L'ÉPHÉMÈRE n°7 - Festival International du Film de La Rochelle

3 juil. 2015 - père tuberculeux, la mère atteinte d'un cancer de la gorge qui ausculte sa langue et finit elle aussi par mourir lentement. Ah-ha doit vivre avec ...
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L’ÉPHÉMÈRE n°7 Gratuit • N° 7 • Le quotidien du 43 e Festival International du Film de La Rochelle • Vendredi 3 juillet 2015

Le Bouton de nacre de Patricio Guzmán

• Interview de José Luis Guerín p.2 • Around the World in 50 Concerts de Heddy Honigmann p.2 • Interview de Yolande Moreau p.3 • Mort à Venise de Luchino Visconti p.3 • La Nourrice de Marco Bellocchio p.4 • Un temps pour vivre, un temps pour mourir de HHH p.4

AUJOURD’HUI, Vendredi 3 juillet Ils arrivent : Louis Garrel Michel Ciment Alain Cavalier Lou Castel Patricio Guzmán Giorgio Treves Claudia Cardinale Sandrine Veysset Dominique Reymond 16h15 : Rencontre avec Marco Bellocchio animée par Michel Ciment > Théâtre Verdière / La Coursive • entrée libre 20h : Soirée Séché Environnement Le Bouton de nacre (Esp./Fr./Chili, 2015) Patricio Guzmán > Grande salle / La Coursive • avant-première en présence du réalisateur

Demain, samedi 4 juillet :

20°C / 34°C

Circonstances atténuantes Le crime serait-il mis à l’honneur cette année ? À croire que toutes sortes de vices aient bien souvent supplanté les vertus face aux caméras. C’est ainsi que l’on peut voir Fantômas et Les Vampires terroriser la bourgeoisie parisienne… pauvre d’eux. M. Feuillade aurait-il ressenti quelques pulsions criminoartistiques ? Déjà sa muse nous annonce le programme en s’affichant de-cide-là préservée de l’éternité dans ses bandelettes noires. Elle nous impose sa présence délicieusement démoniaque à l’allure d’une Vénus maniériste. Une simple expérience le démontre ; assis sur une terrasse, observons. En face, une affiche recouvre une baie, à droite, un programme placardé, à gauche, un catalogue déposé… Une présence, une conquête, une invasion ! Mais alors quelle solution ? Se changer les idées devant le concours de mini-miss de Visconti ? Certes. On peut aussi s’émerveiller devant cette perversité onirique, lorsque le crime porte un costume trois-pièces impeccable. Au Festival de La Rochelle les bagues en diamants font oublier par leur éclat celui des goûttes de sang perlant habituellement sur les écrans. Les étoffes et les intérieurs de la Belle Époque ne connaissent que trop peu la violence. Le jour approche où la Vamp sera retirée de son piédestal pour redonner à nos murs le calme perdu; serons-nous assez fous pour la regretter ? Il ne lui aurait presque manqué que la parole pour amplifier une hybristophilie (attirance pour les individus ayant commis des crimes) déjà bien avancée… Ou peut-être que non, car en se limitant aux premiers sens, elle nous mène déjà vers la phase finale. Le Festival oserait-il alors nous pousser dans les bras du Malin ? On le regretterait presque face à la victoire inévitable de ces braves agents de sûreté, au choix débordant de morale de Maddalena. Dommage, Satan devra retenter sa chance une prochaine fois... Et de toutes manières, face à de tels arguments l’on s’y jette avec plaisir sans cesser d’en redemander. Maxence Pons

INTERVIEW de Yolande Moreau, réalisatrice et comédienne débutante. Il faut aussi connaître son scénario sur le bout des doigts et savoir ce que l’on veut faire, pour pouvoir sortir et ramener des choses du moment même. Ce que l’on fait par jour est compté, donc c’est assez découpé. J’attache une grande importance aux décors, j’ai besoin de rêver sur une région, en m’y baladant. Mais il y a toujours des éléments dus au hasard... Je trouve que les décors racontent une histoire. J’ai vu ça dans un film géorgien, un paysage magnifique, avec des petits personnages qui se baladent dedans. Il y a ça aussi dans les Miguel Gomez. Moi je suis plus de ce côté-là que de celui de la caméra à l’épaule. J’aime bien les gens dans un contexte, un environnement.

