Sortir du pot au noir : Comment naviguer sur l'océan de la ...

23 juin 2017 - mondialisation du droit. .... la mondialisation des problèmes actuels. .... le contexte historique, économique, ou géographique : certains pays.
5MB taille 1 téléchargements 81 vues
Sortir du pot au noir : Comment naviguer sur l’océan de la mondialisation ?* Mireille Delmas-Marty†

transcrit par Tzung-Mou Wu‡.

D’abord, merci aux organisateurs de me donner cette occasion de rencontrer des jeunes taïwanais qui s’intéressent à des problèmes de droit, de droit international, et de mondialisation du droit. * Le discours a été prononcé dans le cadre du Café philo tenu à Taïpeh le 23 juin, 2017. Les réponses aux questions posées ont été écartées. † Collège de France. ‡ Institutum Iurisprudentiae, Academia Sinica. E-mail : tmwu[at]gate.sinica.edu.tw

1

Je voudrais tout de suite commencer en vous parlant de ce qu’on peut constater quand on regarde ce qui se passe dans le monde. C’est que l’écart entre le monde réel, le monde quotidien tel qu’on peut le vivre dans les différents pays, et le monde du droit, notamment du droit international, a augmenté. L’écart est devenu très grand, comme s’il y avait deux visions du monde. Il y a la vision des juristes, officielle et traditionnelle, qui considère que chaque système de droit est autonome, qu’il y a « un Etat, un système ». Ce droit identifié à l’Etat est hiérarchique, statique, il ne bouge pas, et unifié car il n’est pas pluraliste. C’est ce qu’on appelle, en théorie du droit, le modèle de Kelsen, juriste autrichien du début du siècle dernier. Dans ce monde des juristes, les systèmes de droit sont représentés par une image très forte et un peu effrayante, qui est l’image de la pyramide des normes. Les normes s’engendrent les unes les autres, de haut en bas, et l’ensemble ne bouge plus. C’est une image hiérarchique et statique du droit . Quant au monde réel, il a beaucoup bougé. Il s’est beaucoup transformé avec le phénomène qu’on appelle la globalisation. La globalisation touche à des quantités de domaine de la vie. C’est la globalisation des flux d’abord. Les flux d’information par Internet circulent extrêmement vite à l’échelle de la planète. Les flux financiers aussi : on peut transférer des sommes considérables d’argent avec un simple clic. Cela va extrêmement vite aussi. Et puis il y a les flux de population, avec le phénomène des migrations, qui a beaucoup augmenté, parce que la population du monde a elle-même beaucoup augmenté. Entre 1950 et 2010, on est passé de 3 milliard d’êtres humains à 7 milliard, et bientôt 8 milliard. Mais ce qui a changé aussi, peut-être davantage, et pose plus de problèmes encore pour les juristes, ce sont les risques. Les risques sont devenus planétaires. Pensez aux risques climatiques. Si la terre se réchauffe, c’est l’ensemble des pays qui seront déstabilisés, voire certains détruits. Donc les risques climatiques sont des risques universels et globaux. D’autres risques sont globaux aussi. On peut penser aux risques sanitaires, nucléaires, financiers, ou sociaux. Enfin il y a la globalisation des crimes, tels que la cybercriminalité, le terrorisme global ou la corruption globalisée. Donc les flux, les risques, et les

