, les problématiques de recrutement peuvent ainsi être porteuses de changement en ce qu’elles impliquent une sensibilisation aux nouveaux usages digitaux ancrée dans la pratique et les besoins de l’entreprise. Les outils et usages de recrutement deviennent de plus en plus sociaux, mobiles, et valorisent de plus en plus de données. Les réseaux sociaux permettent une meilleure qualification mutuelle des opportunités d’emplois et des profils qui y répondent, en encourageant par exemple la cooptation et la diffusion virale des offres. Pour être impactant, le recrutement sur les réseaux sociaux nécessite la formation des équipes recrutement et des managers aux nouveaux usages et pratiques de community management. Disposer d’applications et sites adapté aux terminaux mobiles améliore aussi la mise en relation de l’entreprise avec le candidat : à l’automne 2014, 42% des offres de Cadremploi étaient consultées depuis des mobiles et 12% des candidatures provenaient de smartphones et de tablettes28. L’outillage du processus de recrutement doit s’adapter à cette nouvelle donne : les modules ATS (Applicant Tracking System), solutions de gestion en ligne des recrutements, autrefois cantonnés au traitement de formulaires de candidature, doivent désormais procurer une expérience engageante, tout en automatisant le jumelage des candidats avec les postes. Cette automatisation passe par le recours à des algorithmes pour filtrer les candidatures, ce qui améliore la décision finale de 25% par rapport à celle de recruteurs humains, souvent distraits par des informations peu pertinentes, et dont 85 à 97% admettent se baser sur leur

Etude HR Speaks / JobAroundMe, novembre 2014 réalisée en novembre 2014 auprès de 158 entreprises et DRH françaises

intuition pour rendre leur décision29. Il est à prévoir que ces capacités d’analyse et de sélection se perfectionneront avec le développement des technologies big data croisant l’analyse de données personnelles, comme les traces laissés sur les réseaux sociaux, ou intégrant des données issues de tests et simulations basées sur des cas réalistes (serious games). La qualité de l’expérience d’intégration sera ensuite le premier facteur de performance et de rétention par laquelle le collaborateur, étranger à l’organisation, est « transformé en un membre participatif et efficace »30. Un processus d’intégration maîtrisé permet de rendre le collaborateur opérationnel plus rapidement, sécurise sa socialisation et permet de susciter une adhésion plus rapide à la culture et à la stratégie de l’entreprise. L’apparition de modules dédiés à l’« onboarding » dans l’écosystème SIRH permettent d’améliorer qualitativement ce moment charnière dans la vie du collaborateur, en facilitant et en automatisant les démarches administratives, en systématisant l’envoi d’informations sur l’entreprise, l’inscription à des formations e-learning ou l’envoi des messages à ses futurs collègues. Le temps consacré par les équipes RH, souvent contraint par les procédures administratives, est recentré vers les initiatives qualitatives de socialisation.

Quels enjeux pour les DRH ? > La DRH doit adapter sa stratégie de sourcing pour attirer les collaborateurs qui assureront son succès demain. Accompagner les directions métiers dans une démarche prospective peut l’amener à faire évoluer en interne les profils cibles recherchés, ainsi que les référentiels de compétences associés. > La construction d’une expérience candidat véhiculant concrètement les valeurs de l’organisation est clé pour attirer, sélectionner et intégrer ses futurs collaborateurs. La transparence accrue induite par les réseaux sociaux établit un lien direct entre l’attractivité d’une entreprise et l’amélioration concrète des modes de travail en son sein.