Yolande Moreau

Vous êtes allée présenter votre film Quand la mer monte à la prison de Saint-Martin-de-Ré, comment cela s’est déroulé ? Je l’avais déjà fait avec Jérôme Deschamps, dans une prison de femmes à Rennes où j’avais présenté un de mes films. L’univers carcéral est intense, ainsi que ce qui s’y passe, les parcours des gens qui sont cassés, en morceaux. Il y a beaucoup d’émotion. Ils posaient plein de questions intéressantes, ils sont curieux et ils ne perdent pas de temps. La première question posée était sur la musique, si j’avais mis La Traviata à cause de l’incidence que ça avait sur l’histoire. Je trouvais beaucoup de réactions très fortes. J'avais vu le film qu’ils avaient fait, Correspondances, et j’étais très émue de les revoir tous. Il y avait des jolis témoignages. C’était bizarre, je ne peux pas appeler ça du plaisir, mais si, parce qu’ils étaient contents d’un apport de l’extérieur, mais moi aussi. On en ressort toujours un peu chamboulés. Concernant votre travail de réalisatrice, faites-vous un travail d’improvisation ? J’ai connu des gens qui agissaient sur le moment, comme Agnès Varda, fabuleux. Mais pour ça, il faut déjà être bien confirmé et moi je suis une réalisatrice

En tant qu’actrice, il y a des réalisateurs avec lesquels vous aimez tourner ? Oui, mais les nouvelles rencontres sont bien aussi. J’ai commencé un film avec Stéphane Brizé dont j’aime beaucoup le travail. J’ai eu des rencontres marquantes, que ce soit Agnès Varda, Dominique Cabrera, Delépine et Kervern, Martin Provost. Mais il y a des rencontres aussi comme celles de Jaco van Dormael, qui est un vieil ami, on se connaît depuis que j’ai 20 ans, et j’en ai 62 (rires). Son film Le Tout Nouveau Testament est projeté en avant-première et en clôture du Festival de La Rochelle. Vous pouvez nous parler de ce réalisateur ? Quand il a fait Toto le Héros, c’était très fort et ça a fait bouger le cinéma belge. C’était nouveau. J’étais ravie de le retrouver pour Le Tout Nouveau Testament et de jouer la femme de Dieu. Jaco van Dormael a une fantaisie pour raconter les histoires, et il revient toujours à ce thème : « Qu’est ce qu’on fait de sa vie ? Est-ce qu’on passe à côté de sa vie ? ». C’est toujours raconté avec beaucoup d’humour et de tendresse, parce qu’il aime les gens. C’est quelqu’un de bon, ça se ressent dans ses films, sans pour être gnangnan. Par exemple, Dieu dans le film est un salaud incarné par Poelvoorde, qui dans la vie est quelqu’un de bon, il avait presque du mal à être méchant ! C’est un vrai gentil. J’étais ravie de faire sa femme. Moi, je suis une molle là-dedans qui prend des coups, qui n’ose rien dire. La révolte va venir par leur fille. Moi je suis un peu quand même à côté de la plaque ! Dans le scénario, la fille de Dieu descend sur terre pour rencontrer des apôtres, ça aurait pu avoir un côté un peu systématique mais chaque personnage prend de

l’ampleur. Des choses complètements insensées, comme par exemple Catherine Deneuve dans ce film ! Vous venez souvent au Festival de La Rochelle ? J’aime bien plein de choses. J’aime bien l’esprit du Festival, j’aime bien la sélection du Festival, j’aime bien le fait d’être à l’aise dans la ville. J’ai un attachement particulier à ce Festival parce que je suis venue plein de fois faire des créations au théâtre avec Jérôme Deschamps. On est passé beaucoup au théâtre, je connais bien Jackie Marchand et Florence, il y a des liens particuliers. Et puis je viens découvrir, faire ma petite cure de cinéma. Pendant l’année, comme je vis à la campagne, je n’y vais pas beaucoup. Je n’ai pas cette possibilité de découvrir des films iraniens, géorgiens. Je vais voir des choses que je sais qu’il ne me sera pas possible de voir autrement. Cette année, j’ai beaucoup aimé Les Nuits blanches du facteur d’Andreï Kontchalovski. Justement, quels films avez-vous vus et aimés ? Le film géorgien Blind Dates. Je l’ai beaucoup aimé parce qu’il y a une sobriété dans la mise en scène, c’est bien joué. Il y a tout le contexte de la Géorgie d’aujourd’hui, et beaucoup d’humour. Mais on ressent aussi de la compassion pour les personnages, c’est plein d’humanité. J’ai été voir un film iranien aussi, j’ai été revoir Hou Hsiao-hsien, les films de Shanghai. J’en ai vu un des Makhmalbaf, c’est fascinant. Leur manière de fonctionner, c’est très beau. C’est très joli l’article qu’il y a sur les Makhmalbaf dans L’Éphémère, sur leur manière de concevoir le cinéma, leurs prises de position politiques, parce que c’est politique. Mais on voudrait plus de jours de Festival pour pouvoir tout voir ! Propos recuillis par Marion Pacouil Projection du Tout Nouveau Testament de Jaco van Dormael le dimanche 5 juillet à 20h / Grande salle

