Les animaux dans la ville - Sciences Po. Urbanisme

8 janv. 2009 - L'écosystème urbain est constitué d'une matrice urbaine et de la faune et ...... conformité de sa gestion aux critères du référentiel portant sur 10 ...
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Les animaux dans la ville Réalité et outils pour une meilleure prise en compte

Mémoire de Tiphaine Illouz – Janvier 2009

Les animaux dans la ville : Réalité et outils pour une meilleure prise en compte

Cycle urbanisme de Sciences Po – Mémoire de Tiphaine Illouz – Janvier 2009

Les animaux dans la ville : réalité et outils pour une meilleure prise en compte

TABLE DES MATIERES ________________________________________________________________________

Préambule……………………………………………………………………………………… 2 Introduction……………………………………………………………………………………. 3

1. L’animalité urbaine : un élément souvent ignoré de l’écosystème urbain 1.1. L’animalité urbaine : un maillon essentiel du développement durable……………. .5 1.2. Développement urbain durable et biodiversité………………………………........... 6 1.3. Biodiversité et animalité urbaines………………………………………………….. 6 1.4. La ville en tant qu’écosystème original…………………………………………….. 7 1.5. L’animalité urbaine : une conséquence de l’urbanisation du monde………………. 8 2. Que désigne l’animalité urbaine ? Petite typologie 2.1. L’animalité urbaine « restreinte » ou « classique ». L’exemple de Paris…………..10 2.2. L’animalité urbaine « large »…………………………………………………….. .14 2.3. Animalité urbaine et urbains……………………………………………………….15 3. Quels sont les outils pour agir en faveur de la biodiversité et de l’animalité ? La boîte à outils de la biodiversité 3.1. Les outils internationaux, européens et nationaux………………………………… 16 3.2. Les outils locaux, territoriaux……………………………………………………… 22 3.2.a. Documents volontaires (Agenda 21)………………………………………… 22 3.2.b. Documents réglementaires (documents d’urbanisme : SCOT, PLU)……… ..28 3.3. Quelques outils concrets d’aménagement à l’échelle urbaine ou architecturale….....29 3.3.a. À l’échelle du territoire………………………………………………………..29 3.3.b. A l’échelle micro-urbaine et architecturale.…………………………………..35 3.4. Animalité urbaine : une richesse à exploiter, un potentiel d’éducation……………..37

Conclusion……………………………………………………………………………….......... 40 Bibliographie…………………………………………………………………………….......... 41

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Les animaux dans la ville : réalité et outils pour une meilleure prise en compte

PREAMBULE ___________________________________________________________________________

Tirer le fil en dénouant les fils. Unité et diversité Architecture. Architecture et grands singes. Urbanisme. Urbanisme et biodiversité. Urbanisme et animalité. Ville et animaux. C’est peut-être une manie, mais reconnue, elle est déjà à demi pardonnée. Une vieille obsession : les grands singes. Elle revient mâtinée d’urbanisme et de ville durable.

« (…) J’ai contracté, en captivité, une dette envers les éléphants, dont j’essaye seulement de m’acquitter. C’est un camarade qui avait eu cette idée, après quelques jours de cachot – un mètre dix sur un mètre cinquante – alors qu’il sentait que les murs allaient l’étouffer, il s’était mis à penser aux troupeaux d’éléphants en liberté – et, chaque matin, les Allemands le trouvaient en pleine forme, en train de rigoler : il était devenu increvable. Quand il est sorti de sa cellule, il nous a passé le filon, et chaque fois qu’on n’en pouvait plus, dans notre cage, on se mettait à penser à ces géants fonçant irrésistiblement à travers les grands espaces ouverts de l’Afrique. Laissés seuls, à moitié crevés, on serrait les dents, on souriait et, les yeux fermés, on continuait à regarder nos éléphants qui balayaient tout sur leur passage, que rien de pouvait retenir ou arrêter : on entendait presque la terre qui tremblait sous les pas de cette liberté prodigieuse et le vent du large venait emplir nos poumons. »

Romain Gary1

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GARY, Romain. Les racines du ciel. Paris : éd. Folio, 1973 (Première édition 1956), 495 p.

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INTRODUCTION ___________________________________________________________________________

Animalité urbaine : quelle place pour les animaux dans la ville ? Des renards aux portes de Paris, des rats qui envahissent la Gare Saint-lazare, des souris dans les vitrines de Fauchon à la Madeleine. L’animalité surgit parfois là où on ne l’attend pas : au cœur des grandes villes a priori bien éloignées de la nature, et lieu des cultures humaines par excellence. Et pourtant… Le milieu urbain s’est considérablement développé et la planète est presque entièrement urbanisée. Depuis 2007, 50% de la population mondiale vit en milieu urbain. D’ici 2030 plus de 60% de l’humanité vivra dans les villes. L’opposition nature/culture, ville/campagne n’a plus de sens à l’heure actuelle. Villes et animaux se superposent, s’imbriquent et cohabitent. S’intéresser à l’animalité aujourd’hui, c’est nécessairement s’intéresser à l’animalité dans la ville, donc à l’animalité « urbaine », et aux espaces qu’ont désormais à partager animaux et urbains. Mais de quels « animaux urbains » s’agit-il ? Si l’on tente d’établir une première typologie simple – car il en existe d’autres que nous verrons – trois catégories émergent. Tout d’abord, il y a les animaux de compagnie ou ceux qui font partie des « familles humaines »2. Ils sont sans aucun doute les plus visibles en ville. Avec ses 65 millions de chats, chiens, petits rongeurs, oiseaux et poissons, la France est, en Europe, au premier rang des pays possesseurs d’animaux de compagnie3. À l’heure actuelle, ce sont plus de 51% des foyers hexagonaux qui possèdent un animal domestique4. D’après l’INSEE, le nombre d’animaux de compagnie a augmenté de 40% en 20 ans. L’évolution est particulièrement sensible en zone urbaine puisque plus d’un tiers de ces animaux vit en ville. Mais la ville est peuplée de bien d’autres animaux : parmi ceux qui ne font pas partie des « familles humaines », mais qui sont néanmoins bien présents, il y a les animaux commensaux5 qui 2

Dominique Lestel est philosophe et éthologue, maître de conférence à l’Ecole Normale Supérieure. Il prépare actuellement un livre sur l’animalité urbaine intitulé « ZooPolis. Petite philosophie de l’animalité urbaine » 3 Voir le site de l’association AFIRAC (Association Française d’Information et de Recherche sur l’Animal de Compagnie) 4 Se dit d’un animal qui a été dressé ou apprivoisé et qui vit ans l’entourage de l’Homme, Le Petit Larousse illustré, 2009. 5 Se dit d’une espèce animale qui vit au contact d’une autre en profitant des résidus de sa nourriture, mais sans la parasiter, Le Petit Larousse illustré, 2009. Par exemple, les poissons-pilotes qui suivent les requins et autres gros poissons pour se nourrir des débris de leur repas, ou les moineaux qui vivent dans les villes, villages et champs en se nourrissant des graines et des miettes. Le moineau est ainsi le commensal de l’Homme. Les animaux commensaux sont les animaux non domestiqués qui se nourrissent de ce que l’Homme produit et qui en sont dépendants.

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interagissent ou non avec l’humain, et les animaux sauvages6 qui l’évitent La ville exhibe également un certain nombre d’animaux dans des lieux clos dont l’entrée est payante : zoos, aquariums, cirques. Certains animaux sont d’une banalité quotidienne, d’autres sont rares, d’autres encore sont éradiqués. Mais, vivants ou morts, réels ou imaginaires, domestiques ou sauvages, visibles ou invisibles, ces animaux cohabitent avec l’humain, dans le même espace urbain que lui. Si l’on se demande en quoi cette faune urbaine intéresse l’urbaniste, l’aménageur ou l’architecte, plusieurs réponses s’esquissent. Tout d’abord, une ville sans animaux n’existe pas, à part dans les utopies. Les animaux constituent la trame même de ce que sont les villes, qui sont autant celle de l’animalité que de l’humanité. Cette caractéristique majeure des villes a pourtant systématiquement échappé aux urbanistes selon Dominique Lestel7. Impossible donc de traiter de l’urbain sans traiter aussi des animaux. Ensuite, la montée en puissance de la thématique du développement durable et sa déclinaison environnementale prônent une attention forte aux écosystèmes, et notamment à l’écosystème urbain8. Les outils pour maintenir ou développer la biodiversité se développent. Parallèlement à cela, les termes d’écosystème urbain et d’écologie urbaine ont fait une apparition remarquée depuis une trentaine d’années. En façonnant le milieu urbain, l’urbaniste, l’aménageur et l’architecte influent, chacun à leur échelle, sur le milieu environnant et impactent notamment l’organisation des communautés animales. Car aménager des routes, construire des bâtiments, créer des parcs urbains ne sont pas sans incidence sur les milieux et leur peuplement. Chacun des acteurs de la ville contribue donc, souvent à son insu, à faire baisser ou augmenter la population de telle ou telle espèce indigène. Un des objectifs de ce mémoire est de montrer que le thème de l’animalité urbaine n’est pas réductible aux déjections canines et aux conflits qui peuvent en découler. La question n’est pas de savoir s’il faut accepter des animaux dans la ville, mais plutôt celle de savoir comment vivre avec eux ! La ville de demain a bel et bien pour mission de définir la place, le rôle et le statut du vivant au cœur de la cité. Dans une logique de mixité fonctionnelle et sociale, comment peut-on mieux prendre en compte les animaux dans la ville ? Comment agir en faveur d’une meilleure cohabitation Hommes/animal ? « Avec qui ou quoi voulons nous vivre et comment ?9 ». Voici quelques-unes des questions auxquelles nous allons tenter de répondre tout au long de ce mémoire.

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Les animaux sauvages sont les animaux qui ne sont pas apprivoisés LESTEL, Dominique. « Bêton » : réflexions sur l’animalité urbaine [en ligne]. Mars 2004. Disponible sur millénaire 3< http://www.millenaire3.com/Beton-reflexions-sur-l-animalite-urbaine.122+M57fb60858fa.0.html> 8 L’écosystème urbain est constitué d’une matrice urbaine et de la faune et de la flore. 9 LESTEL, Dominique. Ibid. 7

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1. L’ANIMALITE URBAINE : UN ELEMENT SOUVENT IGNORE DE L’ECOSYSTEME URBAIN ___________________________________________________________________________

« Nous n’héritons pas de la Terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants » Antoine de Saint-Exupéry

1.1. L’animalité urbaine : un maillon essentiel du développement durable Si de nombreuses thématiques relatives au développement durable ont émergé depuis quelques années10, il semble, à première vue, que le thème de l’animalité soit resté confidentiel, voire inexistant. Pourtant, la protection de l’animal est bien inscrite dans les politiques publiques : la santé des animaux de compagnie figure pour la première fois depuis 2005 dans les attributions du secrétaire d’Etat à l’agriculture, Nicolas Forissier. La nouvelle Politique Agricole Commune (2004) institue pour la première fois le bien-être animal comme critère d’attribution des aides aux exploitants agricoles, et la protection des animaux sauvages apparaît comme l’une des valeurs premières de la préservation de la biodiversité et des préoccupations écologiques au sein du développement durable. La diversité animale devient patrimoine et, à ce titre, les animaux deviennent intouchables11. Pour comprendre en quoi l’animalité est un maillon essentiel du développement durable, et plus particulièrement de la prise en compte et de la protection de la biodiversité, commençons par quelques définitions. Revenons tout d’abord sur la signification du développement durable, qui comprend les deux thématiques précédemment citées (biodiversité et animalité). C’est, selon la définition proposée en 1987 par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement dans le Rapport Brundtland, « un développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». Les trois piliers du développement durable sont l’environnement, le social et l’économique. C’est au volet plus particulièrement environnemental que nous allons nous intéresser pour approcher l’animalité, même si le développement durable est, par définition une approche systémique, c’est-à-dire une approche globale évitant de traiter isolément l’un ou l’autre des piliers. Précisons qu’isoler l’animalité n’est qu’une facilité préliminaire pour décomposer et replacer ce thème dans une

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Lutte contre le réchauffement climatique DORTIER, Jean-François, GOLDBERG, Jacques, STASZAK Jean-François. Y a-t-il une géographie du territoire animal ? Cafés géographiques, Le Flore, 22 mars 2005 [en ligne]

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thématique durable plus générale, mais que, et nous le verrons, traiter l’animalité touche au social et à l’économique. 1.2. Développement urbain durable et biodiversité Parmi les cinq finalités nationales et internationales du développement durable pour agir localement figurent la préservation de la biodiversité, la protection des milieux et des ressources naturelles, au même rang que la lutte contre le changement climatique, la satisfaction des besoins essentiels de la personne, la cohésion sociale et la solidarité, et la responsabilisation des modes de production et de consommation. La biodiversité ou diversité biologique est un concept global qui désigne la variété et la variabilité du monde vivant à tous ses niveaux : la diversité génétique, la diversité des espèces et la diversité des écosystèmes12. La biodiversité est indissociable du développement durable, car l’essentiel de ce développement se fonde sur les multiples biens et services qu’elle fournit aux sociétés humaines. Gérer la biodiversité, la préserver ou la valoriser, concerne des domaines aussi variés que la protection de la nature, l’industrie, l’agriculture ou encore les politiques d’aménagements du territoire. La biodiversité est une richesse que nous devons transmettre aux générations à venir, car elle est vitale. Le début de la régression de la biodiversité a commencé avec l’explosion démographique de la société humaine, et s’est accélérée au cours des trois derniers siècles. Depuis le XVII° siècle, 2,1% des espèces de mammifères et 1,3% des espèces d’oiseaux se sont éteintes. Les intérêts à protéger la biodiversité sont multiples : sur le plan économique, elle fournit la matière première de nos aliments, de nos vêtements et de nos médicaments (60% de nos médicaments sont issus du règne végétal). Sur le plan scientifique, la biodiversité est à l’origine de tous les mécanismes qui permettent à la biosphère13 d’assurer en permanence des taches de protection et de régulation du climat et des flux vitaux. Sur les plans éthique et esthétique, la contemplation de la diversité de la vie est une source importante d’épanouissement personnel et de créativité. 1.3. Biodiversité et animalité urbaines L’animalité en général, et l’animalité urbaine en particulier, sont inclues dans le concept de biodiversité en tant que diversité des espèces animales. Le concept d’animalité désigne l’essence de l’animal. Cela sous-entend une nature commune entre tous les animaux sans distinction d’espèces. Dans la pensée occidentale moderne, le concept en

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Stratégie nationale pour la biodiversité, 2004 [en ligne] >www.ecologie.gouv.fr/Strategie-nationale-pour-la, 7338.html> 13 Ensemble des écosystèmes de la planète comprenant tous les êtres vivants et leurs milieux, Le petit Larousse 2009.

