L'envol frénétique des drones

30 mai 2015 - faire voler à moins de 100 mètres d'un rassemblement de personnes. Un environnement idéal pour voir ces engins se multiplier sur nos têtes.
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Temps fort

3 EDDY MOTTAZ

Le Temps Samedi 30 mai 2015

L’envol frénétique des drones nève avaient même décrété une noflight zone. Les autorités voulaient éviter de voir voler, comme au-dessus de Paris, des dizaines de drones mystérieux dans un contexte tendu. La mesure était pourtant inhabituelle. Alors que les Etats-Unis restent frileux et la France songe à durcir sa réglementation pour les drones de loisir, la Suisse garde un cadre juridique plutôt libéral en la matière. Selon les normes édictées par l’Office fédéral de l’aviation civile (OFAC) en juin dernier, seuls les multicoptères pesant plus de 30 kilos (c’est rare) nécessitent un permis. Pour le reste, le pilote doit s’assurer de toujours maintenir un contact visuel avec son appareil et éviter de le faire voler à moins de 100 mètres d’un rassemblement de personnes. Un environnement idéal pour voir ces engins se multiplier sur nos têtes. La législation, pour l’instant très souple, a donné naissance à de nombreuses start-up sur l’Arc lémanique. A tel point que certains évoquent déjà une «Drone Valley» lémanique, une Silicon Valley du drone attirant chercheurs et investisseurs.

> Technologie Les quadricoptères se rendent peu à peu indispensables > En Suisse, le cadre juridique libéral a donné naissance à plusieurs start-up > Rencontre avec des Romands passionnés par ces engins volants Adrià Budry Carbó et Ghislaine Bloch Les drones s’apprêtent-ils à envahir notre quotidien? La Poste Suisse testera cet été l’utilisation de quadricoptères manipulés à distance pour certaines opérations logistiques. Est-ce un coup marketing ou le géant jaune étudie-t-il un nouveau moyen de transporter les colis? La Poste reste prudente et ne souhaite, pour l’instant, pas donner plus de précisions sur cette opération. Dans les parcs, il n’est plus rare d’entendre leur inimitable vrombissement. Sur le bitume, de voir planer leur ombre d’arachnide. Certains manifestent leur exaspération et craignent déjà que ce nouveau «must-have» ne vienne pourrir les vacances à Tolochenaz ou sur la Costa Brava. D’autres ont des préoccupations plus sécuritaires. Il faut dire que, quand elles tournent à pleine vitesse, les hélices convertissent ces appareils en véritables tondeuses à gazon volant au-dessus de nos têtes. Des accidents ont déjà eu lieu. A Genève, il sera désormais interdit d’utiliser des drones à moins de 300 mètres des bâtiments publics. Pendant la durée des tractations sur le nucléaire iranien, en mars, les polices cantonales de Vaud et de Ge-

Un savoir-faire qui émane de l’EPFL Le savoir-faire de ces start-up émane généralement de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). Leurs engins volants ont tous leur spécificité et des prix qui peuvent varier de quelques centaines de francs à plusieurs dizaines de milliers de francs. On peut citer, par exemple, la société Easy2map à Epalinges qui travaille essentiellement avec des architectes, des géomètres et les services de l’agriculture ou des forêts des cantons. La start-up utilise des drones autopilotés, embarquant une caméra numérique compacte, pour offrir des services de cartographie aérienne à faible coût. «Nous générons des plans très précis. Tout détail de plus de 20 centimètres peut être représenté, à l’exemple de la tuile

d’un toit», explique François Gervaix, directeur d’Easy2map. Le drone pliable, léger, peu coûteux et facilement transportable de Dario Floreano et Ludovic Daler, deux ingénieurs de l’EPFL, sera commercialisé d’ici à quelques mois. Inspiré de l’origami, il sera destiné au grand public mais pourra aussi être lâché en essaim dans des situations d’urgence ou sur une zone sinistrée afin de retrouver rapidement des victimes. Flyability, à Ecublens, a développé pour sa part un drone avec une carapace en carbone. Il est capable de reprendre son vol après s’être heurté contre un mur ou un obstacle. Cette faculté est utile dans des environnements peu accessibles ou dans des endroits clos. Fondée en 2009, senseFly à Cheseaux-sur-Lausanne – une spin-off de l’EPFL rachetée par le français Parrot – est considérée comme le leader mondial de la cartographie. Du côté des utilisateurs, on répond également présent. Les drones continuent à s’écouler comme des petits pains et les modèles d’entrée de gamme sont toujours moins onéreux. Mais qui sont réellement ceux qui se cachent derrière les commandes de ces engins? Petit tour d’horizon, du «droniste» du dimanche au professionnel de l’image.

