Dans les allées du Green Apple Bookstore San Francisco, Octobre ...

Dans le quartier de Richmond, juste au dessus du Golden Gate Park, se trouve une librairie assez connue dans tout San Francisco, qui s'appelle le Green ...
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Dans les allées du Green Apple Bookstore



San Francisco, Octobre 2010

J’adore Barack Obama. J’ai suivi de près ses premières semaines post élection en tant que président des États-Unis lorsque j’habitais à Cambridge, Massachusetts, pendant l’été 2008. J’ai lu son livre Dreams from my Father avec délectation, et j’ai acheté une boîte de bonbons à la menthe à son effigie que j’utilise encore aujourd’hui, et sur laquelle on peut lire : « Yes, we can-dy ! ». A la fameuse question « Si tu pouvais choisir n’importe quelle personne connue, qui inviterais-tu à dîner ? », je réponds Barack Obama, sans hésiter. Je n’y peux rien, j’aime son charisme, sa personnalité, ce qu’il représente pour l’Amérique, son histoire personnelle, sa plume, sa femme sociologue, son style. Deux ans après le début de son mandat, je ne comprends pas l’Amérique. Elle est tombée en désamour de son président qu’elle aimait tant. Je suis en ce moment les élections de mi mandat, et je ne peux me poser qu’une seule question : où est passé l’engouement pour Obama ? En plein milieu des mid terms, je vois, le cœur lourd, des démocrates qui désavouent Barack Obama pour gagner les faveurs de leurs électeurs, des républicains qui s’en donnent à cœur joie de piétiner plus que de raison l’homme et ses politiques, ou encore des sondages qui montrent sa dégringolade dans l’opinion publique. C’est ce que les médias du monde entier appellent depuis plus d’un an déjà « la fin de l’état de grâce d’Obama ». Dans le quartier de Richmond, juste au dessus du Golden Gate Park, se trouve une librairie assez connue dans tout San Francisco, qui s’appelle le Green Apple Bookstore. C’est une librairie pour bobo, vieux hippies, jeunes hipsters et intellos avec du parquet épais qui craque comme si il allait céder sous vos pieds, une odeur rassurante de poussière et de vieux livres, des recoins et des couloirs tarabiscotés encombrés par des étagères bondées d’ouvrages qui s’étendent sur plusieurs étages pour former un labyrinthe merveilleux. Le temps s’arrête lorsque l’on passe le seuil de la porte, et on peut facilement passer des heures chez Green Apple. C’est un endroit totalement formidable qui vend des livres neufs, mais surtout une flopée de livres d’occasions. Dans la petite section « Politics », j’ai trouvé un livre qui, bien qu’il ne date que de 2008, a déjà le goût d’un autre âge. C’est un ouvrage d’Hendrik Hertzberg, un essayiste politique qui écrit pour le New Yorker, engagé en politique auprès des démocrates depuis sa prime jeunesse (il a participé à toutes les campagnes présidentielles démocrates depuis ses 21 ans) et ancien speechwriter de Jimmy Carter. Il avait anticipé la victoire de Barack Obama dès le début de la campagne présidentielle, et a écrit un livre qui relate de l’intérieur l’épopée incroyable que fut cette élection. Son livre s’appelle ¡ Obámanos ! The birth of a new political era. Bien que marqué comme étant un livre de seconde main, l’exemplaire que j’ai trouvé a une couverture lisse et immaculée, et n’a pas encore cette odeur caractéristique des vieux ouvrages. Il faut dire que sa publication date de moins de deux ans. Cependant, son contenu et la période qu’il décrit semble le faire appartenir à une époque plus lointaine encore que cette édition de 1974 d’un livre de Bob Woodward que j’ai déniché sur l’étagère du dessus et qui raconte l’affaire du Watergate. C’est parce que cette période d’espoir liée à Obama est si loin à présent. Et aussi que quelques jours auparavant, j’ai interviewé la fondatrice d’un Tea Party local pendant plus de deux heures et que son histoire de l’élection d’Obama est une toute autre version que celle d’Hertzberg. Pour elle, Obama était avant tout “l’homme qui a castré l’Amérique, et qui va la ruiner”.

Je me suis souvenue de ces mots de mon informatrice du Tea Party, de tous ces articles qui décrivent en ce moment la fin de l’engouement populaire pour Barack Obama, de l’échec annoncé du parti démocrate lors des mid terms et des leaders républicains dont le but est que Barack Obama ne soit “le président que d’un seul mandat”*.



Le Green Apple Bookstore, San Francisco. Illustration par Pauline Bé.



Juste après l’élection d’Obama, aux Etats-Unis comme en Europe, j’ai vu les politiciens et intellectuels libéraux se moquer des conservateurs américains, se réjouir de leur chute et de leur humiliation, comme s’il pouvait s’agir d’un ennemi si facile à abattre. Cependant, pour avoir passé l’été 2008 à décortiquer des centaines de sondages sur l’opinion publique américaine dans le cadre de mon stage en sociologie politique, je ne pensais certainement pas, déjà à l’époque, que l’Amérique était en train de devenir plus progressiste. J’en ai aujourd’hui le cœur net. Non, les républicains ne sont pas une espèce en voie de disparition et oui, il va falloir compter avec eux, et pas seulement dans leur pays. Il est important de les comprendre pour mieux se préparer à leur influence et au bras de fer qui va immanquablement s’opérer entre eux, les libéraux américains et certainement, le reste du monde.

Alors, assise par terre dans ce recoin du deuxième étage du Green Apple Bookstore, j’ai décidé d’acheter le livre d’Hertzberg parce que j’ai eu l’impression d’avoir trouvé un ouvrage historique, une pièce de collection qui rend compte d’un moment de grâce furtif de l’histoire contemporaine de

l’Amérique, qui parle de la nouvelle ère politique qu’Obama a fait naître et de républicains affaiblis dont on ne pensait pas qu’ils se relèveraient de si tôt. J’ai vu mon livre d’Hendrik Hertzberg comme une trouvaille de brocante, une vieille photographie aux couleurs passées et aux bords abîmés qui a su capturer le caractère exceptionnel d’un instant d’un autre âge qui s’évapora aussi vite qu’il était apparu.



-- * Mots prononcés publiquement par John Boehner, le Nouveau leader républicain de la Chambre des Représentants.

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Texte par Gabrielle Narcy. ©Toute reproduction interdite sans l'autorisation de l'auteur.