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DÉBUT DE L A TOURNÉE DU PRÉSIDENT DES CHANGEMENTS INQUIÉTANTS DANS LES RELATIONS AVEC LE GOUVERNEMENT Le 6 septembre dernier, le Dr Louis Godin, président de la FMOQ, a commencé à Ville-Marie, en Abitibi-Témiscamingue, sa tournée des associations affiliées. Il a fait part aux médecins qu’il a rencontrés de ses inquiétudes concernant la nouvelle manière de fonctionner du gouvernement.

Emmanuèle Garnier

Photos : Emmanuèle Garnier

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Dr Louis Godin

Des changements inquiétants sont survenus au gouvernement. Certaines règles qui paraissaient évidentes semblent avoir changé. « Auparavant, lorsque le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) paraphait une entente, elle était automatiquement approuvée par le Conseil du Trésor. Cependant, au printemps dernier, celui-ci nous a avisés qu’il ne donnerait pas son accord à certaines ententes qui avaient été signées », a expliqué le Dr Louis Godin, président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) aux membres de l’Association des médecins omnipraticiens du nord-ouest du Québec qu’il était venu rencontrer à leur assemblée générale. Les ententes qu’a rejetées le Conseil du Trésor étaient pourtant des textes qui avaient été négociés et signés par le MSSS et la FMOQ. Elles concernaient trois dossiers :

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l’Annexe XII : une modification à cette annexe devait permettre d’éliminer, dans les régions éloignées, la différence de rémunération entre la pratique dans les établissements de soins et celle dans les cabinets médicaux ; les augmentations paramétriques : normalement, ces hausses auraient dû être versées aux omnipraticiens le 1er avril dernier ; la nouvelle rémunération mixte : il avait été prévu que les médecins payés à tarif horaire et à honoraires fixes qui adopteraient le futur mode mixte de rémunération recevraient des versements rétroactifs remontant au 1er avril 2013.

Les frictions entre la FMOQ et le mi­nis­ tère ne s’arrêtent pas là. « Ce qui est encore plus préoccupant, c’est que le ministre de la Santé refuse de para­ pher une entente sur laquelle on s’est entendu depuis longtemps à la table de négociations », indique le Dr Godin. Il s’agit de l’entente particulière sur le remboursement d’une partie des coûts de l’assurance responsabilité professionnelle des médecins. Cet accord doit être renouvelé tous les ans à cause du changement annuel de tarifs. « Actuel­ lement, le ministre refuse de signer l’en­tente pour l’année 2014, ce qui fait que la somme que devaient recevoir les médecins ne pourra être versée. » Tous ces incidents laissent penser à la FMOQ que l’État suit une stratégie planifiée. « En ne respectant pas des contrats faits en bonne et due forme,

Le Médecin du Québec, volume 49, numéro 10, octobre 2014

le gouvernement crée dans les faits un report déguisé, estime le Dr Godin. C’est-à-dire que même s’il n’y a pas eu d’entente avec la Fédération sur l’étalement des augmentations, il fait comme s’il y en avait une, puisqu’il ne verse pas les hausses. » Que demande officiellement le gouvernement en ce qui concerne les augmentations qu’il devait verser aux omnipraticiens ? Il ne réclame pas une diminution de la facture totale de 455 millions de dollars qu’il doit normalement régler en 2014-2015 et en 2015-2016 (tableau). Cependant, il veut étaler ses paiements. « Le gouvernement commencerait par ne verser aucune somme en 2014-2015, puis il redonnerait progressivement aux médecins, au cours des années suivantes, l’argent qui leur est dû », a expliqué le Dr Godin. L’État propose de remettre les sommes récurrentes sur une période de six ans et les sommes non récurrentes sur une période de neuf ans. Initialement, il voulait échelonner les paiements sur quinze ans. « Nous sommes prêts à négocier, mais pas à n’importe quel prix, a précisé le président. Pour nous, un règlement va être possible à certaines conditions. » Il faudra d’abord que les sommes dues aux médecins omnipraticiens leur soient entièrement versées. Elles devront également être remises aux bons destinataires. « Les sommes qui devaient être distribuées en 2014 devront être versées à ceux qui pratiquent actuellement et non à ceux qui

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NÉGOCIATIONS AVEC LE GOUVERNEMENT APPUI DES MÉDECINS CANADIENS Jean-Pierre Dion

L’Association médicale canadienne (AMC) a adopté à l’unanimité, au

TABLEAU

SOMMES RÉSERVÉES AUX AUGMENTATIONS DE REVENUS DES OMNIPRATICIENS, SELON L’ACCORDCADRE DE 2010-2015

Mesures récurrentes en vigueur depuis le 1er avril 2014

2014–2015

2015–2016

165 M $

165 M $

août dernier, une motion spéciale pour appuyer les médecins québécois dans leur différend avec le gouvernement provincial. La résolution sou­ligne que l’AMC « insiste sur la nécessité pour les gouvernements

