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FORUM RÉFLEXIONS RUPTURE CONVENTIONNELLE. Un employeur utilise la rupture conventionnelle pour échapper à son obligation de reclassement et aux conséquences de l’inaptitude, notamment financières. Conséquence : la rupture est abusive et doit produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

De l’abus dans le recours à la rupture conventionnelle le CPH des Sables d’Olonne ouvre la voie Tiennot Grumbach, ancien Directeur de l’Institut des sciences sociales et du travail ISST-PARIS I, Avocat du barreau de Versailles Évelyne Serverin, Directeur de recherches au CNRS, IRERP, UMR 7029, Université Paris-Ouest Nanterre La Défense

lors que les statistiques de la rupture conventionnelle montrent que « le succès de ce nouveau mode de rupture du contrat de travail ne se dément pas » 1, alors que ces mêmes statistiques laissent soupçonner un effet de substitution au licenciement, au point que l’autorité administrative incite ses services extérieurs à la vigilance 2, la dénonciation judiciaire d’un abus dans l’usage de ce mode de rupture semblait devoir rester virtuelle. Nous avions anticipé ce désert contentieux, résultat attendu d’une sécurisation obsessionnelle de la procédure 3. C’est le hasard d’une rencontre, joint à un soutien syndical particulièrement actif, qui ont conduit M. R. G. à déférer devant le Conseil des prud’hommes des Sables d’Olonne la convention qu’il avait signée, alors qu’il venait d’être jugé inapte à son poste après un accident du travail. Le salarié fonde principalement sa demande d’annulation de la convention sur le vice du consentement, et le litige se noue sur ce terrain. Statuant le 25 mai 2010 en formation de départage, avec tous les conseillers présents, le Conseil de prud’hommes des Sables d’Olonne juge la rupture abusive et l’annule tout en requalifiant la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse, et alloue des dommages-intérêts. Ce jugement doit être salué pour la clarté de ses motifs et la fermeté de son dispositif, même s’il nous semble qu’on peut aller plus loin dans la détermination de la portée de la fraude.

A

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L’IDÉE D’UNE ACTION

Tout commence par un jeu de Tarot. Un conseiller du salarié CFDT joue aux cartes avec ses partenaires habituels, et l’un d’eux, M. R. G., lui fait part d’une expérience personnelle pour le moins singulière. En octobre 2008, après dix ans d’ancienneté dans son entreprise, il est victime d’un accident du travail. Alors que le médecin du travail venait de le déclarer inapte, son employeur lui a proposé une rupture conventionnelle qui a mis fin à son contrat de travail. Le conseiller du salarié s’étonne. Il ne connaît pas bien le dispositif de la rupture conventionnelle, mais il lui semble pourtant qu’un accidenté du travail bénéficie de protections particulières interdisant à l’employeur de rompre le contrat. L’occasion se présente pour le conseiller d’en avoir le cœur net. En effet, le responsable de la commission juridique CFDT du département de Vendée organise des formations sur ce thème. Lors d’une de ces réunions, le joueur de Tarot rapporte les déboires de son partenaire accidenté du travail qui n’a bénéficié que d’une indemnisation misérable. « Impossible » dit l’animateur, qui décide de prendre rendez-vous en mars 2009 avec l’ex-salarié et de saisir son union départementale et le syndicat. Les uns et les autres comprennent l’enjeu de ce dossier pour la CFDT qui a soutenu la rupture conventionnelle, et veulent éviter que des pratiques frauduleuses viennent ternir la réputation d’une convention ●●●

1. Franck Lebeau, Directeur adjoint du Travail de l’Aquitaine : « Le contrôle administratif de la rupture conventionnelle négociée en Gironde en 2009 », DO, Juin 2010, p 316. 2. Instruction DGT n° 2 du 23 mars 2010, « relative à l’incidence d’un contexte économique difficile sur la rupture conventionnelle d’un contrat de travail à durée indéterminée ». 3. Évelyne Serverin, « Quels droits pour quel risque contentieux ? », RDT 2009, n° 4, p. 208-210.