MIEUX ÉVALUER ET ENGAGER SES COLLABORATEURS : LA FIN DE L’ENTRETIEN ANNUEL ? L’entretien annuel d’évaluation reste aujourd’hui ancré dans les esprits comme le pilier indépassable de la gestion de la performance en entreprise, bien que ce dernier soit, sous sa forme actuelle, de plus en plus décrié par les collaborateurs, leurs managers et les partenaires sociaux. 80% des entreprises estiment même que leur apport ne vaut pas le temps investi31. Pourtant les entretiens d’évaluation répondent à un besoin fondamental de l’entreprise, à savoir échanger avec le collaborateur et délivrer un feedback constructif sur ce qu’elle attend de lui (et inversement). Le nouveau champ des possibles digital ouvre de nouvelles perspectives pour réinventer l’évaluation et la manière dont l’entreprise gère la performance et l’engagement de ses collaborateurs. L’évaluation de la performance est un exercice subjectif. A l’exception (notable) des fonctions commerciales, la contribution d’un travailleur du savoir à la création de valeur à court et à long terme pour l’entreprise est établie par l’appréciation du manager, et reflète nécessairement une part de subjectivité. Les exigences du travail à l’ère digitale mélangent aujourd’hui savoir-faire et savoirêtre, et un manager évalue autant une personne que ce qu’elle produit. Ce qui n’est pas sans s’accompagner d’un sentiment de subjectivité, accentué dans certaines entreprises par l’intégration de critères comportementaux tel Airbus évaluant ses cadres32. Ensuite, parce que la périodicité de l’évaluation n’est pas forcément en phase avec l’activité évaluée: projets, missions, tâches ne

peuvent se suivre sans déperdition d’informations sur un rythme annuel ou biannuel. Au moment de l’évaluation, les nombreux éléments factuels qui devraient la soustendre sont nécessairement le jeu de la mémoire sélective de l’évaluateur. De plus, l’entreprise et ses priorités évoluent aujourd’hui souvent plus vite que les objectifs annuels ou biannuels qu’elle peut fixer, et il faut pouvoir les mettre à jour au risque de voir ceux-ci constituer un frein aux prises d’initiatives et à l’adaptation des équipes à leur environnement changeant. Il faut gérer le système de gestion de la performance, y consacrer du temps: des efforts essentiellement portés par le management de proximité, pas forcément à l’aise avec les référentiels d’évaluation qu’on lui demande d’utiliser. D’autant que

« In Hiring, Algorithms Beat Instinct », par Nathan R. Kuncel, David M. Klieger, et Deniz S. Ones, Harvard Business Review, mai 2014 FELDMAN, D.C. A contingency theory of socialization 31 Deloitte Human Capital Trends 2014 32 « La justice suspend le système d’évaluation des cadres mis en place par Airbus » - Le Monde du 21/09/2011 29 30

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leur formalisme n’invite pas manager et collaborateur à de vrais feedbacks constructifs, aussi bien composés de feedbacks positifs qui font plaisir à entendre que les points d’amélioration qui doivent être soulignés. L’évaluation porte une charge émotionnelle négative, et les grilles et référentiels destinés à l’objectiver n’enlèvent pas toujours un certain sentiment d’irrationalité et d’inefficacité. Paradoxe des systèmes de gestion de la performance : même les plus perfectionnés peuvent démotiver plus qu’ils n’incitent à donner le meilleur de soi-même.

Le nouveau champ des possibles offert par le digital offre aux RH une marge de progrès importante, et un réel levier d’amélioration de la performance et de l’engagement des collaborateurs. Une nouvelle génération d’outils offre la possibilité d’une gestion plus agile et plus transparente de la performance, davantage orientée vers le développement du collaborateur. Si une prise de recul annuelle reste nécessaire, les outils de «social feedback » permettent au cours de l’année de délivrer un feedback en temps-réel, contextualisés aux différents projets menés, intégrant des contributions pair-à-pair et reliés à des dispositifs de coaching / mentoring.

Quels enjeux pour les DRH ? > Au-delà des obligations règlementaires, l’évaluation annuelle peut être repensée à l’aune des nouvelles possibilités technologiques (fréquence, acteurs impliqués, orientation développement). > L’introduction de pratiques et d’outils de « social feedback » en continu, contextualisés en temps réel , peut constituer une véritable innovation managériale et un levier d’engagement des collaborateurs.