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est venu à désigner tout ce que l’humain ne doit pas être, et résulte de la privation de tous les attributs (l’âme, la raison, le langage, la culture, la liberté) censés caractériser l’humain. Aussi l’animalité apparaît-elle comme le substrat sans qualités à partir desquels peut se dire la spécificité de l’humain14. S’intéresser à l’animalité urbaine, c’est s’intéresser aux animaux qui peuplent nos villes. Pourtant, la notion de biodiversité, comme celle d’animalité, évoque généralement les milieux naturels et non la ville. Et pour cause, nous ne pensons pas qu’une cité aussi dense et minérale que Paris puisse être concernée. Et nous avons tort ! 1.4. La ville en tant qu’écosystème original Un écosystème est le complexe dynamique formé de plantes, d’animaux et de micro-organismes et de leur environnement non vivant (nature morte) qui, par leur interaction, forment une unité fonctionnelle15. L’écosystème urbain en est une déclinaison particulière, puisqu’il est composé de la matrice urbaine, de la faune et de flore. Il s’agit d’un écosystème tout à fait original car il est soumis à de fortes contraintes anthropiques16 : pollutions diverses, perturbations liées à la présence de l’Homme, et impact des modifications du paysage17. L’idée que la ville est un écosystème à part entière est toute à fait neuve18. L’écologie est l’étude scientifique « des relations des organismes avec le monde environnant, c’est-à-dire, dans un sens large, la science des conditions d’existence »19, c’est-à-dire en fait l’étude des écosystèmes20. L’écologie urbaine est une thématique récente. C’est à partir des années 1970 que des chercheurs se sont intéressés à la ville en tant qu’écosystème à part entière, et ont appliqué aux villes des concepts d’écologie urbaine jusque-là associés à des systèmes relativement naturels. L’écosystème urbain est un écosystème récent et particulier où les tâches d’habitat correspondent à des espaces verts, des parcs et des jardins publics, des jardins privatifs, des squares ou des terrains vagues. L’écosystème urbain est un écosystème tout à fait original. La simple présence de l’Homme engendre des perturbations sur la faune et la flore environnantes en termes de pollution, fragmentation 14

BURGAT, Florence (dir.). L’animal dans nos sociétés, Paris : éd. La documentation française, coll. Problèmes politiques et sociaux, 2004, 118 p. 15 Définition de la Convention sur la diversité biologique et du Rapport commandé par l’ONU « Evaluation des écosystèmes pour le millénaire » (2006) 16 Se dit d’un paysage, d’un sol, etc., dont la formation résulte de l’intervention humaine , Le Petit Larousse illustré 2009 17 CROCI, Solène. Urbanisation et biodiversité : traits biologiques et facteurs environnementaux associés à l’organisation des communautés animales le long d’un gradient rural-urbain. Th. doct. : Écologie urbaine/INRA. Rennes : Université Rennes 1, 2007, 216 p. 18 Philippe Clergeau est professeur au Muséum national d’histoire naturelle de Paris et a notamment publié « Une écologie du paysage urbain », Editions Apogée, 2007. 19 HAECKEL, Ernst. Morphologie générale des organismes, 1866. 20 L’étude des écosystèmes contient deux grands ensembles : les êtres vivants (biocénose) et le milieu physique (biotope)

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et isolement des habitats. L’homme est un dérangeur d’écosystèmes et, en milieu urbain, il est omniprésent. L’activité humaine et les structures mises en place en ville engendrent la modification d’un certain nombre de variables environnementales. Par exemple, l’activité automobile et le réfléchissement naturel de la chaleur emmagasinée par les bâtiments provoquent un « îlot de chaleur » urbain qui peut avoir un impact sur la végétation. La circulation augmente les taux de pollutions atmosphériques, l’utilisation des pesticides pour l’entretien des espaces verts par les municipalités, ou des jardins privatifs par les particuliers, augmente aussi considérablement la pollution des sols. La fréquentation des espaces verts par les citadins constitue un véritable dérangement pour les oiseaux lors de leur recherche alimentaire, et une route peut représenter une entrave au déplacement des animaux. La liste n’est pas exhaustive, mais illustre la variabilité des formes que peuvent prendre les contraintes anthropiques et leur intensité en ville. 1.5. L’animalité urbaine : une conséquence de l’urbanisation du monde Le boom de l’urbanisation « avale » toutes sortes d’animaux. Elle tend à fragmenter les habitats21, laissant ces derniers sous la forme de tâches d’habitat. Ces « îlots de nature » résiduels en ville sont inclus dans une matrice urbaine principalement constituée de surfaces minéralisées telles que le bâti ou la voirie. La fragmentation des habitats et l’hétérogénéité de la matrice ont pour conséquence de diminuer la taille des tâches et d’en augmenter leur nombre. De plus la nature « minérale » de la matrice urbaine induit une diminution de la connectivité, diminution encore plus marquée pour les espèces à faible capacité de dispersion c’est-à-dire dont la capacité de dispersion est inférieure à la distance qui sépare les taches d’habitat. Ainsi l’urbanisation des terres constitue-t-elle une menace importante pour la biodiversité. L’extension des villes et l’urbanisation du monde génèrent de nouvelles contraintes auxquelles les espèces sont confrontées et doivent réagir. Les deux premiers scénarios sont les suivants22 : soit les espèces tolèrent ces modifications et exploitent les aires urbanisées ; soit elles ne peuvent subsister dans un tel milieu et reculent devant l’urbanisation. Si l’on entre plus dans le détail, certaines espèces tolérantes, communément identifiées sous le terme anglo-saxon d’ « urban exploiters »23 s’avèrent montrer une certaine préférence pour ce milieu. Elles peuvent génèrent, si elles sont trop abondantes, des nuisances pour les citadins. C’est le cas par exemple du moineau domestique Passer domesticus et de l’Etourneau sansonnet Sturnus vulgaris, désormais à l’origine de nombreuses plaintes déposées principalement pour les nuisances sonores et sanitaires générées par les dortoirs. Au contraire, il existe des espèces non tolérantes, ou « urban avoiders » qui reculent face à la progression de l’urbanisation des terres. Le maintien de leur 21 22 23

Aire dans laquelle vit une population, une espèce animale ou végétale particulière, Le Petit Larousse, 2009 Thèse de Solène Croci. Ibid. Blair, 1996

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population est menacé. Enfin, il existe les « urban adapters » qui correspondent aux espèces capables d’utiliser le milieu naturel comme le milieu urbain sans distinction. L’urbanisation induit indiscutablement des changements sur le monde animal, mais ne s’accompagne pas obligatoirement d’une désaffection ou d’un repli de l’animal en milieu urbain. Certaines espèces vont s’adapter, ou même en profiter. Mais quels sont ces animaux qui habitent, se nourrissent, nichent et déambulent dans la ville ?

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2. QUE DESIGNE L’ANIMALITE URBAINE ? PETITE TYPOLOGIE ___________________________________________________________________________ Nous avons planté le décor de notre thème d’étude, et compris que deux ingrédients majeurs formaient le terreau fertile d’émergence de la problématique de l’animalité urbaine: le développement durable et l’explosion du fait urbain. Il est temps maintenant de nous intéresser à ce que renferme ce concept d’animalité urbaine 2.1. L’animalité urbaine « restreinte » ou « classique ». L’exemple de Paris. Très simplement, et de manière intuitive, nous associons les animaux de la ville avec ceux que l’on croise quotidiennement, c’est-à-dire, pour le citadin banal : chiens, chats, oiseaux en général et pigeons en particulier, souris et insectes. Nous confondons ainsi espèces domestiques24, sauvages25 et commensales26 car l’homogénéité de l’animalité urbaine n’est qu’illusoire : l’ « animal » dans la ville recouvre une réalité en mosaïque27. Si l’on se réfère au guide « Bien vivre avec les animaux à Paris »28, la biodiversité animale est bien plus variée. En effet, à Paris cohabitent 1663 espèces animales et à peu près autant de plantes et de champignons. Parmi elles, la fouine, le crapaud accoucheur, la mulette des peintres, la méduse… Et, en son sein, 32 espèces de mammifères, 174 d’oiseaux (sur 545 en France), 3 de reptiles, 10 d’amphibiens, sans compter les insectes (1078), mollusques (47), arachnides (117) et autres crustacés (16). Les bois, parcs et jardins sont des lieux privilégiés de vie et d’observation de la faune et de la flore dans la capitale. À cela s’ajoutent : les berges de la Seine et les canaux, les cimetières, les terrains vagues, les toitures et façades d’immeubles etc. À Paris, 22 espèces animales sont protégées, et de nombreux oiseaux sont considérés comme protégés s’ils ne sont pas « chassables »29.

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« Se dit d’un animal qui a été dressé ou apprivoisé et qui vit dans l’entourage de l’Homme », Le Petit Larousse illustré 2009 25 « Qui n’est pas apprivoisé », Ibid. 26 « Se dit d’une espèce animale qui vit au contact d’une autre en profitant des résidus de sa nourriture, mais sans la parasiter », Ibid. Par exemple les poissons-pilotes qui suivent les requins et autres gros poissons pour se nourrir des débris de leurs repas, ou les moineaux qui vivent dans les villes, villages et champs en se nourrissant des graines et des miettes. Il est ainsi un commensal de l’Homme. Les animaux commensaux sont dépendants des activités humaines. 27 LESTEL, Dominique. « Bêton » : réflexions sur l’animalité urbaine. L’homme et l’animal en milieu urbain, recueil de textes [en ligne]. Mars 2004. Disponible sur millénaire 3< http://www.millenaire3.com/Betonreflexions-sur-l-animalite-urbaine.122+M57fb60858fa.0.html> 28 Ville de Paris. Bien vivre avec les animaux à Paris [en ligne]. Disponible sur ville de Paris 29 C’est-à-dire que le déplacement, la vente, la capture, la chasse et le piégeage sont interdits.

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Si la biodiversité est souvent synonyme de perte, il y a parfois matière à être étonné. Le faucon crécerelle a fait un retour fracassant à la grande surprise des scientifiques30. « Connu pour son vol stationnaire et son régime spécialisé de petits mammifères, il a adopté en ville un comportement de prédation en fondant sur ses proies (essentiellement des moineaux habituellement absents de son régime) à la façon d’une buse »31. Voilà un bel exemple d’« urban adapter »… Selon Philippe Clergeau : « Alors que pour la première fois en 2007, la population urbaine a dépassé la population rurale sur terre et que le nombre de mégapoles de millions d’habitants a explosé, la ville est en train d’inventer un nouvel écosystème, différent de ce qu’on a connu jusqu’alors »32. Et c’est bien ce qui étonne. Si la ville a des inconvénients que nous avons vu, elle cumule également un certain nombre d’avantages pour la faune : une température plus élevée que dans les zones rurales (d’environ 2° au centre de l’agglomération), un environnement moins humide, une luminosité qui limite la prédation, et des activités humaines sources de nourriture. C’est bien pour cela que certaines espèces ont su profiter de l’opportunité en adaptant leur comportement et/ou en colonisant de nouveaux habitats33. Si l’on veut catégoriser à grands traits la biodiversité animale de Paris (et des grandes villes en général) et en dresser une petite typologie, nous pouvons discerner trois ou quatre catégories selon les auteurs : les animaux de compagnie, les animaux sauvages, les commensaux, et les animaux nuisibles ou non désirés34. Car, nous le verrons tout au long de ce travail, l’animalité urbaine est parcourue des clivages : animaux bons Versus animaux mauvais, animaux à protéger Versus animaux à éradiquer. Voyons qui est qui, et classons quelques espèces animales dans les catégories précédemment citées.

