Vers un médecin du travail responsable

de s'assurer de l'effectivité de sa réalisation. La Cour de cassation a ainsi récemment condamné un employeur pour avoir fait. « travailler le salarié au-delà de ...
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Vers un médecin du travail responsable Par Marie Content

Que peut faire un employeur en cas de défaillance du médecin du travail dans le suivi médical des salariés ? En cas de doute sur l’objectivité d’un certificat médical ? Nous avons demandé à un avocat de nous indiquer les actions dont dispose l’employeur pour mettre en cause la responsabilité du médecin du travail.

Qui est responsable de la santé des salariés ? L’employeur et lui seul. Ainsi, tout manquement à son obligation de santé et de sécurité cause nécessairement un préjudice au salarié. Il s’agit même d’une obligation de résultat. Il s’ensuit, par exemple, qu’en cas de visite médicale d’embauche, il est tenu de s’assurer de l’effectivité de sa réalisation. La Cour de cassation a ainsi récemment condamné un employeur pour avoir fait « travailler le salarié au-delà de la période d’essai sans s’assurer de la réalisation, par le médecin du travail, d’une visite médicale d’embauche », dont il avait pourtant demandé l’organisation, via la déclaration unique d’embauche (Cass. soc. 18-12-2013 no 12-15.454 : FRS 3/14 [6] p. 6 ou FR 4/14 [6] p. 8). L’employeur doit s’assurer de l’effectivité de la surveillance médicale des salariés, sans pour autant la réaliser lui-même. En effet, il est tenu d’adhérer à un service de santé au travail interentreprises, sauf à disposer d’un service autonome (entreprises d’au moins 500 salariés). Dans le cas d’un service interentreprises, le médecin du travail n’est pas salarié de l’employeur. En cas de manquements commis par celui-ci, c’est l’employeur qui sera condamné à réparer le préjudice causé au salarié. Or, l’employeur n’a pas ou peu de moyens de contrainte sur le médecin du travail, y compris si ses manquements l’empêchent de remplir ses propres obligations vis-à-vis des salariés. Tout au plus peut-il contester les avis rendus devant l’inspecteur du travail. Pour cette raison, les condamnations des employeurs dans des hypothèses où sont en cause des défaillances du médecin du travail ne sont pas rares. Il était donc indispensable que soit reconnue la possibilité de mettre en cause la responsabilité du médecin du travail du fait de ses manquements.

Dans quels cas les manquements d’un médecin du travail peuvent-ils être sanctionnés ? La Cour de cassation a condamné des médecins du travail à réparer le préjudice subi par l’employeur du fait de leurs défaillances en matière de suivi médical des salariés et de constatation d’inaptitude. Mais cette responsabilité pourrait être étendue à d’autres situations, notamment en cas d’absence de recommandations en vue du reclassement d’un salarié inapte.

Suivi médical des salariés En décembre 2013, la Cour de cassation a condamné des services de santé au travail interentreprises à verser à des employeurs des dommages et intérêts en raison de leur défaillance dans le suivi médical des salariés (Cass. 1e civ. 19-12-2013 nos 12-25.056 et 12-25.058 : FRS 3/14 [7] p. 7 ou FR 4/14 [7] p. 9).

Marie Content est avocat spécialisé en droit social au sein de CMS Bureau Francis Lefebvre depuis 2001. Titulaire d’un DEA de droit social à l’université Paris II-Panthéon-Assas, elle est également chargée d’enseignement au centre régional de formation professionnelle des avocats de Versailles. Elle intervient plus particulièrement dans la gestion des conflits dans les relations de travail. Elle a, à ce titre, une activité à dominante contentieuse.

Dans l’une de ces affaires, la Cour de cassation a considéré que le service de santé au travail « n’avait pas mis en œuvre les examens médicaux périodiques auxquels l’unique salarié de la société aurait dû être soumis », puis relevé que « la situation résultant de ces défaillances d’un service de santé au travail dans l’exécution de sa mission constituait une infraction pénale commise par l’employeur, qui se trouvait également confronté à un déficit d’informations déterminantes pour l’accomplissement des actions de prévention et le respect des obligations qui lui incombent dans le domaine de la sécurité et de la santé au travail ». La Haute Juridiction a approuvé en conséquence la juridiction de proximité d’en avoir déduit que « la société avait subi un préjudice en rapport avec l’insuffisance des examens médicaux et de la surveillance du salarié imputable à l’association, préjudice qu’elle a souverainement évalué à une somme égale au montant de la cotisation annuelle due par l’adhérente ».