FORMER MIEUX EN DÉPENSANT MOINS : L’EXTENSION DU DOMAINE DE LA FORMATION Les budgets de formation constituent un investissement significatif de l’entreprise pour développer les compétences de ses collaborateurs, mais bien souvent leur efficacité peut être améliorée. Le nouveau champ des possibles technologique offre l’opportunité de rendre le savoir accessible à tous les collaborateurs et d’intégrer des dispositifs à même de faire diminuer fortement le coût de l’heure de formation, avec un plus grand impact. Avec la digitalisation, la fonction Formation se limite de moins en moins à la seule gestion de formation et s’ouvre vers un rôle plus large touchant à la gestion des connaissances (Knowledge Management) et à l’animation de communautés dans l’entreprise (Community Management). Diverses contraintes, sociales et réglementaires, pèsent aujourd’hui sur la formation, et l’obligent à se réformer en profondeur. La loi du 5 mars 2014 a notamment transformé l’obligation légale de formation en obligation de veiller à l’employabilité des collaborateurs. Les fonds pour la formation externe précédemment prise en charge par les fonds mutualisés des OPCA vont sensiblement diminuer, amenant les entreprises à privilégier leurs formations internes. Par ailleurs, l’intensité concurrentielle et la rapidité des évolutions technologiques obligent les entreprises à rendre les nouveaux embauchés opérationnels pus rapidement. La transformation digitale impacte profondément les emplois. Elle nécessite de mettre en place de nouveaux moyens de « reskilling » de masse pour faire face à l’automatisation et aux nouveaux besoins clients. Pour anticiper le risque social, cette nécessité impose d’anticiper et préparer les réaffectations autant que de mettre en place des plans de formation à la hauteur des sauts de compétences envisagés. Or, les volumes massifs anticipés contraignent à l’innovation. De nouveaux modèles pédagogiques « peer-to-peer » permettent par exemple d’envisager des formations massives et interactives, avec

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des moyens optimisés, misant sur le développement de dynamiques d’auto-apprentissage par le développement de communautés apprenantes et la mise à disposition de ressources digitales. Des outils comme les MOOC, ou des instituts de formation comme l’Ecole 42 de Xavier Niel, en figurent parmi les premières expérimentations réussies dont pourraient s’inspirer les universités d’entreprise. En matière de formation, le nouveaux champ des possibles digital ne se résume plus à l’e-learning mais offre un spectre plus large de modalités pédagogiques articulées en parcours, permettant de construire des expériences d’apprentissage individualisées. 90 % des compétences acquises ne le sont pas dans une salle de formation mais se produisent sur le poste de travail (« on the job »), dans le cadre d’échanges formels ou informels avec son managers, ses pairs ou ses clients. Développer l’apprentissage « on the job » passe par la professionnalisation des tuteurs, des référents métiers, des évaluateurs ou des managers-formateurs, à condition de savoir comment capter et diffuser dans un format exploitable et peu coûteux leurs savoirs et savoir-faire clés qui font leur richesse. Au cœur de l’apprentissage humain et souvent oubliées dans la conception globale d’une offre

de formation, les conversations informelles permettent de diffuser et d’ancrer plus efficacement les connaissances dans l’organisation. Origine des connaissances professionnelles

20% des connaissances professionnelles proviennent de l’observation et de feedbacks1 • • • •

Feedbacks & Rétrospectives Exposition et travail avec des role-models Rotations & mobilités apprenantes Plans de développement

70%

des connaissances professionnelles proviennent de l’apprentissage « on the job » : informel, socialisé et à la demande1