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MOLGA, Paul. Le milieu urbain invente un nouvel écosystème. Les Echos, 26 juin 2008 [en ligne] < http://www.lesechos.fr/info/energie/4745534.htm> 31 Ibid. 32 Ibid. 33 Explications de Philippe Jacob, responsable du pôle biodiversité à la mairie de Paris in « La vie sauvage prospère dans les villes », Les Echos, 25 juin 2008 34 Ville de Paris. Bien vivre avec les animaux à Paris [en ligne]. Disponible sur ville de Paris

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Les animaux de compagnie ou ceux qui « font partie des familles humaines »35 On l’a dit en introduction, la France est le premier pays d’Europe quant au nombre d’animaux

familiers. Au rang mondial, elle est le deuxième pays derrière les Etats-Unis d’Amérique. Un foyer français sur deux possède un animal de compagnie, animal perçu comme une présence réconfortante et comme un morceau de nature au sein d’un monde urbain hostile, stressant et bétonné36. Les chiens sont particulièrement visibles dans l’espace public, ainsi que leurs maîtres, à l’heure de la promenade quotidienne. Ils seraient 500 000 dans la capitale37. En réalité, selon Jean-François Staszak, et ceci constitue une ouverture intéressante, bien plus d’un Français sur deux aurait un animal domestique car « quasiment tous ont affaire à des animaux, des moustiques, des fourmis, des mouches, bien au-delà du seul animal de compagnie »38.

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Les NAC (Nouveaux Animaux de Compagnie) : une sous-catégorie de l’animal domestique Notons la montée en puissance remarquée, et parfois visible dans l’espace public, de nouveaux

animaux de compagnie tel que gerbilles, iguanes, écureuils de Corée, tortues, serpents, perroquets, grenouilles et autres mygales qui sont de plus en plus nombreux à vivre dans les foyers urbains, et parfois à y échapper. Ils sont parfois supports de légendes urbaines : des crocodiles hanteraient les égouts, des serpents auraient été retrouvés dans des canalisations d’immeubles. Le 19 juillet 2001 par exemple, la brigade de Moselle a saisi 49 pythons et varans dans les sacs de deux passagers du train ParisFrancfort. Des touristes collectionneurs n’hésitent pas à rapporter chez eux des espèces sauvages trouvés ou achetés. En 2000, ce sont 659 animaux vivants qui ont ainsi été interceptés par les douanes39.

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LESTEL, Dominique. « Bêton » : réflexions sur l’animalité urbaine. L’homme et l’animal en milieu urbain, recueil de textes [en ligne]. Mars 2004. Disponible sur millénaire3 < http://www.millenaire3.com/Betonreflexions-sur-l-animalite-urbaine.122+M57fb60858fa.0.html> 36 DORTIER, Jean-François, GOLDBERG, Jacques, STASZAK Jean-François. Y a-t-il une géographie du territoire animal ? Cafés géographiques, Le Flore, 22 mars 2005 [en ligne] 37 TALIN, Christian. Les animaux de compagnie : une condition ambivalente. In BURGAT, Florence (dir.). L’animal dans nos sociétés. Paris : éd. La documentation française, coll. Problèmes politiques et sociaux, 2004, p.81-82. 38 DORTIER, Jean-François, GOLDBERG, Jacques, STASZAK Jean-François. Ibid. 39 BATISTE, Marine. Les nouveaux animaux de compagnie : un engouement, un trafic. In BURGAT, Florence (dir.). L’animal dans nos sociétés. Paris : éd. La documentation française, coll. Problèmes politiques et sociaux, 2004, p.82-83.

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Faune sauvage et animaux commensaux Toutes les espèces sauvages qui trouvent leur abri, leur nourriture, leur lieu de reproduction - en

bref leur habitat - dans les maisons, les entrepôts, les égouts... ont établi avec le citadin une relation de commensalisme. Elles bénéficient des ressources de la ville et sont avec l’espèce humaine dans une relation de bénéfice non-réciproque qui pourrait être qualifiée de « parasitisme modéré ». La blatte, les chats errants, le moineau, le pigeon, la souris, et d’autres animaux sauvages (ou revenus à la vie sauvage, tels les chats harets) vivant auprès des humains, sont des animaux commensaux de ceux-ci. Bien que certains d’entre eux causent des nuisances incontestables, ils ne sont plus considérés comme nuisibles. Les pigeons, un des signes visibles de la présence de l’animal en ville, sont parfois assimilés aux animaux « nuisibles ». Pourtant, si on leur reconnaît volontiers des méfaits, on ne cherche pas pour autant à les éradiquer, mais plutôt à diminuer les méfaits qu’ils provoquent. Ce n’est pas le pigeon en lui-même qui est jugé néfaste ou dangereux, mais bien plus les fortes concentrations d’individus, souvent très localisées qui provoquent des nuisances et suscitent les plaintes des riverains. Accumulation de fientes provoquant des dégâts sur les biens publics et privés, transmission de maladies et de parasites entre pigeons et accroissement de l’agressivité entre individus… Voilà pour les maux divers engendrés par les regroupements d’oiseaux. Les animaux sauvages vivant en ville peuvent avoir été importés par les citadins comme les singes, les serpents, les mygales (NAC), ou être autochtones comme les ragondins.

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Animaux nuisibles ou non désirés Parfois, les animaux nuisibles sont confondus avec les animaux commensaux. Sur le site de la

Ville de Paris, ils constituent une catégorie à part entière. Sans grande surprise, deux catégories sont principalement visées. D’un côté, les rongeurs avec, à leur tête, les rats et autres souris qui rongent toutes sortes de matériaux (bois, ardoise, cuivre, aluminium, plomb) et peuvent être à l’origine de courts-circuits, d’incendies ou de fuites d’eau. De plus, le rat peut transmettre à l’Homme la leptospirose, maladie grave. Ces deux espèces font l’objet de mesures défensives (suppression des sources de nourriture et élimination des gîtes) et offensives (moyens d’éliminations mécaniques et chimiques). De l’autre côté, il y a deux catégories les insectes : les termites et les blattes. Les premiers sont des insectes sociaux qui dévorent la cellulose du bois, et ils sont présents dans plusieurs quartiers de la capitale. Les secondes peuvent envahir le logement. A Paris, c’est le SMASH (Service Municipal d’Actions de Salubrité et d’Hygiène) qui participe à la lutte contre les rongeurs et autres insectes en intervenant dans les bâtiments municipaux, et également à la demande du secteur public, privé, des propriétaires ou des gestionnaires d’immeubles pour la désinfection et la dératisation.

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Les animaux dans la ville : réalité et outils pour une meilleure prise en compte

A chaque catégorie animale, son traitement de faveur ou de défaveur… Si ces trois catégories d’animaux réclament une attention particulière, selon la catégorie à laquelle ils se rattachent, le « traitement » n’est évidemment pas le même. Les chiens, par exemple, font l’objet d’une attention particulière plutôt positive, et sont à l’origine d’aménagements spécifiques destinés à réduire leur divagation et les nuisances potentielles (sonores, déjections). La problématique de l’animal commensal réside quant à elle dans la maîtrise de son infestation et de son éventuelle prolifération dans les sites non souhaités (places publiques, quais, jardins publics, poubelles etc.), tout en respectant l’existence de ces animaux dans notre quotidien. Pour les animaux sauvages, il s’agit plutôt d’en réduire la divagation et de prendre des mesures de protection40. Cette première partie nous a permis de mieux cerner l’animalité quotidienne et banale d’une grande ville comme Paris. Mais l’animalité urbaine n’est-elle que cela ? N’est-elle constituée que des animaux qui vivent dans les villes et partagent avec nous l’espace de la ville, et particulièrement son espace public ? Ou bien, plus largement, est-elle aussi constituée de tout animal entrant en contact avec l’habitant des villes ? 2.2. L’animalité urbaine « large » C’est Dominique Lestel qui parle le mieux de l’animalité urbaine en livrant la définition la plus englobante et sans doute la plus juste. Selon lui, elle n’est absolument « pas réductible aux seuls chiens, chats, rats, poissons d’aquarium et oiseaux [et] y ajouter quelques insectes n’améliore par les choses de façon sensible ». L’animalité urbaine comprend aussi bien « des girafes, des gorilles que des baleines et des loups et une quantité d’autres espèces, quelques-unes franchement inattendues ». Deux autres catégories de l’animalité urbaine émergent : celle des animaux que l’on mange et les animaux imaginaires41. Alors comment expliquer ce glissement entre animaux dans la ville et animaux de la ville, c’està-dire qui font partie du mode de vie des urbains ? Dominique Lestel s’appuie sur le constat de l’extension quasi complète de l’espace urbain sur la Terre et de l’impossibilité, dès lors, de réduire l’animalité urbaine aux animaux qui vivent eux-mêmes dans des villes, puisqu’il n’est plus éclairant, voir impossible, d’opposer la Ville et la Campagne, ou la Ville et la Sauvagerie « et qu’être urbain est désormais un style de vie plus qu’une localisation géographique ». 40

Entretien de Gilbert Gault, vétérinaire, Direction de l’Ecologie urbaine, Service communal d’Hygiène et de Santé à la ville de Lyon. Propos recueillis par Béatrice Millet, 2004 [en ligne] 41 Voir le recueil de textes « L’Homme et l’animal en milieu urbain » et le texte de Dominique Lestel. « Bêton » – Réflexions sur l’animalité urbaine [en ligne] Disponible sur < http://www.millenaire3.com/Beton-reflexionssur-l-animalite-urbaine.122+M57fb60858fa.0.html>

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Les animaux dans la ville : réalité et outils pour une meilleure prise en compte

Cette définition élargit très largement le spectre de l’animalité urbaine ! Car même si ces animaux n’habitent pas les villes, ils en font, symboliquement et factuellement partie, et y ont donc une place. La dimension relationnelle entre urbains et animaux est donc primordiale, mais de quels liens est-elle faite ? 2.3. Animalité urbaine et urbains Selon le sondage « les Français et la biodiversité » de l’institut CSA42, huit Français sur dix se disent très inquiets pour l’avenir de la biodiversité. Ce sondage, réalisé dans le cadre des 3èmes Ateliers de la Terre43 indique que : -

78% des Français « estiment que la réduction du nombre des espèces animales et végétales met en danger la survie de l’Homme »

-

84% pensent que la protection de la diversité est un « enjeu environnemental majeur du XXI° siècle »

-

66% des personnes interrogées jugent « compliqué de changer ses habitudes pour limiter l’impact des comportements humains sur les équilibres écologiques »

-

56% estiment que ce n’est pas aux seuls pouvoirs publics de prendre ses responsabilités, mais à chacun d’entre nous d’agir

Et les Français ont raison d’être inquiet car les chiffres concernant la biodiversité sont alarmants : à l’échelle planétaire, ce sont 1 oiseau sur 9 ; 1 mammifère sur 4 ; 1 amphibien sur 3 ; presque 1 poisson sur 2 ; presque 1mollusque sur 2 ; plus d’un reptile sur 2, plus d’un insecte sur 2 ; 8 crustacés sur 9 qui sont menacés44. La perte de biodiversité est constatée au niveau mondial et c’est une réalité en France : 36% des espèces de mammifères sont menacées en France métropolitaine. Avec les données sur les Français et les animaux domestiques, on peut conclure qu’urbains et animaux en ville pourraient avoir une certaine affinité, même si celle-ci n’est pas exploitée. Mais quelle place accorder à tous ces animaux? Et quelle place pourraient-ils avoir dans la ville de demain ?

