Statut du traducteur, MdH - TRANSEUROPEENNES

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Traduire en Méditerranée

Etat des lieux de la traduction dans la région euro-méditerranéenne Le statut socio-économique du traducteur littéraire dans la région euro-méditerranéenne Synthèse par Martin de Haan

© Transeuropéennes & Ministère français de la Culture, Paris - 2012

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Préambule La présente étude est réalisée par Transeuropéennes et le Ministère de la Culture et de la Communication, Paris. Elle est une composante du premier état des lieux de la traduction en Méditerranée que conduisent à partir de 2010 Transeuropéennes et la Fondation Anna Lindh (programme euro-méditerranéen pour la traduction), en partenariat avec plus d’une quinzaine d’organisations de toute l’Union pour la Méditerranée. Partageant une même vision ample de la traduction, du rôle central qu’elle doit jouer dans les relations euro-méditerranéennes, dans l’enrichissement des langues, dans le développement des sociétés, dans la production et la circulation des savoirs et des imaginaires, les partenaires réunis dans ce projet prendront appui sur cet état des lieux pour proposer et construire des actions de long terme.

Les données rassemblées dans le cadre de l’état des lieux de la traduction en Méditerranée (TEM) étant principalement présentées et analysées par flux de traduction, c’est-à-dire par paire de langues ou de pays/régions, certaines informations risquent d’être éparpillées sur un grand nombre d’études — d’où le besoin d’études transversales, limitées à un thème précis. Un des thèmes qui méritent être d’étudiés à part est celui du statut social et économique du traducteur, thème dont l’importance devient tout de suite claire lorsqu’on se rend compte que traduire n’est jamais un acte neutre, purement technique, mais un acte interprétatif dont la qualité dépend de nombreux facteurs : la connaissance de la langue et de la culture de départ, la maîtrise de la langue d’arrivée, le sens de l’analyse et la créativité, mais également de facteurs plus terre-à-terre comme le délai accordé au traducteur, les outils qu’il a à sa disposition, la rétribution financière qu’il obtient ou non, jusqu’au prestige dont son métier jouit dans la culture d’arrivée. Ces facteurs sont évidemment liés, car un manque de prestige va souvent de pair avec une rémunération insuffisante qui à son tour peut résulter dans un travail bâclé — à moins que le traducteur n’ait une autre source de revenus à côté, comme c’est souvent le cas : même en Europe, la plupart des livres ne sont pas traduits par des « professionnels ». La méthode initialement prévue pour obtenir des données sur la situation des traducteurs là où il n’y en avait pas — dans les pays arabes et en Turquie, surtout — était celle utilisée en 20072008 par le Conseil européen des associations de traducteurs littéraires (CEATL) pour sa grande enquête sur les conditions de travail des traducteurs littéraires dans les 23 pays et régions membres du Conseil (dont le nombre a maintenant augmenté à 26, représentés par 32 associations).1 Par traducteur littéraire, le CEATL entend tout traducteur d’ouvrages protégés par le droit de la propriété intellectuelle (y inclus les sciences humaines et sociales et d’autres types de « nonfiction »), et dont les traductions sont elles-mêmes protégées comme des œuvres originales en vertu de la Convention de Berne (Art. 2) ; ce sera aussi la définition utilisée ici.2 Réseau d’associations représentant en tout quelque 10.000 traducteurs littéraires individuels, le CEATL a pu déléguer la collecte de données à ses membres en leur présentant un questionnaire détaillé sur tous les aspects de la situation contractuelle et financière de leurs adhérents. L’idée n’était pas encore de lancer des enquêtes nationales, comme cela vient d’être fait en 2011 pour la seconde édition de l’enquête européenne, mais de demander aux responsables de chaque association de faire une supposition raisonnée (« well-educated guess ») à partir de leur expérience sur le terrain. Ainsi, une étude solide et détaillée a pu être publiée fin 2008, avec un grand retentissement dans les institutions 1

Holger Fock, Martin de Haan et Alena Lhotová, Revenus comparés des traducteurs littéraires en Europe, Bruxelles 2008. Cette étude, dont la seconde édition sera publiée début 2012, peut être téléchargée depuis le site Internet du CEATL, www.ceatl.eu. 2 Voir le site du CEATL, http ://www.ceatl.eu/translators-rights/legal-status/.

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européennes (et nationales, dans certains pays). Si simple qu’elle puisse paraître, cette méthode (envoyer des questionnaires à des individus censés connaître la situation) s’est avérée problématique quand nous avons voulu l’utiliser pour les pays arabes, et cela pour plusieurs raisons. Tout d’abord, à cause de l’absence quasi-totale d’associations de traducteurs (ou même de sections de traducteurs dans des associations d’écrivains), il a été très difficile de savoir à qui s’adresser ; d’ailleurs, une grande majorité des personnes interrogées n’ont jamais réagi. Une quinzaine de personnes ont quand même eu la gentillesse de répondre à nos questions, mais leurs questionnaires étaient le plus souvent incomplets, pour une raison tout à fait imprévue : parler de ses revenus, ça ne se fait pas. Enfin et surtout, l’idée européenne d’une « traduction littéraire » se distinguant de la « traduction technique » par la propriété intellectuelle du traducteur-auteur — droits moraux, contrats de licence, droits d’auteur etc. — s’est avérée tout simplement déplacée, pratiquement insoutenable dans un contexte où la traduction, quel que soit le type de texte à traduire, est généralement considérée comme une simple prestation de service. Dans ces conditions, interroger les gens sur l’existence d’institutions spécifiquement consacrées à la traduction littéraire n’a pas beaucoup de sens, d’autant plus que la grande majorité des livres traduits en arabe sont des livres de matière technique ou économique. Heureusement, les études de « Traduire en Méditerranée » consacrées aux flux de traduction, rédigées par des spécialistes dans les domaines concernés, constituent une source d’information très précieuse pour le sujet qui nous occupe, notamment celles d’Emmanuel Varlet sur le flux français-arabe, de Sarra Ghorbal sur la traduction d’oeuvres littéraires (au sens strict) au Maghreb, de Ali Hajji sur la traduction dans les pays du Golfe, de Chiara Diana sur le flux italienarabe, de Yael Lerer sur la traduction vers l’hébreu, de Hasnaa Dessa et Mohamed-Sghir Janjar sur la traduction arabe des sciences humaines et sociales, et de la Next Page Foundation sur la traduction des langues de l’Europe de l’Est vers l’arabe.3 Pour la Turquie, une étude distincte sur le statut du traducteur a été menée par l’association Çevbir. Pour les pays européens, enfin, la principale source d’information est la grande étude du CEATL précitée.

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Voir la bibliographie à la fin de notre étude. Il faut souligner que toutes les données ont été rassemblées avant les grandes révolutions arabes de 2011.

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1. L’Europe Conditions de travail Jusque très récemment, peu de données fiables sur les conditions de travail des traducteurs littéraires en Europe existaient. C’est pourquoi, en 2007, le Conseil européen des associations de traducteurs littéraires (CEATL) s’est lancé dans une enquête pan-européenne pour obtenir une image précise de la situation dans les différents pays et régions membres (au nombre de 23 à l’époque). Ont été pris en compte les conditions contractuelles (rémunération de base, droits d’auteur, durée du contrat etc.), les droits de prêt public et autres droits en gestion collective, les bourses et subventions, la sécurité sociale et les taxes et impôts. Les revenus moyens bruts ainsi obtenus (en partie hypothétiques, dans les pays où il n’y a pas de traducteurs littéraires professionnels) ont été confrontés aux revenus moyens bruts dans le secteur de la Production Industrielle et des Services (secteur PIS) de chaque pays, ce qui permet d’en juger la valeur. Enfin, pour pouvoir faire une comparaison globale au niveau européen, les revenus moyens nets des traducteurs ont été mis en rapport en tenant compte du pouvoir d’achat dans chaque pays. Les résultats de l’enquête ont été encore plus choquants que prévu. Dans aucun des pays étudiés, la rémunération de base ne permet aux traducteurs littéraires de vivre correctement de leur travail. Ni les participations aux bénéfices (« pourcentages »), ni les droits de gestion collective n’ajoutent grand-chose au revenu, et les bourses et subventions sont négligeables, voire inexistantes dans presque tous les pays (à l’exception, notamment, des Pays-Bas et de la Norvège). Ainsi, en regardant les revenus bruts, on constate que les traducteurs littéraires gagnent beaucoup moins que les employés ou salariés dans le secteur PIS. Ceux travaillant au tarif minimum constaté ne gagnent tout au plus que deux tiers (et dans neuf pays même pas 40%) de ce que gagne un ouvrier industriel ; et dans six pays, même ceux travaillant au tarif maximum constaté ne dépassent pas les deux tiers du revenu moyen brut dans le secteur PIS. Il n’y a qu’un seul pays (la France) où la moyenne du revenu des traducteurs littéraires dépasse les 80% des revenus moyen bruts dans le secteur PIS, et seulement trois autres pays (la Suède, la Norvège et les Pays-Bas) où elle dépasse les 60%. En Italie, la situation est catastrophique. En Grèce, en Allemagne, en Finlande, en Autriche, au Danemark et en Suisse, la situation matérielle des traducteurs est extrêmement critique, les traducteurs littéraires professionnels vivent dans la précarité, voire à la limite du minimum vital. L’Espagne (y compris ses régions) ne montre des chiffres plus élevés que parce que les traducteurs littéraires y parviennent à une performance beaucoup plus élevée – au dépens de la qualité des traductions, peut-on assumer. Pour les revenus nets, il n’existe pas de statistiques internationales comme celles du revenu brut moyen dans le secteur PIS, mais on peut établir la valeur relative du revenu moyen net des traducteurs littéraires en s’aidant des statistiques sur le revenu par habitant ajusté par rapport au coût de la vie dans le pays (GNI-PPP), exprimé le plus souvent en dollars internationaux (un dollar international représentant le même pouvoir d’achat qu’un US dollar aux États Unis).4 Si le tableau ainsi obtenu ne dit rien sur la valeur absolue des revenus en question, il nous fournit pourtant une excellente base de comparaison entre les pays concernés.5

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Année de référence 2003 (l’année la plus récente dans les statistiques). Les données ont été empruntées à la carte interactive « Globalis » de GRID-Arendal (http://maps.grida.no/), fondation norvégienne coopérant avec l'Organisation des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE). 5 Tableau non publié à ce jour, faisant partie de la documentation interne du CEATL.

