La plus grande frite du monde

de persuader, pas de taper sur les nerfs. Il faut une grande idée, un bon concept radio au dé- part. Puis, il faut trouver le ton juste. Je suis un adepte de l'humour ...
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Dossier Radio Entrevue avec Terry O’Reilly, président et fondateur de Pirate Radio.

La plus grande frite du monde Le fondateur de Pirate Radio, une agence torontoise qui collectionne les prix internationaux, explique pourquoi la radio est encore sous-exploitée en pub. Propos recueillis par Sophie Massé

C’

est un message radio pour la chaîne de restaurants A&W qui a fait comprendre au président de Pirate Radio, Terry O’Reilly, le pouvoir d’évocation de ce média. Il avait 14 ans. Et il éclatait de rire chaque fois qu’il entendait cette signature : The World’s Largest Fry is this Long [La plus grande frite du monde est aussi longue que ça]. C’était bien avant de faire de la pub radio sa spécialité. Terry O’Reilly, connu de certains créatifs québécois grâce aux séminaires sur la radio qu’il donne régulièrement, projette maintenant de proposer son expertise au Québec. « Je veux aider les concepteurs à devenir de très bons rédacteurs radio, les encourager, leur fournir un endroit où ils peuvent apporter des concepts solides, pour qu’ils tombent amoureux de la radio et qu’elle soit toujours meilleure», dit-il. Quel est votre diagnostic de la pub radio d’aujourd’hui ? Les stations connaissent leurs meil-

leures années en matière de rentabilité. Et 2004 a été pour elles une année record. Par contre, le niveau de la création radio a diminué un peu, mais il a toujours été très élevé. En radio, le Canada a toujours eu sa place parmi les meilleurs. Je participe à des jurys internationaux et je le vois. Quel est le secret de la bonne pub radio ? Vous connaissez sans doute l’expression « Think outside the box ». Je pense plutôt qu’il faut agrandir la boîte. Autrement dit, on doit reconnaître les limites de la radio et s’en servir comme d’un tremplin. Acceptez, au départ, le fait qu’on ne peut pas voir le produit. Et faites de ça la meilleure partie du message. Servez-vous de cette contrainte pour innover et présenter l’article différemment. Écoutez la radio d’ailleurs,

celle qui gagne des prix. Et attardez-vous à comprendre ce qui la rend si rafraîchissante. Demandez-vous pourquoi d’autres découvrent encore de nouvelles façons de créer. La radio est une discipline complètement différente de la télé. Elle nécessite un tout autre état d’esprit. Quel état d’esprit ? Il faut éviter de pousser la vente trop fort. C’est désagréable pour l’auditeur et c’est inefficace. Il est préférable de divertir avant tout, avec une bonne intuition ou une stratégie intelligente. La pub, c’est l’art de persuader, pas de taper sur les nerfs. Il faut une grande idée, un bon concept radio au départ. Puis, il faut trouver le ton juste. Je suis un adepte de l’humour subtil ; celui qui provoque plus un sourire en coin qu’un grand éclat de rire. Ce type d’humour fonctionne vraiment bien à la radio, dans un média de fréquence, parce qu’il a une espérance de vie plus longue ; vous pouvez entendre une blague une seule fois, mais vous pouvez écouter une bonne histoire au moins dix fois.

TERRY O’REILLY Après plusieurs années comme rédacteur, d’abord dans une station de radio puis dans diverses agences, Terry O’Reilly fondait, en 1990, Pirate Radio, une entreprise hybride comme il n’en existe pas vraiment au Québec. En plus d’offrir des services de postproduction audio pour la télé et la radio, et de produire des messages, Pirate se présente comme une agence spécialisée en radio, capable de concevoir des pubs directement pour les annonceurs. L’entreprise produit ou réalise près de 3 000 messages radio chaque année. Ses clients comprennent Starhawk Golden Ale, de Portland dans le Maine, Mindtrap Games, l’Orchestre symphonique de Toronto et Screamin’ Mimis. Le travail de rédacteur et de réalisateur de Terry O’Reilly a été récompensé par des prix Crystal, Mercury, Clio, au One Show, au New York Festivals et au London International Advertising Awards. Terry O’Reilly, qui siégera au tout premier jury « radio » à Cannes, cet été, sera l’un des conférenciers à la Journée Infopresse sur la radio, le 6 avril prochain.

