Satellites, drones, 3G, réseaux sociaux

étendue au Nigeria et au Kenya. Elle pourrait bientôt voir le jour dans trois autres pays africains ainsi qu'au Bangladesh. REuTERS MARkET LiGHT : LE PoRTABLE-CoMPARATEuR. DE PRix. Mise en place par l'agence de presse internationale. Thomson Reuters, RML est un service de diffusion d'information par SMS à ...
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Répondre au besoin de communication des populations sinistrées est primordial.

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La révolution des nouvelles technologies de l’information et de la communication ne connaît pas de frontières, ni terrestres, ni de secteur d'activité… L’aide humanitaire et le développement n’y coupent pas. Ces nouveaux outils font naître beaucoup d’espoirs : tiendront-ils leurs promesses ?

Satellites, drones, 3G, réseaux sociaux... uand les services européens d’urgence humanitaire se déploient sur le lieu d’une catastrophe humanitaire, plusieurs ONG suivent. Parmi elles, Télécoms Sans Frontières (TSF). Installée à Pau, peu connue du grand public, cette organisation s’est donné pour mission d’apporter des moyens de communications aux populations démunies et aux autres acteurs humanitaires. Créée il y près de 15 ans, l’ONG s’est développée sur un constat : répondre au besoin de communication des populations sinistrées est un besoin primordial. Le président de TSF, Jean-François  Cazenave, se souvient de ses interventions humanitaires dans les Balkans, quelques années avant la création de l’organisation  : «  Lorsque nous croisions des réfugiés, ils sortaient un petit bout de papier coincé dans leur chaussure et nous le

Là-Bas n°02 avril 2012

© Wonderlane–Flickr

Là-Bas n°02 avril 2012

La nouvelle boîte à outils de l’humanitaire

Toujours connectés, pour le meilleur… et pour le pire ? Les nouvelles technologies ont ouvert le champ des possibles pour les ONG. Avec Skype et le GPS, déployer des programmes d’aide humanitaire

sans mettre en danger les employés des ONG devient une réalité. Depuis la Jordanie, pendant les cinq premières années de la guerre en Irak, les administrateurs des Nations unies se sont appuyés sur un réseau de milliers d’Irakiens pour déployer leurs projets sur le terrain. Plus récemment, en Somalie, ce sont des « facilitateurs locaux » qui, en discutant avec les villageois, ont collecté les informations permettant de remplir les bases de données pour suivre les déplacements des réfugiés, et distribuer couvertures, vivres et matelas

Le développement

en application(s) En attendant la généralisation de l’internet sur téléphone portable, un service qui reste aujourd’hui peu développé dans les pays du Sud, la création d’applications mobiles explose. Si les jeux et les réseaux sociaux trouvent un public prêt à payer, les succès sont rares parmi les applications plus ambitieuses (agriculture, services bancaires, santé, éducation, etc.) qui sont difficiles à rentabiliser et à faire adopter par la population. Un tiers d’entre elles ne dépasse pas le stade du pilote. Pourtant, les succès existent. La preuve par l’exemple.

L'encadrement à distance engendre le risque d'une déconnexion avec le terrain.

M-Pesa : le téléphone-compte en banque. Au Kenya, les comptes bancaires sont 4 fois moins nombreux que les téléphones portables, et il n’existe pas de forfaits téléphoniques mensuels. Pour communiquer, on achète du crédit téléphonique sous forme de cartes prépayées, et l’opérateur tient une comptabilité du crédit téléphonique pour chaque portable. Dès lors, pourquoi ne pas permettre aux clients de transférer ce crédit d’un numéro à l’autre ? C’est en développant cette simple idée que l’opérateur Safaricom a créé le service M-Pesa en 2007. À chaque téléphone est associé un compte monétaire : un client peut verser ou retirer de l’argent en s’adressant à l’un des 13 000 agents de l’opérateur téléphonique, puis effectuer un virement vers un autre numéro ou payer des factures. Facile d’utilisation, le service a été adopté par plus de 13 millions de Kenyans. Et partout en Afrique, les opérateurs téléphoniques copient ce succès du « M-Banking ».

