Théâtre POCHE/GVE : Le texte, seulement.

en scène il va inviter. Il y a une dramaturgie non seulement du spectacle, mais de la saison. Une telle cohérence ne peut pas exister dans un théâtre français.
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, et ol E rth GV Be E/ eu CH hi at PO M tre 5. ec héâ 01 2 av n u T is tie r d pu tre eu de En rect ve) di enè (G Le bruit du monde. Au Théâtre POCHE/GVE, dont vous venez de prendre la direction, le texte contemporain tient une place centrale. Une proposition très particulière, parfois radicale. D’où vient cette nécessité ? Comment avez-vous imaginé le projet du POCHE ? Mathieu Bertholet. Je voulais avoir la possibilité, en tant qu’auteur, de faire des choses pour les auteur-e-s. Il m’a semblé que le meilleur moyen était de devenir directeur d’un théâtre et d’avoir un projet très clairement axé là-dessus. Concrètement, les moyens du POCHE sont limités. Je me suis alors demandé : dans ces conditions, comment arriver à

produire le plus de textes possibles, tout en consacrant les moyens justes à chaque texte que l’on décide de monter ? J’ai tout de suite exclu les lectures et les mises en espace. Je voulais faire seulement des mises en scène, sans pour autant produire des textes au rabais. Il faut la quantité et la qualité en même temps. Je me suis donc mis à réfléchir et surtout à comparer les différents systèmes de production que j’ai pu connaître grâce à mon parcours en France, en Angleterre, en Allemagne. Il y a des standards très clairs. En « francophonie », on va mettre six à huit semaines à monter un texte, quel qu’il soit, alors qu’en Angleterre, le même texte ne demandera que deux semaines de travail.

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Ça soulève plusieurs questions. D’où vient cette différence ? Qui décide du rythme de travail ? Le texte ou le système de production ? Le texte étant à l’origine du projet du POCHE, c’est lui qui dicte la manière dont il doit être produit. C’est à l’intérieur du texte que l’on doit trouver les raisons pour lesquelles on le fait d’une manière ou d’une autre. Et ces textes, nous allons les chercher, et ce sont eux que l’on cherche et que l’on choisit – et non pas des productions, des metteur-e-s en scène ou des compagnies. La vraie radicalité du projet se situe là, dans le fait que le texte soit à l’origine et au centre de tout. Le bruit du monde. Pouvez-vous nous parler du dispositif que vous avez mis en place ? Concrètement, comment ça se passe ? Mathieu Bertholet. Un comité de lecture lit tous les textes que l’on reçoit au théâtre (on en reçoit de la part d’autres comités de lecture, comme ceux du CnT1 ou de la Maison Antoine Vitez2). Il en sélectionne une quinzaine qu’il transmet à l’équipe de production – le chargé de production, le chargé de diffusion et moi-même. Nous choisissons ensemble les textes qui, parmi les quinze, pourront être produits pendant une saison, au regard des collaborations que l’on pourra mettre en place et des moyens que l’on aura. Il y a deux grandes catégories de moyens de production, qui se définissent aussi au fur et à mesure du projet : le SLOOP et le CARGO. Le CARGO correspond au « standard francophone », entre quatre et huit semaines de répétitions. Avec le SLOOP, l’idée est de centraliser et de rationaliser les moyens de production. Il y en aura deux la saison prochaine. Le SLOOP1 est focalisé sur une auteure de comédies allemande. Nous avons demandé à un metteur en scène de monter deux de ses pièces avec la même scénographie, les mêmes acteur-trice-s et la même équipe technique. Chaque texte sera répété pendant trois semaines et les deux spectacles seront

