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conseiller du président Ronald Rea- gan, écrit ainsi dans le New York Post que les gais ont «déclaré la guerre à la nature, et la nature exerce maintenant.
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Des artistes décimés. Des malades traités comme des lépreux. Des millions de vies stoppées net. Retour sur le fléau qui a changé à jamais le visage de notre société. TEXTE: Nicolas Langelier ET MARTINA DJOGO

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rente millions de morts: c’est l’effroyable bilan de la pandémie de sida depuis 1981. Trente millions de morts, c’est cinq Shoah, dix mille 11 septembre. Durant les pires années de l’épidémie, entre 1985 et 1995, le sida ressemblait à la peste ou à une guerre civile tellement il faisait de victimes, raconte le Dr Réjean Thomas, un des fondateurs de la clinique médicale L’Actuel, à Montréal. «Sexe = mort», apprenions-nous à l’époque, et c’est le genre de message qu’on n’oublie pas… Aujourd’hui, le sida ne signe plus un arrêt de mort à brève échéance, du moins en Occident. De découverte scientifique en découverte scientifique, on est arrivé à mieux soigner la maladie, et les personnes infectées par le VIH peuvent désormais vivre de nombreuses années. En 2008, un groupe de scientifiques suisses est même arrivé à cette étonnante conclusion: les couples dont h

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photo, michel cloutier. mise en beauté, Sarah Leflochmoen (gloss artistes) avec les produits tresemmé et guerlain.

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Alexandra de Kiewit 32 ans, montréal séropositive depuis 2005

«Étrangement, le VIH m’a sauvé la vie. Quand j’ai appris que j’étais séropositive, j’étais plongée dans la drogue et la prostitution. À ce rythme, je crois que je n’aurais pas survécu très longtemps. Mais après avoir reçu le diagnostic, j’ai tout arrêté et je me suis prise en main. Au début, j’ai cru que ma vie sexuelle était finie, mais ce n’est pas le cas. J’informe dès le départ mes partenaires que je suis séropositive – je ne pourrais pas me regarder dans le miroir si je ne le faisais pas. Je n’ai jamais essuyé de refus; les gens ont moins peur qu’avant. Ma charge virale est maintenant indétectable, alors qu’au moment de mon diagnostic, j’étais sur le point de développer le sida. À part les trois pilules que je dois prendre chaque jour, je me sens parfaitement normale. Je dois avoir un ange gardien! J’essaie d’en profiter pour aider les autres. Ainsi, je m’implique beaucoup auprès de L’injecteur, un journal destiné aux utilisateurs de drogues par injection. Je veux être une agente de changement, un exemple positif.»

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La rÉsistanCE gaiE Pour les homosexuels, le sida aura été une tragédie à la fois collective et personnelle. Comme le rappelle le Dr réjean thomas, «tous les gais ont été affectés par le sida. J’ai perdu un associé, deux collègues médecins, mon meilleur ami... On devait tout le temps affronter la mort.» Mais l’épidémie aura aussi favorisé un certain rapprochement entre les membres de la communauté. et après la stigmatisation des premiers temps, le sida a semblé mener à une plus grande acceptation sociale de l’homosexualité. «sans le sida et le militantisme qui l’a entouré, demandait un journaliste de Newsweek en 2006, le mariage entre conjoints de même sexe serait-il même discuté aujourd’hui? Pourrions-nous accueillir Will & Grace dans notre salon et pleurer devant Brokeback Mountain?» Bonne question... NICOLAs LANGeLIer

Rallye contre le sida à Washington, en 1987. La communauté gaie a été particulièrement affectée par l’épidémie.

l’un des partenaires est séropositif peuvent faire l’amour sans condom, et SANS RISQUE de transmission du virus. À certaines conditions, bien sûr, dont le fait que la charge virale – la quantité de VIH contenue dans l’organisme – de la personne séropositive soit indétectable. Incroyable, non? Sauf qu’il est faux de croire qu’on a triomphé de l’épidémie. Le sida a beau être considéré aujourd’hui comme une maladie chronique, c’est une maladie dont personne ne guérit vraiment...

