Rita Mailloux, Infirmière de colonie - infiressources

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Garde Mailloux Infirmière de colonie De 1951-1986 Les Bergeronnes

Claire-Andrée Leclerc, inf., Ph. D. 2006 Société historique de la Côte-Nord

PRÉFACE

Visiteuse assidue de Bergeronnes depuis plusieurs années, j’ai d’abord connu garde Rita Mailloux par des contacts familiaux : elle était la marraine d’Alain Dumais, le conjoint d’une nièce importante pour moi. Quand deux infirmières se rencontrent, elles parlent métier… et je me suis rapidement rendu compte de la valeur de ces conversations au plan professionnel. « Vous n’avez jamais pensé écrire vos mémoires ? Il me semble que ce serait intéressant de vous lire. » - « Je ne peux pas écrire mes mémoires, c’est toute la population de Bergeronnes qui serait touchée par mes propos. Je n’ai pas le droit de révéler toutes ces choses qui sont arrivées et qui ne m’appartiennent pas. » Le temps passe et mes visites à Bergeronnes se font plus fréquentes après le décès accidentel d’Alain en juin 2003. Je revois régulièrement garde Mailloux et, un jour, je lui apporte un livre que je viens de terminer : l’histoire de vie d’une infirmière de la région de Montréal. À la même période, elle est invitée, aux Escoumins, à l’inauguration d’un présentoir en mémoire de l’œuvre du docteur Raymond-Marie Gagnon et de son propre service à la population. À cette occasion, plusieurs personnes insistent pour qu’elle se mette à la rédaction de sa biographie. C’est alors qu’elle me demande simplement de l’aider à écrire l’histoire de sa vie professionnelle. Ce que j’accepte avec plaisir. Nous commençons le travail par une série d’entretiens enregistrés qui reprennent l’essentiel des conversations que nous avions déjà eues. Nous parlons de son enfance, de sa formation d’infirmière et des débuts de sa carrière au dispensaire de Bergeronnes. Rapidement, il devient évident qu’il est impossible de procéder de cette manière puisque tout est confidentiel dans ce qu’elle devrait me raconter. Rita Mailloux me suggère donc d’aller rencontrer quelques personnes dont elle pense qu’elles n’auront pas d’objections à me raconter leur histoire.

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Et c’est là qu’une longue suite d’entrevues débute. J’avais pensé rencontrer seulement quelques personnes, mais à chaque visite, d’autres noms surgissent qui s’ajoutent à la liste. Chaque entrevue se déroule de la même manière : munie d’un magnétophone à cassettes, je me présente chez des gens qui ne me connaissent pas et à qui je demande de me parler de garde Rita Mailloux. Miraculeusement, tout se passe à merveille. Les hommes et les femmes que je rencontre oublient rapidement le micro placé au centre de la table et la conversation se déroule dans la plus franche cordialité. Il me semble que tous les habitants de Bergeronnes ont envie de parler de leur infirmière, et les témoignages abondent. Très souvent, l’entretien déborde les limites de mon enquête et les plus âgés, surtout, remontent dans leurs souvenirs pour me décrire leur mode de vie dans les temps plus anciens. Cette expérience est émouvante et, de plus, je commence peu à peu à connaître les liens qui unissent les différentes familles de la population. À chaque visite à Bergeronnes, j’en profite pour effectuer quelques entrevues; il s’agit de personnes seules, de couples ou même de véritables réunions de famille. Je retourne à Saint-Jean-sur-Richelieu, près de Montréal, avec plusieurs cassettes remplies de confidences. Je fais la transcription de chaque entrevue et retourne le texte à mon interlocuteur pour qu’il puisse le relire. Je ne veux surtout pas avoir mal retranscrit les propos des hommes et des femmes qui ont bien voulu me confier leurs souvenirs. À la visite suivante, je retourne même dans certaines familles pour compléter mes renseignements. Après plus d’un an de ce manège, je me retrouve avec une abondante documentation; il est temps d’écrire. Pour conserver la confidentialité à laquelle garde Mailloux tient à tout prix, nous décidons de ne pas révéler l’identité des personnes dont je rapporte les témoignages, qu’il s’agisse de récits d’incidents, d’anecdotes ou de témoignages plus généraux concernant l’infirmière. À mesure que l’écriture avance, d’autres entrevues se révèlent nécessaires : je me rends à Montréal et à Baie-Comeau et je vais rencontrer un des nombreux spécialistes de Québec dont garde Mailloux m’avait parlé pendant nos conversations. Je reçois même, par courriel, des témoignages de personnes qui ont eu vent de mon enquête. Quand je dois traiter de la fermeture du dispensaire et des circonstances qui ont entouré l’événement, je dois, de nouveau, consulter d’autres témoins, encore une fois à Montréal et à Baie-Comeau.

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De retour à Bergeronnes avec un texte quasiment terminé, je refais une tournée de certains de mes informateurs pour leur faire lire la partie du texte qui les concerne plus directement. D’autres témoignages arrivent à chaque nouvelle rencontre. Je me rends bientôt compte que la seule façon de ne plus rien ajouter à mon manuscrit est de le terminer au plus tôt. De relectures en consultations, je termine l’histoire de Rita Mailloux en ce mois de novembre 2005. Il reste une étape : il faut trouver un éditeur. Tout naturellement, le président de la Société d’histoire de la Côte-Nord, qui parraine l’aventure, suggère de m’adresser à Pierre Rambaud, un personnage bien connu de Bergeronnes. L’histoire de l’infirmière de Bergeronnes sera donc éditée par un Bergeronnais. Je voudrais remercier toutes les personnes que j’ai rencontrées au cours de cette enquête et dont les noms apparaissent au bas de ce texte. Je m’en voudrais de ne pas saluer particulièrement celles qui ont pris le temps de lire le manuscrit pour en faire la critique et la correction : Françoise GagnonJourdain, Claudette Hovington, Denise Fortin, Constance Gauthier, Geneviève Ross et bien entendu, garde Rita Mailloux. Gianna Bella a gentiment accepté d’agir à titre de conseillère linguistique et de correctrice d’épreuves. L’hospitalité des Bergeronnais est bien connue et, après ces nombreux mois passés en leur compagnie, je peux en témoigner. Claire-Andrée Frenette-Leclerc, inf., Ph.D. Saint-Jean-sur-Richelieu Novembre 2005

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Chapitre 1. PREMIERS CONTACTS AVEC BERGERONNES Nous sommes en avril 1951. Le personnel de la salle d’opération de l’Hôpital de La Malbaie se prépare pour le repas du midi. Une religieuse se présente: « Garde Mailloux, vous êtes demandée à la réception. » Trois hommes attendent la jeune infirmière. Elle reconnaît le curé Donat Gendron qu’elle a rencontré à Bergeronnes quelques semaines auparavant. Celui-ci lui présente ses compagnons : le maire de Bergeronnes, monsieur Laurent Brisson et le docteur Antoine Gagnon qui est médecin aux Escoumins, le village voisin des Bergeronnes. Les trois hommes invitent Rita Mailloux à se rendre avec eux à l’Hôtel Chamard où les épouses du maire et du médecin les attendent. À la fin du repas, le curé Gendron résume la conversation : « Garde Mailloux, nous montons à Québec, au ministère de la Santé. Nous voulons que vous veniez travailler à Bergeronnes et nous allons demander pour vous le statut « d’infirmière de colonie ». Nous reviendrons vous chercher ce soir en revenant de Québec. » Sur ce, on la ramène à l’hôpital où elle retourne travailler… Rita Mailloux vient tout juste de terminer ses études d’infirmière à l’Hôpital Sainte-Jeanne-d’Arc de Montréal et c’est en attendant d’y voir plus clair dans ses projets d’avenir qu’elle a accepté un poste à la salle d’opération de l’Hôpital de La Malbaie. Elle a devant elle deux possibilités : elle a une offre d’emploi en soins psychiatriques à l’Hôpital Ste-Jeanne-d’Arc; elle a aussi reçu de l’Hôpital Pasteur de Montréal, la promesse d’une bourse d’étude pour aller à Toronto se spécialiser en physiothérapie; un poste l’attend dans cet hôpital à son retour des études. La jeune infirmière veut donc prendre le temps de bien réfléchir avant de prendre des décisions importantes pour son avenir professionnel. Toutefois, depuis quelques semaines, Rita Mailloux sait qu’on cherche une infirmière au village de Bergeronnes, situé de l’autre côté du Saguenay, à quelques kilomètres de Tadoussac. « Pendant une soirée de fin décembre, un ami m’avait parlé du travail des infirmières dans certains villages de la CôteNord; il avait surtout parlé d’une infirmière qui travaillait au dispensaire de Sacré-Cœur. Il avait dit qu’un poste semblable était disponible au village de Bergeronnes. » Au cours de cette conversation, elle apprend que la situation est difficile dans ce village, car il n’y a ni médecin ni infirmière. La dernière infirmière qui a travaillé au dispensaire est repartie sur la Rive-Sud depuis quelques années. Jusqu’à l’année précédente, il y avait un médecin sur place, mais le docteur Antoine Gagnon est parti du village et a établi son bureau au 5

village voisin, Les Escoumins. L’hôpital le plus proche est à La Malbaie. Dans les cas graves, les malades doivent être transportés jusqu’à Québec et les routes ne sont pas faciles. Il y a donc un grand besoin d’une infirmière compétente dans le village de Bergeronnes et, selon cet homme, le poste est disponible. Rita Mailloux, intriguée par cette conversation se rend à Bergeronnes au milieu du mois de janvier. C’est une période de mauvais temps et de froid intense; elle doit faire le trajet en « snowmobile », l’ancêtre de la motoneige. Le curé de la paroisse lui fait visiter le dispensaire : abandonnés depuis plusieurs années, les locaux sont dans un état lamentable, autant du côté du bureau de l’infirmière que de celui des pièces d’habitation qui servent de « foyer » à l’infirmière résidante. Rien de bien réjouissant. Le retour à SaintSiméon, en pleine tempête, lui donne le temps de réfléchir : l’état des lieux, les conditions de route, la distance des grands centres et la perspective de se retrouver seule avec un maigre bagage d’expérience, tous ces facteurs l’amènent finalement à abandonner le projet. Son père trouve aussi que l’idée est extravagante : « Tu es trop jeune, tu manques d’expérience; ce serait une trop lourde responsabilité. Tu devrais trouver autre chose. D’ailleurs, c’est trop loin… » Garde Mailloux dit en riant : « Pour nous, les gens de Saint-Siméon, l’autre côté du Saguenay, c’était le bout du monde. Nous étions beaucoup plus portés à nous tourner vers Québec ou Montréal, qu’à nous enfoncer plus loin vers l’est. » Entre-temps, fin janvier, elle va faire un « service privé » chez une dame de La Malbaie et apprenant la présence d’une infirmière dans la ville, les religieuses de l’hôpital l’approchent pour l’inciter à prendre du service dans leur établissement. Après plusieurs appels, un peu pour qu’on la laisse tranquille, elle finit par accepter : « J’irais peut-être en chirurgie, mais juste le temps que vous trouviez une autre infirmière. » Elle est engagée sur le champ; elle travaille en salle d’opération et réside sur place pendant ses journées de service. Au cours de cette journée d’avril 1951, les trois émissaires de Bergeronnes se rendent au ministère de la Santé à Québec. Ils savent qu’il existe un programme de recrutement pour des infirmières travaillant seules dans des régions éloignées. Le concept avait été élaboré aux premiers temps de la colonisation de l’Abitibi au début des années 1930. Devant la pénurie de personnel médical, un statut particulier avait été créé pour ces femmes qui avaient à

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travailler au loin, sans beaucoup de supervision : celui d’infirmière de colonie. C’est ce statut que le ministère vient d’octroyer à Rita Mailloux à la demande des trois émissaires de Bergeronnes. Papiers en mains, ils reviennent la chercher. « Je me souviens à peine du voyage. Bien sûr, nous nous étions arrêtés à Saint-Siméon pour avertir mes parents et nous avions ensuite filé vers Tadoussac et Bergeronnes. J’avais dormi au presbytère. » Au matin, le curé Gendron l’amène de nouveau visiter le dispensaire. Tout est délabré et le mobilier est restreint; il va falloir une bonne remise à neuf. Le curé insiste : « Il faut absolument que vous acceptiez, la population a besoin de vous ! » - « J’ai entendu parler d’une infirmière, une femme d’une quarantaine d’années, qui est prête à prendre le poste. Elle pourrait l’occuper jusqu’à sa retraite… » - « C’est vous que nous avons choisie; c’est vous que nous voulons et c’est à vous que le ministère a accordé le titre. » À bout d’arguments et avec une bonne dose d’enthousiasme en poche devant le défi à relever, Rita Mailloux revient à la maison de ses parents après avoir signé le seul contrat d’engagement de toute sa carrière. Bien du chemin a été parcouru depuis son départ de Saint-Siméon quelques années auparavant, pour aller faire ses études d’infirmières à l’Hôpital Sainte-Jeanne-d’Arc de Montréal.

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Chapitre 2. ENFANCE ET FORMATION Madame Rita Mailloux, que tout le monde appelle encore Garde Mailloux en Haute-Côte-Nord, est née le 20 septembre 1926, à Saint-Siméon dans Charlevoix. Son père est propriétaire du magasin général du village et avant son mariage, sa mère était institutrice. Rita est la deuxième d’une famille de neuf enfants vivants. Noëlla, celle qui la précède dans la fratrie, est sa meilleure amie et confidente. « Les deux premières filles de mes parents sont décédées avant ma naissance. La première est morte de la grippe espagnole à l’âge de deux ans; à ce moment-là, ma mère était enceinte d’une fille qui est morte trois jours après sa naissance. Mes parents se sont alors retrouvés sans enfants… Noëlla est née en 1924 puis moi, deux ans plus tard; je suis donc la deuxième fille, mais en réalité, la quatrième enfant de mes parents. Sept enfants, quatre garçons et trois filles naîtront par la suite; un de mes petits frères était malade suite à une naissance difficile et il est mort quand il avait cinq ans. Cette période a été très difficile pour notre famille. Un autre de mes frères est décédé récemment. » Elle ajoute : « J’aimerais dire aussi qu’il y avait dans notre maisonnée trois cousins orphelins, une fille et deux garçons, qui font réellement partie de notre famille. Ils sont les neveux et la nièce de mon père. Ma tante était morte trois semaines après un accouchement; Marie-Anna avait alors 5 ans et elle avait vécu chez mes grands-parents quand mon père était encore célibataire. Le père avait ensuite refait sa vie et les enfants étaient retournés vivre avec lui. Malheureusement, à sa mort, quelques années plus tard, les jeunes se sont retrouvés sans père ni mère. Mon père avait alors repris Marie-Anna qui avait maintenant 12 ans ainsi que ses frères qui avaient 14 et 16 ans. J’avais seulement 8 mois à leur arrivée chez nous. Le plus vieux était resté moins longtemps à la maison, mais les deux autres sont partis de la maison familiale au moment de leur mariage plusieurs années plus tard. Ils sont toujours très près de nous. Marie-Anna s’est mariée autour de 21 ans; elle vivait près de chez nous et quand j’allais à l’école, j’allais la voir pour qu’elle fasse mes boudins; elle était comme une grande sœur pour moi. » Les enfants Mailloux sont choyés par leurs parents. Rita est particulièrement proche de son père, le marchand général. Très tôt, dans son enfance, elle hante le magasin, cherchant à lui donner un coup de main, à se rendre utile; une porte de communication relie la maison au magasin et les déplacements 8

sont nombreux. Adolescente, elle aide son père pour la comptabilité. Une enfance heureuse. Elle fait son cours primaire jusqu’en neuvième année au village de Saint-Siméon chez les Petites Franciscaines de Marie. Après des études secondaires au Collège Saint-Roch de Québec, dirigé par les religieuses de la Congrégation Notre-Dame, Rita est inscrite à l’Institut familial du Mont-Saint-Irénée.

L’Institut familial du Mont Saint-Irénée Situé dans le Domaine Forget, au village de Saint-Irénée dans Charlevoix, ce pensionnat est une institution prestigieuse de la région. Sous la direction des Petites franciscaines de Marie, l’école fait partie du réseau provincial des instituts familiaux dont la mission est de « préparer les jeunes filles à devenir des épouses dépareillées et des mères exemplaires ». Le domaine est la propriété de la famille du juge Forget, le père de Thérèse Forget-Casgrain. Le « château » où se situe l’école était autrefois la maison d’été de la famille; en bordure du fleuve, l’emplacement est magnifique et la vie est douce pour les élèves. Cécile Bouchard, une amie de Rita Mailloux qui vivra quelques années à Bergeronnes, se souvient de la vie au Domaine Forget. « Cette école avait été fondée par le père Alcantara Dion, un père franciscain qui arrivait d’Europe et qui voulait mettre en pratique des principes « d’éducation libre » dont il avait entendu parler là-bas. En tout, nous étions une quarantaine d’élèves. Nous étions privilégiées de fréquenter cette école, car l’endroit était extraordinaire. J’ai fréquenté l’école à partir de 1946. Dans ma classe, nous étions six ou sept au moment de la graduation. C’était extraordinaire comme atmosphère. Nous vivions vraiment dans un château et nous avions plein d’activités. Rita Mailloux était un peu plus âgée que moi. Quand je suis arrivée, elle était en troisième année et le cours était de quatre ans. Les groupes étaient assez séparés et nous n’avions pas beaucoup de contacts avec celles qui étaient plus âgées que nous. En fait, il y avait de véritables cloisons entre les différentes années d’étude. Nous ne nous connaissions pas vraiment d’une année à l’autre. Je n’ai donc pas beaucoup connu Rita à Saint-Irénée. D’abord, elle était une personne très discrète. J’avais l’impression qu’elle avait une santé faible; je la voyais comme une personne extrêmement fragile. Déjà, elle était toute menue. C’est probablement une idée que je m’étais 9

faite et elle n’avait pas été plus malade qu’une autre pendant ses études, mais c’est comme ça que je la voyais. C’était juste une question d’impression. » En plus du programme régulier de la fin du secondaire, il s’ajoute des rudiments de psychologie et de puériculture. La littérature conduit au théâtre, une activité importante dans la vie de l’école : les élèves montent et jouent des pièces de théâtre; elles organisent des spectacles de variétés. La vie artistique est aussi favorisée par des cours de musique, de peinture et d’arts appliqués comme le cuir repoussé. Elles apprennent aussi la couture, le tricot, la cuisine et le tissage, des compétences essentielles à une vie de famille bien organisée. L’atmosphère de l’établissement est d’ailleurs égayée de couleur : les élèves doivent porter un uniforme dont le modèle a été choisi par les religieuses, mais chacune décide de la couleur de ce vêtement, choix impensable dans les autres couvents de l’époque où les jeunes filles sont vêtues de gris, de noir ou de marine. Pour satisfaire aux principes de « l’éducation libre », les règlements de l’école sont très différents de ceux des autres institutions tenues par des religieuses. À « la maison joyeuse », les élèves doivent développer leur sens des responsabilités et on leur fait confiance. Par exemple, elles peuvent sortir de l’école toutes les fins de semaine, ce qui n’existe même pas dans les collèges classiques où étudient leurs frères et leurs amis. Chose rare dans les pensionnats des années 1940, elles sont libres d’assister ou non à la messe du matin. Cécile Bouchard remarque cependant : « On était libre, les sœurs ne disaient rien quand on manquait la messe, mais si on le faisait, on avait quand même droit à des regards plus noirs… » Les élèves suivent des cours sur la croissance et le développement des enfants. Selon les concepteurs du programme, les futurs bébés, enfants et adolescents de ces élèves, recevront ainsi une meilleure éducation, basée sur des connaissances modernes. Pour faciliter l’apprentissage du rôle maternel, il est de règle d’envoyer les élèves des instituts familiaux en stage dans les différentes « crèches » qui couvrent alors la province. Rita et sa sœur Noëlla effectuent donc un stage de quelques semaines à la crèche de Trois-Rivières. L’immersion dans le monde des bébés est totale : chaque élève est en charge d’un certain nombre d’enfants qui deviennent ses « protégés ». Ces enfants, il faut les laver, les habiller, les faire manger, en somme, s’occuper d’eux comme s’ils étaient à la maison. La différence, c’est que tous les vêtements sont « au commun », qu’il faut aller à la pêche dans les tiroirs pour trouver 10

des bas de même couleur et que tous les bébés commencent à hurler au même diapason dès que l’un d’eux pleure pour une raison quelconque. Les stagiaires essaient de bien prendre soin des petits et, parfois, une intervention peut avoir une influence prépondérante sur la vie de certains d’entre eux. Rita Mailloux raconte que sa sœur Noëlla était en stage avec elle. Un jour, celle-ci se rend compte qu’une des fillettes dont elle a la charge ne pleure jamais quand les autres bébés éclatent en sanglots. « Pourquoi ne pleure-telle pas ? se dit-elle. Peut-être qu’elle ne les entend pas, peut-être qu’elle est sourde. » Au congé suivant, elle achète un réveille-matin et le manque d’intérêt total de l’enfant au son du réveil confirme son impression : cette enfant est sourde; probablement deviendra-t-elle sourde-muette si elle n’est aidée. Les deux sœurs ne sauront jamais ce qu’il est advenu de l’enfant, mais elles ont au moins alerté les autorités de l’institution sur la possibilité d’un handicap. Une religieuse est en charge du groupe de stagiaires. Elle observe les jeunes filles et, au terme de leur séjour, elle fait venir Rita Mailloux à son bureau pour lui dire : « Je vous ai regardé travailler pendant ces semaines de stage et, pour moi, ce n’est pas possible que vous ne deveniez pas infirmière. Vous avez vraiment ça dans le sang. » Au sortir de l’institut familial, son diplôme supérieur d’enseignement ménager en poche, la nouvelle diplômée ne songe pas à l’enseignement. Elle songe un instant à s’inscrire à l’Université de Montréal en diététique, mais à cette époque, la nutrition est une science bien jeune et elle se demande quel métier elle pourra exercer avec un bac en sciences de la nutrition. L’époque est peu propice à une carrière de nutritionniste. Après mûre réflexion, elle demande son admission à l’École d’infirmières de l’Hôpital Sainte-Jeanne-d’Arc de Montréal. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, devenir infirmière n’est pas un vieux rêve pour la future garde. Elle avait été hospitalisée une seule fois au cours de son enfance et l’expérience n’avait pas été particulièrement déterminante. Âgée de 14 ans, elle avait dû être opérée pour l’appendicite dans un petit hôpital privé de Baie-Saint-Paul. Quand l’infirmière était venue changer son pansement, elle se rappelle l’avoir observée avec curiosité en pensant « J’aimerais bien faire cela. », mais elle avait vite oublié l’incident. En revanche, le commentaire de la religieuse de la crèche de Trois-Rivières a fait son chemin et elle veut tenter l’expérience.

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Pourquoi aller à l’Hôpital Sainte-Jeanne-d’Arc de Montréal plutôt qu’ailleurs au Québec ? Le fondateur de l’école et visiteur assidu du Domaine Forget, le père Alcantara Dion, avait déjà dirigé une élève de l’école vers cet hôpital qu’il semblait bien connaître. Rita Mailloux est acceptée dès la réception de son dossier scolaire. Elle est prête pour la grande aventure.

À l’École d’infirmières Quand Rita Mailloux arrive à Montréal, en septembre 1947, l’école d’infirmières et l’hôpital dont dépend cette école deviennent sa deuxième famille. Elle y vivra pendant trois ans, une vie recluse, faite d’étude et de travail qu’elle vivra avec intensité et bonheur. En vérité, la première année s’avère difficile. Les élèves subissent une période de probation de plusieurs mois, une période d’essai pour mettre leurs capacités et leur endurance à l’épreuve. Les cours théoriques de biologie, de pathologie, de pharmacologie et de nursing sont intéressants et c’est avec facilité que la débutante fait ses classes. Le problème réside plutôt dans son contact avec la réalité de l’hôpital. Certains malades peuvent passer des semaines et même des mois à l’hôpital avant de retourner à la maison; le traitement des contagieux est long, il y a peu d’antibiotiques et la guérison tarde souvent. Pour ces malades, il y a les bains à donner, les lits à changer, les repas à servir, les températures à prendre plusieurs fois par jour et ce travail, ce sont les étudiantes infirmières qui le font : toute une routine qui se répète chaque jour et que Rita a de la difficulté à supporter. Elle est venue à Montréal pour apprendre à soigner; elle s’impatiente devant l’omniprésence des soins d’hygiène alors qu’elle aimerait utiliser son jugement et sa dextérité au chevet des malades. Les premiers mois passent lentement et elle en vient même à remettre son orientation en question. A-t-elle bien choisi sa carrière ? Elle commence à en douter. La probation terminée, tout change et Rita Mailloux tombe enfin dans son élément. Au début de la deuxième année, la vraie vie d’infirmière commence avec les stages d’apprentissage dans les différentes spécialités. Les infirmières de l’époque travaillent 12 heures par jour, 6 jours et demi par semaine et leurs jours de congé tombent rarement les dimanches. C’est la même vie que connaissent les étudiantes-infirmières et tout le monde trouve ça normal. Même que l’après-midi, elles doivent sortir de l’hôpital et se rendre à l’école 12

pour les cours théoriques; courte pause de deux heures, avant le retour sur les étages. Quand elles travaillent de nuit, leur sommeil est coupé au milieu de l’après-midi et elles doivent se présenter, en uniforme, pour la période de cours obligatoire. Elles étudient pour leurs examens pendant leurs rares moments libres. Ce qui peut sembler une vie difficile représente le bonheur total pour Rita Mailloux. Elle fait son premier stage en obstétrique et elle y prend goût. Normalement, la présence au département de maternité dure trois mois, mais Rita a la chance de faire cinq mois de plus que le minimum demandé. Pourquoi ? Au moment où le groupe de 1947 arrive à l’École d’infirmières, les règles d’admission viennent de changer et plusieurs candidates voient leur admission retardée, car elles doivent compléter leurs études secondaires avant d’entreprendre le cours d’infirmières. Comme les étudiantes servent de personnel hospitalier, il « manque » des élèves pour les stages dont la durée est alors allongée Un heureux hasard où le malheur des unes fait le bonheur des autres : au cours de ces mois supplémentaires en obstétrique, Rita prend une expérience qui lui servira grandement dans son futur travail. En maternité, il y a bien sûr une infirmière-chef, mais le personnel est constitué d’étudiantes qui agissent comme infirmières. La graduée exerce une surveillance étroite de son « personnel », mais tous les examens, les traitements et le suivi des futures mères sont exécutés par les élèves. Rita Mailloux se rappelle : « L’infirmière-chef faisait la surveillance, mais nous, les élèves, on faisait les examens gynécologiques, la surveillance du cœur fœtal, l’évolution du col utérin et on appelait le médecin quand le bébé était prêt à naître. » L’expérience aidant, elle devient de plus en plus efficace et la graduée lui laisse bientôt le champ libre : une situation qui se solde par une surveillance minimale et un maximum de responsabilités. En ces années de baby-boom, les naissances sont nombreuses. Pendant la nuit, les médecins de garde ne sont pas toujours disponibles au moment voulu et il faut parfois répondre à l’urgence… de recevoir un bébé trop pressé. À plusieurs reprises, « garde » Mailloux procède elle-même à l’accouchement d’une patiente à la place du médecin. Elle adore travailler en maternité : elle observe tout ce qu’il se passe autour d’elle; elle s’intéresse à ce qui sort de la routine, elle pose des questions, elle réfléchit et s’aventure même à dialoguer avec les accoucheurs. Les conversations sont plus faciles en l’absence de l’infirmière-chef, car les étudiantes ne sont pas encouragées à prendre trop de place auprès des médecins. Elle acquiert une confortable expérience dont 13