Mesures en vigueur le 1er avril en 2015 Total

Grand total

cours de son assemblée annuelle en

de ne pas renier les ententes libre-

125 M $ 165 M $

290 M $

ment négociées et signées par l’uti455 M $

Le gouvernement aurait dû verser aux omnipraticiens 165 millions de dollars en 2014 et 290 millions de dollars en 2015, ce qui fait un total de 455 millions de dollars. À cette somme devraient normalement s’ajouter 12,5 millions en 2016-2017. Source : Service des affaires économiques, FMOQ

lisation de mesures législatives. » Cette motion a pu être présentée au Conseil général de l’AMC à la suite de l’initiative et des démar­ches des Drs Laurent Marcoux et Pierre Harvey de l’Association mé­di­cale du Québec (AMQ). Elle a permis d’exposer le fait que les médecins omni-

commenceront à exercer dans un an ou plus. » En deuxième lieu, la FMOQ exige qu’il y ait une équité entre ce qui sera demandé aux médecins spé­cialistes et aux médecins omnipraticiens. Pour finir, le Dr Godin veut obtenir dès cette année un budget minimal pour que les trois secteurs de pratique qui n’ont pas encore bénéficié des hausses convenues dans l’accord-cadre de 2010-2015 les reçoivent. Il veut pouvoir mettre en place la rémunération mixte pour les médecins payés à tarif horaire et à honoraires fixes. En­ suite, dans le secteur de l’urgence, il est nécessaire de payer les actes lemedecinduquebec.org

médicoadministratifs et les transferts de patients entre les quarts de garde. Troisièmement, il faut que la nouvelle nomenclature des actes en cabinet voie le jour. « Pour la mettre en place, on doit avoir de l’argent frais, parce que sinon cela va être très difficile. » La Fédération pense par ailleurs dès maintenant aux prochaines négociations qui devraient commencer le 1er avril 2015. Elle réclamera au moins les hausses qui seront offertes au secteur public. Il n’est pas question pour elle que les sommes que le gouvernement veut rééchelonner tiennent lieu d’augmentations. //

praticiens et spécialistes québécois avaient né­go­cié de bonne foi et signé des ententes avec le gouvernement au sujet de leur rémunération, mais que ce dernier ne voulait maintenant plus honorer sa signature en versant les sommes initialement prévues dans les ententes. L’AMC regroupe plus de 80 000 mé­­ de­cins au Canada et compte treize as­ so­cia­tions médicales provinciales et territoriales ainsi que soixante organismes médicaux nationaux.

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ASSOCIATION DU NORD-OUEST DU QUÉBEC LA DIFFICILE RÉALITÉ DES PREM Emmanuèle Garnier

PREM comportera donc probablement douze places en novembre prochain.

Photos : Emmanuèle Garnier

Néanmoins, le manque de médecins est très douloureux. La région aurait besoin de l’équivalent de 212 médecins travaillant à temps plein (ETP), mais n’en a que 184. « Nous utilisons de plus en plus de dépanneurs. Plusieurs médecins ont démissionné des conseils des médecins, dentistes et pharmaciens des hôpitaux après plus de vingt ans de travail ou ont quitté la région. La raison invoquée était la surcharge de travail et aucune amélioration de la pénurie de main-d’œuvre médicale en vue », a expliqué le Dr Jean-Yves Boutet, président de l’AMONOQ, aux trente-sept médecins qui assistaient à l’assemblée générale à Ville-Marie. Dr Jean-Yves Boutet

La nouvelle, publiée dans L’Écho abitibien du 15 août dernier, a provoqué une commotion dans le nord-ouest du Québec : « Québec refuse que sept médecins s’installent en Abitibi-Témiscamingue ». De manière exceptionnelle, cette année, dix-sept résidents en médecine familiale avaient présenté leur candidature pour travailler dans la région. Le territoire, toutefois, n’avait droit qu’à dix postes. Le 6 septembre dernier, au moment de l’assemblée générale de l’Association des médecins omnipraticiens du nordouest du Québec (AMONOQ), les cliniciens étaient encore ébranlés par cette révélation. Ils avaient l'impression qu’on leur avait enlevé la possibilité inespérée de mettre fin à la pénurie de médecins qui sévit sur le territoire. Deux autres postes ont cependant été ajoutés par la suite au plan régional d’effectifs médicaux (PREM) de l’AbitibiTémiscamingue. Deux omnipraticiens ont obtenu une dérogation pour pratiquer à Ville-Marie. Le nouveau

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Le Médecin du Québec, volume 49, numéro 10, octobre 2014

UNE PRATIQUE LOURDE Heureusement, le nombre de jeunes omnipraticiens qui arrivent sur le marché du travail augmente chaque année au Québec. La relève ne cesse de croître. D’ailleurs, cette année, 424 étudiants ont choisi de faire leur résidence en médecine familiale. Dans deux ans, ils seront prêts à pratiquer. Le Dr Boutet craint toutefois de ne pouvoir retenir très longtemps plusieurs de ses membres. « Il y a certains médecins chez nous ayant cinq ou six ans de pratique qui voient le travail à faire. Cela va être décourageant pour eux de savoir qu’il n’y aura que douze nouveaux médecins pour toute la région alors qu’il en faudrait au moins vingt. » La pénurie de main-d’œuvre rend le travail très lourd. Toutes les deux ou trois semaines, les omnipraticiens doivent faire la tournée des patients dans les unités de soins à l’hôpital. Leurs activités médicales particulières peuvent leur prendre vingt ou même trente heures par semaine. Les sept urgences de l’Abitibi, à elles seules,

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UN CADEAU POUR LE PRÉSIDENT DE LA FMOQ Au cours du souper de l’assemblée générale annuelle, le maire de Ville-Marie, M. Bernard Flebu, a remis un cadeau au Dr Louis Godin, président de la FMOQ. Il s’agissait d’un coffret contenant des produits du terroir ainsi qu’un tablier sur lequel était inscrit un amusant slogan : « En Abitibi-Témiscamingue, ce n’est pas nous qui sommes loin… c’est vous ».