Une famille de passionnés. «A gauche, encore un peu plus. Voilà, vous pouvez le faire venir vers moi maintenant…» Pour la photo, Max Turrettini (en bas) pilote son drone. Sa mère, Emily (en haut), préfère observer et écrire que les piloter. VANDŒUVRES, 26 MAI 2015

Ils ne s’intéressent qu’aux «gentils drones» > La famille Turrettini suit toutes les avancées et les utilisations positives liées aux quadricoptères Max a reçu un drone de sa mère pour son anniversaire. Depuis, ce contrôleur aérien de 25 ans ne s’en sépare plus, s’exerçant au pilotage au moins une fois par semaine. Souvent dans le jardin de sa coquette maison familiale. Les voisins ne s’en formalisent pas trop. «Ils sont plutôt curieux, en fait. Comme quand on

joue au ping-pong avec mes amis. Je sors souvent le drone. Vu d’en haut, tout prend une autre dimension», explique Max tout en gardant les yeux sur les commandes de l’appareil lors de sa démonstration. «A gauche, encore un peu plus. Voilà, vous pouvez le faire venir vers moi maintenant…» Le photographe est exigeant. Mais la dextérité de Max met en confiance. Le jeune contrôleur aérien passera bientôt son brevet de pilote d’avion (un hobby). Il ne se lasse pourtant jamais de montrer ses images aériennes.

Il faut dire que sa mère, Emily, est une vraie passionnée de drones. Fille d’un écrivain américain, elle a été l’une des premières romandes à créer un blog. Depuis deux ans, elle alimente un site consacré aux quadricoptères, The Good Drone. «Je ne m’intéresse qu’aux gentils drones, pas à ceux qui bombardent ou surveillent les gens», explique-t-elle d’une voix fluette, avant de faire la liste en connaisseuse des dernières innovations technologiques. Dans le milieu, plutôt masculin et sous la quarantaine, Emily fait figure d’exception. Le déclic pour

elle? Une société iranienne qui développait un modèle permettant de sauver les baigneurs en difficulté en leur lançant des bouées. Emily Turrettini n’a pourtant jamais piloté le moindre drone. «Je ne suis pas quelqu’un de très technophile. Ce qui m’intéresse, c’est les usages qu’on peut en faire», explique-t-elle sous les vrombissements du drone de son fils. «Les gens ont souvent peur pour leur vie privée. Mais, avec ce bruit, le drone est beaucoup moins discret qu’une caméra. Le risque, c’est surtout la chute d’un appareil.» A. B. C.

Cameraman adepte par nécessité

> Marc Wagner a laissé l’ingénierie patrimoniale pour diffuser des rencontres sportives

Sébastien Moret a acheté son appareil pour éviter de perdre des contrats professionnels

«Comme un Lego» Au milieu du bureau trône un prototype. Un drone de huit pales pour un poids total, une fois équipé, de 25 kilos. Soit juste audessous des maxima légaux en vigueur dans les pays européens. «Les

Sébastien Moret est venu dans le milieu des drones sur le tard, en septembre. Mais ce professionnel de l’image s’est vite rattrapé. En six mois, il a acquis deux drones pour un prix total, caméra et accessoires compris, de 6500 francs. Son aire de jeu: le monde de l’aviation, les images corporate ou les grands chantiers. Le tout, bien sûr, filmé depuis les airs.

EDDY MOTTAZ

Il nous reçoit dans son bureau en plein cœur de Genève. Un salon feutré de la place de Neuve, quartier général des avocats et banquiers. Marc Wagner, 39 ans en juin, est plus habitué à fréquenter les grandes fortunes que les rencontres d’aéromodélisme. «Avant j’installais des forfaitaires fiscaux en Suisse. Quand Bradley Birkenfeld a tout balancé sur UBS au fisc américain en 2012, j’ai pensé qu’il valait mieux penser à une reconversion ou j’allais finir par vendre des pizzas et des hotdogs.» Marc Wagner investit alors 60 000 francs pour acheter son premier drone. Il espère aujourd’hui, avec sa société Swiss Aero Prod, passer à la vitesse supérieure. Celle qui lui permettrait de diffuser des événements sportifs en direct comme du biathlon ou de la voile (le sport indoor étant exclu pour des raisons de sécurité). Chaque drone sera équipé pour 150 000 francs de matériel.

