Une donation-partage est-elle concevable sans ... - LexisNexis

10 janv. 2014 - cation de la donation-partage (1), la critique encourue par la solution (2) peut être propor- tionnée au désordre qu'elle ne manque pas de créer ...
62KB taille 17 téléchargements 333 vues
JURISPRUDENCE COMMENTÉE FAMILLE

DONATION-PARTAGE

1002

Une donation-partage est-elle concevable sans attribution de droits divis à chaque donataire ? Il n’y a de donation-partage que dans la mesure où l’ascendant effectue une répartition matérielle des biens donnés entre ses descendants. Lorsqu’il n’attribue que des droits indivis à deux des trois gratifiés, cet acte s’analyse comme une donation entre vifs.

JEAN-PIERRE GARÇON, docteur en droit, directeur scientifique du Cridon-Ouest

Cass. 1re civ., 20 nov. 2013, n° 1225.681 : JurisData n° 2013-026113 ; JCP N 2013, n° 48, act. 1156

À

quelques mois d’intervalle, la Cour de cassation a eu l’occasion d’exprimer sa conception stricte des conditions de validité d’une donation-partage. Par un arrêt déjà inquiétant du 6 mars 2013 (JCP N 2013, n° 23, 1162, avec nos obs. ; Defrénois 2013, p. 463, note Fr. Sauvage ; Dr. famille 2013, comm. 91, note B. Beignier ; RTD civ. 2013, p. 424, obs. M. Grimaldi), la Première chambre civile a disqualifié une donationpartage aux termes de laquelle un seul des six gratifiés avait été attributaire d’un immeuble, les cinq autres étant donataires de droits indivis sur d’autres autres biens. On osait croire que cette disqualification se justifiait par l’insertion dans l’acte de donation d’une clause de maintien forcé dans l’indivision. Aussi plusieurs auteurs avaient-ils estimé qu’il convenait de ne pas surestimer la portée de cet arrêt qui avait pourtant les attributs d’un arrêt de principe. La crainte de voir la pratique notariale ébranlée par une conception aussi stricte non exclusivement motivée par la clause de maintien forcé dans l’indivision est malheureusement confirmée par la présente décision (Fr. Fruleux et Fr. Sauvage, Droit et fiscalité des successions et des libéralités. Chronique de l’année 2013 : JCP N 2013, n° 51-52, 1296, spéc. § 3). De manière assez classique, une veuve (Mme Magdeleine X, épouse de Bernard G.) avait

procédé, par un acte notarié de 1987 visant les articles 1075 et suivants du Code civil, à une donation « à titre de partage anticipé » à ses trois enfants, Sabine, Pierre et Thierry, qui l’avaient acceptée, de tous ses droits dans les immeubles dépendant de la communauté ayant existé avec son mari, sous la condition que M. Thierry G. consente la licitation de ses droits tant dans ces immeubles que dans ceux dépendant de la succession de son mari au profit de sa sœur et de son frère moyennant un prix déterminé dont les modalités de paiement étaient fixées. Par testament du 12 août 1999, la mère donatrice avait consenti des legs à chacun de ses enfants. Son fils Pierre est décédé le 12 juin 2003 en laissant sa veuve, Mme Elvine G. et leurs quatre enfants, Antoine, Vincent, Jean-Marie et Thibault. Mme Magdeleine G. décéda elle-même le 22 août 2005. Les difficultés rencontrées pour la liquidation des successions de Bernard et de Magdeleine G. étaient telles que le partage judiciaire avait été demandé. Thierry avait sollicité la disqualification de la donation-partage pour conclure au rapport successoral et à la recevabilité d’une rescision pour lésion. Les juges du fond l’ont débouté de sa demande au motif que le partage intervenu et accepté par les trois enfants obéissait aux dispositions des articles 1075 et suivants du Code civil, peu important que tous les biens donnés n’aient pas été partagés entre les trois héritiers et qu’aux termes du même acte, M. Thierry G. se soit engagé à liciter sa part à son frère et à sa sœur. L’arrêt est cassé pour violation de l’article 1075 du Code civil. Nous négligerons ici le grief articulé sur un motif de procédure (la cour d’appel avait invité à tort les parties à saisir à nouveau le tribunal au vu du désaccord subsistant sur la qualification de l’acte

LA SEMAINE JURIDIQUE - NOTARIALE ET IMMOBILIÈRE - N° 1-2 - 10 JANVIER 2014

du 12 août 1999 et sur le sort du legs particuliers consenti à Pierre parce que ces questions n’avaient pas été soumises au tribunal, alors que l’effet dévolutif de l’appel obligeait les juges du second degré à trancher l’ensemble des contestations portant sur la liquidation et le partage de la succession de Magdeleine G.). La Cour de cassation rappelle qu’il n’y a de donation-partage que dans la mesure où l’ascendant effectue une répartition matérielle des biens donnés entre ses descendants. Or l’acte litigieux qui n’attribuait que des droits indivis à deux des trois gratifiés n’avait pu opérer un partage, de sorte que cet acte s’analysait en une donation entre vifs. Une fois la mesure prise de la portée de la règle selon laquelle le maintien de certains gratifiés dans l’indivision constitue une cause de disqualification de la donation-partage (1), la critique encourue par la solution (2) peut être proportionnée au désordre qu’elle ne manque pas de créer. Une donation-partage peut faire l’objet d’une requalification pour d’autres raisons (V. notamment Chr. Blanchard, Un pacte adjoint à des dons manuels ne saurait valoir donationpartage. Le notaire doit en informer ses clients : Bull. Cridon de Paris, avr. 2012, II, 70, p. 6). On ne s’attendait pas forcément à rencontrer aujourd’hui une disqualification au détour d’un acte estampillé de l’article 1075 du Code civil en présence d’une attribution divise à l’un des gratifiés.

1. Le maintien de certains gratifiés dans l’indivision, facteur de disqualification de la donation-partage C’est une évidence qui constitue le fondement de la solution : le partage est depuis toujours un élément consubstantiel de la doPage 43

1002