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présentée comme « bonne pour le salarié ». Le syndicat décide d’intervenir dans la cause au nom des intérêts de la profession. Le service juridique confédéral appuie cette démarche et l’intègre dans le dispositif de la CNAS 4. Le 16 avril 2009, le salarié dépose une demande au Conseil des prud’hommes des Sables d’Olonne contre son ancien employeur, la SARL Tessier. À ce stade, on retiendra que c’est à l’attention vigilante d’un conseiller du salarié qui, à l’occasion d’une partie de Tarot, a su sélectionner les faits, que l’on doit l’initiative de cette action judiciaire. Jusqu’alors, M. R.G. n’était pas syndiqué : il se syndique. Il a repris sa carte en 2010. ●●●

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LA FORMATION D’UN LITIGE

Revenons aux circonstances dans lesquelles la rupture conventionnelle est intervenue. M. R. G. est victime d’un accident du travail le 5 avril 2007. Sans avoir repris le travail, il fait l’objet, le 29 septembre 2008, d’un premier avis d’inaptitude par le médecin du travail. En application de la législation du travail, le médecin fixe un deuxième examen le 14 octobre 2008. Entrere de l’ANI du temps, le 3 octobre 2008, une La CFDT, signatai intérêt à a , 08 20 rupture conventionnelle est sir ie nv ja 18 la de gnée entre les parties, avec fixae ns fe dé la r assure tion de la date de rupture au cidentés protection des ac 15 octobre 2008 et moyennant poser au une indemnisation de 4 300 eudu travail et à s’op règles s de t ros. Dans son second examen ec sp re nno e ur pt du 14 octobre 2008, le médecin ru la t en ss qui régi du travail confirme son avis le el conventionn d’inaptitude. Notons que le choix de la date du 14 octobre n’est pas innocent : après la déclaration d’inaptitude, la période de suspension du contrat de travail prend fin. L’employeur se trouve donc devant une alternative : soit il propose au salarié un autre emploi adapté à ses capacités (C. trav., art. L.1226-10) ; soit lorsqu’il est « dans l’impossibilité 4. La CNAS est une caisse d’assurance mise de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait en place par la CFDT connaître par écrit les motifs qui s’opposent au repour soutenir ses classement » (C. trav., art. L. 1226-12, al. 1). adhérents grévistes. Elle permet aussi le L’employeur ne peut rompre le contrat de travail financement des actions « que s’il justifie soit de son impossibilité de proposer juridiques et judiciaires engagées par ses un emploi dans les conditions prévues à l’article militants et ses organiL. 1226-10, soit du refus par le salarié de l’emploi sations dans le cadre proposé dans ces conditions » (C. trav., art. d’un fond tactique. L’accord des organiL. 1226-12, al. 2). Or en proposant la rupture sations intéressées et conventionnelle, l’employeur choisit une troidu service juridique confédéral permet alors sième voie. C’est une voie de traverse, dès lors le règlement des honoque le régime de l’accident du travail ne l’autorise raires d’avocats et des pas. Nous y reviendrons. frais de justice. 10