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Country Czech Rep. Greece Italy Slovakia Catalonia Finland Slovenia Spain Portugal Austria Germany Basque Ctry Denmark Netherlands Lithuania Belgium (Fr.) Norway Switzerland Croatia Sweden France UK Ireland

Average net translator 3200 5580 8720 4755 8290 10295 8160 9495 7600 12880 12530 10155 15070 14370 5780 15285 20260 17705 5920 15955 16940 23360 28725

GNI - PPP

ratio

15600 19900 26830 13440 22150 27460 19100 22150 17710 29740 27610 22150 131050 28560 11390 28920 37910 32220 10610 26710 27640 27690 30910

0.21 0.28 0.33 0.35 0.37 0.37 0.43 0.43 0.43 0.43 0.45 0.46 0.49 0.50 0.51 0.53 0.53 0.55 0.56 0.60 0.61 0.84 0.93

C’est la colonne appelée « ratio » qui importe ici, et qu’il faut lire de la façon suivante : le chiffre de la France (0,61) étant presque trois fois plus élevé que celui de la République tchèque (0,21), un traducteur littéraire français a en moyenne trois fois plus de pouvoir d’achat, comparé au pouvoir d’achat moyen national, qu’un traducteur littéraire tchèque (à noter que les « meilleurs » pays, l’Angleterre et l’Irlande, publient très peu de traductions littéraires). Toutefois, ces chiffres relatifs ne doivent pas cacher la réalité économique de tous les jours : il est vrai que la Croatie a un chiffre plus élevé que l’Allemagne, par exemple, mais le pouvoir d’achat absolu y est beaucoup plus bas. Il ne faut pas non plus oublier que les chiffres de la colonne GNI-PPP ne représentent que des moyennes où les écarts de richesse plus ou moins grands n’apparaissent pas.

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Visibilité, formation, institutions, prix littéraires, situation légale Il est évident que les mauvaises conditions financières sous lesquelles les traducteurs littéraires sont obligés de travailler, peuvent avoir de grandes conséquences pour la qualité de leur travail. Toutefois, d’autres facteurs sont tout aussi déterminants, et jusqu’à un certain point on peut même dire que tout est lié : le prestige dont jouit le métier n’influe pas seulement sur la rémunération (petit prestige = mauvaise rémunération), mais également sur l’attrait qu’il exerce sur de nouvelles générations, et donc sur la qualité qu’on peut espérer avoir. La formation institutionnelle, elle-même la preuve d’une certaine reconnaissance sociale, est également productrice de prestige et de reconnaissance, en même temps qu’elle permet de garantir la qualité en amont. Le cadre légal, enfin, est directement lié aux questions de visibilité (obligation ou non de mentionner le nom de l’auteur) et de rémunération (voir par exemple le nouveau Urhebersvertragsrecht qui existe en Allemagne depuis 2002).6 Sur tous ces points (visibilité/prestige, formation/institutions/prix, protection légale) la situation en Europe est assez hétérogène, et mal connue dans sa généralité. C’est pourquoi le CEATL a lancé des enquêtes dans ces domaines aussi, dont il espère présenter les premiers résultats lors du congrès PETRA en décembre 2011. Très globalement, on peut dire que le statut légal du traducteur comme auteur de ses traductions (conséquence directe de la Convention de Berne, Art. 2 : « Sont protégées comme des œuvres originales, sans préjudice des droits de l’auteur de l’œuvre originale, les traductions, adaptations, arrangements de musique et autres transformations d’une œuvre littéraire ou artistique »), avec les droits qui en découlent (et notamment les droits moraux), est encore mal respectée dans presque tous les pays concernés, ce qui s’explique sans doute par le manque de visibilité du traducteur dans son œuvre et, partant, sur la scène littéraire, bien que la plupart des associations de traducteurs littéraires fassent un grand effort de sensibilisation. C’est surtout l’existence de multiples institutions, programmes de soutien (aux éditeurs étrangers surtout, dans le cadre de l’exportation culturelle), centres de formation et prix de traduction qui montre que la traduction jouit quand même d’un certain prestige culturel et politique en Europe — prestige dont ne profitent pas nécessairement les traducteurs, considérés comme de simples instruments des flux de traduction. Mais il y a pire, témoin la situation en Turquie et dans le monde arabe.

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Cette nouvelle loi allemande, qui stipule une rémunération équitable, a donné lieu à une longue série de procès à laquelle même le jugement rendu par la Cour Fédérale le 7 octobre 2009 n’a pas encore pu mettre fin. Un dossier détaillé se trouve sur le site Internet de l’association des traducteurs littéraires allemands, VdÜ (http://www.literaturuebersetzer.de).

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2. La Turquie Enquête préliminaire de 2009 Depuis la fondation de l’association de traducteurs Çevbir en 2006 (après avoir existé de façon informelle depuis 2003) et son adhésion au CEATL en 2009, les conditions de travail des traducteurs littéraires en Turquie commencent à être un peu mieux connues. Une première ébauche de cartographie (non publiée), basée sur les estimations faites par le conseil d’administration de Çevbir, a été réalisée en 2009 à l’aide du questionnaire utilisé par le CEATL pour sa grande enquête de 2008. En voici les principaux résultats :  Aides et prix : inexistants (mais s’ils existaient, 17% de taxe seraient déduits).  Droit de prêt public : inexistant, bien que l’argent soit collecté depuis dix ans.  Assurance maladie et retraite : nouveau système de sécurité sociale obligatoire, cotisation de €1500 annuels.  Statut fiscal : les traducteurs littéraires sont considérés comme des producteurs d’art et d’opinion. Jamais ils n’atteignent le seuil de la déclaration d’impôt, donc ils n’ont pas la possibilité de déduire les frais professionnels. 17% de la rémunération sont retenus à la source comme impôt sur le revenu (forfaitaire).  8% de TVA sont retenus sur la rémunération par l’éditeur.  Revenu annuel moyen :  Chiffre d’affaires : éditions originales €4000 – 6000 ; réimpressions : €0 – 2000 (en moyenne : €500). Recettes moyennes : €4000 – 8000.  Dépenses : €2000 – 4000 (non déductibles, les 17% de taxe forfaitaire en tiennent déjà compte).  Revenu annuel brut : €0 – 6000.  Revenu annuel net : €2500 – 6500. (Le revenu moyen des travailleurs en Turquie était de €4500 en 2005.) D’autres données intéressantes ont été relevées lors de cette enquête préliminaire :  Nombre de traducteurs littéraires actifs (= publiant au moins une traduction littéraire tous les deux ou trois ans) : 2000 à peu près.  Nombre de membres de l’association : 193.  Nombre de nouveautés annuelles : 30.000–35.000, quote-part des traductions : 45%.  Le contrat est conclu directement avec l’éditeur pour une durée de cinq ans, avec l’obligation de publier la traduction (tirage minimum 2000 exemplaires), 20 exemplaires gratuits pour le traducteur.  ‘Exception turque’ : la rémunération est de 7% du prix net de vente pour 2000 exemplaires minimum. Un tiers de la somme est payée à l’acceptation du manuscrit, le solde après publication.

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Enquête de 2010 En 2010, dans le cadre de l’état de lieux « Traduire en Méditerranée », Çevbir a mené une nouvelle enquête parmi ses membres. Cette fois-ci, sur un total de presque 300 membres de l’association, 30 traducteurs ont rempli le questionnaire. Les résultats, qui en gros confirment ceux de l’enquête préliminaire, ont été présentés dans un rapport clair et concis par Akin Terzi (non publié à ce jour).7 En voici les éléments les plus importants :  Comme dans la plupart des pays européens, il existe en Turquie deux groupes de traducteurs littéraires : ceux qui travaillent plus ou moins à plein temps (traducteurs littéraires « professionnels », 3 à 6 livres par an) et ceux qui ont d’autres sources de revenus (traducteurs « actifs », 1 à 2 livres par an). C’est surtout la deuxième catégorie qui travaille à des tarifs extrêmement bas. (Il faut souligner que presque toutes les personnes ayant répondu au questionnaire font partie de la première catégorie, donc les résultats ne sont pas tout à fait représentatifs de la situation générale.)  Les traducteurs turcs sont payés soit en droits d’auteur (6 à 8% du prix net de vente), soit en rémunération forfaire (2 à 3 € la page, mais parfois cette somme ne dépasse pas les 0,75 € la page). Ce sont surtout les traducteurs de la première catégorie, travaillant pour des maisons d’éditions bien établies et traduisant des livres de qualité, qui sont payés en droits d’auteur (1500-2000 € par livre, c’est-à-dire 4500-6000 € par an). Les traducteurs de littérature populaire peuvent gagner la même somme annuelle en traduisant 8 à 10 livres par an, payés en forfait.  Plus que la rémunération insuffisante, c’est le moment du paiement qui pose problème. Généralement, le traducteur n’est payé qu’après la publication du livre, sans aucune avance (même si le contrat stipule souvent une avance).  Il n’y a pas d’autres sources de revenus : ni droits de prêt public, ni reprographie, ni bourses. Des modifications de la loi sur la propriété intellectuelle sont en voie de préparation, un système de droit de prêt public sera mis en oeuvre mais dont les bénéfices pour les traducteurs littéraires seront sans doute négligeables.  Il n’y a pas de contrat type (= convenu avec les éditeurs). Le modèle de contrat proposé par Çevbir n’a été accepté que par quelques maisons de qualité. Les principaux éléments du contrat sont comparables à ceux des contrats européens : terme (5 à 10 ans), nombre d’exemplaires gratuits (10 à 20), tirage minimum (1000 à 2000 exemplaires). Le plus grand problème au niveau des contrats est bien le fait que beaucoup de jeunes traducteurs, et même des traducteurs expérimentés, acceptent de travailler sans contrat — ce qui ouvre la voie à des rémunérations très basses et laisse les traducteurs sans aucun recours juridique en cas de litige.  Système de sécurité sociale obligatoire, cotisation d’au moins 120 € par mois. Les prestations comprennent une assurance maladie et une retraite minimale (il faut avoir cotisé 120 €/mois pendant 25 ans pour avoir droit à 200 €/mois…).  En général, 8% de TVA sont retenus par l’éditeur (sans que le traducteur puisse la récupérer). 17% de la rémunération sont retenus à la source comme impôt sur le revenu (« withholding tax »).  La censure est un grand problème pour les traducteurs turcs. De plus en plus souvent, les

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Akin Terzi, ‘Questionnaire Study for the Assessment of the Working Conditions of Literary Translators in Turkey’, juin 2011.

