Serge Toubiana

Elle est assez brillante par les noms, les réalisateurs, les castings. Il y a une très belle présence du cinéma français encore cette année à Toronto, avec des.
205KB taille 5 téléchargements 572 vues
Cinéma

H

ment le cinéma français. Pour moi, c’est un grand enjeu stratégique.

Lors de son passage au Festival international du film de Toronto (TIFF), le président d’UniFrance, Serge Toubiana, évoque la sélection française, la réflexion sur la stratégie à adopter pour les Oscars et son questionnement sur l’avenir du cinéma.

Quels sont les projets d’UniFrance après le TIFF ?

Après le TIFF, ce sont les grands rendez-vous de janvier à Paris. C’est le plus gros événement organisé par UniFrance. 300 acheteurs et 100 journalistes étrangers sont invités pendant quatre jours. C’est un vrai marché du film français dans la capitale. Les partenaires internationaux aiment venir à Paris à ce moment-là car c’est une période creuse, avant Berlin. C’est le plus gros événement organisé par UniFrance dans l’optique de la promotion du cinéma français, et le calendrier colle à la réalité des marchés des films sur le plan mondial.

Comment trouvez-vous la sélection française au TIFF ?

Elle est assez brillante par les noms, les réalisateurs, les castings. Il y a une très belle présence du cinéma français encore cette année à Toronto, avec des têtes de série comme Jacques Audiard, Claire Denis, Olivier Assayas et Gaspar Noé. Ce sont des noms qui incarnent bien le cinéma hexagonal dans sa diversité, dans sa variété, dans sa capacité d’aborder les gens. Le film d’Assayas projeté à Venise (Doubles vies) plaît beaucoup au public et le casting est merveilleux. Les cinéastes plus jeunes, comme Eva Husson, sont également bien représentés. Je suis assez content et optimiste ! Il y a cependant moins de films français au TIFF depuis deux ans. Pensez-vous que cela influe sur les ventes et sur la visibilité de la production française ?

Je ne crois pas. C’est un festival qui a sa philosophie, qui a sa conception des choses. Je trouve bien que le cinéma français soit compétitif, tout en ayant d’autres façons de faire. C’est la règle, on n’est pas seul au monde. On n’a pas la force de frappe du cinéma américain, mais on a une capacité d’offre extrêmement variée. On accueille des cinéastes étrangers, philippins, chinois, coréens, qui sont aidés par le système de financement français, et c’est un atout merveilleux. On a cette capacité à arriver à Toronto avec des forces extrêmement diverses, mais bien positionnées parce qu’à chaque fois, il y a un travail artistique derrière, un travail de qualité. Mais il faut aussi une exigence internationale, ce que le cinéma français a sous-estimée. Piers Handling, directeur général du TIFF, part fin octobre. Est-ce que cela peut changer les relations entre TIFF et UniFrance ?

On ne changera pas. Il y a un nouveau directeur, Cameron Bailey, que j’ai rencontré à Cannes. Il va essayer d’imprimer sa pate. Je ne vois pas comment il pourrait être cinéphile sans aimer le cinéma français aussi. Mais le festival de Toronto restera toujours un enjeu, une plateforme très importante pour tenter d’accéder au marché nord américain. On sait que c’est un élément stratégique essentiel. Les dates sont bonnes, le festival est formidable, la ville est très accueillante, c’est bien organisé. C’est un festival que je prends en exemple. Les professionnels du cinéma français ont tout intérêt à jouer cette carte-là. Est-ce vraiment le meilleur moyen d’accéder au marché nordaméricain ?

Oui. Il y a bien sûr Los Angeles et

Serge Toubiana « On n’a pas la force de frappe des Américains mais on a une offre très variée » sommes rendu compte que nous étions très faibles à côté des forces de lobbying américain dont bénéficient, par exemple, Netflix et Amazon. Ils mettent énormément d’argent. Ils connaissent mieux le système que nous. C’est une réflexion qu’on doit mener avec, entre autres, le CNC et les industriels, pour avoir un poids suffisant à Los Angeles et ainsi peser sur ce genre de décisions. Non pas qu’on achète les voix des votants, mais il faut affirmer une présence plus forte. On a une correspondance à New York. Mais ce qui est fait à New York n’a rien à voir avec Los Angeles. C’est autre chose.

