Le digital est une aubaine pour les distributeurs

et les suites de franchise. Avec des films plus art et essai, s'adressant à un public plus âgé, nous sortons de la cible idéale. Même si ces spectateurs sont moins ...
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JEAN-FRANÇOIS CAMILLERI PRÉSIDENT DE THE WALT DISNEY COMPANY FRANCE

“Le digital est une aubaine pour les distributeurs” Vous avez publié en 2006 “le Marketing du cinéma”. Comment la promotion digitale a-t-elle évolué depuis ? Je remets à jour le Marketing du cinéma, qui devrait paraître avant la fin de l’année. Quand je l’ai écrit, Brice de Nice, Charlie et la Chocolaterie ou encore les Poupées russes venaient de sortir. Cela ne paraît pas si lointain. Pourtant, en 2006, ni Facebook, ni Twitter, ni YouTube, ni Dailymotion, ni Instagram, ni Pinterest n’existaient, personne n’était équipé d’un smartphone, d’une tablette. Les réseaux sociaux ont révolutionné la manière dont nous devons considérer le public, et ils sont aujourd’hui partie intégrante de la vie quotidienne de 80 % des urbains et de 100 % des spectateurs de cinéma. Cela a changé la manière dont le public réagit, mais aussi les rapports entre les distributeurs, les producteurs et les spectateurs. En quoi le public a-t-il changé avec ces développements ? Avant, il recevait l’information, il était convaincu ou non, et il pouvait l’être ensuite par le bouche à oreille. Dorénavant, c’est souvent lui qui crée l’information ; devenu acteur, il s’informe, communique, génère luimême des informations. Notre réflexion doit évoluer. Nous avons accès à des retours immédiats. Notre travail est de fournir les informations les plus neutres possible aux communautés et de les piloter au mieux. Nous n’avons plus aucune prise sur l’avis des spectateurs. Le spectateur a vraiment pris le pouvoir. Comment la réflexion autour du marketing d’un film s’opère-t-elle désormais ? Il y a dix ans, quand nous créions une affiche, nous n’avions aucun moyen de connaître son accueil auprès du public. Aujourd’hui, les retours sont immédiats. Nous faisons en sorte de les

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prendre en compte. Si l’on s’intéresse aux habitudes du public, cela implique les réseaux sociaux. On se pose encore la question du chemin que le spectateur va prendre pour aller à son cinéma, mais on s’interroge aussi sur le type de réseau qu’il fréquente, pour que, au sein de sa communauté, il puisse avoir les éléments nécessaires à la promotion de nos films. Communiquez-vous différemment à destination des blogueurs ? Ils sont aussi influents que les journalistes. Nous les traitons à l’identique, même s’ils n’ont pas de titres affiliés ou de carte de presse. Leurs blogs sont lus par plus de personnes que les critiques. Il n’y a qu’à voir l’importance du Club des 300 d’AlloCiné. Ces nouvelles techniques de marketing sont surtout à destination des 12-30 ans, les digitals natives. En France, le public est vieillissant… Cette communication virale concerne plus les 12-30 ans, les films américains et les suites de franchise. Avec des films plus art et essai, s’adressant à un public plus âgé, nous sortons de la cible idéale. Même si ces spectateurs sont moins connectés, ils le sont, dans une proportion certes inférieure. Nous avons tout de même intérêt à être présents sur les réseaux sociaux avec eux, même si cela jouera moins dans leur choix de spectateur. Côté digital, vos budgets ont-ils augmenté ? La part digitale a considérablement augmenté. Même si elle coûte plus chère qu’au début elle reste néanmoins moins onéreuse que la plupart des médias. Le digital est véritablement une aubaine pour les distributeurs. Outre son coût, moins élevé que les médias traditionnels, quelles sont les avantages du marketing digital ? Nous pouvons cibler le public avec

plus de précision. Avec un spot radio ou une affiche, nous touchons une population plus large, mais diffuse. Avec un blog ou un site, nous savons exactement à quelle communauté nous nous adressons. Généralement, les contenus digitaux sont composés d’éléments vidéo. Il est interdit de faire de la publicité à la télévision, c’est donc notre unique moyen de diffuser films annonces et extraits, ce qui vend le mieux un film. Le troisième avantage réside dans la rapidité. Nous pouvons mettre en ligne un contenu vidéo très vite, ce qu’aucun autre média ne permet. L’affichage demeure-t-il le premier poste de dépense ? L’affichage est un code de communication important pour le public français en général et des grandes villes en particulier. C’est aussi important pour le métier, créer de la notoriété auprès des professionnels [programmateurs, journalistes, partenaires, etc.]. L’affichage demeure donc le principal poste de dépenses, mais cela pourrait évoluer si la publicité à la télévision pour le cinéma était autorisée. Cela n’avantagerait-il pas uniquement les blockbusters ? Les mêmes arguments sont opposables pour l’affichage. Un distributeur avec un important plan marketing va mettre des affiches partout. Les autres distributeurs ne seront nulle part, soit parce qu’ils n’ont pas les moyens financiers, soit parce que les “gros” films auront pris tous les espaces. A la télévision, le plus riche dépensera plus, mais il libérera de la place en affichage. Si le distributeur veut s’acheter un spot ciblé sur une chaîne de niche, ce sera plus efficace qu’une campagne d’affichage. Cela permettrait de désengorger le marché publicitaire, de créer de l’espace pour les autres distributeurs.

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Même si elle n’est pas autorisée, la publicité existe de fait à la télé… Il y a une vraie hypocrisie. Faire de la publicité à la télévision est possible via le parrainage d’émission ou la promotion d’un site internet dédié à un film. Si je veux faire de la promotion pour le DVD d’Iron Man 2, la semaine de la sortie du troisième, je peux. Il est possible de s’allier avec une marque qui reprend des extraits des films, comme nous l’avons fait avec Oscaro. com. Les chaînes coproductrices soutiennent déjà, dans leurs émissions, leurs films. Les Américains font déjà de la publicité sur le petit écran. Il y a un réel déséquilibre. Si ce n’est pas efficace, au moins, on aura pu tester. Si c’est rentable, cela le sera pour l’ensemble de la chaîne, du distributeur à l’ayant droit, en passant par la salle. Je trouve aberrant que ce soit la réglementation qui décide de nos plans médias. L’essentiel reste le bouche à oreille… C’est la base. Avant, il se forgeait petit à petit. Maintenant, il se crée le mercredi à 10 h 00, et en amont, dès l’avant-première. Il est dorénavant accéléré de manière exponentielle par les réseaux sociaux. Que pensez-vous des indicateurs type Neoledge ? Depuis quatre ans, nous les utilisons avec la société Dynvibe. Nous n’avons pas encore réussi à créer un parallèle entre tous ces éléments et le niveau de succès d’un film. C’est complexe. Si l’on parle d’un film, on ne va pas forcément le voir. Il y a une différence entre le bruit, que l’on peut quantifier, autour d’un film, et son succès. De même, le prévoir la veille de la sortie n’a que peu d’intérêt. Et il ne sera jamais possible de le savoir à l’avance. Un film est avant tout une œuvre artistique avec de nombreux paramètres que l’on ne maîtrise pas. Propos recueillis par Emma Deleva

19 JUIN 2013

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