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traducteurs sont traduits en justice (pour avoir publié des livres « obscènes », surtout).8 Il n’est pas rare que l’éditeur demande au traducteur d’adoucir le texte pour éviter les ennuis avec la justice. Pour la même raison, l’autocensure est assez courante.

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Il est intéressant de noter que le ministre turc de la Culture et du Tourisme, dans une réaction à une lettre de protestation du CEATL, exprime son souhait que la Turquie aille plus dans le sens de l’Europe dans le domaine de la liberté d’expression.

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3. Le Machreq et l’Égypte Dans son projet d’étude TEM sur les flux de traduction français-arabe en Égypte et au Machreq (1985-2010),9 Emmanuel Varlet caractérisait ainsi la situation des traducteurs dans cette région : • Faible professionnalisation, sauf au Liban, où il existe des structures de formation, et où l’industrie du livre a besoin de traducteurs. • La traduction n’est un métier que pour quelques-uns : les traducteurs suffisamment reconnus pour poser leurs conditions en matière de rémunération. Pour le reste, il s’agit surtout d’universitaires, de journalistes et d’écrivains. • Les grands programmes de traduction du Golfe (Kalima et Tarjim) attirent les traducteurs arabes de toute la région et tendent à imposer leurs standards au secteur indépendant. • Rémunération à la page, sans pourcentage sur les ventes (tirages moyens à 1000 exemplaires) ; les traducteurs touchent rarement quelque chose à la réimpression. • Absence de regroupements professionnels représentatifs à l’échelle régionale. • Métier en voie de reconnaissance, vu la création des nombreux prix de traduction. • Autocensure par certains traducteurs, la censure de l’État s’exerçant plus sur la production originale.

L’Égypte Avec le Liban, l’Égypte est le pays arabe où on traduit le plus. Comme le constate Emmanuel Varlet dans son étude TEM sur le flux de traduction français-arabe, la traduction en Égypte vient traditionnellement « d’en haut » (p. 5), étant avant tout l’affaire des institutions de l’État. Le Conseil supérieur de la culture (CSC, responsable du Projet national de traduction né en 1995), Le Centre national de la traduction (organisme indépendant créé en 2006 par le CSC) et l’Organisation générale égyptienne du livre (GEBO, créée en 1971 sous Sadate) sont à eux seuls responsables de la grande majorité des traductions publiées pendant les dernières décennies ; très peu d’éditeurs privés publient des traductions. L’étude d’Emmanuel Varlet nous apprend encore que les traducteurs égyptiens, comme ceux dans toute la région, ont un faible degré de professionnalisation. Très peu de traducteurs littéraires travaillent à plein temps : le plus souvent, les traductions sont faites par des universitaires, des journalistes ou des écrivains « soucieux de combler les vides de la librairie égyptienne » (p. 8). Ce manque de professionnalisation pourrait à notre avis s’expliquer par deux facteurs : les conditions de travail insuffisantes, qui ne permettent pas aux traducteurs d’en vivre, mais également le nombre de traductions toujours très restreint en termes absolus (450 traductions par an environ, ce qui ne représente que 1,5% de la production totale des éditeurs égyptiens), même si l’Égypte en publie relativement beaucoup en comparaison avec les autres pays arabes. Trois traducteurs égyptiens ont eu la gentillesse de répondre à notre questionnaire (voir l’Appendice ; le questionnaire été envoyé en français, en italien et en arabe). Leurs réponses, qui se recoupent en gros, nous donnent l’image suivante de la situation des traducteurs littéraires en Égypte : • Contrats. Bien que certaines traductions se fassent sans contrat, d’habitude les traducteurs signent un contrat standardisé que leur propose l’éditeur. Aucun accord collectif sur les modalités du contrat et sur la rémunération n’existe, ce qui n’est pas étonnant, puisqu’il n’y 9

Version remise aux participants de la réunion TEM à Alexandrie, le 4-6 novembre 2010. La version finale de l’étude est moins explicite sur ces points.

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pas non plus de syndicat ou d’association de traducteurs. La date de remise du manuscrit est à négocier. La durée du contrat est de cinq ans. Normalement, le traducteur reçoit 20 exemplaires gratuits (mais parfois juste 5). Rémunération. Les traducteurs reçoivent une somme forfaitaire (à négocier, suivant l’expérience du traducteur et la langue à traduire : l’italien, par exemple, est considéré comme une langue rare pour laquelle le tarif est plus élevé) basée sur le nombre de mots du texte original. Selon l’une des personnes interrogées (un chercheur universitaire traduisant de l’italien) le tarif moyen constaté s’élève à 20 piastres par mot, ce qui équivaudrait à 3 centimes d’euro. Au moins la moitié de la somme (et parfois la somme totale) n’est payée qu’à la parution du livre, ce qui met la traducteur dans une position de grande incertitude quant à son revenu (la publication n’étant même pas garantie). Les traducteurs ne reçoivent pas de participation aux bénéfices, ni de droits annexes. Prix et subventions. Deux prix de traduction existent : le Prix du Centre national de la traduction (100.000 livres), et le Prix du Conseil supérieur de la culture. 10 Les seules aides à la traduction viennent de l’étranger. Revenu annuel. Seulement une des trois personnes interrogées risque une estimation du revenu annuel que peut avoir un traducteur littéraire travaillant à plein temps : rémunération de base 2000-3000 euros, aides 4000 euros, total recettes 5000-7000 euros, revenu net 5000 euros. (Il est à noter qu’avec un tarif de 0,03 euros le mot, cela correspondrait à une production de 67.000 à 100.000 mots annuels seulement.) Mention du nom. Selon les trois personnes qui ont répondu au questionnaire, le nom du traducteur est d’habitude bien mentionné : sur la couverture du livre, à la page de titre et la page du copyright, dans les comptes-rendus, dans le catalogue et sur le site internet de l’éditeur. Censure. Aux dires d’Emmanuel Varlet, « aucun contrôle avant parution (riqâba) ne s’exerce depuis 1977, mais deux cas de figure peuvent se présenter : l’interdiction des livres importés de l’étranger et la saisie après publication (musâdara) » (p. 22). Les réponses au questionnaire indiquent que les traductions ne sont pas censurées, mais il y a parfois autocensure de la part du traducteur. Droits moraux. Les droits moraux du traducteur en tant qu’auteur de la traduction (cf. Convention de Berne, Art. 2) ne pas vraiment respectés. Ceci confirme que la traduction est avant tout considérée comme une prestation de service. Travail de l’éditeur. D’habitude, le texte de la traduction est révisé par l’éditeur pour l’orthographe et le style. Formation. Il existe des cours de traduction littéraire dans les départements de langue et de traduction des universités. Parfois il y a des cours de formation continue au Centre national de la traduction. Néanmoins, c’est le manque de formation (continue) que l’une des personnes interrogées mentionne comme l’obstacle le plus important. Besoins. Ici, les réponses rayonnent dans toutes les directions. La longue attente de la rémunération ne permet pas au traducteur d’avoir une vie économiquement satisfaisante. Il arrive aussi que de longs projets de traduction (la Divine Comédie etc.) soient suspendues à cause du manque de soutien au traducteur. Sur le plan professionnel, c’est le manque de contact avec des collègues traduisant dans l’autre sens et l’absence d’un syndicat ou d’une association de traducteurs qui posent problème. Le métier n’étant pas reconnu par l’Etat, les traducteurs ne bénéficient pas de la sécurité sociale.

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Il faut y ajouter le prix de traduction créé en 2009 par le Goethe Institut du Caire pour les traductions de l’allemand vers l’arabe dans le domaine des belles-lettres.

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La Jordanie et la Palestine Pour la Jordanie et la Palestine, nous disposons de très peu d’informations, ce qui n’est pas étonnant vu le nombre très restreint de traductions qui y sont publiées. Pour la Jordanie, Emmanuel Varlet a repéré dans l’Index translationum 304 références toutes langues confondues entre 1979 et 2005, mais il constate que la plupart de ces traductions sont des réimpressions destinées au public jordanien et palestinien de livres publiés au Liban notamment. Il rappelle aussi que la lecture ne fait pas partie de la vie quotidienne en Jordanie, où 75% des gens habitent en dehors de villes. Enfin, il cite Maher Kayyali (qui dirige l’Arab Institute for Research and Publishing, basée à Beyrouth, et qui a créé une antenne à Amman) pour constater que « les grands programmes de traduction mis en place dans le Golfe […] et le niveau de rémunération des traducteurs que ceux-ci ont indirectement imposé au marché (de l’ordre de 15-20 dollars les 300 mots), ont remis en cause les capacités des éditeurs privés dans ce domaine » (p. 34-35). Un seul traducteur de Palestine a répondu à notre questionnaire. Il se dit traducteur technique, ne signe jamais de contrats de traduction, et fait une remarque qui en dit long sur la situation de la traduction éditoriale dans son pays : « A ma connaissance, les maisons d’édition en Palestine ne sont pas en mesure de lancer des projets de traduction d’ouvrages au niveau du monde arabe. » Il estime la rémunération forfaitaire (pour les traductions techniques, on peut supposer) à 15-25 euros la page, ce qui peut donner un chiffre d’affaires annuel de 15.000 euros et un revenu annuel net de 14.000 euros. Sur le plan des institutions, Hasnaa Dessa et Mohamed-Sghir Janjar mentionnent encore la Fondation Abdelhamid Shoman à Amman, qui a soutenu un certain nombre de traductions publiées notamment par l’Organisation arabe de traduction à Beyrouth.11

