COUV 1_ICC104 Magazine.qxd - ICC-France

PME : l'enjeu de la conformité ...... adaptée pour toutes les PME soucieuses d'améliorer leur conformité aux règles de ..... matrice de matières premières.
2MB taille 5 téléchargements 446 vues
Internationaux

Magazine du Comité Français de la Chambre de Commerce Internationale

DOSSIER

Les grandes mutations à l’œuvre dans l’économie mondiale

Interview exclusive

Emmanuel MACRON N° 104 - Décembre 2015  ® DR

Ministre de l’Économie, de l'Industrie et du Numérique

« Aux chefs d'entreprise, je ne dirai qu'une chose : investissez ! »

Guide de l’OMD sur l’évaluation en douane et les prix de transfert

Les nouveaux objectifs du développement durable

Application extraterritoriale des lois nationales

ECHANGES INTERNATIONAUX

S O M M A I R E

Magazine du Comité Français de la Chambre de Commerce Internationale

L'économie mondiale évolue vers un nouveau modèle de croissance ……………………2

 Application extraterritoriale du droit américain : un enjeu pour les entreprises françaises …… 9 Mathias AUDIT, Professeur agrégé des Facultés de droit, Avocat associé, Steering

par Gérard WORMS, Président d’ICC France

INTERVIEW EXCLUSIVE D'EMMANUEL MACRON, Ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique «Aux chefs d'entreprise, je ne dirai qu'une chose : investissez !» ………………………………… 3

 Valeur en douane et prix de transfert : l’OMD intègre les propositions de l’ICC …… 10 Vanessa SAINT-BLANQUAT, Directrice de mission pour les Affaires fiscales européennes et internationales au Medef, et Catherine CASSIÈRE, Directrice fiscale internationale de Alstom Power

AUTORÉGULATION POLITIQUE GÉNÉRALE  B20 d'Ankara : 19 recommandations pour stimuler la croissance et l'emploi. …… 7

 PME : l'enjeu de la conformité Concurrence ……………………………………………… 11 Anne-Sophie BODIN, Directeur juridique Droit Européen et de la Concurrence du groupe Areva

Jeff HARDY, Directeur, ICC G20 Business Advisory Council

RÉSOLUTION DES LITIGES  ODD 2030 : 17 défis et autant d'opportunités pour les entreprises …………………………………… 8

 Désignation d’arbitres : les bonnes pratiques ……………………………… 12 Laurent JAEGER, Avocat associé, Orrick Rambaud Martel

©DR

Louise KANTROW, Représentante permanente de la Chambre de commerce internationale à l'ONU

Décembre 2015 - N°104

DOSSIER : LES GRANDES MUTATIONS À L’ŒUVRE DANS L’ÉCONOMIE MONDIALE  Présentation du dossier

Éditeur : Comité Français de la Chambre de Commerce Internationale 9 rue d’Anjou - 75008 Paris Tél : 01 42 65 12 66 Fax : 01 49 24 06 39 www.icc-france.fr Directeur de la publication : Gérard WORMS Rédacteur en chef : François GEORGES

…………………………………

13

François GEORGES, Délégué général d'ICC France

Compte-rendu d’une conférence de Pascal LAMY, ancien Directeur Général de l’OMC

 « Il n'y aura pas de nouveau cycle de

croissance tant que nous n'aurons pas débarrassé l'économie des entreprises non compétitives » …………………………………………… 14 Hans-Werner SINN, Professeur d'économie et de finances publiques à l'Université de Munich, président de l'IFO, l'institut de conjoncture de Munich

 «Nous allons vers un modèle où les

différentes régions du monde seront moins interdépendantes» ……………………………… 15

Conseillère éditoriale : Marie-Paule VIRARD

Patrick ARTUS, Chief economist de Natixis et Professeur à l'Université Paris I-Panthéon-Sorbonne

Régie publicitaire : Editions OPAS 41, rue Saint-Sébastien - 75011 Paris Tél. : 01 49 29 11 00 Fax : 01 49 29 11 46

……………………………………………………………

 Le numérique révolutionne les Business

Models et les modes de vie

………………………

21

Compte-rendu de l’intervention de Maurice LEVY, Président du Directoire de Publicis Groupe à l’AG 2015 d’ICC France

 «Les entreprises doivent penser

et agir avec frugalité, c'est-à-dire créer davantage de valeur en consommant moins de ressources» ……………………………………… 22 Navi RADJOU, Conseiller en Innovation & Leadership, Co-auteur de «L'Innovation frugale, comment faire mieux avec moins»

 Afrique : des besoins énormes

 Réchauffement : qu'attendons-nous

pour agir ?

 Commerce mondial : un nouveau monde placé sous le signe de la précaution …… 19

17

Jacques LESOURNE, Économiste, Président du Comité de direction de FutuRIS

et des ressources encore insuffisamment exploitées ………………………………………………………………… 24 Albert YUMA-MULIMBI, Président de la CPCCAF, Président de la Fédération des Entreprises du Congo

Éditeur conseil : Jean-Pierre KALFON

POINTS DE VUE Directeur commercial : David ADAM Dépôt légal 92892 Imprimeur : PrintCorp

 L'Unifab a déclaré la guerre à la contrefaçon …………………………………………………… 26

 Les nouvelles règles du jeu douanier en Europe ………………………………………………………………… 30

Delphine SARFATI-SOBREIRA, Directrice générale de l’Union des Fabricants (Unifab)

Raphaël BARAZZA, Avocat au barreau de Paris, Membre de la Commission Douanes d'ICC France

 V.I.E : la solution RH pour le développement export des PME …………………………………………………… 27

 Retour sur trois années d’application du Règlement d’arbitrage de la CCI ………………… 31

Michel OLDENBURG, Directeur du V.I.E. de Business France

ÉCHANGES INTERNATIONAUX EST LE SEUL MAGAZINE D’INFORMATION D’ICC FRANCE, COMITÉ NATIONAL FRANÇAIS DE LA CHAMBRE DE COMMERCE INTERNATIONALE

ÉVÉNEMENTS

 Un atout pour l'Europe industrielle : le brevet unitaire et la juridiction unifiée …………………… 28 Alice PEZARD, Avocat et Conseiller honoraire à la Cour de Cassation

Christine LECUYER-THIEFFRY, Associée co-fondatrice de Thieffry et Associés et Avocate au barreau de Paris

FORMATIONS ET SÉMINAIRES  Programme 2016 d’ICC France ……………………… 32

1

sur

et

ÉDITORIAL

L'économie mondiale évolue vers un nouveau modèle de croissance Comme c’est, j’en suis sûr, le cas de nos lecteurs, nos pensées vont d’abord à toutes les victimes des attentats tragiques du 13 novembre. Parmi elles, la jeunesse a payé un tribut particulièrement lourd, cette jeunesse dont certains commentateurs ont osé dire qu’elle était insouciante, sous prétexte qu’elle aime à s’attabler à la terrasse d’un café ou aller au concert. En vérité, cette génération, loin d’être insouciante, cherche quasi désespérément à concilier ce goût de vivre et ses angoisses pour l’avenir. C’est justement sur cet avenir, au moins en matière économique, que nous avons voulu nous pencher dans le dossier central de la présente livraison. Il s’agit de scruter du mieux possible les changements structurels les plus marquants qui vont affecter l’économie mondiale, de la révolution digitale si bien décrite par Maurice Lévy lors de notre Assemblée Générale à la transformation de l’Afrique, en passant par le second «rapport Stern», résumé par Jacques Lesourne, sur les conséquences macro-économiques du changement climatique, sans oublier bien sûr la mutation à l’œuvre dans les négociations commerciales internationales, que nul mieux que Pascal Lamy ne pouvait commenter. Et c’est le ministre Emmanuel Macron qui a bien voulu intervenir pour nous donner sa vision des grandes mutations économiques. Nous lui sommes vivement reconnaissants d’avoir accepté de répondre à nos questions. La Chambre de Commerce Internationale a connu par ailleurs un quadrimestre de rentrée particulièrement actif : cela a été le cas pour le B20 et le G20 tenus en Turquie, notre premier vice-président, Sunil Mittal, et Marcus Wallenberg, président de notre G20 Advisory Council, ayant tenu les premiers rôles à Antalya, face aux chefs d’État et de gouvernement. Cela a été vrai aussi aux Nations- Unies, lors de l’adoption des nouveaux objectifs du développement durable faisant suite à ceux du Millénaire, objectifs dans la mise au point desquels l’ICC s'est fortement impliquée. S’agissant de notre métier central, la régulation du commerce international, nos Comités s’activent à travers le monde pour hâter la ratification du «Trade Facilitation Agreement», dont l’OMC vient de redire que, comme nous l’avions annoncé nous-mêmes pendant sa négociation, il pourrait, une fois pleinement mis en place, entraîner un accroissement des échanges internationaux – qui en ont bien besoin – vu leur bas niveau actuel de 1 000 milliards de dollars par an. L’Union Européenne figure parmi les premiers acteurs ayant ratifié cet Accord, mais il faut arriver à 108, dans un avenir que nous espérons proche, pour qu’il entre en vigueur. Je mentionnerai enfin l’envoi à tous les membres d’ICC France d’une liste de 7 recommandations majeures pour lutter contre le réchauffement climatique, liste qui a été approuvée à l’unanimité par notre Conseil d’administration. Au-delà de la COP21, nous estimons en effet que la codification des bonnes pratiques et la supervision de leur application la plus large possible sont inscrites dans l’ADN de l’ICC, comme le montre ce que nous faisons déjà pour les Incoterms, le Trade Finance, la lutte anti-corruption ou l’usage de la publicité par exemple. Nous suivrons donc la façon dont nos recommandations seront mises en œuvre avec une attention toute particulière. Je terminerai ce « mot du Président » en vous exprimant à tous, chers lecteurs, en ces temps d’attentats, d’incertitudes mais aussi d’innovations porteuses d’avenir, mes vœux, les vœux très chaleureux d’ICC France, pour vous, les vôtres et vos entreprises.

Gérard WORMS Président d’ICC France Président d’honneur de la Chambre de Commerce Internationale 2

INTERVIEW EXCLUSIVE INTERVIEW EXCLUSIVE D'EMMANUEL MACRON, MINISTRE DE L'ECONOMIE, DE L'INDUSTRIE ET DU NUMÉRIQUE

« Aux chefs d'entreprise, je ne dirai qu'une chose : investissez ! »

©DR

Au moment où la croissance de l'économie mondiale semble entrer dans une nouvelle phase, Emmanuel Macron, ministre de l’Économie, de l'Industrie et du Numérique, réaffirme sa foi dans la capacité de la France à améliorer son potentiel de croissance et exhorte les acteurs économiques à prendre des risques, à mener la bataille de l'innovation et à investir.

3

INTERVIEW EXCLUSIVE INTERVIEW EXCLUSIVE D'EMMANUEL MACRON, MINISTRE DE L'ECONOMIE, DE L'INDUSTRIE ET DU NUMÉRIQUE changes Internationaux. Quelle est votre analyse du ralentissement de la croissance mondiale : est-il conjoncturel ou structurel ? Emmanuel Macron. A court terme, les évolutions de la croissance mondiale sont extrêmement erratiques. Ainsi, si le FMI prévoit un ralentissement de la croissance mondiale en 2015, il table aussi sur une reprise en 2016. Difficile d’en tirer des conclusions hâtives et générales.

E

Il faut donc étudier le temps long. Au cours des vingt dernières années, le niveau de la croissance mondiale a été exceptionnellement élevé : l’entrée des pays communistes dans l’économie de marché, les potentiels immenses de rattrapage de certaines économies, notamment asiatiques, ainsi que l’essor des TIC ont permis un éclatement inédit des chaînes de valeur ajoutée. Aujourd’hui, un « atterrissage » paraît naturel. Selon l’OCDE, la croissance mondiale devrait s’établir en moyenne à 3 % l'an entre 2010 et 2060. C’est moins qu’entre 2001 et 2010 (3,5 %), mais cela signifie tout de même que le PIB mondial sera multiplié par 4 en cinquante ans !

©DR

Par ailleurs, il faut distinguer selon les régions, même à court terme. La croissance dans les pays développés ne ralentit pas, elle accélère ! C’est



le cas aux États-Unis, où le FMI prévoit une croissance de 2,6 % en 2015, contre 2,4 % en 2014. C’est aussi le cas en zone euro, où la reprise est bien installée : 1,5 % prévu en 2015 contre 0,9 % en 2014. En revanche, la croissance ralentit dans les pays émergents : elle passe de 4,6 % en 2014 à 4 % en 2015. Pour un certain nombre de ces pays, il y a évidemment des facteurs conjoncturels, comme la baisse des prix des matières premières. Mais il y a aussi, et c’est le cas de la Chine, un ralentissement plus structurel. Nous savions depuis des années que des taux de croissance supérieurs à 10 % n’étaient pas soutenables et que son rattrapage deviendrait plus lent, comme pour tous les pays qui se rapprochent de la frontière technologique. Il est donc paradoxal de s’être inquiété hier de la croissance exceptionnellement élevée de la Chine et de s’inquiéter aujourd’hui de son ralentissement. Le modèle de croissance de ce pays se transforme. Il est de moins en moins fondé sur l’investissement et l’industrie et de plus en plus sur la consommation et les services. Les autorités chinoises le savent : elles doivent continuer à adapter leurs politiques et leurs régulations pour accompagner ce tournant structurel. A quel rythme, selon quelles modalités, avec quelles priorités ? Voilà les questions décisives qu’il leur faudra trancher. E.I. Et s’agissant du ralentissement du commerce mondial ? E.M. On peut faire la même analyse ! Le ralentissement des échanges internationaux est à la fois conjoncturel et structurel. Certes, il y a eu une chute très forte pendant la crise financière. Mais sept ans plus tard,

Bio Express. Emmanuel Macron. « Le libéralisme est une valeur de gauche ». Ministre de l’Économie, de l'Industrie et du Numérique depuis le 26 août 2014, Emmanuel Macron, 37 ans (38, le 21 décembre prochain), est celui qui, au sein du gouvernement Valls, n'hésite pas à parler de tous les sujets et à bousculer les tabous qu'il s'agisse de parler des « valeurs » de la gauche, du temps de travail ou du statut des fonctionnaires. Atypique -il a débuté sa carrière comme banquier d'affaires à la Banque Rothschild et Cie avant d'en devenir associégérant de 2011 à 2012-, celui qui fut pendant deux ans l'inspirateur de la politique économique de François Hollande à l’Élysée, rêve d'incarner une gauche qui saurait réconcilier responsabilité et solidarité, égalité et liberté.