Médecins assistant à l’assemblée générale

exigent au moins vingt-et-un médecins par période de vingt-quatre heures. La pratique dans la région du Nord-Ouest peut paraître contraignante par rapport à celle dans d’autres territoires. « Nos jeunes collègues parlent à des omnipraticiens exerçant ailleurs. Dans certaines régions, ces derniers peuvent n’avoir comme activité médicale particulière que la prise en charge d’une clientèle. On a beau recruter des cliniciens en Abitibi-Témiscamingue, si on n’amène pas d’oxygène au système, on va avoir une rupture de services », a prédit le président de l’Association.

Dr Louis Godin et M. Bernard Flebu

Le calcul des PREM tient quand même compte de la si­tuation particulière de territoires comme l’Abitibi-Témiscamingue Le Dr Boutet a été très actif au cours de l’année pour essayer et la Côte-Nord, a précisé le Dr Serge Dulude, directeur de d’obtenir davantage de postes de médecins dans sa région. la Planification et de la Régionalisation à la FMOQ, qui était À titre de chef du Département régional présent à l’assemblée générale. « Dans de médecine générale et de président de une région comme la vôtre où il y a des l’AMONOQ, il a rencontré des représenomnipraticiens qui travaillent très fort, Le nouveau PREM si un médecin représente l’équivalent de tants de la FMOQ et du ministère de la de l’Abitibi1,5 ETP, on sous-pondère. Il ne constiSanté et des Ser­vices sociaux ainsi que Témiscamingue le sous-ministre adjoint. Il a même fait tue peut-être alors que 1,1 ETP dans le comportera parvenir à ce dernier une lettre demancalcul des PREM. On sous-évalue son probablement travail pour ne pas donner l’impression dant plusieurs modifications dans le 12 places en novembre que les effectifs médicaux sont plus calcul des PREM des régions éloignées. prochain. nombreux qu’ils ne le sont en réalité. » Le calcul des PREM tient aussi compte Dans sa missive, le Dr Boutet propode facteurs comme l’étalement de la sait qu’un médecin en région éloignée ne puisse être considéré comme valant plus de 1,0 ETP, population, l’éloignement des hôpitaux et les départs de même s’il fait le travail de 1,6 médecin. Le président voulait jeunes médecins. également que les territoires éloignés puissent bénéficier d’un plan triennal. Ces régions pourraient accueillir tous Interrogé par les médecins présents, le Dr Louis Godin, les nouveaux omnipraticiens qui désirent s’y établir l’année président de la FMOQ, a, pour sa part, déclaré que la Fédéoù il y a un afflux, quitte à n’avoir droit à aucun médecin de ration était prête à regarder si des modifications doivent famille pendant les deux ans suivants. Le sous-ministre a être apportées aux PREM pour tenir compte de la nouvelle toutefois répondu qu’il devait refuser ces demandes par réalité des régions et des commentaires notamment des équité pour les autres régions. omnipraticiens des territoires éloignés. //

DE GRANDS EFFORTS DÉPLOYÉS

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DES NOUVELLES

DES ASSOCIATIONS...

NOUVELLE DIRECTRICE ADJOINTE AUX AFFAIRES PROFESSIONNELLES

L A D RE HÉLÈNE ROY

LISTE DES PROCHAINES ASSEMBLÉES GÉNÉRALES ANNUELLES DES ASSOCIATIONS AFFILIÉES

RICHELIEU–SAINT-LAURENT Jeudi 9 octobre Début de l’après-midi

Espace Rive-Sud 500, av. du Golf La Prairie (Québec) J5R 0A5 514 877-5525

Vendredi 10 octobre 13 h

Hyatt Regency 1255, rue Jeanne-Mance Montréal (Québec) H5B 1E5 514 982-1234

CÔTE-DU-SUD Jeudi 16 octobre 17 h

Hôtel Quality Inn 5800, rue des Arpents Lévis (Québec) G6V 0B5 418 833-1212

QUÉBEC Vendredi 17 octobre 12 h 30

Four Points by Sheraton Québec 7900, rue du Marigot Québec (Québec) G1G 6T8

BOIS-FRANCS Jeudi 23 octobre Fin de l’après-midi

Hôtel et suite Le Dauphin 600, boul. Saint-Joseph, Drummondville (Québec) J2C 2C1 819 478-4141

OUEST-DU-QUÉBEC Vendredi 24 octobre Vers 13 h 30

Salon Royal du Casino du Lac-Leamy 3, boul. du Casino Gatineau (Québec) J8Y 6X4 1 866 460-7456

SUD-OUEST Jeudi 30 octobre Probablement vers 18 h

Hôtel Plaza Valleyfield 40, av. du Centenaire Salaberry-de-Valleyfield (Québec) J6S 3L6 450 373-1990

LAVAL Vendredi 31 octobre 13 h 30

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Hôtel Sheraton Laval 2440, autoroute des Laurentides Laval (Québec) H7T 1X5