Cannes, où les choses se discutent en amont, et Berlin également, où les choses se traitent. Mais après la Mostra de Venise et Telluride aux Etats-Unis, être présent à Toronto est une chance supplémentaire, parfois essentielle, de convaincre pour les films français. Le film d’Olivier Assayas a fait le grand chelem. Il a été à Venise, à Telluride, il est à Toronto et il va à New York. Je crois que ça n’est jamais arrivé qu’un film français fasse ces quatre festivals dans la continuité. C’est un gage de notoriété et il le mérite. Pensez-vous que la France devrait adopter une stratégie plus agressive en vue des Oscars ?

UniFrance pourrait ouvrir une représentatioin à Los Angeles ?

On n’a pas gagné d’Oscar du meilleur film en langue étrangère depuis Indochine en 1992 ! C’est un problème. En termes de lobbying, on ne sait pas faire – et je parle d’UniFrance, mais aussi de toute l’industrie française. J’ai été aux Oscars l’année dernière avec Frédérique Bredin, Xavier Lardoux du CNC et Thierry Frémaux, et nous nous

Oui, je pense qu’UniFrance pourrait participer à la réflexion sur la mission qu’on pourrait confier à une personne ou à un groupe de personnes sur place pour promouvoir le cinéma français et le modèle économique du cinéma français auprès de l’Académie des arts et des sciences du cinéma. A l’Académie, ils ai-

Comment voyez-vous le futur en tant que président d’UniFrance ?

Le futur est jalonné de questions. Les plateformes, la puissance de Netflix ou d’Amazon ont des effets de dérégularisation. Si le Lion d’Or allait à Roma, d’Alfonso Cuarón [l’entretien a eu lieu avant l’attribution du Lion d’Or, ndlr] ce serait un coup de tonnerre dans l’industrie du cinéma. Ça voudrait dire qu’un film pourrait obtenir une récompense importante sans sortir dans les salles. C’est une nouvelle ère. Venise, Cannes, Berlin, Toronto sont des manifestations qui ont été inventées pour promouvoir le cinéma. L’histoire du cinéma a été partagée par des millions de spectateurs dans les salles de cinéma. Mettre en compétition ces films qui ne sortiront pas en salle, cela me pose un problème. On ne sait pas qui les a vu, dans quelles conditions. Ils deviennent des films non identifiés et ça m’inquiète. Pourquoi un tel brouillard sur la traçabilité de ces films et de leur audience ? Comment se porte la production cinématographique en France ?

On produit encore beaucoup de films. On est un pays important qui a une capacité d’attraction, et le crédit d’impôt international joue un rôle très positif. Les tournages se relocalisent en France. Il y a une grande vitalité du cinéma français et en même temps, il y a cette inquiétude qui pèse. La fréquentation se maintient au plus haut avec 200 millions de spectateurs. Les chaînes de télévision commencent à avoir des difficultés. Elles sont plus tentées de produire des séries. Il y a un nouvel équilibre qui va se trouver. Je pense qu’il y a quelque chose de très fort dans le cinéma qui ne peut pas mourir. Même si des films comme “Roma” ne sortent pas en salle ?

Pour moi spectateur, la puissance d’évocation d’un film se vérifie en salle, et non sur un petit écran. Je suis tellement content quand je suis au cinéma et que les lumières s’éteignent, je sais qu’il va se passer quelque chose. Je n’ai pas ce sentiment sur petit écran. Propos recueillis par Quitterie Hervouët

12 septembre 2018 / Écran total  n°1201

14

14_ETH_1201_INTERVIEW_TOUBIANA_BAT.indd 14

10/09/2018 21:47