Le Liban Comme l’écrit Emmanuel Varlet dans l’étude déjà citée, « Beyrouth fonctionne depuis la fin des années 1960 comme la plaque tournante du livre à l’échelle du monde arabe et comme le poumon de l’édition indépendante » (p. 37). Aussi, la traduction y est-elle avant tout une affaire des éditeurs privés, en contraste avec cet autre pôle de l’édition arabe, l’Égypte, où c’est l’Etat qui est responsable du gros des traductions publiées. Il va de soi que cette industrie du livre, dont la production a été estimée à 350 à 450 traductions par an,12 a besoin de traducteurs. Aux dires de Hasnaa Dessa et Mohamed-Sghir Janjar, dans leur étude TEM sur l’état de la traduction arabe dans les sciences humaines et sociales, les maisons d’édition libanaises « continuent à attirer les traducteurs de tout le monde arabe et aussi ceux résidant dans les pays européens et en Amérique du Nord » (p. 7). C’est pourquoi on peut supposer une situation comparable à celle en Turquie et en Europe, ce que confirme encore Emmanuel Varlet qui dresse ce tableau de la traduction éditoriale au Liban : « Il serait exagéré d’affirmer que la traduction y est un métier, mais de nombreux signes attestent tout de même un certain degré de professionnalisation. Des structures de formation parfois anciennes existent, au-delà des simples cours de traductions prévus dans les cursus universitaires de langues étrangères. Plusieurs universités libanaises dispensent des 11 12

Dessa et Janjar, p. 23. Varlet, p. 38, note 37.

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enseignements spécialisés, les diplômes les plus renommés, parce que très sélectifs, étant ceux de l’Ecole de traducteurs et d’interprètes de Beyrouth (Université Saint-Joseph), créée en 1980, et du Centre de Langues et de Traduction de l’Université Libanaise. Le traitement des traducteurs d’édition est par ailleurs relativement favorable : selon l’enquête menée en 2008 par Roger Melki, le prix de la page peut monter jusqu’à 28 dollars, la moyenne se situant autour de 1536. Enfin, et bien qu’il soit peu représentatif, un syndicat de traducteurs a été formé il y a quelques années à Beyrouth, sous le nom d’Union des traducteurs arabes. » (p. 38)

Quant aux institutions liées à la traduction, c’est surtout l’Organisation arabe de traduction (OAT) qui mérite d’être mentionnée, organisation sans but lucratif fondée en 1999 par le Centre d’études de l’unité arabe, et qui est devenue l’un des éditeurs les plus importants de toute la région dans le domaine des sciences humaines et sociales, avec une approche exigeante et des publications de qualité. Malheureusement, deux traducteurs libanais seulement ont eu la gentillesse de répondre à notre questionnaire. Les réponses sont toutefois très utiles, bien qu’il soit difficile d’en tirer des conclusions sur les conditions économiques dans lesquelles travaillent les traducteurs littéraires libanais. Il faut également souligner que la distinction « européenne » entre traduction littéraire ou éditoriale et traduction technique, basée sur le droit d’auteur du traducteur, n’est pas vraiment établie au Liban, ni a fortiori dans les autres pays arabes. Voici les principaux éléments qui ressortent des deux questionnaires remplis :  Il n’existe pas de statistiques sur les conditions de travail des traducteurs libanais.  Malgré l’existence d’un syndicat de traducteurs, l’Union des traducteurs arabes, il n’y pas encore de recommandations ni d’accords collectifs sur la rémunération.  D’habitude (mais pas toujours) le traducteur signe un contrat avec l’éditeur. La plupart des maisons d’éditions ont leur propre contrat standardisé, mais les modalités sont négociées à base individuelle. Pas de tirage minimum stipulé, 10 à 15 exemplaires gratuits pour le traducteur.  La rémunération est basée sur texte original. Le traducteur est payé par page (de 250 ou 300 mots), parfois une estimation globale du livre est faite. Le tarif minimum constaté est de 3 dollars par page de 250 mots, le tarif maximum constaté est de 15 dollars. Cette rémunération forfaitaire est payée soit à la remise du manuscrit, soit à la parution du livre, soit 50/50. L’impôt sur le revenu est retenu à la source par l’éditeur.  Le traducteur ne reçoit pas de droits d’auteur, ni de droits annexes et dérivés. Ses droits moraux sont plus ou moins respectés.  Le nom du traducteur est d’habitude (mais pas toujours) mentionné sur la couverture et/ou à la page de titre. Selon l’une des personnes interrogées, le nom du traducteur apparaît aussi dans le catalogue et sur le site de l’éditeur, ainsi que dans les comptes rendus. Nous avons pu vérifier que les traducteurs sont mentionnés sur le site de l’OAT (http://www.aot.org.lb/).  Une autorisation officielle est requise pour tout livre publié. C’est pourquoi les traducteurs pratiquent parfois l’autocensure.  Les outils dont disposent les traducteurs sont parfois insuffisants ; tout cela dépend des initiatives personnelles du traducteur.

La Syrie Comme en Égypte, la traduction en Syrie est depuis longtemps une affaire d’État. C’est l’un

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des rares pays arabes où il existe une véritable tradition de traduction,13 tradition étatique basée sur la politique de traduction assurée depuis plusieurs décennies par le ministère la Culture (Direction de l’écrit et de la traduction, assimilée en 2006 par l’Organisation générale du livre). Néanmoins, comme le signale Emmanuel Varlet, « le développement d’une édition indépendante assez active dans le champ de la traduction a remis en cause le monopole institutionnel », de sorte que, dans les années 1990, « trois quarts des titres traduits annuellement en Syrie étaient le fait de l’édition indépendante » (p. 24). Il constate d’ailleurs que cet essor de la traduction syrienne indépendante tient surtout au fait qu’un « vide juridique en matière de droit d’auteur a longtemps permis aux éditeurs d’enrichir leurs catalogues de traductions sans s’embarrasser avec les acquisitions de droits » (ibid). Aussi, la ratification de la Convention de Berne en 2004 pourrait-elle expliquer le ralentissement dans le rythme des traductions publiées qu’on peut constater pendant la dernière décennie, même si aucun contrôle par l’État ne semble se faire. C’est encore Emmanuel Varlet qui donne des renseignements précieux sur les principales institutions (à savoir, à côté du ministère de la Culture : les ministères de l’Information et de l’Enseignement supérieur, le Centre Arabe pour l'Arabisation, la Traduction, la Création et la Publication, et la maison d’éditions indépendante Dâr al-Madâ), les structures de formation à la traduction (comme le master de l’ESIT, Université de Damas, qui d’ailleurs n’offre pas de formation spécialisée à la traduction éditoriale) et le statut des traducteurs. Ainsi, il tire l’attention au fait que beaucoup d’ancien militants marxistes ont commencé à traduire en prison, comme c’est le cas aussi avec les intellectuels turcs emprisonnés : sans leur contribution, la traduction syrienne ne serait pas ce qu’elle est maintenant, en termes de qualité et de quantité. Varlet nous apprend aussi que les grands quotidiens d’État consacrent régulièrement des articles aux traductions qui viennent de paraître. Deux traducteurs syriens ont répondu à notre questionnaire. Leurs réponses divergent sur plusieurs points importants, ce qui semble indiquer un paysage assez varié. En voici les principaux éléments :  D’habitude, le traducteur signe un contrat. La durée du contrat n’est pas spécifié, mais le contrat se limite au tirage stipulé (1000 exemplaires, généralement) : si tous les exemplaires sont vendus et que l’éditeur veuille réimprimer l’ouvrage, un nouvel accord doit se faire. Le traducteur reçoit 10 à 20, parfois 25 exemplaires gratuits.  La rémunération, très inégale, dépend de l’habileté du traducteur. Elle peut être basée sur le texte original (page de 1500 signes, espaces inclus, ou page type de 25 lignes) ou sur la traduction (nombre de mots, à base d’un échantillon de plusieurs pages). Le tarif minimum constaté dans le premier cas est de 200LS/page, le tarif moyen de 300 LS/page, le tarif maximum de 1000 LS/page. Il s’agit toujours d’une somme forfaitaire, dont 10% est payée à la signature, 40% à acceptation et le solde à la parution, bien qu’il arrive aussi que toute la somme soit payée à la parution.  Le traducteur ne reçoit pas de droits d’auteur ni de droits annexes et dérivés.  Un prix de traduction (qui porte le nom du grand traducteur Sâmî al-Durûbî) est remis par le ministère de la Culture.  Les traducteurs d’édition ne bénéficient pas de la sécurité sociale, sauf s’ils sont employés par l’Etat.  Si le traducteur est de profession libre, ses revenus sont d’habitude trop bas pour en vivre. Estimation du revenu moyen annuel : 250.000 LS (ce qui correspond à 835 pages à tarif moyen) ; revenu net annuel estimé : 20.000 LS. 13

Cf. Dessa et Janjar, p. 7.

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     

Le nom du traducteur est généralement mentionné sur la couverture et à la page de titre du livre, dans les comptes-rendus et dans le catalogue, le site et les annonces publicitaires de l’éditeur. Tout livre a besoin d’une autorisation préalable du ministère de l’Information. La censure se fait par l’éditeur ; il y a parfois autocensure de la part du traducteur. Les droits moraux des traducteurs sont plus ou moins respectés, mais les abus sont fréquents. La révision par l’éditeur n’est pas toujours suffisante ; on ne compare pas la traduction au texte original. Il n’existe pas de syndicat ou d’association de traducteurs, mais il existe une Union des écrivains qui s’occupe aussi de la traduction. Aucune formation spécialisée n’existe ; il y a parfois des stages de traduction littéraire. Les deux personnes interrogées considèrent disposer d’outils suffisants, mais elles voudraient que la traduction éditoriale soit mieux organisée, pour que le même livre ne soit pas publié plusieurs fois en arabe. La rémunération est jugée insuffisante, on ne peut en vivre. Il faudrait créer un syndicat de traducteurs.