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Les débuts du fLéau Replonger dans les journaux datant des premiers temps de l’épidémie et dans les souvenirs de ceux qui les ont vécus, c’est revenir à des annéeslumière en arrière. Fin des années 1970, par exemple: le Dr Denis Phaneuf, alors jeune microbiologiste à l’HôtelDieu de Montréal, voit arriver des patients aux symptômes étranges: pneumonies rares, sarcomes de Kaposi (un cancer de la peau qui ne frappait auparavant que les personnes âgées), pertes de poids inexplicables. «On s’arrachait

les cheveux à essayer de comprendre ce qui se passait», raconte le Dr Phaneuf, qui est encore rattaché à l’Unité hospitalière de recherche, d’enseignement et de soins sur le sida de l’HôtelDieu. «En fait, beaucoup de médecins avaient vu passer des cas de sida au cours des années précédentes, sans savoir ce que c’était.» Les gens l’ignorent encore, mais le virus d’immunodéficience humaine (VIH), mutation d’un microbe venu des singes par la chaîne alimentaire, se transmet par le sang et les rapports sexuels depuis plusieurs décennies déjà. Plus tard, une théorie avancera même que des humains contractaient le VIH dès la fin du 19e siècle. En somme, à la fin des années 1970, c’est l’épidémie qui constitue un phénomène nouveau, pas le virus. Enfin, en juin 1981, il y a 30 ans exactement, les médecins comprennent qu’ils sont en face d’un syndrome jusque-là inconnu: une maladie qui détruit le système immunitaire et le rend vulnérable aux infections les plus simples. C’est l’anniversaire de cette découverte qu’on marque ce mois-ci. Il faudra deux années de plus à l’équipe du chercheur français Luc Montagnier pour identifier le virus du sida.

Les nouveaux Lépreux Les hommes homosexuels sont le premier groupe atteint: au début des années 1980, ils représentent plus de 75 % des cas (voir encadré). Les victimes ont toutes en commun «une grande promiscuité sexuelle», rapporte un article de Time Magazine en 1982, «plus de 500 partenaires dans certains cas». Les médias ne tardent donc pas à parler de «cancer gai» ou de «peste gaie», comme le fait un article du Devoir en juillet 1982. On sait encore mal comment la maladie se transmet, mais dans le doute, évictions, congédiements et traitements abusifs se multiplient. h

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L’AfriQUE, Un ContinEnt QUi sE BAt Aux États-Unis, des pompiers refusent de donner le bouche-à-bouche à des homosexuels. La droite religieuse va même jusqu’à les tenir responsables de leur sort. Pat Buchanan, conseiller du président Ronald Reagan, écrit ainsi dans le New York Post que les gais ont «déclaré la guerre à la nature, et la nature exerce maintenant sa terrible vengeance». Pour les hommes gais, et bientôt pour les hétéros, le sida met fin à des années de liberté sexuelle sans arrière-pensée. Du côté des Haïtiens aussi, la discrimination se répand. En 1983, au Québec, 26 cas d’infection au VIH sont répertoriés. Sur les 26 personnes atteintes, 17 sont d’origine haïtienne (on sait aujourd’hui que le virus a

en 2003, Nelson Mandela comparait le sida à un génocide. Il n’avait pas tort. Chaque année, faute de soins, de ressources et d’éducation, ce sont plus d’un million d’Africains qui meurent de cette maladie. Il faut dire que le continent noir abrite à lui seul 70 % des cas de sida de la planète ainsi que 90 % des femmes et des enfants séropositifs. La bonne nouvelle? Comme quasiment partout dans le monde, le VIH perd du terrain en Afrique sub-saharienne, nous apprend le rapport 2010 du Programme commun des Nations unies sur le VIH-sida (ONusIDA). Ainsi, le nombre de Deux femmes séropositives posent courageusement pour une campagne de sensibilisation (Treatment Action décès liés au redoutable Campaign), dont le but est de réduire la stigmatisation virus a reculé de 20 % liée au sida. Le Cap, Afrique du Sud, 2010. entre 2004 et 2009, et on compte près d’un million de personnes supplémentaires sous traitement. De plus, on observe que les femmes africaines sont en train de changer. elles sont mieux soignées que les hommes, qui ont encore honte de la maladie. Du coup, elles sont de plus en plus nombreuses à survivre malgré l’infection. une bonne raison d’avoir de l’espoir. KeNZA BeNNIs

entre 1990 e

mortalité no96, le sida est la Cause de 1 Chez les jeun t 19

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u QuébeC.