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La procédure de rupture conventionnelle se poursuit malgré cette origine douteuse. La direction du Travail est évidemment tenue dans l’ignorance de cette situation. Toutefois pour des motifs de non-respect de l’encadrement formel des ruptures conventionnelles, par courrier du 20 octobre 2008, le directeur départemental du Travail commence par refuser d’homologuer la convention. Les parties régularisent alors la convention. Elles fixent la date de rupture au 15 novembre 2008. C’est dans ces conditions que l’autorité administrative homologue la convention le 28 octobre 2008. « Informé de l’étendue de ses droits » par la commission juridique départementale de la CFDT, le salarié décide de s’engager dans une action prud’homale le 16 avril 2009. Il demande à titre principal l’annulation de la rupture conventionnelle, à la fois pour des motifs de procédure (les délais de rétractation n’ont pas été respectés), et de fond (vice du consentement). En conséquence, il demande que lui soit reconnu le bénéfice de la législation sur la protection des accidentés du travail, et que la rupture soit jugée constitutive d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec toutes les conséquences de droit : versement de préavis et congés payés, indemnité de licenciement doublée, et dommages-intérêts pour un montant de 40 000 € le tout assorti de l’exécution provisoire. De son côté, le syndicat intervenant expose que la CFDT, signataire de l’Ani du 18 janvier 2008, « a intérêt à assurer la défense de la protection des accidentés du travail et à s’opposer au non-respect des règles qui régissent la rupture conventionnelle ». Il demande que son intervention soit jugée recevable et bien-fondée, et que l’employeur soit condamné à 1 000 € de dommages-intérêts. La défense adoptée par la SARL Tessier se déploie dans deux directions : sur le droit de recours à la rupture conventionnelle, et sur la régularité de la procédure. Sur le premier point, l’employeur soutient que, la suspension du contrat de travail ayant pris fin avec la visite de reprise en date du 28 septembre 2008, le demandeur ne disposerait plus de la protection de l’article L.1226-9 du Code du travail. Cet article indique en effet qu’« au cours des périodes de suspension du contrat de travail, l’employeur ne peut rompre ce dernier que s’il justifie soit d’une faute grave de l’intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l’accident ou à la maladie ». Autrement dit, la protection serait limitée à la période de suspension du contrat de travail, et dès la reprise du travail, l’employeur retrouverait la liberté de conclure une rupture conventionnelle. Par ailleurs, l’employeur défend la régularité de la procédure, en considérant que le délai de rétractation a bien été respecté dès lors que le

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refus d’homologation a été suivi d’une seconde demande qui, elle-même, a été homologuée, qu’il n’y a aucun vice du consentement puisque le demandeur n’a pas mis à profit le délai de rétractation, et que, par ailleurs l’indemnité de rupture est supérieure à l’indemnité légale de licenciement.

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UNE CONDAMNATION POUR RUPTURE ABUSIVE

En départage, le conseil des prud’hommes entre en condamnation sur un terrain un peu différent de celui du demandeur : alors que M. R. G. demandait à ce que soit reconnu le vice de consentement, le conseil se place sur le terrain de la fraude pour conclure à l’abus de la rupture. Le conseil souligne préalablement que si la loi du 25 juin 2008 a suivi les préconisations de l’ANI, sur la mise en place d’une procédure strictement encadrée, c’était d’abord pour « garantir la liberté du consentement des parties » sans que « les dispositions du présent titre (rupture du contrat à durée indéterminée) [dérogent] aux dispositions légales assurant une protection particulière de certains salariés » (C. trav., art. L. 1231-2). Il ajoute que « la rupture conventionnelle ne peut avoir pour but de permettre à une partie de s’affranchir de ses obligations légales au détriment des droits de l’autre partie » ; le conseil rappelle ensuite les protections particulières dont bénéficient les accidentés du travail au visa des articles L. 122610 et L. 1226-14 et 15 du Code du travail, et notamment les obligations qui pèsent sur l’employeur, en termes de proposition de reclassement, de salaires et d’indemnisation. Sur le terrain des faits, le conseil retient les indices propres à démontrer l’intention frauduleuse de l’employeur. Ainsi, il relève que c’est le 28 septembre, jour du premier avis du médecin du travail, que s’est déroulé le premier et seul entretien précédant la rédaction de la convention, signée le 3 octobre suivant. De plus, il retient la déclaration de M. R. G. sur la pression exercée par l’employeur, qui lui laissait le choix entre « une démission et une rupture conventionnelle pour éviter le coût d’un licenciement ». Le conseil constate par ailleurs que l’administration du Travail n’a pas été avisée de la situation d’inaptitude et qu’elle a été « privée de la possibilité d’exercer pleinement son contrôle ». Tous ces faits démontrent que « l’employeur a utilisé la rupture conventionnelle alors qu’il avait pleinement connaissance de l’état de santé du salarié et ce, afin d’échapper à son obligation de reclassement et aux conséquences de l’inaptitude, notamment financières ». Le conseil en tire les conséquences de droit, en annulant la rupture conventionnelle, tout en énonçant que ladite rupture est abusive et doit produire les

effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Les conséquences indemnitaires sont lourdes pour la SARL Tessier. La rupture conventionnelle lui aurait coûté 4 300 € : elle devra régler les différentes indemnités légales et conventionnelles pour près de 15 000 € (avant déduction des 4 300 € déjà reçus), à quoi s’ajoute une indemnité de 20 894 € pour licenciement sans cause réelle et Ce qui est illicite dans cette sérieuse. Le résultat est consirupture conventio dérable pour le salarié, même nnelle, c’est le motif qui a gu si sa demande a été réduite de idé l’employeur : élud moitié en raison de son retour er le régime à l’emploi, et si l’exécution prolégal du salarié ac cidenté du visoire n’a pas été prononcée travail. En l’espèc e, cette par le tribunal. volonté fraudule Enfin, le conseil retient use était celle de l’employeur, qu l’intérêt à agir du syndicat i était Construction et Bois l’unique bénéficia ire de la CFDT 85, affilié à l’un des substitution signataires de l’Ani du 18 janvier 2008. Il précise « qu’en effet, les faits en cause portent indirectement préjudice à l’intérêt collectif de la profession en détournant la vocation première de la rupture conventionnelle », et alloue à ce titre 1 € de dommages-intérêts.

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UNE ANNULATION QUI RESTE À PRÉCISER

Nous ne pouvons qu’approuver le conseil de prud’hommes d’avoir tenu ferme la voie de la démonstration de la fraude, avec toutefois une réserve, qui nous conduira à émettre une suggestion. En effet, si le conseil a bien prononcé la nullité de la rupture conventionnelle jugée abusive, il en limite les conséquences en considérant qu’elle ne doit produire que les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Pour justifier cette solution, le conseil retient un argument un peu surprenant : partant du principe « pas de nullité sans texte », il retient que l’article L. 1226-13 ne prévoit la nullité du licenciement et la réintégration que lorsque la rupture est prononcée pendant la suspension du contrat de travail. Ce raisonnement est pour le moins contradictoire avec le prononcé de la nullité de la rupture. Dès lors que la rupture est annulée, il faut considérer que le contrat de travail est toujours en cours, ce qui entraîne les mêmes effets que ceux que le Code du travail prévoit en cas de nullité du licenciement : à savoir la réintégration de droit, le paiement des salaires, et les indemnités majorées si le salarié refuse de poursuivre son ●●● contrat 5.

5. C. trav., art. L. 1226-15 « Lorsqu’un licenciement est prononcé en méconnaissance des dispositions relatives à la réintégration du salarié déclaré apte, prévues à l’article L. 1226-8, le tribunal saisi peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Il en va de même en cas de licenciement prononcé en méconnaissance des dispositions relatives au reclassement du salarié déclaré inapte prévues aux articles L. 1226-10 à L. 1226-12. En cas de refus de réintégration par l’une ou l’autre des parties, le tribunal octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité ne peut être inférieure à douze mois de salaires. Elle se cumule avec l’indemnité compensatrice et, le cas échéant, l’indemnité spéciale de licenciement prévues à l’article L. 1226-14 […] »

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Mais on peut aller plus loin, en considé●●● rant que la nullité aurait bien un fondement textuel. En l’espèce on peut recourir aux textes qui régissent le droit commun des obligations. Cette application serait parfaitement dans l’esprit de la loi. Les promoteurs de la rupture conventionnelle n’ont-ils pas affirmé les mérites du contractualisme pour justifier ce troisième mode de rupture du contrat de travail ? 6 Et les textes qui régissent la rupture conventionnelle ne sont-ils pas tout imprégnés de la valeur du consentement libre et éclairé ? 7 Si l’on admet que la convention de rupture est bien un contrat, distinct à la fois du contrat de travail et de la transaction, et en l’absence de dispositions spéciales, il faut donner toute leur portée aux règles générales de validité du contrat. Reportons-nous donc au Code civil. Dans son article 1108, le code énumère « quatre conditions sont essentielles pour la validité d’une convention », à savoir « le consentement, la capacité, l’objet, et la cause licite dans l’obligation ». L’article 1131 du Code civil précise bien que « l’obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet » et l’article 1133 qui suit ajoute que « la cause est illicite, quand elle est prohibée par la loi, quand elle est contraire aux bonnes mœurs ou à l’ordre public ». Pour déterminer le régime de la cause illicite, on peut revenir à la distinction bien connue des civilistes entre cause illicite des obligations et cause illicite du contrat lui-même. Cette dernière se définit comme son « mobile déterminant », celui en l’absence duquel le contractant ne se serait pas engagé 8. Et lorsque ce mobile est illicite, le contrat est lui-même nul. Appliquée aux conventions de rupture, cette

