Arrêt de Grande Chambre sur la question de la satisfaction ... - HUDOC

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du Greffier de la Cour CEDH 131 (2014) 12.05.2014

Arrêt de Grande Chambre sur la question de la satisfaction équitable concernant l’affaire Chypre c. Turquie Dans son arrêt de grande chambre, définitif1, rendu ce jour dans l’affaire Chypre c. Turquie (requête no 25781/94), la Cour européenne des droits de l’homme se prononce sur la question de l’application de l’article 41 (satisfaction équitable). La Cour dit, à la majorité, que le temps écoulé depuis le prononcé de l’arrêt au principal le 10 mai 2001, ne l’empêche pas d’examiner les demandes formulées par le gouvernement de Chypre au titre de la satisfaction équitable. La Cour dit, à la majorité, que la Turquie doit verser à Chypre 30 000 000 euros (EUR) pour le dommage moral subi par les familles des personnes disparues et 60 000 000 EUR pour le dommage moral subi par les Chypriotes grecs enclavés dans la péninsule du Karpas. Ces montants seront distribués par le gouvernement de Chypre aux victimes individuelles sous la surveillance du Comité des Ministres.

Principaux faits L’affaire concerne la situation dans le nord de Chypre depuis que la Turquie y a effectué des opérations militaires en juillet et août 1974 et la division continue du territoire de Chypre depuis cette date. Dans son arrêt de Grande Chambre rendu le 10 mai 2001, la Cour a conclu que la Turquie avait commis de nombreuses violations de la Convention en raison des opérations militaires qu’elle avait menées dans le Nord de Chypre en juillet et août 1974, de la division continue du territoire de Chypre et des activités de la « République turque de Chypre du Nord » (RTCN). Concernant la satisfaction équitable, la Cour avait dit à l’unanimité que la question n’était pas en état et en avait ajourné l’examen. La procédure d’exécution de l’arrêt au principal est actuellement pendante devant le Comité des Ministres. Le 31 août 2007, le gouvernement de Chypre a informé la Cour qu’il avait l’intention de soumettre une demande à la Grande Chambre en vue de la reprise de l’examen de la satisfaction équitable. Le 11 mars 2010, le gouvernement de Chypre a présenté à la Cour sa demande de satisfaction équitable pour les personnes disparues à l’égard desquelles la Cour avait conclu à la violation des articles 2 (droit à la vie), 3 (interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants), et 5 (droit à la liberté et à la sûreté). Le 25 novembre 2011, le gouvernement de Chypre a adressé à la Cour un document visant la procédure d’exécution de l’arrêt au principal par le Comité des Ministres et priant la Cour de prendre certaines mesures afin de faciliter l’exécution de cet arrêt. En réponse à des questions complémentaires posées par la Cour et à son invitation à soumettre la version définitive de sa demande de satisfaction équitable, le gouvernement de Chypre a présenté, le 18 juin 2012, ses prétentions au titre de l’article 41 concernant les personnes disparues et a soumis des demandes se

1 Les arrêts de Grande Chambre sont définitifs (article 44 de la Convention). Tous les arrêts définitifs sont transmis au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe qui en surveille l’exécution. Pour plus d’informations sur la procédure d’exécution, consulter le site internet : http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/execution

rapportant aux violations commises à l’égard des Chypriotes grecs enclavés dans la péninsule du Karpas.

Procédure et composition de la Cour La requête a été introduite devant l’ancienne Commission européenne des droits de l’homme en 1994. Elle a été déférée à la Cour européenne des droits de l’homme par le gouvernement de Chypre le 30 août 1999 et par la Commission le 11 septembre 1999. Un arrêt sur le fond a été rendu par la Grande Chambre le 10 mai 2001. L’arrêt a été rendu par la Grande Chambre de 17 juges, composée en l’occurrence de : Josep Casadevall (Andorre), président, Françoise Tulkens (Belgique), Guido Raimondi (Italie), Nina Vajić (Croatie), Mark Villiger (Liechtenstein), Corneliu Bîrsan (Roumanie), Boštjan M. Zupančič (Slovénie), Alvina Gyulumyan (Arménie), David Thór Björgvinsson (Islande), George Nicolaou (Chypre), András Sajó (Hongrie), Mirjana Lazarova Trajkovska (« L’Ex-République Yougoslave de Macédoine »), Ledi Bianku (Albanie), Ann Power-Forde (Irlande), Işıl Karakaş (Turquie), Nebojša Vučinić (Monténégro), Paulo Pinto de Albuquerque (Portugal), ainsi que de Michael O’Boyle, greffier adjoint.