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M-Pedigree : le médicament télé-validé. Selon l’OMS, jusqu’à 30 % des médicaments qui circulent en Afrique seraient contrefaits. Pour lutter contre ce fléau, l’initiative ghanéenne M-Pedigree a noué des partenariats avec des entreprises pharmaceutiques et des opérateurs téléphoniques pour créer un service de vérification accessible par téléphone portable. Sur chaque boîte de médicament est apposé un numéro à gratter : le client l’envoie par SMS à un numéro vert, et reçoit en retour la confirmation de l’authenticité du produit. Créée en 2008, récompensée par de nombreux prix, l’application a été étendue au Nigeria et au Kenya. Elle pourrait bientôt voir le jour dans trois autres pays africains ainsi qu’au Bangladesh. Reuters Market Light : le portable-comparateur de prix. Mise en place par l’agence de presse internationale Thomson Reuters, RML est un service de diffusion d’information par SMS à destination des agriculteurs indiens. Lancé en 2007, il est aujourd’hui utilisé par un million de personnes dans 40 000 villages. Le principe ? Des « reporters » parcourent les marchés agricoles et y notent les prix des marchandises. Ces informations sont diffusées par SMS aux abonnés, leur permettant de choisir où vendre leur production à meilleur prix. Une bonne idée en cours de déploiement dans d’autres pays.

Lorsque Télécoms Sans Frontières « ravitaille » des réfugiés en communications téléphoniques (ici à la frontière tuniso-libyenne), l’organisation du centre d’appel doit être rigoureuse : enregistrement des demandes, files d’attente, quota des minutes de communication... Un dispositif nécessaire pour que chacun puisse accéder au précieux téléphone selon ses besoins.

grâce à Skype. Une aide irremplaçable, puisque ces «  facilitateurs  » peuvent entrer en contact direct avec les populations en difficulté et communiquer leurs besoins aux humanitaires restés à distance, y compris en prenant des vidéos avec leur portable. Il n’en reste pas moins que ces pratiques impliquent des risques  : celui des pannes et des coupures de réseau, en premier lieu, qui rendent aléatoire le succès des opérations. Celui, aussi et surtout, de mettre en danger les facilitateurs locaux : certains pays n’hésitent pas à surveiller les flux internet qui transitent à leurs frontières, ou à exiger des opérateurs de téléphone satellite qu’ils partagent les coordonnées GPS des abonnés sur leur territoire, faisant des aides sur le terrain des espions à la solde des ONG. Finalement, l’encadrement à distance engendre le risque d’une déconnexion d'avec le terrain,

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tendaient. Dessus il y avait un nom et un numéro de téléphone. La première chose qu’ils nous demandaient était de donner des nouvelles à leur famille, et de leur transmettre leur appel au secours ». Nécessitant peu de logistique et de ressources humaines, le service de communication est souvent le seul qui peut être offert dans les premières heures qui suivent un sinistre. De quoi expliquer la croissance de l’ONG. Dotée d’une poignée de téléphones satellite à ses débuts, elle dispose à présent de quatre bases opérationnelles dans trois continents, et a été en mesure d’ouvrir sept centres de communication en Lybie en 2011.

© Telecoms Sans Frontières

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En 10 ans le nombre de téléphones portables sur la planète est passé de 1 à...

milliards.

 

Le nombre d’utilisateurs de téléphones portables en Afrique augmente presque

deux fois plus vite que dans les autres régions du monde.

On compte

500 millions

Les échanges oraux et informels, dans la rue, autour d’un verre, au sein d’une famille, sont indispensables pour construire une relation de confiance avec les bénéficiaires ou disposer d’informations disponibles nulle part ailleurs. Le temps passé par les acteurs humanitaires sur leur ordinateur fait-il une victime collatérale ?