elle se souviendra quand il lui faudra décider si elle veut prendre le poste d’infirmière de Bergeronnes. Pendant ses stages auprès des malades en médecine et en chirurgie, Rita essaie d’apprendre tout ce qu’elle peut. Elle questionne ses malades, elle les examine pendant qu’elle donne les soins, elle tente de comprendre de quoi ils souffrent et le pourquoi des traitements qu’elle applique. Elle acquiert une bonne connaissance des médicaments dont l’éventail est plutôt restreint à l’époque. Et surtout, elle s’intéresse à ses malades; elle apprend à les écouter, à pousser la recherche au-delà des apparences. Techniquement, elle a l’occasion de pratiquer l’ensemble des techniques qui existent et devient bientôt très efficace auprès des malades. Elle se sent de plus en plus à l’aise dans son métier et elle se sent aimée de ses malades. Comme toutes ses compagnes, elle fait un long stage à la salle d’opération. « J’aimais tellement ça que je me privais de manger pour assister à une opération. » Elle apprend les rudiments du travail de l’infirmière en chirurgie. Elle observe d’abord l’infirmière graduée qui assiste le chirurgien; elle apprend à utiliser les techniques de brossage des mains qui permettent d’approcher la table d’opération; elle réagit rapidement et efficacement quand il faut aller chercher un instrument quelconque dans une autre salle; en somme, elle devient une assistante efficace pour l’infirmière principale, celle qui fait partie de l’équipe entourant la table d’opération. C’est ensuite son tour d’approcher de la table d’opération. En quelques semaines, elle devient une infirmière principale efficace. Elle demande une supervision minimale et on peut, sans craindre les bévues, la laisser prendre sa place dans l’équipe. Elle se souvient de l’atmosphère qui prévalait en salle d’opération. « Les chirurgiens exerçaient une grande autorité sur le bloc opératoire. Même avec les internes et les résidents qui étaient leurs futurs confrères, ils agissaient souvent de façon très autoritaire et parfois, un peu condescendante. Je me souviens, entre autres, du chef du service de chirurgie. C’était tout juste s’il permettait à ses étudiants de « tenir les écarteurs » pendant une opération et jamais, au grand jamais, ceux-ci ne devaient poser de questions pendant qu’ils assistaient le patron. C’était un milieu très hiérarchisé. » Toutefois, quand plusieurs opérations ont lieu en même temps, il arrive que les internes soient répartis dans différentes salles et que les infirmières doivent jouer le rôle d’assistante. « Après quelque temps, les chirurgiens nous 14

connaissaient et la confiance s’installait. » À plusieurs reprises, Rita Mailloux assiste le chef de service et bientôt celui-ci demande régulièrement à la religieuse responsable de la salle d’opération si l’étudiante Mailloux est disponible. « C’était tout un honneur. Après quelque temps, il avait commencé à me poser des questions, à m’expliquer ce qu’il faisait. Il disait par exemple : « Tiens, place ta main là; tu vas toucher à l’ovaire » ou bien « Regarde ce trou dans l’estomac! C’est un ulcère perforé. Regarde le liquide qui a coulé dans le péritoine » C’est certain que je me serais privée de nourriture pour avoir de telles occasions d’apprendre. » En revanche, c’est en travaillant à la salle des urgences qu’elle se familiarise avec les soins immédiats aux blessés. Garde Mailloux travaille régulièrement dans la salle de chirurgie pour les plaies légères. Une nuit, alors qu’elle est en service, elle assiste un jeune médecin qui doit « recoudre » une longue plaie superficielle qui s’étend du thorax au milieu du bras. Le blessé somnole et cuve son vin; tout est calme, c’est le milieu de la nuit. « Je vais bien en avoir pour une heure à faire tous ces points. Tu vas me donner un coup de main. » Il montre à l’étudiante comment rapprocher les lèvres de la plaie, comment passer l’aiguille et le fil de suture à travers la peau et surtout, comment faire les nœuds pour que le tout soit solide. Un peu hésitante au début, elle se rend compte qu’elle se débrouille très bien. Un nouvel acquis à son bagage. Les stages se succèdent : elle passe plusieurs mois au département des enfants et complète son stage à l’Hôpital Sainte-Justine. Elle avait déjà pris soin des bébés pendant son séjour à la pouponnière; elle apprend maintenant à soigner les enfants malades. Elle est de son époque et ne s’offusque pas vraiment que les parents ne puissent voir leur enfant qu’aux heures de visite; c’est lorsqu’elle se rendra au domicile de ses malades à Bergeronnes qu’elle prendra conscience de la dureté de ce règlement et des conséquences que la coupure d’avec leur mère peut avoir pour les très jeunes enfants. Son dernier stage, elle le fait à l’Hôpital Pasteur de Montréal, là où l’on soigne les malades contagieux. Elle commence son stage dans les grandes salles où sont regroupés les enfants souffrant de coqueluche ou d’autres maladies infantiles. Les enfants sont isolés les uns des autres. Les infirmières qui passent entre les rangées de lits sont revêtues d’une blouse qui couvre entièrement leur uniforme; elles doivent porter un masque et des gants pour ne pas transporter les microbes d’un lit à l’autre. Les techniques de prévention sont efficaces, les enfants ne se contaminent pas entre eux, mais on imagine 15

facilement le traumatisme de ces enfants qui peuvent rester plusieurs semaines dans un lit sans permission de mettre le pied à terre et sans contact physique avec d’autres adultes ou enfants. L’étudiante Mailloux est rapidement affectée au département de poliomyélite. Ce n’est pas une année d’épidémie et pendant son séjour, un seul enfant est confiné au poumon d’acier qui lui permet de respirer malgré la paralysie. Les autres enfants souffrent surtout des problèmes musculaires aux membres inférieurs. Elle s’intéresse particulièrement aux traitements qui conduisent à la réhabilitation. Jusqu’à la fin des années 1950, ce sont les infirmières qui administrent la plupart des soins en physiothérapie; ce sont elles qui s’occupent des traitements respiratoires et qui aident les malades à reprendre leurs activités normales. En effet, les professions paramédicales n’ont pas encore pris leur essor et il faudra attendre la fin des années 1960 pour que les physiothérapeutes, les inhalothérapeutes et les ergothérapeutes arrivent en masse dans les hôpitaux. Il y a très peu de physiothérapeutes francophones au Québec : il faut s’inscrire à Toronto pour recevoir la formation universitaire et les cours se donnent en anglais. Inutile de dire qu’il y a des problèmes de langage pour communiquer avec les enfants malades. Pendant son stage, Rita Mailloux met toute son énergie pour aider ces enfants à améliorer leur force musculaire et leur capacité de mouvement. Elle les soutient, elle les encourage, elle les motive à vaincre leurs faiblesses pour réapprendre à marcher. Le directeur de l’hôpital l’observe discrètement pendant les quelques semaines que dure ce stage. Au moment de l’examen de fin de stage, il lui pose des questions difficiles, il cherche à connaître ses limites tant au plan des connaissances qu’à celui de la résistance au stress. Après lui avoir annoncé qu’elle a passé l’examen avec une excellente note, il l’invite à rester dans son bureau, car l’hôpital a une proposition à lui faire. Il sait que Rita termine son cours d’infirmière et qu’elle devra bientôt prendre une décision pour orienter sa carrière future. En accord avec la directrice des soins infirmiers, il lui offre de se rendre à Toronto pour suivre le cours de physiothérapeute. Il est prêt à financer ses études, à la condition qu’elle revienne à l’Hôpital Pasteur pour y travailler pendant quelques années. À l’époque, ce mode d’échange de paiement des frais de scolarité contre une période déterminée de remise de temps est beaucoup utilisé à cause de la pénurie de personnel spécialisé. Rita Mailloux ne parle pas l’anglais, mais cela ne semble pas constituer un gros problème : on lui fait confiance, elle apprendra vite à se débrouiller. C’est une offre extrêmement intéressante et Rita y est sensible. 16

De retour à l’École d’infirmières, à Sainte-Jeanne-d’Arc, elle fait ses préparatifs de départ. Son cours est terminé et elle évalue les possibilités qui s’offrent à elle. Elle est attirée par les soins en psychiatrie et elle réfléchit à la possibilité de faire carrière dans ce domaine. Les religieuses de SainteJeanne-d’Arc lui proposent un poste qui serait en continuité avec ce qu’elle fait depuis maintenant trois ans. Elle connaît le personnel sur place, elle est familière avec l’environnement de l’hôpital et elle s’y sent chez elle. En somme, elle a l’embarras du choix. Elle passe ses examens de droit de pratique et, pour se donner le temps de la réflexion tout en prenant un peu de repos après trois années de travail intense, Rita Mailloux décide d’aller passer quelque temps dans sa famille à Saint-Siméon. On connaît la suite…

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Chapitre 3. INSTALLATION À BERGERONNES Garde Rita Mailloux arrive à Bergeronnes, en avril 1951, deux semaines après avoir signé son contrat avec la paroisse. Elle se souvient de cette période comme d’un rêve : « J’avais signé un contrat avec la paroisse, mais c’était avec le ministère de la Santé que j’avais des liens d’emploi. Je ne connaissais pas mes droits; je ne savais pas ce que je pouvais exiger, je ne savais même pas qui payait le chauffage, qui payait mon salaire, qui paierait s’il fallait des rénovations au dispensaire. J’ai eu toute une surprise quand j’ai reçu un premier chèque du ministère de la Santé après quelques semaines. En fait, je dépendais directement de ce ministère parce que les « infirmières de colonie » avaient un statut particulier. Il y avait une « tolérance » à notre endroit parce que nos activités touchaient celles des médecins en ce qui regardait le diagnostic et, surtout, la prescription et la vente de médicaments, même les narcotiques. » Elle apprend qu’elle doit régulièrement faire un rapport au ministère. Il n’y a pas beaucoup de renseignements sur ces formulaires, surtout pas sur l’état des malades et sur les traitements administrés; le compte-rendu est surtout administratif et doit servir à des fins statistiques. Un médecin du ministère est officiellement en charge des infirmières de colonie et c’est à un administrateur que les rapports parviennent. La nouvelle infirmière de colonie plonge dans le travail sans se préoccuper des détails administratifs. Dans les semaines qui ont précédé son arrivée, elle avait fait plusieurs démarches pour se procurer le nécessaire pour fonctionner adéquatement. « Mon père avait un magasin général où il vendait des médicaments; il m’avait dirigée vers ses fournisseurs, chez Brunet et chez Livernois à Québec, pour acheter tout ce que je pensais nécessaire pour une première pharmacie. J’avais aussi acheté les instruments dont je pensais avoir besoin pour pratiquer dans mon nouveau dispensaire. » Rita Mailloux habite chez madame Alfred Larouche pendant les deux premières semaines et elle s’attelle à la tâche de rendre le dispensaire habitable. Plusieurs personnes se souviennent de son arrivée à Bergeronnes et tous sont unanimes pour convenir de l’état déplorable où se trouvait le dispensaire. Héliodore Gagnon se rappelle : « Quand la garde est arrivée, le terrain du dispensaire était une orgie et elle m’avait engagée pour l’arranger avec mon tracteur et ma herse. C’est là que je l’ai connue. Elle était fille encore; Luce et moi, on était mariés depuis quelques années. Elle était arrivée comme mé18

decin et les gens ont eu tout de suite confiance en elle. » Pour commencer, elle engage une femme qui fait le ménage avec elle. Il faut laver tous les murs et les plafonds, faire réparer la fournaise de toute urgence, aménager l’espace pour son propre logement et pour les locaux du dispensaire. À son arrivée à Bergeronnes, elle apporte dans sa valise certains médicaments d’urgence en attendant l’arrivée de sa pharmacie. Avant même l’ouverture du dispensaire, elle doit se rendre à domicile parce qu’une femme est en hémorragie. La malade est en pleine ménopause et son médecin lui a conseillé d’aller subir une hystérectomie. Elle a un rendez-vous, mais hésite à s’y rendre. Elle est pâle, très pâle, « quasi cadavérique », constate la jeune infirmière. Celle-ci fait une série de massages de l’utérus comme elle avait appris à le faire à la salle d’accouchement. Dans son sac, elle a apporté de l’ergot injectable, un médicament d’urgence pour arrêter les saignements de l’utérus. L’hémorragie cesse bientôt et elle insiste auprès de la malade pour qu’elle se rende rapidement à Québec pour se faire opérer. Ouf, la glace est brisée et elle est fière de sa première intervention. L’arrivée de la jeune infirmière ne passe pas inaperçue dans le village. La nouvelle s’est rapidement répandue « Quand je l’ai vue pour la première fois, j’ai su tout de suite qui elle était. C’était à la Fête-Dieu. Je la voyais surtout comme l’assistante du docteur Gagnon, mais je me suis vite rendu compte qu’elle était comme un vrai médecin elle-même. ». Une jeune fille de l’époque se souvient : « On la voyait à l’église. Elle était dans les premiers bancs. Elle était très jeune, mais on sentait qu’elle était très digne. Elle était belle comme aujourd’hui. » Au début, elle ne connaît personne et les heures sont parfois longues. Elle accepte d’avoir une co-locataire, une enseignante de l’école primaire qu’elle avait connue à l’Institut familial du Mont Saint-Irénée. C’est Cécile Bouchard qui vivra pendant deux ans au dispensaire avec la jeune infirmière. Celle-ci se souvient : « Quand Rita est arrivée à Bergeronnes, en avril 1951, elle ne connaissait pas les gens. J’étais en pension dans le village; elle vivait au dispensaire, juste à côté, ce n’était pas loin. Elle m’avait dit : « Viens donc rester avec moi. ». C’était à l’automne 1951. Une autre femme se souvient des premiers mois de la présence de l’infirmière : « Garde Mailloux est arrivée à Bergeronnes quand j’avais autour de dix ans. Je la trouvais tellement belle! Pour moi, elle était comme une princesse. Mon professeur logeait avec elle au dispensaire; j’en profitais 19

pour aller la voir et lui demander des explications; cela me permettait de voir garde Mailloux de plus près. Elle me fascinait. En fait, je n’avais aucun attrait pour ce qui touchait la médecine ou la maladie, ce qui me fascinait en elle, c’était sa personnalité, sa manière d’être. Je me souviens qu’elle portait des vêtements très classiques avec un soulier à talon haut très élégant; elle avait un manteau de tweed avec des manches chauve-souris… Elle était toujours bien coiffée. Je suis certaine que sa façon de s’habiller, de porter ses vêtements avec élégance, ce n’était pas pour épater les gens; elle était comme ça. » Le dispensaire où logent les deux amies est situé sur la rue Principale, une petite maison grise à côté de l’hôtel. La chambre de l’infirmière est à l’étage et elle dispose d’une autre chambre pour les visiteurs; cette chambre sera rapidement occupée par son amie Cécile Bouchard; la cuisine est au rez-dechaussée. Dans le bureau, il y a une table d’examen, un bureau, une armoire qui ferme à clé pour les médicaments, une autre armoire pour les instruments dont elle se sert. Elle fait tout bouillir dans une marmite : les seringues, les aiguilles, les instruments. Elle monte des plateaux d’instruments qu’elle fait stériliser au four et qui sont prêts pour l’utilisation. Elle dispose de tout ce qu’il faut pour faire des points de suture. Elle a acheté tout un lot de compresses pour faire des pansements. Elle est loin de l’hôpital et de son service de stérilisation. Après quelque temps, elle achètera un stérilisateur… sans trop savoir si le ministère de la Santé aurait dû lui en fournir un pour les besoins du dispensaire. Elle se sent autonome et l’organisation du bureau prend toute son énergie pendant les premiers mois. Cécile Bouchard décrit l’état des lieux à son arrivée. « Pendant l’été, l’état du dispensaire avait eu moins d’importance pour Rita. À l’automne, quand je suis arrivée avec elle, il est devenu évident que le dispensaire était dans un état lamentable. Il y avait tellement de souris! Je n’avais jamais rien vu comme cela. On plaçait des trappes un peu partout. Il y avait tellement de souris que les souris mangeaient celles qui étaient prises dans les trappes. C’était dégoûtant. Elles mangeaient du carton; il y avait des boites de carton vides dans la cave; elles devaient se nourrir avec ça parce qu’il n’y avait rien à manger dans la maison. On n’aimait vraiment pas ça. Un ami nous avait dit : « Mettez de la farine mêlée à du plâtre à côté d’un petit plat d’eau. Les souris vont prendre de la farine et de l’eau et elles vont mourir. » Ce n’était pas très efficace. Monsieur Alfred Bouchard, le père de Welleston, son futur 20

mari, est venu nous aider : il a attrapé un gros chat errant, une espèce de matou sauvage qui n’avait jamais été en contact avec des gens; il l’a envoyé dans la cave et il a fermé la porte. Je t’assure que le chat a fait du ravage dans les souris, mais nous avions plus peur du chat que des souris; on avait peur qu’il manque de nourriture et qu’il se fâche; alors, on lui lançait de la nourriture dans la cave. Les souris n’étaient pas montées dans la maison; elles se tenaient dans le bas des armoires de la cuisine. Elles ne se sont jamais rendues ailleurs, probablement parce qu’il n’y avait rien à manger. Monsieur Bouchard était revenu chercher le chat et on n’a jamais revu les souris. C’est ce même monsieur Bouchard qui venait allumer la fournaise et le poêle à bois, le matin, avant de se rendre à la messe. L’hiver, en haut, c’était très froid. Je pense que les tuyaux devaient geler pendant l’hiver; la maison n’était pas isolée. Nous étions jeunes et on supportait bien cela. On était bien. » Garde Mailloux garde un excellent souvenir de l’accueil qui lui a été réservé à son arrivée. « Monsieur Bouchard était très bon avec moi. C’était mon futur beau-père; il restait à deux maisons de mon local. Quand je suis arrivée, il trouvait cela terrible que je sois toute seule dans le dispensaire. Plus tard, quand j’ai été seule de nouveau et que je partais pour longtemps, il envoyait son chien se coucher au pied de l’escalier. Il surveillait le dispensaire. J’avais très peur des chiens et le chien le savait : quand il me voyait revenir, il repartait chez son maître. Il faut dire que je n’avais jamais peur au dispensaire; j’avais tellement confiance aux gens que je me posais même pas de question sur ma sécurité. » Mais elle doit s’affirmer pour assurer sa réputation : « Au tout début, le premier été, comme j’étais une femme seule, il a fallu que j’établisse ma réputation. Un soir, un professeur du secondaire vient me rendre visite; une visite amicale, sans arrière-pensée de part et d’autre. Nous jasons dans le salon quand, tout à coup, j’entends des bruits à l’extérieur. Je sors et aperçois quelques adolescents qui filent en courant. Je n’en fais pas de cas, en pensant qu’ils se promènent. Le lendemain matin, je rencontre un garçon qui me regarde d’un drôle d’air et me dit : « Garde, vous avez été dérangée hier soir…. » C’est là que je me suis mise à réfléchir aux implications de la visite du professeur : je n’avais pas pensé à mal, mais les gens pouvaient mal juger mon hospitalité. La colère m’envahit : ma réputation est importante et je ne laisserai personne tenter d’y toucher. Je me rends à l’école sans attendre et je demande au professeur qui enseigne aux grands si je peux parler à ses élèves. « J’ai une intervention à faire. » J’explique à la classe, où je reconnais 21

d’ailleurs mes larrons de la veille, que ma vie privée me regarde et que je ne tolérerai pas que quiconque s’en mêle. À bon entendeur..! En sortant de la classe, les jeunes viennent me voir : « On s’excuse! Surtout, ne parlez pas de ça à monsieur le curé, il va certainement nous battre, s’il sait qu’on a fait ça. » Le curé avait cependant eu vent de l’incident et il s’était lui aussi rendu à l’école pour aller sermonner les enfants. Rapidement, l’affaire s’est répandue dans le village et ensuite, jamais personne ne m’a fait de problème. Pour moi, la discrétion que je témoignais envers mes patients s’appliquait aussi à ma propre vie privée. » Cette discrétion est d’ailleurs saluée par tous ceux qui ont été rencontrés pour l’écriture de ce livre. Rapidement, les « clients » commencent à affluer. « Au début, les gens venaient voir ce que j’avais l’air. Ils venaient pour un examen général ou pour une blessure mineure qu’ils auraient très bien pu traiter eux-mêmes à la maison. » En entrevue, un homme confirme : « Au début, bien des gens sont allés la voir par curiosité, pour la connaître. Moi, je n’ai jamais été malade, je ne suis jamais allée au dispensaire pour me faire soigner, mais dans le village, garde Mailloux est rapidement devenue importante : elle passait juste après le curé…. ». Il faut dire que la jeune infirmière fait tous les efforts requis pour bien connaître la population. Un an après son arrivée, elle connaît le nom de tous les gens qu’elle a rencontrés : père, mère et enfants. Elle peut demander des nouvelles de toute la famille. Bientôt, sa réputation est faite et elle est acceptée par les Bergeronnais… et les gens des villages des alentours. Rita Mailloux travaille beaucoup avec le docteur Antoine Gagnon pendant les premières années de sa vie professionnelle et prend énormément d’expérience à ses côtés. Il se rend souvent au dispensaire. Il lui témoigne une grande confiance et c’est précieux pour elle. Les contacts sont réguliers. Elle lui parle de la patiente ayant fait une hémorragie utérine et elle lui demande : « Comment faites-vous pour les accouchements à la maison ? » « C’est bien simple : au premier accouchement que j’aurai à faire, je vais t’appeler et tu viendras avec moi. », lui répond le médecin. L’entente reste lettre morte, car le premier accouchement se produit sans que personne ne soit prévenu. « Crois-le ou non, mon premier accouchement, j’ai dû le faire toute seule et avant d’avoir vu faire le médecin. C’était une dame de l’extérieur qui était en visite chez sa sœur. En descendant de l’autobus, les contractions avaient commencé. C’était un premier bébé, mais elle n’avait pas le temps de retourner chez elle. Dans mes livres, on montrait comment installer une patiente à domicile : avec des chaises pour soutenir les jambes. 22

J’avais organisé tout ça pendant que le travail avançait. J’avais fait stériliser des draps au four pour couvrir la patiente, comme si c’était à l’hôpital. J’étais prête… Mais la femme est devenue très agitée : je te jure que les chaises ont revolé rapidement et que les draps stériles ont disparu assez vite aussi. Heureusement, le bébé est né sans problème et que tout s’est bien terminé. Tout un baptême du feu. » Elle se rend compte qu’elle ne peut pas travailler comme si elle était à l’hôpital. Le docteur Gagnon se moque un peu de ses craintes d’infection : « Tu sais, les gens sont dans leur milieu, ce sont leurs propres microbes. C’est bien, bien rare qu’on voie de l’infection… » Elle continue tout de même à prendre des précautions et peut avoir la fierté de dire qu’elle n’a jamais eu de complications infectieuses reliées à un manque de propreté ou d’asepsie. Le docteur Gagnon est très fier de sa recrue. Sa sœur Françoise qui a toujours vécu à Bergeronnes se souvient de ses témoignages en ce sens. « Antoine avait une très grande confiance en garde Mailloux. Il disait « Elle ne se prend pas pour une autre et elle a toujours un bon jugement. Elle a un excellent sens du diagnostic. » Antoine passait souvent par la maison quand il venait au village et il ne se gênait pas pour dire qu’il aimait discuter avec elle, car il la considérait comme un confrère de travail avec qui il pouvait échanger des idées et des impressions. » Paul Bouchard, un ami du docteur, complète : « Le docteur Gagnon était un bon compagnon de garde Mailloux; c’est lui qui l’avait amenée ici. Il était un très bon médecin de campagne. Il disait que garde Mailloux était aussi un vrai médecin de campagne. Elle était humble, elle ne cherchait pas la gloire. Elle était naturelle. Le docteur Gagnon me disait qu’il avait une grande confiance dans son jugement. Son chalet était près du mien et il venait souvent se bercer avec moi, sur la galerie. Il parlait d’elle avec bien de l’admiration; il disait qu’elle était aussi bonne qu’un médecin. » En prenant son poste au dispensaire, Garde Mailloux a apporté avec elle les livres dans lesquels elle a étudié pendant son cours d’infirmière : anatomie, médecine et chirurgie générale, hygiène publique et son livre de techniques de soins. Le soir, elle réfléchit et essaie de prévoir, de se préparer au lendemain. Elle est devenue l’infirmière de Bergeronnes et se plaît dans son nouveau rôle. Cécile Bouchard parle de sa vie au dispensaire avec sa co-locataire : « Dans la journée, je ne sais pas trop comment Rita travaillait parce que moi, j’allais 23

à l’école pour enseigner. Quand je revenais à la maison, Rita faisait le souper. Elle était excellente cuisinière. Elle était débrouillarde, ce n’était pas croyable. La plupart du temps, nous mangions seules, juste toutes les deux. Il y avait souvent des jeunes de sa famille qui venaient passer du temps au dispensaire. Rita adorait les enfants. Cécile complète la description du dispensaire : « En arrivant, il y avait une petite entrée : en avant, il y avait une porte qui donnait sur son bureau et sur le côté, il y avait une autre porte qui donnait sur la cuisine et de là, on pouvait aller dans le salon. Les gens restaient dans l’entrée. Il n’y avait jamais foule de toute façon. Il me semble qu’il y avait quelque chose comme un banc ou une chaise dans l’entrée. Les gens attendaient que le bureau se libère ou que Rita arrive. Le salon était à part; c’était notre lieu à nous, avec la cuisine; en haut, il y avait deux chambres. L’escalier partait de la cuisine. Il y avait aussi l’escalier qui descendait dans la cave. » Elle poursuit : « Parfois, le soir, nous allions chez des amis et on jouait aux cartes, par exemple à la dame de pique. Rita était une personne très sérieuse; elle ne venait pas toujours à ces rencontres plutôt « mondaines », à ces soirées entre jeunes; elle était trop occupée pour s’y rendre régulièrement. Il y avait souvent des malades qui venaient au bureau le soir. Remarquez que les gens savaient toujours où la joindre; c’était très facile; en campagne, les gens savent tout ce qu’il se passe. En repensant à mes années au dispensaire, je ne me souviens pas que nous soyons sorties beaucoup. J’étais très bien là. Parfois, nous allions danser au Manoir Tadoussac; c’est arrivé quelques fois, pas très souvent. C’était amusant. Pendant les vacances d’hiver, je retournais chez mes parents à Saint-Urbain. Pendant les vacances d’été, je ne retournais pas tout de suite à la maison, je restais encore quelques semaines à Bergeronnes. J’aimais cela. On allait à la mer, on allait à la pêche. Une rue débouchait au bord du fleuve et il y avait une plage où l’eau était épouvantablement froide. Quand il faisait très chaud, on allait se baigner. Je ne me souviens plus si Rita se baignait, mais moi, j’aimais bien ça. Après mon départ pour Montréal, j’essayais toujours de revenir à Bergeronnes au début de l’été pour quelques semaines. Il y avait eu de grosses tempêtes ces hivers-là. Une fois, nous avions été sans école pendant huit jours parce qu’il y avait trop de neige; tous les chemins étaient fermés. Cécile et Maurice, un couple ami, nous avaient téléphoné : « Venez faire un tour. » Ce n’était pas loin; on s’était habillées comme pour 24

aller au Pôle Nord. On avait de la neige jusqu’à la taille. Après le repas, Maurice nous avait accompagnées : il nous faisait sauter les bancs de neige chacune à notre tour, jusqu’au dispensaire. C’était drôle. » Les deux jeunes filles s’entendent bien. C’est à regret que Cécile quitte Bergeronnes, mais l’attrait de la grande ville est le plus fort; elle se rend à Montréal pour y enseigner les arts ménagers. En revanche, l’année suivante, une cousine de Rita Mailloux, une infirmière qui vit à Montréal, vient faire un séjour au dispensaire; elle y rencontre un Bergeronnais qui lui plaît et un nouveau couple se forme qui fera souche au village. Cet homme raconte : « Avec ma femme, on allait souvent au dispensaire pour passer la soirée. On allait jouer aux cartes; nous étions de gros amateurs. Garde Mailloux préparait un goûter pendant la veillée; elle était très, très bonne cuisinière. Nous étions plusieurs amis : il y avait de jeunes couples et des couples plus âgés. Il y a longtemps de cela et plusieurs sont décédés depuis. Il y en avait qui contaient des histoires; on jasait de tout et de rien, de l’actualité, de la politique. Quand nous étions là et qu’un patient se présentait, Rita le recevait tout de suite. Elle était très disponible. Dès que le téléphone sonnait, elle répondait elle-même et elle partait tout de suite, s’il y avait une urgence. » Rita Mailloux a déjà un service téléphonique personnalisé. La personne qui répond à la centrale du village sait que le « no 16 » est le sien. C’est René, Vitaline ou l’un des enfants Simard qui répond; quand les clients appellent, on leur dit si l’infirmière est absente du dispensaire et en cas d’urgence, on sait toujours où l’envoyer chercher. C’est un « 911 » avant le temps, avec la sympathie des téléphonistes en prime.