proposés en alternance en semaine et en diptyque le dimanche. Le SLOOP2 obéit à la même logique, sauf que nous avons légèrement changé les paramètres : il s’agit de quatre prises de parole de femmes, allant du monologue intérieur au cri, à la vindicte. À la différence du SLOOP1, il y aura quatre metteuses en scène, de générations et de niveaux de confirmation divers. Les textes pourront facilement tourner ensemble, quasiment pour le prix d’un. Ça paraît très commercial, mais si on veut que le texte contemporain tourne, qu’il existe, il faut aussi penser de cette manière-là. On ne peut pas proposer un produit – même si le terme est un peu dégoûtant, c’est bien de cela dont on parle – qui coûte le même prix qu’un Molière, parce que les théâtres ne suivront pas : « Un Molière, on sait le remplir. Par contre, un texte contemporain, je ne te dis pas combien ça va nous coûter ! » Le bruit du monde. Le système que vous décrivez s’adapte donc à la fois aux textes et aux différents systèmes de production, dans un but de diffusion. Mathieu Bertholet. Oui. Le but n’est pas d’économiser des moyens pour faire le plus de choses possibles au POCHE. Défendre un texte, c’est aussi faire en sorte qu’il soit diffusé le plus largement possible. Parmi les membres du comité de lecture, il y a des directeur-trice-s de théâtre et des metteur-e-s en scène. Si on arrive à intéresser d’autres théâtres et qu’ils investissent dans le projet parce qu’ils veulent l’accueillir chez eux, on peut ainsi augmenter nos moyens. Par ailleurs, le lieu même du théâtre, avec un plateau de sept mètres sur sept, impose de produire des formes légères. On ne veut pas que les choses crèvent chez nous. Pour un texte contemporain, ne pas tourner après la création, c’est la mort, puisqu’à partir du moment où il a été mis en scène, plus personne ne veut le faire. Nous sommes donc obligés d’être très attractifs financièrement.

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Échos

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Le bruit du monde. Vous avez parlé de la France, de l’Allemagne et de l’Angleterre. Vous avez par ailleurs une double expérience des lieux de formation pour les auteur-e-s, en tant qu’ancien étudiant à l’Université des Arts de Berlin (UdK) et que co-directeur du département Écriture Dramatique à l’ENSATT. Que pensez-vous du rôle de ces institutions dans la place que les auteur-e-s vont ensuite tenir, ou ne pas tenir, dans les systèmes de production ? Mathieu Bertholet. L’UdK et l’ENSATT ne sont pas comparables car elles interviennent dans des systèmes complètement différents. À l’UdK, dès le premier jour de formation, des programmateurs viennent frapper à la porte pour voir ce qui se fait de nouveau. Le but primordial de n’importe quel théâtre allemand est de mettre en scène un-e auteur-e qu’on ne connaît pas encore. C’est le seul moyen d’attirer la presse supranationale. Ça en devient absurde. Une course effrénée à la nouveauté. Presque du cannibalisme d’auteur-e-s. Si vous avez déjà été joué-e une fois, et que la presse s’est moyennement déplacée, on se détourne de vous. À l’UdK, les responsables du département doivent protéger les étudiants, les couper du monde extérieur pour qu’ils travaillent en collégialité. En France, c’est l’inverse. C’est à nous d’aller supplier les gens de s’intéresser à ce qu’on fait. Et à l’ENSATT de pousser les étudiants à avoir en fin de cursus une pièce, voire un ouvrage à proposer. En ce sens, la progression pédagogique est beaucoup plus ouverte. Mais ce ne sont pas vraiment des optiques différentes. Plutôt la répercussion du système dans lequel on se trouve. Le bruit du monde. Et quelles sont les différences entre ces deux systèmes, selon vous ? Mathieu Bertholet. Le système francophone est pourri par les moyens limités des théâtres, qui se retrouvent obligés de mutualiser. On se retrouve

dans un système de mutualisation qui ressemble à une grosse bourse échangiste : tu me verses de l’argent pour que je produise mon spectacle, en échange je te verse de l’argent pour que tu produises le tien. Ça devient du réseautage entre directeur-trice-s de CDN qui se soutiennent les un-e-s les autres et qui décident ensemble qui ils vont soutenir. Chaque année, on voit quatre poulains qui se retrouvent avec 1,2 millions d’euros pour faire des spectacles et qui ne savent plus quoi faire de leur argent, et à côté les directeur-trice-s de CDN qui échangent leurs spectacles. C’est à se demander pourquoi il y a tant de CDN en France si c’est pour voir la même programmation partout. Il suffirait d’avoir un énorme théâtre qui produirait tous les spectacles, qu’on tournerait ensuite. On voit très peu de théâtres se distinguer sur une ligne particulière, à part peut-être à Paris, parce qu’ils sont les huit au même endroit. Mais, en province, on retrouve facilement les mêmes cinq ou six programmations-types. Tout le monde va accueillir son Molière et son collectif de création qui fait une écriture de plateau. Le bruit du monde. Et en Allemagne ? Mathieu Bertholet. Le concept de tournée n’existe pas en Allemagne. Je ne sais pas, est-ce qu’il vaut mieux se dire que dans toutes les villes on voit le même théâtre, ou plutôt que si tu veux voir tel type de théâtre, tu dois aller dans telle ville ? Tel-le metteur-e en scène, à tel endroit ? Et encore, ce n’est pas tout à fait vrai. Ce qui est fixe, en Allemagne, dans les théâtres, c’est le collectif d’acteur-trice-s. Les metteur-e-s en scène tournent. Si un même metteur en scène va à Hambourg puis à Berlin, il est obligé d’adapter sa manière de travailler, parce que la troupe est différente, parce que l’histoire du lieu est différente. En tant que metteur-e en scène, on vient s’inscrire dans l’histoire d’un théâtre. Chaque théâtre décide de sa programmation et en fonction de celle-ci choisit sciemment quel-le metteur-e