96 %

des centres de santé de Port-au-Prince en

36 heures seulement

Selon la Banque mondiale, une augmentation de

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10 points

du taux de pénétration du mobile dans un pays en développement entraîne une hausse de

0,8 points

de la croissance économique.

qui apparaît de façon plus éclatante encore avec le développement de drones, des aéronefs sans pilote tels que le FR102, capables de livrer l’aide humanitaire dans les zones dangereuses ou difficiles d’accès.

Des nouveaux outils dans le couteau suisse humanitaire Mais le fait est là  : les technologies ont ouvert la porte à de nouveaux outils taillés sur mesure pour l’humanitaire. Une des zones d’intervention récurrente d’Action contre la Faim (ACF) est la bande sahélienne. Certaines années, le manque de précipitations est critique, et plusieurs millions de personnes, ainsi que leurs troupeaux, sont menacés par le manque d’eau et de nourriture. Au début des années 2000, l’ONG fait le constat qu’aucun système d’alerte n’est en place. Pourtant des signes avant-coureurs des crises existent, il suffit pour cela de prendre un peu de hauteur. Aussitôt dit, aussitôt fait  : les images satellite Spot permettent désormais de mesurer la couverture végétale dès la fin de la saison

Les cartes

à la rescousse les logiciels de cartographie permettent de mesurer la couverture végétale des zones arides et ainsi de déclencher des alertes. des pluies (automne), et d’identifier les zones où elle est déficiente. Le tout est rassemblé dans un logiciel de cartographie (voir illustration page suivante) et a permis à ACF de déclencher l’alerte en octobre 2011 auprès des bailleurs de fonds, des gouvernements nationaux et des agences de l’ONU. Pour Médecins sans Frontières, le travail est centré autour des interventions médicales, de la relation avec le patient. Les technologies

En 2008, les élections kenyanes sont disputées et des violences éclatent dans la capitale. Abasourdis par le silence qui entoure les exactions, un groupe d’informaticiens et de militants travaille sur un outil pour rassembler et publier les témoignages. Le résultat : une carte en ligne où s’affichent des informations envoyées par SMS. La plate-forme Ushahidi (témoignage en swahili) est née. Gratuite et développée en logiciel libre (sa « recette informatique » est publique), elle a depuis lors été utilisée plus de 6 000 fois, aussi bien pendant des crises humanitaires… que pour établir une carte des meilleurs hamburgers des États-Unis. Un succès construit sur la force de la cartographie, qui permet de partager de manière intuitive des informations, et sur celle de l’« approvisionnement par la foule » (« crowdsourcing » en anglais). Les cartographes ne se sont pas arrêtés là. En Haïti, dès les premières heures qui ont suivi le tremblement de terre, des volontaires répartis de par le monde se sont attelés à dessiner une nouvelle carte de Port-au-Prince. En quelques semaines, cette dernière devient la référence pour les acteurs humanitaires. Alimentée par SMS, Twitter ou de simples mails, une plate-forme Ushahidi cartographie témoignages et appels au secours : des ONG l’utilisent pour décider de leurs interventions. Pour Patrick Meier, co-fondateur d’Ushahidi « il ne fait aucun doute que l’accès à l’information est aussi important que l’accès à l’eau et à la nourriture ».

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Après le séisme, des volontaires ont cartographié

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de portables en Afrique, pour une population d’un milliard, mais seulement 140 millions d’internautes.

ont-elles une place dans ce dialogue intime, oral et humain ? En partie. Depuis 2009, les médecins en intervention peuvent affiner leur diagnostic en partageant photos, radios et observations avec des experts médicaux internationaux.

Un accélérateur de progrès  Ces exemples montrent bien que les technologies de l’information et de la communication  (TIC) portent un espoir pour les pays en développement, un espoir qui va au-delà des activités de coopération traditionnelles. Il faut d’ailleurs noter que c’est la libéralisation des marchés de la téléphonie mobile, et les investissements privés, qui ont porté la formidable explosion