42

Sondage publié dans les journaux Le Parisien – Aujourd’hui en France du dimanche 7 décembre 2008 Forum international sur le développement durable, du 11-13 décembre 2008 à Courchevel 44 Introduction au thème 2, protéger la biodiversité et préserver les ressources en eau. Agenda 21 de Bordeaux [en ligne] 43

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Les animaux dans la ville : réalité et outils pour une meilleure prise en compte

3. QUELS SONT LES OUTILS POUR AGIR EN FAVEUR DE LA BIODIVERSITE ET DE L’ANIMALITE ? LA BOITE A OUTILS DE LA BIODIVERSITE ___________________________________________________________________________ Maintenant que nous avons mieux compris ce que désignait le concept d’animalité urbaine, voyons quels sont les moyens concrets pour agir sur elle. Et tout d’abord dans quel sens ? En France, il s’agit dans la majorité des cas, de protéger, d’augmenter la biodiversité ou d’améliorer sa « vie quotidienne ». Nous ne sommes pas dans le cas de l’Inde et de sa capitale, New Delhi, qui a dû affronter en 2007 des hordes de singes sauvages qui ont provoqué la mort d’un homme et fait plusieurs blessés. Si tuer des singes est interdit pour les hindous – car ils vénèrent un dieu-singe qui symbolise la force - c’est en introduisant une autre race de singes particulièrement féroce, les langurs, dressés pour attaquer les singes sauvages, qu’ils ont choisi de se sortir de cette situation difficile. Notons tout de même qu’il existe bien, dans nos contrées, une lutte contre les espèces dites « invasives », qui concerne notamment les invertébrés. Car certains animaux des milieux terrestres et aquatiques peuvent supplanter, voire éliminer les espèces indigènes dans un habitat donné. Mais le présent mémoire s’intéresse plutôt aux outils directement « en faveur de », c’est-à-dire aux outils pour encourager et mieux gérer la biodiversité. 3.1. Les outils internationaux, européens et nationaux Si l’on souhaite comprendre quels sont les outils mis en place à l’échelle urbaine pour favoriser et améliorer la biodiversité, il nous faut d’abord voir quels sont les cadres internationaux, européens et nationaux qui régissent la biodiversité en général.

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La Convention sur la diversité biologique (1992)45 Il s’agit d’un traité international adopté lors du Sommet de la Terre à Rio de Janeiro qui

introduit le principe de précaution, et reconnaît pour la première fois en droit international, que la conservation de la diversité biologique est une préoccupation commune à l’ensemble de l’humanité. Cette convention fait du monde vivant un fondement du développement durable et fixe trois objectifs : -

La conservation des diverses formes de vie ou de la diversité biologique (= biodiversité)

-

L’utilisation durable de ses composantes pour ne pas mettre en péril les capacités de renouvellement des milieux naturels

45

[en ligne] Disponible sur

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Les animaux dans la ville : réalité et outils pour une meilleure prise en compte

-

L’accès aux ressources génétiques et le partage juste des bénéfices découlant de leur utilisation.

Elle a permis à de nombreux pays signataires d’établir à sa suite des plans d’actions en faveur de la biodiversité, et notamment en France à travers la stratégie nationale pour la biodiversité.

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La directive « Habitats, Faune, Flore » (1994)46 Cette directive européenne vise à assurer le maintien de la diversité biologique par la

conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvages. Elle prévoit la mise sur pied d’un réseau de zones protégées baptisées Réseau Natura 2000, et met en place des aires de protection stricte de la nature. La création de parcs nationaux, régionaux, d’arboretum47, ou encore la réintroduction d’espèces comme le lynx, l’ours, sont autant d’actions qui visent à reconstituer une biodiversité qui s’effrite.

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La Stratégie nationale pour la biodiversité (2004)48 : un volet de la Stratégie nationale pour le développement durable En signant cette convention en 1992, et en la ratifiant en 1994, la France reconnaît, avec les

autres pays signataires, que le vivant est menacé et qu’il est nécessaire de développer des stratégies nationales pour la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique. Son objectif principal est de stopper la perte de biodiversité d’ici 2010. Elle vise à : -

Conserver la diversité du vivant (gènes, espèces, habitats)

-

Maintenir et développer la « trame écologique » (continuité et surface des milieux peu artificialisés)

-

Promouvoir le bon fonctionnement des écosystèmes

Pour cela, quatre axes d’action sont fixés : -

Se mobiliser pour la conservation de la biodiversité et ce, pour tous les acteurs, et à tous les niveaux

-

Reconnaître les valeurs de la diversité biologique et les services qu’elle nous rend

-

Intégrer la conservation de la biodiversité dans l’ensemble des politiques publiques nationales, européennes, et internationales

46

[en ligne] Disponible sur « Parc planté d’arbres de nombreuses espèces, généralement exotiques, en vue d’étudier leur comportement, Le Petit Larousse illustré, 2009. 48 [en ligne] Disponible sur 47

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Les animaux dans la ville : réalité et outils pour une meilleure prise en compte

-

Accroître la connaissance scientifique opérationnelle

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La Charte de l’environnement (2005) Elle a été adoptée, en France, par la loi constitutionnelle du 1er mars 2005, à la suite des travaux

de la commission présidée par M. Yves Coppens. C’est, semble-t-il, la première fois qu’un pays adopte un texte constitutionnel exclusivement dédié à la matière49. La Charte fait partie du « bloc de constitutionnalité ». On peut y lire que « Les ressources et les équilibres naturels ont conditionné l’émergence de l’humanité. L’avenir et l’existence même de l’humanité sont indissociables de son milieu naturel » L’article 6, également remarquable, interpelle les responsables politiques, toutes échelles confondues, en affirmant : « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social ».

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Le Grenelle de l’environnement et la « trame verte et bleue » Initiés durant l’été 2007 en France, et sans statut législatif pour l’heure, ces « états généraux du

développement durable » ont réuni autour d’une même table tous les acteurs engagés au quotidien dans le développement durable : Etat, collectivités territoriales, partenaires sociaux, entreprises et associations environnementalistes. Le groupe de travail 2, chargé de réfléchir et de proposer des actions relatives à la préservation de la biodiversité et des ressources naturelles, a permis de mettre en débat un certain nombre d’outils possibles pour préserver la biodiversité, et notamment la diversité animale. Si l’on consulte le Rapport de synthèse de ce Groupe50, quatre axes de travail se dégagent : -

Stopper partout la perte de la biodiversité (A)

-

Organiser l’action en faveur de la biodiversité (B)

-

Connaître et faire connaître la biodiversité (C)

-

Agir pour sauver la biodiversité planétaire, au-delà de nos frontières (D) La partie (A) nous intéresse particulièrement, car elle concerne non seulement les moyens

d’action pour stopper l’érosion de la biodiversité, mais aussi et surtout pour la « développer ». Si

49

Rapport Veil au Président de la République, Comité de réflexion sur le préambule de la Constitution, p. 12 Grenelle de l’environnement, Rapport de synthèse du Groupe 2 « Préserver la biodiversité et les ressources naturelles » [en ligne]. Disponible sur

50

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Les animaux dans la ville : réalité et outils pour une meilleure prise en compte

stopper et préserver tel quelle la biodiversité est un premier pas, il faut en faire un autre dans la foulée et être plus ambitieux. La première mesure, sans doute la plus cruciale, est la construction d’une « trame verte et bleue nationale » assurant les continuités et proximités entre milieux naturels. La trame verte est un véritable outil d’aménagement, constitué de grands ensembles naturels, d’espaces naturels remarquables, et de corridors les reliant ou servant d’espaces tampons. La trame bleue est formée des cours d’eau et masses d’eau ainsi que des bandes végétalisées généralisées le long de ces cours. Cette « double » trame doit créer une continuité territoriale permettant aux espèces vivantes de s’adapter à l’évolution de leur milieu, de se reproduire et de survivre en se déplaçant et en échangeant les unes avec les autres. Elle permet aux écosystèmes de fonctionner et assure, sur l’ensemble du territoire, une réduction de la fragmentation et de la destruction des surfaces à couverts naturels et semi naturels. Instrument décentralisé d’aménagement durable et de concertation, elle devrait également favoriser une densification urbaine, permettre une gestion intégrée du territoire préservant la biodiversité ordinaire, les fonctions des écosystèmes et les capacités d’adaptation de la nature. Elle s’appuie sur le constat que chaque année, en France, plus de 60 000 ha de terrains agricoles - certains naturels - sont transformés en routes, habitations, zones d’activités. Ce développement correspond en fait à un département français recouvert de béton ou de bitume tous les dix ans. Le Grenelle II, dit projet de loi de transition environnementale, reprend cette conclusion dans son titre IV intitulé « Biodiversité ». Le chapitre II se nomme « Trame verte, trame bleue » et reprend plus précisément les objectifs d’une telle construction : -

Diminuer la fragmentation et la vulnérabilité des habitats naturels et habitats d’espèces

-

Identifier et relier les espaces importants pour la préservation de la biodiversité par des corridors écologiques51

-

Atteindre ou conserver le bon état écologique ou le bon potentiel des masses d’eau superficielles

-

Prendre en compte la biologie des espèces migratrices

-

Faciliter les échanges génétiques nécessaires à la survie des espaces indigènes de la faune et de la flore sauvage

-

Améliorer la qualité et la diversité des paysages

-

Permettre le déplacement des aires de répartition des espèces sauvages et des habitats naturels dans le contexte du changement climatique

51

L’expression « corridor écologique » désigne un ou des milieux reliant fonctionnellement entre eux différents habitats vitaux pour une espèce ou un groupe d’espèce (habitats, sites de reproduction, de nourrissage, de repos, de migration, etc.). Ces structures écopaysagères permettent de connecter ou reconnecter entre elles plusieurs sous-populations. Elles permettent la migration d’individus et la circulation de gênes d’une sous-poulation à l’autre.

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Les animaux dans la ville : réalité et outils pour une meilleure prise en compte

Élaboration et mise en œuvre de la trame verte et bleue Son élaboration et sa mise en œuvre sont portées localement par les collectivités territoriales, en étroite concertation avec les acteurs de terrain, dans un cadre cohérent spatialement et méthodologiquement garanti par l’Etat. Élaboré dans chaque territoire, ce nouvel instrument d’aménagement du territoire s’apprécie à plusieurs échelles - nationale, régionale ou locale - et s’appuiera sur plusieurs documents en fonction des espaces considérés. À l’échelle nationale, on trouvera le Schéma national de cohérence écologique, à l’échelle du bassin, le Schéma directeur d’aménagement et de gestion des Eaux, à l’échelle régionale, le Schéma régional de cohérence écologique, à l’échelle territoriale, DTA, SCOT, chartes PN et PNR, et enfin, à l’échelle locale, le PLU. Les objectifs, à plus ou moins court terme, sont : -

Construire un cadre de référence national : cartographie des grands ensembles écologiques, méthodes d’élaboration régionale, pilotage concerté du projet (2008)

-

Instaurer une compétence spécifique des collectivités territoriales, notamment des régions, en matière de planification écologique et une dotation pour l’élaboration et la mise en œuvre de la trame verte, dans le cadre de la stratégie régionale pour la biodiversité

-

Mettre en place les modalités réglementaires, contractuelles et incitatives pour la mobilisation des espaces nécessaires (point biodiversité, label, agriculture haute qualité environnementale)

-

Rendre opposable ou conditionnant (pas de consensus : opposition agricole) l’aide les cartographies régionales lors de la réalisation des documents d’urbanisme (notamment SCOT, PLU et DTA)

-

Réaliser l’élaboration concertée des trames vertes dans les régions sur la période 2009-2012

-

Introduire un critère biodiversité et trame verte dans le calcul de la Dotation Générale de Fonctionnement des collectivités territoriales

Zoom : les schémas régionaux de cohérence écologique Les « Schémas régionaux de cohérence écologique » sont des documents cadre élaborés en concertation52. L’avis des personnes associées est réputé favorable s’il n’est pas intervenu dans un délai de trois mois à compter de leur saisine. Le projet est ensuite soumis à enquête publique, et à délibération au conseil régional, avant d’être arrêté par le préfet de région. Ces schémas sont établis dans l’état des connaissances scientifiques disponibles et consistent en des cartes sur les orientations nationales de maintien et de restauration des continuités écologiques.

52

Conjointement par le président du conseil régional et le préfet de région. En association et après avis des départements, des groupements de communes compétents en matière d’aménagement de l’espace ou d’urbanisme, ou, à défaut, des communes dotées d’un plan d’occupation des sols ou d’un plan local d’urbanisme, des parcs nationaux, des parcs naturels régionaux, ainsi que des représentants des partenaires socioprofessionnelles concernés et des associations agréées de protection de l’environnement.