Le Médecin du Québec, volume 49, numéro 10, octobre 2014

Photo : Emmanuèle Garnier

CLSC

Tout au long de sa carrière, la Dre Hélène Roy a eu comme motivation d’aider. Aider des soldats comme médecin quand elle était dans l’armée, aider des personnes accidentées à cheminer dans le système quand elle était à la Société de l’assurance automobile du Québec, aider les professionnels de la santé à mieux facturer quand elle était à la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), aider les gens à obtenir les sommes qui leur revenaient quand elle était à la Régie des rentes du Québec, son dernier emploi. Ce sont maintenant les médecins omnipraticiens qu’elle va aider à titre de directrice adjointe aux Affaires professionnelles à la FMOQ. Secondant le Dr Michel Desrosiers, Dre Hélène Roy directeur du service, elle va initialement surtout s’occuper des dossiers de dépannage. Elle aura aussi éventuellement à répondre aux appels des médecins qui ont des questions sur l’Entente générale. L’une des tâches qui intéresseraient beaucoup la Dre Roy serait la simplification du manuel de facturation. Cela la préoccupe depuis longtemps. Quand elle travaillait à la RAMQ, après une réunion où quelqu’un avait parlé de la déclaration de revenu simplifié, elle a tout à coup eu une idée. « Est-ce qu’on ne pourrait pas concevoir une version simplifiée de l’Entente ? » Elle a regardé avec ses collaborateurs le nombre d’actes facturés moins de 25 fois par an. Il y en avait plus de mille. « Le manuel de facturation pourrait donc être beaucoup moins volumineux, indique la Dre Roy. Le Dr Desrosiers a déjà dit, au cours d’un exposé, que les omnipraticiens n’utilisaient que soixantequinze codes d’actes différents dans leur facturation. » Une version abrégée du manuel serait ainsi tout à fait possible. La Dre Roy connaît bien l’Entente. Elle a travaillé huit ans comme chef du Service de l’analyse de la facturation, à la RAMQ. Elle a remarqué que l’un des problèmes des médecins était la sous-facturation. D’ailleurs, tous les cliniciens qui devenaient médecins évaluateurs pour la Régie s’apercevaient avec stupéfaction, quand ils se mettaient à lire l’Entente dans le cadre de leur travail, de tout l’argent qu’ils avaient perdu quand ils étaient en pratique. La Dre Roy sait que la plupart des médecins ne peuvent lire l’Entente dans sa forme actuelle. Trop grosse. Trop compliquée. « J’aimerais les aider à facturer le mieux possible. » EG

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PRATICO PRATIQUE VOUS AVEZ DES TRUCS À NOUS FAIRE CONNAÎTRE ? ENVOYEZ-LES À [email protected]

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DÉCÈS DU D R  GUY L APORTE Emmanuèle Garnier

LE POUVOIR DES PETITS OURSONS Quand les enfants arrivent dans le cabinet de la Dre Diane Robert, omnipraticienne au GMF Grand-mère, en Mauricie, ils se dirigent tout droit vers son bureau avec un sourire. Ils savent que dans l’un de ses tiroirs se cachent les tout petits biscuits en forme d’oursons qu’ils adorent. La Dre Robert leur donne alors un sachet qui en contient une dizaine. Il s’agit des biscuits au miel « Petits oursons » de M. Christie, faits de grains entiers. Ce présent a une heureuse influence sur la consultation. « Pendant que l’enfant mange ses biscuits, je peux poser mes questions au parent. Après, quand je l’examine, il est calme », dit la clinicienne. La relation médecin-patient y gagne énormément. « Les enfants associent le rendez-vous à un petit plaisir. » Dès qu’ils ont 18 mois, les enfants ont droit à leurs friandises. En grandissant, ils continuent le rituel avec enthousiasme. Un jour, au cours d’une consultation, la Dre Robert a remarqué que sa patiente, qui avait maintenant 15 ans, se tortillait sur sa chaise. Tout à coup, elle a compris. Quand elle a offert à l’ado des biscuits, celle-ci s’est mise à rougir, puis a accepté avec un sourire. EG

LIBRE D’AVOIR UN FOU RIRE Pour détecter l’incontinence d’effort chez les femmes qui ont eu des enfants, on peut leur demander platement, dans le cadre de la revue des appareils et des systèmes, si elles ont des pertes urinaires. « La personne qui a des problèmes d’incontinence une fois par jour va me le dire, mais celle à qui cela n’arrive qu’une fois de temps en temps ne va pas forcément y penser », explique la Dre Chantal Guillemette, omnipraticienne. Une meilleure stratégie peut être de demander à la patiente sur un ton léger, parfois en riant un peu, si elle peut avoir un fou rire en toute liberté, sans subir d’inconvénients, comme de mouiller sa culotte. « Les femmes réagissent souvent en riant et me donnent alors tous les détails. Elles me racontent des situations concrètes où cela leur est arrivé », indique la Dre Guillemette. La clinicienne a l’impression d’obtenir plus de réponses de cette manière que lorsqu’elle posait la question de manière plus clinique. EG

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Dr Guy Laporte

Le Dr Guy Laporte, qui a fondé en 1961 l’Association des médecins omnipraticiens de Montréal et en a été le premier président, est mort le 23 août dernier à l’âge de 90 ans. Il a été l’un des pionniers du syndicalisme médical au Québec et l’un des piliers de la FMOQ. Dans une entrevue accordée au Médecin du Québec en 2009, le Dr Laporte affirmait être très fier d’avoir contribué à lancer le mouvement syndical médical afin d’améliorer les conditions de pratique des généralistes d’alors. Il était considéré comme un chef de file charismatique. « Le Dr Laporte possédait le don de susciter l’enthousiasme pour la cause. Il était un bâtisseur et un rassembleur né », a dit de lui un des médecins qui l’a côtoyé, le Dr Georges Desrosiers. Le Dr Laporte a pratiqué la médecine générale pendant une quinzaine d’années, puis est devenu anesthésiste. //

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LES SECRETS DU MICROBIOTE DE NOUVELLES AVENUES EN MÉDECINE Les bactéries intestinales sont en train de révolutionner plusieurs domaines de la médecine. On sait maintenant qu’elles agissent non seulement sur notre appareil digestif, mais aussi sur notre système immunitaire, notre métabolisme et même notre cerveau. Elles nous manipulent, mais nous les manipulons aussi. Emmanuèle Garnier

Nous ne sommes pas seuls dans notre corps. Ceux avec qui nous le partageons ont ensemble trois fois plus de cellules que nous1. Ils possèdent des gènes probablement 100 fois plus nombreux que les nôtres2. Et ils s’en servent pour fabriquer toutes sortes de molécules qui s’infiltrent dans notre organisme. Ils agissent ainsi sur notre cerveau, notre appareil digestif, notre métabolisme et nos mécanismes de défense. Ces étranges hôtes ce sont les bactéries du microbiote intestinal, autrefois appelé flore intestinale.