Ici et ailleurs, les autorités tardent à réagir à ce virus politiquement explosif. Alors que des millions de morts pourraient être évitées, aucune campagne de prévention n’est mise sur pied. La réaction gouvernementale frise l’indifférence: aux États-Unis, le président Reagan attendra jusqu’en 1987 pour donner sa première conférence de presse au sujet de l’épidémie. Plus de 20 000 Américains en sont alors déjà morts. «Après tout, c’était une maladie qui touchait les marginaux, les exclus», se souvient le Dr Thomas. Et puis parler du sida, ça signifiait aussi – et surtout – parler de ce que des hommes et des femmes (et, pire encore, des hommes et des hom-

mes) faisaient dans leur chambre à coucher. Parler de sida, c’était parler de sexe, et les politiciens ont tendance à être mal à l’aise avec le sexe...

Changement de mentalités Après le choc, la société civile commence à s’organiser pour défendre les malades. Dès 1984, par exemple, naît l’Association des ressources montréalaises sur le sida, laquelle se fixe notamment l’objectif de calmer la panique qui gagne la communauté gaie. La recherche s’active. «Très tôt, les conférences scientifiques ont été envahies par les patients, qui ont demandé des comptes aux chercheurs et aux autorités, rappelle le Dr Phaneuf, de l’Hôtel-Dieu. h

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probablement migré de l’Afrique vers Haïti, pour atteindre ensuite le reste de l’Amérique du Nord). Un article du Journal de Montréal ne tarde pas à évoquer le «cancer des Haïtiens», une «maladie rare qui attaquait surtout les homosexuels et les drogués, mais qui s’attaque depuis un certain temps aux réfugiés haïtiens». Dans la population, on se met donc à associer Haïtiens et sida, et on va même jusqu’à dire que ce sont eux qui introduisent la maladie au pays. «Les gens nous traitaient comme des lépreux», se souvient Marie-Luce Ambroise, infirmière d’origine haïtienne. Son frère, qui s’était rendu à l’Hôpital Charles-Lemoyne à Greenfield Park pour un problème à l’oreille, a ainsi semé la panique parmi le personnel, qui a sorti gants, masques, habits de protection...

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1. L’acteur Rock Hudson, trois mois avant son décès, en octobre 1985. 2. Le chanteur Elton John au chevet de Ryan White mourant, en avril 1990. 3. Ryan White à l’école secondaire de Hamilton Heights, où sa maladie a été totalement acceptée. Janvier 1987. 4. Magic Johnson, des LA Lakers, durant un match en janvier 1991.

Ça a forcé nos politiciens à agir.» La mission la plus urgente est d’informer les gens afin qu’ils changent leurs habitudes sexuelles. À partir de 1985, on annonce officiellement que le condom prévient la transmission du VIH. Commencent alors d’innombrables campagnes de sensibilisation pour convaincre les gens de l’utiliser. Malgré tout, c’est la période la plus sombre de l’épidémie. Dans sa clinique, Réjean Thomas voit les choses s’aggraver. «Du jour au lendemain, on a été pris dans un tourbillon. Le sida est devenu la première cause de mortalité chez les hommes de 25 à 45 ans au centre-ville de Montréal. C’était comme une guerre civile. On avait un peu d’AZT [NDLR: le premier médicament antirétroviral utilisé pour le traitement de l’infection par le VIH], mais ça ne fonctionnait pas vraiment. On ne pouvait pas faire grand-chose – on devait se contenter de donner des soins palliatifs aux patients, au fond.»