4

ils n’ont pas retrouvé leur tendance d’avant-crise. Alors que la croissance du commerce mondial était deux fois plus élevée que celle du PIB avant 2008, elle peine aujourd'hui à la dépasser. Avons-nous basculé dans un nouveau régime ? Regardons encore du côté de la Chine : son intégration au commerce mondial a été l’un des moteurs de la croissance des échanges. Mais elle est désormais pleinement intégrée ! De même, la fragmentation du processus de production en un grand nombre de tâches effectuées dans des pays différents a joué un rôle majeur dans l'accélération du commerce mondial au cours des années 1990 et 2000. Or, on observe un ralentissement de la dynamique liée au fractionnement des chaînes de valeur mondiales. Les spécialistes d e s p ro ce ss u s d e p ro d u c t i o n considèrent qu’ils vont davantage se fonder sur des réseaux régionaux de production ou même se relocaliser. Bref, le fait que la croissance des échanges commerciaux dépasse durablement celle du revenu mondial n’a jamais rien eu de naturel. Ce que l’on constate aujourd’hui ne signifie pas donc pas la fin de la mondialisation, le retour au statu quo ante, bien au contraire. Mais nous entrons dans une phase nouvelle. E.I. Un débat se développe des deux côtés de l'Atlantique autour du thème de la « stagnation séculaire ». N'est-ce pas paradoxal au moment où la révolution numérique nourrit une grande vague d'innovations ? E.M. Le débat est vif et il n’est pas tranché. Il y a deux interprétations possibles. Certains économistes estiment que la « stagnation séculaire » se trouve du côté de l’offre avec un ralentissement durable du progrès technique. D'autres expliquent cette faible croissance par un phénomène de demande, à travers une baisse prolongée de la consommation et de l’investissement. E.I. Que pensez-vous de ces deux interprétations ? E.M. La première met en évidence un paradoxe : le déferlement de technologies disruptives ne produit pas une hausse significative des gains de

INTERVIEW EXCLUSIVE

©DR

INTERVIEW EXCLUSIVE D'EMMANUEL MACRON, MINISTRE DE L'ECONOMIE, DE L'INDUSTRIE ET DU NUMÉRIQUE

je n’ai aucun doute sur la capacité de la France à améliorer ses gains de productivité et son potentiel de croissance. Nous avons encore du travail à faire et des opportunités à saisir pour rattraper les meilleurs élèves de la classe en la matière.

productivité. Pourtant, l’attente est là : ces innovations sont valorisées à des niveaux record sur les marchés boursiers. De vraies ruptures technologiques sont à l’œuvre. La révolution numérique transforme en profondeur notre quotidien en apportant de nouveaux biens, de nouveaux services et de nouveaux usages. La portée du

modèle qui émerge est d’ailleurs si large et si diffuse qu’elle prend de cours les statistiques, qui ne parviennent pas toujours à l’intégrer dans le calcul du PIB : Blablacar, par exemple, qui permet une utilisation plus efficace et plus économe de la voiture, ne voit pratiquement pas son activité comptabilisée dans le PIB. Cela prouve que des gains de productivité sont là, mais que nous ne parvenons pas toujours à les mesurer. Par ailleurs, si les nouvelles technologies sont synonymes de potentiel, c’est à nous de les transformer en opportunités économiques réelles. Depuis quinze ans, c’est moins le progrès technique qui a ralenti que sa vitesse de diffusion. Il faut donc lever toutes les barrières qui la freinent. Avec la seconde interprétation, je partage l’idée que les crises financières

laissent des traces persistantes. Le risque de déflation en est un. Il a bien été identifié par la BCE qui n’a pas hésité, avec son programme de Quantitative Easing, à bousculer l’orthodoxie monétaire. Mais la BCE ne peut pas tout et la reprise qui s’amorce en zone euro doit être amplifiée grâce, notamment, à l’investissement. C'est l’investissement qui nous permettra de répondre au risque de la stagnation séculaire sur les deux tableaux : celui de la demande à court terme et celui de la productivité sur le long terme. C’est pourquoi la France a activement soutenu le plan Juncker et s’est engagée à mobiliser 8 milliards d’euros de co-financements. Au-delà du débat académique, je n’ai aucun doute sur la capacité de la France à améliorer ses gains de productivité et son potentiel de croissance. 5

INTERVIEW EXCLUSIVE INTERVIEW EXCLUSIVE D'EMMANUEL MACRON, MINISTRE DE L'ECONOMIE, DE L'INDUSTRIE ET DU NUMÉRIQUE

je suis favorable à la création d’un budget de la zone euro qui permettrait de stabiliser les aléas du cycle économique et de financer des investissements favorisant nos nouveaux modèles de croissance.

Nous avons encore du travail à faire et des opportunités à saisir pour rattraper les meilleurs élèves de la classe en la matière. E.I. Quelles mesures faut-il mettre en œuvre afin de réduire l'insécurité économique, rendre nos modèles plus résilients et imaginer de nouveaux relais de croissance durable ? E.M. Nous devons mieux assumer les interdépendances entre nos économies et en tirer toutes les conséquences. Cela commence en zone euro. Nous avons déjà beaucoup fait pour la rendre plus résiliente aux chocs. N o u s a vo n s m i s e n p l a ce u n Mécanisme Européen de Stabilité, afin d’aider les pays en proie aux crises financières. Nous avons également instauré une Union Bancaire pour rompre le cercle vicieux entre risques souverain et bancaire. Ce sont là des progrès significatifs, mais nous devons être plus ambitieux. L’union bancaire n’est pas encore totalement achevée et nous pouvons aller plus loin avec une garantie commune des dépôts. Par ailleurs, pour accélérer la convergence des économies européennes, je suis favorable à la création d’un budget de la zone euro qui permettrait de stabiliser les aléas du cycle économique et de financer des investissements favorisant nos nouveaux modèles de croissance. E.I. La plupart des grands pays ont entrepris de faire baisser leurs monnaies, rallumant les craintes d'un retour en force du chacun pour soi dans un contexte de croissance globale modeste. E.M. Ce n’est pas le cas pour l’euro. Il faut rappeler que son existence même vise à éviter une guerre des monnaies entre pays européens. Par 6

ailleurs, s’il est vrai que l’euro s’est déprécié cette année, c’est parce qu’il était largement surévalué. Au niveau mondial, et dans le contexte de très faible inflation dont nous avons parlé, les politiques monétaires expansionnistes permettent d’abord de soutenir le crédit et l’investissement. Toutefois, il est vrai que certains sont tentés d’utiliser la politique monétaire pour regagner en compétitivité aux dépens des autres. C’est cela que nous devons surveiller de très près. E.I. Quelles initiatives faut-il prendre rapidement pour replacer l'économie française dans la bagarre de la compétitivité au niveau mondial ? E.M. Avec le CICE et le Pacte de responsabilité, la France a déjà rétabli les conditions de sa compétitivitéprix. Le mouvement d'amaigrissement des marges que les entreprises ont subi depuis 2007 a ainsi été inversé depuis le 2ème trimestre 2014. C’était une première étape nécessaire. Maintenant, nous devons poursuivre la bataille pour la compétitivité hors coût, en particulier dans l’industrie : c’est le sens, notamment, de la sanctuarisation du CIR ou de la deuxième phase de la Nouvelle France Industrielle. Il faut également poursuivre le travail de simplification des procédures entamé dès le début du quinquennat de François Hollande. Il faut aussi accélérer la modernisation de notre marché du travail, pour le rendre plus souple, plus agile et pour donner une place plus grande au dialogue social. Il faut enfin lever les verrous réglementaires qui brident les créations d’emplois et entravent l’activité : c’est le sens de la loi pour l’activité et la croissance que je mets en œuvre. C’est l’un des objectifs de ma stratégie pour les nouvelles opportunités économiques. E.I. Dans cette optique, qu'attendez-vous des acteurs de l'économie en général, et des chefs d'entreprise en particulier, comme actions susceptibles de favoriser la création de richesses et d'emplois ? E.M. J’attends des acteurs économiques qu’ils prennent des risques, qu’ils osent et se battent pour innover. Aux chefs d’entreprise, je ne dirai qu’une chose : investissez ! Et pour ce

faire, utilisez tous les mécanismes possibles. Je pense par exemple au dispositif de sur-amortissement qui permet d’amortir 140 % du montant des investissements productifs. Les dispositifs sont là et la conjoncture est plus favorable : il faut y aller ! E.I. Quelles sont les initiatives que la Chambre de Commerce Internationale devrait prendre pour favoriser une conclusion rapide des négociations relatives au Traité-Transatlantique et mener à son terme le cycle de négociations multilatérales de Doha ? E.M. Le commerce international est un moteur de la reprise. Nos exportations accélèrent. Elles enregistrent déjà un acquis de croissance de 5,8% pour cette année. Nous devons donc éviter les tentations protectionnistes. Les négociations commerciales en cours doivent permettre une ouverture concrète et réciproque des marchés. Dans la nouvelle donne de la mondialisation, ceci ne passe plus seulement par la baisse des droits de douane, mais également par une ouverture plus grande des marchés publics, la levée de barrières nontarifaires, ainsi que par des efforts de convergence réglementaire. Il ne s’agit pas d’un nivellement par le bas, mais au contraire d’un mouvement de convergence vers le haut, au bénéfice des consommateurs. Ce sont les enjeux essentiels des négociations en cours du TTIP. C’est pourquoi nous ne devons pas nous précipiter : il faut parvenir à un accord ambitieux et équilibré. La France est en première ligne pour défendre une position exigeante.

J’attends des acteurs économiques qu’ils prennent des risques, qu’ils osent et se battent pour innover. Aux chefs d’entreprise, je ne dirai qu’une chose : investissez !

POLITIQUE GÉNÉRALE

B20 d'Ankara : 19 recommandations pour stimuler la croissance et l'emploi

©DR

Jeff HARDY, directeur, ICC G20 Business Advisory Council

Plus de 1 400 dirigeants et CEOs en provenance de 65 pays ainsi que les ministres des Finances du G20 se sont retrouvés en septembre à Ankara pour la Conférence 2015 du B20. Le communiqué final de la réunion des chefs d'Etat et de gouvernement du G20 d'Antalya, les 15 et 16 novembre derniers, fait largement écho à leurs recommandations.

our la sixième année consécutive, les dirigeants et CEO membres de la Chambre de commerce internationale ont apporté -lors de la réunion de septembre à Ankara- leur contribution active à la formulation des recommandations du B20 destinées au G20 qui s'est tenu en novembre à Antalya, au sud de la Turquie. Pendant trois jours, Terry McGraw, le président de la Chambre de commerce internationale, a fait entendre la voix et porté les propositions de la Chambre de commerce internationale, à la tête d'une délégation de dirigeants de l'ICC G20 Advisory Group composée notamment de Marcus Wallenberg, président de SEB et de l'ICC G20 Advisory Group, et de John Danilovich, secrétaire général d'ICC. Cette année, les membres du B20 ont insisté particulièrement sur la nécessité de renouer avec une croissance robuste grâce à une action collective inspirée des trois « I » mis en avant par la présidence turque du G20 : intégration, mise en œuvre (en anglais, implementation) et investissement. Pour mettre de l'ordre dans ses propositions, le B20 d'Ankara, présidé par Rifat Hisarcikhoglu, s'est organisé en six groupes de travail : échanges, infrastructures et investissement, financement de la croissance, emploi, lutte anti-corruption et PME et entrepreneuriat. Chaque groupe a identifié un certain nombre d'obstacles à la croissance et à l'emploi et préparé une série de recommandations qui, dès lors qu'elles seraient mises en œuvre, permettraient de stimuler l'activité

P

économique et de créer des emplois au sein des pays du G20 et au-delà. Au total, le B20 a défini 19 recommandations et chargé le président turc Erdogan de les transmettre aux leaders du G20 réunis à Antalya en novembre 2015 : - 4 actions destinées à achever la mise en œuvre des politiques concertées dans le domaine des échanges, de la régulation financière globale, de la fiscalité et de la lutte anti-corruption ; - 4 actions destinées à se donner les moyens de corriger les déséquilibres macro-économiques, notamment en améliorant l'écosystème de l'investissement international ; - 6 actions destinées à favoriser l'intégration économique et sociale, notamment à travers une réforme des marchés du travail, l'augmentation de l'emploi des jeunes et du taux de participation, sans oublier une série d'actions destinées à favoriser le développement des PME ; - 5 actions destinées à faciliter la concurrence, notamment en favorisant le développement du digital dans le cadre des procédures douanières et en digitalisant la gestion des systèmes d'approvisionnement. Lors de la conférence, les participants ont particulièrement insisté cette année sur la nécessité de faciliter le développement international des PME qui emploient plus de deux tiers des salariés du secteur privé et sont à l'origine de plus de 80 % des créations d'emplois. C'est la raison pour laquelle le B20 a milité pour la création du

World SME Forum (WSF) en association avec l'Union des chambres de commerce de Turquie. Une initiative officiellement saluée par les ministres des Finances du G20 et par l'Association des banquiers centraux. La question de l'amélioration de la coopération internationale a également fait partie des sujets de fond abordés lors du B20 turc où fut créé le B20 International Business Advisory Council (IBAC), une instance présidée par Muthar Kent, CEO et président de Coca-Cola et composée de CEOs et de présidents d'association issus des pays du G20. Sa mission : améliorer le dialogue entre le monde des affaires et les gouvernements autour des décisions susceptibles de répondre concrètement aux attentes des entreprises. L'ICC se réjouit que, dans son communiqué final, le G20 d'Antalya (15 et 16 novembre) soutienne les recommandations du B20 en faveur du développement du commerce mondial, de l'investissement international et de la création d'emplois pour tous, attire l'attention sur les risques qui pèsent sur la propriété intellectuelle et approuve la création du World SME Forum.

7

POLITIQUE GÉNÉRALE

ODD 2030 : 17 défis et autant d'opportunités pour les entreprises

(1)

©DR

Louise KANTROW, Représentante permanente de la Chambre de commerce internationale à l'ONU

Réunis à New-York en septembre dernier, les 193 pays membres de l'ONU se sont donnés une nouvelle feuille de route en matière de développement. L'agenda 2030 et ses 17 Objectifs de développement durable (ODD) ont vocation à donner un nouvel élan aux Objectifs du millénaire et placent les entreprises au cœur du dispositif.

n septembre dernier, les 193 p a y s m e m b re s ré u n i s à New-York pour l'assemblée générale des Nations-Unies ont donné le coup de d'envoi d'un agenda ambitieux à l'horizon 2030. Il s'agit de 17 Objectifs de développement durable (ODD) qui doivent permettre à l'ensemble des acteurs de la communauté internationale (gouvernements, secteur privé et société civile) de prolonger les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) définis en 2000 et d'atteindre ceux qui sont encore en suspend.

E

Une nouvelle approche. Désormais, la pauvreté affecte essentiellement les pays à revenus moyens. Bien qu'encore pertinente, l'Aide publique au développement (APD) n'est plus suffisante pour stimuler la croissance. La révolution technologique a certes rendu le monde plus petit, mais cette convergence a aussi révélé le fossé creusé en matière d'inégalités aussi bien entre les pays qu'à l'intérieur de chaque pays, inégalités qu'il est impossible d'ignorer plus longtemps. Nous sommes entrés dans une nouvelle ère marquée par la compétition pour la terre, l'eau, l'alimentation et l'énergie. Les conséquences du changement climatique sont énormes. C'est pourquoi les défis dans la définition et la mise en œuvre de l'Agenda 2030 pour le développement durable sont aujourd'hui sensiblement différents de ceux relevés en 2000 : il est, en particulier, essentiel que l'ensemble des acteurs travaillent ensemble et prennent appui sur leur complémentarité.

Le rôle éminent des entreprises. L'Agenda pour le développement durable met l'accent sur le rôle du business comme élément clé de son succès. Chacun reconnaît désormais le rôle fondamental de la croissance économique, des échanges, de l'investissement, de l'entrepreneuriat, de l'innovation et de la création d'emplois durables dans le succès d'un projet global de ce type. En moyenne, les entreprises représentent 60 % du PIB, 80% des flux de capitaux et 90 % des emplois dans les pays en développement. Le succès de l'Agenda 2030 pour le développement durable dans l'ensemble des pays, quel que soit leur stade de développement, est donc étroitement lié au fait que les entreprises de toutes tailles puissent grandir et se développer dans

des conditions à la fois responsables et durables afin de créer les conditions de vie et de travail décentes, et d'imaginer et de développer les nouvelles solutions susceptibles de relever les défis auxquels la communauté internationale est confrontée. La Chambre de commerce internationale, qui a coordonné les contributions des entreprises au cours des deux années de négociation, se félicite que l'ONU ait mis sur les rails cet agenda du développement. Il ouvre la voie de nouveaux partenariats entre les gouvernements, le secteur privé et la société civile. Les entreprises sont résolues à contribuer pleinement à leur succès, que ce soit en termes de ressources, d'expertise ou d'innovation technologique.



Des Objectifs de développement durable en phase avec les entreprises. Les Objectifs de développement durable (ODD) font écho aux préoccupations des entreprises. 1. Ils sont opérationnels car ils sont « smart » comme disent les anglosaxons, c'est-à-dire à la fois spécifiques, mesurables, réalisables, pertinents et limités dans le temps. 2. Ils sont universels et proposent une vision globale pour éradiquer la pauvreté avec une approche intégrée : inclusion sociale, émancipation économique et gestion de l'environnement. 3. Ils prennent acte de la « finitude » de la planète avec le souci d'une gestion efficace des ressources et d'une réduction des impacts environnementaux négatifs, à commencer par le réchauffement climatique. 4. Ils s'appuient sur la qualité de la gouvernance, la lutte contre la corruption et l'économie souterraine. 5. Ils viennent en soutien des institutions afin de protéger et de promouvoir les droits de l'homme et la diversité dans toutes ses composantes. 6. Ils proposent une feuille de route opérationnelle qui s'appuie sur les partenariats et reconnaît le rôle du secteur privé à tous les niveaux, global, national, régional et local. 7. Ils privilégient la relation de confiance indispensable entre les acteurs à travers un dialogue sincère et transparent afin d'examiner les différences et de rapprocher les points de vue.