Ce nouveau regard sur les bactéries intestinales bouscule les concepts classiques de santé et de maladie. « Avant, on pensait que notre génome était la principale composante qui déterminait les caractéristiques de notre santé, notre prédisposition aux affections et notre réponse à la maladie. On s’est toutefois rendu compte que les gènes de nos bactéries représentent environ 90 % de tous ceux que l’on possède dans notre corps. On dispose donc d’un génome beaucoup plus important que le génome humain », indique le Dr Sacha Sidani, gastroentérologue du Centre hospitalier de l’Université de Montréal. Le chercheur fait actuellement une surspécialité à l’Université McMaster, à Hamilton, où il travaille sur le microbiote intestinal.

Le microbiote fait tellement partie de nous qu’on le considère maintenant comme un organe. Un organe oublié3. Un organe aux multiples fonctions doté de capacités dont les êtres humains sont dépourvus. Il peut ainsi utiliser à notre profit des fibres alimentaires que nous ne digérons pas, produire des vitamines que nous ne fabriquons pas4 et créer des acides gras que nous ne synthétisons pas. Il réduit même notre taux de cholestérol et notre glycémie3.

À l’Université McGill, le P Satya Prakash, directeur du Laboratoire de recherche en technologie biomédicale et en thérapie cellulaire, s’intéresse depuis longtemps au microbiote. Il a réalisé de nombreuses études sur ce sujet. « Nous sommes à un point tournant de la médecine, affirme-t-il. Les nouvelles données sur le microbiote vont créer une révolution plus grande que l’arrivée des antibiotiques. Ce qui se prépare est vraiment excitant ! »

Mme Marina Sanchez

Pour l’instant, nous savons les mi­cro­ bes intestinaux influencés entre autres par notre nourriture, certains médicaments et notre stress. « Nous sommes en train de comprendre comment ces facteurs nous permettent d’agir sur le microbiote et comment ce dernier agit sur nous. Cela va dans les deux sens. Nous ignorons encore beaucoup de choses sur les bactéries intestinales. Il s’agit d’une science très jeune », affirme le Pr Prakash. Mais aux quatre coins du monde des chercheurs s’activent. Les études se multiplient. Les nouvelles données foisonnent.

Photo : Emmanuèle Garnier

« Le microbiote régule également les mécanismes de l’inflammation et le système immunitaire et gère l’absorption de certains nutriments. Il peut être considéré comme un organe vital », précise Mme Marina Sanchez, professionnelle de recherche à l’Université Laval faisant un doctorat sur la prévention et le traitement de l’obésité.

Pr Satya Prakash

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Le Médecin du Québec, volume 49, numéro 10, octobre 2014

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CES BACTÉRIES QUI AGISSENT SUR NOUS Nous vivons depuis le début des temps avec les microorganismes intestinaux. « Ce sont des bactéries qui nous protègent. Elles ne sont pas forcément toutes bonnes pour la santé. L’important c’est qu’il y ait un équilibre entre les bonnes et les mauvaises dans le microbiote », dit Mme Sanchez.

D O S S I E R

S P É C I A L

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ENCADRÉ

MAIGRIR GRÂCE AUX PROBIOTIQUES  ? 13 Dans quelle mesure une modification du micro-

C’est d’ailleurs grâce à ces bac­té­ries que notre propre or­ga­nisme s’est développé normalement. « Chez les animaux de laboratoire sans mi­cro­bes, le système immunitaire est immature », affirme le Dr Sidani. Leur appareil digestif est également déficient et leur système nerveux, sous-développé. Le microbiote apporte beaucoup de réponses sur le fonc­tion­nement de notre corps. Entre autres sur les dérèglements que sont le syndrome métabolique et les autres affections associées à l’obésité. « On sentait qu’on avait mis toutes les pièces du casse-tête en place, mais qu’il nous en manquait une pour comprendre le lien de cause à effet entre l’alimentation et l’apparition de ces ma­la­dies », explique le Pr André Marette, directeur scientifique de l’Institut de nutrition et des aliments fonc­tion­nels de l’Université Laval. Il y a quatre ans, le chercheur était sceptique au sujet du mi­crobiote intestinal. Mais peu à peu les preuves scientifiques se sont imposées à lui. Depuis deux ans, cet expert du diabète de type 2 a lui-même plongé dans la recherche sur le microbiote. Il lui semblait de plus en plus clair que les bactéries intestinales jouaient un rôle clé dans la maladie qu’il étudiait. Nos relations avec les microbes entériques ne sont en fait pas tou­ jours harmonieuses. Ils peu­vent nous protéger, mais aussi nuire à notre santé. « Les problèmes surviennent quand on a une altération du microbiote normal qu’on appelle une dys­biose. Il s’agit de modifications au sein de nos espèces bacté­riennes normales qui se tra­duisent souvent par une perte de diversité. Quand le nombre d’espèces diminue trop, c’est alors qu’une maladie peut apparaître », précise le Dr Sidani.