10%

des connaissances professionnelles proviennent de formation formelles1 • • • •

Formations présentielles E-learning Classes virtuelles Séminaires

• • • • • • • • 1 Source

: Morgan McCall, Robert W. Eichinger, and Michael M. Lombardo

Dans des structures s’organisant de plus en plus en réseau et de moins en moins en silos, la fonction Formation a la possibilité de compléter son offre par l’organisation de communautés apprenantes et la mise à disposition de bases de connaissances. Elle peut pour cela s’appuyer sur des plateformes technologiques (réseau social d’entreprise, plateformes KM, forums, wikis) sans pour autant renoncer à organiser des évènements présentiels créateurs de liens («Knowledge café», partages d’expériences, réseau). Pour autant, une communauté apprenante ne se décrète pas, et son succès ne peut reposer sur la seule mise en place d’un outil. Une véritable stratégie de maîtrise d’usages collaboratifs apprenants doit être co-construite notamment par l’assignation d’une mission aux enjeux métiers clairs et la constitution d’un « noyau dur » générant suffisamment de conversations qualitatives pour inciter d’autres participants à s’inscrire, et les entraîner dans une dynamique de partage engageante. Pour lancer la dynamique, l’identification d’un community manager est clé pour initier, accompagner et diversifier les usages collaboratifs apprenants (veille métier, informations Groupe, partage de bonnes pratiques, demande d’aide, recherche constructive de solutions à des problèmes réels, vie de la communauté, célébration des succès…). La fonction Formation ne peut donc plus se restreindre à la gestion et la distribution d’un catalogue de formations. Pour répondre aux demandes de plus en plus spécifiques et urgentes de ses interlocuteurs métiers, son principal enjeu est d’offrir à coûts maîtrisés une combinaison pragmatique de solutions formatives formelles et informelles, synchrones et asynchrones, présentielles ou digitalisées. Il s’agit de choisir la ou les solutions les plus efficientes en fonction du profil, de 33

Moteurs de recherche Livres et articles Podcasts / Videos Blogs & wikis Forums Réseaux sociaux Evènements Coaching & Mentoring

la volumétrie et des entités ou zones géographiques adressées. De même que l’IT, la fonction formation a besoin de conduire une démarche d’architecture33 pour rationaliser son offre autour de plateformes communes pour proposer des contenus de plus en plus individualisés. L’écosystème de la formation professionnelle dans l’entreprise s’est particulièrement complexifié ces dernières années. De nouvelles plateformes de contenu (LCMS) apparaissent en même temps que de nouveaux outils et usages tels que l’apprentissage collaboratif, les échanges informels sur les réseaux sociaux, les bases de connaissances, le partage de vidéos, les serious games, les cours à la demande, les cours sur mobile, ou les classes virtuelles... Au sein d’une même entreprise peuvent coexister désormais plusieurs plateformes ou portails formations, des contenus e-learning, audio ou vidéos disparates, l’usage de MOOC externes, des modalités d’évaluation différentes et des formations redondantes. Les solutions de gestion de la formation (LMS) essentiellement tournées vers l’administration des formations intègrent de nouvelles fonctionnalités à plus forte valeur ajoutée, désormais reliées aux systèmes de gestion des Talents ou de gestion de la performance. A condition de disposer d’un socle de données emplois & compétences fiable, l’exploitation de fonctionnalités prédictives liées au big data peut laisser entrevoir une capacité accrue des systèmes à proposer automatiquement des parcours de formation individualisés dans les formats adaptés : le collaborateur n’apprendra que ce qu’il aura vraiment besoin d’apprendre au moment le plus opportun.

Josh Bersin, Why Companies Need a Chief Learning Architect, February 21, 2014

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Typologie des solutions de formation

Formations en salle

Classes virtuelles

Choisir des solutions de formation

Mentoring

E-learning M-Learning Asynchrones

Animation et networking

E-Mentoring Informelles

Digitalisation

Digitalisation

Synchrones

Supports d’autoformation

Digitalisation

Digitalisation

Formelles

Communautés en ligne

Quels enjeux pour les DRH ? > Dans un contexte de réduction des coûts et d’accroissement des attentes, les parcours de formation peuvent être entièrement repensés à l’aune des nouvelles opportunités digitales. > Des démarches de rationalisation du catalogue et d’urbanisation des solutions formatives peuvent ainsi permettre de refondre l’offre de formation, en optimiser les coûts tout en proposant des expériences d’apprentissage individualisées.