2

crimes eux-mêmes deviennent parfois globaux. Pourtant on fait comme si chaque Etat, chaque pays pouvait tout seul résoudre ses problèmes. Je crois qu’il est utile de raisonner sur deux exemples qui sont, d’une part, le changement du climat, et, d’autre part, les migrations. Le premier exemple, celui du changement climatique est, selon moi, le plus convaincant, appelant un changement profond des systèmes de droit. Parce qu’aucun pays, même une superpuissance, comme la Chine ou comme les Etats-Unis, ne peut à lui seul faire face ni résoudre la menace d’un changement climatique et d’un réchauffement de la terre. Autrement dit, face à un tel problème, l’indépendance de grands pays, comme ces superpuissances que j’ai citées, n’est qu’une illusion. En réalité, même les grands pays ne sont plus totalement indépendants, mais interdépendants. Ce nouveau constat de l’interdépendance devrait entraîner une autre vision des systèmes de droit. Vous savez sans doute que les anciens classiques chinois parlaient des trois âges de l’humanité : le Grand désordre, la Paix ascendante, et la Grande paix. Aujourd’hui on pourrait évoquer les trois âges de la gouvernance à l’échelle mondiale. C’est, d’abord, l’âge des impérialismes, lorsque de grandes puissances imposent leurs systèmes à d’autres pays. Puis l’âge des indépendances, c’est le système de Kelsen : un pays, un système de droit. Aujourd’hui apparaît l’âge des interdépendances. La formule devient alors « un système, et (environ) 200 pays ». D’où la question : « comment organiser la gouvernance du monde en respectant les différences entre 200 pays? » Cette question est très importante pour comprendre que le droit est obligé de s’adapter aux changements du monde. Pour commencer, il faut trouver d’autres métaphores que la pyramide. On ne peut plus représenter les systèmes juridiques par la seule pyramide. Il y a peut-être encore quelques petites pyramides dans certains domaines du droit. Mais, à l’échelle mondiale, la pyramide ne rend pas compte de la réalité. J’ai proposé une métaphore—un peu provocatrice pour les juristes, mais—qui permet de se représenter l’instabilité actuelle des systèmes de droit, aussi bien en droit international qu’en droit national. Cette mé3

taphore est celle du vent. Vous l’avez vue tout à l’heure, c’est la rose des vents. L’ordre du monde est orienté selon les vents dominants. Mais le problème est que ces vents soufflent souvent en sens contraire. Sur le dessin que j’ai proposé, d’une « rose des vents », il y a, par exemple, des vents dominants qui sont la compétition, mais aussi la coopération. Apparemment il y a contradiction. Organiser le monde selon un principe de compétition, peut devenir la loi de la jungle : le plus fort impose sa loi aux autres. En revanche si l’on organise le monde selon le vent de la coopération, la souveraineté nationale n’est plus solitaire, mais devient solidaire : tous les pays essayent de trouver des solutions ensemble.

Et puis il y a aussi le vent de la sécurité, qui s’oppose en apparence, au vent de la liberté. Comment faire pour concilier les deux? Beaucoup d’Etats, en matière de migration, disent qu’il faut se protéger contre ces étrangers, même s’ils sont des réfugiés, car ils vont perturber l’ordre national. Ce sont alors les vents de la sécurité et de l’exclusion qui soufflent, incitant à construire des murs. Vous savez bien que les Grandes murailles n’ont pas résisté longtemps aux courants migratoires. Alors, comment respecter les libertés, tout en assurant une certaine sécurité? On pourrait continuer avec d’autres exemples de vents contraires. Mais ce que j’ai voulu dire par cette métaphore des vents, c’est qu’il y a, à l’heure actuelle, le risque d’entrer dans une zone—dont M. Wu a parlé—qu’on peut appeler le « pot au noir », c’est-à-dire une zone où les vents contraires soufflent très fort, le vent de la sécurité très fort par rapport au vent de la liberté; le vent de la compétition très fort par rapport au vent de la coopération. La conséquence est double. Soit le bateau reste « encalminé », immobilisé. Cela veut dire que le pays reste paralysé, parce que les contradictions se neutralisent. Donc on ne sait plus dans quelle direction aller. Est-ce qu’il faut aller vers plus encore de compétition? Vers plus de sécurité? Ou faut-il aller vers plus de coopération, ou plus de liberté? On ne sait pas. Du coup, on ne fait rien. Je peux vous dire qu’en Europe, c’est un peu la situation 4

©Seuil, 2016.