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Les animaux dans la ville : réalité et outils pour une meilleure prise en compte

Les départements, les communes et leurs groupements, ainsi que les établissements publics de coopération intercommunale, devront tenir compte de ce schéma et du guide méthodologique53 lors de l’élaboration ou de la révision de leurs outils de planification territoriale. En leur qualité de maître d’ouvrage d’infrastructures linéaires, ils prennent en compte la continuité écologique dans leurs décisions susceptibles d’avoir une incidence à son égard. Quelle application ? Opposabilité ? Son

caractère

d’infrastructure

opposable,

souhaité

par

les

Organisations

Non

Gouvernementales, devait garantir sa pérennité et mettre résolument la France sur le chemin d’une prise en compte effective de l’animalité. Mais cette mise en œuvre de la trame verte avait suscité l’opposition de la FNSEA54 et de l’APCA55, et n’était pas consensuelle. Cette opposabilité n’a finalement (sauf erreur) pas été retenue lors des arbitrages interministériels et du texte de loi. Au départ, le Comité opérationnel « Trame verte et bleue » avait abouti à la solution de « compatibilité » entre documents d’urbanisme et trame verte et bleue, c’est-à-dire une réelle opposabilité. Aujourd’hui, les documents d’urbanisme – schémas de cohérence territoriale (Scot) et plans locaux d’urbanisme (PLU) – devraient plutôt « tenir compte » des schémas régionaux de cohérence écologique, outils qui définiront les zones de continuité écologiques à préserver. Des débats subsistent quant aux modalités permettant de rendre la trame verte et bleue opposable : principe d’opposabilité aux infrastructures linéaires ne figurant pas dans le schéma national des infrastructures de transport? Opposabilité aux tiers ? Si l’opposabilité de la trame verte et bleue aux grands projets d’infrastructures linéaires n’est pas assurée, on peut au moins dire que la biodiversité, grâce au Grenelle notamment, est sortie de sa confidentialité. D’un sujet pour spécialistes, elle est devenue un véritable sujet de société. Le Président de la République a lui-même acté que l’érosion de la biodiversité constituait un défi comparable à celui que posent les dérèglements climatiques : « Gérer la nature n’est pas un luxe de pays riche. C’est une exigence. Nous allons engager un programme national de lutte contre l’artificialisation des sols. Les documents d’urbanisme et de planification respectent le principe du maintien de la biodiversité, y compris en permettant des mesures de compensation »56 Depuis dix ans, les objectifs de Rio ont irrigué nos politiques publiques, tant au plan national qu’international, en cherchant à intégrer la dimension de bien public global de la biodiversité. Les 53

Ce guide méthodologique doit être élaboré d’ici février 2009 : il vise notamment à aider les collectivités et représentants de l’Etat (en régions et dans les départements) à mettre au point les schémas régionaux de cohérence écologique. 54 La FNSEA est la Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles 55 L’APCA est l’Assemblée Permanente des Chambres d’Agriculture 56 Extrait du discours du Président de la République [en ligne]. Disponible sur

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Les animaux dans la ville : réalité et outils pour une meilleure prise en compte

documents nationaux ou supranationaux attestant de l’importance de la biodiversité dans le monde ne manque pas. Mais les évolutions sont lentes, et force est de constater que les tendances restent défavorables. C’est la mise en musique territoriale, les outils véritablement opérationnels qui semblent manquer, et ce aux niveaux des territoires locaux. Alors descendons d’un cran, et voyons quels sont les outils volontaires ou réglementaires dont disposent les territoires pour lancer une véritable politique de lutte en faveur de l’animalité urbaine. 3.2. Les outils locaux territoriaux « Penser global, agir local » : la nécessaire territorialisation du développement durable Il est important de distinguer les outils relevant de la réglementation des outils relevant d’une initiative spécifique, car ils n’ont ni les mêmes objectifs, ni la même force juridique. 3.2.a. Les documents volontaires à l’initiative des territoires : région, département, groupement de communes ou communes Qu’est-ce que préserver la biodiversité au niveau local, au niveau des territoires de nos villes, de nos groupements de communes et de nos régions ? Préserver la biodiversité c’est accroître le nombre d’espèces locales ou patrimoniales qui sont adaptées aux conditions de vie de leur territoire d’origine, renforcer les corridors écologiques et contribuer à la réalisation de la trame verte et bleue, lutter contre les espèces envahissantes, protéger les milieux sensibles, faire l’inventaire de nos richesses (faune et flore), et limiter les pollutions en mettant par exemple en place une gestion raisonnée des parcs et jardins57. Il est ici question de mieux comprendre les rapports entre territoires locaux et développement durable, notamment depuis la Conférence de Rio (1992) et la campagne des villes durables (1994) car avant cela, la prise en compte des animaux dans l’aménagement des villes était quelque peu mise de côté.

57

Introduction au thème 2, protéger la biodiversité et préserver les ressources en eau. Agenda 21 de Bordeaux [en ligne]. Disponible sur

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Les animaux dans la ville : réalité et outils pour une meilleure prise en compte

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Les Agendas 21 locaux (Conférence de Rio, 1992) : des outils volontaires à l’initiative des territoires Avant de s’intéresser aux démarches réglementaires, donnons la priorité aux documents qui

émanent de la volonté territoriale. L’émergence de cette problématique urbaine date du début des années 1990 et correspond à la préparation de la Conférence de Rio dit aussi Sommet de la Terre (1992). C’est à partir de cette date que la ville est appréhendée en tant que système global, et que la nécessité d’ancrer la démarche de durabilité à un niveau local est actée. Les collectivités territoriales se voient confier le rôle essentiel d’acteurs du développement durable, notamment si elles font partie des Etats signataires d’Agenda 21 (ou actions 21)58, programme qui les engagent à adopter un Agenda 21 local. Les 2500 recommandations d’Agenda 21 sont divisées en 4 sections thématiques59. C’est le chapitre 15 de la section II qui traite de la « préservation de la diversité biologique » avec des chapitres concernant la pollution de l’air, la gestion des déchets, et la préservation de la diversité biologique. Un Agenda 21 local est la déclinaison locale et partielle de ces recommandations. Il offre un cadre de travail aux collectivités territoriales et à leurs habitants pour mettre en œuvre les concepts du développement durable à travers des actions concrètes en faveur des modes de production et de consommation économes en ressources (énergie, eau, sols, air, biodiversité). Véritable plan d’actions programmées, il doit embrasser, pour chacun des grands thèmes, les aspects sociaux, environnementaux et sociaux, et répondre ainsi au célèbre défi « Penser global, agir local ». Il constitue une réelle stratégie de développement durable d’un territoire qui aura défini ses priorités. Une telle démarche peut être mise en œuvre à toutes les échelles, de la commune au département et à la région, en passant par les différents niveaux d’intercommunalité. Au sujet de cette articulation entre ville et développement durable, il nous faut signaler la première Conférence des Villes durables en Europe qui a lieu à Aalborg, au Danemark, le 27 mai 1994. Elle a permis la rédaction d’une Charte60 invitant les collectivités locales à appliquer les principes du développement durable et à réaliser un Agenda 21. C’est la confirmation que les actions d’envergure relatives au développement durable ne se mèneront pas aux niveaux national et international, mais reposent bien sur une mobilisation significative des collectivités territoriales et des territoires.

58

Programme d’actions pour le XXI° siècle qui énumère quelques 2500 recommandations concernant la mise en œuvre concrète des principes de la déclaration. Il a été adopté par 173 chefs d’Etat. 59 Section I : dimensions sociales et économiques. Section II : conservation et gestion des ressources aux fins de développement. Section III : renforcement du rôle des principaux groupes. Section IV : moyens d’exécution 60 La Charte d’Aalborg

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Les animaux dans la ville : réalité et outils pour une meilleure prise en compte

Cette campagne des villes durables va avoir un succès tout à fait inattendu, et permettre de « retourner comme un gant »61 les principes fondamentaux de la Charte d’Athènes (1933), en laissant un terreau fertile à la biodiversité, avec la nécessaire insertion du bâti dans son environnement multidimensionnel (historique, géographique, culturel, écologique), la perméabilisation des sols, la porosité des matériaux et la réouverture des canaux. L’ancienne vocation sanitaire et hygiéniste des espaces verts s’effacent devant leur « valeur récréative, pédagogique et écologique »62 puisque la protection de la biodiversité urbaine devient un objectif à part entière. Les Agendas 21 sont, par nature, les lieux de réflexion sur l’animalité urbaine, et il est intéressant de voir et de comparer les thématiques retenues dans le domaine traité de la biodiversité. Prenons, parmi les plus grandes villes françaises, celles qui ont adopté et mis en ligne un Agenda 21, c’est-à-dire Lyon, Toulouse et Bordeaux63. Voyons l’échelle de construction de ce document, quelles actions et quelles préoccupations relatives aux animaux y sont traitées, et de quelle manière : innovation ou redite ?

o

Lyon : un Agenda 21 innovant en matière d’animalité urbaine L’Agenda 21 de la communauté urbaine du Grand Lyon a été voté en mai 2005 après une

première délibération en décembre 2004 qui engageait le Grand Lyon à mettre en œuvre le développement durable. L’actualisation du document et du programme d’actions se fait tous les 2 ans. Le document décline les cinq grandes orientations du développement durable à l’échelle mondiale : 1. Lutter contre l’effet de serre grâce au plan climat 2. Améliorer le cadre de vie des habitants (dont préserver la biodiversité, protéger les milieux et les ressources) 3. Animer et accompagner la prise en compte du développement durable de manière partenariale 4. Favoriser la cohésion sociale et le développement économique 5. Mobiliser pour le développement durable. À l’orientation « améliorer le cadre de vie des habitants » répondent trois objectifs et une série d’actions : Premier objectif : préserver les milieux et les ressources naturelles. Exemples de quelques actions : préserver les milieux naturels, préserver la biodiversité du territoire, élaborer une charte de l’arbre. 61

EMELIANOFF, Cyria. Les villes européennes face au développement durable : une floraison d’initiatives sur fond de désengagement politique [en ligne]. Cahier du Proses, n°8, Sciences Po, 2004. Disponible sur < www.developpement.durable.sciences-po.fr/publications/cahier8.pdf> 62 Ibid. 63 La Ville de Paris élabore actuellement son Agenda 21. Pas de traces des Agendas 21 de Nice, Strasbourg et Montpellier ; celui de Nantes n’est pas à proprement parlé un Agenda 21.

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Deuxième objectif : lutter contre les pollutions et les nuisances dans un souci de santé publique. Avec, par exemple, la finalisation du Plan de lutte contre le bruit, la promotion du désherbage raisonné et le développement de la lutte biologique favorisant la protection des arbres et des milieux naturels. Enfin, troisième et dernier objectif : prendre en compte la cohabitation Homme/ animal sur l’espace urbain décliné en une action : développer une approche innovante de l’Homme et de l’animal en ville. Arrêtons nous quelques minutes sur cette initiative qui a donné lieu à quelques publications, notamment disponibles sur le site de prospective du Grand Lyon64. Une contribution de Dominique Lestel nous intéresse particulièrement. Elle s’intitule « Bêton » : réflexions sur l’animalité urbaine , et incite la ville à « assumer son animalisation » en donnant quelques pistes pour y parvenir. L’hypothèse est simple : l’animalité est une richesse potentielle, non encore exploitée, pour les communautés urbaines. Cette « animalité de béton », présente dans les grandes villes, peut-être divisée en deux catégories : d’un côté il y a les aventures singulières des animaux eux-mêmes au sein des communautés urbaines ; de l’autre, les aventures singulières qui associent des humains et des animaux dans l’espace urbain. Par exemple, cette dame de Montreuil-sous-Bois, présidente d’une association de nourrissage des chats errants et en faveur des oiseaux, qui reconnaît tous ses protégés, les appelant par leurs prénoms, au sortir de chez elle, dans une rue fréquentée de la ville. Si « l’animal ne doit pas devenir un étranger dans la ville » - ce qu’il est aujourd’hui : ni vu, ni reconnu - « il est difficile d’en faire pour autant un « citoyen » comme les autres ». Il faut lui inventer une place propre, mais pas forcément déconnecté et enfermé à côté des Hommes comme le zoo urbain. Par exemple, pourquoi pas ne pas inventer des espaces de jeux non pour les animaux seuls, mais pour les humains ET les animaux. Et pas seulement pour des animaux de compagnie. Parmi les « suggestions utopiques » - mais peut être pas tant que cela - de l’auteur, des « perchoirs tendance » pour que les oiseaux viennent s’installer à certains endroits de la ville, et que les citadins puissent venir les observer et en retirer un plaisir aussi bien esthétique que spirituel. Les canaux dans les villes qui pourraient occasionnellement ou durablement être rempli d’eau claire afin d’y héberger de nombreuses espèces de poissons que l’on pourrait venir observer en famille. L’installation de phoques dans les piscines municipales. Refusant l’amalgame entre animaux communaux et animaux captifs, car un animal communal n’est pas forcément enfermé dans un zoo, Dominique Lestel évoque l’idée de « fermes dans laquelle enfants et seniors pourraient venir jouer, prendre des loisirs et s’informer sur l’animalité » ou « d’animalthèque de prêt où des gens pourraient « emprunter » des animaux pendant un temps donné pour s’en occuper sans qu’ils soient à eux proprement dit ». Les communautés urbaines auraient également la possibilité d’installer des « centres pour animaux quand les gens partent en voyage, 64

Voir le recueil de textes du Grand Lyon. L’Homme et l’animal en milieu urbain : recueil de textes [en ligne]. Mars2004 [en ligne]. Disponible sur

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qu’ils sont blessés ou qu’ils sont malades et ne peuvent plus s’occuper de leurs animaux pendant une période de temps plus ou moins longue ». Ces institutions seraient un complément de la mise en place d’un « zoo ouvert » hébergeant des animaux en liberté dans la ville et qui rentreraient le soir dans le dit « zoo ». Ces « véritables animaux de compagnie collectifs » pourraient « réactualiser l’idée d’ « Arches de Noé » urbaines qui résulteraient de l’espoir fou de renouveler radicalement nos rapports à l’animalité ». Si ces quelques idées peuvent paraître totalement utopiques, elles ont le grand mérite de dépasser une vision quelque peu simpliste de la présence des animaux en ville, et de s’évader un peu dans une ville saturé d’animaux et de végétaux pour le plus grand plaisir des petits et des grands. Surtout, elles militent à elle seule pour une attention de l’Homme à l’animal et pour une richesse interespèce bien supérieure à celle d’aujourd’hui. Reste à savoir comment la communauté urbaine de Lyon va transformer l’essai…

o

Toulouse65 et Bordeaux66 : deux Agenda 21 bien plus sages mettant l’accent sur la végétation et l’entretien des espaces verts Agenda 21 de Toulouse C’est en mars 2004 que la mairie de Toulouse a pris la décision unanime de se lancer dans

l’élaboration d’un Agenda 21 local.