OBÉSITÉ ET INFLAMMATION L’obésité est une de ces af­f ec­tions touchées par un microbiote déséquilibré. Les microbes in­tes­tinaux des personnes obèses diffèrent de ceux des gens minces. Ils sont moins diversifiés1 et comportent des espèces différentes. Ces caractéristiques sont im­portantes, parce que les bacté­ries n’agissent pas toutes de la même façon sur l’organisme. Certaines semblent favoriser la prise de poids. Ainsi, plusieurs auraient le pouvoir de modifier la perméabilité de la muqueuse de l’intestin et de la rendre plus poreuse. « Elles permettent alors à toutes sortes de molécules d’entrer dans l’organisme : des lipides, des acides gras, lemedecinduquebec.org

biote intestinal permettait-elle de perdre du poids ? Mme Marina Sanchez, professionnelle de recherche à l’Université Laval, fait son doctorat sur ce sujet. Elle a réalisé, avec la collaboration d’autres chercheurs, un essai clinique à répartition aléatoire, à double insu, qui comprenait 48 hommes et 77 femmes tous obèses13. La moitié du groupe a reçu des capsules contenant un probiotique, Lactobacillus rhamnosus, accompagné de prébiotiques, et l’autre moitié un placebo. Pendant les douze premières semaines, tous les groupes ont été soumis à un régime modéré qui visait une réduction de 500 kcal/j. Pendant les douze semaines suivantes, les participants devaient tenter de maintenir leur poids. À la fin de l’essai clinique, l’ensemble des sujets qui avaient reçu le probiotique n’avait pas perdu significativement plus de poids que ceux qui avaient pris le placebo. Toutefois, les groupes de femmes réservaient une surprise. Celles qui avaient absorbé les probiotiques avaient perdu en moyenne 1,8 kg de plus que celles du groupe témoin après douze semaines et un total de 2,7 kg de plus après vingt-quatre semaines. Les femmes sous probiotiques ont ainsi non seulement perdu du poids et de la masse adipeuse pendant la phase d’amaigrissement, mais ont aussi continué à en perdre pendant la phase de maintien contrairement à celles du groupe témoin. « Une perte additionnelle de 3 kg en six mois, c’est excellent », indique le Pr André Marette, de l’Université Laval, qui est également l’un des auteurs de l’étude. Pourquoi les hommes n’ont-ils pas eu le même succès que les femmes ? « On a plusieurs hypothèses, indique Mme Sanchez. Peut-être que la dose de probiotiques n’était pas assez élevée pour eux ou encore que l’étude n’a pas duré assez longtemps pour que l’on puisse voir un effet sur ce groupe. » On sait, par ailleurs, que les hommes répondent généralement mieux que les femmes aux interventions pour réduire le poids, que ce soit l’exercice ou un régime alimentaire. Les hommes du groupe témoin ont effectivement maigri davantage que les femmes qui prenaient le placebo. Mais cette différence s’est effacée dans les groupes qui ont reçu des probiotiques. « C’est comme si ces bactéries permettaient aux femmes de perdre du poids aussi efficacement que les hommes », précise la chercheuse.

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de petites protéines, etc. C’est comme si elles leur ouvraient les portes plus grand », explique le Pr Prakash.

cancéreuses dans le côlon7. Certaines fabriquent même carrément des produits cancérigènes.

Heureusement, d’autres bactéries jouent le jeu inverse. Elles rendent la perméabilité de l’intestin adéquate. Elles lui permettent de remplir ses fonctions d’absorption sans l’empêcher de jouer son rôle de barrière protectrice.

NOTRE CERVEAU MANIPULÉ PAR LES BACTÉRIES

L’augmentation de la porosité de l’in­ tes­ t in peut avoir une importante con­sé­quence  : l’apparition d’une in­flam­ mation chronique de faible in­ten­sité. Certains mi­crobes, les bactéries Gram négatives, pos­sè­dent des lipopolysaccharides, des toxines qui s’infiltrent dans l’organisme lorsque la paroi de l’intestin devient plus perméable5,6. « Ce sont des molécules associées à l’inflammation. Chez une personne normale, elles restent dans l’intestin et sont excrétées. Par contre, chez une personne dont la paroi in­testinale a subi un changement, les lipopolysaccharides entrent plus facilement dans le système. À ce moment-là, un état inflammatoire s’installe », affirme Mme Sanchez. La circulation de ces lipopolysaccha­ rides favorise l’apparition des ma­la­dies liées à l’obésité, dont le diabète de type 2. « L’état inflammatoire modifie certains paramètres liés à la glycémie. Les gens qui ont une inflammation vont donc devenir intolérants au glu­cose et éventuellement avoir le diabète de type 2. L’inflammation est aussi associée à des maladies comme l’hypertension, les dyslipidémies, le syndrome métabolique et les troubles cardiovasculaires », précise la professionnelle de recherche.

BOULEVERSEMENTS EN GASTRO-ENTÉROLOGIE Plusieurs pans de la médecine sont en train d’être revus à travers le prisme du microbiote. La spécialité qui subit le plus de bouleversements est la gastro-entérologie. « Avant, on voyait l’appareil digestif comme une succession d’organes : l’estomac, l’intestin grêle, le côlon, le