MOOC, SPOC et COOC Les MOOC, « Massive Open Online Courses », sont des cours en ligne ouverts à tous qui utilisent massivement le format vidéo et les communautés entre apprenants. A la différence du e-learning traditionnel, le MOOC utilise largement le format vidéo et la collaboration entre les apprenants, réintroduisant de l’humain dans le dispositif d’autoformation. Le MOOC répond également aux attentes et contraintes des salariés aujourd’hui : les sessions sont modulables, courtes et accessibles depuis un ordinateur ou un mobile. Les employés n’auront plus à quitter l’entreprise pour se former et pourront le faire quand ils le souhaitent. Un MOOC favorise l’engagement personnel des salariés tout en offrant la possibilité de réduire les coûts de formation de l’entreprise. En revanche, la perte de contrôle sur la formation des collaborateurs, la difficulté d’intégration aux dispositifs existants, ou l’incompatibilité avec la culture interne peuvent constituer des obstacles à l’intégration des MOOC dans la stratégie de formation de l’entreprise. L’investissement du salarié est tout de même conséquent, car même si les sessions sont partialisées, la durée moyenne d’un MOOC est de 10 à 12 semaines, et il requiert un investissement personnel de 2 à 12 heures hebdomadaires. L’intérêt des apprenants doit être sans cesse entretenu, défi majeur aujourd’hui quand seulement 14% des personnes inscrites obtiennent la certification finale. La question du modèle économique des MOOC est également toujours soulevée, et certaines entreprises pensent à la possibilité de privatiser une partie des MOOC publics pour répondre plus spécifiquement à leurs besoins. Par exemple, Centrale Lille a ajouté un volet payant à son MOOC en Gestion de Projet, porté sur l’évaluation (ce thème n’étant pas abordé dans le cours ouvert à tous). La délivrance de certificats pour attester du niveau des participants reste un autre axe de travail pour les entreprises. D’autres solutions sont apparues sur le marché et semblent répondre à ces divers freins. Notamment, le « short MOOC » pourrait servir de compromis puisqu’au lieu de durer plusieurs semaines, il s’adapte aux besoins des entreprises et ne se déroule que sur quelques jours. Le contenu du cours est alors plus spécifique et vise à intégrer

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des idées précises. Autre innovation, les COOC « Corporate Open Online Courses » ou le SPOC « Small Private Online Classes », réunissant moins de personnes et construit spécifiquement pour répondre aux besoins de l’entreprise. Compte tenu des ressources nécessaires au déploiement d’un COOC ou d’un SPOC, le volume de collaborateurs formés via la plateforme doit être conséquent pour rentabiliser l’investissement. Les MOOC et les SPOC offrent de réelles perspectives en termes de formation pour les entreprises, pouvant être intégrées à une logique de développement des compétences, d’adaptation au poste de travail ou d’évolution du maintien dans l’emploi. En revanche, le rôle central du formateur et/ou animateur ne doit pas être oublié. Les MOOC doivent être intégrés dans des dispositifs plus larges de blended learning, les ressources proposées variées, articulées entre elles et complémentaires, avec des étapes et des allers-retours fondés sur l’alternance et un accompagnement, individuel et/ou collectif. La réussite d’un plan de formation peut donc prendre en compte les MOOC, mais doit reposer sur une stratégie multimodale.