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En 1985, le public apprend que Rock Hudson, l’acteur de la vieille école qui donnait la réplique à Doris Day, est gai et souffre du sida. Soudain, la maladie a un visage humain, un visage aimé. Et puis, en 1991, le basketteur étoile Magic Johnson annonce qu’il est séropositif lui aussi, et l’onde de choc traverse la société au complet. Johnson est hétéro, riche, d’apparence saine. «Ça a fait comprendre à tout le monde que le sida, ce n’était pas juste une histoire d’homosexuels», résume le Dr Thomas. Le destin tragique de Ryan White, un adolescent de l’Indiana, contribuera lui aussi à faire évoluer les mentalités. À 13 ans, Ryan, qui souffre d’hémophilie, contracte le VIH en se faisant transfuser du sang contaminé. Lorsque son diagnostic devient connu, les parents d’élèves et les professeurs signent une pétition pour le faire renvoyer de l’école. Au cours du peu d’années qui lui restent, Ryan White devient un symbole national de la discrimination h

ap images (r. hudson); getty images (e. john, r. white et m. johnson).

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LE sida Et LEs fEmmEs Les femmes n’ont pas été épargnées par la pandémie, loin de là. il faut dire qu’elles sont biologiquement plus vulnérables à l’infection que les hommes: durant les rapports sexuels, leurs muqueuses sont davantage exposées au virus. Heureusement, au Québec, en 2009, elles ne recevaient que 16 % des nouveaux diagnostics de ViH. Cela dit, vivre avec la séropositivité, même dans une société développée telle que la nôtre, reste un tabou, un boulet qu’on traîne avec soi à tous les instants. «Beaucoup de femmes atteintes sont démunies, raconte Nadia millette, coordonnatrice du Centre d’action sida montréal, un organisme qui vient en aide aux femmes séropositives. À cause de la médication et des effets secondaires, elles sont souvent dans l’impossibilité de travailler et doivent dépendre de l’aide sociale.» suivre la trithérapie, en effet, a longtemps été plus difficile pour les femmes que pour les hommes: testés sur des sujets masculins, les médicaments étaient trop forts, mal adaptés à la physiologie féminine. aujourd’hui, ils sont mieux calibrés et mieux tolérés. Les femmes enceintes qui prennent fidèlement leur cocktail de pilules ne risquent plus de transmettre le ViH à leur bébé. Que reste-t-il à faire? Combattre les préjugés, essentiellement. Dévoiler leur séropositivité reste très difficile pour les femmes, surtout quand elles ont des enfants à l’école, croit mme millette. il y a aussi la question du milieu professionnel. «Certaines révèlent leur état à leur employeur, mais ça dépend du lien de confiance qu’elles ont établi avec lui. L’une de nos clientes a récemment vécu du harcèlement au travail parce qu’on avait appris qu’elle souffrait de la maladie. Je crois que ses collègues ont réagi ainsi par simple manque d’éducation. Étant donné que les personnes séropositives vivent beaucoup plus longtemps qu’avant, les médias parlent moins de la maladie. et les gens y pensent moins…» maRtiNa DJOgO

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Le miracLe de 1996 En 1996 arrive un nouveau traitement qui va tout changer: la trithérapie antirétrovirale. René Légaré, coordonnateur des communications pour la Coalition des organismes québécois de lutte contre le sida, qualifie cet avènement de «miracle de 1996». Un Montréalais, le Dr Mark Wainberg, joue un rôle fondamental dans la découverte du 3TC, l’un des antirétroviraux les plus efficaces à ce jour.

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Pris en combinaison avec d’autres médicaments, les antirétroviraux comme le 3TC permettent d’améliorer et de prolonger la vie des malades: si on réagit bien aux traitements, on peut maintenant vivre 20, 30, 40 ans avec le VIH. Cependant, les effets secondaires des médicaments restent importants:

nausées, maux de tête, étourdissements, visage émacié et corps déformé (conséquences de la lipodystrophie)... Plus tard, on découvre que les séropositifs suivant une trithérapie courraient un risque trois fois plus élevé que la population en généh ral de souffrir d’un cancer.

18 000 personnes

vivent avec Le vih aU QUébec aUjoUrd’hUi.

getty images

que subissent les personnes infectées, un porte-parole poignant qui amène Elton John et Michael Jackson à se joindre à son combat. Il meurt à 19 ans, quelques mois avant son bal de fin d’année.

