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L'un des paradoxes du numérique est qu'il semble transformer plus vite les vies .... plus disséminées, travaillant de manière transverse voire en « co-design ...
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Transformation numérique au travail : outils ou usages ?

Sylvie FRANCOIS DGA DRH et Relations Sociales Groupe LA POSTE L’un des paradoxes du numérique est qu’il semble transformer plus vite les vies individuelles qu’il n’imprime sa marque, auprès éventuellement des mêmes individus, dans nos organisations collectives de travail. Dans la sphère privée, l’acquisition d’équipements portables modifie nos modes de communication bilatéraux, ou en réseau, de façon continue ; l’usage de ces nouveaux outils amène des pratiques, elles-mêmes génératrices d’usages acceptés voire de normes collectives. L’outil s’inscrit dans un cadre familial, connecté affectivement ou amicalement, qui engage assez spontanément l’individu. Dans les grandes organisations, éventuellement empreintes d’une histoire et un collectif fort, la question de la transformation numérique est plus complexe. Certes, les vagues de l’évolution numérique améliorent régulièrement notre environnement de travail personnel : courriels, moteurs de recherche et téléconférences ont déjà imprimé leur marque dans nos bureaux. Mais l’équipement ne génère pas par lui-même de nouvelles pratiques collectives. Nous connaissons tous aussi le cas de réseaux sociaux d’entreprise qui ne décollent pas ou de messageries instantanées installées sur nos ordinateurs qui ne sont pas utilisées. L’équipement individuel ne peut pas transformer le collectif s’il n’est couplé à un usage et un usage partagé. « La richesse [du capital] dépend de l’usage qui en est fait au sein d’un collectif », rappelle opportunément le Conseil National du Numérique dans son rapport de janvier 2016 (CNN, Travail, Emploi, Numérique : les nouvelles trajectoires, p. 125). Certes, de jeunes entreprises bien connues naissent sur le principe des plates-formes collaboratives : elles sont filles de la révolution digitale et leur plan d’affaires en dépend intrinsèquement. Leur réussite est d’autant plus éclatante que leur modèle modifie à la fois les manières d’acheter de leurs clients et leur collectif de travail interne. Mais l’ubérisation qu’elles mettent en œuvre étant numérique par nature, aucune transformation d’un environnement initial n’est à entreprendre. D’où la relative ambiguïté des enquêtes qui portent sur le numérique au travail, parce qu’elles portent à la fois sur les conséquences de la révolution numérique et sur les impulsions numériques internes du management. D’un côté, on s’interroge et on cherche à maîtriser des phénomènes qui grandissent avec le numérique, comme par exemple les impacts du télétravail sur la vie d’équipe et sur l’aplatissement des hiérarchies : comment maintenir un

collectif malgré la nomadisation des collaborateurs1 ? Comment mettre en œuvre concrètement le droit à la déconnexion ? D’un autre côté, on cherche à développer des pratiques managériales, des nouveaux modes collectifs permettant de tirer le meilleur de la révolution numérique dans des organisations qui ne sont pas digital natives. Il s’agit là de réfléchir aux impulsions positives, aux « nouvelles pratiques de management fondatrices », qui sont « très bien perçues par 60% des CoDir », nous indique par exemple l’enquête « Quel CoDir à l’aune de la transformation digitale de l’entreprise ? » (RH&M/Altedia Lee Hecht Harrison -décembre 2015). La diffusion du numérique n’est pas seulement un phénomène dont on doit maîtriser les risques mais aussi un espoir de déploiement de nouvelles pratiques managériales. Cette quête ne va pas de soi et une courbe d’apprentissage est à gravir. Le Groupe La Poste, où plus de 50% des postiers ne disposent pas d’un ordinateur dans l’exercice de leurs fonctions, se place au carrefour de ces différentes questions. En tant que grande organisation, entretenant de surcroît un réseau physique large, sa transformation numérique doit être autant celle des usages que des outils. Ces usages doivent eux-mêmes mêler le numérique et le terrain, afin d’habiter la fonction de l’entreprise, notamment dans les services de proximité. Sur ce terrain, les 75 000 facteurs ont été munis d’un smartphone maison, le Facteo, équipé en applications postales permettant plus de réactivité au service des clients et l’accueil de nouveaux métiers dans leur tournée quotidienne. Le Facteo n’est pas un simple outil ; il est intégré dans un projet, à la frontière du gain d’efficacité personnelle pour les postiers et du plan d’affaires collectif de l’entreprise. D’ores et déjà, de nombreuses délégations étrangères viennent observer, en France, la manière dont ce déploiement a eu lieu, dont il modifie l’appréhension que les postiers se font du monde de la livraison et dont leur pratique professionnelle s’enrichit. La Poste apprend aussi des pratiques les plus nouvelles : elle a acquis en 2015 deux pépites digital natives : Stuart, start-up spécialisée dans la course en ville et Resto In, aujourd’hui première place de marché européenne pour la livraison alimentaire haut de gamme, déjà active dans neuf villes européennes. Tout en profitant d’un modèle nouveau pour lui, le Groupe entend aussi l’enrichir de pratiques sociales pertinentes pour contribuer à la construction d’un modèle responsable pour le secteur. S’il est vrai que la nouvelle branche numérique du Groupe développe et déploie ses offres dans tout le pays, alliant les bénéfices du numérique aux services de proximité, le sujet de la transformation numérique impacte aussi les autres parties de l’entreprise. Pour que les collaborateurs deviennent plus autonomes, tout en partageant des informations devenues plus disséminées, travaillant de manière transverse voire en « co-design » comme le propose le CNN, le collectif de travail de demain doit évoluer. Les bénéfices à en retirer dépendront des efforts, notamment managériaux, qui seront faits à tous les niveaux. Ils ne sont pas entièrement naturels et c’est pourquoi des formations sont nécessaires, mises en œuvre ellesmêmes à différents niveaux.

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Exemples tirés de l’enquête RH&M/Altedia Lee Hecht Harrison - Décembre 2015

Les meilleurs outils ne sont pas les plus sophistiqués mais sont ceux qui sont couplés à un usage ; et c’est donc aux usages et aux usages collectifs, au moins autant qu’aux outils, que nous devons travailler.