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4. Israël Pour Israël, les seules informations dont nous disposons viennent du projet d’étude TEM de Yael Lerer sur la traduction vers l’hébreu.14 Elle constate que la privatisation de nombreuses maisons d’éditions publiques au cours des vingt-cinq dernières années a produit une hausse de traductions de très mauvaise qualité, depuis l’anglais surtout ; les traducteurs sont mal payés. Une petite partie du marché seulement produit des traductions de qualité. Une association de traducteurs existe (Israel Translators Association, ITA), dont le nombre de membres s’élève à 550 sur un total de 2000 traducteurs actifs estimés. L’association ne compte que 30 traducteurs littéraires parmi ses membres. La rémunération est calculée à base de feuilles imprimées (24.000 signes, ou 16 pages de 250 mots). Les bons éditeurs payent 800-1200 NIS (160240 euros) par feuille imprimée, mais certains éditeurs ne payent que 200-300 NIS (40-60 euros), au dépens de la qualité. Il n’y a pas de Prix de traduction ni de résidences pour les traducteurs, sauf parfois dans les pays de la langue d’origine du livre traduit. Des programmes de formation à la traduction sont proposés à l’université Bar-Ilan (la seule à proposer un master et une option de doctorat en études de traduction), à la Hebrew University de Jérusalem, à l’université de Tel-Aviv et au Beit Berl College. Mais Yael Lerer constate que les meilleurs traducteurs vers l’hébreu sont des écrivains qui n’ont jamais suivi de formation. La seule institution en Israël à soutenir la traduction vers l’hébreu est HaMif’al LeTirgum Sifrey Mofet (« Le projet de traduction des chefs-d’œuvre »), qui fait partie du Centre israélien pour les bibliothèques et qui a cofinancé la traduction de plus de trois cents classiques occidentaux depuis sa fondation en 1973. Aucun questionnaire ne nous est parvenu d’Israël.

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Yael Lerer, ‘Tendances principales dans la traduction vers l’hébreu au cours des 25 dernières années: un premier état des lieux’, voir la bibliographie.

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5. Les pays du Golfe Pour les pays du Golfe (l’Arabie saoudite, le Koweït, les Émirats arabes unis, le Qatar, le Bahreïn, l’Oman et le Yémen), notre principale source d’information est l’étude TEM de Ali Hajji sur la traduction vers l’arabe dans les pays du Golfe.15 Comme l’écrit déjà Hajji, « malgré les contacts pris avec différents traducteurs issus ou travaillant dans les pays du Golfe et l’envoi d’un questionnaire destiné à nous renseigner sur leur statut, nous avons eu très peu de retours » — à savoir un seul, venant d’Arabie saoudite. C’est pourquoi nous nous voyons obligés de traiter ces pays très succinctement, dans l’espoir qu’une étude ultérieure viendra un jour combler les lacunes. De façon générale, comme le constate Hajji, la traduction éditoriale jouit d’un prestige restreint, même si beaucoup de traductions sont faites par des universitaires éminents. En effet, la plupart des traducteurs font leur travail à côté d’un poste de chercheur universitaire : situation typique des pays où la rémunération est trop basse ou le nombre de traductions trop faible pour que les traducteurs puissent en vivre. Dans certains pays (notamment le Bahreïn et l’Oman) il existe une législation concernant les traducteurs, mais celle-ci ne fait aucune distinction entre la traduction littéraire et la traduction technique, ce qui confirme notre impression que cette distinction européenne (basée sur le statut du traducteur littéraire comme auteur, en vertu de l’Art. 2 de la Convention de Berne) ne joue aucun rôle dans les pays arabes, où le traducteur est avant tout considéré comme un prestataire de services (d’où la rémunération forfaitaire constatée dans tous les pays étudiés). Dans le même registre, Ali Hajji constate d’ailleurs que les éditeurs se croient souvent en droit de pratiquer la censure après avoir acheté les droits de traduction. En grand contraste avec le prestige restreint dont jouit la traduction dans les pays du Golfe, les plus riches de ces pays ont récemment investi beaucoup d’argent dans de grands programmes de traduction, bien que certains de ces programmes aient assez vite été suspendus en raison de la crise économique. Dans la plupart des pays concernés, des institutions étatiques pour la traduction existent. Il faut mentionner aussi le Bureau arabe de l’éducation pour les pays du Golfe, la seule institution présente dans tous les pays de la région, et qui — toujours selon Hajji — « mène une politique de traduction plus ou moins centralisée pour tous ces pays » dans le domaine de la pédagogie et de l’éducation (p. 5). De façon générale, les domaines les plus concernés par la traduction dans les pays du Golfe sont les sciences et la technologie.

L’Arabie saoudite Dans leur étude TEM, Hasnaa Dessa et Mohamed-Sghir Janjar constatent qu’un mouvement de traduction semble s’amorcer en Arabie Saoudite,16 tendance confirmée par Ali Hajji, qui fait état d’une production accrue depuis les années 1990 (p. 6-7). Selon Hajji, de tous les pays du Golfe, l’Arabie Saoudite est celui qui dispose du plus grand nombre de maisons d’éditions publiant des traductions — même si le plus gros de la production provient de quatre maisons seulement, dont la plus importante est Al-Obeikan à Ryad. Plusieurs institutions saoudiennes soutiennent la traduction par des moyens financiers. Dessa et Janjar mentionnent l’Institut de l’Administration publique, la Bibliothèque publique du Roi AbdulAziz, la Darat du Roi Abdul-Aziz, la Bibliothèque du Roi Fahd (qui fait fonction de bibliothèque nationale), ainsi que l’Université islamique Mohamed Ibn Saoud. Ali Hajji mentionne encore le Centre 15

Ali Hajji, ‘Traduire des langues des pays de l’UE ainsi que du turc vers l'arabe dans les pays du Golfe’, voir la bibliographie. 16 Dessa et Janjar, p. 8.

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de traduction de l’Université du Roi Saoud, éditeur sans but lucratif dont le but est « d’offrir l’opportunité aux professeurs d’université de traduire des ouvrages récents » (p. 12) tout en leur offrant une « récompense » pour les encourager (entre 3000 et 10.000€, selon le nombre de pages et la qualité de la traduction). Un grand prix de traduction est décerné par la bibliothèque du Roi Abdul-Aziz, c’est le Prix international du Serviteur des Deux lieux Saints (ou du Roi Abdallah), créé en 2006 et dont la récompense est de 500.000 riyals (95.000€) par prix (cinq catégories, dont deux pour les traductions vers l’arabe, deux pour les traductions depuis l’arabe, et une pour les institutions). Du seul questionnaire rempli par un traducteur/chercheur saoudien, ressortent les éléments suivants : • En général, c’est l’éditeur qui impose les clauses du contrat de traduction. Le traducteur reçoit 100 exemplaires gratuits (ce qui indique déjà qu’il doit s’agir d’un spécialiste universitaire). • La rémunération se fait en fonction du nombre de pages de la traduction, 100 riyal (19 €) par page. Cette rémunération forfaitaire est payé en trois étapes : 10% à la signature, 20 % à l’acceptation, 70% à la parution. • Pas de droits d’auteurs, de petits droits ni de bourses. • Pas de sécurité sociale, de retraite, de TVA ou d’impôt sur le revenu. • Le nom du traducteur est mentionné sur la couverture du livre, « à peine visible à l’oeil nu ». • Les traductions ne sont pas censurées, il n’y a pas d’autocensure non plus. • Les droits moraux du traducteur ne sont « pas du tout » respectés. • Un comité d’évaluation procède à la révision de la traduction. (N.B. Cela ne vaut peut-être pas pour toutes les maisons d’éditions, mais c’est la pratique courante du Centre de traduction de l’Université du Roi Saoud.) • Il existe des facultés de traduction qui assurent la formation à la traduction éditoriale, comme la faculté des langues et de traduction à l’université Roi Saoud • Le traducteur/chercheur interrogé ne dit pas disposer des outils de travail nécessaires. Il exprime le souhait que le métier du traducteur soit mieux valorisé. Mais il constate aussi que le Prix international du Roi Abdallah augure un avenir prospère pour la traduction et le métier de traducteur.

Le Koweït Ali Hajji décrit en détail la situation éditoriale au Koweït, où il a rencontré des responsables de différentes organisations qui s’occupent de la traduction éditoriale. Il s’agit des institutions suivantes :  Le Conseil National de la Culture, des Arts et des Lettres, créé 1973, dont le but est de diffuser la pensée du monde occidental par le biais de la traduction (premier tirage de 40.000 exemplaires qui sont envoyés partout dans monde arabe), et de stimuler la culture locale. Le directeur des publications et de la distribution, M. Mansour Al Aneizi, décrit ainsi les « droits » du traducteur : « Le traducteur est une sorte de petit auteur, c'est-à-dire que son nom paraît à coté de celui de l’auteur en tant que traducteur. Il a le droit de censure. Si le livre traduit est réédité, il est prioritaire pour traduire plus de livres que les autres traducteurs. Le traducteur dispose d’un délai de 6 mois à 1 an pour traduire son livre. Après remise de la traduction, celle-ci doit être présentée devant un comité de révision pour être lue et corrigée avant l’impression du livre. […] Concernant le paiement du traducteur, si le livre fait 350 pages nous lui payons 1500 dinars (4000 euros) et si c’est une revue, nous lui

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payons par mot, 20 fils (5 cents d’euro) par mot. » Comme difficulté, il mentionne entre autres le manque de traducteurs.17 La Fondation koweïtienne pour l’avancée scientifique, créée en 1976. Elle organise des foires de livres, donne des bourses pour l’écriture, la traduction et la publication d’ouvrages scientifiques en langue arabe, et décerne aussi des prix : le Prix du Koweït (peut être remis pour une traduction) et le Prix du salon du livre du Koweït, doté de 13.000 € (six catégories, dont deux pour les traductions : meilleur ouvrage scientifique traduit vers la langue arabe, meilleur ouvrage d’arts, de littérature et de sciences humaines traduit vers l’arabe). Le Centre al-Babtain pour la traduction, créé en 2004, fournit aux maisons d’éditions un soutien financier pour la traduction et la publication d’ouvrages étrangers traduits vers l’arabe. La révision se fait par la maison d’éditions, mais le Centre veille sur la qualité. Les traducteurs sont choisis pour leur réputation, les jeunes traducteurs doivent traduire un petit manuscrit pour montrer ce dont ils sont capables. Tous les traducteurs actuels se trouvent hors du Koweït. Le Centre ne s’occupe ni de la formation, ni de la rémunération des traducteurs. Il réfléchit également à la création d’un Prix de traduction du Centre alBabtain qui devrait faire partie des prix de la Fondation koweïtienne pour l’avancée scientifique. Le Centre de Recherches et d'Etudes koweïtien finance les traductions d’ouvrages (vers l’arabe et depuis l’arabe) relatifs ou Koweït.