EXPLOITER LES DONNÉES RH POUR UNE GESTION DES TALENTS « DATA DRIVEN » La donnée est le nouvel « or noir » de l’ère digitale. La DRH doit opérer la même mutation quantitative que la fonction marketing il y a 20 ans pour devenir « data driven » et utiliser les outils de structuration, d’analyse et de visualisation des données du XXIe siècle. Avec les technologies big data, la RH a l’opportunité de passer d’une posture réactive à prédictive, à même d’anticiper les besoins et les facteurs de risques. Les nouveaux tableaux de bord en temps réel lui permettent d’avoir une vue globale sur les données de talent management, avec les indicateurs utiles pour isoler des facteurs explicatifs et des variables décisionnelles. L’évolution des plateformes SIRH et les sources de données en flux deviennent critiques pour opérer facilement et développer une couche d’intelligence audessus de données massives collectées dans différentes bases. Les entreprises disposent déjà de données RH stratégiques mais éparses comme les données personnelles, expériences professionnelles, formations effectuées et parcours dans l’entreprise, évaluations… … Il devient aujourd’hui possible pour la DRH de connecter en temps réel des informations business, de les corréler avec des indicateurs humains et de démontrer sa lecture moderne des enjeux business pour renforcer son rôle de conseil influent et stratégique. Ces nouvelles perspectives d’analyses quantitatives ouvrent la possibilité d’identifier les facteurs de performance, d’engagement et de rétention des collaborateurs, et de prendre de meilleures décisions en matière de recrutements, de promotions ou de rémunération. Pour autant, à l’heure du big data, la DRH doit veiller à monter graduellement différents niveaux de maturité en matière de gestion de ses données. Cette transition commence toujours par capitaliser nécessairement un existant historique : indicateurs et tableaux de bord, bases de données éparses (Recrutement, Paie & Rémunération, Santé & Sécurité, Bien-être, Engagement, Performance, Promotion, Formation, Carrière, Satisfaction…). En premier lieu, se doter d’un référentiel de compétences unique et transversal est capital. Les référentiels donnent une vision d’ensemble de l’entreprise et sont la colonne vertébrale du pilotage de sa performance. Si toutes les étapes du cycle de vie RH des talents seront mesurées avec la même unité,

il est facile ensuite de faire des analyses avec une base commune. L’établissement d’un socle de données solide est la condition nécessaire pour que les RH passent d’une posture réactive à proactive dans leur rapport aux données, et puissent démontrer leur valeur auprès des directions financières et des directions générales audelà des reportings traditionnels. Cette prise de hauteur stratégique passe d’abord par la reconnaissance de schémas comportementaux dans les séries de données pour comprendre le pourquoi de certains changements, questionner certaines variables explicatives et préparer l’avenir immédiat par des actions ciblées. L’estimation des besoins en emplois et compétences améliorée par des modèles prédictifs facilitera la prise de décision en temps réel pour concevoir des plans d’actions RH efficients et alignés en termes de formation, d’engagement, de gestion du changement et de gestion de la performance. Une DRH « data driven » peut ainsi notamment intégrer des outils analytiques de visualisation de données pour appuyer ses actions et modéliser leur ROI par des indicateurs quantitatifs et qualitatifs. Une communication RH visuelle et chiffrée, avec des seuils et des indices, sensibilise, met en garde ou alerte toute la chaine décisionnelle et instaure une culture d’analyse et d’amélioration continue au sein de la fonction RH.

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Quels enjeux pour les DRH ? > La fonction RH peut elle-même s’attacher à développer un management « Data-Centric » en améliorant et étendant son socle de données et ses capacités d’analyse (KPI, datavisualisation, algorithmes prédictifs, big data RH, etc.).