1. Cet article fait partie d'une série de contributions destinées à être publiées dans un numéro de l'OECD Development Co-operation Report 2016 consacré au rôle du business dans la mise en œuvre des objectifs de développement durable (à paraître à la mi-2016).

8

POLITIQUE GÉNÉRALE

Application extraterritoriale du droit américain : un enjeu pour les entreprises françaises Mathias AUDIT, Professeur agrégé des Facultés de droit, Avocat associé, Steering

©DR

Les entreprises françaises font régulièrement l'objet de poursuites initiées par les autorités des États-Unis pour des faits intervenus en dehors du territoire américain. Une proposition de règlement a été rédigée à Bruxelles afin de mieux protéger les firmes européennes contre un tel risque, mais son adoption se fait toujours attendre.

n certain nombre de textes de droit américain présentent une extraterritorialité très marquée, et les entreprises françaises prennent progressivement conscience de leur incidence possible sur leurs activités dans le monde. Ces textes de droit américain sont à la fois nombreux et de nature assez diverse. C’est le cas notamment des mesures d’embargo ou de gels d’avoirs adoptés par le gouvernement américain à l’encontre d’États étrangers. C'est le cas aussi de textes comme le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA), en matière de corruption d’agents publics étrangers, ou le Racketeer Influenced and Corrupt Organizations Act (RICO) qui vise notamment les opérations de blanchiment. Sans oublier, en dehors de la sphère pénale, le Dodd-Frank Act (marché financier) ou le droit antitrust. Aujourd’hui, ces textes sont susceptibles de fonder des poursuites civiles, mais aussi pénales, aux États-Unis pour des faits ne présentant que des liens très ténus avec le territoire américain. Non seulement une cotation boursière outre-Atlantique ou des liens capitalistiques avec une société américaine peuvent permettre de justifier la compétence des autorités américaines, mais aussi bien l’existence d’un virement sur un compte bancaire, ou même l’échange d’emails avec un correspondant local. Plus encore, l’utilisation du dollar dans une transaction est considérée comme un rattachement suffisant.

U

Des transactions coûteuses. L’Office of Foreign Assets Control (OFAC) auquel est fréquemment associée la Securities and Exchange Commission (SEC), voire d’autres autorités, notamment d’États fédérés, se chargent de diligenter les poursuites. Mais, en pratique, ces actions ont la particularité de ne jamais aboutir à une condamnation en Justice, mais de faire systématiquement l’objet d’une transaction avec les autorités, laquelle s’accompagne du paiement d’une indemnité souvent très importante. C’est ainsi qu’en 2010, Alcatel Lucent a accepté de verser 137 millions de dollars pour faire cesser les poursuites fondées sur des soupçons de corruption dans divers pays d’Asie et d’Amérique centrale. Plus récemment, Alstom a réglé une somme de 772 millions de dollars pour mettre un terme à une action judiciaire associée à l’obtention d’un marché en Indonésie. Toutefois, ce sont indéniablement les 8,9 milliards de dollars que BNP Paribas a accepté de verser en 2014 aux termes d'une transaction avec les autorités américaines qui, en France, ont marqué les esprits. Si les entreprises françaises acceptent de telles transactions, c’est en raison du risque financier que fait peser sur leurs épaules l’éventualité d’une condamnation par un tribunal américain. Elles sont en outre peu familières de cette forme de justice négociée qui ne connaît pas vraiment d’équivalent en droit français.

Une proposition de règlement européenne. Au reste, les accords, qui vont du Guilty Plea emportant reconnaissance d e c u l p a b i l i t é a u Differed Prosecution Agreement ou au Non Prosecution Agreement prévoyant la suspension ou l’abandon des poursuites, ne comportent pas qu’un volet financier. Ils prévoient également que l’entreprise accepte de mettre en place un programme de conformité (compliance) qui corresponde aux exigences du régulateur américain. Celui-ci court en général sur plusieurs années et doit être mis en oeuvre sous la surveillance de compliance officers dédiés. La charge acceptée par l’entreprise poursuivie est lourde, non seulement en termes financiers, mais aussi de réorganisation structurelle interne. Le risque est donc important pour les groupes français, même ceux dont la présence sur le marché américain est réduite voire inexistante. Une réaction pourrait néanmoins venir de l’Union européenne, laquelle a émis en février 2015 une proposition de règlement visant à «la protection contre les effets de l'application extraterritoriale d'une législation adoptée par un pays tiers», mais dont l’adoption définitive se fait toujours attendre. En outre, si le projet de traité transatlantique (TTIP) voit le jour, il est possible que le mécanisme d’arbitrage qu’il prévoirait puisse permettre de débattre du champ d’application extraterritorial de certaines lois américaines. 9

POLITIQUE GÉNÉRALE

Valeur en douane et prix de transfert : l’OMD intègre les propositions de l’ICC Vanessa SAINT-BLANQUAT, Directrice de mission pour les Affaires fiscales européennes et internationales au Medef, et

©DR

©DR

Catherine CASSIÈRE, Directrice fiscale internationale de Alstom Power

L'OMD propose un nouveau guide sur l'évaluation en douanes et les prix de transfert. Celui-ci intègre 7 propositions formulées par ICC destinées à éviter les doubles taxations parfois subies par les entreprises et invite les administrations fiscales et douanières à coopérer dans ce domaine.

aleur en douane et prix de transfert... Sous cette terminologie barbare, se cache une problématique familière à bien des entreprises. Pour tout achat ou vente d’un bien entre deux sociétés liées implantées dans des États différents, le prix peut être remis en cause par les douanes du pays d’importation comme par le fisc des deux États concernés. Imaginez la société A du pays A, qui vend des biens de consommation à sa filiale, la société B, située dans le pays B, à charge pour cette dernière de distribuer ces biens dans le pays où elle est installée. Au moment de l’importation dans son pays, la société B paie des droits de douane sur la base de la valeur en douane de ces biens, qui correspond de façon simplifiée au prix d’achat. Cette valeur est examinée par les autorités douanières du pays B qui détermineront si les relations entre la société A et la société B ont influencé la valeur de la transaction, donc sa valeur en douane, et procéderont le cas échéant aux ajustements nécessaires. Si tel est le cas, le contrôle entraînera le paiement de droits et taxes complémentaires par la société B. Comme il s’agit de sociétés qui appartiennent à un même groupe, l’administration fiscale du pays B va également s’intéresser aux prix pratiqués entre elles : elle peut, toujours lors d’un contrôle fiscal, estimer que la valeur des biens est trop importante. Ainsi, en se fondant sur les dispositions relatives aux prix de transfert, elle procédera à un rehaussement de la base d’imposition, avec toutes les

V

10

conséquences que cela comporte (rectifications, ajustements, pénalités etc…).

d’experts fiscaux et douaniers et présidé par Catherine Cassière, directeur fiscal d’Alstom Power.

Des valorisations différentes pour un même flux. Le plus étonnant n’est pas qu’une transaction fasse l’objet de vérifications successives de son prix, mais que celui-ci soit différent selon que c’est l’autorité fiscale ou l'autorité douanière qui procède à la valorisation. L'explication d'une telle différence tient au fait que les deux administrations appliquent des règles distinctes. Ainsi, deux administrations d'un même État, parfois réunies au sein d’un seul ministère, peuvent proposer des valorisations différentes d’un même flux (le plus souvent à la hausse pour renchérir les droits de douanes et à la baisse pour augmenter la base taxable). Cette remise en cause n’est pas exclusive d’un contrôle fiscal effectué par l’administration du pays de départ qui à l’inverse pourra considérer que le prix de la transaction est insuffisant (ayant de fait une position convergente avec les douanes du pays de destination). Cette situation aberrante était d’autant plus difficile à dénouer qu’elle résulte du respect par chaque administration des principes GATT ou OCDE, internationalement admis et reconnus, et d’une absence totale de concertation entre autorités. C’est en partant de ce constat d’autant plus important que les transactions entre entreprises liées représentent 60% des transactions mondiales, que le Medef a créé dès 2007 un groupe de travail réunissant un panel

Le fisc et les douanes encouragés à coopérer. Ce groupe de travail a élaboré des solutions novatrices et pragmatiques fondées sur la convergence d’interprétation des principes. Celles-ci prennent la forme de 7 propositions qui s’articulent autour de 2 axes principaux : la reconnaissance et l’utilisation des principes fiscaux à des fins douanières et la prise en compte par une administration des ajustements pratiqués par l’autre, afin d’éviter les doubles taxations subies par les entreprises. Validées au sein d’un groupe de travail de la Chambre de Commerce Internationale présidé par Vanessa de Saint-Blanquat, Directrice de mission au MEDEF, ces propositions ont été reprises dans un « Policy statement » de l’ICC en 2012 et viennent d’être intégrées par l’Organisation Mondiale des Douanes dans son guide sur l’évaluation en douane et les prix de transfert publié en juin 2015. Outre l’aspect technique du sujet, nous ne pouvons qu’être fières que notre message ait été entendu et relayé au niveau international. En effet, sur son site web, l’OMD souligne que « L’un des messages clés du Guide est que les administrations douanières et fiscales sont encouragées à coopérer et à échanger des informations et des connaissances dans ce domaine ». Il ne reste donc plus qu’à l’appliquer ! Le guide est disponible sur www.wcoomd.org

AUTORÉGULATION

PME : l'enjeu de la conformité Concurrence

©DR

Anne-Sophie BODIN, Directeur juridique Droit Européen et de la Concurrence du groupe Areva

Les PME ne sont pas suffisamment armées pour faire face aux problèmes associés au droit de la concurrence. La boîte à outils d'ICC propose une panoplie d'instruments adaptée pour toutes les PME soucieuses d'améliorer leur conformité aux règles de concurrence.

es PME représentent 99% des entreprises de l’Union européenne et en constituent le premier employeur. Toutefois, si elles évoluent dans un cadre juridique et réglementaire tout aussi complexe que les grandes entreprises, elles sont moins bien armées pour y faire face. Leur taille leur offre rarement la possibilité de disposer d’experts dans ces domaines, et le coût souvent élevé de conseils externes limite leurs possibilités d’être conseillées, alertées et formées. Le droit de la concurrence ne fait pas ici défaut. Quel que soit leur champ d’action, les PME sont concernées par ces règles dont les principes restent identiques pour toutes les entreprises : interdiction des ententes, interdiction des abus de position dominante (articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, articles L. 420-1, 420-2 et 420-5 du Code de commerce). Il est bien prévu que certains « petits » accords échappent à l’application des règles de concurrence, notamment s'ils n'affectent pas le marché de façon sensible (par exemple, accords « de minimis », règlements d’exemption). Mais ces exceptions restent circonscrites. Typiquement, l’exception de minimis n’a vocation à s’appliquer qu’aux seules entreprises dont la part de marché cumulée n’excède pas 10 % ou 15 % et est souvent inaccessible aux PME exerçant sur des marchés de niche (ou dans un contexte de marchés publics). Pour leur part, les règlements d’exemption ne couvrent pas les pratiques les plus sensibles telles que les ententes sur les prix.

L

De fait, les PME ne sont pas épargnées par le contrôle exercé par le ministère de l’Économie (pour les « micro-pratiques » impliquant des PME dont le CA cumulé n'excède pas 200 millions d'euros) ou par l’Autorité de la concurrence comme l’illustre l’amende de plusieurs millions d’euros prononcée récemment à l’encontre de coopératives laitières ayant participé à une entente (décision 15D-03 du 11 mars 2015). Elles s’exposent ainsi à des amendes pécuniaires pouvant atteindre potentiellement 10 % de leur chiffre d’affaires consolidé. Même si pour l’Autorité de la Concurrence, le fait d’être une PME peut constituer une circonstance atténuante, surtout si celle-ci est mono-produit, cette sanction sera bien souvent assise sur leur chiffre d’affaires total faute de disposer d’un large portefeuille d’activités. Cette situation est d’autant plus délicate à gérer que la plupart des PME n’ont ni les connaissances nécessaires pour défendre leurs intérêts, ni toujours les moyens d’en charger des professionnels compétents. Ceci peut même les placer dans une situation d’inégalité procédurale lorsque d’autres entreprises, plus importantes, sont parties à la procédure, notamment lorsque celle-ci exige une réaction rapide et avisée (typiquement, pour évaluer l’opportunité d’une demande de clémence)(1). Dans ce contexte, il est primordial pour les PME d’opter pour une démarche volontariste de prévention et de conformité aux règles de Concurrence en privilégiant une stratégie proactive de gestion des

risques par l’adoption d’un programme de conformité. Dans la pratique, les autorités n'attendent pas des PME qu'elles mettent en place des programmes de compliance identiques à ceux des grands groupes. Mais il reste essentiel pour une PME d'identifier les risques qui découlent de son environnement concurrentiel, notamment si elle est en position de leadership (risque d'abus) ou si elle est active sur des marchés où il est usuel de travailler en partenariat avec des concurrents (situation propice à d’éventuels échanges d’informations sensibles). Par ailleurs, cette action doit se traduire par l’adoption d’une véritable «conscience concurrence» au sein de l’entreprise, facilitée par la diffusion de consignes présentant les principales règles et recommandations en droit de la concurrence. Cette sensibilisation doit concerner l’ensemble des salariés (des équipes commerciales aux dirigeants...). Une PME se protège ainsi juridiquement, et tend à minimiser son risque en limitant son exposition, voire en facilitant la détection d’éventuelles infractions qu’elle aurait pu commettre. Si celles-ci ont déjà eu lieu, il est important de savoir comment réagir rapidement, sans fermer les yeux. La boîte à outils de la Chambre de Commerce Internationale constitue une première étape dans l’adoption d’un programme de conformité. Conçue par et pour les entreprises, elle propose des outils pratiques adaptés pour toutes les PME qui souhaitent améliorer leur conformité aux règles de concurrence.

[1] Ainsi, dans la décision relative au cartel des produits laitiers, Yoplait, également participant à l’entente, a été exonéré du paiement d’une amende en soumettant très rapidement une demande de clémence.

11

RÉSOLUTION DES LITIGES

Désignation d’arbitres : les bonnes pratiques

©DR

Laurent JAEGER, Avocat associé, Orrick Rambaud Martel

Le Comité national français d'ICC est aux avant-postes sur la mise en place des bonnes pratiques en matière de désignation des arbitres. Sous l’impulsion de son président et de son secrétaire général, il a profondément réformé et structuré sa pratique depuis 2010. Coup de projecteur sur les points forts de cette réorganisation.

es Comités nationaux jouent un rôle clé dans le processus de désignation des arbitres par ICC. Lorsque la Cour internationale d’arbitrage doit désigner un arbitre généralement le président d’un tribunal ou un arbitre unique - elle doit d’abord s’adresser à ces comités qui formulent des propositions (sauf cas exceptionnels). Ce système permet à la Cour de disposer de relais efficaces dans tous les pays où ces structures existent et de bénéficier de leur connaissance du terrain. Il n'est toutefois pas à l'abri de dérives lorsque le choix des arbitres manque de rigueur ou est susceptible d’être influencé. C’est pour s'assurer de la totale impartialité du processus que le Comité national français a mis en place un mode de désignation innovant. Le choix des arbitres est confié à un organe collégial, le Comité consultatif, dont la mission est de garantir le sérieux et l’objectivité des choix proposés.

L

Une composition collégiale La composition du Comité consultatif fait la part belle aux juristes d’entreprise qui, en leur qualité d’utilisateurs de l’arbitrage, représentent la moitié des effectifs. Elle compte également deux hauts magistrats, ce qui constitue un facteur de crédibilité supplémentaire, ainsi que deux avocats praticiens de l’arbitrage, dont l’auteur de ces lignes qui assurera

12

la fonction de président à partir de janvier 2016. Cette composition collégiale permet d’assurer la diversité des points de vue entre professionnels issus d’horizons différents. Les membres du Comité doivent agir en toute indépendance et ne peuvent donc être proposés comme arbitre par ICC France. En outre, si un de ses membres constate qu’il a un lien quel qu'il soit avec une affaire, il doit s’abstenir de prendre part aux délibérations. Une sélection diversifiée Le choix des arbitres commence par un processus de sélection préalable. Le Comité consultatif se réunit périodiquement pour examiner les dossiers de candidature. Pour être retenus, un candidat doit, en principe, avoir déjà siégé comme arbitre dans des arbitrages ICC. En effet, le Comité ne propose pratiquement que des arbitres uniques et des présidents de tribunaux arbitraux, ce qui exige une certaine expérience. Cet impératif doit toutefois être concilié avec celui de renouveler et de rajeunir les effectifs. Il arrive donc que le Comité accepte la candidature de jeunes praticiens de l’arbitrage international, ayant une expérience significative en tant que conseil et/ou secrétaire de tribunal arbitral. De manière générale, il s’efforce de diversifier ses propositions et d’éviter que celles-ci ne se concentrent toujours sur les arbitres les plus en vue.