Mort à Venise mais vivant à La Rochelle Musicien vieillissant en quête du beau Odeurs putrides d’une Venise malade Réminiscences douloureuses d’un passé sublimé Tentation d’un janséniste pour un éphèbe polonais Attraction Violence d’une passion refoulée Érotisme et sensualité d’un androgyne Nageurs et nudités Inspiration perdue Suicide insconscient d’un artiste décadent Épidémie vénitienne métaphore de l’infection amoureuse Nadège Pérelle Projection de Mort à Venise de Luchino Visconti le vendredi 3 juillet à 17h15 / Grande salle Mort à Venise de Luchino Visconti

INTERVIEW de José Luis Guerín, réalisateur Cette demande portait sur la cathédrale de La Rochelle, comment avez vous abordé ce sujet ? Je n’aime pas trop les cathédrales et ce qu’elles signifient. Je ne voulais pas représenter simplement l’architecture de cette dernière car il est dur de filmer ce bâtiment imposant et statique. Alors oui, filmer la cathédrale est assez difficile, la question que l’on se pose directement c’est : comment la filmer ? Les ombres convoquent les fantômes pour convoquer une autre image, ici le bateau du tableau. Un bateau qui s’apparente à L’Hermione, qui était dans le port de La Rochelle pendant le tournage. L’idée de le filmer s’est très vite dissipée car cette image aurait détruit l’émotion et la représentation que l’on se fait du bateau à partir de la peinture. José Luis Guerín

Suite à la projection du Festival à L’Année, plus précisément du court métrage Le Saphir de Saint-Louis, nous avons eu le plaisir de réaliser une interview avec José Luis Guerín. Grand documentariste espagnol, il est entre autre le réalisateur de En Construcción qui a reçu le Goya du Meilleur Documentaire. Cette interview a été très conviviale et José Luis Guerín est resté à notre entière disposition. Votre film Le Saphir de Saint-Louis vient d’être projeté, que pouvez-vous nous dire sur cette demande de court métrage ? Le scénario était fermé, et je n’ai pas pour habitude de travailler avec un scénario de ce type. Par conséquent, je n’ai pas pu et n’ai pas eu le temps de divaguer sur le tournage même. C’était une première en regard de mes précédents films. Pour moi, un scénario ouvert me permet d’avoir des révélations pendant le tournage.

monde, documentaire dans lequel il nous parle d’une bibliothèque. Si on vous dit : vous allez regarder un documentaire sur une bibliothèque, ça ne donne pas forcément envie ! Mais Alain Resnais en fait quelque chose de merveilleux. Avez-vous des projets ? Je viens de finir un nouveau film expérimental, La Academia de las Musas qui sera présenté à Locarno prochainement. Un film à la fois italien et espagnol qui parle du Désir et de la Littérature. Propos recueillis par Anne-Sophie Alavin, Alex Boucher, Sandrine Cornu, Manon Ferrand & Thierry Méranger

Justement, pourquoi s’être concentré sur le tableau ? C’est à partir du tableau que le récit est né. C’est grâce à ce tableau qu’on ne rentre pas dans le banal et qu’on ne film pas seulement l’architecture. L’œuvre crée aussi quelque chose d’universel, et raconte une histoire très importante et un récit sur l’esclavage, sujet dont on parle peu. On part du tableau, pour arriver à des faits réels, qui s’exportent au-delà de La Rochelle. Pour en revenir à la réalisation de ce court métrage, est-ce que les élèves vous ont été d’une aide importante ? Oui, ils ont été très présents physiquement. Une complicité s’est créée entre nous. Ils sont aussi impliqués dans le court métrage, notamment lors de la scène finale, lors de laquelle ils font de la figuration.