Quelle erreur entendez-vous le plus souvent dans les messages radio ? Le « trop-de-mots ». C’est

l’une des premières choses que j’ai apprises au début de ma carrière. Pourtant, c’est une erreur

« Vous ne pouvez pas vous cacher derrière une belle prise de vue. » que j’entends toujours. Il faut laisser un peu d’espace dans le texte afin de permettre au comédien d’improviser. Et pour du silence. Le silence est un son. Tous les bons messages respirent. Les concepteurs-rédacteurs semblent souvent craindre la radio. Pourquoi ? Angus Tucker, INFOPRESSE 03.05

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Dossier Radio

directeur de création de John St. Advertising à Toronto, a dit : « Faire de la radio, c’est comme essayer de se cacher sur un terrain de squash ». À la radio, votre idée est à nu. Et votre qualité en tant que rédacteur est du même coup mise à nu. Vous ne pouvez pas vous cacher derrière une belle prise de vue. Qu’aimez-vous tant de la radio ? Alors que tout le monde juge que c’est le média le plus contraignant, j’ai toujours trouvé que c’était celui qui donnait le plus de liberté. Par l’évocation, vous pouvez faire tout ce que vous voulez. La radio est très visuelle. Elle permet de se poser sur la Lune ou de manœuvrer un sous-marin. Créer ce genre d’univers est devenu inabordable à la télé. À la radio, l’auditeur est le directeur artistique et il crée sa propre image mentale en fonction de ses attentes. C’est aussi le seul média qui suit le consommateur de sa maison jusqu’au magasin. Aucun média ne peut le guider de cette manière-là. Pourquoi la radio n’est-elle pas prise au sérieux par les annonceurs ? Parce

« Le retour sur l’investissement est beaucoup plus grand à la radio. » peut facilement se distinguer avec une bonne campagne. Il va tout de suite trancher sur la cacophonie ambiante. De plus, c’est beaucoup plus facile de cibler son auditoire à la radio qu’à la télé. Les auditeurs sont loyaux à une station, qu’ils écoutent à la même heure, chaque jour. Les téléspectateurs, eux, ne sont pas loyaux à des chaînes, mais à des émissions ; ils se promènent donc sans arrêt d’une chaîne à l’autre et sont, par conséquent, plus difficiles à attraper. Par ailleurs, le retour sur l’investissement est beaucoup plus grand à la radio, car elle coûte nettement moins cher que la télé. La télé ne permet plus de passer 60 secondes avec un acheteur potentiel. Vous préférez les messages de 60 secondes à ceux de 30 secondes. Pourquoi ? Parce que la persuasion

