Interview de Monsieur Joël DUTLLEUL

Ah, ils avaient un jargon… c'est presque un patois, donc autant je m'exprimais bien avec le Lieutenant. BOUROLS qui parlait très lentement un allemand très, ...
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par Eloy et Billel, le 22 décembre 2012, Miribel - Nous allons interviewer M. DUTILLEUL qui est un ancien militaire français qui a participé à un camp entre militaires français et allemands. - Bon, ancien militaire, non : j’ai fait mon service militaire comme on le faisait autrefois. J’étais parti pour 18 mois, je n’en ai fait que 16, heureusement, et je l’ai fait en Allemagne, à Tübingen. Tübingen est en Souabe (Schwaben), à peu près au sud de Stuttgart, dans une très belle région vallonnée avec beaucoup de forêts mais c’est surtout une ville universitaire et il y a eu beaucoup d’écrivains, de philosophes qui ont travaillé à Tübingen, comme l'actuel Pape, M. Ratzinger. Et dans cette ville, j’ai fait mon régiment dans le 12e cuirassier dans la 4e DB (division blindée) donc la division de LECLERC. Et le 12e cuirassier était un régiment de …pff, je ne sais plus combien de personnes mais enfin, il y avait pas mal de soldats et à côté, on avait des chasseurs alpins et donc j’étais dans les blindés, dans les chars, la cavalerie mais il n’y avait plus de chevaux, il y a des chars, c’est comme ça. Et un beau jour, mon capitaine, à cette époque là - c’était presque la fin de mes 16 mois, pratiquement 1 ou 2 mois avant la « quille » - mon Capitaine me convoque. J’étais d’ailleurs Maréchal des logis donc j’avais passé mes grades (d’abord Brigadier puis Maréchal des logis) et donc mon Capitaine me convoque

dans son bureau en me disant directement, brutalement : « DUTILLEUL, vous connaissez l’allemand ? » Moi je dis : « Mon Capitaine, un petit peu, je parle… » et il me répond « Et bien ça ira très bien, parce que le Général » – le Général de Gaulle qui était Président de la République à l’époque - « nous demande de faire des réunions, des rapprochements interarmes d’une armée à l’autre pour faire l’amitié franco-allemande ». - D’accord. Et ça, c’était en quelle année ? - C’était en 1964, ça se passait autour de février, au début du printemps. Donc mon Capitaine me demande ça, alors moi je dis « Parfait. ». Alors, il m’explique : « Vous allez partir avec quelques soldats : voici la liste. » Il me donne la liste des compagnons que j’allais avoir. « Je vous donne une jeep, un camion et un Lieutenant allemand va venir vous chercher et vous partirez en Forêt Noire avec lui. » Je réponds « Et bien, super, mon Capitaine, je vous remercie, mais vous savez, l’allemand, je ne le domine pas tellement. Alors est-ce que je peux avoir

WASCHENHEIM avec moi ? » C’était un copain qui était avec moi, qui faisait de la musique avec moi. C’était un Alsacien qui parlait très bien l’allemand. Mon Capitaine m’a dit : « Pas de problème ! » Et donc, le lendemain matin, une jeep est arrivée à la caserne et j’ai fait connaissance avec le Lieutenant BOUROLS et on est parti sur les routes. J’ai suivi la jeep du Lieutenant, moi dans ma jeep et le camion avec mes soldats et on est parti. On a traversé Freudenstadt, de Freudenstadt on est monté jusqu’à Baiersbronn et de là on est monté dans le nord en pleine Forêt Noire et là on a trouvé le petit village de Mitteltal. On a continué à avancer dans le village et on l’a quitté par une petite route qui s’appelle Ilgenbach Strasse qui longe le petit torrent de Ilgenbach et on a trouvé un petit chalet où on a passé deux semaines. Alors, ces deux semaines se sont passées à vraiment faire connaissance, à apprendre ce qu’on faisait chacun dans son régiment. Eux, c’était aussi un régiment de chars, c’était aussi des cavaliers comme nous. On a échangé pas mal de choses, comment on travaillait, comment on faisait les exercices et on a fait des exercices ensemble et beaucoup de marche aussi, bien sûr, en Forêt Noire. On a échangé des chants militaires : eux nous ont appris un très beau chant de la Panzer Division de Rommel puisque c’était lui qui dirigeait ça pendant la guerre. Et au bout de ces quinze jours, le Lieutenant m’a dit « Vous êtes bien sympathiques, ne pourriez vous pas demander à votre Capitaine de rester une semaine de plus ? », ce qui fait que j’ai pris le téléphone : « Allo, mon Capitaine ? Ils me demandent si on ne pourrait pas prolonger d’une semaine ? » - « Pas de problème, vous pouvez rester une semaine de plus. » - « Ah et bien merci, mon Capitaine. » C’est ce qui a fait qu’on a fait trois semaines là-bas. C’était une bonne villégiature, c’était des vacances, quoi. Et pour l’amitié qu’on a créée avec tous ces Allemands, l’avant-veille, quelques jours avant de se quitter, on a passé une soirée, à Baiersbronn dans un Gasthaus, bien sympathique à boire de la bière et à chanter des chansons allemandes. C’était vraiment le summum pour eux, ils aiment la fête, ils aiment boire, ils aiment chanter… Et là, donc, on a passé une superbe folle soirée avec eux. Bon, j’en ai gardé un très, très bon souvenir. Mais je n’ai pas correspondu avec le lieutenant BOUROLS parce qu’on s’est perdu de vue finalement et puis il y avait quand même l’écart du grade, il était Lieutenant, moi j’étais Maréchal des logis mais j’avais quand même fait connaissance avec Dieter SCHIDNIZ. Ça a été un bon copain pendant des années, il est même venu me voir à Paris quand je faisais des études pour être dans l’informatique. Donc, il est venu me voir et on a fait la fête pendant deux à trois jours dans Paris, c’était sympa. Dieter était organiste attitré de la cathédrale de Munich, c’était quand même quelqu’un ! Et puis c’était un garçon très sympathique. C’est dommage, je l’ai perdu de vue parce qu’il m’avait invité à le rejoindre un jour à Munich et à cause du travail je n’ai pas pu. Et bien, il s’est plus ou moins un peu fâché, c’est dommage. Voilà ce que j’ai gardé de ce séjour avec des Allemands qui étaient très sympathiques.