5

dans laquelle nous nous trouvons face aux migrations. Il y a un mouvement migratoire très important vers l’Europe. Mais il y a aussi une peur de beaucoup de peuples européens face à l’idée d’un devoir d’hospitalité, d’un devoir d’accueil. Beaucoup ont peur et se referment. C’est la paralysie. On n’a pas de solution. L’autre risque, c’est que si les vents contraires sont violents et se combattent les uns les autres, on peut en arriver à un naufrage. L’Europe n’est pas à l’abri d’un naufrage. Vous savez que l’Angleterre a quitté, ou est en train de quitter l’Europe. Peut-être que d’autres pays vont suivre l’exemple. Or ce risque (ou de paralysie, ou de naufrage, ou de paralysie puis de naufrage) n’est pas limité à l’ Europe. Il existe un peu partout dans le monde. Il y a là un risque pour l’avenir de l’humanité, et même pour la survie de l’humanité extrêmement préoccupant. Alors que faire? Les juristes, à eux seuls, ne peuvent pas changer le monde. . Le rôle des responsables politiques est extrêmement important. Mais les politiques, à supposer qu’ils soient bien disposés, ont besoin d’instruments de travail, notamment de systèmes juridiques qui permettent de répondre à ces problèmes globaux comme les migrations ou le changement climatique. Les juristes peuvent apporter un instrument plus efficace que le seul instrument du droit national, qui n’est plus tout à fait adapté à la mondialisation des problèmes actuels. Comment le droit peut-il se transformer? Comment le droit peut-il évoluer de manière à être en prise sur le monde tel qu’il est, un monde des interdépendances où personne n’est indépendant en réalité? Vous connaissez la phrase célèbre de Confucius : « Entre les quatre mers, tous les hommes sont frères ». J’aurais envie de dire : « Entre les quatre vents du monde, tous les hommes sont embarqués sur le même bateau ». C’est à dire que le destin de tout le monde sera le même. Ou nous coulerons tous, ou nous nous sauverons tous. La survie de l’humanité est ce problème-là.

6

Du point de vue juridique, la voie que je propose consiste à respecter la pluralité des peuples et des différences, et, en même temps, à aller vers une destination commune, vers des objectifs communs et en ce sens vers un droit commun. Mais ce droit commun doit rester pluriel, pluraliste, différencié. Vous allez me dire : « Mais c’est contradictoire! » Si le droit est commun—c’est l’image de Tianxia—c’est un droit unifié à l’échelle du monde. C’est le rêve de l’universalisme total. Comme tout ce qui est total, il y a risque de totalitarisme : « un Etat, un système de droit ». On peut aussi tenter de penser à un système de droit, appliqué dans le contexte de quelques 200 Etats. C’est ce que les juristes n’ont pas encore appris à faire. C’est ce qu’il leur faudra apprendre à faire. Comment imaginer un ordre juridique mondial appliqué, mis en œuvre par environ 200 pays? D’abord, il me semble que, dans cette construction d’un ordre mondial, il ne faut pas compter seulement sur les Etats. C’est la société civile toute entière qui peut aider à construire cet ordre juridique mondial. La « société civile », cela veut dire chacun des citoyens, seul ou en groupe. Je pense au rôle des organisations non gouvernementales qui est de plus en plus important à l’échelle des problèmes mondiaux. Que ce soit en matière de droits de l’homme, de climat, de crises sociales et d’injustice sociale, la société civile joue un rôle très important. Ce droit mondial en gestation suppose une forte présence de la société civile. Les scientifiques aussi ont un rôle à jouer. Vous savez qu’en matière climatique, ce sont les climatologues qui ont alerté les Etats. Et quand la société civile bouge, les autres acteurs commencent à bouger aussi. Par exemple, face au changement climatique et à l’alerte lancé par les scientifiques, les grandes villes ont commencé à s’organiser de façon horizontale, cherchant des réponses intelligentes pour éviter que le réchauffement dépasse les limites raisonnables. Le rôle essentiel est donc joué par des acteurs non étatiques. C’est l’une des dimensions. L’autre dimension concerne les valeurs éthiques. Pour aller vers un droit commun qui respecte en même temps les différences, il faut organiser les valeurs autour de principes communs. Par exemple, face au conflit entre compétition et coopération, il y a un principe commun qui peut ré7