Les propositions d’arbitres Lorsque le Comité est consulté pour proposer la nomination d’un arbitre, il se fonde sur les indications communiquées par le Secrétariat quant au profil de l’arbitre recherché (connaissances juridiques, degré d’expérience, langues…) et quant au litige (complexité, montant en jeu…). Chaque cas est considéré avec attention par le Comité qui s’assure de la disponibilité et de l'indépendance de tout arbitre pressenti. L’exigence d’un examen approfondi doit, toutefois, se combiner avec celle de la réactivité car les décisions sont prises en quelques jours. Les délibérations du Comité sont soumises à une stricte confidentialité et ses membres doivent s’abstenir d e d é v o i le r le s i n fo r m a t i o n s communiquées par le Secrétariat de la Cour sur les dossiers qui lui sont soumis. Vers un guide des bonnes pratiques ? L’expérience d’ICC France a inspiré la rédaction d’un guide des bonnes pratiques destiné à clarifier les relations entre le Secrétariat de la Cour et les Comités nationaux. Ce guide, qui n’existe encore qu’à l’état de projet, pourrait être prochainement adopté par la Cour et proposé aux Comités nationaux afin de définir des objectifs communs. Il contribuerait ainsi à améliorer le processus de désignation des arbitres d'ICC.

DOSSIER DOSSIER

Les grandes mutations à l’œuvre dans l’économie mondiale

A

u tournant de l'année 2016, il nous a paru très fécond de demander à de grands spécialistes et experts de différentes nationalités et de tous horizons d'aider nos lecteurs à réfléchir sur l'évolution de l'économie mondiale.

Après une année 2015 riche en événements (ralentissement chinois, baisse des prix des matières premières, diminution des échanges internationaux...), des changements structurels sont en effet à l’œuvre un peu partout dans le monde et annoncent un nouveau régime de croissance pour les décennies à venir. La Chambre de commerce internationale est particulièrement attentive à ces mutations afin de jouer le rôle central qui est le sien dans la facilitation du commerce international et d'aider ses adhérents à s'adapter aux évolutions fondamentales à travers les différentes missions qui lui sont confiées. Les analyses des experts de notre dossier éclairent les défis des prochaines décennies, notamment les enjeux des prochaines négociations internationales, à travers une série d'interviews et de contributions consacrées aux évolutions et ruptures qui se dessinent dans l'économie-monde : depuis le ralentissement annoncé de la croissance mondiale et des échanges internationaux, jusqu'à la révolution digitale, en passant par le rééquilibrage entre pays développés et pays émergents, sans oublier les conséquences macro-économiques du changement climatique, au cœur de la COP 21 qui vient de se tenir à Paris.  « Il n'y aura pas de nouveau cycle de croissance tant que nous n'aurons pas débarrassé

l'économie des entreprises non compétitives », Interview de Hans-Werner SINN

 « Nous allons vers un modèle où les différentes régions du monde seront moins interdépendantes », Interview de Patrick ARTUS

 Réchauffement, qu'attendons-nous pour agir ? Jacques LESOURNE

 Echanges internationaux : un nouveau monde placé sous le signe de la précaution, Compte-rendu d'une intervention de Pascal LAMY

 Le numérique révolutionne les business models et les modes de vie, Compte-rendu d'une intervention de Maurice LEVY

 « Les entreprises doivent penser et agir avec frugalité, c'est-à-dire créer davantage de valeur

en consommant moins de ressources », Interview de Navi RADJOU

 Afrique : des besoins énormes et des ressources encore insuffisamment exploitées, Albert YUMA-MULIMBI

François GEORGES, Délégué général, ICC France

13

DOSSIER : LES GRANDES MUTATIONS À L’ŒUVRE DANS L’ÉCONOMIE MONDIALE

« Il n'y aura pas de nouveau cycle de croissance tant que nous n'aurons pas débarrassé l'économie des entreprises non compétitives » Hans-Werner SINN, professeur d'économie et de finances publiques à l'Université de Munich, président de

©DR

l'IFO, l'institut de conjoncture de Munich

Président de l'IFO, l'institut de conjoncture de Munich et professeur d'économie et de finances publiques à l'Université de Munich, il est l'un des économistes les plus influents d'Allemagne. Il est aussi réputé pour son franc-parler, notamment sur l'avenir de la zone euro.

changes Internationaux. L'économie mondiale pourrait-elle connaître durablement un taux de croissance plus modeste ? Hans-Werner Sinn. Il semble que ce soit effectivement une possibilité pour le moment, dès lors que certains grands pays émergents, tels le Brésil, la Chine ou la Russie sont confrontés simultanément à des difficultés, pour des raisons diverses. En outre, L'Europe de l'Ouest souffre également d'un désajustement des prix relatifs associé à l'euro. La monnaie unique a favorisé la formation d'une bulle du crédit, laquelle laisse derrière elle, après explosion, des économies dont les coûts sont trop élevés et les produits non compétitifs.

É

E.I. A quoi pourrait ressembler le nouveau régime de croissance ? H-W. S. Il n'y aura pas de nouveau cycle de croissance tant que nous n'aurons pas débarrassé les économies des entreprises et des institutions financières non compétitives. Pour y parvenir, les banques centrales doivent revenir à un régime normal de taux d'intérêt et les États doivent absolument en finir avec la tentation de stimuler artificiellement la demande en creusant les déficits, dans la pure tradition keynésienne. E.I. Après la crise de 2008, de nombreux experts pensaient que les pays 14

émergents allaient tirer la croissance mondiale. Aujourd'hui, il semble que cela ne soit pas si simple... H-W.S. Les économies des pays émergents vont se redresser, mais il ne faut pas non plus oublier que de nouveaux pays se développent eux aussi, à commencer par l'Afrique et le Sud-Est Asiatique. Quant à l'économie chinoise, plus spécifiquement, elle va continuer de croître en dépit de la crise actuelle, même si le rythme de cette croissance sera sans doute plus modeste que dans un passé récent. E.I. Redoutez-vous les effets pervers de la politique monétaire accommodante des banques centrales sur l'économie réelle ? H-W.S. Grâce à un niveau de taux d'intérêt historiquement bas (proche de zéro), de nombreuses banques «zombies» ainsi que des entreprises non rentables sont maintenues artificiellement en vie un peu partout dans le monde tandis que l'épargne mondiale est orientée vers des investissements improductifs et/ou inefficaces. Il est grand temps que les banques centrales reviennent à des niveaux de taux d'intérêt plus normaux et laissent les marchés décider où et comment investir cette épargne. E.I. Quel avenir voyez vous à l'Europe au sein de l'économie globale ?

H-W.S. De mon point de vue, nous commettons une erreur en tentant de garder tous les pays au sein de la zone euro. Les prix relatifs des pays de la zone ont besoin d'être réajustés mais la mise en œuvre de ce processus n'est pas possible dans le cadre de la zone euro. Je pense qu'il serait plus efficace que tel ou tel pays sorte temporairement, dévalue puis réintègre la zone euro plus tard sur la base d'une nouvelle parité monétaire. E.I. Quelle initiative économique le tandem franco-allemand devrait-il prendre aujourd'hui ? H-W.S. A mes yeux, la meilleure manière pour le tandem francoallemand de donner à l'Europe une nouvelle impulsion serait de favoriser le développement de l'union politique sans aller plus loin dans la mutualisation des pertes et des dettes, mutualisation qui s'accompagne toujours d'effets dévastateurs associés au phénomène d'aléa moral. Nous sommes déjà allés trop loin dans cette forme d'union. Dans la perspective d'un monde de plus en plus incertain, nous avons en revanche un besoin urgent d'une véritable union politique : il faut fusionner nos 28 armées nationales en une seule et nous donner les moyens de parler d'une seule voix en matière de politique.

DOSSIER : LES GRANDES MUTATIONS À L’ŒUVRE DANS L’ÉCONOMIE MONDIALE

«Nous allons vers un modèle où les différentes régions du monde seront moins interdépendantes»

©DR

Patrick ARTUS, chief economist de Natixis et professeur à l'Université Paris I-Panthéon-Sorbonne

Les moteurs qui ont tiré la croissance depuis plusieurs décennies sont grippés. Patrick Artus, chef économiste de la banque Natixis, analyse les grandes mutations qui sont à l’œuvre dans l'économie mondiale et leurs conséquences sur les échanges internationaux.

changes Internationaux. Le modèle de croissance que nous avons connu depuis plus de vingt ans est-il à bout de souffle ? Patrick Artus. Les trois moteurs qui ont fait tourner la croissance mondiale depuis plusieurs décennies sont en panne. D'abord, celui de l'endettement. Depuis le milieu des années 1990 (et même dès la fin des années 1980 au Japon), la croissance des pays de l'OCDE a été tirée par l'endettement, ou, plus précisément, par le cycle endettement/hausse des prix d'actifs. Mais la capacité à continuer à s'endetter de manière déraisonnable touche à sa fin et les pays de l'OCDE vont s'installer sur un sentier de croissance de long terme non dopé, fruit de leurs seules capacités structurelles à créer des richesses. Ensuite, le moteur de croissance associé à la segmentation de la chaîne de valeur connaît lui aussi des ratés. Au cours des dernières décennies, les entreprises occidentales ont gardé dans l'OCDE les parties sophistiquées de leur production et transféré les parties les plus simples dans les pays émergents afin de bénéficier de coûts de production plus faibles. Mais ce processus bute aujourd'hui sur l'augmentation des salaires, donc des coûts de production, de ces pays, hausse qui ne justifie plus les délocalisations, compte tenu de la nature (bas ou moyenne gamme) de leurs productions. Bien sûr, les situations sont variables selon les pays, mais le modèle de croissance

E

des grands émergents -notamment la Chine ou le Brésil- est incontestablement en crise dès lors que leurs coûts de production ne sont plus compétitifs pour le type de biens produits. Enfin, autre élément fort, l'économie mondiale évolue vers une économie de services. Cette évolution, qui s'accélère depuis quinze ans, a de nombreuses conséquences, et notamment le fait qu'une économie où le poids de l'industrie diminue fortement consomme beaucoup moins de matières premières. Le troisième moteur se grippe : la baisse des prix des matières premières met en difficultés les pays dont le développement leur était étroitement lié (Algérie, Arabie Saoudite, Irak, Russie, et, dans une moindre mesure, Iran, Nigéria, Émirats Arabes Unis et Angola). E.I. A quelles conditions, peut-on espérer voir les pays émergents prendre à nouveau leur part dans la croissance mondiale ? P.A. La plupart des pays émergents sont confrontés à un problème de coûts de production, ou, pour être plus précis, de rapport entre le coût et le niveau de gamme de leurs productions. Mais ce n'est pas tout. De nombreux pays (on peut citer le Brésil, la Turquie, l'Inde, l'Afrique du Sud, etc) doivent également faire face à une défaillance de l'offre associée à celle d'un certain nombre de facteurs de production essentiels tels que l'insuffisance de main d’œuvre qualifiée, la difficulté à s'approvisionner en énergie ou

l'absence d'infrastructures de transport due à un sous-investissement public chronique depuis longtemps. La situation du Brésil est, de ce point de vue, emblématique. Pour que ces pays prennent à nouveau leur part dans la croissance mondiale, il est nécessaire qu'ils se donnent les moyens de desserrer ces goulots d'étranglement en investissant massivement dans l ' é d u ca t i o n , l ' é n e rg i e e t le s infrastructures. Il est également indispensable qu'ils montent en gamme afin de produire des biens plus sophistiqués susceptibles d'être vendus à des prix permettant d'absorber leurs coûts salariaux. Il ne s'agit donc nullement, comme on l'entend parfois, d'une crise cyclique des économies émergentes mais d'une crise de leur modèle de croissance. Les économies émergentes doivent prendre leur place dans la spécialisation productive du monde par les avantages comparatifs et non plus seulement par les coûts. E.I. Quels sont les problèmes structurels auxquels sont confrontés les pays riches ? P.A. Les grandes économies développées sont chacune confrontées à des problèmes spécifiques. L'économie américaine est certes actuellement freinée par l'appréciation du dollar, la place prise par le secteur pétrolier et la faiblesse du reste de l'économie mondiale, mais elle peut compter sur sa capacité d'innovation, de créations d'emplois, d'investissement des entreprises. 15

DOSSIER : LES GRANDES MUTATIONS À L’ŒUVRE DANS L’ÉCONOMIE MONDIALE

Les États-Unis entrent dans leur septième année d'expansion ! Pour autant, la répartition des revenus outre-Atlantique est extrêmement inégalitaire. Peut-on espérer avoir une croissance pérenne à long terme en n'augmentant jamais les revenus réels de la classe moyenne ? C'est, à mon sens, la question qu'il faut se poser si l'on réfléchit au modèle de croissance de l'Amérique pour les décennies à venir. La situation japonaise est beaucoup plus inquiétante. Dans l'Empire du soleil levant, la déformation du partage des revenus tue littéralement la croissance. Aujourd'hui, le taux d'autofinancement des entreprises est de 200 % et il continue d'augmenter rapidement tandis que les salaires progressent, eux, moins vite que la productivité. Il y a au Japon une telle déformation du partage des revenus que les entreprises ne savent plus quoi faire de leur argent. Elles placent leurs profits à 0 % dans les banques qui les prêtent à l’État, lequel creuse le déficit public (9 points de PIB) sous forme d'obligations pour compenser la défaillance de la demande des ménages ! Les banques détiennent l'équivalent de 2,5 années de PIB dans leurs bilans et toute remontée des taux d'intérêt les mettrait en danger. La banque centrale nipponne est donc condamnée à monétiser la dette publique. C'est un engrenage mortifère qui peut se terminer en crise financière. E.I. Pour sa part, la zone euro s'enlise dans un régime de croissance faible et de chômage élevé. Y-a-t-il à cela des raisons spécifiques ? P.A. La raison fondamentale de cette situation particulière est que l'Union Économique et Monétaire (UEM) n'a pas apporté aux pays de la zone les bénéfices attendus. D'abord, une UEM se caractérise par la libre circulation des biens, des capitaux et des personnes et par l'absence de risque de change susceptible de venir l'entraver. Dès lors, on s'attend à observer une croissance des échanges plus rapide entre les pays de la zone euro qu'entre ces pays et le reste du monde (compte tenu des croissances relatives des économies). Or, lorsqu'on examine les chiffres, 16

on constate exactement le contraire. Les échanges augmentent plus vite avec le reste du monde qu'entre pays de la zone. Preuve qu'il n'existe pas de grand marché unique économique et commercial dans la zone euro. Ensuite, la seconde vertu que l'on prête à une union monétaire, c'est l'allocation efficace de l'épargne. Or, si les échanges de capitaux dans la zone ont effectivement progressé entre 1999 et 2007, ce mouvement a cessé à partir de 2008, date à laquelle on commence à observer une très forte baisse des flux de capitaux à long terme, chaque pays finançant lui-même ses besoins d'investissement. La zone euro n'a plus les caractéristique d'un grand marché unique financier. Cette situation a un coût en termes de croissance (chaque pays ne peut mener la politique monétaire et de change qui lui conviendrait le mieux), sans offrir d'avantages micro-économiques. Pour en sortir, il faut absolument terminer le marché unique, c'est-à-dire avancer sur l'harmonisation des normes, des règlements financiers, de la fiscalité, de l'ouverture des marchés publics, d'un système de retraite intégré, etc. Il faut aussi réactiver la circulation des capitaux en zone euro. E.I. Quelles sont les caractéristiques du nouveau modèle de croissance qui se dessine sous nos yeux ? P.A. il faut d'abord resituer notre réflexion dans une tendance qui se dessine depuis des années, voire des décennies, celle du ralentissement structurel de la productivité, un ralentissement que l'on constate, à des degrés divers, à peu près partout dans le monde. Cette anémie du progrès technique trouve ses racines dans différents facteurs : perte d'efficacité de la R&D, amaigrissement de l'industrie où la productivité est plus élevée qu'ailleurs, insuffisant niveau de qualification de la population active, augmentation de l'intensité capitalistique, doutes sur l'impact des nouvelles technologies sur la croissance... Ensuite, l'autre caractéristique fondamentale du nouveau régime de croissance est que nous allons vers

un modèle où les différentes régions du monde seront moins interdépendantes que par le passé. Pour trois raisons. D'abord, la dé-segmentat i o n d e s c h a î n e s d e v a le u r. Aujourd'hui, les entreprises ne veulent plus couper leurs chaînes de valeur en rondelles, les écarts de coûts ne le justifient plus. On assiste à un regroupement des productions sur un nombre de sites plus limité ce qui réduit les échanges. Ensuite, on constate que la préférence nationale s'impose de plus en plus : si on veut vendre des avions aux Chinois, il faut les fabriquer sur place et non plus les exporter depuis Toulouse ou Seattle. Enfin, l'avènement d'une économie de services réduit les échanges, d'autant qu'elle est moins consommatrice de matières premières. E.I. Quel sera l'impact sur le commerce mondial ? P.A. Jusqu'au début des années 2000, l'élasticité du commerce mondial au PIB mondial était de 2 (quand le PIB mondial augmentait de 1 %, le commerce mondial augmentait de 2 %). Elle est tombée à 0,5 ! Dans l'avenir, le commerce mondial devrait augmenter moins vite que le PIB et les pays dont la demande intérieure était faible et dont la croissance était tirée par les échanges vont souffrir. C'est le cas, par exemple, de la Corée du Sud ou de Taïwan, et même, potentiellement, de l'Allemagne ou du Japon. Le modèle du pays dont la demande intérieure est faible mais qui, grâce à des produits très compétitifs, exporte dans le reste du monde est fragilisé. En revanche, les pays qui bénéficient d'une demande intérieure solide -les pays d'Europe centrale, les États-Unis...- seront favorisés. Parallèlement, Le commerce international va changer de nature et prendra moins la forme d'imports/exports. D'autant que les firmes sont en train d'intégrer dans leurs comptes une véritable tarification du CO2 ce qui conforte l'idée que l'on ne pourra pas continuer à transporter des biens lourds, comme des voitures par exemple. Les entreprises vont produire de plus en plus près des consommateurs. Propos recueillis par Marie-Paule Virard