- Alors je vais vous demander plus précisément combien étiez-vous à ce camps, en tout, à peu près, je ne sais pas si vous savez exactement. - Et bien il faut voir par rapport aux photos combien on était. On devait être une trentaine, par là. Vous verrez sur les photos que je vous donnerai. On était à peu près une trentaine au total, moitié / moitié entre les Allemands et les Français. Attendez, je compte…A non, une vingtaine. - Etiez-vous forcés à y aller ou aviez vous des motivations quelconques ? - Non, non, tout simplement ça a été demandé par le Capitaine qui me disait que c’était une première expérience qu’on fait. Alors moi, je me suis dit pourquoi pas, on va se lancer, on va faire ça. Je ne sais pas si par la suite il y a eu d’autres expériences, on ne m’en a jamais parlé, j’ai perdu le contact avec mon Capitaine après, puisque deux mois après, j’avais fini mon service militaire. Donc on n’a jamais été forcé, c’était un ordre, une invitation du Capitaine que j’ai trouvé très sympa de sa part. - Etiez-vous réticent, aviez vous peur des réactions des uns et des autres ? - Non, non, au contraire, j’ai sauté de joie quand il m’a dit ça. C’était une bonne opportunité. - Comment cela s’est il passé là-bas ? Y avait-il une bonne ambiance ? Vous compreniez-vous bien ? - Très bonne ambiance. Bon, ensuite, c’est sûr, il y en avait quelques-uns qui ne parlaient pas du tout l’allemand mais on arrive toujours à s’exprimer avec les gestes, etc. On y arrive toujours. Et puis, j’avais quand même un Alsacien avec moi qui parlait très bien l’allemand et surtout le rhénan. J’ai eu des conversations avec des Rhénans, ce sont des gens qui sont plus proches de Strasbourg, là, dans la vallée du Rhin, impossibles à comprendre, impossible ! Ah, ils avaient un jargon… c’est presque un patois, donc autant je m’exprimais bien avec le Lieutenant BOUROLS qui parlait très lentement un allemand très, très pur. Donc moi, comme j’avais appris la langue de GOETHE, je ne connaissais pas du tout le rhénan. - Donc, d’après ce que vous nous avez dit, vous avez été plutôt bien traités, vous et vos camarades. Que faisiez-vous de vos journées ? - Et bien, des balades, des jeux, des échanges d’idées, on a fait du sport, du foot bien sûr. Tous les matins, on se levait, on prenait le petit déjeuner qui était d’ailleurs assez particulier parce que c’était un petit déjeuner allemand ; de l’Ochsenblut comme on disait, c’était un thé très rouge, je ne sais pas avec quoi c’était fait, mais ils appelaient ça "Ochsenblut", c'est-à-dire, du sang de bœuf. C’était vraiment un thé