C’est dans le chapitre 3 consacré à la préservation de

l’environnement et à la lutte contre le changement climatique que l’on trouve les actions concernant le patrimoine naturel avec deux objectifs majeurs : -

Développer et aménager les espaces verts publics

-

Protéger et valoriser le vivant et la biodiversité. Les actions sont bien plus sages et attendues et ne jouent pas sur la prospective ; l’animalité

urbaine n’est pas mentionnée comme telle. La protection de la biodiversité est imaginée à travers des inventaires biologiques et des dispositifs de protection inscrits dans le PLU (par exemple le classement de 560 hectares en espaces boisés). Les espaces verts sont multipliés à l’échelle de la ville, notamment à travers la création de jardins familiaux et partagés. Et grâce à la plantation de 5000 nouveaux arbres hors remplacements. L’entretien des espaces verts doit être repensé, notamment à travers une gestion plus durable, c’est-à-dire en diminuant le recours aux produits chimiques (produits phytosanitaires),

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Ville de Toulouse, Agenda 21 [en ligne]. Disponible sur Ville de Bordeaux, Agenda 21 [en ligne]. Disponible sur 66

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l’entretien (en évitant par exemple des pelouses et en préférant des espèces végétales réclamant moins d’entretien), et en évitant l’intervention humaine dès que possible. Cette gestion, dite « gestion différenciée », a émergé avec le concept de « ville durable » (Charte d’Aalborg, 1994). C’est un moyen de conserver et même d’augmenter la biodiversité ordinaire. Agenda 21 de Bordeaux La ville de Bordeaux s’est lancée dans la création d’un Agenda 21 à partir de 2007. Bâti en 7 chapitres, c’est le second, intitulé « Protéger la biodiversité et préserver les ressources en eau », qui nous intéresse particulièrement. Quatre objectifs lui sont accolés : préserver et développer la biodiversité, renforcer le maillage écologique urbain et protéger les milieux naturels patrimoniaux, accroître l’offre des parcs et jardins de la ville et développer leur gestion raisonnée, accroître l’offre des parcs et jardins de la ville et développer leur gestion raisonnée, mieux gérer la consommation d’eau et chercher de nouvelles ressources. La préservation et le développement de la biodiversité sont assurés par une réflexion de la ville sur la mise en place d’un maillage écologique à l’échelle du territoire accompagnée d’une sensibilisation des bordelais et du personnel des Parcs et Jardins aux richesses de la biodiversité. Le renforcement du maillage écologique urbain et la protection des milieux naturels patrimoniaux reposent sur une meilleure maîtrise des espèces végétales et animales envahissantes, sur la protection des espaces locales ainsi que de leur habitat avec par exemple la multiplication des ruches sur le territoire bordelais pour favoriser leur retour en milieu urbain, et enfin sur la protection des milieux sensibles et des espèces patrimoniales67. L’augmentation de l’offre des parcs et jardins de la ville et le développement de leur gestion raisonnée passe par la poursuite du développement des zones vertes, la labellisation68 des principaux parcs et jardins de la ville, et l’extension d’une gestion raisonnée et optimisée. Faire un Agenda 21 n’est pas un gage d’innovation, on le voit bien. Mais c’est une réelle chance pour le territoire de se saisir d’une problématique très large avec une grande liberté d’appréciation. À condition que les « bonnes idées » ne soient pas reprises jusqu’à épuisement d’une ville à l’autre, et que les audaces soient plus nombreuses !

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Les espèces patrimoniales végétales ou animales sont des espèces rares au niveau européen, national ou régional habitant dans des milieux sensibles : l’angélique des estuaires, la cistude d’Europe, les espèces d’orchidée en sont quelques exemples. 68 Le label EVE (Espaces Verts Ecologiques), développé par ECOCERT, fixe un cadre précis afin d’intégrer le développement durable dans la gestion des espaces verts. Il est attribué à un site après un audit qui vérifie la conformité de sa gestion aux critères du référentiel portant sur 10 points dont la gestion de l’eau, de l’air et du sol, le respect de la biodiversité, du paysage etc .

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3.2.b. Les documents réglementaires : SDRIF, SCOT, PLU69 Les initiatives des territoires relatives à la biodiversité sont nombreuses, parfois innovantes, et traduisent une motivation croissante des élus régionaux et locaux pour intégrer la nature en ville. Elles vont aussi plus loin, avec l’ambition d’insérer la ville dans la nature, et de prendre en compte les contraintes socio-économiques. Seule région pour laquelle une planification a été maintenue au niveau régional par la loi SRU, l’Île-de-France est dotée d’un schéma directeur de la région d’Île-de-France (SDRIF). Ce document veut, entre autres, relever le défi environnemental. Il fixe comme objectif d’éviter le mitage des surfaces en établissant une cartographie des espaces agricoles et des espaces naturels. La région renferme une biodiversité très grande : notamment 228 espèces d’oiseaux (sur 375 espèces présentes en France), 60 espèces de mammifères dont 19 chauves-souris. Presque 25% du territoire francilien figure dans l’inventaire des Zones Naturelles d’Intérêts Ecologique, Faunistique et Floristique (ZNIEFF). Une Charte régionale de la biodiversité et des milieux naturels a été élaborée en 2003. Mireille Ferri, vice-présidente de la Région en charge de l’aménagement du territoire, souligne la nécessité de « conserver les continuités entre les espaces naturels à travers les grands couloirs biologiques pour maintenir les liens fonctionnels et préserver la biodiversité ». Il faut, selon elle, « faire traverser la ville par des corridors biologiques, établir des connexions avec des îlots d’espaces naturels pour permettre aux plantes, aux petits animaux, aux insectes et oiseaux, de pénétrer au cœur de la ville »70 Mais, que faire du SDRIF si celui-ci n’est pas transcrit dans des SCOT(S) prescriptifs clairement cartographiés ? Le SCOT de Montpellier a ainsi pointé deux enjeux concernant les milieux et la biodiversité : la reconquête des étangs littoraux ainsi que des zones humides associées, et la préservation de la biodiversité à l’échelle locale. Le SCOT de la métropole Nantes Saint-Nazaire a quant à lui adopté deux actions-phares en matière de biodiversité : la protection d’une plante endémique à l’ouest de la France, l’angélique des estuaires ; et la conservation de la « petite Amazonie », une zone humide à proximité du quartier de Malakoff classée en zone Natura 2000, ce qui constitue une richesse naturelle de haute valeur écologique en cœur de ville. Mais ces politiques présentent des points faibles. Elles ont peu de références, et parfois peu de liens apparents avec la stratégie nationale et les plans d’action en biodiversité. De plus, on peut craindre et trouver dangereux une certaine multiplication de documents. Si l’on prend le cas de la ville de Paris, il s’agit d’un véritable millefeuille relatif à la biodiversité. Si la ville n’est pas encore dotée d’un Agenda 21, puisque celui-ci est en préparation, il

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Voir pour cela l’étude de Bernard REYGROBELLET, la nature dans la ville, biodiversité et urbanisme et la sous-section III du chapitre I concernant les exemples de politiques de la nature en ville, p. 39-56. 70 Ibid. p. 49-50.

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existe deux autres documents intéressants : le Cahier des recommandations environnementales et la Charte de qualité de gestion du vivant dans le patrimoine urbain. Le Cahier des recommandations environnementales pour les acteurs de la construction et de l’aménagement a été adopté au côté du PLU et l’accompagne. Le premier enjeu est celui de « gérer et (d’)améliorer le patrimoine naturel parisien ». Ses objectifs sont de végétaliser le milieu urbain dense en plantant des arbres et en végétalisant les espaces et le bâti, d’encourager la diversité des milieux pour optimiser la diversité biologique, de choisir des espèces adaptées au contexte écologique, de limiter l’utilisation des produits phytosanitaires et des engrais, et de penser des corridors biologiques en harmonie avec la périphérie parisienne. Les corridors, en assurant le lien entre différents espaces (murs végétalisés, terrasses plantées, jardins, espaces verts, friches, la Seine, les bois…) sont indispensables à la circulation des espèces et donc à la préservation et au développement de la biodiversité à Paris. Le second, la Charte de qualité de gestion du vivant dans le patrimoine urbain, a pour objectif la prise en compte de la biodiversité dans les nouveaux aménagements urbains, et la sensibilisation des acteurs du bâtiment pour les inciter à développer des milieux de vie qui favorisent la continuité biologique sur le territoire parisien. Deux autres documents se superposent à cela: la charte régionale de la biodiversité et le SDRIF. Alors comment se retrouver d’un document à l’autre ? 3.3 Quelques outils concrets d’aménagement à l’échelle urbaine ou architecturale Dépassons les documents volontaires ou réglementaires qui orientent l’avenir d’un territoire dans son entier, et voyons maintenant, d’une manière plus fine, quelques exemples d’aménagement relatifs au maintien et à l’épanouissement de la biodiversité animale. 3.3.a. À l’échelle du territoire

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Les passages grande faune et petite faune71 ou « écoducs » La loi relative à la protection de la nature72 a introduit la notion d’étude d’impact, qui s’intéresse

aux conséquences que peuvent provoquer certains projets d’aménagement ou d’ouvrage sur l’environnement. Les projets d’autoroute en sont un exemple, car ils bouleversent le milieu d’un certain nombre d’espèces animales. Ces projets sont logiquement soumis à étude d’impact, et sont par ailleurs le théâtre d’aménagements spécifiques ou mixtes pour la faune.

71

La grande faune désigne le grand gibier comme les chevreuils, sangliers, cerfs etc. La petite faune concerne les chats sauvages, les lapins etc. 72 MINISTERE DE L’ENVIRONEMENT. Loi n°76-729 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature, Journal Officiel, 13 juillet et 28 novembre 1976.

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Les passages à faune sont une réponse au chamboulement et aux coupures que provoquent les infrastructures linéaires, car ils permettent de compenser les effets d’une autoroute sur l’environnement et son écosystème, notamment en reliant à nouveau, de manière aérienne ou souterraine, les populations d’espèces sauvages séparées. Les passages inférieurs ou souterrains sont réputés moins efficaces que les passages supérieurs qui offrent l’avantage de pouvoir être végétalisés grâce à la présence d’eau et de lumière. Les passages supérieurs sont donc à privilégier lorsqu’on a le choix.73 L’objectif de tels aménagements est bien de rétablir une connectivité écologique et d’éviter la fragmentation des habitats, considérée comme la principale cause de l’érosion de la biodiversité dans les pays industrialisés. La fragmentation de l’habitat est un phénomène complexe qui se traduit par une cascade d’effets en chaîne sur les habitats et les populations locales : - Perte de biodiversité, déficit démographique, risque d’extinction d’espèces - Perte ou modification des habitats utilisables (effet de substitution des milieux) : les surfaces compartimentées résiduelles deviennent trop petites, et ne correspondent plus aux besoins élémentaires de la faune (nourriture, tranquillité) - Morcellement des habitats en mosaïque : le nombre de tâches d’habitat augmente (morcellement accru) et les populations sont subdivisées - Augmentation des distances entre les habitats résiduels : les infrastructures sectionnent les éléments du paysage qui facilitent la dispersion, à savoir les corridors écologiques (forestiers, fluviaux, réseaux de haies, etc.). Les échanges entre les fragments résiduels d’habitat éloignés ne fonctionnent plus et les populations deviennent isolées. Les communications biologiques dans les habitats morcelés et cloisonnés par les voies de transports sont mises en danger et les flux biologiques deviennent aléatoires. Autrement dit, le morcellement des habitats empêche une ou plusieurs espèces de se déplacer comme elles le devraient et le pourraient initialement. La communauté scientifique considère que la fragmentation écologique est devenue une des premières causes d’atteinte à la biodiversité, avant la pollution. Les premières installations de passages à faune remontent aux années 1960, et concernaient alors la grande faune, et plus particulièrement les gibiers. Ce n’est que dans les années 1980 que les intérêts de la petite faune vont émerger, et qu’ils seront à leur tour intégrés dans les projets routiers. Aujourd’hui, ces passages répondent à une demande plus large de conservation de la biodiversité tout en assurant un rôle de sécurité pour le réseau routier, et peuvent concerner spécifiquement des espèces ou associer de façon mixte un passage piéton, cycliste, cavalier ou même une petite route.