Les propositions du Conseil de simplification en matière de visite médicale Parmi les « 50 nouvelles mesures de simplification pour les entreprises » (disponibles sur http://www.simplifier-entreprise.fr/documentation), l’une vise à simplifier les visites médicales. Selon ce document, « la visite médicale, pourtant obligatoire, n’est réalisée que dans 15 % des cas (...), ce qui place les employeurs dans une forte insécurité juridique ». Le projet annoncé dans le cadre du Conseil de la simplification prévoit une nouvelle réforme de la médecine du travail et la possibilité de faire réaliser certaines visites médicales obligatoires du travail par les médecins de ville. Une mission parlementaire de réflexion sur ce sujet a été initiée le 7 novembre 2014.

Constatation de l’inaptitude L’aptitude d’un salarié à occuper son emploi est appréciée par le médecin du travail. La constatation de son inaptitude suppose /

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le respect par ce dernier des dispositions de l’article R 4624-31 du Code du travail. Si ces règles ne sont pas respectées, le licenciement pourra, de ce seul fait, être jugé dénué de cause réelle et sérieuse ou nul (car dicté par l’état de santé du salarié) et l’employeur condamné à verser au salarié de substantielles indemnités. Dans cette hypothèse, la Cour de cassation a également jugé que la responsabilité du médecin du travail pouvait être retenue vis-à-vis de l’employeur. Dans un premier arrêt, le médecin du travail n’avait pas respecté le délai de deux semaines devant espacer les deux visites médicales reconnaissant l’inaptitude. Le licenciement du salarié avait été jugé sans cause réelle et sérieuse et l’employeur condamné pour rupture abusive. Il a alors assigné le service de santé au travail en paiement de dommages et intérêts sur le fondement de l’article 1382 du Code civil (responsabilité délictuelle). La Cour de cassation a reconnu la faute de ce service de santé et l’a condamné à indemniser l’employeur de son préjudice, correspondant aux dommages et intérêts que ce dernier avait versés au salarié (Cass. soc. 31-5-2012 no 11-10.958 : RJS 8-9/12 no 695).

rement dans le cadre d’un service de santé au travail interentreprises, lorsque le médecin du travail n’est pas salarié de l’entreprise, donc non soumis au pouvoir disciplinaire de l’employeur. Si l’entreprise compte au moins 500 salariés, l’employeur peut se doter d’un service de santé autonome. Dans le cadre-là, le médecin du travail est salarié de l’entreprise. Sa responsabilité pécuniaire ne pourra pas être retenue, sauf en cas de faute lourde, ce qui suppose la preuve de son intention de nuire à l’entreprise. Le médecin du travail pourrait toutefois faire l’objet de sanctions disciplinaires.

« Tout certificat signé par un médecin doit être objectif et honnête. Celui-ci ne peut rapporter que ce qu’il a lui-même constaté »

Dans un deuxième arrêt, le médecin du travail avait déclaré le salarié inapte en une seule visite en ne portant sur l’avis d’inaptitude qu’une partie des indications nécessaires pour le dispenser du second examen. Le licenciement intervenu à l’issue de ce seul examen a été jugé nul. L’employeur a assigné le service de santé au travail sur le fondement de l’article 1147 du Code civil (responsabilité contractuelle). La Cour de cassation a admis la responsabilité partielle du service de santé au travail et jugé que la faute du médecin du travail avait été, au moins en partie, à l’origine du caractère illicite du licenciement, ce qui ouvrait droit au versement à l’employeur de dommages et intérêts (Cass. 1e civ. 27-11-2013 no 12-25.242).

Recommandations en vue du reclassement du salarié inapte L’employeur est tenu de reclasser le salarié déclaré inapte. Les solutions de reclassement envisagées doivent tenir compte des recommandations émises par le médecin du travail. Pour cela, l’employeur est tenu de solliciter ce dernier, y compris lorsque le salarié est déclaré inapte à tout poste dans l’entreprise. Or, dans cette dernière hypothèse, les médecins du travail se limitent souvent à répéter que le salarié est inapte à tout poste. Cette réponse ne dispense pas l’employeur de son obligation de rechercher des solutions de reclassement, souvent vouées à l’échec, et dont le non-respect est sanctionné, y compris en cas d’inaptitude à tout poste, par une absence de cause réelle et sérieuse de licenciement. Dans la même logique que celle résultant des arrêts précités, la Cour de cassation pourrait juger fautive l’absence de réponse précise du médecin du travail ou son refus d’émettre des recommandations.