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Chapitre 4. LES PREMIÈRES ANNÉES (1950-1960) La vie de la jeune infirmière tourne autour de son travail; elle est présente au dispensaire 24 heures par jour, sept jours par semaine. Certains samedis soirs, elle est occupée à recoudre les victimes de batailles « amicales » dans les différents bars des alentours. Savoir faire des points de suture devient un atout non négligeable de son nouveau métier. Au début, elle est surprise quand des hommes, en fin de soirée, viennent chercher ce qu’ils appellent du vin-tonique. Elle ne craint pas pour sa sécurité, mais ne comprend pas ce qu’ils veulent. Plus explicite que ses camarades, l’un d’eux lui explique qu’une légende de chantier dit que, dans les dispensaires, il existe un tonique « reconstituant » qui fait des merveilles quand on manque de boisson alcoolisée. Elle comprend qu’on en veut à sa réserve de « Bewon», un liquide constitué de vitamines dans une base d’alcool. Devant son refus catégorique de jouer à ce jeu, elle se fait une réputation de personne qui n’entend pas s’en laisser imposer. Certains pères de famille un peu portés sur la boisson essaient aussi de contourner l’interdit en demandant à un enfant d’aller chercher du fameux tonique pour aider sa mère à reprendre des forces. Une enquête rapide et un nouveau refus. On ne l’en respecte que davantage. Il faut dire qu’à l’époque, il n’y a pas de possibilités de se procurer de la boisson en Haute-Côte-Nord, sauf si on fait une commande qui arrive de Québec par bateau. Il n’y a pas de « Commission des liqueurs » dans les villages et c’est seulement à Forestville qu’on trouve une épicerie ayant un permis pour vendre de la bière. Le dispensaire est toujours ouvert aux malades, même la nuit. Elle se sent tellement en sécurité, qu’à un certain moment, elle brise un carreau pour entrer car elle a oublié sa clef. Ce carreau reste vide pendant un certain temps et les gens ouvrent eux-mêmes la porte quand ils viennent la chercher pendant la nuit pour une visite urgente ou pour un accouchement. « Je me souviens d’un père de famille dont le fils adolescent souffrait d’une maladie respiratoire chronique. Quand il faisait des crises, il fallait que je lui donne rapidement de la cortisone pour qu’il se rétablisse. Une nuit, le fils se met à aller mal; en venant me chercher, le père est vraiment inquiet; il sait que je suis là, car il a vu mon auto. Tellement énervé, il ouvre la porte de l’intérieur et monte l’escalier en criant : « Garde Mailloux! Garde Mailloux! » Imagine mon choc en le voyant apparaître comme un diable dans l’escalier. »

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Le dimanche, plusieurs villageois profitent de la messe pour lui rendre visite. Ce n’est pas tout le monde qui a une auto et, les premières années, c’est à voiture et à cheval que beaucoup de gens circulent. Jusqu’au début des années 1960, au plus fort de l’hiver, les chemins sont fermés. La salle d’attente s’emplit avant la messe et les patients demandent à subir un petit examen; ou encore, ils viennent renouveler leurs médicaments. De toute façon, elle n’a pas d’heures officielles pour le bureau et elle reçoit toute personne qui se présente au dispensaire quelle que soit l’heure de la visite. Il fait aussi partie de son rôle de passer chez les malades pour y faire des visites. Évidemment, les accouchements se font à domicile et l’assistance aux mères en travail est une de ses priorités. Une seule ombre au tableau, c’est parfois très long un accouchement et lorsqu’elle n’a plus de co-locataire, il lui arrive régulièrement de se retrouver dans un dispensaire sans chauffage, car il n’y a plus de feu dans le poêle à bois à son retour. Elle fait réparer à mesure les tuyaux qui ont gelé et tente de mieux organiser son mode de vie. Finalement, après quelque temps, elle engage une aide qui restera avec elle au dispensaire, s’occupera des détails ménagers et « tiendra le fort » pendant ses absences. « Mon territoire, c’était vraiment Bergeronnes. J’allais parfois à SacréCœur, à Tadoussac ou aux Escoumins, mais c’était seulement si l’infirmière de Sacré-Cœur ou le médecin de l’endroit étaient absents. Quand les malades appelaient pour que j’aille les visiter, je vérifiais toujours, car je ne voulais pas jouer « dans les plates-bandes » des autres. Si c’était vrai, j’y allais toujours. Par contre, au bureau, je recevais tous ceux qui se présentaient, quelle que soit leur adresse; là, je n’avais pas de problèmes d’éthique, car les gens qui se déplaçaient savaient ce qu’ils faisaient » Au cours des premières années, une autre infirmière de colonie travaille à Sacré-Cœur et quand elle doit s’absenter, garde Mailloux la remplace. Les médecins des alentours changent assez régulièrement. Après quelques années de pratique, le docteur Antoine Gagnon part pour Chicoutimi avec sa famille de douze enfants; par la suite, il se rendra à Montréal pour se spécialiser en psychiatrie, discipline qui manque cruellement de médecins au cours des années 1960; il reviendra plus tard pratiquer sa nouvelle spécialité à l’Hôpital des Escoumins. Un autre docteur Gagnon, Raymond-Marie celuilà, exercera aussi sa profession à l’hôpital des Escoumins, tout en résidant à Sault-au-Mouton où il a un bureau et une pharmacie. À Tadoussac, les docteurs Cantin, Allyn et Gaudreault se succèdent; le deuxième reste plusieurs 27

années et les deux autres pratiquent pendant deux ou trois ans chacun; finalement, le poste de Tadoussac reste vacant. À Sacré-Cœur, le docteur JeanMarie Tremblay restera en poste pendant longtemps. Il y a un poste d’infirmière de l’Unité sanitaire dans le village, mais ce poste est vacant depuis un certain temps; Rita Mailloux se rend compte que très peu d’enfants sont vaccinés contre la diphtérie, une maladie très grave, souvent mortelle. Dans le village, on se souvient de la grosse épidémie qui avait sévi vers 1937 alors que plusieurs enfants du village étaient décédés; tous ont en tête la famille de René et Vitaline Simard où quatre enfants âgés de 1 à 7 ans étaient morts en quelques jours : les bouteilles du sérum qui aurait pu agir pour les sauver avaient gelé au cours de leur transport de Québec à Bergeronnes. Paul Bouchard ajoute : « Mon frère est mort du croup (diphtérie). Nous avions mangé ensemble à midi et une heure plus tard, il avait commencé à étouffer. Il était mort en quelques minutes. La famille avait été en quarantaine; on n’avait même pas pu entrer son cercueil dans l’église pour les funérailles. Je pense que plus de vingt personnes étaient mortes de diphtérie cette année-là. Les maisons étaient placardées; chez nous, cela avait duré 40 jours. Ensuite, il fallait sortir de la maison pendant trois jours et faire désinfecter toutes les pièces avec de la Formaline. Pourtant, les écoles avaient continué de fonctionner avec les enfants qui n’avaient pas de contagion chez eux. » Rita prenant la mesure du drame qu’on lui raconte prend l’initiative de vacciner les enfants, une campagne de vaccination faite à partir du dispensaire. C’est sûr que les enfants ont peur des « piqûres », mais aucun d’entre eux ne fait de réaction allergique au moment de la vaccination. Il s’agit d’un vaccin simple contre la diphtérie; le triple vaccin diphtérie-coqueluche-tétanos apparaîtra quelques années plus tard. Il faut dire qu’au cours de toute sa carrière, Rita Mailloux n’a jamais rencontré de cas de tétanos parmi la population locale. Pourtant, le bacille se retrouve dans le fumier de chevaux et, au début de sa carrière, elle vit dans un environnement où le cheval est omniprésent. En rétrospective, elle pense qu’au village, on a eu de la chance d’avoir évité cette maladie. En revanche, un ou deux ans après son arrivée à Bergeronnes, deux enfants sont atteints de la poliomyélite. Rita avait travaillé à l’Hôpital Pasteur au service de polio et pendant les grosses chaleurs de l’été, elle est très aux aguets, car c’est la période dangereuse. Pendant ses études, elle n’avait jamais vu de malades au premier stade de la maladie, mais elle reconnaît le 28

problème rapidement. Les deux enfants se sont baignés ensemble dans la rivière quelques jours auparavant : leur température est très élevée et ils commencent à avoir des problèmes de faiblesse musculaire. Ils n’ont pas de difficultés à respirer, ils n’auront donc pas besoin d’aller dans le poumon d’acier. Ils se retrouvent rapidement à Québec; malheureusement, même s’ils ont la vie sauve, ils resteront tous les deux gravement handicapés. La coqueluche est une maladie d’enfants que l’on rencontre encore au début des années 1950. La respiration en chant du coq impressionne les parents : « Mon bébé de quelques mois avait attrapé la coqueluche. Il toussait tellement que j’avais tout le temps l’impression qu’il allait mourir étouffé. Dès qu’il commençait à tousser et qu’il respirait mal, j’appelais la garde et elle venait tout de suite. Elle savait que j’étais folle d’inquiétude. Elle m’avait montré quoi faire pour le soulager et j’aurais probablement été capable de le faire sans l’appeler, mais c’était tellement rassurant de la voir arriver avec son grand sourire… » Ces aspects de l’empathie et de la compétence dans les soins aux malades reviennent dans un autre épisode: « Quand j’étais jeune, j’ai fait du rhumatisme articulaire aigu. C’était au début des années 1950 quand la garde venait d’arriver dans le village. J’avais une quinzaine d’années. Avec mon cousin, j’étais parti en snowmobile pour bûcher. Tout se faisait à la hache; c’était du bouleau et ça allait plus vite. On charroyait le bois avec une sleigh, une sorte de traîneau en arrière du snowmobile. On faisait un chemin, on plaçait le bois de chaque côté et, ensuite, on l’embarquait sur la sleigh. Le bois était en longueurs de 15 pieds à peu près. On avait chaud en bûchant. C’était au moment des premières neiges et j’avais une chemise de laine. Je m’étais couché à terre et j’avais bu dans le ruisseau, directement dans la veine d’eau. Le lendemain matin, j’avais mal au poignet. Je pensais que c’était parce que j’avais coupé du bois à la hache. Maman avait mis une petite laine autour de mon poignet et j’étais retourné bûcher. Le soir, j’avais encore mal. Pendant la nuit, j’avais senti que j’étais figé de partout. Là, c’était l’enfer. Je n’avais pas de rougeur, d’enflure ou de température, mais je n’avais plus de force. Comme si j’étais crampé. Je n’étais pas capable de forcer et ça faisait très, très mal. Au matin, j’avais été incapable de me lever. » Sa mère avait fait venir garde Mailloux. « Au début, elle avait dit « Je ne suis pas sûre, mais j’ai l’impression que c’est du rhumatisme articulaire aigu. » C’est un rhumatisme qui change de place. Il te prend dans une partie des bras, il tombe dans les jambes, il fait le tour et il se rend jusqu’au cœur. 29

Le temps de faire un vrai diagnostic, ça avait pris un bout de temps. J’ai été malade comme ça pendant deux mois et demi. La maladie poignait d’un bord, ensuite de l’autre. La seule chose qui faisait lâcher la douleur était des compresses d’eau bouillante. Ma mère avait les mains maganées, la peau avait levé à force de tordre des serviettes d’eau bouillante. » Pendant une certaine période, le rhumatisme articulaire est plus fréquent parmi la population : « Personne n’était mort, mais ça durait longtemps. J’avais eu trente-deux piqûres de cortisone. Quand le mal arrivait au cœur, je n’étais plus capable de prendre mon souffle. La garde me donnait une piqûre de cortisone dans une fesse. Avec la cortisone, j’étais devenu tout bouffi. Ma vie n’était pas facile pendant cette période-là. Je pleurais souvent. Quand la douleur prenait une partie de mon corps, ça pouvait durer une journée, deux jours, puis ça changeait de place; le découragement me prenait. C’était terrible. Maman me faisait fumer parce que je n’étais pas capable de tenir ma cigarette tout seul; des fois, la cendre tombait sur mes draps. La garde venait me voir régulièrement. Entre les piqûres, elle venait souvent, à chaque fois qu’elle le pouvait; elle nous a bien aidés pendant tout ce temps-là. J’ai eu des séquelles sous forme d’un souffle au cœur, mais j’ai pu gagner ma vie quand même. » Malgré l’arrivée des antibiotiques et de la vaccination, la tuberculose demeure une hantise pour la population. « C’était surtout à la fin de juin et au début de juillet que les cas se manifestaient. Il y avait une roulotte du Ministère qui faisait toute la côte jusqu’à la Basse-Côte-Nord. Ils passaient une radiographie pulmonaire à tous ceux qui se présentaient. La plupart des gens y allaient. Et là, il y avait une période d’incertitude, d’angoisse terrible avant d’avoir les résultats. C’était très difficile d’annoncer ça à quelqu’un. Il fallait envoyer les malades à Mont-Joli ou à Roberval. Souvent, il s’agissait de mères de famille et elles savaient qu’elles partaient pour au moins une année de traitement; dans bien des cas, il fallait placer les enfants. Presque chaque année, il y en avait un ou deux qui partaient pour le sanatorium. Parfois, il y en avait deux de la même famille à cause de la contagion. Je me rappelle d’une dame qui avait quatre enfants. Elle était restée au sanatorium pendant deux ans. Les enfants étaient placés chez des sœurs à elle. Pas longtemps après, sa fille qui avait 13 ou 14 ans, celle qui avait travaillé avec sa mère le plus souvent, avait dû partir elle aussi, mais c’était pour Montréal, car l’aînée y travaillait. Pour le suivi, au retour du sanatorium, certains anciens tuberculeux devaient seulement passer une radiographie pulmonaire une ou deux fois par année; d’autres revenaient avec un pneumothorax et devaient 30

aller régulièrement à La Malbaie pour le faire vérifier et entretenir. Ce n’était pas facile d’avoir un pneumothorax parce que le poumon était comprimé par de l’air insufflé dans la cage thoracique pour mettre le poumon au repos. Le malade avait constamment l’impression de manquer d’air parce qu’il respirait avec un seul poumon. Ceux-là, j’allais les voir quand ils me le demandaient; ils avaient surtout besoin de soutien psychologique parce qu’ils devaient être suivis par des spécialistes. » Probablement à cause des conditions d’hygiène plus précaires, les gens souffrent fréquemment d’infections. Quand c’est aux doigts ou aux orteils, ce sont des panaris qu’on appelle familièrement des « tours d’ongle »; il y a aussi les « clous » qui risquent de faire des abcès. Toutes sortes de trucs servent aux mères de famille pour guérir ces petits maux. Madame Florence Trépanier-Boulianne se rappelle que dans sa famille, on plaçait sur la plaie la membrane blanche qui se trouve sous la coquille d’un œuf; si la membrane était placée du côté mouillé, la guérison était meilleure. On plaçait la membrane le soir avec un bandage et le lendemain matin, elle avait séché et attiré le pus. Les plaies guérissaient de cette manière en deux ou trois jours habituellement. Quand les traitements maison ne réussissent pas, les gens se présentent au dispensaire pour y être soignés. Souvent garde Mailloux donne des antibiotiques et elle ouvre les abcès quand c’est nécessaire. Un exemple intéressant : « Garde Mailloux était arrivée ici depuis peu de temps. La dame chez qui je travaillais avait accouché à La Malbaie. Le bébé était arrivé de l’hôpital avec une maladie; il avait des clous, tant de clous qu’il en faisait pitié. Il a tellement pleuré cet enfant-là. Cela faisait des abcès et ça crevait. Sur une fesse, il avait un abcès si gros que garde Mailloux avait dû lui « lancer » ça. Elle avait vaporisé un liquide pour geler la peau qui était devenue toute blanche. Quand elle avait « lancé » l’abcès, il y avait tellement de pus à l’intérieur et c’était tellement sous pression que le liquide s’était rendu jusqu’au bout du berceau; il avait taché le petit linge qui était là. Elle avait mis une mèche dans la plaie. Tous les jours, tous les deux jours, le père du bébé allait la chercher et elle venait changer le pansement. Je ne sais pas vraiment ce que c’était comme maladie. Il avait des clous jusque dans les cheveux; il faisait de très gros abcès. Finalement, il a été sauvé. » Moins dramatiques, les problèmes d’oreilles sont fréquents. La nouvelle infirmière s’achète une seringue spéciale et rend l’audition à ceux qui ont les oreilles bouchées par la cire. Dans certains cas, elle fait des interventions qui sortent de la routine : « Il y avait une dame qui avait une grosse famille. 31

Dans ce temps-là, les gens se débrouillaient comme ils le pouvaient. Elle était bien vaillante. Son petit garçon avait des problèmes d’oreille. Son oreille coulait sans arrêt et je l’avais envoyé voir un spécialiste de Québec. À son retour, il avait été mieux pendant quelques jours, mais il avait recommencé à avoir mal; il ne guérissait pas vraiment. Son oreille sentait terriblement mauvais et, à l’école, il se faisait dire des méchancetés. Je lui faisais mettre des gouttes dans son oreille, mais ça ne donnait rien. Je ne sais pas comment j’ai fait pour penser à ça, mais à un moment donné, comme il disait que son mal était très profond, je suis allée avec des pinces explorer le fond de l’oreille. J’ai tiré sur quelque chose qui est sorti de l’oreille : c’était une ouate qui était très profonde et qui était restée là, probablement depuis son séjour à l’hôpital. » Les nouveaux arrivants font rapidement sa connaissance : « Je venais de Charlevoix. Quand je suis arrivée ici, je me suis rendu compte que dès que mes beaux-parents avaient une question, ils se référaient à elle. L’hôpital était ouvert et c’est là que j’allais accoucher, mais dès qu’il y avait un petit bobo dans la famille, c’était toujours garde Mailloux que nous allions voir. Ma fille avait été piquée par un moustique et elle avait, sur la tête, une bosse de la grosseur d’un œuf. La garde lui avait « lancé » ça après avoir rasé un peu de cheveux. C’était dans son petit bureau. Ma fille porte encore une petite marque blanche sur la tête. Elle dit que c’est sa garantie de toujours se souvenir de garde Mailloux. Une fois, mon mari avait fait une grosse allergie au cou parce qu’il avait porté un chandail en acrylique. Garde Mailloux avait tout de suite vu que c’était de l’allergie et elle lui avait donné une crème pour que les rougeurs et l’enflure partent rapidement. Bien sûr, il n’avait pas remis ce chandail par la suite. » Garde Mailloux se rend souvent à domicile quand les enfants sont malades : « Pour les enfants qui faisaient des convulsions fébriles, je leur donnais un bain et je les frottais avec de l’alcool. Je faisais baisser la température le plus possible. Je sais que maintenant c’est moins recommandé, mais c’était ce qu’on faisait à ce moment-là et ce que j’avais appris à l’hôpital. Par contre, je n’ai jamais eu à hospitaliser un enfant pour des convulsions. » Cécile Bouchard, sa colocataire, se rappelle d’une occasion où les efforts de son amie n’avaient pu sauver un jeune enfant. Elle raconte : « J’allais parfois avec elle quand elle se rendait chez des malades. Je me souviens d’une femme qui avait accouché à Québec; le bébé allait très mal, car il avait attrapé quelque chose à la pouponnière de l’hôpital; plusieurs nouveau-nés 32

étaient morts d’infection pendant cette période là. J’étais allée avec Rita. Le bébé était tout mou; ses lèvres étaient bleues, ses yeux étaient creux et il ne bougeait pas. Rita lui avait donné du sérum pour essayer de le sauver. Moi, je ne savais pas qu’aux enfants, on peut donner du sérum sous le cuir chevelu. Il s’était formé une grosse bosse sur sa tête. Pour moi, c’était tout un choc. Malgré le traitement, le bébé était mort. Il était mort pendant que nous étions là. Rita avait tenté de le réanimer, mais ça n’avait pas marché. Elle était bien triste. Je sais que cela lui est arrivé très rarement que des patients meurent. Elle avait fait tout son possible pour sauver ce bébé. » Les témoignages du dévouement de garde Mailloux se multiplient : « Je n’ai pas tellement eu affaire à garde Mailloux au plan professionnel, car nous n’avons pas été malades en général à la maison. Mais je me souviens d’une fois, très importante, où un de mes enfants avait été très malade. Il avait la rougeole et il faisait beaucoup de température. Il était devenu tout raide, il avait fait des convulsions et j’avais très peur. Garde Mailloux avait passé toute la nuit avec lui et elle était repartie seulement après s’être assurée que tout allait bien. » Une dame se souvient aussi d’un événement important de son enfance : « J’avais six ou sept ans quand j’ai fait une congestion de poumons. C’était en 1952 ou 53. J’étais très malade. Ma mère avait appelé garde Mailloux qui était venue à la maison. J’avais juste à bouger ma tête et je commençais à saigner du nez. Il fallait presque que je demeure immobile sinon je saignais tout le temps. Garde Mailloux était restée longtemps à la maison. Elle avait téléphoné au docteur Antoine Gagnon. C’était un grand confrère à elle et avant qu’il parte pour Chicoutimi, ils travaillaient beaucoup ensemble. Il était venu la rejoindre à la maison. Ils m’ont surveillée de six heures le soir jusqu’à tard dans la nuit. J’étais couchée dans la chambre de mes parents qui était vis-à-vis la cuisine. À chaque fois que je saignais du nez, garde Mailloux venait dans la chambre. Je faisais beaucoup de température et je dormais tout le temps. Je saignais beaucoup du nez, mais ça ne faisait pas mal. Quand elle touchait mon front, je trouvais qu’elle avait les doigts froids. Elle a des grands doigts, garde Mailloux. Il me semble que c’était froid; c’était peut-être parce que je faisais de la température. Je ne voulais pas de glace, je trouvais que j’avais trop froid. Quand il était arrivé à la maison pour rejoindre garde Mailloux, je me souviens que le docteur Gagnon avait dit à ma mère qu’ils allaient me faire des piqûres. « Si elle passe minuit, elle va être sauvée. » Avec le traitement, la température avait commencé à diminuer. C’est sûr que je me demandais pourquoi le docteur et la garde restaient dans 33

la cuisine avec mes parents. Il me semble qu’ils avaient du plaisir. Elle et mon père se connaissaient bien parce qu’il allait souvent la reconduire en snowmobile quand elle allait faire des visites à domicile ou des accouchements. Ils étaient dans la cuisine, tous les quatre, mon père, ma mère, le docteur et garde Mailloux et ils jouaient aux cartes. Elle se levait tout le temps et elle venait me voir; probablement entre chaque brassée. Elle venait me voir, elle mettait sa main sur mon front; elle retournait jouer et elle revenait. Ils étaient restés dans la cuisine toute la soirée, jusqu’à ce que j’aille mieux. C’était avec les piqûres qu’ils m’ont sauvée; c’était probablement des antibiotiques. En tout cas, moi, c’est ce qui m’est resté. » Une autre ajoute : « Garde Mailloux était toujours disponible, que ce soit, le jour ou la nuit, n’importe quand, elle répondait toujours à notre appel. C’était presque un dieu pour nous autres. Si elle retombait à 40 ans, je pense qu’elle serait encore mon médecin de famille, même si elle n’a pas le titre officiel de médecin. Il n’y avait pas d’heures pour se faire déranger. » Cette opinion est partagée par bien des personnes que j’ai rencontrées pendant mon séjour à Bergeronnes. « Je ne sais pas trouver les mots pour décrire garde Mailloux. Elle est la bonté même et d’une grande générosité. Elle était disponible en tout temps. On pouvait l’appeler à n’importe quelle heure et on n’avait jamais l’impression de la déranger. Quand elle arrivait pour une visite, elle était toujours bien mise, bien coiffée, avec des talons hauts, mais ce n’était pas cela qui était important, c’était sa présence. Elle n’avait qu’une idée, c’était de se rendre auprès du malade pour voir ce qu’il lui arrivait. Quand on l’appelait, on avait hâte qu’elle arrive. Elle avait des doigts magiques et elle avait un remède pour tout. Nous étions chanceux, car elle avait une pharmacie aussi complète que celles de la ville et elle nous vendait les médicaments directement, sans qu’on ait besoin de se rendre ailleurs pour les acheter. Elle revenait à la maison quand le traitement était en cours pour voir si tout allait bien. Sa présence était tellement rassurante; elle était une grande sécurité pour nous, les mères de famille. Quand elle arrivait dans la maison, toutes les inquiétudes disparaissaient; elle était comme un sauveur et l’expression n’est pas trop forte. » Dans certains cas, le traitement sauve la vie du malade : « Un printemps dans les années 1950, j’étais dans le bois et je faisais de la pulpe. J’avais très chaud en travaillant et pour me rafraîchir, j’avais bu une bonne quantité d’eau dans un ruisseau qui coulait tout proche. Sur le coup, je me suis trouvé rafraîchi, mais après une couple d’heures, j’ai commencé à avoir des gros 34

frissons. J’étais dans la concession et je travaillais tout seul. J’étais descendu à pied à travers le bois. Plus ça allait, plus j’avais de la misère à respirer. Arrivé en bas, il y avait une maison et il me semblait qu’elle était à des milles de là, que je ne pourrais jamais me rendre. Finalement, les gens m’avaient amené au dispensaire. La garde était là. Elle m’avait donné des antibiotiques en piqûre et elle m’avait ramené à la maison dans le village. Elle avait dit à ma femme de me couvrir juste un peu et de me donner beaucoup d’eau à boire pour faire baisser ma température. Elle était venue me voir dans la soirée et elle était revenue plusieurs fois dans les jours suivants. C’était un vrai docteur, la garde. Je pense que pour nous, elle était un ange du ciel. Cette fois-là j’avais appris qu’il ne fallait jamais boire d’eau glacée quand on a trop chaud. » Une mère de sept enfants raconte comment son plus jeune, âgé de huit mois, doit sûrement la vie à la grande compétence de l’infirmière : « À huit mois, mon bébé était tombé gravement malade. Je l’avais amené à l'hôpital des Escoumins. Je ne me souviens plus du nom du médecin qui s’était occupé de lui parce qu’il n’est pas resté ici pendant très longtemps. Il avait dit que mon bébé faisait une méningite et il l’avait gardé à l’hôpital pendant trois jours. Ensuite, il m'avait dit de le ramener à la maison parce qu’il ne pouvait plus rien faire pour lui. Je l’avais amené à Garde Mailloux : « Si vous voulez, je vais lui faire une série de piqûres et on verra bien ce qu'il va se passer. Je vais lui donner une sorte d’antibiotiques qui vient de sortir. » Je ne me souviens plus pendant combien de jours elle était venue à la maison pour lui faire des piqûres, mais je me souviens que quelque temps après, il allait beaucoup mieux. Aujourd’hui, il a plus que 40 ans, il est marié et il va très bien. » Cette dame dont la famille vivait à la campagne se souvient de l’importance de « la garde » pour les gens du village : « Garde Mailloux a été très importante pour nous. Dès que quelqu’un se faisait mal, tout de suite, papa attelait son cheval et on descendait au dispensaire. Nous avons eu seulement des blessures mineures, des coupures, des problèmes de dents, un nettoyage d’oreilles. C’est sûr qu’on avait peur de la maladie : pour nous, l’hôpital c’était pour mourir; avec garde Mailloux, c’était pas mal moins pire. Elle travaillait tellement bien. Elle avait toujours un bon mot; elle nous préparait à la douleur; parfois, cela faisait mal un peu, mais on l’aimait tellement que ce n’était pas grave. »