LES RELATIONS SOCIALES À L’ÉPREUVE DU DIGITAL : LE SALARIÉ-CLIENT REMIS AU CENTRE DU JEU Le digital bouleverse ainsi la relation entre l’entreprise et ses salariés ; par porosité, il en va de même pour les relations sociales. Le digital permet un nombre d’évolutions remarquables qui viennent marquer les rapports entre les acteurs du dialogue social : l’Employeur, les Salariés et les IRP (Instances Représentatives du Personnel). Pour autant, dans notre matière, cette seule évolution des outils ne suffit pas puisque le législateur et le juge sont les gardiens et les garants d’un dialogue social harmonieux et équilibré. Ils contribuent donc directement à l’intégration du digital dans les Relations Sociales. Or ces dernières années, ils permettent voire encouragent ces nouvelles pratiques, à l’image de l’ANI de 2013 pour le législateur ou des récentes décisions du Conseil d’Etat pour le juge.

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Le digital rapproche l’employeur de son salarié et permet de faire vivre la démocratie sociale à l’initiative de l’une ou de l’autre des parties ; ils peuvent communiquer plus facilement, se comprendre et échanger des informations. Nous disons bien « échanger » tant il est vrai qu’aujourd’hui la difficulté n’est pas tant de faire « descendre » l’information que de la faire « remonter ». Pour les Relations sociales, l’utilisation extrêmement simple du vote électronique, de sondages et d’enquêtes voire – plus difficilement en raison de l’interprétation stricte (donc physique) de la notion d’ « enveloppe » ! - de referendums, permet à l’employeur d’entendre et de communiquer directement avec ses salariés. Précisons aussi que ces manières de peser sur le dialogue social ne sont pas tellement appréciées des IRP puisque ces outils échappent à leurs contrôles (d’où aussi la question du degré d’intégration des instances aux démarches participatives concernant les projets d’entreprise ou de Qualité de vie au travail).

assainit-il ainsi le dialogue ou relève-t-il d’une vision hygiéniste des relations sociales ? Chaque entreprise tranchera selon ses spécificités et ses sensibilités.

Ensuite, le digital permet aujourd’hui aux DRH par l’utilisation d’outils qu’elles n’avaient pas hier, de modifier profondément les liens entre employeur et instances représentatives du personnel. En premier exemple, la nouvelle Base de Données Economique et Sociales (issue de l’ANI) peut déjà, grâce au digital, révolutionner les procédures d’information-consultation des IRP par la simplification de la collecte des informations, par la facilité de leur mise à disposition et de leur lecture. La possibilité de réaliser les CE et CHSCT par vidéo-conférence nous semble également être une vraie révolution ; le train de la transformation technologique étant en marche, il est probable qu’à court terme la Cour de Cassation s’aligne sur le Conseil d’Etat, et que des « e-instances » puissent rendre des « e-avis » valables et opposables. Incidemment, cette question pose celle du déroulé des instances, de l’utilisation des suspensions de séances, des sorties orchestrées, des joutes oratoires ou des débats dialectiques, rendus bien difficiles par l’absence physique des membres. Le digital

Parallèlement les syndicats se cherchent une nouvelle légitimité – voire de nouvelles « utilités » - aux yeux de leurs actuels – et futurs – cotisants. Dès lors, les notions d’« offres syndicales » et de « services » progressent en Europe. A nouveau, le digital joue un rôle essentiel et favorise le développement de «syndicats en ligne » qui proposent des services de soutiens juridiques, de négociations de tarifs d’assurance ou de mutuelle santé. Précisons cependant que la France est – pour le moment – très éloignée de ces évolutions. Enfin n’oublions pas que le salarié peut accéder grâce à internet voire aux communautés virtuelles de salariés et aux chats (interne à l’entreprise, mais très facilement ouverts à l’externe) à une masse d’informations et de conseils qui concurrencent directement les instances.

Enfin, le digital vient remettre en question le fonctionnement traditionnel des Organisations Syndicales (OS) et influence le rapport entre syndicat et salarié/cotisant; en effet, la notion d’action syndicale évolue (voir à ce sujet la décroissance spectaculaire des jours de grève et l’évolution des modes de revendication des OS) et pèse sur le rôle même du syndicat. Les outils numériques facilitent en réalité l’action syndicale et la «présence virtuelle » sur le terrain : ils permettent la collecte des informations ou des revendications, de réaliser des enquêtes informelles auprès des salariés, d’organiser des communications par un site ou en temps réel– voire pendant les instances par SMS – ainsi que de «e-tracter » sans s’afficher individuellement.