qu’il n’y a pas de visuel à la radio, certains pensent à tort qu’ils ne peudemande du temps. Mais jouer avec vent pas s’en servir pour bâtir l’image le format représente une autre façon de leur marque. Ils perçoivent la radio d’attirer l’attention. Il faudrait que comme un média de promo. Ils les stations et les grands réseaux l’utilisent donc pour annoncer un soient plus ouverts, qu’ils accepprix ou une offre ponctuelle. Toutent d’assouplir leurs formats. tefois, la bonne pub ne vend pas un Nous avons récemment créé une Pour Sparhawk, une bière produit, mais un bénéfice. Les gens campagne de 20 messages dont les du Maine, Pirate a joué n’achètent pas des mèches de per10 premiers sont de longueurs difla complicité avec les ceuse de trois quarts de pouce, mais auditeurs en inventant un férentes – 10, 12, 14, 22 secondes. « code secret ». des trous de trois quarts de pouce. Nous voulions attirer l’attention Et parler du bénéfice fonctionne et donner son sens à la deuxième toujours bien à la radio, parce qu’il implique une partie de la campagne. Mais pour y arriver, il a émotion humaine. fallu aller jusqu’au président de Rogers Radio La radio n’a pas, dans notre industrie, le afin de présenter notre idée. Une fois qu’il a été même prestige que la télé ou l’imprimé. Dans convaincu, les stations ont embarqué. C’était les agences, les briefings radio vont souvent aux la première fois qu’il y avait une telle ouverture équipes débutantes, et l’annonceur fait l’équade leur côté. Et ça fait 25 ans que je pratique ce tion suivante : radio = débutant = sans impormétier. Je crains que nous rencontrions aussi tance. L’ironie de l’affaire, c’est que la radio est beaucoup de résistance de leur part avec notre l’un des médias les plus difficiles pour l’écriture nouvelle division de « contenu commandité ». et la présentation, entre autres parce qu’elle n’a Vous parlez d’une forme d’intégration de propas de support visuel. Et les agences ne savent duit, comme à la télé ? Notre vision du contenu pas comment l’intégrer à leur portfolio. Elle est commandité est une récupération de la belle souvent présentée à la toute fin, à part, alors époque de la radio. Nous voulons créer des qu’elle pourrait l’être en même temps que l’imémissions de divertissement radio présentées primé, ou intercalée entre la télé et l’imprimé. Je par un annonceur. Par exemple, nous pourrions soupçonne les agences de ne pas recommander mettre en ondes une émission de 60 secondes la radio très souvent à leurs clients. sur les grands du rock qui serait présentée par Et quels avantages les annonceurs auraient-ils iPod. Ce serait un divertissement pur – pas un à l’utiliser plus souvent ? Parce qu’on entend publireportage –, dont le thème serait parfaitrès peu de bonne pub radio, un annonceur tement en lien avec les valeurs de l’annonceur. 34

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Une seule pub de cet annonceur serait diffusée dans le cadre de l’émission. C’est en quelque sorte de la pub radio sur « rendez-vous ». Cette émission est présentée tous les jours à la même heure, et les auditeurs allument la radio le matin ou en revenant du travail pour l’écouter. Par cette approche, on veut inciter les annonceurs à créer non seulement des pubs radio, mais un véhicule dans lequel les pubs pourront circuler. Parce que la radio peut susciter une réponse que la télé et l’imprimé ne procurent pas. Comment ? La radio est un média intimiste. Les gens y répondent d’une manière plus personnelle. Pour le lancement de Sparhawk Golden Ale, un produit du Maine, il fallait rallier les auditeurs autour de la marque. Quand on a demandé à notre client pourquoi le monde avait besoin d’une nouvelle bière, il a répondu : « Parce que tout, dans le Maine, cible les touristes, je veux lancer une bière pour les gens du Maine. » Nous avons créé huit ou neuf messages sans nommer le produit. Nous avons plutôt intégré à chaque message un sifflement codé. Ici, la radio nous a permis de parler directement à notre cible. Et elle s’est sentie plus touchée que si nous avions crié la même chose du sommet d’une montagne, ce qui est la méthode de la télé. De toutes façons, un code « secret » aurait perdu tout son sens en télé. Nous voulions lancer au consommateur un clin d’œil discret. Les auditeurs ont compris qu’un secret leur était personnellement adressé, et c’est làdessus que repose le remarquable succès de cette campagne. Au Québec, nous faisons peu de création radio. C’est donc plus difficile de devenir meilleur et d’inciter les annonceurs à s’y intéresser. Comment briser ce cycle ? Ce problème existe dans la plu-

part des grands marchés. Et vous savez quoi ? Aucun pays n’est reconnu pour la qualité de sa pub radio. La Grande-Bretagne est très forte en imprimé. L’Amérique latine commence à faire sa marque en télé. Mais personne ne produit de l’excellente radio. La qualité de la création est exceptionnelle au Québec. Maintenant que Cannes accepte la radio dans ses rangs, ça ouvre la possibilité de se bâtir une réputation internationale en radio. Pourquoi le Québec ne prendrait-il pas les devants ? ● Pour entendre les publicités de la bière Sparhawk : www.www.pirate.ca/spot_of_the_week/archive/spot_sparhawk.html.