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Hélène Imbeault met son grain de sel et l’histoire qu’elle raconte exige qu’on l’identifie par son nom… : « Quand les enfants étaient malades, quand ils avaient des maladies d’enfant comme la rougeole ou la picote, c’était elle qui venait à la maison; elle était toujours présente pour nous. Une de mes filles avait fait une picote plus grosse que les autres. Les commissaires avaient arrêté nos enfants d’aller à l’école; surtout, ils avaient arrêté JeanPaul, mon mari, de faire le transport scolaire parce que les gens se plaignaient; ils disaient que c’était dangereux. Garde Mailloux était venue et elle avait dit : « Voyons donc! C’est une picote comme les autres et je ne vois pas pourquoi vous arrêteriez de conduire l’autobus. Je vais arranger ça; vous allez continuer à travailler. » Elle avait tout réglé ça, avec le curé et les commissaires. La petite avait de grosses cloques, c’était une grosse plaque rouge et ça venait au sang. J’étais obligée de la garder presque nue et la garde m’avait donné un savon avec de l’iode, de la bétadine, pour la laver; ça faisait sécher les cloques et ça piquait moins. Je lui mettais ça tout le temps et ça lui faisait du bien. » Et une dernière citoyenne se permet de dire en riant : « Pour les gens de Bergeronnes, il y a eu deux choses bien importantes pour leur santé : l’aéroport et garde Mailloux! Et je dis cela sans faire de farce. L’aéroport avait été créé à la fin des années 1930 quand toutes les routes étaient fermées pendant l’hiver. C’était l’œuvre du curé Thibeault. L’aéroport permettait un contact avec l’extérieur : pour le transport des blessés, surtout des bûcherons, et pour le transport des marchandises. Quand garde Mailloux est arrivée, en 1951, l’aéroport était encore là, mais il n’y avait plus de transport aérien. Il faut dire qu’avec la rapidité de diagnostic de la garde, c’était presque aussi vite que l’avion : elle utilisait le snowmobile pour aller dans les familles même dans les grosses tempêtes; elle se servait du téléphone pour ses contacts avec les spécialistes et elle s’organisait pour que les gens arrivent rapidement à l’hôpital, parfois en les amenant elle-même dans son auto, et quelquefois en faisant attendre le traversier pour profiter d’un voyage plus rapide vers l’hôpital. »

Infirmière… et dentiste Dès les premiers mois de sa pratique, Rita Mailloux est confrontée à une situation pour laquelle elle n’a pas de préparation puisque la dentisterie n’a pas fait partie de sa formation d’infirmière. Dans les années 1950, l’hygiène dentaire n’existe à peu près pas et les caries sont le lot de bien des gens. 36

Un résident de Bergeronnes se souvient que le docteur Antoine Gagnon, qui avait pratiqué avant l’arrivée de l’infirmière, faisait aussi office d’arracheur de dents. « Un jour, j’avais un terrible mal de dent. Dans ce temps-là, il n’était pas question d’aller faire réparer une dent par un dentiste. On se la faisait arracher. Mon père avait dit : « Le docteur est ici. Viens, il va t’enlever ta dent. » Cela ne me tentait pas bien gros, mais il avait pris ses pinces et avait arraché ma dent. Dans ce temps-là, je pense qu’à peu près tout le monde avait des dentiers… et jeune à part ça. Tous les docteurs arrachaient des dents.» Garde Mailloux ne s’improvise pas « arracheuse de dents ». Dès son arrivée, le docteur Gagnon lui dit qu’elle doit s’acheter des pinces à dents, que cela fait partie du rôle qu’elle aura à jouer auprès de la population. « Je ne sais pas comment on fait ça… », lui répond-elle. Elle profite du passage de la roulotte médicale qui longe la côte pendant l’été. « Quand la roulotte est arrivée, je suis allée voir comment les dentistes travaillaient. Il y avait une technique pour engourdir la mâchoire, pour ne pas faire l’extraction à froid; ils m’expliquaient en même temps. Quand la roulotte a été rendue plus loin sur la côte, je me suis rendue sur place et j’ai commencé à faire moi-même des extractions. Les gens ne me connaissaient pas, c’était plus facile. Se servir des pinces, c’était quelque chose. J’ai fait ça pendant à peu près deux semaines avant de me sentir vraiment à l’aise. » Rita devient celle qui soulage les gens qui font des crises de dents. C’est parfois difficile, car les caries sont profondes et les dégâts étendus. Elle est fière de sa nouvelle compétence. Bien sûr, elle utilise les anesthésiques récents, comme la xylocaïne, qui rendent son travail plus facile. Elle s’ingénie à découvrir les débris qui sont restés dans la mâchoire et qui pourront éventuellement causer un abcès. Un travail bien fait qui assure la guérison à coup sûr. Les témoignages abondent : « Elle n’était pas grosse, la garde, mais pour arracher une dent, elle avait du nerf. Elle en a arraché je ne sais pas combien. Elle était comme un docteur. » Pendant son entrevue pour la préparation du livre, une dame me raconte : « Est-ce que je vous ai conté qu’elle m’avait arraché toutes les dents d’un seul coup. Dans ce temps-là, il y a 43 ans, on n’avait aucun service dentaire près de chez nous. J’avais beaucoup de caries, sauf peut-être sur les dents d’en avant en haut. Si c’était comme aujourd’hui, les dentistes auraient pu tout m’arranger ça, mais dans le temps, ce n’était pas possible. Quand on y pense, c’est effrayant. J’avais terriblement souffert pendant ma dernière 37

grossesse. Deux mois après l’accouchement, j’en avais assez. « Je ne suis pas capable de dormir pendant la nuit. J’ai trop mal ». Nous en avions parlé pendant ma grossesse et elle savait que je voulais que tout soit enlevé. Elle m’avait fait asseoir sur la chaise. J’étais un peu sur les nerfs, mais la garde était très calme. Elle avait gelé mes gencives « Si je te fais mal, tu me le dis. » Elle travaillait tellement avec douceur que je ne sentais rien. Elle avait enlevé toutes les dents. Je ne sentais vraiment rien. Elle arrachait chaque dent comme si ce n’était rien. Pouk, pouk, pouk…. Je n’ai jamais eu mal par la suite; mes gencives avaient très bien guéri. Elle m’avait dit : « Tu rinces ta bouche avec du sel. Tu laves tes gencives avec une brosse à dents très douce, en enlevant ce qui est noir : c’est du sang caillé et tu l’enlèves sans frotter. » Ensuite, j’ai eu mes prothèses. Quand je pense que maintenant… » Même les enfants ont confiance. « Garde Mailloux, sa porte était ouverte à tout le monde. Quand on avait quelque chose, on allait la voir. Quand j’étais petite et que j’avais une dent qui branlait, je sortais de l’école, je passais au dispensaire voir la garde, elle enlevait la dent et je m’en allais à la maison avec la dent dans la main. « Regarde maman, garde Mailloux a enlevé ma dent. » Je suppose que ma mère allait payer ensuite, mais ce n’était pas cela qui était important pour la garde : elle aimait beaucoup les enfants et cela lui faisait plaisir de nous aider. C’était très clair. « Tu es allée toute seule chez garde Mailloux… » - « Bien oui, ma dent branlait et elle me l’a enlevée. » Cécile Bouchard, son amie et colocataire, n’a pas souvent l’occasion de la voir travailler. « Je me souviens d’une fois où une petite fille d’environ cinq ans était arrivée avec sa mère pour se faire extraire une dent qui la faisait souffrir terriblement. Elle criait nuit et jour tellement ça lui faisait mal; sa mère était dans tous ses états. Rita m’avait demandé d’aller l’aider. J’avais pris la petite fille dans mes bras. Elle lui avait donné une toute petite bouffée de gaz et aussitôt qu’elle a été détendue, Rita s’est dépêchée de lui enlever cette dent qui lui faisait si mal. Aussitôt que la petite fille est revenue à elle, elle a mis le doigt sur sa gencive pour voir si sa molaire était encore là. Quand elle a vu que sa dent était partie, elle a éclaté de rire. Rita n’avait pas le choix d’extraire des dents comme cela; il n’y avait pas de dentiste, il n’y avait pas d’hygiène dentaire, il y avait beaucoup de caries et ça faisait des abcès. Le seul traitement était d’extraire la dent. » Les enfants se laissent prendre à son charme comme le raconte une grandmère : « Quand un enfant avait mal aux dents, on l’amenait chez la garde. Des fois, les petits avaient peur de la douleur, mais elle était tellement douce 38

qu’ils lui faisaient confiance. Elle gelait la dent et elle attendait un peu en parlant avec l’enfant d’un sujet qui l’intéressait; ensuite quand elle était sûre qu’il ne sentirait rien, elle arrachait la dent. Ils avaient tellement confiance en elle. » Une autre de mes informatrices se rappelle ses premières rencontres avec l’infirmière qui allait dans sa famille soigner une tante qui était malade. « Moi, j’étais toute petite et elle m’impressionnait beaucoup parce qu’elle me semblait très mince et très grande. Au début, je trouvais qu’elle avait un visage sévère et c’est en la connaissant que j’ai vu qu’elle n’était pas sévère du tout. Dès qu’elle souriait, son visage n’était plus sévère. Elle m’inspirait confiance et elle inspirait confiance à tout le monde. Vers l’âge de six ans, j’avais eu une crise de dent; j’avais une dent qui branlait. La garde avait tout fait pour m’apprivoiser. Il faut dire que je ne devais pas être facile à approcher parce que j’étais la petite dernière, la petite fille à maman. Je me cachais derrière ses jupes. Chaque jour, je disais à ma mère : « Quand la garde va venir ce soir, je me la fais enlever. » Quand elle arrivait, je ne voulais plus du tout. Mes sœurs me promettaient toutes sortes de choses. J’avais des cahiers à colorier, des crayons... J’étais le bébé et je pense que ça paraissait. Une fois, la garde m’avait dit : « Regarde, on va juste engourdir ta dent et on va regarder. » Elle avait fait une petite piqûre et ma dent avait disparu… » D’ailleurs, les témoignages de sa relation exceptionnelle avec les enfants dépassent largement le sujet des extractions dentaires : « Mon dernier enfant est arrivé au monde avec des allergies. C’est toujours elle qui s’est occupée de lui. Quand il était tout petit, elle nous avait envoyés à Québec voir un spécialiste qui avait prescrit des piqûres qu’il devait recevoir pendant plusieurs semaines. Chaque fois que j’arrivais chez garde Mailloux, il ne voulait pas entrer et il pleurait. Elle avait toujours quelque chose à lui donner ou à lui montrer; il arrêtait de pleurer, il recevait sa piqûre et on ne l’entendait plus. Elle avait le tour avec lui. Il avait juste deux ans. » Parfois, la confiance fait des miracles : « J’avais mon plus vieux qui saignait toujours du nez. Cela lui arrivait presque à tous les quinze jours. J’essayais de faire arrêter le saignement, mais je n’en venais pas à bout. Finalement, j’appelais garde Mailloux. Aussitôt qu’elle mettait le pied sur la galerie, il arrêtait de saigner. « Il ne saigne pas… » - « Garde Mailloux, il saignait pour vrai quand je vous ai appelée. » C’est arrivé plusieurs fois, pendant deux ans. Il était question de lui faire mettre des mèches, mais la garde trouvait que ce n’était pas nécessaire. Dès qu’elle arrivait, il arrêtait de saigner. Je 39

pense que c’est un peu héréditaire. Son père était comme ça, il partait à saigner du nez pour rien. Mais surtout, je pense que mon garçon avait tellement confiance en elle, il l’aimait tellement qu’il arrêtait de saigner juste en la voyant. » Il semble bien que l’infirmière ait aussi eu « le tour » avec les enfants plus grands. Quand elle était adolescente, cette femme se rendait chez garde Mailloux…. « Nous étions plusieurs enfants à la maison. Mes parents étaient surchargés de travail et avaient peu de temps pour écouter nos confidences, surtout que ce n’était pas très à la mode de faire « verbaliser » les enfants, dans ce temps-là. Quand j’avais envie de parler de quelque chose, je trouvais un prétexte pour aller au dispensaire. Garde Mailloux traitait les adolescents comme s’ils étaient des adultes et on pouvait lui confier ce qui nous touchait ou ce qui nous inquiétait. Aujourd’hui, après avoir fait des études moimême, je me rends compte qu’elle était très psychologue et savait comment nous mettre à l’aise. »

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Chapitre 5. INFIRMIÈRE ET SAGE-FEMME Il reste que les personnes bien portantes dont garde Mailloux préfère s’occuper sont les femmes enceintes. Les grosses familles sont nombreuses et les accouchements fréquents, à Bergeronnes, dans les années 1950. « Dans une maison du rang Saint-Joseph, je connaissais une famille où il y avait beaucoup de monde : les parents, les grands-parents, les frères, les sœurs et quelques-uns étaient mariés. Un hiver, il y avait trois femmes enceintes en même temps dans la maison : deux des filles de la maison, dont une qui vivait à l’extérieur de Bergeronnes et qui était venue pour passer l’hiver chez sa mère pour y accoucher. La bru aussi était enceinte. La mère était une femme extraordinaire; elle s’occupait de tout le monde. En plus, elle prenait soin de son père et de sa mère; cette dernière était au lit, très malade. Le premier bébé était né pendant la veillée de Noël. C’était un beau cadeau de Noël. La famille était allée à la messe de minuit pendant que je m’occupais de la mère et du bébé et on m’avait ramenée à Bergeronnes après le réveillon. Les deux autres filles avaient accouché dans les semaines suivantes. Il y avait beaucoup de bébés qui naissaient dans les années 1950 à Bergeronnes. » Jusqu’à la ménopause, la vie des femmes tourne autour de la procréation. Peu de femmes posent, à l’infirmière, des questions sur la contraception et elles sont en général discrètes à propos de leur vie sexuelle et n’en parlent pas. Elle ne se mêle donc pas de donner des conseils et respecte leur désir de protéger leur vie intime. Garde Mailloux sait très bien que c’est en confession que le sujet est le plus souvent abordé par les femmes. « Pourtant, je n’ai jamais discuté de cette question avec un prêtre. Jamais! Ils donnaient des conseils, même des recommandations aux femmes pour qu’elles n’empêchent pas la famille, mais ils ne me parlaient jamais de ça à moi. Les femmes n’en parlaient pas non plus au bureau. C’était très tabou.» Au cours des entrevues, les gens reviennent à plusieurs reprises sur le sujet des tabous de la vie sexuelle. Une dame raconte, en présence de son mari : « Quand on se mariait, on n’avait aucune idée de ce que ça voulait dire, physiquement. Personne ne nous expliquait ça, sauf peut-être certaines mères avant la nuit de noces. Les filles en parlaient un peu entre elles, mais il y avait bien des « épeureries » dans ce que nous nous racontions. Une de mes sœurs était allée se promener sur le chemin de la mer avec un garçon qui l’avait serrée un peu fort par la taille en marchant. Elle était arrivée à la maison en ayant peur d’être enceinte… On ne savait pas grand chose, hein? » 41

En entrevue familiale, une femme d’une cinquantaine d’années se rappelle la naissance des plus jeunes de la famille. « Quand ma mère accouchait, on partait de la maison; quand c’était la nuit, on allait dormir chez le voisin et le lendemain, le bébé était là. On ne savait même pas comment ça se faisait un bébé. J’ai six ou sept ans de différence avec ma sœur la plus jeune et je ne me souviens pas d’avoir vu ma mère enceinte. Je ne me souviens pas d’avoir dit ou pensé : « Maman est enceinte ». Au moment de sa naissance, j’étais à l’école. Je me souviens que mon oncle était venu dans l’avant-midi pour la faire baptiser. Il était le parrain. Je me souviens de petites choses comme ça. Je ne me souviens pas de la grossesse. En regardant une photo de ma mère, un jour, j’avais vu qu’elle était enceinte; cela m’avait fait drôle… » En entrevue de couple, une femme se souvient de leur innocence au moment du mariage. « Ma belle-sœur a été enceinte à peu près en même temps que moi. Est-ce qu’on avait peur d’accoucher ? On savait que c’était normal, mais c’était quelque chose, le premier accouchement, parce qu’on ne connaissait rien, même en se mariant. J’étais tellement gênée. On ne connaissait vraiment rien. Mon Dieu qu’on était niaiseux. Il me touchait et je devenais enceinte. Cela ne me faisait pas peur d’accoucher. Il y avait très peu de femmes qui mouraient en accouchant, alors, ce n’était pas la peur de la mort qu’on avait. De toute façon, c’était un devoir. Heureusement qu’on s’aimait. » Elle évoque la peur du « corbeau » : « Je me souviens que lorsqu’une femme accouchait, les enfants étaient éloignés de la maison; ils allaient dans la parenté ou chez des voisins. Ils avaient peur du « corbeau ». Pour mes propres enfants, cette croyance était moins pire que quand j’étais petite, mais c’était fort quand même. Les grandes personnes disaient : « Quand le corbeau arrive, il casse les jambes de la maman et c’est pour cela qu’elle crie ». Je me souviens qu’une fois, j’étais à la maison et maman était dans sa chambre. Elle m’avait dit qu’il fallait que je ferme les yeux bien dur pour ne pas que le corbeau me crève les yeux. J’étais jeune. Quand les mères étaient enceintes, on ne savait rien. Pour le corbeau, nous, on croyait ça. » Son mari ajoute : « Dans le fond, on savait que les parents nous contaient des menteries; on savait que ça n’avait pas de bon sens que le corbeau ait cassé les jambes de la mère et que, malgré ça, elle pouvait marcher au bout de trois jours. Les hommes étaient habitués avec les animaux et avaient plus de misère à croire à ces histoires. Je me souviens qu’une fois, j’avais une 42

vache qui était en train de vêler et je mangeais en vitesse pour retourner à l’étable. J’avais dit à ma femme : « Dépêche toi, il faut que j’y retourne. » Mon plus vieux avait à peu près trois ans et demi et il avait voulu venir avec moi pour voir ça. Ma femme était quasiment scandalisée. « Qu’est-ce que tu fais là ? » Je l’avais amené quand même. Après ça, il avait commencé à avoir des doutes à propos de l’histoire du corbeau, je pense. C’était très fort les tabous. Quand j’étais adolescent, j’avais lu dans la bible que la Sainte Vierge et Saint Anne étaient « enceintes » toutes les deux et qu’elles avaient senti l’enfant « tressaillir dans leur sein ». J’avais failli me faire sortir de la maison parce que j’avais osé dire le mot « enceinte. ». Même les jeunes gens ne sont pas tellement renseignés : Laurent Bouchard se rappelle sa première expérience d’un accouchement : « Quand garde Mailloux est arrivée au village, je devais avoir autour de 18 ans. La première fois que je l’ai rencontrée est restée gravée dans ma mémoire. C’était pour son travail. Elle était d’une discrétion absolue et on ne savait jamais ce qu’elle faisait quand elle allait aux malades. Un jour, il y avait une bonne tempête de neige. « Bédard », qui s’appelait en réalité René Simard et qui était le grand-père d’Alain Dumais, m’avait demandé d’aller reconduire la garde chez une malade. Bédard tenait la centrale téléphonique du village et il avait eu connaissance qu’elle cherchait un snowmobile pour aller faire une visite. Monsieur Hovington et monsieur Imbeault étaient occupés et ne pouvaient pas y aller. J’étais donc parti avec la garde. En arrivant à la maison, j’étais entré, juste en cas qu’elle ait encore besoin de moi. Là, j’avais eu un choc. Il y avait une femme qui se lamentait tellement que cela n’avait pas de bon sens; je pensais qu’elle était en train de mourir. Je ne savais pas ce qu’il lui arrivait. Tout d’un coup, j’avais été très surpris quand le mari était sorti de la chambre et que j’avais entendu la femme lui dire d’une voix forte : « Regarde au dessus de la cheminée, le sac à glace est là! » J’avais compris que c’était probablement moins grave que ce que je pensais, mais tout de même… Entre-temps, le docteur Gagnon était parti des Escoumins et garde Mailloux m’avait demandé d’aller à sa rencontre parce qu’elle avait peur que le snowmobile qui l’amenait fasse défaut et qu’il ne puisse arriver à temps. Entre les deux villages, j’avais embarqué le docteur Gagnon avec moi et l’autre snowmobile était reparti de son côté. J’allais très vite, car je pensais que c’était important de revenir au plus tôt. « Va pas si vite! On va se tuer. », m’avait dit le docteur. Je lui avais répondu : « Elle est bien malade la dame, il faut qu’on se dépêche! Elle se lamente tellement que ça n’a pas de bon sens. » - « Je comprends qu’elle se lamente! Un accouchement, ça fait mal, mon homme. Cela paraît que tu n’as jamais accouché… » Tout cela pour 43

dire que la garde n’était pas bavarde : elle ne m’avait jamais dit qu’elle allait faire un accouchement et moi, je n’avais pas deviné parce que je ne connaissais pas ça... » Quelques années après l’arrivée de garde Mailloux à Bergeronnes, certaines femmes commencent à parler de la méthode Ogino, la seule permise par l’Église. Elles se permettent de poser des questions et l’infirmière essaie d’expliquer en quoi consiste le cycle menstruel et quelles sont les conditions pour que la méthode soit efficace. Encore là, elle ne se souvient pas d’avoir discuté avec le curé de la paroisse des conseils qu’elle donne sur la méthode Ogino. Chacun son rôle ! Quand une femme vient la voir et désire savoir si elle est enceinte, elle fait un test de grossesse, car les tests de pharmacie n’existent pas encore. « Au début, je donnais une injection de Prostigmine, une hormone, pendant trois jours d’affilée. Cela ne faisait pas avorter une femme enceinte, mais cela faisait déclencher les menstruations s’il n’y avait pas de grossesse. » À quelques reprises, Rita Mailloux reçoit une jeune célibataire enceinte. Elle discute avec elle et, évidemment, la décision dépend du milieu où vit celleci. Si elle est mineure, elle se sent moralement obligée de mettre les parents au courant et elle en avertit sa patiente qui doit accepter la règle malgré ses réticences. Situation tout de même assez rare. Parfois, la famille trouve une raison pour envoyer la jeune fille à l’extérieur du village pour qu’elle y mette son bébé au monde. Quand la future mère ne veut pas ou ne peut pas garder le bébé, elle s’exile habituellement à Québec, chez les Sœurs du BonPasteur, où les bébés sont ensuite adoptés. Souvent, le mariage avec le père du bébé constitue la solution naturelle d’une grossesse « précoce ». Quand la naissance arrive quelques mois plus tard, tout le monde est au courant, mais ça ne fait trop de « placotage ». Un bébé de huit livres qui naît six mois après le mariage de sa mère, dans un petit village comme Bergeronnes, c’est sûr que ça fait jaser, mais ça ne dure pas longtemps et la vie reprend son cours normal. Toutes sortes de situations se présentent… certaines plus cocasses que d’autres.« C’était pendant les premières années, au tout début. Une jeune fille se présente au bureau en disant qu’elle a des problèmes et qu’elle n’a pas de menstruations. Elle ne veut pas conter son histoire. Je lui fais passer des tests et, au bout de huit jours, comme les menstruations ne se déclenchent pas, je suis certaine qu’elle est enceinte. La jeune fille craque et finit 44

par avouer qu’elle « voit un garçon ». La mère ne panique pas, elle a déjà un bon nombre d’enfants et en a vu d’autres. Elle rappelle son mari du chantier et le met au courant. Celui-ci rencontre le présumé père qui n’est pas très chaud à l’idée de se marier. « Tu as mis ma fille enceinte. » - « Euh... » « J’ai déjà élevé une bonne douzaine d’enfants et je peux prendre celui-là en charge sans problème. Mais dis-toi bien que lorsqu’il te verra passer sur la route, il aura toujours la permission de t’appeler papa. » Cet épisode se termine par un mariage qui, de l’extérieur, a eu l’air d’un mariage heureux. L’histoire suivante se situe à la fin des années 1960. Il s’agit d’une jeune fille qui vivait dans un village voisin et que j’ai rencontrée dans un grand centre urbain. Elle avait entendu parler de la biographie que je préparais et a voulu me confier ce qui suit en hommage à garde Mailloux : « J’avais 13 ans, bientôt 14 quand je suis devenue enceinte. Maman l’avait deviné parce que j’avais comme un mal de cœur. « D’après moi, tu es enceinte. » Elle m’avait pris dans ses bras : « C’est pas grave, on va l’élever ton enfant. » Sa première réaction avait été d’appeler garde Mailloux. Pour elle, ce n’était pas drôle sa garde Mailloux; elle avait la plus grande confiance en elle. Je m’étais rendue à Bergeronnes avec ma mère. La garde m’avait fait raconter mon histoire. Elle m’avait fait passer des examens; elle m’avait posé bien des questions pour savoir comment je me sentais. Elle me parlait tout doucement parce que j’étais encore une enfant; à treize, quatorze ans, on est encore des bébés. Elle avait essayé de déterminer la date probable de l’accouchement, mais pour moi, c’était trop flou, je ne pouvais pas l’aider. J’étais à la fois trop jeune pour savoir ce qui m’arrivait et en même temps, j’étais très adulte parce qu’il avait fallu que je commence à travailler très jeune tout en allant à l’école. Ma famille n’était vraiment pas riche. » « La morale était encore sévère à ce moment-là et j’avais gardé ma grossesse cachée à tout le monde jusqu’à la naissance de ma fille. Pendant les Fêtes, j’étais allée chez la mère de mon « chum » et personne ne s’était rendu compte que j’étais enceinte. J’étais tellement petite que ça ne paraissait pas. Ma fille est née quelques semaines plus tard. Je n’ai jamais compris que personne n’ait remarqué ma grossesse. Je me promenais dans le village tout le temps. J’adorais danser; c’était le temps du yé-yé et on bougeait beaucoup en dansant. » « Je ne m’étais jamais posé de questions sur l’accouchement. J’allais voir garde Mailloux régulièrement; elle me demandait comment j’allais, si j’avais des problèmes. Elle m’avait expliqué comment l’accouchement allait se 45

dérouler, mais j’étais tellement jeune et tellement innocente que je n’avais pas vraiment assimilé ce qu’elle me disait. En fait, elle expliquait, mais je ne comprenais pas vraiment. Au début, je n’ai même pas su que j’avais des contractions, je pensais que j’avais un mal de ventre ordinaire. J’avais dit ma mère. « Je dois avoir attrapé un des maux qui courent. » Ma mère avait appelé garde Mailloux et, sur son conseil, avait fait venir l’ambulance. Pour le chauffeur de l’ambulance, j’étais une adolescente qui avait mal au ventre et qui se rendait à l’urgence. En arrivant à l’hôpital, la garde avait dit tout fort : « Elle va accoucher. » - « Chut! Le monsieur de l’ambulance ne doit pas le savoir, il vient de notre village. Il va le dire à tout le monde. » Mon séjour à l’hôpital avait été difficile; tout le monde savait que j’étais une fille-mère et je m’étais sentie très isolée. De plus, au moment de l’accouchement, j’avais eu des points et je ne le savais pas; cela faisait très mal. Je m’étais vraiment sentie abandonnée. » « Ma mère avait adopté ma fille dès sa naissance. Garde Mailloux m’avait dit d’accepter l’adoption seulement en faveur de ma mère, autrement, le bébé aurait pu être présenté ailleurs. Mon père avait bien pris la chose : « On va avoir un petit bébé à nous autres. Tu seras toujours sa mère. Quand la petite va comprendre, on va lui dire la vérité. » Je restais avec elle dans la maison, comme si elle était ma petite sœur. Je la gardais, je m’occupais d’elle tout en allant à l’école. Dans le village, rien n’avait paru suspect parce que ma mère avait toujours dit qu’elle adopterait un enfant parce qu’elle en avait déjà perdu deux, juste avant leur naissance. En revenant de l’hôpital, j’étais allée voir garde Mailloux avec ma mère et elle avait soigné mes points. Ensuite, j’étais allée lui montrer ma fille quand elle était sortie de l’hôpital où elle était restée plus longtemps parce qu’elle était prématurée. C’est toujours garde Mailloux qui a suivi ma fille pour ses examens et quand elle était malade. » Rita Mailloux raconte d’autres expériences dont elle a été témoin : « J’ai eu connaissance une fois d’une fille qui avait laissé son bébé à la crèche, mais sans le donner en adoption; après son mariage, elle était allée le chercher même si son mari n’était pas le père du bébé. J’ai eu aussi connaissance d’un cas dans un autre village où une fille avait accouché sans que personne ne le sache et sa mère avait fait semblant d’être enceinte; la fille était « entrée en religion » pendant quelques mois et quand elle était « revenue », sa mère « avait eu un bébé ». Le médecin de la famille était soumis au secret professionnel et tout avait bien passé dans la paroisse. L’enfant avait été élevé dans son milieu à la satisfaction de tout le monde. Il portait le nom des 46

parents de la fille comme s’il était leur enfant à eux; il était un nouveau membre de la famille. J’ai aussi eu connaissance de parents qui ont adopté plus tard l’enfant que leur fille avait eu dans une ville éloignée. En somme, tout était possible et la vie avait souvent le dessus. » L’arrivée des contraceptifs oraux et une meilleure connaissance de la sexualité ont évidemment modifié le tableau par la suite…