Quels enjeux pour les DRH ? > Poussé par le digital, émerge le modèle d’un «salarié-client » à la recherche de « services » tant de la part de la fonction RH que de la part des OS. Pour l’employeur, il s’agit d’une formidable opportunité de reprendre la main sur l’animation et la connaissance de son terrain social, de ses collaborateurs et de leurs modes de management. Pour la DRH, l’usage du digital est l’occasion de retrouver son rôle originel, au cœur de l’outil de production, au service des salariés, acteur conscient et non plus subissant du Dialogue social.

ACCOMPAGNER SOCIALEMENT SA TRANSFORMATION DIGITALE Le digital est un générateur exponentiel de valeur ajoutée, « capable » de réaliser des tâches de plus en plus complexes. Il pousse le salarié d’aujourd’hui à suivre ce même chemin de progression, pour conserver sa légitimité dans l’organisation. Ces transformations profondes, structurelles, viennent ou viendront impacter les business model des entreprises, leurs relations aux marchés et à leurs clients. Elles doivent et devront s’adapter et changer. Le risque social est énorme : non seulement le digital vient percuter toutes les ressources humaines - ETAM et cadres compris (niveau de recrutement, de formation, de compétences, de qualifications, d’évolution de carrière…) mais par ricochet les organisations elles-mêmes (modes de management, modes de travail, modèle de gouvernance, de culture d’entreprise…). Il nous semble dès lors crucial de mobiliser et de relier tous les outils et les processus de la politique et de la stratégie RH, orientés vers un même but et focalisés sur la réussite de la transformation. La GPEC – si elle est bien reliée aux objectifs stratégiques de l’entreprise et portée au plus haut niveau – permet de définir un cap stratégique, économique, industriel et technologique ainsi que l’organisation cible – postes, emplois et compétences - qui portera ce modèle. Elle est le fer de lance des politiques internes et doit devenir un véritable projet d’entreprise. En définissant pour chaque poste actuel son risque de disparition à terme, sa capacité à changer, à s’intégrer dans la cible, la GPEC identifie l’ensemble des solutions individuelles et collectives (développement RH, formation, mobilité interne ou externe, accompagnements dédiés, tutorat, mentoring…) de manière transparente et négociée avec les IRP.

Pour autant, selon nous, cette GPEC « classique » n’est pas suffisante et doit s’accompagner d’un fort volet culturel. Ce volet culturel permet de superposer au modèle d’organisation cible celui des modes de travail et de management qui seront attendus pour porter les évolutions et servir l’organisation cible (rôle du management, autonomie, lignes hiérarchiques, nouveaux espaces de travail, nouveaux modes de travail…). Il donne également une vision complémentaire de l’entreprise demain. En outre, ce volet culturel peut apporter à la GPEC des armes moins traditionnelles sur des sujets d’emplois et de compétences. Elles sont tout aussi efficaces et doivent être absolument engagées tant le sujet du digital est porteur de réticence, comme d’incapacité, à changer (qualité de vie au travail, modes alternatifs de travail, télétravail, RSE, politique séniors…).

Quels enjeux pour les DRH ? > La GPEC à l’ère digitale exige donc une très forte pédagogie vers les salariés, le management et les instances. L’intégration du digital peut être considéré comme une opportunité de définir son nouveau modèle économique, social et humain, mais il s’agira d’être extrêmement vigilant et de mobiliser l’ensemble des acteurs (dont les IRP) et des outils RH – négociés ou non – pour atteindre la cible rapidement et en maîtrisant le risque humaine et social.

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