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N’empêche. Avec ce traitement, on entre enfin dans une ère où le sida peut être maîtrisé. À la peur, au désespoir, à la colère et à la mort, qui ont marqué la première phase de l’épidémie, succède une autre perception: le sida est désormais vu comme une maladie chronique. Mais de meilleurs traitements et quelques décennies de sensibilisation n’ont pas empêché le virus de continuer à se répandre partout dans le monde (voir encadré p.122). Si les mentalités ont beaucoup changé depuis les années 1980, les préjugés subsistent. Aujourd’hui, il reste difficile pour les personnes séropositives de dévoiler leur état à leur entourage, croit René Légaré, de la COCQSIDA, notamment parce que la discrimination en milieu de travail persiste. Il souligne aussi que, depuis un arrêt de la Cour suprême datant de 1998, les poursuites judiciaires contre les personnes séropositives par leurs ex-partenaires sexuels se sont multi-

pliées. Le Dr Réjean Thomas remarque lui aussi que la discrimination continue. «Quelqu’un qui est atteint du cancer va être entouré, recevoir des fleurs. Quelqu’un qui a le sida va être seul à l’hôpital. C’est la grande différence entre le sida et les autres maladies graves: la solitude.» Il aborde aussi le sujet des fonds consacrés au VIH-sida: «La grippe A (H1N1), c’est 200 millions de dollars dépensés en six mois. Le VIH et les autres ITS, c’est 25 millions de dollars par an. Et le budget est le même depuis 25 ans!» En outre, le succès de la trithérapie a eu un effet néfaste sur notre vigilance quant au VIH-sida et aux ITS en général. Réjean Thomas et René Légaré parlent même de banalisation de la maladie. C’est le grand paradoxe de la lutte contre le sida: les succès scientifiques ont éteint le sentiment d’urgence qui régnait avant 1996. Ceux qui sont en contact avec les jeunes sont ainsi frappés de voir à quel point ces der-

% dEs

Dernière campagne de sensibilisation de la COCQ-Sida, déployée sur des affiches en décembre 2010 et en janvier 2011.

niers sont peu conscients des risques. Anthony Mitropoulos, enseignant au Collège LaSalle, à Montréal, et adjoint mode au ELLE QUÉBEC, observe une grande différence entre la génération de ses étudiants et la sienne, marquée par la vigilance des années 1980 et 1990: «Les jeunes d’aujourd’hui expérimentent beaucoup sur le plan sexuel, mais sans être informés des risques. C’est comme la différence entre les gens qui sont allés à la guerre et ceux qui en ont juste entendu parler. Les jeunes n’ont pas conscience du fait que le sida, c’est vraiment arrivé et ça arrive encore.» Résultat: une explosion des cas de chlamydia, de gonorrhée et de syphilis entre 2005 et 2009, d’après les dernières statistiques. Le VIH connaîtra-t-il lui aussi cette croissance en flèche? Note: les chiffres qui apparaissent dans les encadrés datent de 2009, année la plus récente pour laquelle on dispose de données complètes.

35 millions dE pErsonnEs vivEnt avEc lE

vih dans lE mondE. il n’ExistE toujours pas dE vaccin EfficacE contrE cEttE maladiE. 128 ELLE QUÉBEC Juin 2011

s ciété Marie Pier Genois-Gélinas 30 ans, fille de Jacques Gélinas

«J’avais 14 ans quand papa nous a appris qu’il était séropositif. J’ai tout de suite pensé qu’il allait mourir. Ma mère et lui m’ont rassurée de leur mieux, mais j’ai quand même vécu des années de tristesse. Et puis, j’avais peur des complications. Il faut se souvenir qu’à l’époque les gens mouraient encore du sida. La maladie n’a pas changé nos habitudes quotidiennes, à part pour les blessures... Je me souviens d’une fois où je suis tombée de vélo: je saignais, et mon père n’a pas voulu me soigner. Mais pour le reste, on n’a pas peur de la transmission. On sait qu’il est impossible d’être contaminé par un bec sur la bouche, un siège de toilettes… Papa et moi, on boit parfois dans le même verre. l’une d’elles se blesse, mon père ne prendra pas de risques, mais pour le reste, il n’y a pas d’inquiétudes. Les craintes que j’ai pour lui aujourd’hui sont liées à son vieillissement en général plus qu’au VIH. Je me sens comme n’importe quel enfant qui voit son père avancer en âge...»