Décision de la Cour Recevabilité de la requête de Chypre La Cour rappelle que la Convention européenne des droits de l’homme est un traité international à interpréter conformément aux normes et principes du droit international public, et notamment à la lumière de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités. La Cour n’a jamais considéré les dispositions de la Convention comme le seul cadre de référence pour l’interprétation des droits et libertés qu’elle contient. Au contraire, la Cour doit prendre en considération toute règle et tout principe de droit international applicables aux relations entre les Parties contractantes. La Cour admet que le droit international général, dans un différend interétatique, reconnaît en principe l’obligation pour le gouvernement requérant d’agir sans délai pour garantir la sécurité juridique et ne pas causer de préjudice disproportionné aux intérêts légitimes de l’Etat défendeur (voir Nauru c. Australie, Cour internationale de justice). La Cour rappelle que la présente requête a été introduite en 1994 devant l’ancienne Commission européenne. En vertu de son règlement alors en vigueur, ni le gouvernement requérant, ni les requérants individuels n’étaient tenus d’exposer dans le formulaire de requête leur demande de satisfaction équitable. La Cour rappelle que, par lettre adressée aux deux gouvernements le 29 novembre 1999, elle a donné pour instruction au gouvernement requérant de ne pas soumettre de

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demande de satisfaction équitable au stade de l’examen au fond de l’affaire. Il est donc compréhensible que celui-ci ne l’ait pas fait. La Cour a dit dans son arrêt sur le fond que la question de l’éventuelle application de l’article 41 ne se trouvait pas en état et qu’elle en ajournait l’examen. Aucun délai ne fut donné aux parties pour la présentation de leurs demandes de satisfaction équitable. La Cour estime par conséquent que le fait que le gouvernement chypriote n’ait soumis sa demande de satisfaction équitable que le 11 mars 2010 ne rend pas sa demande irrecevable et qu’il n’y a aucune raison de rejeter cette demande pour tardiveté.

Applicabilité de l’article 41 dans les affaires interétatiques La Cour observe que, jusqu’à présent, elle ne s’est penchée qu’une seule fois sur la question de l’applicabilité de la règle de la satisfaction équitable dans une affaire interétatique, à savoir l’affaire Irlande c. Royaume-Uni. La logique de la règle de la satisfaction équitable découle des principes de droit international public régissant la responsabilité de l’État. Le principe de droit international le plus important relativement à la violation par un État d’une obligation découlant d’un traité veut que la violation d’un engagement entraîne l’obligation de réparer dans une forme adéquate. En gardant à l’esprit la spécificité de l’article 41 par rapport aux règles et principes généraux du droit international, la Cour n’interprète pas cette disposition dans un sens étroit et restrictif excluant les requêtes interétatiques de son champ d’application. La logique globale de l’article 41 de la Convention ne diffère pas fondamentalement de celle qui gouverne les réparations en droit international public. Dès lors, la Cour estime que l’article 41 de la Convention s’applique bien en tant que tel, dans les affaires interétatiques. Cela étant, du fait de la nature même de la Convention, c’est l’individu et non l’État qui est directement ou indirectement touché et principalement lésé par la violation d’un ou de plusieurs droits garantis par la Convention. Si une satisfaction équitable est accordée dans une affaire interétatique, elle doit toujours l’être au profit de victimes individuelles.