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en scène il va inviter. Il y a une dramaturgie non seulement du spectacle, mais de la saison. Une telle cohérence ne peut pas exister dans un théâtre français. Même si les CDN tentent parfois de mettre des titres sur leur saison. Il suffit de lire les éditos de directeur-trice-s qui nous expliquent qu’ils ont choisi leurs spectacles pour nous faire vivre la traversée de je-ne-sais-quoi. Ce n’est pas vrai. Ils ont juste pris ce qui était disponible à ce moment-là et ils ont décidés des dates en fonction du calendrier des uns et des autres. Le bruit du monde. Il existe tout de même des lieux en France, notamment des scènes nationales, qui prennent des risques et qui sont plus sérieux au regard des thématiques qu’ils choisissent. Mathieu Bertholet. Oui. Mais ce qui est dommage, c’est que les scènes nationales et les CDN ont des missions qui sont censées être différentes. Les missions des CDN sont très précises et ils en honorent assez peu. Aucun ne remplit son rôle de « révéler des écritures contemporaines ». C’est écrit noir sur blanc dans le cahier des charges. Tous les CDN ont normalement l’obligation d’avoir un comité de lecture et de découvrir des textes. Pas un seul ne le fait. Il vaudrait peut-être mieux qu’un ou deux en aient la mission et l’assument concrètement plutôt que tout le monde fasse semblant de s’y intéresser. Parmi les théâtres nationaux, seule la Colline affirme se consacrer aux écritures contemporaines, ce qui ne veut rien dire puisqu’on peut y jouer du Ibsen. Les termes sont flous. Au POCHE, « texte contemporain » signifie « texte écrit durant les cinq dernières années » et « n’ayant jamais été joué ». Ce sont des critères arbitraires, mais il faut bien en fixer pour que ça fonctionne. Le bruit du monde. Un autre choix radical dans la programmation de la première saison du POCHE est de ne programmer que des auteures ? Des autrices ?

Mathieu Bertholet. Nous avons opté pour « auteurs-femmes » ou « auteures ». Il y avait deux raisons à ce choix. Tout d’abord, quand j’ai rédigé mon projet, les auteur-e-s que je voulais programmer, avant de passer par le comité de lecture, étaient exclusivement des femmes. Par ailleurs, quand j’ai pris la direction du théâtre, je me suis rendu compte que j’étais encore un mec qui prenait la place d’une femme, alors qu’il y en avait déjà peu. Il y a encore trois ans, les deux plus gros théâtres de Genève étaient dirigés par des femmes. Elles ont toutes les deux été remplacées par des hommes. C’était donc important symboliquement de faire une première saison avec uniquement des femmes. Et puis, il faut le dire, ce n’était pas si difficile que ça, car la majorité des textes que l’on a lus sont des textes de femmes. Globalement, c’est-à-dire pas seulement en France, mais aussi en Allemagne, en Angleterre, dans les pays de l’Est de l’Europe – peut-être pas en Espagne et en Italie –, les jeunes auteur-e-s contemporain-e-s sont majoritairement des femmes. Ce n’était pas le cas pour la génération précédente. Le bruit du monde. Vous programmez essentiellement des auteur-e-s « jeunes » ? Mathieu Bertholet. Pas nécessairement. Nous cherchons en priorité des gens qui explorent quelque chose de nouveau. J’avais pris pour cela l’exemple d’Enzo Cormann : il se réinvente à chaque fois. Ses derniers textes sont très différents les uns des autres. De plus, ils intéressent moins les metteur-e-s en scène. Il s’agit de donner leur chance à des choses qui ne la trouveront peut-être pas ailleurs. Donner sa place à quelque chose qui n’existe pas encore. Le bruit du monde. Vous appliquez les mêmes critères au choix des metteur-e-s en scène et des acteur-trice-s ?