Par rapport à la censure, Ali Hajji fait encore remarquer que plusieurs personnes interviewées font le lien entre achat des droits d’auteur et droit de censure, « comme si l’obtention des droits octroyait à l’institution responsable de la traduction de modifier ou de supprimer, à loisir, des passages jugés ‘incompatibles’ avec la culture, la religion ou encore la politique » (p. 48). Aucun questionnaire rempli ne nous est parvenu du Koweït.

Les Émirats arabes unis Deux grands programmes de traduction ont récemment été mis en place aux Émirats arabes unis : le programme « Kalima » du Conseil d’Abou Dhabi pour la Culture et le Patrimoine (officiellement lancé lors de la Foire de Francfort en 2007) et le programme « Tarjem » de la Fondation Mohamed Ben Rached Al-Maktoum (lancé en février 2008, mais actuellement suspendu). Ali Hajji décrit en détail le fonctionnement de ces deux programmes, dont le premier a pour but de publier 500 titres internationaux à un rythme de 100 traductions par an, tandis que le deuxième se propose de publier plus de 1000 traductions en trois ans, c’est-à-dire une par jour (dans le domaine de l’économie surtout).18 La rémunération des traducteurs (qui proviennent de tous les pays arabes) est plus élevée qu’ailleurs : de l’ordre de 15-20 dollars les 300 mots selon l’estimation d’Emmanuel Varlet (p. 34-35), qui constate aussi que ce tarif a fait remonter les tarifs du « marché » de sorte à remettre en cause les capacités des éditeurs privés (en Jordanie, par exemple). Il faut d’ailleurs remarquer que les traducteurs ne sont même pas mentionnés sur le site Internet de Kalima (http://www.kalima.ae/), ce qui confirme notre impression que la traduction, littéraire ou non, est avant tout considérée comme une prestation de service.

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Hajji, p. 15-16. Voir le site Internet de la Fondation Ben Rached Al-Maktoum, communiqué de presse du 13 février 2008 (http://www.mbrfoundation.ae/English/Pages/13Feb08.aspx) 18

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Le programma Kalima comporte aussi un volet de formation, le programme Tarjem est doublé d’un programme de formation « Tarjaman » (également suspendu pour l’instant) visant à « élever la qualité de la traduction dans le monde arabe, en fournissant aux traducteurs la possibilité de se former ou d'obtenir une qualification supérieure, afin de produire des oeuvres quantitatives et qualitatives correspondant aux attentes les plus élevées » (cité par Hajji, p. 33). N’oublions pas, toutefois, qu’il s’agit avant tout de traductions dans le domaine de la gestion et de l’économie. L’importance accordée aux outils CAT (« Computer Aided Translation ») est significatif. Depuis 2007, le Conseil d’Abu Dhabi pour la Culture et le Patrimoine décerne également le Prix du Cheikh Zayed pour le livre, en neuf catégories dont une pour la meilleure traduction vers l’arabe. Deux prix existent aussi à Charjah : le Prix de Sharjah-UNESCO pour la culture arabe, qui peut récompenser des traducteurs, et le Prix du salon international du livre de Sharjah dont l’une des catégories est celle du meilleur livre émirati traduit (vers l’arabe ou vers d’autres langues).

Oman C’est encore Ali Hajji qui nous apprend que, dans le sultanat d’Oman, l’État ne s'investit pas encore vraiment dans le domaine de la traduction qui reste surtout l’affaire de quelques groupes universitaires dont le plus important est le Club de la traduction né en 2002 dans le département d’anglais de l’Université Qaboos. Il y aussi « le groupe de la traduction » de l’université des Sciences Appliquées, « le groupe de langue anglaise et de traduction » de l'université Sohar, « le groupe de traduction » de l'université Nizwa. En 2009, a été fondé un Centre de traduction du Cercle culturel omani, mais ses activités ont cessé en 2009. Dans le domaine de la formation, plusieurs licences de traduction (arabe-anglais surtout) ont été mis en place dans différentes universités ; un master en traduction a été créé en 2006 à l’université Qaboos. Plusieurs prix de traduction existent depuis peu. L’université Qaboos a créé un prix de traduction littéraire en 2005, le forum littéraire d’Oman a fait pareil, le Centre de traduction du Cercle culturel omani décernait également un prix. A part cela, plusieurs prix non officiels existent dans le milieu estudiantin. Concernant la profession de traducteur, Hajji fait encore remarquer ceci : « Jusqu'en 2003, aucun texte de loi ne régissait la profession de traducteur. Tout citoyen omani avait la possibilité d'obtenir une licence pour effectuer des travaux de traduction. L'arrêté 18/2003 du sultanat a ordonné la mise en place d'un texte de loi régissant les sociétés de traduction légale selon des critères qualitatifs et en vue de ‘préserver’ la profession de traducteur. Aucune distinction n'est faite entre la traduction légale et la traduction littéraire. » (p. 40)

Le Qatar Au Qatar, le Conseil National pour la Culture, les Arts et le Patrimoine a récemment (en 2005) ouvert un Centre de traduction où sont traduits des ouvrages à partir d’une dizaine de langues. Le Conseil décerne aussi deux prix, le Prix d’encouragement et le Prix d’appréciation, dont la catégorie « Arts et littérature » inclut aussi les traductions. Une initiative qui mérite être mentionnée est celle du partenariat entre Bloomsbury Publishing (GB) et la Fondation du Qatar, d’où est née la Bloomsbury Qatar Foundation Publishing. Première maison d’éditions au Qatar, elle a pour mission principale la traduction d’ouvrages anglais

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vers l’arabe et vice versa, mais elle oeuvre aussi pour renforcer le secteur du livre au Qatar.19

Le Bahreïn et le Yémen La situation au Bahreïn se résume en une phrase du traducteur Faruq Amin, citée par Ali Hajji (p. 45): « Nous avons au Bahreïn de bons traducteurs mais ils ont besoin de soutiens officiels. » Pas d’institutions qui s’occupent de la traduction, pas de prix de traduction. La traduction éditoriale au Yémen est presque inexistante. Ai Hajji mentionne quatre institutions (le Comité général du livre, le ministère de la Culture, la bibliothèque nationale et le Centre d'études anglaises et de traduction de l’universtié d’Aden), mais il n’a pu obtenir aucune information. Aux dires de l’archiviste de la bibliothèque nationale de Sanaa, la bibliothèque abriterait 30 ou 40 traductions (dont 12 seulement faites par des traducteurs yéménites), sur une collection totale de quelque 600 titres il est vrai. Comme ailleurs dans la région, il ne semble pas y avoir de distinction entre traduction littéraire et traduction technique. On peut obtenir un « permis de traduire » en déposant sa demande au ministère de la Culture.20

19 20

Cf. Hajji, p. 41-44. Cf. Hajji, p. 45-47.

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5. Le Maghreb Le Maghreb connaît un mouvement de traduction très restreint. A titre de comparaison, Sarra Ghorbal, dans le projet d’étude sur la traduction au Maghreb qui constitue notre principale source d’informations,21 met en regard le nombre de traductions en France en 2007 (8549 ouvrages dont 3441 romans) et la production totale du Maghreb dans le même domaine sur vingt ans : 357 traductions en tout (Ghorbal, p. 36). Aussi n’est-il pas étonnant que presque tous les traducteurs littéraires sont des enseignants, des chercheurs, des écrivains ou des retraités : on ne peut pas vivre de ses traductions. Il existe un prix de traduction récent dont profiteront surtout les traducteurs du Maghreb, qui est le Prix Ibn Khaldoun-Senghor, créé en 2008 par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) à Paris et l’Organisation arabe pour l’éducation, la culture et les sciences (ALECSO) à Tunis. Ce prix annuel, doté de 7000 euros, récompense en alternance une traduction du français vers l’arabe et une traduction de l’arabe vers le français.22

L’Algérie En Algérie, Hasnaa Dessa et Mohamed-Sghir Janjar constatent « un bond quantitatif impressionnant en termes d’ouvrages traduits en arabe » auquel aurait surtout contribué la célébration de l’année « Alger : capitale de la culture arabe » (2007), l’autre cause étant l’envol de l’arabisation dans le milieu universitaire (p. 8). Au niveau des institutions, à part l’Institut d’Interprétariat et de Traduction de l’Université d’Alger (créé en 1985 comme prolongement de trois formations existantes),23 qui ne s’occupe pas de traduction littéraire, c’est surtout l’Institut supérieur arabe de traduction (ISAT, fondé en 2004 et dépendant de la Ligue arabe) qui mérite être mentionné. Cet Institut, qui publie des traductions depuis et vers l’arabe, s’occupe aussi de la formation (master en traduction et interprétation) et de la formation continue, ainsi que de la constitution d’un « fonds bibliothécaire pour le traducteur arabe ».24 Il existe aussi un Laboratoire de recherche langues et traduction à l’Université de Constantine, consacré à la recherche et à la formation dans le domaine de la traduction scientifique et littéraire.25 Dans son corpus de belles-lettres (période 1981-2008), Ghorbal recense plus de 45 traducteurs algériens dont elle souligne que, comme dans tous les pays du Maghreb, il s’agit surtout de traducteurs occasionnels. Elle fait état d’une rémunération actuelle de 15€/feuillet selon le Centre national du livre français (p. 32). Lazhari Labter, dans son étude sur la traduction en Algérie, constate que les traducteurs y 21

Sarra Ghorbal, ‘Projet d’étude sur la traduction d’œuvres littéraires (poésie, roman, théâtre) des langues européennes et du turc vers l’arabe en Algérie, au Maroc et en Tunisie’, voir la bibliographie. 22 Voir le site Internet de l’OIF, http://www.francophonie.org/Prix-de-la-traduction-Ibn-Khaldoun,28933.html. 23 Sarra Ghorbal (p. 10, note 4) emprunte ses information à un article d’Aïcha Aïssani qu’on peut également trouver sur Internet (http://www.scribd.com/doc/5174306/La-traduction-en-Algerie), et qui décrit la naissance de cet institution. Lazhari Labter, dans son étude sur la traduction en Algérie, mentionne encore l’existence d’un laboratoire de traduction et de terminologie de l’Université II d’Alger, créé en 2000 et dirigé par le professeur Abdelkader Bouzida. 24 Ghorbal, p. 16. 25 Jusque récemment, le site de ce Laboratoire se trouvait à l’adresse http://www.langtradlab.com/, mais il semble avoir été suspendu.