L’octroi de la satisfaction équitable La Cour constate que le gouvernement chypriote a soumis des demandes de satisfaction équitable en réparation de violations commises à l’encontre de deux groupes de personnes, précis et objectivement identifiés ou identifiables. Il s’agit d’une part de 1 456 personnes disparues et d’autre part, de Chypriotes grecs enclavés dans la péninsule du Karpas. La réparation demandée ne vise pas à indemniser l’État chypriote d’une violation de ses droits mais à dédommager des victimes individuelles. Pour autant que les personnes disparues et les habitants du Karpas sont concernés, la Cour considère que le gouvernement chypriote a le droit de présenter une demande au titre de l’article 41 et que l’octroi d’une satisfaction équitable serait en l’espèce justifié. Eu égard à l’ensemble des circonstances de l’espèce, la Cour juge raisonnable d’allouer au gouvernement chypriote les sommes globales de 30 000 000 EUR pour le dommage moral subi par les parents survivants des personnes disparues et de 60 000 000 EUR pour le dommage moral subi par les habitants enclavés dans la péninsule du Karpas. Ces sommes doivent être distribuées par le gouvernement chypriote aux victimes individuelles des violations constatées dans l’arrêt au principal. La Cour estime qu’il appartient au gouvernement chypriote, sous la supervision du Comité des Ministres, de mettre en place un mécanisme effectif pour la distribution des sommes précitées aux victimes individuelles.

La demande du gouvernement chypriote d’un « arrêt déclaratoire » Dans sa demande du 25 novembre 2011, le gouvernement chypriote priait la Cour d’adopter un « arrêt déclaratoire ».

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La Cour observe qu’en vertu de l’article 46, l’État défendeur est tenu de se conformer à l’arrêt au principal. Dès lors qu’il est clair que le gouvernement défendeur est en tout état de cause formellement lié par les clauses de l’arrêt au principal, il n’y a pas lieu d’examiner la question de savoir si la Convention lui donne compétence pour prononcer un « arrêt déclaratoire ». La Cour rappelle qu’elle a conclu dans son arrêt au principal à la violation continue de l’article 1 du Protocole n° 1 au motif que les Chypriotes grecs possédant des biens dans la partie nord de Chypre se sont vu refuser l’accès à leurs biens, la maîtrise, l’usage et la jouissance de ceux-ci ainsi que toute réparation de l’ingérence dans leur droit de propriété. Il incombe au Comité des Ministres de veiller à ce que le gouvernement turc donne son plein effet à la conclusion contraignante de l’arrêt au principal à laquelle il ne s’est pas encore conformé. La mise en œuvre de cette conclusion est incompatible avec toute forme de complicité avec des actes illégaux de vente ou d’exploitation de logements ou autres biens de Chypriotes grecs dans la partie nord de Chypre. La décision Demopoulos et autres c. Turquie, dans laquelle la Cour a conclu que les requêtes se plaignant de la violation du droit de propriété devaient être rejetées pour non-épuisement des voies de recours internes, ne règle en rien la question du respect par la Turquie de l’arrêt au principal adopté dans la présente affaire interétatique.

Opinions séparées Les juges Zupančič, Gyulumyan, David Thór Björgvinsson, Nicolaou, Sajó, Lazarova Trajkovska, Power-Forde, Vučinić et Pinto de Albuquerque ont exprimé une opinion concordante commune. Le juge Pinto de Albuquerque a exprimé une opinion concordante à laquelle se rallie le juge Vučinić. Les juges Tulkens, Vajić, Raimondi et Bianku, ont exprimé une opinion en partie concordante à laquelle se rallie la juge Karakaş. Le juge Casadevall a exprimé une opinion en partie concordante et en partie dissidente. La juge Karakaş a exprimé une opinion dissidente. Le texte de ces opinions se trouvent joints à l’arrêt. L’arrêt existe en français et en anglais. Rédigé par le greffe, le présent communiqué ne lie pas la Cour. Les décisions et arrêts rendus par la Cour, ainsi que des informations complémentaires au sujet de celle-ci, peuvent être obtenus sur www.echr.coe.int . Pour s’abonner aux communiqués de presse de la Cour, merci de s’inscrire ici : www.echr.coe.int/RSS/fr ou de nous suivre sur Twitter @ECHRpress. Contacts pour la presse [email protected] | tel: +33 3 90 21 42 08 Denis Lambert (tel: + 33 3 90 21 41 09) Tracey Turner-Tretz (tel: + 33 3 88 41 35 30) Nina Salomon (tel: + 33 3 90 21 49 79) Jean Conte (tel: + 33 3 90 21 58 77) La Cour européenne des droits de l’homme a été créée à Strasbourg par les Etats membres du Conseil de l’Europe en 1959 pour connaître des allégations de violation de la Convention européenne des droits de l’homme de 1950.

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