Suivi de grossesse Bien des situations sont différentes, mais il reste que la grossesse et l’accouchement font partie de la vie de la plupart des femmes. À Bergeronnes, bien des années avant l’arrivée de garde Mailloux, une femme agissait déjà comme sage-femme. Monsieur Paul Bouchard l’appelait « ma tante Arsène »; elle était la femme de Jean Gauthier. « Ma tante Arsène faisait le même travail que garde Mailloux; elle n’avait pas de formation, mais elle allait dans les campagnes pour aider les femmes à accoucher. Elle avait appris toute seule, mais comme il n’y avait personne d’autre, les femmes l’appréciaient beaucoup. C’était l’époque où il n’y avait pas de médecins aux alentours. » Pour Rita Mailloux, il ne s’agit pas seulement d’aller à domicile pour aider les mères à mettre les enfants au monde : elle fait du suivi de grossesse pour les femmes qui le désirent. L’infirmière rencontre régulièrement les femmes enceintes; elle prend leur tension artérielle, elle les pèse et fait des analyses pour connaître leur état de santé. Il faut dire que l’éclampsie est le danger qu’elle craint particulièrement pour ces femmes qui devront accoucher loin de l’hôpital. Parmi les personnes plus âgées rencontrées au cours de cette enquête, plusieurs ont parlé d’une tante, d’une sœur ou d’une grand-mère qui était morte d’éclampsie dans les temps anciens. Au début des années 1950, l’éclampsie demeure une menace; tous les accoucheurs craignent les convulsions qui se terminent souvent par la mort de la mère. Un jour, le docteur Gagnon, qui pratique aux Escoumins, demande à garde Mailloux de suivre une de ses patientes qui vit à Bergeronnes. Celleci fait de l’urémie et l’infirmière lui donne la médication et installe les sérums qu’il a prescrits. Elle accompagne le médecin au moment de l’accouchement et, malgré un début d’éclampsie, la patiente s’en tire sans conséquence néfaste, à leur grand soulagement à tous deux. 47

Rita Mailloux travaille beaucoup avec le docteur Antoine Gagnon. « Je ne sais pas exactement combien d’accouchements j’ai pu faire dans ma carrière; c’est un peu approximatif, mais à un certain moment, j’en avais fait plus de deux cents. Je me rappelle en avoir fait cinq en l’espace de deux jours. Il y avait dans ça une patiente du docteur Gagnon. J’étais déjà dans une maison à faire un accouchement quand il m’avait appelée. Il était à Bergeronnes et il manquait de matériel; il m’avait demandé d’aller le rejoindre dès que j’aurais terminé avec ma patiente. Celui-là, c’était un accouchement conjoint, mais j’avais fait les quatre autres toute seule. J’avais mes propres patientes et le docteur Gagnon avait les siennes. Lui, ça faisait son affaire et ça faisait mon affaire à moi aussi. Il ne venait pas souvent à Bergeronnes, mais parfois, il me faisait venir aux Escoumins pour l’aider. Quand on travaillait ensemble, c’était moi qui surveillais la patiente et je l’appelais quand la femme était prête à accoucher. » L’infirmière entretient d’excellentes relations avec les médecins des alentours : « Je dois dire que lorsque j’avais une situation plus difficile, je demandais de l’aide; ils m’ont toujours soutenue. Ce que j’appréciais énormément du docteur Antoine Gagnon, c’est que jamais il n’a changé un de mes diagnostics. Il ne changeait même pas la médication. Il pouvait ajouter des choses parfois, mais il faisait en sorte que les gens gardent leur confiance en moi. C’était précieux ça! Je lui demandais conseil, car il avait un très bon diagnostic et il avait confiance en lui-même. Les gens le connaissaient, il était natif d’ici. Il était très respecté et avec moi, il était très correct. Quand il venait au dispensaire, il faisait comme chez lui. Il utilisait mes instruments, mes médicaments. Il faut dire que les gens payaient pour les médicaments à ce moment-là et pour les consultations aussi. » Dans sa propre pratique, dès qu’elle décèle des signes d’une complication possible chez une femme enceinte, garde Mailloux communique avec un spécialiste, le plus souvent, le docteur Maurice Caouette, un gynécologueobstétricien qui pratique à l’Hôtel-Dieu de Québec. « Je n’ai jamais eu de femmes qui faisaient du vrai diabète de grossesse. Je faisais trois ou quatre analyses dont le glucose et l’acétone avec les bâtonnets de Clinitest. Au début, avant la sortie de ces tests plus rapides sur le marché, je faisais bouillir l’urine dans une éprouvette au dessus d’une petite lampe à gaz : là, je voyais s’il y avait un précipité d’albumine. Selon la quantité d’albumine, je voyais si c’était dangereux ou non. J’ai été chanceuse dans ma pratique : quand il y avait une grossesse à risque, je la décelais à temps et j’envoyais la future mère à un spécialiste. Je communiquais avec lui pendant la grossesse et, 48

à terme, la femme se rendait à l’hôpital. J’ai eu quelques cas comme ça. Les raisons étaient diverses, mais dès que j’entrevoyais un problème ou un risque, je les référais aussitôt. Par exemple, les femmes hypertendues ou celles dont le bébé me semblait mal placé dans l’utérus. » Rita Mailloux a ses entrées chez plusieurs spécialistes de Québec ou de Montréal. Au cours de la préparation de ce livre, j’ai rencontré l’un d’eux, le docteur Maurice Caouette, gynécologue-obstétricien, à son domicile de Québec et voici le témoignage qu’il m’a livré : « C’était lors de ma pratique médicale à l’Hôtel-Dieu de Québec. Je n’ai pas souvent rencontré garde Mailloux, mais j’ai été souvent en contact téléphonique avec elle. Elle était installée aux Grandes Bergeronnes, sur la Côte-Nord, et comme il n’y avait pas de médecin dans ce village, elle était ni plus, ni moins l’infirmière médecin du village. Garde Mailloux communiquait avec moi quand elle rencontrait un problème médical. Dans ces cas-là, elle voulait confirmer une impression diagnostique et se rassurer ou encore, me diriger une malade dont la pathologie dépassait sa compétence. Je recevais ses malades à l’Hôtel-Dieu de Québec, soit pour des soins obstétricaux ou gynécologiques. J’avais toujours beaucoup de plaisir à communiquer avec elle, car déjà, elle avait une bonne idée du diagnostic et elle se trompait rarement à ce point de vue, ce qui était remarquable. Elle avait un jugement clinique aussi capable que celui d’un omnipraticien expérimenté. J’avais l’occasion de recevoir ses cas compliqués d’obstétrique et également, les cas de gynécologie qui l’inquiétaient. J’ai donc pratiqué des césariennes chez certaines de ses patientes ainsi que des interventions chirurgicales gynécologiques. Parfois, il pouvait s’agir d’autres problèmes d’ordre médical ou hormonal. Il faut dire que garde Mailloux ne prenait jamais de risque. Au moindre doute, avant d’agir, elle préférait me référer ses malades. Je les voyais d’abord à mon bureau et j’en voyais aussi à la consultation externe de l’Hôtel-Dieu de Québec. Je lui envoyais toujours un résumé du dossier de consultation ou d’hospitalisation des malades pour qu’elle sache à quoi s’en tenir et, par la suite, elle communiquait toujours avec moi pour me tenir au courant de l’évolution de la malade. 49

On se parlait donc souvent au téléphone, mais je n’ai jamais eu l’occasion de me rendre aux Grandes-Bergeronnes moi-même. J’ai gardé un excellent souvenir d’elle. Cela fait longtemps…

Ce témoignage est éloquent, mais plusieurs personnes rencontrées en entrevue ont des histoires semblables à raconter. « Quand nous étions nouveaumariés, en 1966, nous restions près de chez garde Mailloux. J’enseignais. J’avais été obligée d’arrêter parce que j’avais eu des problèmes pendant ma grossesse; pourtant, mon médecin me disait que tout était normal. Quand j’ai été enceinte de huit mois, mon mari était allé voir garde Mailloux parce qu’il était inquiet et qu’il la connaissait bien. Elle m’avait questionnée et avait dit : « Moi, je ne prendrais pas de chance avec ça. Il y a sûrement quelque chose qui ne fonctionne pas. Elle avait appelé le docteur Caouette à Québec et il nous avait reçus dès notre arrivée à l’hôpital. Il m’avait passé un examen : « Ou tu as des jumeaux ou tu as un problème ». J’avais déjà pris 65 livres. J’ai finalement perdu le bébé. J’étais bien triste d’avoir perdu ce bébé-là, mais sans l’intervention de garde Mailloux, je serais probablement restée à la maison et j’aurais pu avoir de gros problèmes... Ensuite, elle était venue quelques fois à la maison pour voir comment j’allais. Je venais de perdre un bébé et elle savait que c’était difficile. Elle faisait moins d’accouchements à ce moment-là, car l’hôpital des Escoumins était ouvert. Elle était très généreuse de son temps. Ses enfants étaient jeunes. » Garde Mailloux sent les problèmes même s’ils ne sont pas encore évidents. Cécile Simard-Dumais, une de ses grandes amies, en a fait l’expérience à deux reprises : « Elle avait beaucoup de flair, Rita. Elle prévoyait les choses. Quand j’étais enceinte d’Yvan, j’avais eu une grosse, grosse grippe. J’étais tout proche de mon accouchement. Un jour, elle m’avait dit : « Il faut que tu ailles à Rimouski pour accoucher. » Je ne voulais pas, je ne me sentais pas prête. Je toussais, je toussais. Maurice était arrivé et m’avait dit : « Tu prends l’avion et tu t’en vas à Rimouski. » Je suppose qu’ils avaient parlé avant. Il avait bien fallu que je parte. En arrivant à Rimouski, j’avais été chez mes beaux-parents et de là, à l’hôpital « On vous garde et si vous n’avez pas accouché demain, on va provoquer l’accouchement. » Le lendemain, à l’accouchement, ma belle-mère était là. Le bébé était arrivé en souffrance; il était bleu foncé. Ils m’avaient donné du créosote pour m’empêcher de tousser; j’en avais tellement pris que je puais le créosote; j’étais aussi en hémorragie. Comment Rita avait-elle fait pour prévoir cela ? Elle avait senti 50

que les choses iraient mal si je restais à la maison. Je ne voulais vraiment pas partir, je ne me sentais pas en danger, mais pour une fois, j’étais contente d’avoir obéi. C’est certain que si j’étais restée à Bergeronnes, j’aurais perdu mon bébé. C’était impossible qu’il passe à travers; il serait mort. C’est vraiment Rita qui l’avait sauvé. Le bébé était si peu en forme, qu’au bout de trois jours, le médecin m’avait dit : « Vous allez être obligée de vous occuper vous-même de votre bébé. Il y a trente bébés dans la pouponnière et les infirmières n’ont pas le temps de lui donner tous les soins dont il a besoin. Il est tellement faible que je pense que c’est seulement sa mère qui peut le faire. » Il ne digérait pas; il fallait le faire boire à toutes les deux heures parce qu’il ne gardait rien. Au bout de trois mois, j’étais retournée chez mes beaux-parents à Rimouski et j’étais allée lui montrer Yvan. « Je ne peux pas reconnaître ce bébé-là. Je n’en reviens pas. » Pour Alain, j’étais allée accoucher à Rimouski aussi. Nous avions été échaudés et on ne voulait pas prendre de chance. C’était fin janvier. Alain était prématuré aussi; cette fois-là, Maurice était venu avec moi. » Avec le grand nombre de grossesses, il se produit tout de même des faussescouches et l’infirmière n’y peut rien, sauf assurer la sécurité et donner du soutien à la mère qui vient de perdre son bébé. « Je peux dire que c’est garde Mailloux qui m’a sauvée. J’avais fait une fausse-couche et elle était venue à la maison. Je saignais beaucoup et j’avais très peur. Elle était allée chercher les « restes » dans mon ventre et ensuite, j’avais arrêté de saigner. Elle était comme un docteur. Elle se rendait dans les maisons, elle faisait les accouchements. Elle était bien vaillante, garde Mailloux. » En général, les femmes sont pudiques et parfois, cette réserve peut se révéler dangereuse. Garde Mailloux cite, en exemple, cette femme qui fait des fausses-couches à répétition, qui refuse catégoriquement de se faire examiner ou d’aller voir un gynécologue. À la dernière fausse-couche, l’infirmière décide de lui forcer doucement la main : elle lui explique qu’il y va de sa santé et que, si elle veut avoir des enfants, il faut absolument qu’elle vérifie s’il y a un problème. La dame finit par accepter et l’infirmière fait l’examen de l’utérus : là, elle trouve des débris d’une grossesse avortée antérieurement; des morceaux de placenta sont toujours collés au fond de l’utérus et elle doit les décoller à la main pour nettoyer la paroi. L’opération n’est pas de tout repos, mais la dame n’aura plus jamais de problèmes pour mener ses grossesses à terme, ce qu’elle fit à plusieurs reprises par la suite, à son plus grand bonheur.

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Heureusement, toutes les grossesses ne se terminent pas mal, loin de là. Par exemple, une dame et son mari gardent un souvenir ému d’une certaine grossesse : « Pendant que j’étais enceinte de mon deuxième, j’avais commencé à avoir des pertes de sang. J’avais tout de suite appelé garde Mailloux. Elle n’avait pas voulu que je me déplace, elle était venue me voir tout de suite. Il était à peu près deux heures de l’après-midi. « Tu vas te coucher, tu vas mettre de la glace sur ton ventre et ensuite, tu ne bouges pas. » Je n’avais pas pensé qu’il fallait que je me couche : j’avais 26 ans et à cet âgelà, on ne pense pas au danger. Elle était revenue à la maison vers 7 heures le soir pour voir comment j’allais. Tout allait bien, je ne saignais à peu près plus. Elle m’avait dit qu’elle reviendrait tôt le lendemain matin, mais pendant la nuit, elle était revenue. Elle avait frappé et mon mari était allé voir : « C’est garde Mailloux ». Il l’avait fait entrer. « Garde Mailloux, il est deux heures de la nuit… » Moi, je ne dormais pas encore parce que j’avais peur, je ne me sentais pas en sécurité. J’étais couchée sur le divan du salon. Je pense qu’elle avait deviné que je me sentais mal. Elle était restée avec moi au moins pendant une grosse demi-heure. Après cela, je lui avais dit : « Inquiétez-vous pas, garde Mailloux, je me sens plus calme, je vais dormir maintenant. Vous pouvez partir.» « Demain matin, tu vas te rendre à l’hôpital, c’est plus sûr. » « Le lendemain, j’étais allée aux Escoumins et ils m’avaient gardée pendant une quinzaine de jours à peu près. Elle était même venue à l’hôpital pour voir comment j’allais. En fin de compte, j’avais sauvé mon enfant; il avait trois mois de fait et j’aurais pu le perdre. » « Quand tu vas revenir à la maison, je vais continuer à te suivre. Tout va bien aller. » «C’est pour cela que je dis que garde Mailloux, c’est un cœur d’or. Elle avait toujours un beau grand sourire. Elle n’était pas stressée; elle était calme. Elle avait le don de nous calmer. Elle était très à l’aise avec les gens. Ce n’est plus pareil depuis qu’elle est partie. C’est une femme qui est toujours éblouissante. Elle sourit tout le temps. Elle arrivait dans une maison et c’était le bonheur qui arrivait. »

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L’accouchement à domicile Même si Rita Mailloux ne se souvient pas exactement du nombre d’accouchements qu’elle a pu faire, il est évident que le plus grand nombre s’est produit avant l’ouverture de l’hôpital des Escoumins à la toute fin des années 1950. Au début de sa pratique, elle connaît encore peu de monde dans la région et, à certaines périodes, elle s’ennuie un peu; dans ces moments-là, elle souhaite qu’on l’appelle ou qu’on vienne la chercher pour un accouchement. « J’aimais tellement ça que lorsque j’étais plus d’une semaine sans avoir à faire d’accouchement, je souhaitais qu’il en arrive un. » Il faut dire que l’accouchement à domicile est un événement qui se prépare et qui marque la maisonnée. Pendant une entrevue familiale, une femme raconte à sa fille « Pour accoucher à la maison, on se préparait des piqués. On faisait ça avec du vieux linge, on mettait de la gazette, du vieux papier journal. On piquait ça au moulin à coudre. Ce n’était pas imperméable, mais on plaçait une toile de caoutchouc sur le matelas. On se préparait d’avance. Dans ce temps-là, on portait des corsets; pas juste pendant la grossesse, mais tout le temps. Pendant que j’étais enceinte, j’avais l’impression d’avoir moins mal aux reins, parce que le corset maintenait mon dos. Pour les derniers bébés, j’avais mal dans les hanches il faut dire que certains de mes bébés n’avaient pas un an de différence. » Une autre se souvient d’avoir eu de l’aide de sa famille pendant sa grossesse : « Ma mère ne restait pas loin. Elle m’avait beaucoup aidée. Il y avait aussi une dame qui avait élevé maman et qui restait avec nous. J’avais un livre qui s’appelait La mère canadienne et son enfant; je pense qu’il venait de l’Unité sanitaire. Je me renseignais dans ce livre-là. Cela disait comment se préparer pour accoucher à la maison. Il fallait préparer une toile avec un piqué. Maman m’avait aidée. J’avais un moïse en osier, une sorte de berceau et je le trouvais tellement beau. Malheureusement, je n’ai pas de photo. Il y avait une planche pour mettre le panier et les affaires du bébé. J’ai donné le moïse, mais j’y étais bien attachée. Au moment de l’accouchement, j’étais allée chez ma mère. Pour garde Mailloux, un accouchement, c’était plus que de mettre un bébé au monde. « Il y avait tellement de choses qui se rattachaient à ça. C’était extraordinaire. D’abord, en entrant dans la maison, je sentais que l’atmosphère se modifiait. Tout le monde était tendu, inquiet et le fait de voir 53

arriver de l’aide était un soulagement pour la famille. » En général, quelqu’un vient la chercher et la ramène après l’accouchement. Tout se passe en famille. Le mari participe. Parfois, l’infirmière est seule avec lui, mais la plupart du temps, il y a une autre personne qui s’occupe de la dame qui accouche. Les premières années surtout, garde Mailloux reste sur place pour toute la durée du travail. La route n’est pas toujours facile et le trajet peut s’avérer ardu. Monsieur Dollard Gilbert raconte : « Une fois, il y avait une grosse tempête et la garde avait un accouchement à faire. Elle m’avait appelé : « Il faut que tu viennes me reconduire. Il faut que j’y aille, la femme a besoin d’aide. » J’avais emprunté le snowmobile de Jean-Paul Imbeault. En chemin, c’était tellement mauvais que le snowmobile avait renversé; heureusement que la garde n’avait pas été blessée. J’avais « jackqué » le snow pour le remettre sur la route. La garde est rembarquée tout simplement comme s’il n’y avait pas eu Autoneige B12, communément appelée «snowmobile» d’accident. Elle n’était pas neret mise au point par Bombardier à Valcourt, Québec. Source : Image Google, site www. veuse, la garde… » Une ancienne accouchée se souvient : « Quand mon dernier bébé est né, garde Mailloux avait passé un bon bout de temps à la maison. Je n’étais pas prête encore, mais on restait loin et il ne faisait pas très beau dehors. Pendant la soirée, la garde s’était reposée dans une chaise berçante. La plupart du temps, elle restait avec nous tant que l’accouchement n’avait pas eu lieu. Quand ce n’était vraiment pas prêt, elle retournait au dispensaire, mais quand le travail était en marche, elle restait, surtout si le temps était mauvais. » Entre-temps, l’infirmière jase avec les gens, encourage la mère, lui donne de petits soins. « Je ne faisais pas des accouchements « naturels », ce n’était pas encore commencé dans ces années-là. Toutefois, même si ce n’était pas la même chose, je leur donnais des trucs : prendre de grandes respirations, les aider à se détendre; je les encourageais tout le temps, je leur donnais des petits soins de confort. »

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En arrivant à la maison, elle demande qu’on fasse bouillir beaucoup d’eau. Elle place les instruments dans la marmite et les fait bouillir pendant au moins vingt minutes, une demi-heure. Elle fait de même pour les seringues qu’elle pourra utiliser. Tout doit être stérile. Elle est fière de dire qu’elle n’a jamais eu d’infection après avoir fait un traitement quelconque à domicile. Elle ne change pas de vêtements non plus; elle garde ses vêtements de ville, mais porte parfois un sarrau qu’elle garde en réserve dans sa valise avec un paquet de gants de caoutchouc. Garde Mailloux donne peu de médications contre la douleur; quand le travail est normal, elle risquerait d’arrêter l’évolution. D’un autre côté, il faut dire que les cours prénataux n’existant pas encore, les femmes qui ont leur premier bébé ne savent pas vraiment ce qui leur arrive; parfois, en cours de travail, elles deviennent stressées et tout arrête. C’est alors qu’une petite dose de calmants les aide à se détendre et tout repart dans le bon sens. « Quand c’était une jeune mère, j’expliquais un peu ce qui se passait pendant l’accouchement, mais c’était sommaire; pour les autres, ce n’était pas nécessaire, car elles savaient à quoi s’attendre. » Au cours d’une longue entrevue, une dame parle de son expérience : « À mon premier bébé, je n’avais pas voulu qu’on aille chercher la garde tout de suite; je n’étais pas nerveuse. Mes eaux avaient crevé pendant la nuit. Le lendemain matin, garde Mailloux était venue avec le docteur Antoine Gagnon. Lui, il était resté en bas, il n’était même pas monté. « Garde Mailloux est meilleure que moi pour ça. » J’avais accouché comme un charme. C’était la même chose deux ans après. Au premier bébé, j’avais insisté pour que mon mari monte dans le bois comme il devait le faire ce jour-là. Mes parents étaient avec moi et j’avais tellement confiance en garde Mailloux que ça ne me dérangeait pas qu’il parte. C’était elle qui m’avait suivie pendant ma grossesse. Maintenant, il y a les cours prénataux, mais dans notre temps, c’était plus simple. Quand on était « dans les douleurs », on restait dans notre lit. Quand les douleurs devenaient trop fortes, la garde faisait donner un peu d’éther. Ce n’était pas plus compliqué que ça. La garde était bonne pour nous aider à accoucher. Elle nous frottait les reins, elle prenait soin de nous. Elle était vraiment très près de nous. Quand je suis allée à l’hôpital pour les derniers, c’était bien différent. On avait de bons soins, mais c’était bien plus impersonnel. »

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Au moment de l’accouchement lui-même, à moins que la patiente ne le refuse, garde Mailloux donne un anesthésique léger, une « mixture » faite d’éther et de chloroforme, un liquide qui est versé quelques gouttes à la fois sur un masque d’anesthésie. La quantité est faible. C’est habituellement une femme qui est venue assister l’accouchée ou encore le mari qui donne la mixture. Les femmes ne sont pas vraiment endormies; l’anesthésique sert seulement à enlever les dernières douleurs. En fait, les femmes n’en ont pas beaucoup besoin; elles en reçoivent si peu qu’aussitôt le masque enlevé, elles sont de nouveau réveillées. « Pour mon troisième bébé, ma belle-mère était avec garde Mailloux; elle n’a même pas eu le temps de me donner l’éther, le bébé était déjà là. » À ce stade, l’infirmière doit être alerte, car l’arrivée du bébé est proche. La naissance est un moment privilégié. Dès que la tête du bébé pointe, les paris sont ouverts : un gars ? une fille? Le premier cri du bébé se produit en même temps qu’on s’exclame : C’est un garçon ! ou C’est une fille ! L’accueil est spontané et un nouveau membre s’intègre dans la maison. Il est loin dans le futur l’instant où on découvrira le sexe du bébé à l’occasion d’une échographie de contrôle… Cécile Bouchard, son amie qui vit au dispensaire, l’accompagne un jour : « Une fois, il y avait une grosse tempête. Une femme était prête à accoucher; c’était son troisième enfant et le mari était incapable de revenir des Escoumins. Garde Mailloux m’avait dit : « Il faudrait que tu viennes avec moi. C’est juste pour lui donner un peu de « gaz » pendant l’accouchement. Il n’y a personne avec elle. C’est une femme qui accouche facilement. Penses-tu que tu vas avoir peur ? » C’était la première fois que je voyais un accouchement. J’avais été très surprise; je trouvais qu’il y avait bien du sang… Je donnais le gaz par un masque; j’étais à la tête de la patiente. Je voyais Rita devant moi, au pied de la dame. Je pensais qu’elle tirait sur le bébé, mais j’avais finalement compris qu’elle le retenait pour ne pas qu’il naisse trop vite. C’était exactement le contraire de ce que j’avais imaginé. Ensuite, elle avait mis le bébé sur le ventre de sa mère; la femme était toute contente. « Enfin, je vais pouvoir manger. » Elle avait eu des maux d’estomac à la fin de sa grossesse parce que le bébé était très gros. Ce qui m’avait beaucoup impressionnée, c’était la grosseur du placenta; je n’en revenais pas. Rita avait regardé si tous les morceaux étaient là, si tout était normal. La femme était vraiment contente : « Je vais fumer une bonne cigarette. » Elle avait fumé sa cigarette et elle était toute de belle humeur; c’était la joie dans la maison. Cela avait été une expérience très plaisante pour moi. » 56