de ce service jusque dans les pays les plus pauvres. Dès les années  2000, on espère qu’elles pourront permettre aux pays pauvres de prendre un raccourci sur la route du développement. Diminuant les distances, stimulant l’économie, favorisant l’ouverture au monde et la circulation de l’information, les TIC sont alors considérées comme une solution miracle et, à côté de programmes pour l’accès à l’eau, à la santé, à l’éducation, de nombreux projets TIC sont lancés. Le bilan des initiatives prises dans ce domaine (voir encadré sur les applications mobiles) est toutefois incertain. En cause, la difficulté à mesurer l’efficacité, une adoption difficile des outils par les populations, le rythme effréné des progrès technologiques et une certaine tendance à mettre la charrue (l’outil) avant les bœufs (le besoin et l’accompagnement). L’enthousiasme est ainsi aujourd’hui quelque peu redescendu et le pragmatisme est de rigueur : les nouvelles technologies ne sont pas la solution, elles sont une partie de la solution.

Sur le web • Irevolution. Patrick Meier, directeur de la cartographie de crise à Ushahidi, passe en revue les enjeux de l’application des nouvelles technologies pour les crises humanitaires, les droits de l’homme et la résistance civile. www.Irevolution.net • ICTworks. Quatre fois par semaine, les experts de l’entreprise Inveneo partagent leurs idées sur l’utilisation des nouvelles technologies pour les populations les plus pauvres. www.ictworks.org • Dédié à l’éducation, le site EdutechDebate est tenu par un collectif de 15 chercheurs qui veulent réunir spécialistes de l’enseignement et experts technologiques. www.edutechdebate.org • Le Centre de recherches pour le développement international (CRDI) est un établissement canadien qui aide les pays en développement à se servir de la science et de la technologie. Son site web met à disposition un grand nombre de livres, dont certains en français : http://web.idrc.ca/fr/ev-23583-201-1-DO_TOPIC.html • Tous les deux ans, la conférence ICT4D rassemble les acteurs de ce domaine : chercheurs, ONG, experts technologiques... La 5e édition a eu lieu à Atlanta aux États-Unis en mars 2012. www.ictd2012.org

• Le programme infoDev mené par la Banque mondiale depuis 1995 est l’un des principaux bailleurs de fonds dans le domaine des nouvelles technologies pour le développement. www.infodev.org • La plate-forme de l’aide au développement Zunia dispose d’une section consacrée aux nouvelles technologies http://zunia.org/cat/ict/ À lire • ICT4D 2012, la Banque mondiale dévoile sa nouvelle stratégie pour actionner le levier des nouvelles technologies pour le développement : http://go.worldbank.org/NB9W9SEFC0 • Leveraging Information and Communication Technology (ICT) for the Base of the Pyramid (BoP). Comment utiliser les NTIC pour aider les populations les plus pauvres ? Le cabinet Hystra et Ashoka, un réseau d’entrepreneurs sociaux, publie ses recommandations après avoir étudié une quinzaine de projets. http://www.hystra.com/opensource/ICT_for_the_BoP.html • The Networked Nonprofit : Connecting With Social Media to Drive Change, Beth Kanter, Allison Fine. Après 30 ans d’expérience au sein des organisations non-gouvernementales américaines, les auteurs montrent comment utiliser la flexibilité et la puissance des médias sociaux pour développer les organisations civiles. • Disaster relief 2.0, the future of information sharing in humanitarian emergencies. Quand l’ONU se penche sur l’expérience d’Haïti et étudie comment travailler avec un nouveau type de partenaire aussi informel qu’efficace, les communautés techniques bénévoles. http://issuu.com/unfoundation/docs/disaster_ relief20_report © Woodleywonderworks–Flickr

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• Steve Song construit des réseaux wifi à bas coût pour apporter téléphonie et internet aux populations isolées. Son blog « Many possibilities » s’intéresse à la réduction de la fracture numérique en Afrique. www.manypossibilities.net