DOSSIER : LES GRANDES MUTATIONS À L’ŒUVRE DANS L’ÉCONOMIE MONDIALE

Réchauffement : qu'attendons-nous pour agir ? Jacques LESOURNE, économiste, président du Comité de direction de FutuRIS

Lanceur d'alerte dès 2006 avec son rapport sur l'économie du changement climatique, Nicholas Stern, l'économiste du climat mondialement reconnu, récidive avec un nouvel ouvrage où il pointe l'urgence d'agir et propose des solutions. Jacques Lesourne, économiste, président du Comité de direction de FutuRIS, en fait ici un compte-rendu éclairé. ncien vice-président de la Banque mondiale, conseiller du Premier ministre du RoyaumeUni Tony Blair, Nicholas Stern -qui siège désormais à la Chambre des Lords- est aujourd’hui l’économiste le plus reconnu à l’échelle mondiale en matière d’évolution du climat. Son rapport de 2006 au gouvernement britannique sur l’Économie du changement climatique avait contribué à élargir la prise de conscience de l’ampleur du problème et des moyens à mettre en œuvre pour y faire face. Aussi, doit-on attacher la plus grande importance au livre qu’il vient de publier en 2015 « Why are we waiting ? The logic, urgency and promise of tackling climate change ». Ce livre peut être abordé d’un triple point de vue : l’approche méthodologique, la discussion des politiques,

Une approche aussi rationnelle que possible. Même si Nicholas Stern prend parti dans les débats, il ne part pas de grandes exhortations morales comme le font beaucoup d’écologistes politiques, mais s’appuie sur une approche méthodologique aussi rationnelle que possible. Il commence par séparer le monde en trois groupes de pays à revenus par tête faibles, moyens ou élevés. Sur la base des chiffres de 2010 à 2012, les premiers sont au nombre de 36, réunissent 900 millions de personnes, représentent 1% du produit intérieur brut mondial et sont

©DR

A

l’évaluation prospective des résultats. Il incite aussi à une réflexion sur les raisons qui rendent si difficiles les accords mondiaux dans ce domaine.

>

Lord Stern, 69 ans, a été vice-président de la Banque mondiale de 2000 à 2003. Titulaire de la chaire d’Économie et des Affaires publiques à la London School of Economics et président du Grantham Research Institute on Climate Change and the Environment, il est surtout connu pour son rapport précurseur sur l’économie du changement climatique paru en 2006. Publié en mai 2015, son dernier ouvrage est un nouveau cri d'alarme sur l'urgence d'agir (MIT Press).

responsables de 2% des émissions de gaz à effet de serre (GES). Les seconds, parmi lesquels figurent Brésil, Mexique, Chine, Nigeria, Inde, Pakistan, sont au nombre de 103 et comptent 4,9 milliards d’individus. Ils sont à l’origine de 31 % du PIB mondial et émettent 55 % de gaz à effet de serre. Enfin, les pays à haut revenu, au nombre de 74, avec les États-Unis, le Japon, la Corée du Sud, la Russie et les principaux pays européens représentent 1,5 milliard d’individus, 68 % du revenu mondial et 43 % des émissions de gaz à effet de serre. Si l’on complète ces chiffres par les taux de croissance très différents des trois groupes, on comprend d’emblée les énormes écarts qu’engendre le changement climatique d’un groupe de pays à l’autre, et même entre les pays dans chaque groupe. En second lieu, lorsque il aborde l’évaluation des politiques, Nicholas Stern s’efforce toujours de raisonner en termes de coûts et avantages, c’est-à-dire de calcul économique généralisé tenant compte des externalités et de la répartition dans le temps. Procéder ainsi a le mérite d’obliger à chiffrer en donnant ses sources ou en justifiant ses estimations. La transparence qui en résulte permet le débat et aide à distinguer les politiques qui permettent de réduire les émissions de GES à un coût raisonnable et celles qui sont si onéreuses qu’il vaudrait mieux économiser les dépenses correspondantes et les reporter sur d’autres actions favorisant les réductions d’émissions plus importantes. Enfin, Nicholas Stern a recours à des modèles pour évaluer les effets en termes de croissance économique des dépenses consacrées à la réduction des émissions de GES. Cette

17

DOSSIER : LES GRANDES MUTATIONS À L’ŒUVRE DANS L’ÉCONOMIE MONDIALE

approche que je ne peux qu’approuver, puisque je l’ai défendue pendant toute ma carrière, n’a qu’un seul défaut, celui d’être peu lisible, car la valeur des résultats dépend des hypothèses faites sur l’effet des transformations des prix relatifs. Or, il est des modèles mondiaux qui minimisent certains phénomènes ou au contraire surestiment leur influence. Dès lors, l’observateur extérieur, contraint de prendre le modèle comme une boîte noire, est contraint d’adhérer aux résultats, moins par conviction que par confiance. De ce point de vue, les travaux de Nicholas Stern méritent d’être considérés avec un préjugé favorable. 1 % de PIB mondial par an pour limiter la concentration des GES. Quant à la discussion des politiques, Nicholas Stern la mène en se concentrant sur trois espaces : les villes, l’usage des terres, l’énergie. Il les aborde ensuite de trois points de vue : l’efficacité des ressources, les investissements ou infrastructures et l’innovation, d’où, si l’on croise avec les types de pays, une grille de lecture à neuf entrées, certes réaliste mais qui fractionne le message. En effet, qu’ont de commun les problèmes des villes européennes qui s’accroissent faiblement et consomment désormais peu d’espace et les villes africaines qui explosent et s’étalent sur des superficies mal contrôlées ? L’avantage du choix de Nicholas Stern est qu’il ne s’adresse à aucun pays ou grande région géographique, prudence qu’il a héritée de sa carrière internationale, mais qui nuit peut être à la perception du message par beaucoup de lecteurs.

Pour les résultats chiffrés qui résultent des modèles, je ne peux faire mieux que de citer Olivier Godard dans la critique du livre qu’il vient de publier dans Futuribles : «Un précédent rapport de Nicholas Stern montrait que les dommages climatiques à venir pourraient avoir une incidence sur le bien-être collectif de l’ordre de celle des deux guerres mondiales du XXème siècle. De façon synthétique, les bouleversements en chaîne anticipés pourraient entraîner l’équivalent d’une perte annuelle pour l’éternité de 10 à 20 % du PIB mondial. Par contre, pour un coût médian annuel se situant autour de 1 % du PIB, il serait possible à l’humanité de limiter la concentration atmosphérique des GES entre 500 et 550 ppm (1) -nous en sommes actuellement à 470 ppm et chaque année en ajoute 2 ou 3. Il serait donc avantageux et économiquement rationnel d’engager de façon immédiate des politiques vigoureuses de transformation des systèmes énergétiques vers la sobriété et l’efficacité énergétique et les solutions bas carbone »(2). Marier croissance et économie bas carbone. L’analyse de Nicholas Stern devrait déboucher alors sur la question essentielle : pourquoi est-il si difficile de faire progresser les négociations internationales sur le changement climatique ? Les résistances aux politiques climatiques ont plusieurs origines : 1) au sein de chaque pays, les résistances des groupes d’individus et de firmes impliqués dans des secteurs émetteurs de GES 2) la lutte pour la redistribution des revenus entre les pays à l’échelle internationale, cette lutte



Réduire les émissions de GES de 40 % à 70 % en 2050. Les émissions de gaz à effet de serre (GES) couverts par le protocole de Kyoto ont augmenté de 80 % depuis 1970 et de 30 % depuis 1990 pour atteindre 50 Giga tonnes équivalent CO2 en 2014 avec, en tête de la production de GES, l'énergie (35 %), l'agriculture et le transport (14 % chacun) et la déforestation (10 %). Au rythme actuel des émissions mondiales (+2,2 % par an sur 2000-2010), la hausse des températures devrait être comprise entre +3,7 % et +4,8 % d'ici à 2100. Pour respecter l'objectif de +2 %, il faut réduire les émissions de GES de 40 % à 70 % en 2050 par rapport au niveau atteint en 2010 et revenir à des niveaux proches de zéro en 2100.

[1] Nombre de molécules du gaz à effet de serre considéré par million de molécules d’air. [2] O. Godard, Futuribles, n° 410, (à paraître en janvier/février 2016)

18

>

« Why are we waiting ? The logic, urgency and promise of tackling climate change ».

qui prolonge les tensions à l’intérieur des pays développés 3) les discours extrêmes de certains milieux politiques qui transforment un problème concret dont la solution implique compromis et persévérance en une guerre idéologique sur les relations entre l’homme et la nature. Mais, plutôt que d’aborder la question de la difficulté à faire progresser les négociations internationales de front, l'auteur qui a l’expérience des dix dernières années de négociations, insiste sur la nécessité de la poursuite simultanée de la croissance et de l’évolution vers une économie bas-carbone, grâce à des politiques nationales limitant les subventions aux énergies émetteurs de GES, facilitant l’innovation dans la gestion des villes, l’utilisation des sols et la décarbonisation des systèmes énergétiques. S’il soutient la coopération internationale, une aide financière à l’investissement pour lutter contre le changement climatique, il se méfie des accords internationaux trop contraignants qui ne sont pas appliqués ou des principes généraux comme celui d’attribution à tout humain d’un stock personnel de GES. Il n’évoque pas non plus l’instauration, pour le moment hors de portée, d’un prix mondial à la tonne de carbone émise. Sur la longue marche qui nous attend, la COP 21 préparée avec soin par la France représentera sans doute un progrès.

DOSSIER : LES GRANDES MUTATIONS À L’ŒUVRE DANS L’ÉCONOMIE MONDIALE

Commerce mondial : un nouveau monde placé sous le signe de la précaution Directeur général de l'OMC de septembre 2005 à août 2013, Pascal Lamy analyse les grandes mutations qui sont en train de bouleverser la nature des échanges internationaux(1) et éclaire les enjeux d'un nouveau rôle pour l'OMC. ous traversons actuellement une période de transition. Un ancien monde s'éloigne, caractérisé par des systèmes de production nationaux où les principaux obstacles aux échanges avaient pour objectif de protéger les producteurs domestiques de la concurrence internationale. Un nouveau monde se dessine où la production de biens et services est transnationale et où les obstacles aux échanges sont conçus pour protéger le consommateur contre les risques. Formulé autrement, nous vivons le passage d'une gestion de la protection (quotas, tarifs, subventions) à une gestion de la précaution (sécurité, santé, environnement). Une nouvelle version du vieux distinguo entre mesures tarifaires et mesures non-tarifaires. Un monde où la question de l'ouverture des échanges se posera tout à fait différemment. « Dans ce nouveau monde, a souligné Pascal Lamy lors de son intervention à l'European Centre for International Political Economy de Bruxelles, l'ouverture des échanges aura toujours pour objet de favoriser la croissance et le bien-être, à condition toutefois que nous veillions collectivement à ce que la justice sociale aille de pair avec la création de richesses. Par ailleurs, la réduction des obstacles aux échanges passera toujours par la nécessité d'égaliser les conditions de la concurrence, et de le faire de manière prévisible ». En revanche, ce qui change fondamentalement, c'est la manière d'obtenir l'uniformisation des conditions de la concurrence. « Dès lors que l'on raisonnait en termes de protection, souligne Pascal Lamy, l'horizon mental de tout négociateur se résumait à un chiffre : zéro. En

N

matière de précaution, les règles du jeu sont très différentes. Ce qui est évident lorsqu'on parle tarifs est inimaginable avec les normes et autres certificats de conformité. Impossible de gérer les mesures non tarifaires comme les mesures tarifaires. Ce qui importe dans la précaution n'est pas d'en finir avec une mesure, de la «tuer» en quelque sorte, mais de parvenir à réduire les écarts entre les différentes mesures, entre les systèmes de précaution». Un processus que nous avons déjà expérimenté en Europe à partir de 1985 avec le passage du marché commun au marché unique. Cette transformation va de pair avec une nouvelle équation d'économie politique. Dans l'ancien monde, tout négociateur avait les consommateurs de son côté, mais les producteurs contre lui, vent debout contre l'accroissement de la concurrence sur leur marché domestique. Dans le nouveau, le jeu se joue à front renversé. Le producteur aspire à pouvoir travailler avec la seule et unique norme qui lui permettra de réaliser des économies d'échelle. Les associations de consommateur, en revanche, montent au front pour lutter, chaque fois que nécessaire, contre ce qu'elles considérent comme une diminution des standards. «Et sur le plan du rapport de forces, ajoute encore l'ancien directeur général de l'OMC, cela change tout. Lorsque la négociation portait sur l'échange d'une mesure tarifaire sur les bicyclettes contre une autre mesure tarifaire sur la ferraille, celle-ci était peu «chargée» politiquement. En revanche, dès lors que l'on entre dans l'univers de la précaution, notamment si l'on parle de bien-être animal, de la protection des données

>

Pascal Lamy a été le directeur de cabinet et le sherpa de Jacques Delors à la présidence de la Commission européenne de 1985 à 1994. Après un passage à la direction générale du Crédit lyonnais, il est retourné à Bruxelles en 1999 en tant que commissaire européen au Commerce sous la présidence de Romano Prodi avant d'occuper le poste de directeur général de l'OMC de septembre 2005 à août 2013. Manuel Valls lui a confié la mission d'organiser la candidature de la France à l'Exposition universelle de 2025.

personnelles ou des OGM, il en va tout autrement, car chaque risque fait référence à des valeurs, une culture, une histoire, une religion...» Dans ce nouveau monde, les acteurs aussi sont différents. Alors qu'hier les négociations sur les tarifs ou les subventions étaient du ressort des gouvernements, les groupes privés donnent le «la» dès lors que le niveau de précaution devient un élément déterminant de l'arsenal concurrentiel. «Toutes ces différences, qui sont plus que des nuances, ont et auront des conséquences majeures sur la philosophie du système d'échanges international, prédit Pascal Lamy, qu'il s'agisse des notions de préférences ou de réciprocité. Plus question désormais de trade-off, comme avec les vélos et la ferraille ou entre mes normes sur les briquets et les vôtres sur les jouets. La précaution

19

DOSSIER : LES GRANDES MUTATIONS À L’ŒUVRE DANS L’ÉCONOMIE MONDIALE

n'est pas une affaire de troc mais d'harmonisation». Et si la nature des obstacles aux échanges est différente, les priorités que doivent se donner les négociateurs doivent l'être aussi. «Supposons, précise Pascal Lamy, que je sois un exportateur désireux de s'implanter sur le marché mondial... Les coûts moyens auxquels je dois faire face se résument à trois chiffres : 5 % (le tarif commercial moyen pondéré dans le monde), 10 % (le coût de la gestion des flux aux frontières) et 20 % (le coût des écarts de réglementations entre les différents marchés). Ainsi, au cours d'un voyage à Minneapolis, j'ai constaté qu'un producteur d'appareils médicaux à 5 000 dollars pièce était confronté à une quarantaine de réglementations différentes sur la planète ! S'il existait un standard mondial, ses appareils seraient 30 % moins chers. Or,

actuellement, les négociateurs consacrent 80 % de leur temps à ce qui ne représente pas plus de 5 % des coûts auxquels l'exportateur doit faire face (le tarif commercial moyen pondéré dans le monde) et seulement 10 % aux 20 % qui représentent le coût des écarts de réglementation, ce qui est beaucoup plus important, notamment pour les PME et les empêche souvent d'entrer dans le jeu des échanges». D'où l'urgence de revoir nos priorités. Dans le nouveau monde, l'ouverture des échanges aura également des conséquences sur la nature du mandat des institutions internationales, et en particulier de l'OMC. Hier, la démarche des négociateurs était placée sous le signe du «moins». Demain, c'est le «plus» qui fera le jeu. Avec, en avant-garde, les pays développés où PIB/tête et niveau de protection sont intimement liés. D'où,

a souligné l'ancien directeur général de l'OMC, l'enjeu de la négociation du TTIP, non seulement pour les EtatsUnis et l'Europe, mais aussi pour la planète toute entière car l'accord servira de benchmark dans de nombreux secteurs des biens et services. La mission de l'OMC n'en reste pas moins essentielle, conclut Pascal Lamy. «L'organisation va continuer à administrer la zone grise entre protection et précaution. Elle devra aussi veiller à ce que le processus d'harmonisation progressive suive son cours entre les principaux paysmembres. Enfin, elle aura pour tâche de mener à bien l'ajustement de l'outil technique aux nouvelles exigences de la précaution».