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Mathieu Bertholet. Non, car nous les choisissons en fonction des textes. Le rôle du POCHE n’est pas de faire émerger des metteur-e-s en scène. Après, je pense qu’il peut être un lieu intéressant pour une première mise en scène, à condition que l’auteur-e soit un peu connu-e. C’est malheureusement la vérité. Si on programme un texte d’un-e auteur-e inconnu-e mis en scène par un-e metteur-e en scène inconnu-e, les gens se déplaceront moins facilement. Ou alors il faudra qu’il soit joué par Isabelle Huppert. On est obligés de se poser ces questions-là. Qu’est-ce qui va faire que le spectateur va venir ? L’horizon d’attente va aussi se construire l’année prochaine. Ils comprendront notamment qu’un texte répété pendant trois semaines (SLOOP) ce n’est pas la même chose qu’un travail de six à huit semaines (CARGO). On peut se permettre que tout soit neuf dans la première saison, auteur-e-s et metteur-e-s en scène. De même, on pourra programmer les auteur-e-s « non confirmé-e-s » sur deux saisons consécutives, parce que le public les connaîtra. On espère créer des fidélités chez les spectateurs. Le bruit du monde. Vous avez aussi décidé de ne produire aucun de vos textes ni aucune de vos mises en scène. Mathieu Bertholet. Oui. On peut dire que c’est par engagement politique. C’est aussi parce que j’ai gueulé toute ma vie sur les directeur-trice-s de CDN qui s’octroyaient tous leurs moyens. Certain-e-s pourront vous rétorquer que cela fait partie de leur cahier des charges, et qu’en plus ils ne prennent pas tous les moyens du théâtre. Effectivement, ils prennent l’argent d’un autre théâtre, auquel ils reversent de l’argent à leur tour pour que l’autre directeur-trice puisse faire sa création. Le jeu est assez subtil, mais c’est un fait avéré que les directions se taillent la part du lion sur les moyens de production des théâtres. Personne n’est dupe. Cependant, si j’ai fait le choix de ne pas produire mon

propre travail, je ne dis pas qu’il ne faut pas que des artistes dirigent des lieux de création. Pas du tout, au contraire. Peut-être qu’il faudrait à la fois interdire aux directeur-trice-s de se programmer chez eux et leur imposer d’être programmé-e-s ailleurs. Peut-être qu’on serait sûr de voir alors les lieux dirigés par des artistes de valeur. Ça peut pervertir le jeu, ou bien obliger à des choix de programmation plus rigoureux. Je ne sais pas. Et puis peut-être que tous les artistes n’ont pas l’ambition de diriger un lieu. Pour moi, c’était très important, comme une autre part de créativité et de réflexion à mettre en jeu. J’ai fait ça dans l’enseignement pendant un certain temps, jusqu’à me demander : à quoi ça sert d’accompagner des auteur-e-s si je ne peux pas leur proposer un accès au plateau ? Le bruit du monde. On peut parler du POCHE comme un lieu d’émergence pour les textes ? Mathieu Bertholet. La proposition est bien plus radicale que ça. Il s’agit de faire émerger le texte comme nécessité au théâtre. Si les écritures de plateau marchent aujourd’hui, c’est parce qu’un jour quelqu’un a décrété que c’était à la mode, et aujourd’hui tout le monde est d’accord pour se dire que ces spectacles commencent à se toucher le nombril. Tout ce qui sort du POCHE, même le programme de saison, a été écrit par un-e auteur-e. Le lieu est beau, pour rendre l’expérience agréable. Tout est travaillé pour mettre en valeur le texte. Rendez-vous compte : on en est à devoir re-justifier le fait que, au théâtre, les auteur-e-s sont nécessaires. On doit être imparables. On n’a pas le droit de se manquer. Le bruit du monde. On peut cependant s’étonner du principe de « passer commande » à un-e metteur-e en scène en lui « imposant » un texte. Mathieu Bertholet. Je suis d’accord. Mais je m’étonne aussi que ce soit un fait établi que le/la