Jacques Gélinas

66 ans, victoriaville, séropositif depuis 1992 «Je suis devenu séropositif à la suite d’un rapport sexuel avec quelqu’un qui n’était pas ma conjointe. Même si nous formions un couple ouvert, le choc a été brutal pour ma compagne. Quant à moi, j’ai vécu deux années d’enfer: insomnie, dépression, peur de mourir trop tôt... J’ai attendu d’avoir retrouvé un certain équilibre avant d’annoncer mon état à mes trois enfants. En fait, le dévoilement de ma maladie a été un long processus, qui s’est terminé seulement en 2007. J’ai été épargné par la discrimination, mais je sais qu’elle est encore très présente. C’est que beaucoup de gens ont gardé l’image du sida d’avant la trithérapie... Heureusement pour moi, je fais partie d’une minorité: le VIH ne m’a jamais rendu malade, et ma charge virale est aujourd’hui indétectable. Maintenant, près de 20 ans après avoir reçu le diagnostic, je suis à la retraite, mais c’est une retraite active: je fais beaucoup de bénévolat. Mon seul souci lié au VIH est qu’il n’y a pas de médecin spécialisé ici, à Victoriaville. Qu’est-ce que je ferai quand je ne pourrai plus me rendre à Montréal pour mes traitements?»

photo, michel cloutier. mise en beauté, Sarah Leflochmoen (gloss artistes) avec les produits tresemmé et guerlain.

Même chose avec mes deux filles: si

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les visages familiers du sida

Le sida a profondément affecté la société en général et les arts en particulier. Chronique des gens et des œuvres qui resteront à jamais dans notre mémoire. TEXTE: VÉRONIQUE ALARIE

n Freddie Mercury, le chanteur

de Queen, succombe à la maladie en 1991. Il a longtemps nié être atteint du VIH. Or, la veille de son décès, il révèle finalement sa séropositivité par voie de communiqué – espérant ainsi sensibiliser la population à l’importance d’avoir des relations sexuelles protégées. L’acte a tant ému par sa bravoure qu’à ce jour, il demeure l’un des événements ayant le plus contribué à changer notre perception de la maladie. n Créée en 1993, la pièce Angels in America, de Tony

Kushner, aborde avec humanité la marginalisation des gais séropositifs dans les années 1980. Preuve qu’elle demeure pertinente: elle a été adaptée à la télé américaine en 2003 et obtenait encore un succès fou à New York le printemps dernier. Mary-Louise Parker et Jeffrey Wright dans Angels in America, en 2003.

n Lorsque l’inoubliable danseur

et chorégraphe Rudolf Noureev décède en 1993, on annonce qu’il a été victime de problèmes cardiaques liés à une affection grave. Dix jours plus tard, son médecin Michel Canesi révèle au quotidien français Le Figaro que la star est morte du sida. «J’accorde cette entrevue en pensant aux autres malades anonymes et ostracisés. Ils méritent de savoir que, grâce à sa combativité, Rudolf a vécu durant 14 ans avec le virus», affirme celui à qui Noureev, avant de mourir, avait tout simplement demandé de faire «ce qu’il croyait être la bonne chose». n Tom Hanks reçoit en 1994

l’Oscar du meilleur acteur pour son rôle d’avocat sidéen victime de discrimination dans le film Philadelphia. Il livre un discours de remerciement poignant: «Trop d’anges errent dans les rues du paradis. (…) Ils ont trouvé le repos, apaisés par l’étreinte chaleureuse du Créateur qui a enfin calmé leur fièvre et effacé les marques que le virus avait laissées sur leur peau.» Bruce Springsteen, lui, récolte l’Oscar de la meilleure chanson originale de film pour la magnifique Streets of Philadelphia. n En 1995, le troublant film Kids,

de Larry Clark, met en scène un adolescent séropositif qui dépucèle compulsivement les jeunes filles de son voisinage. Il illustre l’urgence de sensibiliser la nouvelle génération aux risques qu’elle court à mesure qu’elle apprivoise sa sexualité. Yakira Peguero et Leo Fitzpatrick dans Kids, en 1995.

getty images (r. hudson, e.taylor et f. mercury); corbis (r. noureev); Alamy (t. hanks et kids).