distinction permet de disposer d’une double cause de nullité : – d’un côté, seront considérées comme illicites les obligations contraires aux dispositions légales, par exemple des clauses de non-concurrence sans contrepartie, ou des montants d’indemnité inférieurs aux barèmes légaux. C’est ce type de clauses illicites que contrôlent les services de la DDT, qui disposent pour y parer du pouvoir de refuser l’homologation ; 9 – d’un autre côté, la convention peut-être déclarée illicite comme contraire à l’ordre public, et sa nullité prononcée, si sa cause déterminante est la volonté de s’affranchir des règles légales. De notre avis, l’affaire traitée par le Conseil de prud’hommes des Sables d’Olonne entre dans l’hypothèse de la convention contraire à l’ordre public. Ce qui est illicite dans cette rupture conventionnelle, c’est le motif qui a guidé l’employeur : éluder le régime légal du salarié accidenté du travail. En l’espèce, cette volonté frauduleuse était celle de l’employeur seul, qui était l’unique bénéficiaire de la substitution. Mais la solution devrait rester la même si le salarié avait eu connaissance de l’illicéité, ou même s’il l’avait même provoquée. En effet, comme l’a rappelé tout récemment la chambre sociale de la Cour de cassation à propos de la transaction, la règle nemo auditur ne s’applique que si la nullité du contrat résulte d’un objet ou d’une cause immorale 10. On peut en conclure, par un retour paradoxal de l’histoire, que la morale contractuelle peut parfois venir affermir la morale sociale. n u

Conseil des prud’hommes des Sables d’Olonne, 25 mai 2010, RG. n° 09/00068

6. Sur l’argumentaire contractualiste, v. Olivier Pujolar « La rupture conventionnelle négociée », DO juin 2010, p. 307-315. 7. L’article L. 1237-11 y insiste : « La rupture conventionnelle, exclusive du licenciement ou de la démission, ne peut être imposée par l’une ou l’autre des parties. Elle résulte d’une convention signée par les parties au contrat. Elle est soumise aux dispositions de la présente section destinées à garantir la liberté du consentement des parties. » L’article L. 1237-14 évoque à nouveau la liberté du consentement, dans un alinéa visant à définir l’objet du contrôle de l’autorité administrative. 8. Cass. civ. 1, 12 juill. 1989, n° 88-11.443, Bull. 1989 I n° 293 p. 194. 9. Pour autant l’affirmation de la valeur du libre consentement du salarié est si prégnante que même des magistrats professionnels se laissent abuser. On peut le constater dans un arrêt de la Cour d’appel de Nancy, DDTEFP c /M. V et SARL SUPL, n° 09/00951, 4 févr. 2010, la DDTEFP a refusé la rupture conventionnelle d’un salarié alors que l’entreprise était en voie de fermeture en raison des difficultés économiques. Le conseil des prud’hommes retient la validité de la rupture. Sur appel de l’administration du Travail, la Cour confirme la solution, en retenant que « la rupture conventionnelle ayant été décidée par les deux parties et étant fondée sur un motif personnel du salarié » est valable. 10. Cass. soc., 10 nov. 2009, n° 08-43.805 et s., Bull. 2009, V, n° 251. Dans cette espèce, c’est l’employeur qui avait frauduleusement prononcé des licenciements pour motifs personnels alors que la cause réelle était économique. Il avait transigé ensuite avec les salariés, et à la suite de l’annulation des transactions, il avait réclamé le remboursement aux salariés. Ces derniers n’ont pu valablement opposer la règle nemo auditur à l’employeur, la nullité des transactions ne procédant pas d’une cause immorale.

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