très, très rouge avec beaucoup de charcuterie. Une fois qu’on avait ça, on avait l’estomac bien calé et on partait faire du sport, du footing, de la course dans les bois. - Des vraies vacances, quoi ! - Oui, oui, mais sportives ! - Y avait-il une bonne entente ? - Très bonne. Il n’y a jamais eu de problème, de mots de travers ni quoi que ce soit. Non, il y a eu vraiment une très, très bonne entente. - Mais dès le départ, il n’y a pas eu de réticences d’un côté ou de l’autre, de se dire qu’est-ce qui va nous arriver ? - Non, non, même les soldats qui étaient avec moi, qui étaient certes mélangés, il y avait des Parisiens, des Lyonnais, même des Chtis. Mais non, aucun mot de travers, aucune réflexion, au contraire, ils ont tout de suite sympathisé, échangé. D’ailleurs, on peut le voir sur les photos, quand on est avec le Lieutenant et le Sergent, derrière on voit les jeunes en train de discuter entre eux et s’amuser pratiquement. - D’accord. Que pensez-vous de cette réconciliation franco-allemande ? - Et bien, c’est une première expérience, c’est une bonne chose parce que j’ai quand même été sur 16 mois, presque 13 à 14 mois, pas en vase clos, puisqu’on sortait tous les dimanches, tous les samedis, en ville. On avait des contacts avec les Allemands uniquement dans les Gasthaus ou dans les magasins, mais c’est tout. Donc on n’avait pas de relations avec les Allemands directement. Alors que là, on était vraiment en contact direct avec les Allemands. C’était vraiment très instructif et très riche. Et d’ailleurs, en plus, on a passé - j’avais oublié ce petit évènement - une soirée, notre Lieutenant nous a dit : « On va vous emmener chez un ancien soldat du front russe. » On est allé chez lui et il nous a montré un diaporama et il nous a exposé que pendant la guerre, à l’époque du front russe, les soldats étaient « cannibales » (anthropophages) et il nous a montré des diapositives là-dessus. C’était assez………..Il nous a tout expliqué, bien sûr, pourquoi c’était ça. En effet, ils étaient complètement abandonnés dans une région où il faisait - 30, - 40°C avec 1 mètre, 1m50 de neige, où il fallait se planquer alors qu’ils n’étaient pas alimentés. Donc parfois, ils mangeaient les cadavres. Et il nous a montré tout ça… Bon on a quand même passé une bonne soirée parce que après, on a eu de la bière et tout ce qu’il faut, de la charcuterie… Mais c’est vrai que le diaporama était quand même assez remuant et on a pris un coup dans la figure.

- A votre avis, faut-il continuer comme aujourd’hui ou devons nous aller encore plus loin dans cette amitié franco- allemande ? - Et bien, je ne sais pas où on en est actuellement au niveau interarmes. Il y a des manœuvres qui sont faites conjointement entre l’Allemagne et la France, mais je ne suis pas dans le secret des dieux, je ne sais pas du tout. Mais je suis pour, de toutes façons. Il y a eu des manœuvres aussi bien en France qu’en Allemagne, même si on a quitté l’Allemagne puisqu’on n’est plus du tout en régime d’occupation comme on l’était autrefois. Mais bon, c’est une bonne chose, il faut continuer. Je suppose qu’au niveau estudiantin, les étudiants doivent pouvoir se rendre aussi bien en France qu’en Allemagne, dans les universités. - Et avez-vous connu, au contraire, des personnes de votre entourage qui étaient complètement contre tout rapprochement franco-allemand, qui s’opposaient à ce genre de projet ? - Ah, il y a plusieurs avis, c’est sûr… Mais bon, je n’ai pas rencontré de gens vraiment hostiles, du temps de de GAULLE. Autour de moi, je voyais des Français qui étaient d’accord puisque de GAULLE avait fait vraiment le rapprochement avec ADENAUER. Ca se passait très bien à part dans quelques milieux politiques. - Pardon, je viens d’y repenser mais y a-t-il eu beaucoup d’échanges culturels ? Avez-vous beaucoup appris sur les Allemands et vice et versa ? - Ah, bien sûr, on a appris du vocabulaire. Bon, ce n’est pas toujours du bon vocabulaire, mais oui. Il y a aussi la nourriture, c’est spécial. Le petit déjeuner, c’est loin du petit déjeuner français. - Avaient-ils des habitudes particulières, surprenantes ? - Et bien, c’est la bière et le Schnaps ! On a eu le droit, un soir à la bière et au Schnaps. Bon, mais le Schnaps, c’est pas très fort. Mais surtout, une bonne bière ça cale l’estomac. Bon, à part ça, il y a eu beaucoup d’échanges culturels, surtout en se racontant des choses les uns les autres, de ce qu’on a vécu, comment on vit à la caserne. - Et bien merci monsieur DUTILLEUL pour votre témoignage très intéressant.