Compte-rendu rédigé par Marie-Paule Virard

[1] Il s'agit ici du résumé d'une intervention de Pascal Lamy à l'European Centre for International Political Economy (Bruxelles), le 9 mars 2015.

20

DOSSIER : LES GRANDES MUTATIONS À L’ŒUVRE DANS L’ÉCONOMIE MONDIALE

Le numérique révolutionne les Business Models et les modes de vie Lors de l'assemblée générale annuelle d'ICC France, Maurice Lévy, président du directoire de Publicis, a éclairé les mutations et les opportunités promises par l'économie digitale. Voici un résumé de son intervention.

L

>

Publicis : plus de 50 % du chiffre d'affaires viennent du numérique. En rachetant au début de 2015 l'américain Sapient, spécialisé dans le marketing, la communication numérique, le commerce multicanal et le consulting, Publicis a fait un mouvement stratégique déterminant pour construire son avenir. Grâce à cette acquisition, le Français passe la barre symbolique de 50 % du chiffre d'affaires générés par les activités numériques.

c'est l'irruption de modèles globaux. Google, Facebook, Youtube, Yahoo, Twitter se sont installés dans tous les foyers de la planète et sont imités un peu partout : qu'il s'agisse d'Alibaba, de Tencent ou de WeChat en Chine, de Yandex en Russie, ces firmes ont eu l'intelligence de copier les modèles américains, de les transformer, de les enrichir et de les adapter à la culture locale. Toutes ces entreprises conquièrent des parts de marché considérables, atteignent des valorisations boursières astronomiques (Google pèse 360 milliards de dollars, Facebook 200 milliards) et disposent de capacités d'investissement inconnues jusque là. Le président de Publicis a souligné également que « Le monde digital présente une autre caractéristique : avec ces nouvelles entreprises, on navigue dans ce que les Américains appellent le blur (le flou). Les frontières sont mouvantes. Et, surtout, elles ont tendance à s'effacer. Certes, Amazon fait du commerce électronique, c'est la part la plus importante de son chiffre d'affaires, mais c'est ailleurs, dans des activités moins connues du grand public, comme la vente de services aux entreprises et le cloud computing, que la firme gagne de l'argent. Google règne évidemment sur le search et a racheté You Tube au bon moment, mais c'est aussi -on le sait moins- le premier média mondial avec 50 milliards de dollars de revenus publicitaires, davantage que Time Warner !» D'une manière générale, les nouvelles technologies viennent en appui de ceux, en général de nouveaux entrants, qui veulent casser les règles, les codes, et transformer une activité jusque là banale en machine à cash. Maurice Lévy fut un des premiers à parler d'«ubérisation» du

monde, à partir du mot Uber, du nom de la société californienne de VTC qui a mis les chauffeurs de taxi de la planète au bord de la crise de nerf, pour qualifier cette révolution naissante. La numérisation est en effet en passe Maurice Lévy, président de bouleverser du directoire de Publicis l'économie et... le monde. Aujourd'hui, grâce à l'imprimante 3D, il est possible de construire en Chine une maison à 1 500 euros en moins d'une semaine. Non seulement cette innovation révolutionne le métier du bâtiment, mais cela signifie que le Chinois moyen peut payer sa maison avec moins d'un an d'économies sur son salaire et devenir propriétaire. Notre monde se transforme sous nos yeux, et s'il est encore trop tôt pour mesurer toutes les conséquences de cette révolution, nous savons déjà qu'elles sont innombrables. C'est d'abord une révolution pour l'emploi. Qu'il s'agisse de la nature de tel ou tel métier ou de la manière dont on l'exercera demain. «Déjà, a commenté Maurice Lévy, certains collaborateurs de Publicis ne viennent pratiquement plus jamais au bureau. Cette nouvelle génération conçoit le travail autrement, mais sans compter ses heures. Et il y a aura de plus en plus d'entrepreneurs individuels. Il nous faut imaginer d'autres Business Models, d'autres modes de vie. C'est le moment d'avoir confiance dans le génie humain !». Compte-rendu rédigé par Marie-Paule Virard ©DR

e numérique révolutionne la vie de chacun d'entre nous. On compte aujourd'hui entre dix et douze milliards d'appareils connectés dans le monde et lorsque l'internet des objets donnera sa pleine mesure, on arrivera rapidement à trente milliards. De l'automobile sans pilote au taux du cholestérol transmis directement, via une lentille oculaire, sur le smartphone, le champ semble infini. Et pas seulement dans les pays les plus avancés. «Je suis frappé de voir combien le numérique bouleverse la donne en Afrique, où il existe déjà -souvent grâce au mobile toutes sortes d'opérations qui ne nous sont pas encore familières» a commenté Maurice Lévy lors de son intervention. Il a également souligné à quel point «Le numérique révolutionne les Business Models. Ceux sur lesquels nous avons fonctionné dans le passé sont révolus. Quel que soit le secteur d'activité, il s'agit désormais d'en inventer de nouveaux, en rupture avec les précédents». Et ce qui frappe évidemment dans cette évolution,

21

DOSSIER : LES GRANDES MUTATIONS À L’ŒUVRE DANS L’ÉCONOMIE MONDIALE

« Les entreprises doivent penser et agir avec frugalité, c'est-à-dire créer davantage de valeur en consommant moins de ressources» Navi RADJOU, Conseiller en Innovation & Leadership, co-auteur de « L'Innovation frugale, comment faire

©DR

mieux avec moins » (1)

Théoricien de l'économie « frugale », Navi Radjou, un quadragénaire franco-indien installé dans la Silicon Valley, prône une nouvelle approche de l'innovation (comment faire mieux avec moins) et dessine, in fine, les contours d'un capitalisme du 21ème siècle fondé sur le partage et l'agilité. Ou quand la rareté se transforme en opportunité...

changes Internationaux. Pourquoi la frugalité est-elle, selon vous, une des clés de la croissance au 21ème siècle ? Navi Radjou. Depuis la Révolution industrielle, nous avons adopté un modèle de développement économique à la fois coûteux et gourmand en ressources fondé sur le postulat que celles-ci (capital, énergie, eau) étaient illimitées. Nous avons mis en place d'énormes systèmes industriels qui consomment toujours plus afin de créer des produits de plus en plus sophistiqués et de plus en plus chers. Ce paradigme -une croissance fondée sur le «toujours plus»- est remis en cause par deux facteurs. La récession économique, qui a débuté en 2008, a rendu la classe moyenne, notamment en Occident, plus consciente de la valeur des biens. Les consommateurs sont de plus en plus nombreux à préférer acheter des produits moins chers voire low-cost plutôt que des produits de marque plus chers. Par ailleurs, ils prennent aussi conscience de l'accroissement des inégalités sociales et des problématiques environnementales et sont de plus en plus nombreux à vouloir défendre des «valeurs». Pour les satisfaire, les entreprises doivent apprendre à «faire mieux avec moins» : créer et proposer des produits et services qui tiennent compte de quatre caractéristiques plébiscitées par les «consommateurs frugaux»

É

22

du monde entier : abordabilité, simplicité, qualité et durabilité. Au 21ème siècle, les entreprises doivent penser et agir en «entreprises frugales», c'est-à-dire être capables de créer davantage de valeur économique et sociale en consommant moins de ressources. E.I. A quelles conditions, cette conception peut-elle être davantage qu'une manière chatoyante d'accepter l'inévitable (la rareté) ? N.R. Si la nécessité est la mère de toutes les inventions, alors la rareté en est le père ! Le premier principe du jugaad est de «se servir de ce qui est abondant pour produire ce qui est rare». Dans les pays émergents où les ressources sont contraintes, les innovateurs frugaux transcendent cette rareté afin de créer davantage de valeur à moindres coûts. Au Pérou, par exemple, un pays où le taux d'humidité atteint 95 % et qui ne reçoit que 25 mm de précipitations par an, une équipe d'ingénieurs de Lima a imaginé un panneau publicitaire géant qui absorbe l'humidité de l'air, la condense, la purifie pour produire plus de 90 litres d'eau potable par jour ! De la même manière, les Africains utilisent la densité de l'interconnectivité du réseau mobile (80 % d'entre eux possèdent un mobile) pour surmonter la pénurie de services bancaires ou énergétiques, avec des solutions comme M-PESA (transfert d'argent par téléphone

mobile) et M-KOPA (système d'éclairage solaire payé au jour le jour). E.I. Nous avons tendance à voir les pays occidentaux comme les centres d'innovations et les pays émergents comme les grands marchés et/ou les ateliers du monde. Sommes nous en train de basculer dans un tout autre modèle de croissance ? N.R. La Silicon Valley n'a plus le monopole de l'innovation. Désormais, celle-ci est diffuse et «polycentrique» : une multitude de pôles se développent partout dans le monde, dont beaucoup dans l'hémisphère sud. Nous devons prendre conscience que nous sommes entrés dans l'«âge de la convergence» où nous aurons à résoudre ce que j'appelle des «problèmes sans frontières» : les questions liées à l'eau, l'énergie, la santé, l'éducation, sont désormais des problèmes globaux qui concernent plusieurs milliards d'individus, que ce soit dans les pays développés ou en développement. Les entreprises commencent à tisser des réseaux d'innovation globale qui ont vocation à combiner les talents, le capital et les idées afin de co-créer des solutions frugales dans le domaine de l'énergie ou de la santé au profit de l'humanité toute entière. Ainsi, Saint Gobain a installé en Inde son centre de R&D global sur les «solutions durables pour les régions tropicales», régions qui comptent aujourd'hui quelque 3 milliards

©DR

DOSSIER : LES GRANDES MUTATIONS À L’ŒUVRE DANS L’ÉCONOMIE MONDIALE

>

Conseiller en innovation, Navi Radjou veut promouvoir l'innovation « Jugaad », la recette indienne de l'ingéniosité.

d'habitants. De la même manière, c'est en Chine que Siemens a localisé son «hub» R&D mondial consacré aux équipements médicaux low-cost. E.I. Pouvez-vous donner d'autres exemples d'innovations «frugales» d'ores et déjà opérationnelles ? N.R. Renault vient juste de lancer la Kwid sur le marché indien. Il s'agit d'une voiture à 4 000 dollars conçue, développée et produite à 95 % en Inde. General Electric a créé une nouvelle business unit baptisée «Solutions durables pour la santé» dont la vocation est de créer des équipements médicaux à faible coût destinés aux marchés à faibles revenus en collaborant notamment avec les ONG. Mais cette démarche n'est pas réservée aux grands groupes. Mon voisin dans la Silicon Valley a créé une start-up baptisée gThrive pour fabriquer des capteurs sans fil qui ressemblent à des règles en plastique que les agriculteurs peuvent utiliser pour collecter des données sur la nature des sols, la température de l'air, le soleil, etc. Ils peuvent ainsi optimiser leur consommation d'eau et d'engrais, tout en augmentant la qualité des récoltes et leur rendement. Cette solution, rentable en moins d'un an, représente une aubaine pour la Californie, cinquième producteur de denrées alimentaires dans le monde également confrontée à une grave pénurie d'eau. E.I. Quels sont encore les principaux obstacles à lever pour que l'économie frugale devienne un véritable levier de développement ?

N.R. L'économie frugale est un système économique dans lequel l'offre et la demande se rencontrent plus vite, mieux, de manière moins coûteuse et plus durable que dans un système traditionnel. Un système où la créativité individuelle est reine («small is beautiful») et où les efforts portent sur les économies de gammes afin de proposer des solutions personnalisées et durables grâce à de mini-unités de production (les fablabs) capables de fabriquer une multitude de produits personnalisés pour une multitude de micro-marchés tout en consommant peu de ressources. Pour réussir dans l'économie frugale, nos grandes entreprises doivent redimensionner à la baisse leurs chaînes de valeur en investissant dans des unités de production «agiles», capables de percevoir les besoins des consommateurs et d'y répondre rapidement. Ainsi, Novartis est en train d'investir dans une micro-usine de la taille d'un conteneur capable de produire des médicaments dix fois plus vite et dix fois moins chers et de réduire ses émissions de carbone de 90 % par rapport à un mode de production traditionnel. De même, Leroy Merlin s'est associé à TechShop, une plateforme do-it-yourself, pour ouvrir, en région parisienne, un atelier collaboratif où les consommateurs peuvent venir créer leurs propres produits en ayant accès à des outils et machines jusque là réservés aux professionnels. La devise du 20ème siècle était «je consomme, donc je suis», celle du 21ème sera «je crée, donc je suis». E.I. Quelles sont les caractéristiques de ce nouveau capitalisme ? N.R. C'est ce que j'appelle «le capitalisme frugal» ou «capitalisme décarboné». Dans mon esprit, c'est un capitalisme à valeurs humaines fortes. Un système capitaliste populaire, géré par les individus, pour eux et avec eux. Dans ce système, le coût de l'innovation et de l'échange est proche de zéro. C'est possible dans la mesure où ce capitalisme frugal repose sur deux piliers : le partage et le «faire». L'économie du partage permet aux citoyens d'échanger des biens et services sur un mode «peer to peer» en contournant les intermédiaires. Elle devrait représenter un marché de quelque 335 milliards de

dollars à l'horizon 2025. De même, le «Maker Movement» (avec les fablabs et l'imprimante 3D) réduit les barrières à l'entrée pour le développement de nouveaux produits et permet à chacun de devenir un inventeur. Une start-up comme Local Motors, par exemple, vous permet désormais de fabriquer une voiture personnalisée à l'aide d'une imprimante 3D ! Ce mouvement et l'explosion de l'open source en électronique va faire éclore une nouvelle génération de start-ups capables de disrupter des secteurs traditionnels comme la santé ou l'énergie en créant des équipements à la fois plus efficaces et à des coûts jusqu'à cent fois moins importants que ceux qui existent actuellement. E.I. Quels sont les atouts d'un pays comme la France dans cette nouvelle aventure collective ? N.R. Si l'on en croit le Crédoc, près de 15 % des consommateurs français sont prêts à choisir spontanément la frugalité comme style de vie et près d'un sur deux participe déjà activement à ce que l'on appelle l'«économie du partage». De nombreux entrepreneurs et grands groupes mettent en place des business models innovants pour répondre à ces attentes. Nous avons déjà évoqué l'aventure industrielle de Renault, de la Logan à la Kwid. Je citerai aussi Qarnot Computing, une start-up qui vient de lancer un radiateur numérique. Celui-ci est branché sur une prise Internet et ses résistances sont remplacées par des microprocesseurs capables d'effectuer des calculs. La chaleur ainsi générée est utilisée pour chauffer gratuitement logements et bureaux. La France est également à la pointe de l'innovation dans le domaine de l'économie circulaire. Citons, par exemple, Tarkett, un leader mondial du revêtement de sol utilisant de nombreuses techniques de recyclage destinées à éliminer les déchets mis en décharge à l'horizon 2020. Enfin, la France fait figure de championne du «Maker Movement» avec la multiplication des fablabs et des labos communautaires qui favorisent la «bottom up» innovation et son appropriation par le plus grand nombre.