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Dr Sacha Sidani

pancréas, le foie. On négligeait la partie la plus importante qui est le microbiote intestinal. Ce nouvel élément est très excitant, parce qu’il va probablement changer notre conception de plusieurs maladies intestinales. Cela touche non seulement les troubles inflammatoires comme la maladie de Crohn et la colite ulcéreuse, mais aussi tous les problèmes digestifs fonctionnels comme le syndrome du côlon irritable. Ce dernier est un problème difficile à traiter, mais pour lequel les recherches sur le microbiote intestinal sont très prometteuses », affirme le Dr Sidani. Le spécialiste étudie, pour sa part, l’effet du microbiote sur la motilité intestinale. « On regarde comment le microbiote agit pour altérer le transit intestinal. Certaines études nous montrent qu’un bon microbiote permet d’avoir une motilité intestinale normale. On sait aussi que lorsqu’une dysbiose modifie le transit, il peut en résulter soit une diarrhée soit de la constipation. On cherche donc à savoir comment intervenir sur les microbes intestinaux pour traiter ces problèmes. » Le monde des bactéries pourrait également jouer un rôle dans le cancer colorectal. À l’intérieur des intestins, un microbiote déséquilibré peut re­ce­ler d’inquiétants microbes : des bactéries qui créeraient des conditions physiologiques et biochimiques augmentant le nombre de lésions pré-

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L’influence du microbiote intestinal s’étend jusqu’au cerveau. Les mi­cro­ bes entériques seraient capables de sécréter des hormones, comme la séro­tonine, qui influencent l’humeur et les facultés cognitives2. Plusieurs bactéries produisent également des molécules qui activent les mêmes neurorécepteurs que le diazépam (Valium) et autres benzodiazépines. D’au­tres fabriquent des substances similaires aux hormones qui régulent la satiété et la faim8. « Plusieurs études montrent que notre microbiote participe à notre comportement ainsi qu’à la santé de notre cerveau et de notre système nerveux de façon générale. On sait que certains types de microbiote nous entraîne davantage vers l’anxiété et la dépression », mentionne le Dr Sidani. Cette question présente un intérêt particulier pour les gastro-entérologues : jusqu’à 80 % des patients souffrant du syndrome du côlon irritable ont aussi des symptômes psychiatriques comme un comportement anxieux9. On soupçonne le microbiote de contribuer non seulement à leur maladie intestinale, mais aussi à leurs troubles psychiques. Cette faculté qu’ont certaines bac­té­ries d’agir sur le cerveau n’est géné­ralement pas inquiétante. « La pré­sence d’un microbiote normal et diversifié va pro­bablement entraîner la production de plusieurs neurotransmet­teurs différents dont on a besoin en quantité raisonnable. Toutefois, si l’on a une dysbiose caractérisée par une surproduction de bactéries fabriquant de la sérotonine, on risque d’avoir un excès de ce neurotransmetteur, ce qui va perturber notre système nerveux », précise le gastro-entérologue.

D O S S I E R

Les bactéries pourraient par ailleurs avoir aussi une influence sur nos fa­ cultés cognitives. Il serait possible qu’elles interviennent dans l’apprentissage et la mémoire. Les souris sans microbiote, par exemple, ont une mé­ moire de travail et une mémoire non spatiale déficiente. Le microbiote pour­rait donc être essentiel au développement cognitif normal10. Certains microorganismes tireraientils avantage de leur influence sur notre cerveau ? Eh bien, oui. « On sait que le microbiote influence le comportement alimentaire en nous donnant faim ou en ne nous donnant pas faim. Les bactéries peuvent manipuler l’équilibre énergétique, le temps de digestion de certains aliments et la production de plusieurs enzymes nécessaires à la digestion. Elles essaient de créer un environnement qui leur est favorable », mentionne le Pr Prakash. Plusieurs microbes recourraient même à des stratégies très poussées pour parvenir à leurs fins. Selon certains chercheurs, ils pourraient provoquer chez leur hôte des rages pour des aliments qu’ils consomment ou pour des produits qui suppriment leurs concurrents. Ils seraient également capables d’engendrer un état de malaise jusqu’à ce que l’on mange la nourriture dont ils ont besoin8.

La nourriture, à elle seule, peut produire en seulement 24 heures des chan­ gements parmi les bactéries in­tes­ti­nales1. Un jour, par exemple, vous prenez trop d’aliments riches en gras saturés. Vous perturbez alors votre microbiote. Si vous continuez, la variété de vos microorganismes entériques s’appauvrira3. Les modifications en profondeur du microbiote demandent un certain temps1. Heu­reusement, les changements que vous avez provoqués ne sont pas irréversibles. « Le fait d’ajouter des fibres et de diminuer les lipides va restaurer le microbiote. Les fibres sont l’alimentation des bonnes bactéries intestinales », affirme Mme Sanchez. On peut même donner à nos bac­ té­r ies utiles des aliments qui sont spé­c ialement conçus pour elles : les prébiotiques. Ce deuxième outil consiste en des éléments nutritionnels comme l’inuline, le psyllium ou l’oligofructose qui favorisent leur croissance. On peut acheter ces suppléments dans une pharmacie ou un magasin de produits naturels.

Nous disposons de toute une panoplie d’outils pour intervenir dans l’univers des microbes entériques : an­ti­biotiques, transfert de selles, alimentation, probiotiques, prébiotiques, etc. Certains de ces moyens sont à la portée de tous.

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tion de la population de cette bactérie était associée à une meilleure santé cardiaque et métabolique », explique le chercheur du centre de recherche de l’Institut universitaire de cardiologie et pneumologie de Québec. Les souris gavées à l’extrait de canneberge avaient effectivement pris moins de poids que les animaux témoins qui avaient la même alimentation riche en calories. Elles présentaient, en plus, un taux de triglycérides plus bas, moins de signes d’inflammation et une meilleure sensibilité à l’insuline. Le troisième outil pour améliorer le microbiote intestinal réside dans les incontournables probiotiques. Ce sont des microorganismes qui, ingérés en quantité adéquate, sont bénéfiques pour la santé. Les bactéries les plus utilisées sont Bifidobacterium et Lac­to­bacillus12. Elles permettent de rééquilibrer la composition du microbiote et font concurrence aux microbes pathogènes. On leur attribue de nombreux effets bénéfiques sur les intestins, le système immunitaire et peut-être même le fonctionnement du cerveau.