EDDY MOTTAZ

Le sport à 150 mètres de hauteur

Marc Wagner a gardé son cabinet, où trône un drone de 25 kilos destiné à diffuser des compétitions de biathlon ou de voile. GENÈVE, 26 MAI 2015

«Une incroyable simplicité»

Sébastien Moret est cameraman indépendant. Les drones sont devenus depuis peu indispensables à son activité. GENEVE, 25 MAI.2015

législations changent beaucoup d’un pays à l’autre. C’est compliqué à gérer. En Suisse, le cadre est plutôt libéral. Ce n’est pas de la passivité de la part des autorités mais une vraie volonté de promouvoir cette nouvelle industrie. Le montage n’est, lui, pas très compliqué. Tout peut être acheté séparément. C’est un peu comme des Lego», explique-t-il devant l’incrédulité du journaliste. Le projet futuriste de Marc Wagner fait en effet encore lever quelques sourcils. «Au début, mes amis avocats se moquaient de moi. Ils me prenaient pour un illuminé. Mais l’intérêt de l’Union européenne de radio-télévision (UER) a changé la donne.» L’autonomie des drones,

«Avant, il fallait mobiliser une grue ou monter dans un hélicoptère pour réaliser ce type d’images, explique ce cameraman qui travaille dans le milieu depuis 1993. L’appareil devait repasser deux ou trois fois pour avoir le bon plan. C’était en fait le pilote qui réalisait 90% du cadrage. Avec les drones c’est devenu d’une simplicité incroyable.» Et un peu plus sûr également pour les professionnels. Sébastien Moret se souvient d’un crash d’hélicoptère qui a bien failli lui coûter cher. L’appareil avait dû se poser en catastrophe en montagne après l’explosion d’une antenne dans la cabine. Au début, Sébastien Moret n’était pourtant pas convaincu par les drones. Il y a un an, il tente l’expérience

mais est déçu par la qualité des images. Des déchets liés aux vibrations de l’appareil ou au reflet du soleil sur les pales nuisent en effet aux séquences. Le cameraman a également du mal à communiquer avec celui qui pilotait son drone. «Beaucoup de passionnés de modélisme ou d’aéronautique se sont mis à tourner des images en se disant peut-être qu’il y avait de l’argent à se faire. La collaboration s’est avérée compliquée. Ils étaient plus concentrés sur les prouesses de l’appareil que sur la réalisation des séquences. C’est une question de sensibilité.» Mais les nouveaux appareils se révèlent plus simples à piloter. Sébastien Moret s’en rend compte en testant le «Phantom II» d’un col-

environ 15 minutes, est le grand défi pour le direct. L’entrepreneur prévoit de faire fonctionner deux appareils en alternance et quelques dizaines de batteries. Il a déjà investi 30 000 francs dans un émetteur pour garantir un signal sans interruption. Le coût total de l’opération devrait se monter à un million de francs pour la première saison sportive. Marc Wagner a toujours été dans le droit mais explique sa reconversion par ses premiers hobbys: «Quand j’étais gosse, j’avais une voiture Tamiya. Adolescent, je montais moi-même mon ordinateur. C’est peut-être cela qui m’a permis de me projeter dans d’autres métiers.» A. B. C.

lègue. «Je viens d’un métier où les caméras pouvaient coûter 120 000 francs et il n’y avait qu’un seul modèle. Les progrès technologiques ont été phénoménaux. Maintenant, on peut avoir une excellente qualité pour un prix abordable. Pour les drones, on saura si c’est rentable uniquement après avoir pu évaluer le coût de la casse.» Sébastien Moret se lance donc dans le drone, conscient qu’il est devenu un accessoire standard dans le milieu. «C’est comme pour la steadicam à sa sortie. Tous les films doivent maintenant avoir leur plan en drone. Mais cela doit rester une manière de diversifier les prises de vues. Je veux continuer à faire mon métier.» A. B. C.