Humanitech  Concours d’idées lumineuses Comment mettre les technologies au service de l’humanitaire ? C’est la question que s’est posée la Fondation Casques Rouges, qui plaide en premier lieu pour la création de « cousins humanitaires » aux Casques bleus, en charge de coordonner l’action humanitaire d’urgence. Après avoir mis en place des outils technologiques comme Missing.net, un moteur de recherche humanitaire des disparus, et Emergesat (cf. photo), la Fondation a donc créé le Challenge Humanitech. « Nous sommes partis du constat que malgré un foisonnement d'idées, les étudiants sont trop peu nombreux à se lancer dans des projets innovants de solidarité internationale. Nous avons voulu donner aux jeunes un coup de pouce pour ancrer ce qu'ils imaginent dans la réalité », explique Nicole Guedj, ancienne ministre et présidente de la Fondation Casques Rouges, qui a lancé l’initiative. Ce qu’ils imaginent ? Des lits de camps en carton, un hôpital de campagne couvert de cellules photovoltaïques, une plate-forme internet pour rassembler les universités africaines… Les technologies de communication et d'information inspirent les équipes de candidats. Pour transformer leurs idées en succès, les lauréats reçoivent un prix de 5 000 € et profitent du réseau et de l’exposition médiatique du concours. Mais pour tous les gagnants, l’aventure ne fait que commencer. En 2011, c'est le projet Jerry, porté par des étudiants de l'École Nationale Supérieure de Création Industrielle (ENSCI-Les Ateliers), l'École Supérieure de Commerce et de Management (ESCEM) et l'École Supérieure d'Informatique Électronique Automatique (ESIEA), qui a remporté les suffrages, avec son serveur informatique mobile rustique et abordable. Et cette année ? Pour le savoir, rendez-vous le 13 avril, pour la finale de l’édition 2012.

Pour en savoir plus

• Organisé par l’ONU, le Sommet mondial de la société de l’information (WSIS) de Genève en 2005 a établi un plan d’action pour combler le fossé numérique mondial. http://www.itu.int/ wsis/docs/geneva/official/poa.html

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En 2007, le conteneur Emergesat de la Fondation Casques Rouges a été envoyé à la frontière Tchad/Darfour pour servir aux acteurs humanitaires, et en particulier au Haut-commissariat aux réfugiés de l’ONU (HCR).

© Casques rouges

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Facebook, créé il y a seulement 8 ans, rassemble aujourd'hui 800 millions d'utilisateurs actifs.

Web 2.0 Là-Bas n°02 avril 2012

le nouvel eldorado de la communication humanitaire ? En pleine explosion, les médias sociaux offrent aux acteurs de l’humanitaire un nouveau canal de communication plus riche et plus interactif. Vont-ils révolutionner les interactions entre les ONG et leurs sympathisants ?

D

epuis quelques années, Internet a passé la seconde avec l’avènement du web  2.0. Grâce à des sites web tels que Facebook, Twitter, Youtube ou encore les plates-formes de blog, l’internaute n’est plus seulement lecteur passif d’informations, mais participe à la production de contenus et au partage de ces derniers avec ses propres cercles de connaissances. Ces nouveaux outils ont connu un succès fulgurant. Facebook, créé il y a seulement 8 ans,

rassemble aujourd’hui plus de 800 millions d’utilisateurs actifs. Et son développement n’est pas limité au monde occidental : il y avait 4,5 millions d’utilisateurs en Égypte en janvier 2011, au début d’une révolution parfois qualifiée de «  révolution Facebook  » (voir  photo). Il y en a deux fois plus aujourd’hui. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que les acteurs de l’humanitaire et du développement se soient emparés de ce nouveau canal d’interaction avec le public, les sympathisants et les donateurs.

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La place Tahrir au Caire, ici couverte de tentes, est le cœur d’un combat parfois qualifié de « révolution Facebook ». Appels à manifester, témoignages, photos et vidéos ont circulé sur les réseaux sociaux jusqu’aux 4 coins du monde. Ces outils ont également permis, pendant les années précédentes, de libérer la parole et les échanges entre Égyptiens. Mais les révolutionnaires n’hésitent pas à souligner que c’est dans la rue que le combat s’est finalement gagné.