n Rock Hudson, grand gaillard dont l’allure on ne peut plus virile n’a rien à voir avec les préjugés qu’on entretient alors au sujet des gais et du VIH, meurt du sida en 1985. Sa grande amie Elizabeth Taylor, présente à son chevet quelques heures avant son décès, a déjà déclaré: «Lorsque je l’ai vu, émacié sur son lit de mort, je me suis promis que je ferais tout en mon pouvoir pour éradiquer cette monstrueuse maladie.» La star aux yeux violets a honoré sa promesse en cofondant amfAR et en mettant sur pied The Elizabeth Taylor AIDS Foundation (on dit qu’elle aura aidé à amasser plus de 100 millions de dollars pour la lutte contre le sida).

s ciété le Québec atteint n En 1991, en direct à l’émission de télévision Studio libre,

une jeune Mitsou se soumet au test de dépistage du VIH. Le but: encourager le public à en faire autant. n En 1993, Johanne Blouin conçoit, avec la complicité de

Paul Piché, de Robert Charlebois et de Daniel Bélanger, entre autres, l’album double Au nom de l’amour. Les profits des ventes servent à la lutte contre le sida. n L’opéra rock Rent, écrit par Jonathan Larson, est présenté pour la première fois en 1996. On y suit une bande d’artistes bohèmes au sein de laquelle le VIH s’est sournoisement insinué. Une œuvre majeure qui a laissé sa trace sur Broadway et qui a été adaptée au cinéma par Chris Colombus en 2005.

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La même année, l’homme d’affaires Ron Farha, âgé de

36 ans à peine, succombe à la maladie. Avant de mourir, il crée un organisme, la Fondation Farha, qui amassera plus de huit millions de dollars au fil des années pour améliorer les soins offerts aux personnes séropositives. La fondation organise toujours des marches annuelles (ÇA MARCHE) et un événement-bénéfice en collaboration avec des designers de mode québécois (Au cœur de la mode). n Le cinéma d’ici traite aussi du sida. Soulignons notamment

le documentaire Médecins de cœur (1993), de Tahani Rached, qui donne la parole aux praticiens et aux chercheurs qui se battent contre la maladie. n Le décès, en 1994, de l’harmoniciste des Colocs, Patrick

fiction Isaac Asimov, parue en 2002 avec l’assentiment de sa veuve et de sa fille, révèle que l’information divulguée lors de son décès en 1992 était fausse. Asimov n’a pas été victime de problèmes cardiaques et rénaux; il est mort du sida après avoir été infecté lors d’une transfusion sanguine en 1983. Ses médecins l’avaient dissuadé d’ébruiter les détails de son état, persuadés que l’opinion publique se tournerait contre lui.

Esposito di Napoli, ébranle son ami Dédé Fortin. Le dernier album du groupe, Dehors novembre, et la déchirante chanson titre lui sont dédiés. n En 1996, le sida prend le visage pur et innocent de la

jeune Caroline Béliveau (Julie Deslauriers) dans la série télé

Chambres en ville, écrite par Sylvie Payette. Un personnage qui bouleverse les téléspectateurs québécois et contribue à les sensibiliser. n Depuis 2008, l’organisation caritative ARTSIDA monte

chaque année un encan d’œuvres locales et internationales au profit des victimes du VIH. Une autre preuve de l’engagement inaltérable des artistes dans la cause.

n En 2011, les artistes se mobilisent toujours:

• Madonna finance des programmes d’aide aux orphelins du sida au Malawi. • Depuis sa création, la Elton John AIDS Foundation a amassé plus de 220 millions de dollars pour venir en aide aux victimes du sida de 55 pays. • L’an dernier, l’engagement de Cyndi Lauper et de Lady Gaga auprès du MAC AIDS Fund a permis de récolter 29 millions de dollars pour la cause.

Ils sont disparus aussi • L’extravagant pianiste et chanteur Liberace. • Le dramaturge Bernard-Marie Koltès (Dans la solitude des champs de coton, La nuit juste avant les forêts). • L’acteur Anthony Perkins, connu pour son interprétation de Norman Bates dans Psycho. • Le renommé philosophe Michel Foucault. • Le fulgurant peintre Keith Haring.

CPImages (rent); getty images (madonna); corbis (i. asimov, e. john, liberace et m. foucault); keystone press (k. haring).

n Une biographie de l’auteur de science-