guler les contradictions et harmoniser les valeurs. C’est le principe de solidarité, d’une solidarité à l’échelle de la planète. La compétition? Très bien, mais à condition qu’elle respecte une certaine solidarité d’un pays à l’autre, d’une région à l’autre. La compétition doit être solidaire pour être compatible avec l’idée d’une coopération de l’ensemble des pays du monde pour réaliser des objectifs communs. Enfin, au point de vue des normes, il y a un travail plus technique qui est en train de se faire de la part des juristes. D’abord un travail de coordination des normes. Par exemple, hier, lors de ma visite à la Cour constitutionnelle de Taïwan, nous avons parlé de ce qu’on appelle maintenant le dialogue des juges. C’est à dire le fait que les juges des cours constitutionnelles du monde entier commencent à échanger des informations, et, quelquefois même, à utiliser des constatations faites, par une autre cour suprême, par exemple d’Afrique du sud, d’Europe, ou des États-Unis, pour chercher ensemble des solutions. Cet échange n’est ni obligatoire, ni hiérarchique. Il n’y a pas de hiérarchie entre la Cour suprême de Taïwan, celle que nous avons en France, ou celles qui existent en Afrique du sud ou aux Etats-Unis. Mais des échanges horizontaux permettent de rapprocher l’interprétation des normes, et d’élaborer de nouvelles normes plus proches les unes des autres. C’est le processus de coordination. Il y a un autre processus plus ambitieux, qui est l’harmonisation. Elle commence à se faire en droit international quand des pays introduisent la norme internationale dans leurs droits internes, donc quand le droit international entre dans les droits nationaux. Là, vous avez un exemple avec ce qui s’est passé autour de la COP 21 sur la gouvernance du climat. La réunion a eu lieu à Paris en 2015. Lors de cette réunion, un accord a été conclu par tous les Etats présents. Il y a eu unanimité des Etats. Or cet accord de Paris pose un principe, qui est très important, parce qu’il exprime une sorte de nouvelle méthodologie pour concevoir un droit commun, à la fois mondial et pluriel. C’est le principe des « responsabilités communes mais différenciées » posé dès 1992 à 8

Rio mais explicité en 2015 à Paris. Deux mots-clés : « Responsabilité commune » parce que, pour lutter contre le changement climatique, tout le monde—je dirais non pas seulement les Etats reconnus comme tels, mais tous les pays, tous les acteurs, y compris ceux qui n’ont pas le statut complet d’Etat—doivent participer et être d’accord sur les objectifs. Contre le changement climatique, il y a un objectif quantitatif (ne pas dépasser 2 ou 1,5 degrés de réchauffement), et des objectifs qualitatifs, comme de mettre en place des énergies alternatives pour mieux maîtriser le phénomène. La méthodologie qui a été imaginée, puis créée permet l’harmonisation des systèmes. Elle ne conduit pas à un droit unifié et uniforme, mais un droit harmonisé, qui reste différent d’un pays à l’autre. Imaginez, en matière de climat, qu’on ait un droit uniforme sur le modèle « un système pour environ 200 pays ». Comment rendre ce droit équitable? On sait que beaucoup de pays n’ont jamais connu le développement et ont été néanmoins pollués comme les autres. On ne peut pas leur imposer les restrictions aussi fortes que celles qu’on impose à des pays industrialisés, dont les pratiques sont anciennes. Donc il y a forcément une « contextualisation », c’est-à-dire une intégration du contexte national, qui peut être le contexte historique, économique, ou géographique : certains pays craignent plus le réchauffement que d’autres; les pays du nord ne craignent pas tellement le réchauffement, les pays du sud, davantage et les îles sont davantage menacées par le réchauffement. C’est donc une contextualisation du droit universel qui est ainsi proposée en droit international à propos du climat, mais qui pourrait être transposée à d’autres phénomènes, comme les migrations que j’ai évoquées. Vous avez ainsi, à travers ce droit mondial en gestation, une idée d’un nouveau modèle pour assouplir l’expression de Tianxia, un nouveau modèle qui combine un ordre juridique commun, mais réserve des différences entre les Etats. Par rapport à ce modèle, je pense que Taïwan peut jouer un rôle important. Parce que ce modèle est nouveau et demande de l’imagination pour faire des innovations juridiques et penser le droit autrement qu’avec la pyramide des normes hiérarchique, 9

Visite au Yuan judiciaire et à la Cour constitutionnelle.