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Routes et passages à faune, 40 ans d’évolution. Bilan d’expériences du SETRA (Service d’études techniques des routes et autoroutes) [en ligne] 2006. Disponible sur

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Ces structures, également appelées « écoducs », sont spécifiquement conçus pour favoriser une espèce, ou un groupe particulièrement menacé dans le contexte local. Par exemple, les crapauducs pour les amphibiens (crapauds, grenouilles…), les lombriducs pour les vers de terre. Des passerelles expérimentales ont ainsi été construites au-dessus des routes pour que les écureuils puissent les traverser plus facilement (Japon, Ile de White au Royaume-Uni). Ailleurs, ce sont les tortues terrestres que l’on aide à passer sous les routes. Mais la plupart des grands passages à faune s’adressent à des biocénoses74 entières en étant conçus, positionnés, construits et gérés pour qu’ils soient utilisables par un grand nombre d’espèces, une des difficultés étant d’y faire passer en sécurité des espèces proies et leur prédateurs. Pour que leur efficacité soit maximale, l’emplacement de ces passages est soigneusement étudié (étude scientifique préalable mettant en évidence l’axe de déplacement interrompu), et ils sont situés en connectivité avec des habitats proches ou sur d’anciens couloirs naturels de migration. Généralement végétalisés, ils cherchent à s’adapter le mieux possible aux espèces qu’on veut conduire à les franchir. Limites Si ces passages compensent pour partie les effets de la fragmentation ou du morcellement écologique induit par les infrastructures humaines (routes, autoroutes, canaux, voies ferrées…), ils les compensent insuffisamment en raison de leur rareté. De plus, ces aménagements compensatoires voient toujours le jour à l’occasion de la création de nouveaux grands axes de transport et rien n’est fait pour les infrastructures existantes. Efficacité L’efficacité de ces « écoducs » est généralement contrôlée à l’aide de pièges à traces qui renseignent sur le niveau de fréquentation, mais n’apportent en revanche pas d’information sur le comportement de la faune à l’approche du passage , ou lors du franchissement. De plus, les empreintes relevées chaque semaine ne permettent pas de dire s’il s’agit d’un individu qui s’est approprié le passage et effectue des allers-retours fréquents, ou bien s’il s’agit de plusieurs individus de la même espèce, ce qui n’a bien évidemment pas la même signification biologique. La vidéo ou la photo surveillance offrent des possibilités intéressantes de suivis et d’études comportementales. Quand les animaux posent problème Si les animaux, et notamment les animaux domestiques, sont un sujet pour les collectivités territoriales, il s’agit majoritairement d’en gérer les nuisances, car la ville reste un espace vu comme intrinsèquement humain. Le maire a plusieurs responsabilités et obligations relatives aux nuisances 74

Ensemble des êtres vivants (animaux, végétaux, micro-organismes) présents dans un même milieu ou biotope, Le petit Larousse illustré, 2009.

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animales parfois sources de conflits de voisinage : lutte contre la divagation, tenue en laisse, lutte contre les déjections canines, lutte contre les aboiements, contrôle des animaux dangereux, morsures, odeurs. Il faut donc organiser la cohabitation sur l’espace public entre Hommes et animal pour engendrer le moins de conflit possible.

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Outils pour gérer les nuisances des animaux de compagnie et notamment la propreté Les déjections canines sont, pour les habitants des villes, parmi les préoccupations principales,

et les plaintes à ce sujet sont extrêmement nombreuses. Si l’on se réfère à la brochure de la ville de Paris « Bien vivre avec les animaux à Paris »75, les chiffres sont édifiants : - Les 147 000 chiens parisiens produisent environ 12 tonnes de déjections par jour - Leur nettoiement représente un coût annuel de 11 millions d’euros - 650 accidents sont provoqués chaque année par la pollution canine De plus, les déjections canines font partie des éléments négatifs les plus spontanément cités par les Parisiens. Depuis 2002, la mairie de Paris oblige les personnes accompagnées d’un chien à ramasser immédiatement les déjections de cet animal, y compris dans les caniveaux, ainsi que dans les squares, parcs, jardins et espaces verts publics. Mais, pour faire face à la gestion des centaines de tonnes de déjections produites annuellement par les milliers de chiens présents dans les villes moyennes et grandes, l’apprentissage du caniveau et la distribution de sacs et pinces pour le ramassage des crottes n’est pas suffisant ; des aménagements spécifiques sont indispensables. Plus intéressants pour les aménageurs, et révélateurs du nouveau visage des villes, sont ces aménagements qui fleurissent un peu partout, et notamment en Belgique. Les villes s’équipent ainsi de « canisettes» ou « canisites », lieux d’aisance constitués généralement par un bac à sable délimité par un muret de rondins. Les services d’hygiènes municipaux doivent assurer un nettoyage fréquent de ces espaces, si possible chaque jour. Il s’agit d’espaces de liberté et d’espaces sanitaires qui sont implantés selon un véritable maillage aux endroits stratégiques que révèlent les itinéraires habituels de promenade des chiens et de leurs maîtres. La ville de Gand en Belgique (228 000 habitants) compte 122 aménagements canins (toilettes canines, cani-parcs ou canisette), nettoyés 6 jours sur 7 (300 000 déjections collectées par an). L’inauguration des installations de chaque quartier a donné lieu à une fête locale à laquelle étaient conviés les riverains, propriétaires de chiens ou non, ainsi qu’un éducateur canin. Ces rencontres, sous chapiteau, autour du verre de l’amitié sont l’occasion de présenter et de justifier les aménagements. Les maîtres sont ensuite invités à s’inscrire gratuitement au « Snoet Club » et pour toute adhésion, les 75

Disponible sur ville de Paris [en ligne]

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propriétaires se voient offrir une médaille pour leur chien, un petit manuel d’explications sur le programme et le fonctionnement des installations, avec un plan de localisation des aménagements76. On le voit bien, il n’est pas seulement question de déployer des équipements de propreté, mais de mettre en place des dispositifs d’information, de sensibilisation et d’animation autour de la question de l’animal. Ces initiatives semblent peu intéressantes, car trop utilitaires et cherchant à recréer des espaces pour animaux à côté d’espaces pour humains, et non à imaginer des pistes de cohabitation enrichissantes pour les deux espèces. Car outre les espaces de propreté (ou sanitaires), on pourrait imaginer des espaces pour accueillir les chiens comme leurs maîtres : aires d’ébats, « parcours santé » etc. Cependant, elles semblent utiles et sont peut-être le premier pas vers une plus forte intégration de l’animal dans la ville et les grands projets d’aménagements, et ceci dès leur conception.

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Outils pour les animaux commensaux ou nuisibles : l’exemple des pigeons77 Les pigeons parisiens appartiennent à trois espèces : le pigeon biset de ville, le plus courant

(environ 80 000), le pigeon ramier ou palombe (environ 20 000) et le pigeon colombin, assez rare. Jusqu’à la fin du XIX° siècle, les pigeon bisets de ville étaient présents à Paris uniquement dans les pigeonniers, élevés par des particuliers. Au début du XX° siècle, ils ont commencé à coloniser la capitale, grâce, entre autres, à l’absence de tout prédateur. Le pigeon biset de ville fait son nid dans les anfractuosités78 des bâtiments. Espèce à fort potentiel d’adaptation, il a conquis tous les espaces disponibles des greniers des immeubles aux constructions métalliques (métro aérien, halls de gares…). Contrairement au biset, le pigeon ramier niche dans les arbres, c’est un grand migrateur qui tend à se sédentariser, notamment en Ile-de-France. Les pigeons, et dans certaines villes les goélands posent les problèmes suivants : salissures et corrosion de la pierre des bâtiments, gouttières bouchées à cause des nids qui hébergent en sus de nombreux insectes et acariens susceptibles d’envahir l’ensemble du bâtiment, ils sont aussi vecteurs de germes pathogènes pour l’homme et les animaux domestiques, et enfin, il sont indirectement responsables de la raréfaction de certaines espèces d’oiseaux et de chauves-souris. Pour leur interdire l’accès aux clochers par exemple, on pose des grillages aux différentes ouvertures qui empêchent les chouettes effraie, les choucas, et certaines espèces de chauves-souris d’accéder à leurs sites de reproduction.

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SION, Françoise. Hommes et animaux : comment vivre en harmonie ? L’expérience des villes belges. Ethologia (association belge d’Etude et d’information sur la relation homme-animal). In L’homme et l’animal en milieu urbain. Lyon :publications du Grand Lyon, 2004. 77 REYGROBELLET, Bernard. La nature dans la ville : biodiversité et urbanisme. Avis et rapports du Conseil économique et social. [en ligne]. Décembre 2007. Disponible sur conseil économique et social 78 « Cavité profonde et irrégulière », Le Petit Larousse illustré, 2009.

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Plusieurs procédés répulsifs, efficaces, discrets et inoffensifs existent pour les éloigner de leurs lieux de nidification et de leurs perchoirs habituels : filets, pics, fils électrifiés, rangées de pointes, effarouchement par la fauconnerie. Plusieurs moyens de contrôle de la population de pigeons en villes sont mis en œuvre : les nourrir est interdit (comme pour tous les animaux sauvages : corneilles, oiseaux d’eau, ragondin, rats…). Le pigeonnier urbain est une solution pour fixer les pigeons bisets. A Bâle, en Suisse, les neuf petits pigeonniers installés dans des combles ont permis d’éviter la pollution par les fientes : 1050 kg de fientes, de plumes et brindilles ont été retirées en une année. Il est également possible d’appliquer dans ces pigeonniers une méthode contraceptive et de destruction des œufs pour stabiliser la population. Paris s’équipe actuellement en pigeonniers contraceptifs. Un premier pigeonnier pilote a été installé à l’angle de la rue Vercingétorix et du boulevard Brune (XIV° arrondissement) qui doit être suivi de l’implantation d’un pigeonnier dans chaque arrondissement. Les pigeons y trouvent eau et nourriture ainsi que des loges pour nicher. Les naissances y sont régulées grâce à la stérilisation mécanique des œufs. Ces pigeonniers permettent également d’initier différentes études pour mieux comprendre les mœurs du pigeon biset, animal très commun mais peu étudié en milieu urbain. Des villes d’Ile-de-France se sont également lancées dans l’implantation de pigeonniers : Montreuil sous Bois et Fontenay sous Bois. Les dortoirs urbains d’étourneaux peuvent également engendrer temporairement des nuisances importantes pour les riverains (bruits, fientes, etc.), et potentiellement un risque pour la santé publique. Les villes concernées, comme Lyon, doivent agir pour réduire cette nuisance : détection des dortoirs, évaluation des densités d’individus, constatation des nuisances ; mise en place de mesures pour réduire l’intrusion et la sédentarisation de ces oiseaux, élagage des arbres accueillant ces étourneaux ; effarouchement pyro-optique et acoustique avant l’aube et après le crépuscule ; interdiction de stationnement temporaire sous les arbres colonisés ; nettoyage matinal des zones souillées par les fientes par le service propreté du Grand Lyon.

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Outils « pour » et pas contre : vers un nouvel urbanisme ? Si les animaux sauvages ou commensaux peuvent provoquer de réelles nuisances, voire être à

l’origine de problèmes de santé publique, et qu’une partie de la gestion de l’animalité urbaine réside bien dans cette attention forte et cette régulation, un autre versant de cette problématique serait de construire une véritable politique d’intégration de l’animal en ville et répondre à la question : avec quels vivants voulons-nous vivre et comment ? Un des premiers outils sur ce chemin est la réalisation régulière d’inventaires des différentes espèces présentes et des sites d’intérêts écologiques. Par exemple, le Grand Lyon ainsi que la ville de Lyon, organisent des « missions d’écologie urbaine ».