Après la naissance, Rita s’occupe du bébé. Elle surveille le cordon pour s’assurer qu’il est bien étanche. Il faut nettoyer le nouveau-né. Certains ont beaucoup de sébum, une substance blanchâtre qui colle à la peau. « C’était terriblement collant. J’enduisais le bébé d’huile Baby’s Own et le sébum partait plus facilement au moment du bain. Dans les premiers temps, les femmes n’avaient pas souvent de lotion pour les bébés, mais elles étaient vraiment bien préparées. Il y avait du linge en quantité, sauf peut-être dans quelques familles très pauvres; là, on s’organisait avec ce qu’il y avait. Il y avait un ou deux endroits où je n’osais pas me laver les mains parce que c’était trop sale, mais c’était vraiment l’exception. Habituellement, le bébé était bien attendu et il y avait tout ce qu’il fallait pour l’accueillir. » L’infirmière se concentre ensuite sur la sortie du placenta. Aucun résidu de placenta ne doit rester dans l’utérus maintenant vide. Quelquefois, il y a résistance et elle doit faire un curage, une sorte de curetage manuel. Elle met un gant stérile et va chercher les morceaux qui manquent. Ensuite, le placenta est habituellement brûlé dans le poêle où il disparaît complètement. L’infirmière donne ensuite les soins à la mère qui doit être lavée et changée. La literie est mise au lavage et on jette au feu les « pads » faits de journaux ou de vieux tissus qui avaient été préparés avant l’accouchement. Rita reste à la maison avec l’accouchée jusqu’à ce qu’elle soit bien installée et ensuite, l’entourage prend le relais. Cette période d’après l’accouchement se révèle parfois catastrophique. Le témoignage suivant est éloquent. « Le fait le plus mémorable qui nous soit arrivé, c’est quand ma femme a accouché du dernier. La garde travaillait souvent avec le docteur Gagnon et, pour cette naissance-là, ils étaient tous les deux. Le docteur Gagnon avait fait l’accouchement et il était resté ici un bon bout de temps. Avant de partir, il avait dit à garde Mailloux qu’il faudrait qu’elle revienne pour jeter un coup d’œil à ma femme. Il avait fait élever le pied du lit. C’était un dimanche matin. Les enfants n’étaient pas à la maison. Ma femme m’avait envoyé « de force » à la messe et elle était restée avec une fille engagée. À un moment donné, la fille engagée avait demandé à la femme du voisin de venir à la maison parce que ça commençait à mal aller; ma femme saignait beaucoup. Elles avaient appelé au central (téléphonique); c’était juste en face de l’église. Monsieur René Simard était venu nous chercher dans l’église. J’étais près de la porte et il m’avait averti en premier. J’étais parti tout de suite. Garde Mailloux était à l’avant et il était allé l’avertir ensuite. Elle avait pris sa voiture. En arrivant ici, j’ai pensé que ma femme était morte. Je prenais son pouls et je ne sentais rien. 57

Je l’avais recommandée à la Sainte Vierge. J’ai confiance à la Vierge. Je me voyais pris : perdre ma femme et tomber avec sept enfants. Ma femme que j’aimais. Sept enfants. Tout de suite après, garde Mailloux était arrivée; elle avait pris son pouls et elle lui avait donné une piqûre. Après la piqûre, elle avait sorti de gros caillots de son utérus. Ma femme a été sauvée. Elle dit qu’elle était consciente, mais selon moi, elle était complètement partie. Le docteur était revenu et ils s’étaient relayés toute la journée avant d’être certains que tout allait bien. Rita Mailloux a très certainement sauvé la vie de ma femme cette journée-là. Si elle n’était pas arrivée rapidement, je n’aurais jamais su quoi faire et ma femme serait morte dans mes bras. Ma femme dit en riant que je me serais remarié tout de suite… Mais, moi, c’était un coup de foudre que j’avais eu avec elle. Elle était en amour avec un de mes cousins. Nous étions dans le bois ensemble. En arrivant du bois, j’avais essayé d’arranger ses amours, mais tout en tentant d’arranger les amours de mon cousin, c’est moi qui suis tombé amoureux. Aimer une autre femme, ça ne se fait pas comme ça.» Quand les circonstances s’y prêtent, une fois l’accouchement terminé, les gens commencent à fêter. Après avoir fait le nécessaire pour que le bébé soit bien confortable, le mari et les femmes présentes dans la maison préparent la nourriture et la table. Souvent, la mère a profité des derniers moments de sa grossesse pour faire des plats spéciaux qui sont offerts aux amis qui arrivent à la maison dès que la nouvelle de la naissance leur est parvenue. Ils sont heureux et ont bien l’intention de le montrer. C’est la fête dans le rang et tous les amis participent. Habituellement, une femme reste dans la famille pendant la période de « relevage » qui dure une dizaine de jours. Parfois, le mari est celui qui s’occupe de la famille, surtout pendant les périodes où le travail se fait plus rare. « Après l’accouchement, on ne pouvait pas se lever avant cinq ou six jours. La tête nous tournait quand on se levait. » raconte une mère qui avait accouché au début des années 1950. Rita retourne voir la mère et le bébé quelques jours après l’accouchement pour voir l’évolution. Elle les visite parfois plus souvent selon les circonstances de l’accouchement ou l’état du bébé. Les infirmières de l’Unité sanitaire vont examiner les bébés après la naissance, mais pour le reste, c’est elle qui s’en occupe. Rita Mailloux aime bien s’occuper des nouveau-nés. Certaines mères allaitent leur bébé, mais ce n’est pas la majorité. Au cours des années d’après-guerre, l’allaitement maternel n’est plus à la mode; 58

l’allaitement à la bouteille semble plus moderne et les jeunes couples veulent se distinguer de leurs parents. Celles qui essaient quand même ne réussissent pas toujours. « J’ai nourri mes premiers bébés, mais au cinquième, l’estomac m’a abouti; en fait, j’ai eu un abcès au sein. Après ça, j’ai arrêté de nourrir les bébés. » Une autre vit la même expérience : « J’ai allaité mes six premiers enfants qui étaient des filles; à la sixième, après quelques jours, j’ai dû cesser parce que j’avais des gerçures et développé un abcès. C’était tellement douloureux que je n’ai plus voulu nourrir par la suite. » Plusieurs mères donnent tout simplement du lait de vache au bébé parce que ce lait est disponible à la ferme : c’est plus simple et ça ne coûte rien. Les premières semaines, il faut « couper » le lait avec de l’eau afin de le rendre plus digestible pour l’estomac du bébé. Rita Mailloux leur suggère une recette : « Je calculais le poids du bébé en livres et je multipliais par trois pour avoir le nombre total d’onces de liquide : je mettais le tiers du poids du bébé en eau et je multipliais le poids du bébé pour le lait. Pour le sucre, on divisait le poids du bébé par deux pour avoir le nombre de cuillérées à thé. C’était une méthode que j’avais déduite pendant mon cours avant de passer l’examen de pédiatrie. J’avais fait le calcul avec le nombre de calories qu’il fallait au bébé et je m’étais rendu compte qu’en faisant ces calculs, j’arrivais exactement à la bonne proportion. C’était plus facile avec cette formule. Par exemple, si le bébé pesait 8 livres : je multipliais le poids par trois pour avoir le total du liquide; cela faisait 8 onces d’eau et 16 onces de lait et 4 cuillérées à thé de sucre. » Le lait de vache n’est évidemment pas pasteurisé : il faut donc faire bouillir le lait et l’eau des biberons pour éviter la diarrhée, un problème grave des petits bébés. Les gens qui n’ont pas de vache achètent le lait d’un cultivateur. Pour stériliser le lait, on le porte tout juste à ébullition et quand la peau est formée en surface, le lait est à point. L’eau doit bouillir pendant dix minutes pour en assurer la stérilité. Une fois les deux liquides refroidis, on les mélange après avoir enlevé la peau du lait. Souvent, les femmes prennent du lait en boîte, du lait « Carnation ». Plus tard, elles achèteront du lait maternisé, par exemple du SMA. Pour le Carnation, elles coupent avec une moitié d’eau bouillie pour faire du lait équivalant au lait de vache. Il n’y a pas de règle pour le choix de la sorte de lait dont on nourrira le bébé. Le choix se fait selon la préférence de la mère. Il n’est pas nécessairement question d’éviter les coûts, c’est plutôt le côté pratique qui l’emporte. Les mères de famille utilisent beaucoup le lait en boite 59

dans la maison, soit pour faire à manger ou pour boire. Ce sont des habitudes de famille, surtout dans les concessions où les gens n’ont pas toujours de vache et vivent loin des épiceries. Les bouteilles et les suces sont stérilisées dans l’eau que l’on fait bouillir pour la préparation du lait. Les femmes font la préparation pour une journée complète et elles placent le lait dans un endroit plus frais pour qu’il se conserve. Le lendemain, elles recommencent la préparation. Très souvent, une seule bouteille est disponible et elle est remplie à mesure, selon les besoins du bébé. Au début des années 1950, plusieurs maisons sont déjà équipées de frigidaires, mais les glacières sont toujours utilisées dans certaines familles. Pour d’autres, pendant l’été, la tablette à l’intérieur du puits peut servir à la conservation du lait pour le bébé et d’ailleurs pour toute la famille. Les bébés commencent à manger quand ils boivent plus que le total de lait nécessaire à combler leur appétit. Évidemment, cette quantité augmente avec le poids. Quand le bébé n’est pas satisfait d’un boire de huit onces, c’est le temps de commencer les céréales. Dans toutes les maisons, on trouve du Pablum, la céréale normale pour les bébés. L’alimentation solide commence vers l’âge de trois mois : des légumes de la table familiale transformés en purée ou encore des petits pots du commerce qui apparaissent à peu près au milieu de la décennie. Les années passent, les temps changent, mais l’infirmière demeure la personne ressource du village. : « À partir de 1959, au moment où l’hôpital des Escoumins a ouvert, je n’ai plus fait autant d’accouchements que dans mes débuts. Les femmes avaient commencé à aller accoucher à l’hôpital des Escoumins. » Garde Mailloux encourage cette pratique qui assure tout de même plus de sécurité pour la mère et l’enfant en cas de complications. Les femmes hésitent, car elles savent qu’il est plus facile de faire venir la garde à la maison que de se rendre à l’hôpital quand le temps est mauvais ou que l’accouchement est précipité. Certaines essaient même de profiter à la fois des conditions de l’hôpital et des services de leur infirmière. Une mère de famille de cinq enfants se rend à l’hôpital pour son sixième accouchement : « Je voudrais que ce soit garde Mailloux qui vienne ici pour m’accoucher… » réclame-t-elle au personnel de l’hôpital. Elle garde une certaine rancœur de son expérience : « Ils n’ont jamais voulu! Et en plus, au moment d’accoucher, j’étais toute seule avec 60

une religieuse infirmière et le médecin n’était même pas là. Je n’étais vraiment pas contente. » Les femmes ont confiance en leur infirmière et c’est graduellement que celle-ci cesse de faire des accouchements. Les femmes continuent tout de même de se référer à elle… en attendant. « C’est toujours elle qui m’a suivie à chacun de mes enfants. J’allais toujours accoucher à l’hôpital des Escoumins, avec le docteur, mais, pendant la grossesse, dès qu’il y avait quelque chose qui ne marchait pas, on lui téléphonait et elle venait nous voir. Quand c’était prêt, elle disait : « C’est le temps que tu partes pour l’hôpital pour avoir ton bébé » D’autres préfèrent continuer à accoucher à la maison, par exemple cette dame que garde Mailloux avait assistée à plusieurs reprises : « Je pense qu’après que l’hôpital a été ouvert, les femmes avaient tendance à aller là pour accoucher. Pour moi, je ne pense pas que je serais partie de la maison. À la maison, on était à l’aise, dans nos affaires. Et j’avais tellement confiance en garde Mailloux que je me sentais plus en sécurité avec elle à la maison. » Et vient le jour où elle fait son dernier accouchement. C’est en 1975, à la période de Pâques. Garde Mailloux arrive de Chicoutimi où elle vit depuis quelques mois; elle vient à Bergeronnes seulement pendant les fins de semaine. Elle n’a pas suivi la patiente qui doit normalement se rendre à l’hôpital voisin pour y accoucher. C’est une tempête si forte qu’elle doit se rendre sur place à bord d’une débusqueuse, le seul véhicule qui peut encore circuler. La patiente n’aurait jamais pu se rendre aux Escoumins pour y accoucher. À la naissance, le bébé pesait 12 livres : c’est cette petite fille qui lui a présenté des fleurs à la fête d’adieu que la population lui a faite au moment de sa prise de retraire. Pour cette fête, on avait choisi le premier et le dernier bébé de sa pratique infirmière, deux filles. Dollard Gilbert raconte : « Elle ne s’énervait jamais la garde, elle prenait toujours les choses du bon côté. J’étais avec elle cette journée-là. La tempête était tellement forte qu’il n’y avait vraiment aucun véhicule qui pouvait passer. La femme était juste à dix minutes d’ici, en plein centre de Bergeronnes, mais on ne pouvait pas se rendre à pied ou en ski-doo. J’avais pris la débusqueuse. C’est une machine qui sert à aller chercher les arbres dans le bois, une machine qui passe partout. Il y a juste un siège dans ça. J’avais fait asseoir la garde sur la batterie; il y avait un panneau de fer qui lui avait servi de siège. Elle trouvait ça drôle. On avait pris une demi-heure pour faire la distance. C’était son dernier bébé. C’est un beau souvenir. » 61

Chapitre 6. CONDITIONS DE TRANSPORT Rita Mailloux parle des conditions de route qui prévalaient à son arrivée : « Ce que raconte monsieur Gilbert au sujet du dernier accouchement que j’ai fait à Bergeronnes remonte au milieu des années 1970, mais à mon arrivée, en 1950, la situation n’était pas rose du tout. Il me semble que les tempêtes étaient plus grosses à cette époque et les chemins n’étaient pas ouverts pendant l’hiver. En été, les routes n’étaient pas asphaltées et elles devenaient très glissantes quand il y avait des grosses pluies. Le parcours était terriblement accidenté et il a fallu bien du travail de la voirie pour en arriver aux routes que nous avons maintenant. » Cécile Bouchard, son amie et colocataire, parle de cette période : « Rita était d’un tel enthousiasme. Peu après son arrivée, elle s’était achetée une voiture, une auto à vitesses manuelles, bien entendu. Les chemins n’étaient pas encore asphaltés et dans les rangs, les routes étaient épouvantables. Parfois, dans les côtes, l’auto étouffait; il fallait redescendre de reculons pour mieux recommencer. Heureusement qu’il n’y avait pas beaucoup de trafic à cette époque; nous avions la route presque à nous toutes seules. Finalement, elle finissait toujours par se rendre où elle voulait aller. Nous n’avions pas de carte des routes autour de Bergeronnes; surtout, Rita ne connaissait pas encore les gens et il n’y avait pas de numéros civiques sur les portes. Welleston Bouchard, son futur mari, connaissait tout le monde et toutes les maisons; à ma suggestion, elle lui avait demandé une couple de fois d’aller avec elle pour l’aider à se familiariser avec les lieux. Elle était très débrouillarde et elle avait repéré les maisons très rapidement. » Cécile continue : « L’hiver, de Bergeronnes à Tadoussac, on voyageait en snowmobile. Il y avait seulement deux traverses par jour. C’était un cassetête pour aller chez nos parents pendant les fêtes. La première année, à Noël, il y avait eu un gros accident. Nous avions une amie, une fille de Baie-StPaul qui avait fréquenté l’école de Saint-Irénée et qui enseignait l’art ménager aux Escoumins. Elle s’appelait Jeannine Tremblay. Elle venait régulièrement nous voir à Bergeronnes; nous étions très liées toutes les trois. C’était la période des fêtes et il fallait aller prendre la traverse pour retourner chez nous. Elle m’avait téléphoné : « On a une belle occasion pour aller prendre la traverse. Il y a un comptable qui est venu faire la comptabilité de quelqu’un aux Escoumins et il s’en retourne en snowmobile. Si tu veux venir, on pourrait aller avec lui. Il y a aussi un professeur des Escoumins qui s’en va à Québec et il doit venir avec nous. » J’avais refusé son invitation. Jeannine 62

avait apporté tous les cadeaux pour ses petits frères et ses petites sœurs, pour sa famille. Sur le traversier, à ce moment-là, il n’y avait pas de garde-fou. Le snowmobile avait plongé dans le Saguenay. C’est la version dont je me rappelle. Le comptable était mort et mon amie aussi; ils étaient à l’arrière et ils s’étaient noyés. Le conducteur et le professeur, eux, avaient réussi à se sauver. C’était quelques jours avant Noël. Chez nous, ils avaient pensé que c’était moi qui étais morte dans cet accident. Je me souviens que sur le traversier, il y avait deux bâches et les deux corps étaient là. C’était terrible. Quand j’étais arrivée à la maison, c’était comme un miracle pour ma famille. Jeannine avait été exposée dans le temps de Noël dans la maison de ses parents; c’était d’une grande tristesse; elle n’avait pas encore 25 ans. » Selon Rita Mailloux, la traverse de Tadoussac est toujours problématique quand elle se déplace avec des malades. « Une fois, j’avais transporté une patiente à Québec avec ma voiture comme je le faisais souvent. Les gens de la Commission scolaire étaient en réunion à Québec et le curé Gendron était avec eux. La femme de monsieur Luma Bouchard m’avait appelée à Québec pour me dire que monsieur Alfred Bouchard était décédé. Ce monsieur Bouchard était le père de Welleston, mon futur mari; c’était lui qui s’occupait du dispensaire et à qui l’on devait la destruction des souris au cours de la première année de mon séjour à Bergeronnes. J’étais très attachée à lui. Là, à Québec, il y avait le curé et la garde-malade. Il fallait qu’on revienne au plus vite : dans ce temps-là, les gens n’étaient pas embaumés et les funérailles avaient lieu plus rapidement. Monseigneur Gendron devait arriver pour célébrer les funérailles; moi, je voulais être là, avec les gens. Nous sommes descendus tout de suite vers Bergeronnes, mais nous avons manqué le dernier traversier. C’était l’automne autour de 1955 ou 1956. Monseigneur Gendron avait alors loué une petite embarcation; nous avions fait la traversée le soir, sur le fleuve, en bateau à moteur; l’auto était restée à Baie-SteCatherine et quelqu’un était venu nous chercher à Tadoussac. Je ne ferais plus jamais une chose pareille; c’était vraiment dangereux. » Garde Mailloux accompagne souvent des gens malades vers Québec, et même Montréal. « Il faut dire que lorsque j’avais un patient à transporter à Québec, j’appelais au traversier de Tadoussac et ils m’attendaient avant de partir. J’avais une sorte de priorité, comme une ambulance. » Certains déplacements exigent de l’infirmière une bonne dose de sang-froid. Cette dame que j’ai rencontrée se souvient d’un voyage mouvementé vers

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Montréal alors qu’elle était enceinte et proche du terme de sa grossesse. C’était au milieu des années 1950… « J’avais un placenta praevia. Mon médecin m’avait expliqué que mon placenta était situé à la sortie de l’utérus et que je risquais de faire une hémorragie grave au moment de l’accouchement. Il avait demandé à garde Mailloux de m’accompagner jusqu’à Montréal où je devais accoucher, car ma famille y était depuis un certain temps. Un rendez-vous avait été pris avec un gynécologue. « Nous étions parties en auto. J’étais très faible parce que cette grossesse avait été difficile et le voyage sur les routes de gravelle n’arrangeait pas mon état. En passant à La Malbaie où il y avait un hôpital, Rita m’avait fait un examen gynécologique pour voir s’il ne serait pas préférable de nous arrêter à cet endroit. Je me souviens qu’elle avait stationné son auto dans une grande allée avec des arbres, là où il n’y avait personne. C’était à Cap-à-l’Aigle. Elle m’avait examinée sur la banquette arrière de l’auto. Tout était normal et nous avions continué jusqu’à Québec. Nous avions pris une chambre dans un hôtel pour y passer la nuit et comme je n’avais pas encore de véritables contractions et que mon examen était toujours normal, nous avions réussi à nous rendre jusqu’à Montréal. J’étais très faible et j’avais dû recevoir des transfusions après mon accouchement. Heureusement que mes autres bébés sont nés sans difficulté. » Ce chemin latéral que Rita Mailloux vient de trouver à Cap-à-l’Aigle, elle l’utilisera par la suite, quand où elle aura à faire le voyage avec une femme enceinte susceptible d’accoucher avant d’arriver à destination. Un exemple suffira : Cette dame avait fait une inversion utérine au cours de son dernier accouchement. Rita Mailloux avait réussi à remettre l’utérus à sa place et tout était rentré dans l’ordre. La dame est de nouveau enceinte et l’infirmière veut qu’elle se rende à Québec pour l’accouchement; elle ne veut surtout pas qu’une nouvelle inversion se produise à la naissance du bébé. Le travail commence plus tôt que prévu et elle décide d’aller la reconduire elle-même. En cours de route, à la hauteur de Cap-à-l’Aigle, elle entre dans cet endroit discret, dans un chemin latéral bordé d’arbres, et elle fait un examen pour savoir si elles auront le temps de se rendre à Québec ou si le voyage s’arrêtera à l’hôpital de La Malbaie. Heureusement, le travail n’a pas progressé et le voyage peut se poursuive. Les tempêtes n’empêchent pas les accouchements. Un homme se souvient d’une naissance au mois d’avril. « Cette année-là, le printemps était bien engagé. Ma femme était partie en souliers pour se rendre au salon de 64

coiffure, pas loin de la maison; il n’y avait presque plus de neige. La tempête était arrivée d’un seul coup. Une vraie grosse tempête, on ne voyait ni ciel, ni terre. Les charrues n’étaient plus en état de marche; elles avaient été remisées pour l’été. Mon frère avait pris son gros camion; il avait mis des chaînes aux roues et des sacs de farine en arrière pour faire du poids. Nous sommes partis avec la garde pour aller aux Escoumins. On suivait les poteaux de téléphone pour rester sur la route. C’était un trajet très difficile. Ma femme avait très peur et elle demandait régulièrement si on voyait encore la route. Garde Mailloux, elle, était d’un calme parfait. Elle s’occupait de ma femme et elle n’a jamais regardé dehors pour voir ce qu’il se passait. Elle n’a jamais paniqué même si elle savait qu’on ne voyait rien sur la route. Son rôle était d’aider ma femme et elle nous laissait entièrement la charge du véhicule. Chacun son rôle! » L’infirmière n’hésite pas à accompagner les patients qu’elle adresse aux spécialistes des hôpitaux. Certains ont davantage besoin d’aide que d’autres. « Il y avait une famille qui était très pauvre et l’homme passait pour un type paresseux. En fait, il était malade, très malade et il allait régulièrement à l’hôpital. Une fois, j’étais allée le reconduire dans un hôpital de Québec et deux ou trois jours après, à ma grande surprise, il était revenu à la maison. Il avait reçu son congé de l’hôpital, mais personne ne lui avait dit ce qu’il avait comme maladie. Le même soir, il avait de la misère à respirer, il se sentait très mal; son ventre était gonflé; il était plein d’eau; on appelle ça de l’ascite. J’arrivais de Québec où j’étais allée reconduire un blessé. J’étais bien découragée de la situation. Il n’y avait pas d’ambulance dans le temps. Je l’avais installé dans mon auto, sur le siège arrière. C’était des routes de gravelle et pendant le trajet, il gémissait; je voyais qu’il faiblissait. J’étais arrivée l’hôpital de Hauterive au milieu de la nuit et les religieuses l’avaient pris en charge. Deux jours plus tard, il était décédé. Il était en phase terminale de cancer, mais l’hôpital l’avait retourné chez lui sans lui dire ce qu’il avait, ni lui dire qu’il allait mourir. » Quelque temps après, la femme de cet homme fait une hémiplégie, une paralysie de la moitié du corps. « Cette dame faisait de l’hypertension. C’est sûr que la situation familiale était très précaire. C’était la plus vieille de ses filles qui prenait soin d’elle et elle faisait du mieux qu’elle pouvait, naturellement. La jeune fille manquait de tout et elle n’était pas préparée en conséquence. Elle devait s’occuper de ses petits frères et petites sœurs et il n’y avait pas d’argent. Il fallait faire quelque chose. Il n’y avait pas d’endroit pour les malades chroniques dans la région. Je me suis souvenu qu’il y avait une de mes 65

tantes, à Montréal, qui travaillait avec le père Lacouture au Foyer de charité. C’était un peu comme les charismatiques d’aujourd’hui. Le père Lacouture avait fait une grosse levée de fonds pour construire un hôpital destiné aux indigents. J’y était allée pour reconduire cette dame-là. Je l’avais amenée à Montréal sur le bateau de la Canada Steamship, à partir de Tadoussac. Je l’avais montée sur le bateau en civière. Il y avait des lits superposés dans la cabine; je l’avais installée en bas et j’allais lui chercher de la nourriture à la salle à dîner. Je m’étais organisée pour qu’une ambulance vienne nous chercher à Montréal. Comment est-ce que tout ça avait été défrayé, je n’en ai aucune idée. J’ai l’impression que ça ne l’avait pas été du tout. J’avais obtenu une place au Foyer de Charité en passant par ma tante. La dame était morte là. Pour les enfants, j’avais travaillé avec la municipalité. Les deux plus jeunes étaient allées à l’orphelinat de Lévis. Un des garçons n’avait pas voulu rester là et les religieuses l’avaient placé chez un cultivateur de la Rive-Sud où il est resté. Les plus vieux se sont organisés et ont commencé à travailler. Ils sont maintenant tous partis du village, mais je pense qu’ils ont réussi à faire une bonne vie. » En parlant de l’hôpital de Baie-Comeau, garde Mailloux se souvient d’un problème qu’elle avait rencontré peu d’années après son arrivée à Bergeronnes. C’était avant le départ du docteur Gagnon pour Chicoutimi, donc avant 1954. « Le docteur Gagnon m’avait appelée à 3 heures du matin parce qu’il y avait des complications à un accouchement qu’il était en train de faire. Il était épuisé et il lui manquait du matériel. Il m’avait demandé d’aller le rejoindre près de Sault-au-Mouton. Il m’avait demandé d’apporter du Subtosan, un genre de plasma, un liquide qui valait environ 25 $ la bouteille; j’en avais toujours quelques bouteilles à mon bureau, en cas d’avoir à traiter quelqu’un qui serait en hémorragie. À environ 5 ou 6 milles avant d’arriver à destination, mon pneu avait éclaté; il était 5 heures du matin. Je m’étais rendue à la maison comme ça, sur le « flat ». Quand j’étais arrivée, le docteur Gagnon était épuisé. En plus, les gens étaient très pauvres et il n’avait pas mangé depuis la veille. Il m’avait dit : « Donne-lui le médicament. Pendant ce temps, je vais aller déjeuner au presbytère. » C’était comme ça à l’époque. Les médecins et les vicaires, souvent, ça allait de pair. Après son départ, j’avais essayé de donner le médicament à la malade, mais elle avait tellement saigné que ses veines n’étaient plus là, j’étais incapable de la piquer. J’ai bien vu qu’elle ne s’en sortirait pas si elle restait à la maison. Il fallait qu’on l’amène à l’hôpital le plus vite possible. Il n’y avait pas de téléphone; j’avais envoyé 66

quelqu’un chercher le docteur Gagnon et je lui avais dit : « Il faut la transporter à Baie-Comeau ». On avait fait venir une ambulance de Forestville et j’étais partie avec la patiente. À Forestville, j’avais vraiment pensé « On va la perdre ». J’avais demandé à l’ambulancier de venir nous reconduire à l’aéroport et j’avais demandé que le mari puisse venir avec moi; non seulement le mari était venu, mais le père du mari aussi. À l’aéroport, il n’y avait pas d’avion privé pour nous amener à Baie-Comeau et on nous avait offert d’utiliser l’avion postal. « On a peut-être le temps de faire le voyage avant qu’il soit obligé de repartir ». C’était une bien bonne idée. Avant le départ pour Baie-Comeau, les types de l’aéroport avaient exigé un dépôt de 500 dollars. C’était évident que les gens n’avaient pas ce montant alors je l’avais fourni moi-même pour qu’on puisse partir au plus vite. J’avais recommandé au type de l’aéroport d’appeler à Baie-Comeau pour qu’il y ait une ambulance à notre arrivée. Dès son arrivée à l’hôpital, la dame avait été prise en charge et elle avait été sauvée. Je pense que le mari n’était pas vraiment conscient de tout ce qui se passait, de l’état de sa femme, de l’urgence de la situation. Il était si peu conscient qu’il m’avait même demandé de le ramener en taxi à Forestville où je devais aller chercher mon auto à l’aéroport. Il avait fallu que je lui « ordonne » de rester avec sa femme à l’hôpital de BaieComeau. De toute façon, la dame avait été sauvée et pour moi, c’est vraiment ce qui importait. Il y a une quinzaine d’années, j’étais à l’hôpital des Escoumins et cette dame était là. Elle m’avait reconnue. Elle savait que c’était moi qui m’étais occupée d’elle. » Rita Mailloux continue à chercher dans ses souvenirs. « En parlant d’avion, ça me fait penser à une autre anecdote. C’était encore une patiente du docteur Antoine Gagnon, une primipare, une femme qui attendait son premier bébé. Il faisait une telle tempête qu’on ne voyait ni ciel ni terre; le docteur Gagnon avait pris la route en snowmobile, mais il avait été obligé de retourner sur ses pas. C’était dans les premières années que j’étais ici. J’étais seule avec la patiente et le travail de naissance n’avançait pas. C’est souvent long, un premier accouchement, mais là, ce n’était pas normal. À chaque contraction, on voyait le bout de la tête du bébé, mais l’expulsion ne se faisait pas. Je communiquais tout le temps avec le médecin. À deux ou trois reprises, il avait essayé de passer, mais il en était incapable. À ce moment-là, il y avait un jeune médecin à Tadoussac, c’était le docteur Cantin; j’avais entendu dire que c’était un sportif et je m’étais dit qu’il pourrait peut-être venir en ski. Il pourrait faire l’application de forceps pour délivrer le bébé et repartir aussitôt. Il m’avait dit : « Je pars en ski. Si tu as tout ce qu’il faut, je vais juste apporter les forceps. » Mais, lui aussi avait été obligé de retourner à 67