Le Saphir de Saint-Louis

Votre film fait penser à celui d’Alain Resnais : Ne meurt jamais, est-ce volontaire ? Ce n’est pas volontaire, même si j’aime beaucoup Alain Resnais. Un des films marquants que j’adore de ce réalisateur est Toute la mémoire du

Around the World in 50 Concerts de Heddy Honigmann

Les 4 saisons sur les 6 continents « La majeure partie du travail de percussionniste consiste à attendre. » C’est sur cette note comique que débute Around the World in 50 Concerts, le dernier documentaire orchestré par Heddy Honigmann, véritable habituée du Festival désormais. Le spectateur s’amuse alors à écouter un membre de la section rythmique de l’Orchestre royal de Concertgebouw qui évoque un morceau durant lequel il n’intervient que très tard et à un unique moment pour asséner un fatidique coup de cymbales. Pourtant, ce n’est pas tant par moquerie que les zygomatiques des festivaliers s’étirent que par fascination pour la passion qui anime cet homme confessant son amour de la musique classique et déclarant avec la plus grande simplicité aimer sa place fondamentale au sein du tout que forme l’orchestre. Et c’est bien cette passion qui jalonne tout le film qui accompagne l’orchestre alors en tournée internationale lors de trois concerts à travers le monde. Avec ce film, la réalisatrice aborde une nouvelle fois le thème de la musique

qui lui est cher mais c’est cette fois-ci sous un angle tout nouveau : celui de l’universalité. Le film alterne des séquences de représentations et des moments plus intimistes tant dans la forme que dans le fond, durant lesquels la réalisatrice laisse libre parole aux musiciens qui tentent d’expliquer leur rapport à l’instrument et à la musique en général. Parfois, on s’égare nonchalamment pour s’intéresser aux vies de personnes rencontrées lors du voyage, tel ce professeur de violon de Soweto tombé dans une partition quand il était petit à l’époque de l’apartheid (comme toujours chez Honigmann, le contexte historique n’est jamais loin). Le tout est réglé comme du papier à musique et ne sert qu’un seul propos : le caractère universel de ce véritable langage de l’âme, ainsi que la nécessité de sa diffusion. Heddy Honigmann nous persuade de la portée internationale de la musique par le prisme de quelques personnalités fortes de l’orchestre. On y croise un contrebassiste amoureux de sa 4-cordes et toujours enthousiaste à l’idée de « jouer de la grand-mère » ou encore un bassoniste contaminé par l’instrument de façon héréditaire. Around the World in 50 Concerts parle autant aux musiciens qui se retrouvent dans les paroles des instrumentistes qu’aux néophytes. Le film constitue un véritable pied-de-nez au stéréotype du musicien classique. Cela passe par l’humanisation des musiciens qui tentent de propager leurs bonnes vibrations, mais pour qui le mal du pays n’est jamais très loin. La documentariste dresse le portrait d’un ensemble de passionnés, tous habités par la même envie. C’est un documentaire profondément humain qui, à la manière d’une symphonie, nous fait passer par toute la palette d’émotions que peut générer la musique classique. Baptiste Berlioz Projection d'Around the World in 50 Concerts de Heddy Honigmann le vendredi 3 juillet à 11h / Dragon 1

Gratuit • N° 7 • Le quotidien du 43 e Festival International du Film de La Rochelle • Vendredi 3 juillet 2015