PERDRE DU POIDS PLUS AISÉMENT ?

« Ils nous manipulent. Mais nous aussi les manipulons », ajoute le Pr Prakash, qui a fondé, avec son frère et des étudiants, la firme Micropharma, qui a mis au point des produits permettant de bénéficier des propriétés de certaines bactéries.

COMMENT MANIPULER À NOTRE TOUR LES BACTÉRIES ?

S P É C I A L

Pr André Marette

Un prébiotique particulièrement intéressant pourrait éventuellement être l’extrait de canneberge. Le Pr Marette vient de démontrer qu’il accroît de manière très importante la population d’une bactérie connue sous le nom de Akkermansia mucinipila chez la souris11. « Beaucoup d’études, en plus de la nôtre, ont montré que l’augmenta-

Pourrait-on maigrir plus facilement en changeant notre microbiote ? Peutêtre. À l’Université Laval, Mme Sanchez s’est penchée sur cette question. Dans l’étude qu’elle a menée avec d’autres chercheurs, les femmes obèses qui avaient pris des probiotiques avaient perdu en moyenne 1,8 kg de plus que celles du groupe témoin après douze semaines de régime et 2,7 kg de plus après les douze autres semaines de maintien du poids (encadré p. 11)13. Au total, les probiotiques ont permis à ces participantes d’obtenir une perte de poids supplémentaire de presque 3 kg en six mois. Chez les hommes, par contre, les probiotiques sont restés sans effet. Les probiotiques constitueraient-ils un adjuvant possible à un traitement amaigrissant ? « Il est encore trop tôt pour que l’on prescrive des probiotiques

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RÉDUIRE SON TAUX DE CHOLESTÉROL

micro­biote intestinal est le plus étudié, mais il y en a d’autres qui pourraient changer notre conception de certaines maladies. Les bactéries cutanées, par exemple, pourraient être très importantes dans l’apparition d’affections comme le psoriasis ou l’eczéma », mentionne le Dr Sidani. Le microbiote buccal aussi recèlerait des secrets : il pourrait entre autres jouer un rôle dans la maladie d’Alzheimer chez certains patients, selon des chercheurs15.

Des bactéries peuvent aussi servir à réduire le taux de cholestérol. Cette fois-ci, le traitement est commercialisé. Le produit s’appelle Cardioviva et est fabriqué par Micropharma. Le Pr Prakash et son équipe ont entre autres montré dans une étude sur 127 sujets que la prise de Lactobacillus reuteri en capsule permettait de diminuer de 11,64 % le taux de cholestérol LDL (P , 0,001) et de 9,14 % la concentration de cholestérol total (P , 0,001) par rapport au placebo14.

« Les découvertes sur le microbiote vont changer la pratique de la médecine d’ici 10 ans », prédit le Pr Prakash. Le Pr Marette est du même avis. « Avec la rigueur des recher­ ches que l’on voit depuis deux ou trois ans, je pense que c’est indéniable, du moins pour toutes les maladies qui ont une base inflammatoire. Je crois que dans les cinq prochaines années, on assistera à d’importantes percées. » //

DIMINUER L’INFLAMMATION

BIBLIOGRAPHIE

Les probiotiques pourraient apporter un remède à une affection pour laquelle il n’existe actuellement aucun traitement : l’inflammation causée par les lipopolysaccharides, ces toxines qui passent à travers les parois intestinales trop perméables. Dans leur laboratoire, le Pr Prakash et son équipe ont montré à la fois in vitro12 et chez l’animal que certains types de Lactobacillus et de Bifidobacterium pouvaient diminuer la concentration de ces molécules et des marqueurs de l’inflammation. La réduction dépasserait les 25 % selon des résultats qui vont bientôt être publiés. On est toutefois encore loin d’un traitement chez les êtres humains.

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pour la perte de poids ou pour des problèmes métaboliques, avertit Mme Sanchez. D’autres études doivent encore être faites. » Mais en attendant ? « Il peut être intéressant, que l’on souffre d’obésité ou non, d’avoir des probiotiques dans son alimentation quotidienne. Cela est indéniable. La santé intestinale est très importante. »

PRÉVENIR LE CANCER DU CÔLON Certains probiotiques pourraient constituer une arme contre le cancer colorectal. Ils produiraient entre autres des composés contre le cancer et renforceraient les défenses immunitaires de l’hôte7. « En ce moment, on ne sait pas encore si ces microorganismes pourraient être utilisés pour prévenir ou pour traiter le cancer colorectal. Ils ont cependant un bon potentiel », juge le Pr Prakash qui a fait des études sur ce sujet et publié plusieurs articles.

LES NOUVELLES AVENUES THÉRAPEUTIQUES Jusqu’à présent, l’efficacité de très peu de produits contenant des probiotiques a été prouvée avec la rigueur que l’on exige pour l’approbation des médicaments. Les essais cliniques d’envergure chez les êtres humains sont encore peu nombreux. « Il n’existe que quelques produits qui sont passés au travers tout le processus. Il y en a pour le traitement de l’infection à Clostridium difficile, de la diarrhée, du syndrome du côlon irritable, de la maladie de Crohn ainsi que pour la réduction du taux de cholestérol », précise le Pr Prakash. Ces produits sont fabriqués par des entreprises comme Bio-K, Micropharma et Danisco. La recherche sur le microbiote intestinal est très pro­ metteuse. « Il faut cependant regarder encore plus loin. Le

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