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metteur-e en scène soit le/la seul-e à pouvoir exprimer du désir. J’aime l’idée selon laquelle si tout se fait par rapport au texte, la question du désir disparaît complètement. Chacun fait son artisanat. Les auteur-e-s, les metteur-e-s en scène, comme les acteur-trice-s. Il n’y a pas un seul ego qui commande à tous les autres. Le bruit du monde. Comment les metteur-e-s en scène que vous avez contacté-e-s ont-ils/elles réagi à la proposition du POCHE ? Mathieu Bertholet. Ils étaient tous plutôt heureux. L’un d’eux m’a répondu très simplement qu’il aimait le texte mais qu’il n’était pas fait pour lui. J’ai trouvé ça très touchant. C’est peut-être celui qui a le mieux compris le projet. Des questions planent encore autour des formats que l’on propose. Il faudra attendre que la première saison soit passée pour que les gens comprennent mieux de quoi il retourne. Le bruit du monde. Pour vos dernières mises en scène, vous vous êtes tourné vers un auteur de roman du début du xxème siècle. N’est-ce pas paradoxal au regard du discours que vous tenez au POCHE ? Mathieu Bertholet. Non. Car pour moi monter Ramuz était un vrai travail de recherche. J’en avais besoin pour relancer mon écriture. Après l’étape très radicale de L’Avenir, seulement, un texte de six cents fragments dont on ne peut jouer que cent par représentation, il me fallait revenir à quelque chose d’ancré dans la terre pour pouvoir repartir. Avec L’Avenir, à force d’instaurer de la liberté à l’intérieur du spectacle et de faire en sorte que chaque représentation soit quasiment une réécriture, on en est venus à se demander comment survivre en assumant des écarts qualitatifs potentiellement énormes d’un soir à l’autre. Il est arrivé, certains soirs, que des actrices pleurent de honte ou de co-

lère pendant les saluts. Pas de bol si, ce soir-là, le directeur du Festival d’Avignon est dans la salle. Il faut assumer. Je suis revenu à cette part d’aléatoire malgré moi avec les textes de Ramuz, alors que je cherchais quelque chose de figé. C’est compliqué aussi face à des systèmes de production qui me demandent de produire des spectacles plus égaux. Mais peut-être que dans le fond je n’ai pas envie de faire autrement. Le bruit du monde. Vous avez également mis en scène vos propres textes. Cela a-t-il modifié votre rapport à l’écriture ? Mathieu Bertholet. Je suis toujours un auteur quand je mets en scène mes textes. Il suffit de comparer les deux volumes, Rien qu’un acteur et Farben, que je n’ai pas mis en scène, et Case Study Houses et Shadow Houses, que j’ai montés. La différence est lisible. Dans les premières pièces, la dramaturgie est complètement aboutie. Tout le travail d’auteur, je l’ai fait dans l’écriture. Alors que dans les autres, il reste un travail d’écriture à faire au moment où tu crées le spectacle. Ce sont tout de même des textes d’auteur, des textes terminés et publiés, mais qui sont plus ouverts et qui demandent à un metteur en scène de faire un autre travail. De construire une dramaturgie de plateau. Trouver la transposition scénique de ces textes tels qu’ils apparaissent sur la page ne suffit pas. Il faut inventer quelque chose de supplémentaire. Le bruit du monde. D’où l’importance d’un dramaturge, qui manque parfois aux metteur-e-s en scène-écrivains de plateau. Mathieu Berholet. Oui, j’en suis convaincu. Certain-e-s metteur-e-s en scène pensent qu’il suffit d’accoler arbitrairement deux matériaux préexistants pour en faire un texte. Ce n’est pas vrai. Faire résonner Pasolini et Müller, tout ce travail de collage, de montage, ou encore d’adaptation, c’est un

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travail d’auteur-e. Au POCHE, un dramaturge se tient à la disposition des metteur-e-s en scène. Il faut aussi insister sur la nécessité de ce rôle que les auteur-e-s peuvent jouer. Le bruit du monde. Il ne s’agit donc pas uniquement de justifier la nécessité du texte au théâtre, mais bien celle de la présence des auteur-e-s. Des auteur-e-s vivant-e-s. Mathieu Bertholet. Oui. De même que, pour moi, devenir directeur est aussi une ambition d’auteur. J’ai écrit des pièces, j’ai écrit des spectacles, maintenant je vais écrire des saisons. La saison à venir est très écrite et c’est quelque chose dont je suis très fier. Elle donne vraiment une image exacte de ce que je voulais pour le POCHE. Une photographie panoramique très large de ce qu’est l’écriture contemporaine aujourd’hui. Des comédies allemandes en dramaturgie fermée, classiques, avec des personnages, des « relations interpersonnelles au temps présent », comme dit l’autre, et à côté de ça des propositions post-modernes, comme Au bord de Claudine Galéa. Proposer un champ des possibles de l’écriture contemporaine est l’ambition première du POCHE. Propos recueillis par Pauline Peyrade et Guillaume Cayet. ENSATT, Lyon

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Centre national du Théâtre. Centre international de la traduction théâtrale.