Propos recueillis par Marie-Paule Virard [1] Diateino, 2015.

23

DOSSIER : LES GRANDES MUTATIONS À L’ŒUVRE DANS L’ÉCONOMIE MONDIALE

Afrique : des besoins énormes et des ressources encore insuffisamment exploitées

©DR

Albert YUMA-MULIMBI, Président de la CPCCAF, président de la Fédération des Entreprises du Congo

Albert Yuma-Mulimbi, Président de la Conférence permanente des chambres consulaires africaines et francophones et président de la Fédération des Entreprises du Congo, met ici l'accent sur les deux priorités de la CPCCAF : le développement des PME, facteur de «croissance inclusive», et la francophonie comme avantage économique à traiter au sein d'un même espace linguistique.

e développement économique africain est désormais une réalité admise par tous. Continent de tous les superlatifs, il reste néanmoins largement exclu du commerce mondial : il ne contribue que pour moins de 3 % des échanges. L'Afrique constitue pourtant la zone de plus forte croissance démographique au monde, avec des projections de population de 2 milliards d’habitants au minimum en 2050, et un sous-sol qui recèle 30 % des réserves minérales mondiales tandis que ses terres arables sont les plus abondantes de la planète, avec 50 % de la totalité. La croissance du continent reste forte depuis le début des années 2000, mais elle est malheureusement trop peu inclusive car largement portée par les secteurs primaires peu pourvoyeurs d’emplois et soumis de surcroît aux retournements de conjoncture sur les marchés des matières premières. Tous les acteurs, gouvernements, partenaires techniques et financiers de l’aide au développement, corps intermédiaires, sont pourtant convaincus que le développement africain passera par le renforcement de son secteur privé, de son agriculture largement familiale, de son industrie embryonnaire, du secteur des services, qui constituera la force motrice de l'évolution économique et sociale, structurant la société, favorisant l’émergence d’une classe moyenne, permettant de poser les fondements d’une gouvernance élargie et partagée. Mais ne confondons pas les causes et les conséquences. Il nous faut tout d’abord répondre aux besoins

L

élémentaires de nos sociétés, en eau, en santé, en énergie, en nourriture et investir prioritairement dans leur satisfaction. Il nous faut investir dans les capacités productives, créer des emplois, former des jeunes, créer des richesses, assurer un environnement des affaires propices aux flux économiques pour permettre aux acteurs de contribuer collectivement au renforcement et au financement de nos États et de nos structures publiques. Deux paris : les PME et la francophonie économique Au sein de la Conférence permanente des chambres consulaires africaines et francophones, qui regroupe depuis 1973 les chambres consulaires de 29 pays africains et francophones, nous avons fait deux paris. Celui des PME et celui de la francophonie économique. Pourquoi les PME ? Parce qu’elles sont les principales vectrices d’emplois dans les pays de l’OCDE comme en Afrique. Dans nos pays, elles sont la courroie de transmission entre la croissance de notre continent et la plus grande redistribution des fruits de cette croissance. Elles consomment, sous-traitent, emploient et investissent localement, elles ont «la croissance inclusive» et l’inclusion est la priorité des priorités. Pourquoi la francophonie économique ? Parce qu’il est aujourd’hui largement prouvé, grâce aux théories de la gravité linguistique, qu’il y a un avantage comparatif à traiter au sein d’un espace commun linguistique. La Fondation pour les études et recherches sur le développement international (Ferdi) l’a mis en évidence : on

commerce mieux et plus, quand on parle la même langue. Cela peut sembler banal, mais il a fallu attendre 2013 pour que ce qui n’était qu’une intuition soit prouvé d'un point de vue économétrique. C’est pourquoi, nous agissons au quotidien, avec nos partenaires comme l’Agence française de développement (AFD)ou International Trace Center, via nos chambres de commerce, d’agriculture, des métiers et de l’artisanat, qui sont les représentants de tous les ressortissants économiques de leur territoire, en faveur de projets qui visent à favoriser l’entrepreneuriat, à accompagner le développement des entreprises existantes, à développer leurs compétences techniques et commerciales avec des partenaires francophones et à s’internationaliser pour celles qui le peuvent en s’intégrant aux chaînes de valeur mondiales. Ces projets, nourris de la solidarité francophone au sein d’un espace commun, constituent in fine une forte incitation à nouer des relations économiques entre nos différentes entreprises, objectif qui reste au cœur du projet CPCCAF tel qu'il fut dessiné par ses pères fondateurs, les présidents Senghor, Boigny et Pompidou.

©DR

24

POINT DE VUE

L'Unifab a déclaré la guerre à la contrefaçon

©DR

Delphine SARFATI-SOBREIRA, Directrice générale de l’Union des Fabricants (Unifab)

Lutter contre la contrefaçon, défendre les intérêts des consommateurs et la réputation des entreprises et promouvoir les droits de propriété intellectuelle et industrielle... Tels sont les objectifs principaux de l’Unifab qui s'implique activement dans cette bataille, tant sur le plan juridique que sur celui de la communication et du lobbying institutionnel.

ujourd'hui, la contrefaçon a pris une ampleur considérable, au risque d'entacher la créativité et d'étouffer l'innovation. Elle a en outre de nombreuses répercussions négatives, tant sur le plan économique, que sur la santé publique, la fiscalité, l’environnement et l’emploi... 8,8 millions d’articles de contrefaçon ont été saisis en 2014 par les douanes françaises. Ce chiffre en constante augmentation, traduit une réelle prise de conscience des instances tant françaises qu'européennes. D'autant que les contrefacteurs ne se limitent pas à un seul secteur d’activité, c’est toute l’industrie qui est touchée ! Cette pratique illégale, en partie dominée par l’Asie (80% des produits incriminés en proviennent), peut en effet avoir des conséquences économiques et sociales inquiétantes. Les pouvoirs publics chiffrent à 200 000 le nombre d’emplois supprimés par an dans le monde, dont 100 000 en Europe et près de 40 000 en France. A ces pertes s’ajoutent celles des entreprises (environ 10 % de leur chiffre d’affaires), les risques associés à une mise en danger du consommateur et au développement d'une délinquance économique et financière. Au service de ses 200 entreprises membres, issues de tous les secteurs d'activité, l’Union des Fabricants (Unifab), association française de lutte anti-contrefaçon, promeut et protège au niveau européen et international, le droit fondamental de la propriété intellectuelle et agit par le biais de 4 missions principales. L’Unifab s’implique activement au niveau juridique. Elle informe, accompagne et apporte un soutien à ses adhérents, composés d’entreprises et de fédérations professionnelles, dans leur lutte anti-contrefaçon. Cette action passe par le biais

A

26

d’informations sur l’actualité législative, l’organisation de commissions juridiques et techniques sur des thèmes définis, la signature de chartes ou l’élaboration de Codes de bonne conduite. .. . Elle dispose aussi d’un collège composé d’experts en matière de propriété intellectuelle en France et à l’étranger Et a ouvert des bureaux à Tokyo (Japon) et à Pékin (Chine) afin d’accroître son rayonnement et son influence à l’international pour répondre aux problématiques posées par la contrefaçon, L’association s'efforce également de sensibiliser le grand public à travers diverses actions de communication. L’objectif est notamment d'initier une prise de conscience des consommateurs quant à la dangerosité des produits de contrefaçon sur la santé ou son imbrication avec les organisations criminelles. Ainsi, l’Union des Fabricants conçoit des campagnes de communication grand public destinées à mettre en valeur l’authentique et ses nombreuses vertus. Elle est également à l’origine de la création de l’édition française de la Journée Mondiale Anti-contrefaçon, d’opérations de sensibilisation estivales du public dans le Sud de la France ou du Forum Européen de la Propriété Intellectuelle, qui réunit plus de 300 participants chaque année et se déroulera à Paris les 11 et 12 février prochains. Elle est, par ailleurs, très active sur les réseaux sociaux. A la fin de l’année, l’Indicam, l’Andema et l’Unifab lanceront de concert leur opération «AuthentiCité» destinée à la promotion des villes engagées dans la lutte anti-contrefaçon par la délivrance d’un label de propreté sous le haut parrainage de l’Office de l’Harmonisation du Marché Intérieur (OHMI). L’un de nos outils de communication privilégié reste le Musée de la

Contrefaçon : seul vrai espace qui collectionne les faux, son caractère unique au monde en fait un lieu mythique et original. Rassemblées au gré des diverses saisies en douanes, les contrefaçons y sont présentées aux côtés des produits originaux et sensibilisent près de 15 000 visiteurs par an. Depuis juin dernier, Le musée dresse l' inventaire des nouveaux instruments d’authentification et de traçabilité des produits développés par les entreprises pour lutter contre ce fléau, à l'occasion d'une exposition temporaire, «SUIVEZ LE VRAI A LA TRACE…», mise en place jusqu’en juillet 2016. Si l’Unifab est impliquée dans la prise de conscience du phénomène auprès des entreprises et des particuliers, sa collaboration avec les pouvoirs publics est essentielle (formation notamment des agents opérationnels, échanges, prises de position communes avec l’INPI, implication au sein du CNAC…). Enfin, l’Unifab exerce une action de lobbying auprès d’instances internationales et européennes, telles que la Commission européenne, l’OHMI, l’OMPI ou encore Interpol, afin de protéger la propriété intellectuelle. C’est pourquoi elle a souhaité se rapprocher de la Chambre de commerce internationale (ICC), l’Organisation mondiale des entreprises, très fortement engagée au niveau mondial pour défendre les droits de la propriété intellectuelle et lutter contre la contrefaçon. C’est ainsi qu’ICC conduit depuis de nombreuses années un projet spécial, dénommé BASCAP, fer de lance des entreprises au niveau mondial dans la lutte contre le piratage et la contrefaçon. Ce rapprochement vient de se traduire par la signature récente d’un accord de coopération entre l’Unifab et ICC France.

POINT DE VUE

V.I.E : la solution RH pour le développement export des PME

©DR

Michel OLDENBURG, directeur du V.I.E. de Business France

Le Volontariat International en Entreprise (V.I.E) permet aux entreprises françaises de confier à un jeune, homme ou femme, de 18 à 28 ans, une mission professionnelle à l'étranger d'une durée de 6 à 24 mois, renouvelable une fois dans cette limite de deux ans.

a première contrainte à laquelle est confrontée une entreprise lorsqu’elle se lance à l’export est relative aux ressources humaines. L’international nécessite un travail préparatoire et impose, dans la plupart des cas, une présence sur place. Pour répondre de manière efficace à cette problématique, le gouvernement a créé en 2000 un statut unique au monde pour donner aux entreprises françaises les moyens humains de leur développement à l’export. Sa gestion est déléguée à Business France, l’agence nationale au service de l’internationalisation de l’économie française, mandatée à cet effet par le Secrétariat d'État chargé du Commerce extérieur, de la promotion du Tourisme et des Français de l’étranger. La formule est ouverte aux jeunes Françaises et Français ayant l’âge requis, de tous profils et niveaux de formation, en règle avec leurs obligations de service national, ainsi qu’aux jeunes ressortissants de l’Espace économique européen dans les mêmes conditions. Le statut public du volontaire exonère l’entreprise de tout lien contractuel (le contrat est passé entre Business France et le candidat) ainsi que de toutes charges sociales en France. Cette formule apporte à l’entreprise, ainsi qu’au V.I.E, un cadre protecteur et sécurisé. Ainsi déchargée des tâches de gestion du personnel, l’entreprise peut se consacrer uniquement au pilotage opérationnel de la mission du V.I.E. Depuis l’instauration du V.I.E en 2000 et le départ des premiers volontaires en 2001, plus de 54 000 jeunes ont

L



Une formule qui vous fait bénéficier de nombreux avantages financiers.  L’entreprise n’est pas assujettie aux charges sociales en France sur le V.I.E.  Les indemnités (hors frais) versées aux V.I.E en poste sont déductibles du résultat de l’entreprise française avant impôt.  Le budget V.I.E est intégrable dans une assurance prospection COFACE.  Une part importante du coût du V.I.E est prise en charge dans certaines régions (jusqu’à 100% des indemnités du jeune sur 12 mois sur une mission commerciale).  Le recours à un V.I.E ouvre droit au crédit d'impôt export, mesure destinée aux PME qui engagent des dépenses de prospection commerciale afin d'exporter.  Les dépenses liées au recours à un V.I.E sont éligibles au Prêt de développement export Bpifrance.  Le recours au V.I.E est intégré dans le calcul de la taxe d’apprentissage pour les entreprises de plus de 250 salariés.

profité du dispositif pour le compte de plus de 5 800 entreprises. Cette opportunité n’est pas réservée aux grands groupes. Bien au contraire. En juin 2015, 1 870 entreprises, dont 67% de PME, avaient eu recours au V.I.E dans le développement de leur activité économique et 8 680 V.I.E étaient en poste dans 128 pays à travers le monde. Depuis sa mise en place, le V.I.E a rapidement trouvé sa place au sein des services RH des entreprises. Il est aujourd’hui reconnu comme une formule efficace pour le développement à l’international des entreprises et un accélérateur de professionnalisation et de carrière pour les jeunes. Il leur permet d’acquérir une vraie expérience professionnelle valorisante à l’étranger. 68 % se sont vu proposer un poste à l’issue de leur mission et, un an après la fin de leur mission, le taux d’embauche est de 97 %. Un signe fort que le Volontariat est, pour les entreprises aussi, un

moyen efficace d’évaluer un jeune talent sur le terrain avant une embauche définitive éventuelle. 95 % d'entre elles considèrent le V.I.E comme un vivier de recrutement pour des salariés de valeur et 65 % considèrent que le V.I.E a eu un impact direct sur leur implantation commerciale. Le résultat est au rendez-vous : 73 % des entreprises ayant eu recours au V.I.E ont vu leur chiffre d’affaires progresser, 72 % ont bénéficié d’une hausse de notoriété et 60 % affirment avoir gagné de nouveaux clients (enquête CSA 2011 et 2014). Soulignons enfin que si l’entreprise n’a pas de bureau local, elle peut bénéficier du portage par un grand groupe français implanté dans le pays ou héberger son V.I.E au sein du bureau Business France local ou chez un de nos partenaires. Pour en savoir plus. Business France (0 810 659 659, prix d'un appel local) [email protected]

27

POINT DE VUE

Un atout pour l' Europe industrielle: le brevet unitaire et la juridiction unifiée Alice PEZARD, avocat, membre du Groupe d'experts chargé d'établir les règles de procédure de la juridiction unifiée

©DR

des brevets, conseiller honoraire à la Cour de Cassation

La juridiction unifiée des brevets et le brevet européen à effet unitaire constituent deux institutions essentielles à la survie de l'Europe industrielle. Il y a urgence à les mettre en œuvre après une coopération erratique de plusieurs décennies.

n créant, le 19 février 2013, par voie d'Accord international, une Cour européenne des brevets, l'Europe a reconnu l'ampleur et la complexité des questions juridiques portant sur les brevets. Cette juridiction unifiée des brevets (JUB) a vocation à harmoniser la jurisprudence européenne en ce qui concerne la validité des brevets et les sanctions contre la contrefaçon, à l'instar de la mission de la Court of Appeals for the Federal Circuit américaine. Parallèlement, l'Union européenne s'est dotée -par règlement du 17 décembre 2012- d'un brevet européen à effet unitaire.