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sont « issus en général des départements de littérature ou d’interprétariat de l’Université d’Alger. Ils s’adonnent à la traduction sur commande de maisons d’éditions ou d’institutions, en dehors de leur métier qui est souvent professeur d’université. Leur rémunération varie entre 800 et 1200 DA la page en fonction de la difficulté des ouvrages à traduire (littérature, histoire, sciences humaines et sociales) » (p. 7). Aucun traducteur ou chercheur algérien n’a répondu à notre questionnaire.

Le Maroc Hasnaa Dessa et Mohamed-Sghir Janjar appellent le Maroc l’un des foyers émergents de la traduction dans le monde arabe, l’autre étant les pays du Golfe (Arabie saoudite et Émirats arabes unis). Pour ces auteurs, la progression du Maroc vient comme une surprise parce que l’État marocain n’a jamais mené de politique de traduction comme l’Etat syrien ou égyptien, et parce que la diffusion des livres publiés au Maroc (par des éditeurs privés surtout) ne dépasse quasiment pas les frontières du pays (p. 7-8). Ils constatent encore que des aides à la traduction, « très limitées et nonsystématiques », proviennent du Ministère de la culture, des Fondations et de l’étranger (p. 24). Sarra Ghorbal, dans son projet d’étude sur la traduction d’oeuvres littéraires au Maghreb, décrit en détail la situation linguistique du Maroc et les rares institutions dans le domaine. Elle a compté plus de 30 traducteurs marocains dans son corpus (période 1981-2008), pour la plupart des traducteurs occasionnels n’ayant traduit qu’un seul titre (p. 31). Aucun organisme pour la traduction éditoriale n’existe au Maroc, mais le pays connaît quand même une institution incontournable dans le domaine du livre, qui est la Fondation du roi Abd alAziz Al Saoud à Casablanca. La Fondation participe activement aux travaux de « Traduire en Méditerranée » sous forme de l’excellente étude déjà citée de Hasnaa Dessa et Mohamed-Sghir Janjar, qui décrivent aussi le fonctionnement de la Fondation (p. 3-4). Deux prix de traduction existent : le Prix du Maroc de la traduction (l’une des catégories du Prix du Maroc du Livre) doté de 120.000 dirhams depuis 2008,26 et le Prix Grand Atlas pour la traduction (40.000 DH = 3650€), remis par l’ambassade de France, qui depuis 2004 récompense aussi des traductions en arabe d’œuvres francophones.27 Notre questionnaire a été rempli par trois traducteurs et/ou chercheurs marocains. Comme leurs réponses divergent sur certains points importants (à cause leur position différente, sans doute), nous préférons les mettre en regard. Les remarques faites par ces traducteurs à la fin du questionnaire sont très pertinentes.

26 27

Source : http://www.leconomiste.com/article/breves-1271. Voir le site de l’ambassade de France, http://www.ambafrance-ma.org/new3/spip.php?article9746.

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Position :

traducteur/chercheur

chercheur

traducteur

1. Généralités

Les rémunérations varient selon les situations et les rapports de force. Si le traducteur (chercheur universitaire) est demandeur, alors il doit chercher le financement pour la publication de la traduction. Sinon c’est à l’éditeur, si il est intéressé, de dicter les règles. Par contre si le demandeur est une institution ou un éditeur, les tarifs sont bien précisés. Les chercheurs universitaires représentent généralement la majorité des traducteurs littéraires et ils sont souvent intéressé juste par la publication de la traduction. la rémunération est plafonnée à hauteur de 250 dirhams par page de 250 mots. D’habitude, le traducteur signe un contrat.

Le traducteur signe D’habitude, rarement un contrat, traducteur signe les accords se font contrat. oralement le plus souvent.

le un

2. Modalités Négocié individuellement. Négocié du contrat 50 ex gratuits individuellement. jusqu’à 30 ex gratuits

Négocié individuellement. 50 ex gratuits

3. Rémunération

La rémunération est basée sur le texte original (nombre de mots, ou page de 2000 signes espaces inclus). Tarifs constatés : min. 50 dirhams/mot, moyen 130 dirhams/mot, max.

La rémunération est basée sur le texte original (page de 250 mots). Le paiement est forfaitaire, 100% payé à l’acceptation.

La rémunération est basée sur le texte original (page de 250 mots). Tarifs constatés : min. 100 dirhams/mot, moyen 150 dirhams/mot, max. 300 dirhams/mot. Le

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paiement est forfaitaire, 200 dirhams/mot. Le payé 30% à la signature, paiement est forfaitaire, 70% à la parution. payé 100% à la parution. 4. Droits Pas de pourcentages ni de Pas de pourcentages ni Pas de pourcentages ni d’auteur petits droits. de petits droits. de petits droits. 5. Aides, prix

Il y a des aides qui viennent de l’étranger, le traducteur en reçoit une partie. Prix du ministère de la Culture (= Prix du Maroc pour la traduction).

6. Sécurité sociale, taxes 7. Estimation du revenu annuel 8. Contexte Le nom du traducteur apparaît sur la couverture et à la page du copyright, et également dans le catalogue de l’éditeur. Pas de censure, ni d’autocensure. Généralement, les droits moraux du traducteur ne sont pas respectés. L’éditeur fait la révision du texte traduit de façon satisfaisante. Pas d’institutions pour la traduction, ni de formations. Le traducteur

Quelques organisations internationales donnent des subventions, c’est l’éditeur qui les demande. Le traducteur en reçoit une partie. Prix du Maroc : théoriquement, il s’agit d’un prix qui récompense les traductions depuis et vers l’arabe, mais en réalité il se limite au français et à l’arabe.

Pas de bourses ou de subventions. Le traducteur ne reçoit que la somme forfaitaire stipulée dans le contrat. Prix du Maroc pour la Traduction.

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Le nom du traducteur apparaît sur la couverture et à la page du titre, dans le catalogue et sur le site de l’éditeur et dans les annonces publicitaires. La situation religieuse et politique force parfois le traducteur à pratiquer une autocensure. Les droits moraux du traducteur ne sont pas toujours respectés. L’éditeur ne révise pas toujours le

Le nom du traducteur apparaît sur la couverture et à la page du copyright, dans les comptes-rendus et dans le catalogue de l’éditeur. Pas de censure, ni d’autocensure. Le texte traduit est parfois révisé. Pas d’institutions pour la traduction, ni de formations.

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dispose des nécessaires.

outils texte traduit. Pas d’institutions pour la traduction, ni de formations. Il existe un charte du travail mais elle n’est pas respectée. Le traducteur dispose des outils nécessaires.

9. Conditions La traduction littéraire de travail, pour l’instant n’est pas une besoins activité avec une visibilité bien précise. Les traducteurs non demandeurs font leur travail par amour ou par intérêt scientifique. Les traductions commandées sont très rares. En plus le subventions pour la complique de la tache.

manque de au moins publication plus en plus

La création d’une instance nationale est une nécessité, de même la reconnaissance du métier de traducteur littéraire.

Je parle de mon expérience de traducteur chercheur et non en tant que traducteur libre (de toute autre occupation). Grâce à internet et à tous les outils qu’il offre, nous avons des outils de travail très importants. Cependant, l’important est la formation personnelle, la pratique et la capacité à produire un texte littéraire unique. A mon avis, le traducteur littéraire est d’abord un auteur créateur et les dictionnaires et les logiciels de traduction ne sont que des instruments d’aide. J’espère que la traduction aura la place qu’elle mérite dans notre culture arabe, que le traducteur sera considéré en tant qu’auteur créatif et que la traduction ne sera pas le métier de ceux qui n’en ont pas —

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Les conditions de travail du traducteur au Maroc sont obscures, surtout lorsqu’il s’agit des traducteurs littéraires. Mes souhaits : - développer le Prix du Maroc pour la traduction ; - créer un centre national de la traduction ; - créer une charte nationale de la traduction, qui précise les droits du traducteur et de l’auteur et l’exploitation de la traduction par les éditeurs et les organisations ; - créer une association nationale des traducteurs littéraires qui défende leurs droits, édite des bulletins et des revues spécialisées sur la traduction.

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ceux qui ont l’impression de pouvoir travailler entre deux langues. La traduction n’est pas le bilinguisme et le bilingue n’est pas nécessairement un bon traducteur. La confusion entre bilinguisme et traduction est à l’origine de traductions pauvres vers la langue arabe et de l’appréhension et de la méfiance du lecteur lorsqu’il voit la mot “traduction” sur la couverture d’un livre.