La Nourrice de Marco Bellocchio

Un temps pour vivre, un temps pour mourir de Hou Hsiao-hsien

L’Innocente

TROIS SOUVENIRS DE SA JEUNESSE

Monsieur et Madame Morsi possèdent tout le charme que peut ajouter la culture à des créatures déjà naturellement bien dotées. Monsieur est médecin, illustre docteur à l’hôpital psychiatrique pour femmes, digne et distingué ; Madame (Vittoria) ressemble à une plante délicate, fleur rare conservée dans la serre des mœurs d’une antique aristocratie italienne sur le déclin. Fleur lourde qui ploie un peu sous le fardeau de sa grossesse. La délivrance de Vittoria est en effet difficile, et la fragile aristocrate semble avoir expulsé sa propre vie au terme d’un travail interminable et douloureux. Immédiatement, quand on lui présente l’enfant, elle le repousse. Puis, quelques jours plus tard, c’est l’enfant qui semble rejeter sa mère. La situation de malaise et d’insomnie provoquée, au sein de la famille, par les pleurs d’un enfant constamment affamé, rappelle le trio infernal de L’Innocent de Visconti. Là encore, un homme, une femme (Giuliana), et l’enfant, c’est-à-dire l’étranger, chéri et indésirable, qui sépare précisément le couple qu’il aurait dû unir. « Elles se sont mariées par peur de la solitude, comme leurs mères » lit Vittoria dans une lettre qui ne lui est pas adressée. Vittoria et Giuliana se retrouvent dans ce même rejet du mari, pris il y a longtemps par conformisme. Cependant, leurs situations diffèrent radicalement : Vittoria semble détester son enfant aussi ardemment qu’elle jalouse la nourrice qui s'en occupe tandis que Giuliana souffre d’une séparation dictée par un mari intraitable. La rage du mari de Giuliana à l’encontre d’un enfant qui n’est pas le sien entraîne le meurtre. Vittoria, dans sa solitude de mère que la nature ne soutient pas, ne fait que caresser le meurtre symbolique de cet enfant brun et gras qui tire sa vigueur d’une plantureuse nourrice. Celle-ci, archétype de la beauté paysanne, fruit de la terre dont elle est issue, représente la vie dont est privée sa rivale. Le film repose essentiellement sur la confrontation esthétique de ces deux beautés si typiques en leur genre : la peau blanche et la chevelure de Valeria Bruni-Tedeschi (Vittoria) prennent sens dans l’environnement raffiné propre à sa classe ; c’est à l’ombre du lierre, dans la fraîcheur d’un jardin qu’elle exhale toute sa beauté, tandis que Bellocchio choisit, pour mettre en valeur sa deuxième actrice, de la vêtir d’une simple chemise de nuit en coton grossier, et de la surprendre les cheveux mouillés dans un grand éclat de rire, alors qu’elle serre l’enfant de l’Autre contre son corps voluptueux. L’opposition est fantastique. Néanmoins, une gêne imperceptible se fait sentir quand on comprend que cette opposition esthétique, brillamment menée et cependant typique à l’excès, est sous-tendue par une posture politique. La clef de cette équation, c’est la troisième femme du film qui nous la donne, cette militante superbe enfermée chez les hystériques, sphynge angoissante jusqu’à ce qu’elle entraîne dans ses bras et dans sa lutte un jeune médecin sceptique. Dans ce que nous montre Bellocchio, il semblerait qu’il y ait d’un côté l’amour, la vie, la spontanéité d’un peuple qui brandit des drapeaux rouges comme le sang des vignes, de l’autre une classe sur le déclin, dernière branche d’un rameau stérile - on sait que le mariage symbolique final de Vittoria et du professeur sur la digue ne sera hélas pas plus prolifique que le premier. Les femmes, qu’elles soient mères, épouses, amantes, sont toutes repliées sur le secret de leur ventre et entrent à merveille dans ce tableau dix-neuviémiste ; Bellocchio filme superbement cette Salpêtrière romaine, mais il semble conserver sagement ses personnages féminins dans une approche romantique à peu près aussi datée que son élégie révolutionnaire. Ce ton fin XIXe, associé à la majesté des décors, des costumes et d’une photographie irréprochable fait sans nul doute le charme de son cinéma, mais tout semble un peu endormi dans ce confit décadent. Peut-être manque-t-il à Bellocchio ce kitsch si appréciable chez Visconti, qui l’écarte définitivement de la gravure de mode. Qui sait s’il ne lui manquerait pas, en fait, la modernité ?