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Quand internet met de l’huile dans les rouages du financement

La proportion de dons effectués sur internet ne cesse d’augmenter. Depuis 2009, les paiements électroniques chez Action contre la Faim ont augmenté 4 fois plus vite que les dons traditionnels. Pour les organisations de solidarité internationale, la facilité et la rapidité de ce nouveau canal est du pain béni : plus d’enveloppes à décacheter, plus de chèques à déposer à la banque… La prochaine frontière du financement électronique ? Le financement participatif (« crowdfunding »). Le principe : rassembler les contributions d’internautes, même modestes, autour d’un projet. Le site web français Alvarum propose ainsi aux internautes de collecter des fonds auprès de leurs amis. Des sites internet tels que kiva.org ou babyloan.org associent quant à eux microcrédit et et financement participatif en permettant de prêter des petites sommes d’argent à des entrepreneurs des pays du Sud.

© Crowdfunding Bank

© Greenpeace

Quand Greenpeace mène une campagne, c’est aujourd’hui autant en ligne que sur le terrain.

© 401K–Flickr

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À nouveaux outils, nouvelle communication En retard sur leurs homologues anglo-saxons, les acteurs français commencent à explorer ces nouveaux territoires numériques. Les principales ONG possèdent leur page Facebook. L’Agence Française de Développement, quant à elle, a ouvert une plate-forme de blogs dédiée au développement, tout en offrant aux ONG des formations consacrées à ces nouveaux outils. Les motivations de ces acteurs  ? Porter leur message à un public jeune qui constituera les rangs

L’internaute mis à contribution Le web 2.0 permet en effet de faire participer les internautes à des campagnes de sensibilisation. D’un simple clic, l’internaute peut partager les messages avec ses amis. Du côté de la CroixRouge, on mise ainsi sur un réseau de « web-bénévoles » pour s’approprier et porter la parole de l’association. Greenpeace, réputée pour ses actions spectaculaires, a détourné l’an dernier une publicité du constructeur automobile Volkswagen, qui s’est répandue sur les réseaux sociaux comme une traînée de poudre. Puis, elle a appelé les internautes à se rendre sur la page Facebook de l’entreprise pour la saturer de messages et d’images de protestation ! Les ONG investissent donc un univers numérique dont elles ne peuvent se permettre d’être d’absentes. Mais dans ce monde à part, où la capacité d’attention des internautes est volatile, la valeur des clics de soutien reste encore difficile à mesurer.

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le web 2.0 permet de faire participer les internautes à des campagnes de sensibilisation, et de rassembler leurs contributions autour de projets.

des donateurs (ou salariés) de demain, partager un contenu plus vivant avec le public, grâce aux vidéos et aux photographies, mais aussi libérer les échanges en les rendant plus interactifs. AnneSophie Nardari, éditrice web chez MSF, précise : «  La parole sur Facebook est moins formelle, plus spontanée. Nous voulons en profiter pour permettre de véritables discussions entre nos intervenants et les internautes».

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La technologie,

Pendant 5 ans, Kentaro Toyama s'est rendu dans près de 50 télécentres à travers l'Asie du Sud et en Afrique. La grande majorité des opérateurs de télécentres ne pouvaient pas gagner leur vie et les services disponibles étaient dérisoires. La plupart ont fermé peu de temps après leur ouverture.

Pensez-vous que les nouvelles technologies soient utiles pour lutter contre la pauvreté et soutenir le développement ?

Kentaro

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Toyama Après avoir été informaticien pour Microsoft Research India et membre du bureau de l’ICT4D (Information and Communication Technologies for Development), Kentaro Toyama est devenu professeur à l’école d’information de Berkeley. Il rédige actuellement un livre sur la nécessité primordiale d’encourager ce qu'il appelle la sagesse humaine : la combinaison d'intentions positives, de bon sens et de capacité à mettre en œuvre des décisions… Le versant positif de sa thèse selon laquelle « la technologie amplifie la volonté et la capacité des hommes ».