La Tunisie En Tunisie, Sarra Ghorbal recense 80 traducteurs dans son corpus de belles-lettres (période 1981-2008). Avec Dessa et Janjar, il faut toutefois noter que beaucoup de traducteurs tunisiens préfèrent publier leurs traductions au Moyen-Orient pour la meilleure diffusion et la rémunération plus élevée (p. 8). Deux institutions existent dans le domaine de la traduction éditoriale : l’Académie tunisienne des sciences, des lettres et des arts « Beït al‐Hikma » (créée en 1983), qui a financé une dizaine de traductions, et le Centre national de traduction (Cenatra) créé en 2006. Le Centre fait traduire (dans le domaine des belles-lettres surtout) des ouvrages tunisiens en langues étrangères et des ouvrages internationaux en arabe. Il prépare le projet d’une École de Traduction de Tunis. En 2008, année nationale de la traduction, le Cenatra a créé le Prix national de traduction, visant « à promouvoir la traduction dans tous les domaines et dans toutes les langues ».28 D’après la liste des prix qui se trouva sur le site du Cenatra, le tarif pour les traductions vers l’arabe de « documents spécialisés (textes de civilisation, ou textes de nature intellectuelle ou littéraire » est de 18 dt (9-10€).29 Dans son étude sur la traduction vers l’arabe en Tunisie, Jalel El Gharbi constate que « le traducteur littéraire est le plus souvent enseignant et il est rétribué sur la base de 18 dt le feuillet (soit 9 euros) pour une traduction d’une langue européenne vers l’arabe. Cette rétribution peut sembler dérisoire si on la compare aux tarifs pratiqués en Europe ou dans les pays du Golfe ou 28

Source : http://www.cenatra.nat.tn/fr/index.php?p=prix_ordre. Pour plus de détails sur cet organisme, voir l’étude TEM de Jalel El Gharbi sur la traduction vers l’arabe en Tunisie, p. 9-10. 29 Source : http://www.cenatra.nat.tn/pdf/listefr.pdf.

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même au Maroc où le feuillet peut être rétribué jusqu’à 22 euros » (p. 12-13). Un seul questionnaire nous est revenu, rempli par un chercheur/traducteur de l’italien. En voici les éléments les plus importants :  D’habitude, le traducteur conclut un contrat, négocié individuellement. Il reçoit entre 3 et 10 exemplaires gratuits.  La rémunération se fait à partir du nombre de pages du texte original. Tarif minimum constaté 10 DT (1 DT = 7$), tarif moyen 15-20DT, tarif maximum 25DT. Il s’agit d’un paiement forfaitaire dont 50% sont payés à la signature, 50% à la parution.  Pas de pourcentages ni de petits droits.  Il y a des bourses venant de l’étranger (l’Italie, pour ce traducteur), le traducteur en recouvre les deux tiers.  Pas de pas de sécurité sociale.  Le nom du traducteur apparaît sur la couverture, dans les comptes-rendus et dans le catalogue, le site et les annonces publicitaires de l’éditeur.  Les traductions sont censurées, l’autocensure se fait aussi.  Les droits moraux du traducteur sont respectés.  Le texte traduit est révisé par l’éditeur, le résultat est positif.  Il y a un enseignement de traduction littéraire en maîtrise et un master professionnel de traduction (Faculté de lettres de La Manouba).  Le traducteur dispose de peu d’outils, il manque de bons dictionnaires (italien-arabe).  Remarque : « La traduction d’oeuvres littéraires dépend de l’initiative de l’éditeur. Il n’y a pas de règles préalables, ni de garantie de paiement ou de publication. »

La Libye Aucune information ne nous est parvenue sur la Libye, exception faite d’un court passage dans l’étude de Chiara Diana sur la traduction de l’italien vers l’arabe.30 Citant l’attaché culturel de l’Institut Italien de Culture à Tripoli, elle constate qu’il n’existe pas de véritable capacité de traduction et que les départements de langues étrangères dans les universités libyennes ont été supprimés (p. 26). Sara Ghorbal, de sa part, ne dit rien sur la Libye, « faute de contacts et d’informations fiables » (p. 2).

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Chiara Diana, ‘Traduire de l'italien vers l'arabe’, voir la bibliographie.

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Conclusions et perspectives La présente étude se veut un modeste premier pas vers une cartographie des facteurs qui déterminent le statut du traducteur littéraire (au sens large) dans les pays de la région euroméditerranéenne : les contrats, la rémunération, la formation, les institutions et les prix de traduction, la visibilité, la censure. Aucune exhaustivité n’est possible sans la coopération des personnes concernées, c’est pourquoi nous espérons avant tout que ce travail de défrichage, qui certainement n’est pas libre d’inexactitudes ni de lacunes, sera corrigé, complété et même réfuté par les traducteurs et les chercheurs des pays étudiés, notamment les pays arabes et Israël, car la situation en Europe et en Turquie est déjà un peu mieux connue grâce aux travaux du CEATL et de Çevbir notamment.

1.

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Une image commence toutefois à se dessiner. Résumons : Au niveau de la professionnalisation, on peut constater que très peu de traducteurs littéraires dans les pays arabes vivent de leurs traductions. Très peu d’associations professionnelles existent. Comme en certains pays d’Europe, cette absence de professionnalisation s’explique surtout par deux facteurs : un nombre de traductions assez modeste (en Égypte, au Liban et en Syrie), voire très restreint (au Maghreb, en Jordanie), et une rémunération insuffisante. Beaucoup de traducteurs en sciences humaines et sociales sont des chercheurs ou des professeurs d’université qui considèrent la traduction comme un prolongement de leur travail principal, ce qui fait que la rémunération et les modalités du contrat les intéressent peut-être un peu moins. Généralement, les contrats sont basés sur une conception de la traduction littéraire comme une prestation de service, et non comme un acte créateur dépendant du droit d’auteur. Il faut d’ailleurs remarquer que la plupart des personnes ayant répondu à notre questionnaire, n’ont pas donné de détails sur les questions d’argent – soit par discrétion, soit parce que ces détails ne comptent pas vraiment pour eux. Grande surprise : au niveau de la visibilité, nous avons pu noter dans presque tous les pays arabes que le nom du traducteur apparaît sur la couverture du livre, ce qui est encore une exception en Europe ; il faut cependant constater que cette visibilité se double d’une impression générale de mépris envers le métier de traducteur. Une véritable critique de la traduction – qui ne verrait plus la traduction comme un simple instrument, mais comme un acte culturel digne d’attention – ne semble pas encore exister. L’autre grande surprise concerne les institutions et les prix de traduction : dans presque tous les pays arabes, il y a au moins une institution publique qui s’occupe de la traduction et au moins un prix, et cela depuis très récemment. Là encore, la reconnaissance officielle contraste avec l’impression qu’ont les traducteurs de ne pas être pris au sérieux dans leur travail. Il est d’ailleurs loin d’être clair si ces nouvelles institutions et nouveaux programmes survivront à la crise économique et aux révolutions arabes. Il existe très peu de formations spécifiquement consacrées à la traduction éditoriale. Dans ce domaine encore, la distinction entre traduction technique et traduction littéraire n’est simplement pas faite. Cependant, certaines universités proposent des cours spécialisés. Aux dires des traducteurs interrogés, la censure est rare, mais elle existe en théorie. C’est pourquoi une certaine pratique d’autocensure est courante dans toute la région.

Si l’image qui se dresse ainsi ne donne pas lieu à un optimisme démesuré, force est de constater que les choses ont déjà beaucoup progressé les dernières décennies. La création, dans presque tous les pays concernés, d’institutions et de prix littéraires spécifiques est un signe fort qui en dit beaucoup

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sur l’importance prise par la traduction éditoriale dans les pays arabes en cette période de globalisation explosive. On ne peut qu’espérer que cette tendance se consolidera dans les décennies à venir, et qu’elle arrivera à s’infiltrer dans les rouages mêmes du marché.

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Bibliographie des études consultées

Toutes les études citées ont été menées dans le cadre de l’état des lieux de la traduction dans la région euro-méditerranéenne (Fondation Anna Lindh et Transeuropéennes, 2010), sauf mention contraire. Les études TEM sont publiées sur le site Internet de Transeuropéennes, http://www.transeuropeennes.eu.  Hasnaa Dessa et Mohamed-Sghir Janjar, ‘État de la traduction arabe des ouvrages de sciences humaines et sociales (2000-2009)’, Transeuropéennes et Fondation du Roi Abdul Aziz, Casablanca, TEM, 2010.  Chiara Diana, ‘Traduire de l’italien vers l’arabe’, Transeuropéennes et Università di Napoli L’Orientale, TEM, 2010.  Jalel El Gharbi, ‘La traduction vers l’arabe en Tunisie : état des lieux’, TEM, 2011.  Fondation Next Page, ‘Translations from East European Languages into Arabic (1989-2010), TEM, 2010.  Holger Fock, Martin de Haan et Alena Lhotová, Revenus comparés des traducteurs littéraires en Europe, CEATL, Bruxelles 2008, http://www.ceatl.eu/wpcontent/uploads/2010/09/surveyfr.pdf.  Sarra Ghorbal, ‘Projet d’étude sur la traduction d’oeuvres littéraires (poésie, roman, théâtre) des langues européennes et du turc vers l’arabe en Algérie, au Maroc et en Tunisie’, TEM, 2010.  Ali Hajji, ‘Traduire des langues des pays de l’UE ainsi que du turc vers l'arabe dans les pays du Golfe’, TEM, 2010.  Sameh F. Hanna, ‘Flows of English-Arabic translation in Egypt in the areas of literature, literary/cultural and theatre studies: two case studies of the genesis and development of the translation market in modern Egypt’, TEM, 2011.  Lazhari Labter, ‘La traduction d’ouvrages de littérature et de sciences humaines et sociales en Algérie’, TEM, 2011.  Yael Lerer, ‘Tendances principales dans la traduction vers l’hébreu au cours des 25 dernières années: un premier état des lieux’, TEM, 2010.  Mona Naggar, ‘Traduction de l’allemand vers l’arabe’. TEM, 2011.  Hakan Özkan, ‘Traduction littéraire de l’arabe vers le turc (1990-2010), TEM, 2010  Akin Terzi, ‘Questionnaire Study for the Assessment of the Working Conditions of Literary Translators in Turkey’, juin 2011, TEM (non publiée).  Emmanuel Varlet, ‘Les flux de traduction français-arabe en Egypte et au Machreq (19852010)’, TEM, 2010 (version préliminaire et version définitive).

Martin de Haan est traducteur littéraire et directeur du CEATL (Conseil européen des associations de traducteurs littéraires).

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