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Le second est de prendre en compte, dans la conception des espaces publics, donc le plus en amont possible, les vivants de la cité. Intégrer le vivant dans la ville ne se limite pas aux animaux domestiques, il faut également inclure la gestion des animaux commensaux et sauvages et leurs déplacements. Comme le souligne Nathalie Blanc79 : « Il est probable que la façon dont l’urbanisme est pratiqué (technique du plan) ne permet pas de prendre en compte l’animal. On peut difficilement lui assigner une place puisqu’il est mobile (…). Le primat du végétal montre que la ville est vue comme un décor et non comme un univers de relations. L’aménagement urbain définit des espaces indépendamment des liens qui s’y nouent » Mais les mentalités évoluent, et ces préoccupations sont de plus en plus présentes dans les services d’urbanisme, notamment le respect des sites d’alimentation, de repos et de reproduction des animaux. « L’animal tend à devenir une composante urbaine. Il exprime même une nouvelle idée de la ville, considérée comme un milieu accueillant une pluralité d’espèces et une pluralité de statuts (sauvage, familier, libre, non désiré…) » Pour véritablement intégrer l’animal dans la cité, il faut en faire un habitant particulier de la cité. Il faut considérer la biodiversité et l’animalité dans chaque projet d’aménagement, et la faire connaître. Par exemple, « rendre visible et observable la présence de certaines espèces animales (poisson chat, castor, oiseaux, écureuils…), faire en sorte que la promenade accompagnée par son chien soit possible sans danger et nuisances pour tous »80 3.3.b. À l’échelle micro-urbaine et architecturale L’échelle urbaine n’est pas la seule concernée. Certaines initiatives, qui peuvent paraître négligeables, permettent pourtant de mieux coordonner et d’appuyer les initiatives plus générales pour améliorer la biodiversité. Mais, comment intégrer la biodiversité dans la conception de bâtiments ? Nous allons voir quelques pistes qui permettent au bâti neuf ou existant d’être le support physique à des plantes grimpantes, ou d’intégrer des structures-nichoirs et des micro-habitats. Toutes ces initiatives, à l’échelle d’un bâtiment ou de plusieurs, font écho aux « constructions à biodiversité positive ». Une construction est dite « à biodiversité positive » dès lors que sa présence va entraîner une biodiversité supérieure à ce qu’elle aurait été si le site était resté vierge de toute construction.

79

BLANC, Nathalie. Recommandations pour une politique globale d’intégration de l’animal en milieu urbain » in Les relations Homme-animal en milieu urbain [en ligne], les synthèses, Millénaire 3, Grand Lyon. Disponible sur 80 Ibid.

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C’est en quelque sorte le pendant de la « maison à énergie positive », qui va non seulement ne pas consommer d’énergie, mais en plus, en produire.

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Toitures végétalisées et murs végétaux : renforcer le maillage vert Depuis 2006, la ville de Paris rend le mur et/ou la toiture végétalisé (s) obligatoire(s) si une

demande de permis de construire ne prévoit pas un taux suffisant d’espaces végétalisés au sol (PLU). Sur le plan environnemental, les murs végétalisés participent à la réalisation d’une continuité biologique dans des quartiers souvent peu favorisés en espaces verts, en plus d’autres avantages : régulation thermique améliorée, protection et ventilation naturelle de la façade, rétention des eaux pluviales. Mais surtout, ces murs renforcent le maillage vert développé à Paris avec les jardins, les squares, les parterres-jardinières, les arbres, les fleurissements par les habitants dans leurs cours, sur leurs fenêtres et leurs balcons, les toits terrasses végétalisés, car ces couvertures végétales, horizontales ou verticales, offrent des habitats pour la faune urbaine.

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Structures-nichoirs intégrées Parce que les habitats naturels s’appauvrissent, que les haies et arbres morts disparaissent, des

espèces telles que les oiseaux, chiroptères81, batraciens82 et invertébrés trouvent de moins en moins d’espaces pour nicher. Bien sûr, ces solutions ne sont pas entièrement satisfaisantes car les nichoirs n’offrent qu’une maigre compensation face à la disparition des sites naturels de nidification. Les chauves-souris, protégées par la loi83, se retrouvent fréquemment en ville et occupent les parties maçonnées, mais aussi les combles et greniers peu fréquentés, ainsi que les ouvrages d’art (pont, viaduc). Il est tout à fait possible, lors de la construction d’ouvrages neufs, de réserver des espaces en insérant une tranche de polystyrène entre deux tranches de béton ou de pierre et de fixer le tout au coffrage. Au moment du décoffrage, il suffit d’enlever le polystyrène pour que le gîte soit accessible84.

81

Mammifère couramment appelé chauve-souris, Le Petit Larousse, 2009 Amphibien : vertébré à peau nue, à température variable et à respiration à la fois pulmonaire et cutanée, dont la larve aquatique est munie de branchies, Le Petit Larousse, 2009 83 Loi du 10 juillet 1976 et son arrêté d’application du 17 avril 1981 prévoient « l’interdiction, en tout temps et sur tout le territoire, de détruire ou de mutiler, de capturer ou d’enlever et, qu’ils soient vivants ou morts, de transporter, d’utiliser ou de commercialiser toutes les espèces de chauves-souris » 84 Association Gentiana. Fiche 20 : favoriser la biodiversité sur sa commune [en ligne] Disponible sur www.gentiana.org/sites/commun/generique/fckeditor/File/gestion/fiche_20.pdf 82

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Biodiversifier les cours d’école et les cours d’immeuble85 Il faut profiter de la présence animale dans les grandes villes, et en faire un émerveillement

quotidien pour les citadins et leurs enfants. Le développement durable est aussi implication, sensibilisation et connaissance des citoyens. Alors pourquoi ne pas faire de ces animaux urbains des messagers de la biodiversité mondiale ? Les jardins familiaux et partagés connaissent leur heure de gloire. Présents dans de nombreux Agenda 21, ils permettent à des urbains en mal de nature de retrouver le contact avec la terre. Pourquoi ne pas en faire de même avec la faune ? Toutes les écoles ont un petit bout de pelouse potentiellement transformable en prairie aux biotopes diversifiés avec zones humides, talus et massifs rocheux pour qu’elle abrite animaux et plantes sauvages. Je me souviens qu’enfant, l’institutrice nous confiait à tour de rôle la « garde » d’animaux ou d’insectes encagés : lapin, phasmes, escargots… Cette initiative devait sans doute reposer sur les mêmes objectifs, mais pourquoi ne pas plutôt véhiculer l’image bien plus positive d’animaux en liberté vivant dans un milieu particulier, même s’ils sont moins facilement observables, que celui d’animaux « domestiqués » mis en cage ? On peut également donner des conseils aux jardiniers du dimanche en les enjoignant à planter des haies champêtres pour éviter les haies trop uniformes du type haies de lauriers ou de thuyas (appelée aussi « béton vert »). Indirectement, l’emploi de matériaux certifiés (notamment le bois pour éviter la déforestation) et une gestion plus naturelle des espaces verts (gestion raisonnée ou différenciée) luttent pour une plus grande biodiversité planétaire et dans nos villes. D’autres initiatives « micro » seront sans doute compilées dans la future « Charte de qualité de gestion du vivant dans le patrimoine urbain à Paris ». 3.4. Animalité urbaine : une richesse à exploiter, un potentiel d’éducation La nature en ville dispense des aménités au citadin. Elle améliore son cadre de vie, lui procure des lieux de promenade, de pratiques sportives de plein air, un refuge contre le bruit, le stress et la pollution. De multiples activités récréatives et sportives de plein air se développent en milieu urbain. Et les espaces verts sont utilisés comme des lieux de rassemblements festifs facteurs de mixité sociale et de convivialité à l’occasion de repas et de spectacles86.

85

Ibid. REYGROBELLET, Bernard. La nature dans la ville : biodiversité et urbanisme. Avis et rapports du Conseil économique et social. [en ligne]. Décembre 2007. Disponible sur

86

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Mais pourquoi ne pas rendre plus vivants ces espaces ? Car la présence de l’animal peut contribuer à la valeur des lieux dans un contexte international où la problématique environnementale est devenue importante. Il faut se donner les moyens d’une meilleure cohabitation entre les êtres humains et les animaux dans la ville. Cela peut passer par l’ouverture d’espaces réservés à la circulation des animaux dans les jardins et les parcs publics, comme cela est expérimenté à Rennes. Nature et animaux en ville concernent à la fois la qualité de vie des citadins, mais aussi l’éducation et la sensibilisation à la problématique de la biodiversité. Il n’est pas anodin que le premier outil opérationnel du Grenelle de l’environnement soit la Fondation scientifique pour la biodiversité, qui a pour objectif de renforcer la connaissance de la biodiversité et d’en valoriser ses enjeux87. Elle assurera à la fois la coordination de la recherche, mais aussi une mission d’information du grand public sur l’enjeu majeur que représente pour nous la préservation de la biodiversité. Des expériences réussies de cohabitation entre enfants et animaux peuvent servir d’exemples pour une meilleure sensibilisation. À Fontenay-sous-bois, un terrain a été acheté par la municipalité, et a donné lieu à la création d’une association, « Les vergers de l’îlot », qui a introduit une mini-ferme pédagogique88 avec poules, canards, lapins, dindons, cailles, colombes et abeilles. Les écoliers peuvent ainsi participer aux ateliers organisés par la municipalité : nourrir les animaux, apprendre comment les abeilles fabriquent le miel, jardiner… Cette expérience montre que l’animal domestiqué, partenaire privilégié de la vie du citadin, doit trouver sa place dans la biodiversité urbaine au côté de la faune sauvage89. Le développement de l’apiculture en milieu urbain permet également de sensibiliser les enfants et les adultes à la vie sauvage, et met en évidence un service écologique majeur, celui rendu par les insectes pollinisateurs. Plusieurs centaines de ruches sont ainsi placées sur les toitures, à l’Opéra de Paris ou au Théâtre Graslin à Nantes. Elles produisent paradoxalement un miel plus abondant et de meilleure qualité qu’en milieu rural.

Un programme national « l’abeille sentinelle de

l’environnement » (2005) visant à alerter le grand public et à mobiliser les collectivités territoriales et les entreprises sur le thème de la survie des abeilles, et de la sauvegarde de la biodiversité végétale a été lancé par l’Union nationale de l’apiculture française (UNAF). Il se met en place dans un contexte de crise grave de l’apiculture touchée depuis dix ans par une mortalité massive des abeilles qui auraient été causées, selon certaines expertises, par des traitements phytosanitaires. Le projet consiste à installer des ruches au cœur des villes ; les partenaires accueillent sur le toit de leur immeuble, ou dans leurs espaces verts, de six à huit ruches sur la base d’une convention de trois ans renouvelable. L’UNAF et le syndicat apicole local prennent en charge l’entretien du rucher ; les partenaires s’engagent en signant une charte à développer des actions de sensibilisation et de communication 87

Cette Fondation réunira organismes publics de recherche, ONG environnementales et entreprises. Cette initiative a reçu le prix AFIRAC 89 REYGROBELLET, Bernard. La nature dans la ville : biodiversité et urbanisme. Avis et rapports du Conseil économique et social. Ibid. 88

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auprès du grand public. Les ruchers urbains donnent également lieu à des initiatives ayant une forte connotation culturelle, où se mêlent avec bonheur diverses dimensions de l’imaginaire de la ville et de la nature.90 Le Nouveau zoo du XXI° siècle ne réside-t-il pas ici ? Il ne s’agirait plus d’aller voir des animaux sauvages sans perspective de réhabilitation dans leur milieu naturel, mais de partir des animaux ordinaires existants pour repeupler, préserver, et repenser la biodiversité animale. On pourrait alors passer d’un émerveillement passif et coupable (zoos actuels) à un émerveillement actif et agréable dans un zoo réellement urbain : dans la ville (sans frontières avec le milieu urbain), avec des animaux de la ville (finalement les urbains ont déjà vu des tigres et des singes, à la télévision, sur internet ou au zoo, mais jamais de vaches ou disons d’animaux ordinaires…), et pour les urbains qui en seraient partie prenante. Les villes pourraient ainsi devenir les conservatoires de la faune « ordinaire ». Nature et animaux en ville concernent à la fois la qualité de vie des citadins, mais aussi l’éducation et la sensibilisation des urbains à la problématique d’une protection de la biodiversité sensible et incarnée.

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Voir pour cela le travail du plasticien Olivier Darné qui a installé en 2000 le premier rucher expérimental sur le toit de la mairie de Saint-Denis [en ligne] Disponible sur

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CONCLUSION ___________________________________________________________________________ Les villes apparaissent aujourd’hui comme dénuées d’animaux. Il ne faut pas se suffire d’une ville vivante uniquement grâce à la présence de végétaux. Il faut y mener la révolution animale, car nous en avons bel et bien oublié la faune urbaine! Si les architectes, aménageurs et urbanistes commencent à en tenir compte, il semble que ce ne soit qu’une obligation de plus dans un univers trop régulé et trop grouillant de règles. Les animaux ne sont pas une règle de plus. C’est une métamorphose de la pensée, de la conception de tout projet aux échelles urbaines et architecturales. Il ne faut surtout pas faire de l’animal une préoccupation de professionnels, mais un émerveillement quotidien et accessible à tous. Il ne s’agit pas d’une thématique fantaisiste et en marge du développement durable, mais d’un véritable relais incarné pour sensibiliser, expliquer, et faire mieux respecter la diversité du monde vivant. L’animalité urbaine ne doit pas être laissée pour compte. Bien au contraire, elle est un vecteur accessible, immédiat et émouvant pour l’urbain habitant des grandes villes. Il faut que nos villes incluent des opportunités pour la biodiversité, et rendent plus visible l’animal ordinaire, cette habitant encore trop discret des grands villes. Il nous faut plaider pour une histoire d’amour bien moins distante entre urbanisme et nature en général, incluant autant le monde animal que végétal. Il est fort à parier que de profonds bouleversements apparaîtront, et que la place de l’animal dans la ville de demain ne sera plus la même que celle d’aujourd’hui et d’hier.

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