Tadoussac, car, même de ce côté-là, ça ne passait pas. J’auscultais régulièrement le cœur du bébé et tout restait normal pour le moment. J’essayais de soulager la patiente qui était morte de fatigue, mais je ne voulais pas trop la soulager non plus pour éviter que le bébé en souffre. À chaque contraction, on pesait sur son abdomen pour aider le bébé à sortir, mais il ne passait pas. Finalement, vers la fin de la nuit, il y avait eu une accalmie dans la température. À Baie-St-Paul, le docteur Robert Desgagnés avait son propre avion; on l’avait contacté et un peu plus tard, il avait atterri à l’aéroport de Bergeronnes. Il avait fait l’application de forceps, le bébé était né et le docteur était reparti en catastrophe, car il avait peur que le vent reprenne avant qu’il soit revenu à Baie-Saint-Paul. La mère et l’enfant s’en étaient bien tirés et ils sont aujourd’hui en très bonne santé. Quelle journée! Dans toutes ces situations difficiles, je ne me souviens pas d’avoir perdu espoir, ni d’avoir été à court de solutions. Il faut dire que j’ai eu la grande chance de ne jamais perdre un patient par manque de ressources. Il y avait un Bon Dieu pour moi. » Puisqu’on parle du Bon Dieu, écoutons Florence Trépanier-Boulianne raconter l’histoire suivante : « Je me souviens de cet incident comme si c’était hier. Les premières années où j’habitais Bon-Désir, au début des années 1960, le chemin était fermé jusqu’à la « 138 » pendant l’hiver. On laissait nos camions à la sortie du bois et, quand on voulait aller au village, on montait à pied ou en ski-doo jusqu’au camion. La famille de l’oncle Émile vivait proche de chez nous : leur maison a brûlé depuis ce temps-là. Dans cette maison, il y avait grand-maman Clara qui était malade. On pensait bien qu’elle allait mourir bientôt et il fallait qu’elle reçoive la communion avec les derniers sacrements. Elle avait 80 ans avancés. Garde Mailloux était venue avec monseigneur Gendron. Ils avaient laissé l’auto à la route; garde Mailloux était embarquée dans la petite carriole en arrière du ski-doo; monseigneur Gendron était assis derrière moi et il tenait le « Bon Dieu » sur lui. Pauvre monseigneur! Il ne savait pas comment se « tenir » sur un Ski-doo. Quand je me penchais sur un côté, il aurait dû faire le contraire, mais il ne savait pas comment faire et nous étions sans cesse en déséquilibre. Je me disais « Il a le Bon Dieu sur lui! Il ne faut pas que j’échappe le Bon Dieu! Il ne faut surtout pas que j’échappe le Bon Dieu. » Je vais toujours me rappeler de ça. » Les conditions de route d’hiver sont difficiles pendant plusieurs années après l’arrivée de l’infirmière au village. Monsieur Jean-Paul Imbeault se rappelle : « Autrefois, les chemins n’ouvraient pas l’hiver à Bergeronnes. Les charrues partaient d’en bas et ouvraient la route jusqu’aux Petites Romaines 68

entre Portneuf et les Escoumins. Le reste était fermé dès qu’il y avait un peu de neige. C’était des grosses côtes, la route était à pic et très tortueuse. Avec les voitures qu’on avait, ça ne montait pas vite dans ces côtes-là. On était loin des chemins d’aujourd’hui; c’était très difficile de circuler en hiver. Quand les routes étaient fermées et que la garde avait besoin d’aller faire une visite ou un accouchement, je l’amenais dans un des snowmobiles qui servaient au transport scolaire. Avec le transport scolaire, on ne pouvait pas prendre un snowmobile de moins de douze passagers. On avait aussi un « dix-huit passagers ». On ne pouvait pas faire autrement à cause du nombre d’élèves à transporter. Les deux snowmobiles étaient conçus exactement de la même manière : les deux avaient la même longueur; c’était la même voiture, le même moteur et le même équipement. La différence était dans la largeur. Le plus large, le 18 passagers, était plus gros et bien moins versant que l’autre; avec le 12, il fallait faire bien attention de ne pas verser. D’un autre côté, le gros était moins bon dans la neige parce qu’il « jackait » en dessous; par contre, pour ne pas renverser, il était deux fois plus sécuritaire. » Monsieur Imbeault est allé bien des fois reconduire garde Mailloux chez des malades ou pour des accouchements, tout comme monsieur Hovington d’ailleurs. « … parfois, dans des tempêtes où on ne voyait ni ciel ni terre. Souvent, les rangs des Petites Bergeronnes n’étaient pas débouchés. Maintenant, il y a un grand bout droit, mais dans le temps, la route ne passait pas par là : en sortant du pont, on continuait au lieu de tourner; on passait en arrière de la première montagne et on arrivait où sont les chalets du lac Gobeil à la pancarte des gardes-feux. Dans la grande coulée, il y avait des cultivateurs; il y avait trois rangs qui constituaient les Petites Bergeronnes. Par contre, pour aller aux Escoumins, la route a toujours passé par Bon-Désir, cela n’a pas changé, la route est toujours à la même place. Le rang SaintJoseph est aussi un rang unique; c’était souvent bloqué pendant l’hiver. Bergeronnes-Village était comme au centre de ces trois sections de l’autre municipalité qui s’appelait Bergeronnes-Canton. Il n’y avait presque pas de population et on avait deux conseils municipaux… La fusion est très récente, quelques années tout au plus, sept ou huit ans. » Et monsieur Imbeault se souvient des voyages avec garde Mailloux, en plein hiver : « La garde était toujours prête à partir quand elle recevait un appel. Je l’ai conduite souvent pour aller aux malades, dans les rangs partout, dans les tempêtes de neige, des grosses tempêtes de neige. Souvent, c’était tout juste pour passer en snowmobile. Des fois quand la tempête était trop grosse, on ne pouvait pas se rendre jusqu’aux maisons; les bancs de neige étaient trop 69

gros et on ne voyait pas les entrées de cour. Elle marchait à pied. Il me semble de la voir avec ses bottes et sa grosse valise noire; elle passait par-dessus les bancs de neige pour se rendre aux maisons. Elle avait du mérite. C’était extraordinaire. De la neige aux genoux. Ce n’était pas facile. Les entrées de maison n’étaient pas pelletées. Quand il faisait beau, les gens venaient la chercher à la route, souvent avec un cheval, mais dans les tempêtes, ils n’étaient pas toujours capables de se rendre. Elle marchait dans la neige. Elle n’était pas grosse garde Mailloux, mais elle était toute là. Elle ne regardait pas où elle se mouillait les pieds. » Claudette Hovington a aussi eu connaissance des déplacements de garde Mailloux en snowmobile : « Papa avait un snowmobile et il allait souvent avec elle dans le rang Saint-Joseph, dans la concession, pour des accouchements. Il allait la reconduire, il l’attendait et il la ramenait au dispensaire quand elle avait fini. Mon père et monsieur Imbeault avaient tous les deux un snowmobile. C’était indépendant de la ligne de transport. Quand l’un ne pouvait pas y aller, elle prenait l’autre. Ils avaient une licence de taxi. Je pense que garde Mailloux mettait un sarrau quand elle rencontrait des malades, à la maison ou au dispensaire. Elle avait toujours sa trousse d’infirmière; dans ça, il y avait plein d’affaires. » Dans mon souvenir, elle avait de grandes bottes et un manteau chaud, pas un manteau de fourrure, c’était un bon manteau de drap. Il me semble qu’elle en a eu un qui était blanc. Je n’ai jamais vu garde Mailloux avec une tuque. Elle avait un grand foulard, comme ceux qu’on place sur la tête et qu’on envoie vers l’arrière. Je sais que lorsqu’elle arrivait dans les maisons, elle était toujours belle, bien mise. Quand il est question de son élégance, Rita Mailloux ne sait trop quoi répondre. « C’est vrai que j’ai toujours aimé les beaux vêtements et je faisais attention de me vêtir confortablement, mais avec le plus de goût possible. Ma mère était comme cela et j’avais acquis cette habitude dès ma jeunesse. À ce propos, il faut que je te raconte une aventure qui m’est arrivée vers la fin de ma carrière d’infirmière de colonie, au moment où je suis passée au service de soins à domicile. C’était un soir d’été, vers 10 heures. Je venais de terminer de faire du ménage dans un placard. J’étais habillée d’un pantalon jaune tout froissé, d’un chandail blanc qui avait vu des jours meilleurs; j’avais des sandales un peu avachies et… les bigoudis sur la tête. Une ambulance s’arrête devant ma porte; dans le véhicule, il y a une femme qui est transférée d’urgence des Escoumins vers un hôpital de Québec; elle n’a pas 70

d’accompagnatrice parce que son état est jugé suffisamment stable pour qu’elle puisse faire le voyage sans problème. Le mari est complètement paniqué et a exigé de l’ambulancier qu’il vienne me chercher pour que je me rende à Québec avec eux. L’état de la dame me semble suffisamment sérieux pour ne pas retarder le voyage et je suis partie sans prendre le temps de me changer ni de me coiffer. À la salle d’urgence, je remets la dame aux mains d’un spécialiste que je connais et je me trouve une chambre d’hôtel pour y passer la nuit. Le lendemain matin, j’avais rendez-vous au DSC de l’hôpital de Hauterive pour discuter des modalités de mon transfert aux soins à domicile. L’avion part de Québec à 6 heures du matin et je n’ai pas le temps de faire quelque achat que ce soit. À mon grand désespoir ou à ma grande honte, je dois assister à la réunion dans mes vêtements de la veille. Heureusement que j’ai pu enlever mes bigoudis, mais je suis quand même coiffée à la va-vite. C’est vrai que je suis probablement un peu orgueilleuse en ce qui concerne mon apparence, mais cette fois-là, je te jure que mon orgueil en a pris un coup. » Pour en revenir aux déplacements dans des conditions difficiles, j’ai recueilli cette histoire de monsieur Laurent Bouchard. C’est avec émotion qu’il raconte : « Garde Mailloux a soigné mon père pendant des années. Il avait une maladie du cœur qui décompensait de temps en temps. Elle le suivait de près et il avait une confiance totale en elle. Quand il allait mal, elle arrivait et lui disait : « Étendez-vous sur le demi-lit » C’était dans le salon. Elle l’auscultait et le regardait respirer. Elle sortait une seringue et lui faisait une saignée; elle tirait du sang et le jetait dans un plat. Ensuite, elle lui donnait une piqûre. Il s’améliorait rapidement. Il disait : « C’est elle qui me garde en vie. » « Un jour, mon père était à son chalet dans le bois avec un de ses amis qui vivait là en permanence. Cet ami était un homme au cœur d’or, mais qui n’aimait pas trop les cérémonies de l’Église; il disait qu’il ne croyait à rien. C’était le printemps. Mon père s’était senti mal et il avait dit à son ami : « Élas, j’ai ma maladie. Je ne me sens pas bien du tout. » - « Je vais aller chercher de l’aide et je reviens. » En disant cela, Élas avait levé le matelas et sorti un chapelet qu’il avait donné à mon père. C’était son chapelet à lui qui était caché là. Au lieu de prendre la route, il avait coupé par le bois pour arriver plus vite à la concession et trouver un téléphone. Il m’avait appelé : « Ton père est malade. Il faut que tu amènes la garde. Fais ça vite! » J’avais été chercher la garde. J’avais pris mon J-5; c’était comme un tracteur avec des chenilles : contrairement au snowmobile, il n’y avait pas de skis en 71

avant, il n’y avait que les chenilles. Nous sommes partis dans le bois. La garde avait sa valise noire, elle était assise derrière moi. Ce n’était pas confortable un J-5. C’était la nuit et il ne faisait pas chaud. Proche du camp, la chenille avait débarqué et nous avions dû nous arrêter. Cela ne valait pas la peine de chercher à réparer, parce que nous étions très près du chalet. Il restait une bonne côte à grimper avant d’arriver. J’éclairais le chemin avec une lampe de poche. Nous marchions dans la boue, la tête baissée pour surveiller nos pas. Tout d’un coup, un cheval a henni tout près de nous. La garde a fait tout un saut. Même moi, qui savais que le cheval était là, j’ai fait un saut moi aussi. Elle ne s’y attendait pas et elle a été très surprise. Ce qui m’avait le plus frappé dans cette histoire, c’est qu’en arrivant au chalet, quelques minutes plus tard, la garde n’avait montré aucun signe de nervosité. Elle venait d’avoir une peur bleue sur la route, mais dès qu’elle avait vu mon père, elle avait repris son attitude habituelle; elle était d’un calme absolu et elle respirait la confiance. Je l’avais bien observée quand elle avait fait sa piqûre et sa main ne tremblait absolument pas. C’était très impressionnant qu’elle ait récupéré si vite et qu’elle n’ait montré aucun signe de nervosité. C’était cela garde Mailloux. Nous avions tous fini la nuit dans le chalet et au matin, le tracteur réparé, nous avions fait une civière avec des bâtons à mon père et nous l’avions ramené au village. C’est plusieurs années plus tard qu’il est mort et, à ce moment-là, garde Mailloux était en voyage. » Voyons l’histoire de cet événement telle que racontée par garde Mailloux elle-même. « J’avais un patient cardiaque que je connaissais depuis plusieurs années. Il faisait régulièrement des crises d’œdème aigu du poumon. Quand il était en crise, j’allais chez lui, je le calmais et je lui donnais un démérol ou un sédol avec un diurétique. En général, il revenait tout de suite. Cet homme était assez âgé; il n’aurait pas dû travailler, mais il était très actif. Il avait une confiance aveugle en mes capacités et j’étais sa sécurité : s’il me voyait deux fois par jour, je devais prendre son pouls deux fois par jour. Quand je devais partir pour une journée ou deux, je l’avertissais : « Ne faites pas d’extravagances, je reviens seulement dans deux jours. » Je lui laissais deux injections dans son tiroir. Il y avait une infirmière qui pouvait lui donner le traitement d’urgence: une injection de ouabaïne et une injection de sédol. Il fallait donner la ouabaïne très doucement par voie intraveineuse. Souvent, les gens pensaient que je lui faisais une saignée. Un soir, c’était en mai, son fils était venu me chercher. Il était avec un homme qui arrivait du chalet, en haut de Bergeronnes. Mon patient allait mal; il avait commencé à respirer avec difficulté. « Tu vas me donner mon chapelet et tu vas aller chercher la garde. De toute façon, tu ne peux rien faire pour moi en restant ici. » 72

« L’ami qui s’appelait Élas connaissait très bien le bois; il était descendu, avait rejoint le fils de mon malade et ils étaient arrivés au dispensaire vers 11 heures du soir. J’étais partie avec le fils; j’avais apporté ma trousse avec moi; il avait une « chenille », un véhicule comme un tout-terrain qui existait dans ce temps-là. Sur la chenille, il y avait de la place juste pour une personne. On s’est assis tous les deux là-dessus; je me tenais d’une main après lui et je tenais ma valise à l’extérieur; il me semble de me voir, perchée sur une machine en tenant ma grosse valise noire à bout de bras. Pendant ce temps, un second fils montait avec le curé. En fait, c’était un remplaçant, car monseigneur Gendron était en vacances. Au pied de la dernière côte, dans le bois, la chenille avait cassé. C’était le printemps à la fonte des neiges. J’étais en petits souliers, car j’aurais eu trop de difficultés à marcher avec les grosses bottes qu’il faut mettre dans le bois. Nous étions quasi certains qu’il serait mort au moment de notre arrivée. Je te dis qu’on marchait vite. Le fils m’avait dit : « On est mieux de ralentir le pas, on ne se rendra pas ». C’était en pleine noirceur, en plein bois. Nous étions finalement arrivés avant le curé, et le malade nous avait accueillis en nous disant : « Prenez votre temps, je ne suis pas mort. » Il s’était soigné comme il le pouvait. Parce qu’il manquait d’air, il s’était « roulé » sur le plancher de la galerie et ça l’avait beaucoup aidé. Une sorte d’auto-massage. On avait passé la nuit au chalet et le lendemain matin, on l’avait descendu sur une espèce de traîneau, un brancard tiré par un cheval. Il était semi-assis et il allait bien. Il est mort plusieurs années plus tard. Je l’avais fait administrer plusieurs fois. »

Les dangers de la « 138 » Écoutons monsieur Marcel Guay nous décrire les conditions de route de l’époque où la 138 s’appelait encore la route « 15 ». « Quand j’étais petit, il n’y avait pas tellement d’accidents parce qu’il n’y avait pas beaucoup de trafic. Il y avait très peu de voitures dans le village. Les chemins étaient tellement étroits que les voitures devaient parfois reculer quand elles se rencontraient. Au début des années 1950, bien des gens n’avaient pas de voiture et se rendaient au village à cheval. Quand le trafic a augmenté, il y avait souvent des accidents dans la grande côte en arrivant au village, à partir de Tadoussac; il y avait une grosse courbe avant d’arriver en bas et cette courbe a été modifiée depuis. Un jour, j’étais au magasin général et une dame avait appelé pour donner sa commande. Pendant qu’elle parlait, elle avait dit : « Mon Dieu, il y a une voiture qui vient de se renverser. » C’était vraiment une côte dangereuse. Aussitôt qu’il y avait un accident, les gens allaient chercher garde Mailloux. Il n’y avait pas d’ambulance dans ce temps-là et 73

souvent, elle allait reconduire elle-même les blessés à La Malbaie ou à Québec. Je pense qu’elle a fait cette route par tous les temps et elle ne semblait jamais avoir peur. » Quand il y des accidents, entre autres dans la grande côte que les gens appellent la « côte de la mort », les victimes sont souvent des gens de l’extérieur qui ne connaissent pas la route. Quand l’infirmière se rend sur place, elle vérifie d’abord la circulation, la respiration; si tout est normal et qu’il n’y a pas de réanimation à faire, elle donne un calmant suffisamment fort pour pouvoir faire une immobilisation adéquate s’il y a des fractures. Souvent, après avoir donné les premiers soins, elle demande aux gens de placer le blessé dans son auto et elle les amène elle-même à l’hôpital. De ces gens de l’extérieur, elle n’a d’ailleurs jamais eu de nouvelles par la suite. Elle les excuse en disant qu’au moment d’un accident, les gens sont tellement perturbés qu’ils perdent le sens des convenances. Quand garde Mailloux parle de cette période, elle dit : « Je pense que toutes proportions gardées, il y avait moins de mortalité autrefois, peut-être parce que la population était plus jeune. Par contre, il y avait beaucoup d’accidents. Des accidents d’autos surtout. Nous avions des routes de gravelle et énormément de détours. C’est incroyable le nombre d’accidents qui se sont produits sur la côte, à l’entrée du village. Aussi, entre Tadoussac et Bergeronnes. Je suis montée souvent pour aller aider des blessés. Les gens venaient me chercher automatiquement. Quand il y avait des fractures, je faisais les immobilisations. Je faisais un examen sommaire pour identifier les blessures. Si ce n’était pas grave, j’amenais les blessés au dispensaire; je soignais les plaies tout de suite, je faisais des points de suture et j’appliquais des pansements ou des bandages. Je donnais des analgésiques pour soulager les blessés plus graves pendant le transport à l’hôpital. La plupart du temps, c’était vers Québec. Je les envoyais à La Malbaie quand c’était moins grave, parce qu’il n’y avait pas de spécialistes, sauf en chirurgie générale. Il n’y avait pas la route pour aller à Chicoutimi dans ce temps-là; il fallait se rendre à Saint-Siméon pour remonter le Saguenay; alors, aussi bien se rendre directement à Québec. Souvent, il y avait des morts dans ces accidents-là. On dirait que c’est moins pire maintenant, même si la route demeure dangereuse. » Et parfois, le transport des blessés se fait dans des circonstances dramatiques : « Un jour, on m’avait amené un homme au dispensaire. Il venait d’avoir un gros accident de pick-up pendant qu’il montait à Manic 5 avec un 74

autre travailleur. Il avait une perforation du poumon et plusieurs fractures de côtes. C’est extrêmement douloureux une fracture de côtes et je lui avais « strappé » le thorax comme il faut pour qu’il puisse mieux respirer. On l’avait placé sur la banquette arrière de mon auto. Évidemment, il avait reçu une bonne dose de calmants pour qu’il ne souffre pas trop pendant le voyage, mais il ne fallait pas que la dose soit trop forte et nuise à sa respiration. Un seul problème, mais de taille : ce soir-là, il y avait une brume à couper au couteau sur la route. Tellement de brume que je devais me pencher à la fenêtre pour être capable de voir la route. La route était encore en gravelle dans ce temps-là et la poussière n’aidait pas à bien voir; je roulais la tête presque sortie de l’auto. Je te jure qu’on n’allait pas vite. Avec la fenêtre ouverte et la poussière qui entrait, le gars n’était pas très confortable et il était incapable de relaxer parce qu’il était mort de peur : « Quand je pense que j’ai la tête du côté du chauffeur; si on a un accident, c’est bien sûr que je suis mort du coup, cette fois-là! » Dans une occasion particulière, garde Mailloux est témoin d’un accident où elle connaît bien une des victimes. « J’étais enceinte de presque neuf mois. J’étais partie avec Welleston et ma sœur Claudine pour aller rendre visite à mes parents à Saint-Siméon. C’était le jour de la fête du Travail et les routes étaient achalandées; il y avait moins d’autos qu’aujourd’hui, mais les routes étaient beaucoup moins belles que maintenant. Près des Petites Bergeronnes, il y avait eu un accident, un gros accident; une auto était tombée dans une ravine. Il pleuvait à boire debout. Il me semble me voir avec mes talons hauts, ma grossesse très évidente et ma valise noire à la main pour me rendre près de l’auto qui était au fond du fossé. Le conducteur était décédé, probablement sur le coup de l’accident. À sa droite, j’ai reconnu une de mes amies, une infirmière de l’Unité sanitaire avec qui je travaillais régulièrement. Elle était blessée et quasi en état de choc.» « Ma sœur Claudine, qui est aussi infirmière, s’était rendue au nouvel hôpital des Escoumins avec l’homme décédé que des passants avaient installé sur la banquette arrière de mon auto. Mon amie avait une grosse fracture du bassin, mais comme ses signes vitaux étaient normaux, je lui avais donné un bon calmant avant de faire le trajet jusqu’aux Escoumins dans l’auto d’un bon Samaritain qui nous avait amenées. Elle ne savait pas que son ami était décédé dans l’accident et elle était trop « sonnée » pour poser des questions. En arrivant à l’urgence des Escoumins, nous avions appris que, malheureusement, le médecin était parti à la pêche et qu’il fallait l’appeler pour qu’il revienne. Ce médecin était le seul médecin des environs depuis quelque 75

temps; il ne prenait jamais de congé et il avait besoin de repos; il s’était assuré d’être facile à rejoindre en cas très urgent, mais il lui fallait tout de même prendre le temps de revenir. Les infirmières de l’urgence m’avaient demandé de rester avec elles, car mon amie était pas mal souffrante et j’étais la seule à avoir le droit de renouveler les doses de narcotiques pour la soulager avant l’arrivée du médecin. Plus tard, le médecin avait fait venir une ambulance de Forestville et Claudine était montée avec la blessée jusqu’à l’Hôpital de l’Enfant-Jésus de Québec. Monsieur Dollard Gilbert est souvent impliqué dans l’aide à apporter aux accidentés : il a une remorqueuse et c’est lui qui s’occupe de libérer les blessés des autos vu que les pinces de désincarcération n’existent pas encore, du moins dans la région. Il travaille souvent de concert avec garde Mailloux et il a beaucoup d’admiration pour sa compétence et son attitude sur les lieux d’un accident. Il est volubile quand il s’agit de raconter ses exploits : « Une fois, la garde avait sauvé un homme devant moi. Il y avait eu un gros accident; un face à face dans la grande côte. Ce n’était pas des gens d’ici. Quand j’étais arrivé avec la remorqueuse, le gars étouffait, il avait plein de sang sur la figure et ses jambes étaient « en miettes ». J’étais arrivé avant la garde et j’avais essayé d’aider le blessé, mais ça ne marchait pas. Dès son arrivée, la garde avait vu qu’il avait avalé quelque chose. Elle avait regardé dans sa bouche et elle avait vu le bout de son dentier qui dépassait de sa gorge. Elle m’avait demandé de lui tenir la tête plus basse que les jambes; elle avait entré son doigt dans sa gorge et elle avait sorti le dentier d’un seul coup. Le gars avait commencé à saigner, mais en même temps il avait recommencé à respirer comme il faut. Je suis sûr que ce gars-là serait mort étouffé si elle n’avait pas su quoi faire. Elle n’avait pas hésité une seconde et elle avait agi avec un tel calme que c’était impressionnant. Voir le gars recommencer à respirer, c’était aussi très impressionnant. Une autre fois, quelques années plus tard, il se produit un très gros accident aux Petites Bergeronnes. Monsieur Gilbert raconte : « C’était une nuit de tempête, une tempête qui avait duré deux ou trois jours. Il y avait eu collision entre une auto et ce qu’on appelle une minivan aujourd’hui. Les deux conducteurs étaient morts. Il y avait une femme qui était très blessée et elle se lamentait à tous les saints. J’avais vu que son mari était mort. La femme devait peser au moins 200 livres; elle avait les jambes cassées. Je l’avais sortie de l’auto et l’avais placée sur le siège de la remorque. Il fallait que je dégage la route au plus vite pour qu’il n’y ait pas d’autres accidents. J’avais 76

laissé les deux conducteurs morts dans leur auto; j’avais chaîné une des autos et on était revenus comme ça au village. J’avais couché la femme sur le divan de la maison et j’avais appelé la garde. Elle était arrivée tout de suite. Elle lui avait donné des calmants et arrangé ses jambes pour qu’elle soit confortable. Elle s’était occupée d’elle pendant plusieurs heures, jusqu’à ce que l’ambulance arrive, au petit matin. Entre-temps, j’avais placé l’auto dans le garage et j’avais fermé la porte. Je n’en avais pas parlé à ma femme pour ne pas l’énerver. J’étais allé chercher l’autre véhicule. Il devait bien être minuit passé. Les policiers avaient appelé pour dire qu’ils étaient pris dans la tempête. Au matin, j’étais allé les chercher dans leur véhicule avec la remorqueuse et je les avais amenés ici. J’étais entré avec eux dans mon garage pour leur montrer les autos et les conducteurs. Quand ils étaient sortis du garage, ils étaient blancs comme des draps. Plus tard, ils étaient venus les chercher. La garde avait le tour avec les blessés; elle était capable de les calmer et de leur donner confiance. C’était précieux ça. » Monsieur Gilbert est intarissable quand il parle de garde Mailloux : « Une autre fois, il y avait eu un accident; dans une des autos où il y avait deux petits gars. Un avait 8 ans, l’autre 12 ans à peu près. Le père était correct, mais la mère était morte. C’était la garde qui s’était occupée des enfants pendant qu’on attendait l’ambulance. Elle était bien bonne avec les enfants, la garde. Ils avaient confiance en elle et ils devaient se sentir en sécurité. » Il y a aussi des accidents où les blessés sont des piétons. Une dame qui restait sur la rue Principale au début des années 1960 me raconte : « Ma petite fille de cinq ans avait été frappée par la charrue en traversant la rue Principale. Ce n’était pas la faute du conducteur, il avait dérapé en voulant éviter un autre enfant qui avait traversé la rue en courant, juste devant lui. La petite avait mal partout, mais elle était consciente. Garde Mailloux était venue tout de suite pour lui donner les premiers soins avant de l’envoyer à l’hôpital des Escoumins qui venait d’ouvrir. C’était bien rassurant de savoir qu’on pouvait l’appeler dès qu’il se passait quelque chose. » Et il n’y a pas que les accidents de la route : « Il y avait aussi des accidents parce que les gens travaillaient dans le bois : des accidents avec les scies, des coups de haches, des blessures avec de la vitre. Parfois, il y avait des brûlures plus ou moins graves. Aussitôt qu’il se passait quelque chose, les gens venaient me chercher et j’y allais. »