La technologie amplifie la volonté et la capacité des humains : elle ne sert à rien s’il n'y a pas de volonté ou quand les moyens sont limités. Malheureusement, les régions du monde les plus pauvres le sont justement parce que les moyens sont insuffisants  : niveau d'éducation trop bas, capital social faible, manque de volonté politique... Dans ce contexte, les nouvelles technologies ont peu d’impact. Par exemple, fournir un accès Internet à des personnes très peu éduquées ne leur permettra pas d'atteindre un meilleur niveau de développement. Pensez-vous que les nouvelles technologies aggravent les écarts entre pauvres et riches ?

La cause structurelle de la pauvreté réside indéniablement dans les différences de «  capabilité  »1  : la capacité à être, à faire ou à choisir. Certains bénéficient d'une meilleure éducation, d'un réseau plus influent, d'un plus fort potentiel pour se structurer en groupes, etc. D'autres n'ont rien de tout cela. Si on ne s'attaque pas à cette inégalité fondamentale, la technologie ne fera qu'aggraver les écarts entre pauvres et riches. D'ailleurs, on le constate déjà. Comparés au début du XIXe  siècle, les riches d'aujourd'hui vivent comme des dieux, essentiellement grâce aux nouvelles technologies (médecine plus avancée, transports plus performants, moyens de communication développés...). En revanche, les pauvres

d'aujourd'hui ne vivent pas tellement mieux qu’avant. La technologie n'a fait qu'accentuer cette fracture. Quid de l'usage des nouvelles technologies dans l'aide humanitaire et le développement ?

Si les technologies sont pensées et utilisées de façon intelligente, alors elles peuvent bien sûr aider les humanitaires à faire mieux ce qu'ils font déjà. Mais sans ce préalable, elles n'auront aucun effet, voire elles aggraveront les choses. Un proverbe connu dit : « Si tu donnes un poisson à une personne, tu la nourris pour une journée. Si tu lui apprends à pêcher, tu la nourris pour la vie.  » Il ne dit pas  : «  Donne à cette personne une canne à pêche, robotisée, avec un turbo-moteur et une tête chercheuse. » La clé du changement est dans l'éducation, pas dans la charité, pas dans la technologie, pas dans un système politique prétendument modèle. La technologie n'est qu'un outil. Pensez-vous que les nouvelles technologies ont joué un rôle dans le « Printemps arabe » ? Est-ce que ces événements ont modifié votre point de vue ?

Les nouvelles technologies ont certainement aidé le Printemps arabe, mais dans la même mesure que les mobylettes ont probablement aidé : je suis certain que de nombreux manifestants sont venus en mobylette place Tahrir, mais on n'entend personne parler de « révolution des mobylettes  ». Il est davantage question ici de

décennies d'oppression, de l'apparition d'une classe moyenne éduquée et d'autocraties en déclin que de technologies. Il suffit de regarder d'autres situations : en Iran, de 2009 à 2011, il y a eu des manifestations massives, largement relayées sur Facebook et Twitter et étiquetées «  la révolution Twitter  » par les médias occidentaux. Mais il n'y a pas eu de révolution, tout simplement parce que le gouvernement était plus fort et plus résolu que les manifestants. Autre exemple : en Chine, il y a plus de 900 millions d'utilisateurs de téléphones portables et plus de 500 millions d'internautes. Beaucoup d'entre eux sont sur les équivalents locaux de Facebook et Twitter. Si les médias sociaux et les technologies qui y sont liées étaient des sources de démocratie, il y a longtemps qu'une révolution aurait eu lieu en Chine. Enfin, les révolutions américaine et française au XVIIIe siècle ont eu lieu à une époque où il n'y avait ni Facebook, ni internet, ni téléphone, ni télégraphe. Et pourtant la population a réussi à s'organiser et à se rebeller. Pour moi, les technologies ne sont ni nécessaires ni suffisantes pour provoquer une révolution démocratique. En revanche, dans cette ère de réseaux sociaux, chaque révolution est twittée. Croire que Facebook fait naître la révolution, c'est croire que les nuages font naître le vent.

(1) Voir l'article de Jonathan Jourde « À la mesure de la pauvreté » dans Là-Bas n°1, p. 50.

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une caisse de résonance