E

Un brevet à effet unitaire. Le brevet à effet unitaire n’est pas un nouveau titre de propriété industrielle mais le brevet européen créé par la signature de la Convention de Munich du 5 octobre 1973 (CBE). Il aura désormais un effet unique restreint aux États de l'Union ayant ratifié. Sa portée peut être demandée pour plusieurs ou l'un des États contractants de la Convention de Munich. Son entrée en vigueur est subordonnée à celle de la juridiction unifiée des brevets (la JUB) et est prévue le mois suivant le dépôt du 13ème instrument de ratification de l’Accord à condition que la Grande-Bretagne, la France et l'Allemagne aient ratifié. À ce jour, 8 États ont déjà ratifié, parmi lesquels la France, le 13 février 2014. Selon l'Accord intervenu le 24 juin dernier entre les États de l'Union européenne, à l'exception de l'Espagne, la Pologne, l'Italie et la Croatie, sur le montant des redevances qui seront dues par les titulaires, l'enregistrement de ce brevet en une seule fois coûtera moins de 5 000 euros, soit six fois moins qu'aujourd'hui. 28

Un régime provisoire pour la langue du brevet s'impose pendant une période ne pouvant aller au-delà de douze ans : le breveté devra fournir une traduction en anglais si le brevet est en français ou en allemand, et si le brevet est en anglais, une traduction dans une autre langue de l’Union. Une juridiction unifiée Chaque État membre pourra avoir une ou plusieurs divisions locales, dans la limite maximale de quatre. Plusieurs d'entre eux pourront se regrouper pour créer une division régionale. La Division centrale ou Tribunal de première instance aura son siège à Paris, avec deux sections à Londres et à Munich et le premier président sera un magistrat français avec le greffe installé à Munich. La section de Londres traitera les nécessités courantes de la vie, dont les produits pharmaceutiques, la chimie et la métallurgie ; celle de Munich, la mécanique, l’éclairage, le chauffage, l’armement et le sautage ; la Division centrale traitera à Paris des techniques industrielles et des transports, des textiles, du papier, des constructions fixes, de la physique et de l’électricité. La Cour d'appel aura son siège et son greffe à Luxembourg. Des comités de médiation et d’arbitrage seront créés à Lisbonne et à Lubiana. La JUB sera composée d'une centaine de juges qualifiés sur le plan juridique et/ou sur le plan technique. Un centre de formation a ouvert ses portes à Budapest. La «bifurcation» allemande, qui distingue le juge de la validité du brevet et celui de la contrefaçon ayant été retenue, la division locale ou la division régionale a le pouvoir discrétionnaire de : • juger l'action en contrefaçon et la demande reconventionnelle en

nullité (en s'adjoignant un juge technicien) ; • renvoyer la demande reconventionnelle en nullité devant la Division centrale et juger l'action en contrefaçon ; • avec le consentement des parties, renvoyer l’affaire devant la Division centrale. La Division centrale a pour compétence la demande en nullité des brevets. S'agissant de la contrefaçon, la Division compétente peut être celle du lieu de la contrefaçon, du domicile du défendeur ou celle choisie par les parties. L'octroi des dommages et intérêts est séparé avec une prescription quinquennale à partir de la date à laquelle le breveté a eu connaissance de la contrefaçon. La langue de la procédure devant les Divisions locales ou régionales est la langue nationale ou l’une des trois langues officielles de 1'OEB (anglais, allemand et français). La division locale française retiendra vraisemblablement à la fois le français et l'anglais. Devant la Division Centrale, comme en appel, seule la langue du brevet est applicable. La représentation est assurée par un avocat d'un État-membre ou un mandataire européen spécialisé, avec à l'audience, l'assistance facultative d'un mandataire en brevets, tous protégés par le «legal privilege». La survie de l'Europe industrielle exige une entrée en vigueur de ces institutions dans les meilleurs délais en limitant le système de l'«opt out», réversible à tout moment qui permet pendant 7 ans, renouvelable une fois, au titulaire d'un brevet européen classique de déroger à la compétence exclusive de la juridiction unifiée en contrepartie du paiement d'une taxe.

ÉVÉNEMENTS

Les nouvelles règles du jeu douanier en Europe Raphaël BARRAZA, Avocat au barreau de Paris, membre de la Commission Politique commerciale, douanes

Le 20 octobre dernier, la commission « Politique commerciale, douanes et facilitation du commerce » d'ICC France organisait un séminaire consacré à la réforme du Code des Douanes de l’Union (CDU) réunissant des experts de la Direction Générale des Douanes (DGDDI), mais aussi de chargeurs et de commissionnaires. Au programme : les nouvelles règles du jeu douanier de l’Union.

ien que le CDU soit entré en vigueur le 30 octobre 2013, i l n ’ e st p a s p o u r a u ta n t applicable. Depuis janvier 2014, la Commission, les États-Membres et les représentants du Trade ont discuté activement des dispositions d’application (désormais baptisés «Actes d’exécution» et «Actes délégués», selon la nouvelle nomenclature du Traité de Lisbonne) appelées à remplacer les actuelles Dispositions d’Application du CDC. L’ensemble de ces textes entrera en vigueur le 1er mai 2016. Afin d'en faciliter la mise en œuvre, la nouvelle réglementation comporte des dispositions transitoires jusqu’au 1er mai 2019.

B

Des facilités accrues sous conditions Le CDU est un projet ambitieux qui vise à la fois la modernisation et la sécurité de l’Union Douanière. L’Opérateur Économique Agréé y tient une place de choix. Si les conditions d’obtention de cette certification ne connaissent pas de changements majeurs, le CDU ambitionne en revanche d'octroyer des «avantages» effectifs aux Opérateurs économiques agréés (OEA). En matière de contrôles douaniers, le principe de l’allègement est maintenu, tandis que l’OEA se voit notamment offrir la possibilité de choisir le lieu de déroulement du contrôle. Le dédouanement centralisé communautaire, qui permet de déposer des déclarations dans un État-Membre distinct de celui de l’introduction physique des marchandises, sera réservé aux OEA-C.

30

Dans le CDU, les régimes «économiques» du CDC deviennent «particuliers». Outre cet amendement terminologique, de nombreux changements sont à noter, comme, par exemple, la disparition des régimes de l’entrepôt de type D et de la transformation sous douane, la généralisation de la taxation de la plus-value pour le perfectionnement passif, ou encore, la dématérialisation du document de transit. Un examen approfondi des dispositions transitoires s’impose pour tous les opérateurs afin d’anticiper les changements opérationnels à venir. Les règles d’assiette de la valeur en douane Sur cette question essentielle pour les chargeurs, les évolutions sont importantes. En matière de ventes successives, le CDU supprime progressivement une facilité qui permettait aux opérateurs de se référer à une vente «antérieure» pour les besoins de l’évaluation. Sous l’impulsion de l’Organisation mondiale des Douanes (OMD), la vente pour l’exportation sera désormais la dernière avant l’introduction des marchandises sur le territoire de l’UE. Très contestée par ICC, cette réforme sera mise en œuvre après une période de «grâce» prenant fin au 31 décembre 2017. En matière de redevances, la rédaction des nouveaux textes n’est pas sans susciter quelques questionnements. En effet, la «condition de la vente», autrefois requise dans des conditions strictes pour l’inclusion des redevances dans la valeur en douane, se trouve définie de façon

très extensive. Toutefois, la DGDDI rappelle que l’objectif n’est pas pour autant de taxer toutes les redevances et indique que la Commission Européenne travaille à l’élaboration de règles directrices pour éclairer la portée de ces nouvelles dispositions. La représentation en douane La dualité des modes de représentation - directe et indirecte - est conservée au sein du CDU. Toutefois, la représentation directe, autrefois réservée en France aux commissionnaires en douane, sera ouverte à d’autres opérateurs, chargeurs ou transitaires non agréés. Outre cette ouverture, un opérateur pourra exercer une représentation en douane dans un État-membre autre que celui dans lequel il est établi, sous réserve d’y être enregistré. Ces changements devront se traduire d’ici la fin d’année par une nouvelle législation au plan français. La réforme du CDU représente une étape importante dans la modernisation de l’Union Douanière. Pour autant, ce processus doit faire face à des défis importants, notamment l’interopérabilité des systèmes informatiques au sein de l’UE, prévue pour fin 2020, qui conditionne l’effectivité de certaines facilités promises aux opérateurs.

©DR

©DR

et facilitation du commerce d'ICC France, représentant au Trade Contact Group

ÉVÉNEMENTS

Retour sur trois années d’application du Règlement d’arbitrage de la CCI Christine LECUYER-THIEFFRY, associée co-fondatrice de Thieffry et associés et avocate au barreau de Paris

©Gilles Dacquin

Le séminaire qui s’est tenu le 23 juin 2015 au siège mondial de l'ICC, organisé par ICC France dans le cadre de l’Observatoire de pratique du Règlement d’arbitrage de l'ICC, a permis autour de trois tables rondes de faire le point et de débattre sur trois années de son application.

oin de suivre un phénomène de mode, les dispositions relatives à l’arbitrage d’urgence répondent à un besoin des utilisateurs. Tel est le constat du Secrétaire général de l a C o u r , A n d ré a Carlevaris, qui a précisé que chaque affaire pose de nouvelles questions dans un contexte où le panorama législatif sur l’exécution des décisions de l’arbitre d’urgence est en évolution.

L

Un groupe de travail sur l'arbitre d'urgence Cela a conduit la Commission internationale de l’arbitrage à confier au groupe de travail co-présidé par Diana Paraguacuto-Maheo la mission d’étudier les retours d’expérience sur l’utilisation la procédure d’arbitre d’urgence d’ICC ainsi que sur celles d’autres institutions d’arbitrage, d’analyser les questions de procédure et de fond et d’examiner les tendances qui pourraient se dessiner. Philippe Pinsolle a, quant à lui, constaté que les dispositions nouvelles relatives aux arbitrages complexes sont parfois utilisées par les parties et leurs conseils de manière stratégique pour influer sur la constitution du tribunal arbitral ou la remettre en cause, entraînant ainsi inévitablement des

délais dans la constitution du tribunal arbitral. De la bonne utilisation de la conférence sur la gestion de la procédure Yves Derains, et à ses côtés Roland Ziade et Isabelle Hautot, forts de leurs expériences respectives en tant qu’arbitre, conseil et représentant de l’entreprise, ont abordé les questions pratiques liées aux rôles respectifs des parties et du tribunal arbitral dans la conduite de la procédure. Le besoin de prévisibilité des parties et leurs conseils résultant d’une certaine standardisation de la procédure ne devrait pas faire obstacle à la flexibilité de la procédure arbitrale et devrait conduire à évoluer vers du « sur mesure ». La conférence sur la gestion de la procédure offre à l'arbitre l’occasion d’agir en pédagogue en indiquant aux parties que ce qui importe est de prouver leurs demandes et d’établir une relation directe entre leurs allégations et la preuve qu’elles rapportent. Pour cela il doit s’investir dès le début de la procédure en prenant connaissance des éléments du dossier sans hésiter à tenir d’autres conférences de la procédure à l’occasion de points d’étape après l’échange des premiers mémoires et autant que nécessaire. Vers une plus grande transparence Face à la concurrence de plus en plus vive des institutions d’arbitrage le nouveau président de la Cour, Alexis Mourre, a réaffirmé sa volonté de renforcer le caractère global et inter-

national de la Cour d’arbitrage en prolongeant son ouverture vers l’Amérique Latine et en organisant des réunions ailleurs qu’à Paris. Ainsi, en 2016, une session de travail de la Cour se tiendra à New York. Dans un contexte de suspicion à l’égard de l’arbitrage d’investissement qui risque de contaminer l’arbitrage commercial, il a par ailleurs souligné que l'ICC se devait d’être exemplaire dans ses pratiques. Le débat entre le professeur Laurent Aynes et Laurence Kiffer a porté sur l’exigence de transparence de plus en plus forte de l’arbitrage qui n’est pas sans incidence sur les délais de constitution du tribunal arbitral et qui s’est traduite par une évolution de la pratique de la Cour sur la non-communication aux parties des motifs de ses décisions. Depuis le mois d’octobre, par dérogation aux dispositions du Règlement, et à la demande de toutes les parties, la Cour pourra communiquer les motifs des décisions de récusation d’un arbitre ou de son remplacement lorsque celuici intervient à l’initiative de la Cour. Cette pratique pourrait être étendue à la demande de toutes les parties aux décisions rendues sur la jonction d’arbitrages et sur la compétence prima facie. Pour en bénéficier, les parties devront en faire la demande avant que la décision de la Cour ne soit prise. La décision d’accepter ou de rejeter une telle demande reste à la discrétion de la Cour qui peut la conditionner à une augmentation des frais administratifs n’excédant pas normalement 5 000 dollars. 31

FORMATIONS ET SÉMINAIRES

Programme d’ICC France au 1er semestre 2016 Notez les prochains rendez-vous sur votre agenda ! Avec son Centre de Perfectionnement au Commerce International (CPCI), ICC France répond aux besoins des entreprises françaises désireuses de former et de perfectionner leur personnel aux techniques et aux règles du commerce international.

epuis sa création en 1919, la C h a m b re d e C o m m e rce Internationale s’est donnée pour mission d’élaborer des règles et des contrats-types pour faciliter les transactions commerciales internationales : Incoterms, contrats modèle … etc ; autant d'outils qui correspondent à de bonnes pratiques reconnues dans le monde entier. Ainsi, les entreprises peuvent négocier des contrats équilibrés et sécuriser leurs transactions internationales.

D

NOS FORMATIONS Au cours du 1er semestre 2016, les formations et séminaires portent principalement sur le Trade Finance et les modes alternatifs de règlement des litiges. Pour animer ces formations, ICC France fait appel aux meilleurs spécialistes des sujets, dotés d’une solide expérience comme formateurs. Chaque formation propose deux niveaux : initiation ou maîtrise. La priorité est donnée aux sessions d’une journée ou aux sessions fractionnées, mais rapprochées dans le temps. Le nombre de participants est volontairement limité à 12 personnes par stage, afin de faciliter le processus pédagogique et l’interaction entre participants et formateurs.

Les sessions se tiennent principalement à Paris, au siège d’ICC France (9, rue d’Anjou 75008 Paris). Sur demande auprès d’ICC France, il est possible de les organiser en entreprises et partout en France. Calendrier Règlement des litiges • 14 janvier 2016 : Expertise en médiation internationale • 13, 20, 27 janvier, 3 et 10 février 2016 : Etude d’un cas d’arbitrage international Trade Finance • 9 et 10 mai 2016 : Maîtrise des garanties bancaires internationales • 12 mai 2016 : Opinions bancaires d’ICC sur les crédits documentaires • 18 au 26 mai 2016 : Formation intensive aux crédits documentaires • 2 et 3 juin 2016 : Initiation aux crédits documentaires • 16 juin 2016 : Initiation aux garanties bancaires internationales NOS SEMINAIRES Soucieux de répondre aux préoccupations des entreprises, ICC France organise chaque année des séminaires sur des thèmes économiques et juridiques d’actualité. Nous nous attachons à choisir les meilleurs

experts pour intervenir dans le cadre de ces manifestations. Nous faisons appel à d’éminents professeurs de faculté, des avocats et des conseils, des magistrats, des dirigeants d’entreprises, des représentants d’organisations professionnelles pour animer ces séminaires. En général, les séminaires se déroulent soit sur une demi-journée, soit sur une journée, au siège mondial de la Chambre de Commerce Internationale 33-43 avenue du Président Wilson Paris 16ème. Calendrier SEMINAIRES PROGRAMMÉS AU COURS DU 1er SEMESTRE 2016 Ils porteront sur les thèmes suivants : - L’actualité du Trade Finance (20 janvier 2016) - Contribution de la justice transactionnelle à la lutte contre la corruption (23 février 2016) - Le droit des marques et le développement des nouvelles technologies de communication, en partenariat avec l’UNIFAB (mars). - L’application extraterritoriale des lois nationales : un obstacle pour le commerce mondial et l’investissement international ? en partenariat avec l’AFJE (mars/avril). - L’arbitrabilité des litiges liés à la corruption (mai/juin)

Retrouvez le programme détaillé de nos formations et de nos séminaires sur

www.icc-france.fr Pour plus d’informations et vous inscrire, contactez ICC France, au 01 42 65 12 66 ou envoyez un message à : [email protected]

32

sur

et