La responsabilité peut-elle être retenue vis-à-vis d’un service de santé autonome ? Non, la reconnaissance de la responsabilité pécuniaire du médecin du travail vis-à-vis de l’employeur se conçoit prioritai-

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Que peut faire l’employeur en cas de doutes sur l’objectivité d’un certificat médical ? L’employeur peut contester les certificats médicaux dits « de complaisance » devant le conseil de l’ordre des médecins en invoquant les dispositions du Code de la santé publique. Cette possibilité lui a été reconnue récemment à propos d’un certificat délivré par un médecin du travail (Ordre des médecins du Centre, chambre disciplinaire, 16-1-2014 no 228).

L’article R 4127-76 du Code de la santé publique dispose que l’exercice de la médecine comporte l’établissement, par le médecin, de certificats « conformément aux constatations médicales qu’il est en mesure de faire ». L’article R 4127-28 du même Code prohibe « la délivrance d’un rapport tendancieux ou d’un certificat de complaisance ». Il en résulte que tout certificat ou document signé par un médecin doit être parfaitement objectif et honnête. Celui-ci ne peut rapporter que ce qu’il a lui-même constaté. En conséquence, si le certificat rapporte les dires du patient ou d’un tiers, le médecin est tenu de s’exprimer sur le mode conditionnel et avec la plus grande circonspection. Sur le fondement de ces dispositions, la chambre disciplinaire de l’Ordre des médecins du Centre, a condamné, dans la décision citée ci-dessus, « à la peine de l’avertissement » un médecin du travail qui avait attesté d’« une suite de syndromes de stress post-traumatique (...) en rapport à un vécu de maltraitance professionnelle », au motif notamment que le médecin avait « attesté de faits qu’il n’a pas personnellement constatés ». Dans ce cas d’espèce, le salarié avait initié à l’encontre de l’employeur une action prud’homale aux fins de voir reconnaître le harcèlement moral dont il estimait avoir fait l’objet. Dans une décision plus récente, la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins s’est inscrite dans la même logique pour juger, cette fois-ci, que le médecin du travail avait été fondé à attester de la détérioration de l’état de santé d’une salariée et à l’attribuer à la présence de risques psychosociaux au sein de l’entreprise. En l’espèce, en effet, le médecin du travail avait reçu plusieurs salariés de l’entreprise s’étant plaints des mêmes risques, avait rencontré et alerté l’employeur, puis saisi à trois reprises l’inspecteur du travail. En conséquence, le certificat médical qui attribuait l’origine des pathologies de la salariée à ses conditions de travail était fondé, non pas sur ses seules déclarations, mais sur la connaissance qu’avait acquise le médecin des conditions de travail dans

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l’entreprise (Ordre des médecins, chambre disciplinaire nationale, 26-6-2014, no11843). Il résulte de ce qui précède que commet une faute le médecin du travail qui se prononce sur le lien entre la dégradation de l’état de santé du salarié et ses conditions de travail en se fiant uniquement aux propos de ce dernier, sans avoir procédé à la moindre constatation par lui-même. La condamnation de l’employeur qui en découlerait pourrait alors justifier la mise en cause de sa responsabilité, conformément aux principes dégagés par la jurisprudence rappelée ci-dessus.

Des tels certificats, établis en violation des dispositions précitées du Code de la santé publique, doivent en tout état de cause être jugés dénués de toute valeur probante. Cela a déjà été jugé par la cour d’appel de Montpellier à propos d’un avis d’inaptitude, établi à la demande d’une salariée, et rédigé comme suit : « Des problèmes relationnels avec sa hiérarchie, décrits par la salariée et retentissant sur son état de santé, sont un des éléments ayant forgé mon avis d’inaptitude » (CA Montpellier 31-3-2013 no 11-03844). Pour les juges, ces propos ne relevaient pas d’une constatation médicale.

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