statique, et unifiée. Le fait que Taïwan ait un statut un peu particulier sur le plan international peut paraître un défaut ou une faiblesse, mais on peut transformer cette faiblesse en force. Parce que Taïwan est disposé à faire progresser l’innovation en matière juridique. J’étais frappée à la Cour [constitutionnelle] de Taïwan hier, parce que j’ai appris que le droit taïwanais intègre spontanément, sans être obligé de le faire, des normes internationales, notamment en matières de droits de l’homme. Taïwan n’est pas obligé d’intégrer les normes internationales, parce que Taïwan n’a pas pu ratifier les textes internationaux. Ce n’est pas obligatoire. Il n’y a pas de contrainte en la matière. Mais, spontanément, Taïwan intègre ces règles internationales. Autrement dit, spontanément, Taïwan pratique l’harmonisation de son droit avec la norme internationale. C’est un comportement de pionnier, d’avant-garde en quelque sorte. D’ailleurs la récente décision sur le mariage entre homosexuels pourrait à son tour faire école pour d’autres cours. Ainsi le dialogue entre les autres juges d’autres cours suprêmes permettrait un rapprochement à l’échelle mondiale, à condition d’être réciproque.

10

Il y a une troisième voie de rapprochement dont nous avons parlé au début de cette semaine à l’institut de jurisprudence de l’Académie. C’est l’hybridation. C’est à dire une sorte de fusion des normes juridiques autour d’un droit commun. Ce droit commun est un droit hybride, s’il emprunte quelle que chose aux différents systèmes nationaux. Ce n’est pas un droit commun impérial imposé par une puissance à des puissances qui sont plus ou moins soumises. Ce n’est pas non plus une fusion dominatrice, ni une transplantation du système d’un pays puissant vers des pays moins puissants. Quand on dit « hybridation », on désigne une fusion avec réciprocité. On part de certaines différences nationales pour essayer de trouver une solution commune. Il y a un exemple que vous connaissez sans doute. Il est un peu ancien, mais très significatif de ce qu’on appelle l’hybridation. Dans la théorie constitutionnelle, les Européens sont attachés à la pensée de Montesquieu, qui sépare les trois pouvoirs : législatif, judiciaire, et exécutif. Au début du 20e siècle, Dr. Sun Yat-Sen avait inventé la théorie de cinq pouvoirs en faisant une hybridation. Aux trois pouvoirs occidentaux, il avait ajouté les deux pouvoirs empruntés au droit impérial chinois : le censorat, le pouvoir de contrôle, le Yuan de contrôle, et le Yuan des examens. Actuellement, votre constitution consacre ces cinq pouvoirs, mais les deux derniers sont peu pratiqués. S’ils étaient activés, par exemple à l’occasion d’une révision, votre modèle d’hybridation de constitution pourrait être une source d’inspiration, notamment pour une future constitution mondiale. Autrement dit, à Taïwan, on peut trouver des exemples des divers processus innovants que j’ai indiqués : coordination, harmonisation, et même hybridation. J’en conclus que le fait de ne pas avoir un statut d’Etat vous permet d’être déjà dans le 21e siècle, au lieu de rester dans le 20e siècle. Le 20e est l’âge des indépendances, mais le 21e siècle est l’âge des interdépendances. Vous êtes, d’une certaine manière, déjà entrés dans cet âge des interdépendances. Je sais bien que les choses, politiquement, ne sont pas si simples. Politiquement, il y a des Etats qui sont restés à l’âge impérial. Il y a d’autres Etats qui sont entrés dans l’âge de l’indépendance. Et tout le monde n’est 11

pas entré dans l’âge de l’interdépendance. Donc la période de transition est dangereuse, difficile, et instable. Mais il ne faut pas en avoir peur, il faut garder l’espérance. Parce que vous êtes en position d’imaginer un Tianxia nouveau et pluraliste. Ce serait très important pour vous, mais aussi pour le monde entier. Merci encore une fois de m’avoir invitée. Ce travail de recherche d’un ordre juridique mondial commun sans renoncer à nos différences demande beaucoup plus de temps qu’un droit commun qui se fait simplement la transplantation du pays le plus puissant dans les autres pays. Il faut s’écouter, essayer de se comprendre, de comprendre ceux qui parlent d’un point de vue différent, d’une expérience, d’une histoire, ou d’une géographie différente. Le contact avec des jeunes taïwanais comme vous est donc, pour moi, une belle occasion de faire avancer ma propre réflexion, de modifier ce qui doit l’être, et d’incorporer ce qui peut l’être. Encore une fois, un grand merci pour l’invitation. Maintenant j’attends vos questions.

12