Bien avant Three Times, portrait d’un couple à travers trois époques différentes, Un temps pour vivre, un temps pour mourir se présente comme un film autobiographique autour de trois morts qui ont marqué la vie du réalisateur, et aussi, deux ou trois souvenirs de sa jeunesse: l’enfance puis l’adolescence, de la fin des années 1950 à la fin des années 1960 dans l’île de Taïwan. À côté de la mort, les parents que l’on pleure ou dont on réalise trop tard la décomposition physique, qui n’est peut-être au fond que le retour de la vie sous une autre forme - et l’on pense à ce plan magnifique d’une main veinée parcourue par une colonie de fourmis -, il y a les réminiscences, fragiles bulles de souvenirs par le film ravivées. Le cinéaste semble ici déterrer sous nos yeux les billes multicolores de l’enfance, celles qu’on le voyait dérober au début du film. Ici l’on assiste aux 400 coups d’un jeune Taïwanais qui n’a pas peur des coups, ceux de sa mère ou plus tard, ceux qu’il reçoit lors des rixes entre bandes du quartier. Nous découvrons les frasques, heurs et malheurs du jeune cinéaste à travers les révélations elliptiques d’une caméra toujours allusive : le temps semble ici faire imperceptiblement son œuvre, tout à coup l’on s’aperçoit que la grand-mère qui vivait couchée au sol est morte, sans doute depuis quelques jours ; soudain l’on réalise que Ah-ha n’est plus vierge, certainement suite au passage, à peine suggéré lors d’une scène très brève, chez une prostituée. Et puis, il y a les mille et une bêtises et autres insouciances de l’enfance: mieux que l’anti-sèche, la fausse anti-sèche, ou comment piéger le professeur qui pensait vous piéger, en faisant semblant de tricher. Et si le jeune Ah-ha se plaît à voler de l’argent à sa mère, la grand-mère, quant à elle, « économise pour l’au-delà », quand elle ne s’est pas perdue à la recherche du pont du Mékong ou d’un passage quelconque qui la relierait au « continent ». Car ce qui se dessine aussi dans le film, en arrière-plan, c’est la souffrance de l’exil, celui d’une famille réfugiée à Taïwan pour fuir la révolution communiste, arrachée pour jamais à la Chine, l’impossible « continent » dont seules les constantes échappées de la grand-mère trahissent encore le regret. La jeunesse du cinéaste ici se construit à la fois dans la joie et dans la souffrance : la maladie côtoie la vie de façon constante, elle en est la dernière expression : ce sont les crachats du père tuberculeux, la mère atteinte d’un cancer de la gorge qui ausculte sa langue et finit elle aussi par mourir lentement. Ah-ha doit vivre avec cela, renoncer à certaines sorties avec ses amis pour rester auprès de sa mère mourante, faire le partage toujours entre les plaisirs de sa jeunesse et les nécessités familiales. Le film fait ainsi le constat d’un apprentissage : comment songer à soi tout en songeant aux autres, construire sa propre vie tout en veillant à celle de ses proches, vivre en définitive tout en veillant les morts… Vie familiale, arrière-plan historique et politique, amours naissantes : le film nous fait légèrement songer au dernier Desplechin : Trois Souvenirs de ma jeunesse. Pourtant ici, les premiers émois amoureux n’y sont qu’à peine esquissés, à travers une promesse ou encore un espoir : une unique conversation avec la jeune fille du quartier, où celleci invite Ah-ha avant tout à réussir ses examens à l’université. Pourtant aussi, si le titre du film du cinéaste français est trompeur, puisqu’il s’agit bien d’une fiction et non de véritables souvenirs autobiographiques, ici l’artifice de la fiction est au service d’une perfection documentaire : la reconstitution de l’enfance du cinéaste taïwanais sublimée par une profonde maîtrise esthétique de son art, qui justifie amplement les espoirs placés par la grand-mère en son petit-fils à qui tout réussit. Même si HHH n’est pas devenu un grand Mandarin comme on l’avait prédit à celle-ci, il n’en est pas moins le remarquable cinéaste de sa jeunesse, dont la caméra mobile et contemplative sait dans le même temps suivre les pérégrinations d’une toupie de l’enfance ainsi que les allées et venues d’un conducteur de pousse-pousse.

Hélène Kuchmann

Hélène Gaudu

RÉDACTION du N°7 : A.S. Alavin, B. Berlioz, A. Boucher, S. Cornu, M. Ferrand, G. Gagnon, H. Gaudu, H. Kuchmann,T. Méranger, F. Moreau, M. Pacouil, N. Perelle DIRECTION : Festival International du Film de La Rochelle

COORDINATION : Marion Pacouil MAQUETTISTE : Catherine Hershey

Imprimeur partenaire du Festival

PHOTOGRAPHE : Philippe Lebruman

Tél: 05 46 30 29 29 • www.iro-imprimeur.com

REMERCIEMENTS : Toute l’équipe du Festival