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Chapitre 7. ELLE SOIGNE AUSSI LES ÂMES « Garde Mailloux, elle ne faisait pas juste de la médecine, elle ne faisait pas juste aider les gens qui avaient des accidents, elle s’occupait de tout le monde aussi. En fait, elle n’avait pas de « clients », elle s’occupait de toute la population; les Bergeronnais étaient comme ses enfants. Elle avait un grand cœur. J’ai toujours trouvé qu’elle était un psychiatre aussi. Elle soignait autant par la parole que par ses soins. Elle avait un don. C’est difficile à expliquer. Elle avait le don d’aller chercher ce qu’il y avait au fond de nous. Elle ne s’est jamais prise pour une autre. Elle posait des questions et on aurait dit qu’elle devinait. Il n’y avait pas un médecin pour la surpasser. » L’opinion exprimée par ce monsieur est généralisée parmi toutes les personnes que j’ai rencontrées avant de faire ce portrait de Rita Mailloux. Les gens sont unanimes : « Garde Mailloux est un ange ». C’est à partir d’anecdotes qu’il sera le plus facile de faire le tour de cet aspect de la personnalité de l’infirmière. Un homme me raconte : « Mon père arrivait de Chicoutimi où il avait subi un examen général montrant qu’il était en parfaite santé. Quelques jours plus tard, ma mère avait appelé garde Mailloux d’urgence à la maison. Mon père se sentait très mal, il était en sueur, il avait mal dans le bras gauche, bref, il avait tous les symptômes d’un infarctus. » Garde Mailloux continue l’histoire : « Je lui avais donné de la morphine, mais la douleur était toujours là. J’avais appelé le médecin à Chicoutimi avant de donner une dose de morphine plus importante. Il avait été très surpris, car le patient semblait très bien et ses analyses étaient normales. Le malade avait refusé catégoriquement de se faire déplacer en m’expliquant que son propre père avait fait un infarctus plusieurs années auparavant et qu’il était mort pendant le voyage vers l’hôpital. Je n’avais pas le choix, je devais le soigner moi-même. Il avait finalement guéri de cet infarctus, mais il devait être suivi par un cardiologue parce qu’il faisait encore des crises d’angine; j’étais restée en contact avec son spécialiste et tout allait bien. Un jour, le malade m’avait raconté : « J’ai tellement peur de faire une nouvelle crise cardiaque que j’ai placé votre numéro au dessus de ma table de téléphone ». Mon numéro était une garantie de sécurité pour lui. Quand je suis partie pendant un an à Chicoutimi, il faisait tellement d’angoisse, qu’il est lui-même parti pour Québec où il est décédé plusieurs années plus tard. »

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Un homme, père de plusieurs enfants, raconte : « Pour les gens du village, garde Mailloux, c’était un peu comme le Bon Dieu. C’était une perle. Si on avait 25 % de médecins comme elle, on n’aurait pas d’attente dans les salles d’urgence. Elle faisait n’importe quoi. Elle était toujours de bonne humeur. Elle allait soigner les gens dans leur maison ou bien elle les recevait dans son bureau. Et elle ne chargeait pas cher, elle chargeait une piastre pour une visite et si les gens n’avaient pas d’argent pour la payer, ça faisait pareil. La plupart du temps, elle ne parlait pas d’argent, il fallait lui demander ce qu’on lui devait. » Garde Mailloux traite les petits problèmes avec le même respect que les problèmes plus graves. Une femme en fait l’expérience : « Une fois, j’étais allée la voir avec mon bébé. J’étais inquiète parce qu’il pleurait beaucoup. J’avais paniqué. Je restais tout près de chez elle. Une de mes amies était venue à la maison et elle avait bien vu que j’étais tout inquiète. « On va aller voir garde Mailloux ». Il pleuvait. Nous sommes arrivées chez elle. Elle l’avait examiné et elle avait dit : « Il n’a vraiment rien. Il n’est pas malade. Peut-être que tu le berces trop, mais il n’est pas malade. » Elle n’avait absolument pas ri de nous. Elle l’avait examiné pour vrai. Elle nous avait accueillies. Elle n’avait pas ri de moi parce que j’avais peur pour mon bébé et que mon bébé n’avait rien… Si j’étais allé voir un médecin à son bureau… je pense que je me serais fait dire que j’étais allée pour rien. Je me serais sentie un peu niaiseuse. Avec garde Mailloux, jamais. » Elle sait aussi aider à remettre les idées en place quand tout va mal. Cette dame à qui on avait annoncé qu’elle souffrait d’épilepsie raconte : « J’avais eu très peur parce que je pensais que je faisais une tumeur au cerveau. Quand le neurologue m’avait dit que c’était de l’épilepsie, j’étais tellement soulagée que je trouvais que ce n’était rien. C’est quand les enfants ont commencé à en faire eux aussi que j’ai trouvé ça moins drôle. Mon plus vieux avait douze ans la première fois qu’il avait fait une première crise. Là, je ne l’avais pas pris. Je ne pouvais pas accepter que mes enfants puissent souffrir de ça. Je vais toujours me rappeler de ce que garde Mailloux m’avait dit. Je l’avais fait venir parce que j’étais comme en dépression; j’étais très, très fâchée. « Cela ne se peut pas que mes enfants fassent aussi de l’épilepsie ! » J’étais sur le gros nerf. Elle avait pris le temps de s’asseoir et de m’écouter. Ensuite, elle avait dit : « Écoute, on va parler ! Regarde le problème autrement. Là, tu es fâchée et tu ne veux pas accepter que ton garçon fasse de l’épilepsie, mais même si tu restes fâchée toute ta vie, ton garçon n’ira pas mieux pour ça. Prends toute la vaisselle que tu as dans 79

l’armoire et casse là toute. Prends une hache, un marteau et débâtis ta maison si tu veux. Brise tout ça. Mais quand tu vas te lever le lendemain matin, tu vas avoir encore le même problème et en plus tu vas être obligée de réparer ta maison et de te racheter de la vaisselle neuve. Je pense que tu es mieux d’accepter. » C’est là que j’avais compris. Quand ma fille avait commencé à faire des crises à l’âge de cinq ans, j’étais complètement démolie encore, mais je repensais toujours à ce que garde Mailloux m’avait dit. J’avais tendance à trop m’en faire, car de toute façon, avec la médication, la maladie était bien contrôlée. Je me demande où je serais aujourd’hui si garde Mailloux n’avait pas été là. Elle prenait le temps de m’écouter, de me dire que ce n’était pas si pire que ça, qu’il fallait que je me calme. Elle m’a toujours bien soignée; parfois, elle me donnait des pilules pour m’aider. Elle me connaissait bien. Elle n’a jamais voulu que je prenne une médication à long terme; c’était juste quand j’en avais besoin pour vrai. » Au cours des années, garde Mailloux est confrontée à plusieurs reprises à des problèmes de dépression. Il y a peu de services psychiatriques dans la région et souvent, elle doit faire face toute seule aux problèmes : « J’ai traité des cas de dépression importante. Je me suis souvent levée la nuit. Je me rappelle d’une jeune fille qui faisait une grosse dépression nerveuse; elle venait de l’extérieur et était venue à Bergeronnes visiter une parente. Elle était traitée au Valium, à « doses de cheval ». Évidemment, elle était encore plus dépressive. Elle était amortie. Je lui avais expliqué les effets du Valium. Je parlais beaucoup aux gens. Elle avait décidé de rester ici pendant quelque temps pour que je puisse la suivre. Je lui avais enlevé ses Valium. Au début, c’était très difficile. À tout instant, j’étais appelée pendant la nuit : elle avait peur de mourir, elle faisait des crises d’angoisse. Elle faisait de l’hyperventilation à force d’avoir peur. J’étais allée chez sa tante plusieurs nuits pour lui montrer que j’étais vraiment disponible. Finalement, je devais aussi lui prouver que je n’avais pas peur qu’elle meure, alors je lui avais dit : « Je suis certaine que tu ne vas pas mourir. Mais si tu veux vraiment me parler, pour te sentir plus sûre de toi, viens au bureau, viens me voir, on va parler tant que tu voudras. » Elle disait avoir trop peur de mourir pour sortir. Finalement, elle avait commencé à venir; il pouvait être une heure ou deux heures du matin quand elle arrivait et je l’écoutais. Elle se sentait toujours fatiguée, même sans ses Valium, mais elle ne dormait pas de la nuit à force de ressentir ses angoisses. Je lui avais donné des somnifères pour qu’elle puisse récupérer. Tout cela avait duré environ un mois et ensuite, elle s’était améliorée; puis elle avait recommencé à travailler. »

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Une dame que j’ai rencontrée en entrevue me confie : « J’ai souvent fait venir la garde à la maison. Je faisais des crises de foie, mais surtout, j’étais un peu déprimée. Pour les crises de foie, elle me gardait ici; elle me donnait une piqûre pour m’engourdir, je passais une journée au lit et ensuite, j’étais bien; je me suis fait opérer plus tard. Par contre, quand elle sentait que je commençais à être vraiment déprimée, elle m’envoyait à l’hôpital; la première fois, c’était aux Escoumins; la deuxième fois, le docteur Antoine Gagnon était revenu et il m’avait hospitalisée en psychiatrie. Mon mari partait travailler le matin et il revenait le soir. Moi, j’étais toujours restée à la maison avec mes enfants. Quand je me suis vue toute seule à la table, plus d’enfant, plus rien, j’ai trouvé ça bien dur. Quand tu as élevé une grosse famille et que tu te retrouves toute seule à table, tous les midis… Maintenant, depuis plusieurs années, je suis correcte; j’ai une médicament léger et tout va bien; j’ai même diminué ma quantité parce que je sentais que ce n’était plus nécessaire. Le médecin m’avait conseillé de m’acheter un petit chien; je l’ai toujours avec moi dans la maison. À ce moment-là, la garde avait déjà pris sa retraite. La garde m’a vraiment beaucoup aidée; elle m’a beaucoup écouté parler; elle surveillait ma médication et quand c’était important, elle demandait une consultation auprès du psychiatre. En entrevue, garde Mailloux parle longuement de sa vision de la santé mentale : « Parfois, on entendait dire « Cette femme a le mal imaginaire. » Moi, je n’ai jamais connu de femmes qui avaient un vrai mal imaginaire. Même s’il n’y avait pas de pathologie, de maladie physique, je n’ai jamais pensé qu’elles avaient le mal imaginaire; j’étais plutôt certaine que c’était une personne angoissée ou une personne qui était en dépression. Je trouvais que ça valait la peine de me déplacer pour aller réconforter cette femme, pour la sécuriser; souvent, c’était tout ce que ça prenait. C’était une personne qui avait besoin d’aide et quand une personne a besoin d’aide, cela vaut la peine d’aller la voir. Des gens ont vécu des choses difficiles, certains ont subi des chocs dans leur vie et ils font de l’angoisse. Dans le temps, il n’y avait pas de psychiatre facilement accessible. Évidemment, s’il s’agissait d’une maladie grave, je les envoyais consulter un psychiatre à l’extérieur. Par contre, pour les cas de dépression ou d’angoisse, il ne fallait pas compter sur les psychologues, il n’y en avait tout simplement pas dans la région. Plus tard, on envoyait les malades les consulter. Dans les débuts, je m’occupais d’eux moi-même; c’était très facile de les faire parler. Quand les gens étaient en confiance, ils me racontaient leur vie, ce qui les angoissait, les accidents qu’ils avaient eus, les frustrations. Parfois, je pensais que les prêtres au confessionnal n’entendaient pas tout ce que j’entendais dans mon propre 81

bureau. J’ai fait beaucoup de relation d’aide avec certains patients. Je me souviens d’un patient qui avait eu une enfance assez difficile; il avait été à l’orphelinat et il était porté à la dépression. Il reconnaissait ses symptômes de dépression et quand ces symptômes apparaissaient, il savait qu’il était sur la pente descendante. Il venait me voir et il parlait. Il me racontait ce qui l’inquiétait; ses rêves, ses cauchemars, ses angoisses, ses réactions trop fortes ou inappropriées; souvent, il repartait ragaillardi. C’était suffisant pour les cas traitables; pour les autres, je les référais à des spécialistes. » « Parfois, si les gens se plaignaient qu’ils ne dormaient pas, je leur donnais des somnifères; je n’avais pas de médicament spécifique, cela dépendait de chaque cas. Je n’ai jamais donné suffisamment longtemps de médication à quelqu’un pour qu’il risque la dépendance. De plus, je n’ai jamais donné plus d’une douzaine de pilules à la fois; j’aimais mieux qu’ils reviennent pour une évaluation. S’ils allaient bien, c’était tant mieux, je ne les voyais plus jusqu’à la prochaine fois. Cela valait pour les problèmes de santé mentale. Pour les autres maladies, c’était différent, j’étais moins craintive, même si je faisais très attention à ne pas donner trop de médicaments. Je ne me souviens pas d’un seul patient qui aurait fait une tentative de suicide en prenant une dose excessive de médicaments que je lui avais donnés. » Récemment, il y a quelques années tout au plus, une mère de famille est venue chercher de l’aide auprès de garde Mailloux pour son fils qui allait particulièrement mal : « Mon admiration pour garde Mailloux touche à la vénération. Même aujourd’hui, alors qu’elle est à la retraite, elle sait encore trouver les mots qui rassurent et qui soulagent. Je peux dire qu’elle a sauvé mon fils du suicide. La journée de son anniversaire de mariage, sa femme lui avait dit qu’elle le quittait, qu’elle ne l’aimait plus. Ils étaient mariés depuis de longues années et il avait plus de 40 ans. Mon garçon ne faisait que pleurer et j’avais peur qu’il ait des idées suicidaires. Je lui disais : « Tu as besoin d’aide », mais il ne m’écoutait pas. Il travaillait à l’extérieur; là, il se mettait une carapace et personne ne savait ce qu’il vivait. Un jour, il avait téléphoné et il allait très mal. « Je suis tout seul, je ne peux pas m’en sortir. Je pense que je vais en finir ». J’avais demandé à garde Mailloux de nous aider, car je savais que mon fils avait la même vénération que tout le monde envers elle. Il avait accepté de la rencontrer. Quand il avait vu la garde, il s’était jeté dans ses bras en pleurant. Elle l’avait laissé parler, puis elle lui avait parlé longuement. « Tu vas aller à l’hôpital; on va demander de l’aide. » Comme cela venait de garde Mailloux, il avait accepté de se faire traiter et ensuite, il a commencé à remonter la pente. » 82

Comme auteure de ce portrait de garde Mailloux, je peux ajouter ici que le fils est arrivé pendant que sa mère parlait. Non seulement il a confirmé ce qu’elle venait de dire, mais il a même ajouté qu’on pouvait raconter son histoire en utilisant son nom, ce que je n’ai pu faire à cause des décisions prises sur la confidentialité de mes interlocuteurs quand il est question de témoignages personnels et privés. Pour Geneviève Ross, l’un des grands rôles qu’a joué garde Mailloux est celui de l’infirmière de l’âme… pour ceux que le malheur frappait. « Au cours des années, j’ai compté une quarantaine de noyades dans les alentours, sur le fleuve, dans la rivière ou dans les lacs de l’environnement. Florent Guay, le fils d’Adrien Guay, avait une quinzaine d’années quand il s’est noyé au lac Gobeil. C’était terrible pour les parents et garde Mailloux est restée avec eux pour les soutenir. On ne l’a jamais retrouvé parce que l’eau est très foncée au lac Gobeil et qu’on voit très mal. Avec les gens, elle avait une attitude tellement humaine. Elle savait toujours trouver les mots pour consoler ou pour rendre la peine plus endurable. C’est précieux d’avoir cette capacité. C’est à la suggestion de Geneviève Ross que je suis allée rencontrer Rita Desbiens dont la famille a vécu un deuil terrible quand deux grands garçons qui travaillaient à la Coop d’électricité ont été emportés par les eaux du barrage, un printemps. « Au décès de mes frères, garde Mailloux a donné beaucoup de soutien à mes parents. Roy avait 28 ans et Léo avait seulement 23 ans. Les deux étaient célibataires et vivaient à la maison avec mes parents. » Elle raconte brièvement le drame qui a bouleversé la paroisse : « Mes frères se sont tous les deux noyés en même temps pendant qu’ils travaillaient au barrage de l’électrification rurale aux Petites Bergeronnes. C’était un travail qui devait durer une seule journée. Roy était dans son chaland au milieu de l’eau, en haut de la chute et Léo était sur la berge. Roy est tombé à l’eau et s’est accroché à un morceau de bois. Le courant était fort et l’eau glaciale. Les hommes lui ont envoyé une corde. Il faisait très froid, c’était le 9 de mai. Léo est monté sur un autre chaland. En voulant donner la main à Roy, il a basculé et il est tombé à l’eau. Roy l’a regardé passer sans pouvoir rien faire. Les hommes sont partis à la recherche de Léo, en pensant le récupérer au bas de la chute, mais ils ne l’ont pas retrouvé. Quand ils sont revenus près de Roy, celui-ci avait disparu. En fait, il était dans l’eau, suspendu par les jarrets au câble qui traversait de la rivière. Ils ne le voyaient pas parce qu’il était sous l’eau de la chute. Ils ont fermé les pelles du barrage et l’eau a di83

minué; ils ont vu sa main. Il a fallu 28 heures de travail pour aller le chercher et le ramener sur le bord de la rivière. Monsieur le curé Desmeules et garde Mailloux sont arrivés ensemble pour annoncer la nouvelle à mes parents. Ce que je sais, c’est que monsieur le curé voulait absolument que garde Mailloux soit là. Mes parents savaient que mes frères travaillaient à la rivière et ils se sont tout de suite doutés de quelque chose. Nous connaissions la rivière, elle passait tout près de chez nous; elle était très grosse ce printemps-là et le courant était très fort. En fait, mon père a deviné tout de suite. » « Garde Mailloux a été très importante pour mes parents; ils se sont accrochés à elle. Je sais qu’ils ont eu de la médication; mon père avait une tension très basse; ma mère semblait plus forte, mais elle n’avait presque pas le choix vu que mon père était si faible. Je pense que mes parents ne se sont jamais remis de ce double deuil. Les heures qui ont passé avant que l’on retrouve Léo dont le corps était accroché plus en bas sur bord de la rivière et plus encore, les heures qui ont été nécessaires pour dégager le corps de Roy ont dû être atroces pour eux. Garde Mailloux a été très présente pendant ce temps. Heureusement qu’ils avaient une grande foi, c’est ce qui les a sauvés. Maman a beaucoup pleuré; surtout le matin parce que c’était toujours elle qui les réveillait pour qu’ils aillent travailler. Elle pleurait tous les matins. Garde Mailloux allait la voir régulièrement et elle la suivait tout en essayant de la consoler. Heureusement qu’elle était là. C’était d’un grand réconfort pour mes parents. Le curé Desmeules les a bien aidés aussi. Au début, la garde se rendait deux ou trois fois par jour à la maison, pour voir comment ils allaient, pour les consoler, pour essayer de rendre leur peine moins difficile. Perdre deux garçons dans la vingtaine, dans un accident, c’est dur pour les parents. » Une autre dame confirme l’empathie de garde Mailloux quand un malheur frappe : « Elle avait une délicatesse extraordinaire. Je travaillais le soir de 4 heures à 7 heures dans une institution du village. Je revenais à pied avec une compagne et on jasait tranquillement. Garde Mailloux était arrivée et elle m’avait fait monter dans son auto. « Ne t’inquiète pas, mais il est arrivé un accident à ton garçon. Il est juste blessé, mais c’est assez grave. Il était en bicycle et il a été frappé par un camion. Je vais monter avec toi aux Escoumins, il est à l’hôpital. » Mon fils avait une fracture ouverte de la jambe et il a dû porter un corset pour un problème de dos pendant un bon bout de temps. La garde venait régulièrement lui faire des pansements et elle l’encourageait. Il a encore des séquelles. Il a été chanceux. »

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L’empathie transparaît aussi dans cette histoire : « Garde Mailloux ne s’occupait pas seulement de la santé des gens; elle s’occupait aussi de nous de façon plus large. Je te donne un exemple. J’ai un de mes frères qui est mort d’un accident de tracteur à l’âge de 19 ans. J’avais onze ans à ce moment-là. Nous étions quatre filles à l’école, les quatre plus jeunes de la famille, et l’aînée de mes sœurs y enseignait. Pendant la classe, on nous avait demandé de descendre à l’entrée de l’école. Garde Mailloux était venue nous chercher en nous disant qu’un de nos frères avait eu un accident; elle ne nous avait pas dit tout de suite qu’il était mort. Elle avait dit : « Je vais vous amener le voir. » Elle était venue nous chercher en auto; en route vers le dispensaire, elle nous avait appris son décès. Je me souviens qu’on avait beaucoup pleuré… d’abord dans l’auto et ensuite, en arrivant au dispensaire. Elle avait dit : « C’est mieux que vous pleuriez beaucoup tout de suite. À la maison, vos parents ont beaucoup de peine… » C’est juste après qu’elle nous avait ramenées à la maison où elle s’était assurée que mes parents allaient bien. Elle était restée très présente pendant toute cette période-là. » L’infirmière se souvient du courage dont avaient fait preuve les membres de cette famille : « J’étais retournée à la maison, le soir, pour voir comment ça allait. En entrant, j’avais entendu le son du piano et des voix dans le salon. C’était touchant ! Les parents et les enfants étaient réunis autour du piano et ils chantaient tous ensemble… C’était tellement beau de les voir. » Rita Mailloux sait très bien que, pour la population, elle était un peu la porte-parole du malheur. « Quand il y avait des accidents, soit en forêt, en auto ou même des noyades, c’était à moi d’aller avertir les familles. C’est arrivé à plusieurs reprises; tellement que si les gens ne m’avaient pas appelée et qu’ils me voyaient arriver, ils avaient peur. J’étais la personne qui venait quand il y avait des mauvaises nouvelles. Quand les gens m’appelaient d’eux-mêmes, c’était simple, car ils m’attendaient; autrement les gens paniquaient quand ils me voyaient arriver. J’étais identifiée à la porteuse de mauvaises nouvelles. Normalement, je n’allais jamais faire une visite sans avoir été invitée. Il y a des personnes que je pouvais aller voir, car je les suivais depuis longtemps et c’était des visites de routine, mais quand j’allais dans les autres familles, c’était vraiment parce que j’avais été appelée. D’ailleurs, je suis restée avec ça et, même aujourd’hui, je ne vais jamais faire une visite à des amis sans m’être annoncée d’abord. Quand il n’y avait personne de malade dans la famille et que j’arrivais, c’est certain qu’ils avaient peur de ce que j’allais dire. Souvent, j’arrivais avant le curé d’ailleurs. Je ne peux pas dire que c’était un rôle facile, mais il fallait bien que quelqu’un s’en charge et j’essayais de m’occuper des gens par la suite. 85

D’ailleurs quand il y a un décès, elle essaie de prendre soin des survivants. « Je me souviens d’un jour… Il y avait eu un décès. C’était une femme du village qui vivait avec sa fille. La fille était inquiète de rester seule dans la maison en attendant l’arrivée de sa parenté prévue pour le lendemain. En fait, elle avait peur et je pouvais comprendre cela. Je l’avais amenée coucher au dispensaire où il y avait une chambre pour les visiteurs. Plus tard, elle m’a souvent reparlé de ce moment où elle avait eu besoin de réconfort. » Une fois le manuscrit terminé, je reçois un dernier témoignage pendant que je discute avec monsieur Laurent Bouchard à son dépanneur. Une cliente commence à me raconter son histoire. Monsieur Bouchard nous suggère d’utiliser sa cuisine pour une courte entrevue : « J’étais la quatrième d’une famille de huit enfants. Mon père est décédé quand il avait 42 ans. Il travaillait à Sault-au-Mouton sur la ligne électrique. C’était en octobre, à la fin de l’après-midi. Il avait « pris le courant » et il était tombé en bas du poteau. Il avait été transporté aux Escoumins et il était mort très vite. J’avais juste 10 ans; mes souvenirs sont un peu flous et je ne sais pas qui avait averti ma mère. Ce dont je me souviens c’est que j’étais en crise quand garde Mailloux était arrivée. Elle m’avait serrée dans ses bras et elle m’avait parlé pour me consoler. Je ne me souviens pas de ses mots, mais de son attitude. Elle était restée avec nous. Ensuite, ma mère avait perdu son bébé et elle était restée à l’hôpital pendant toute une semaine. Quand j’y pense, c’est comme un cauchemar. J’étais certaine que j’avais perdu mes deux parents et que ma vie était finie… » Quand garde Mailloux prend soin des gens, ce n’est pas toujours au point de vue médical. Une femme se souvient : « Quand il y avait des familles où un parent mourait, c’était elle qui se chargeait de placer les enfants. Je connais trois familles dans la paroisse où la mère était décédée, des mères de famille nombreuse. Je ne sais pas vraiment de quoi elles étaient mortes, mais ce n’était pas au moment d’un accouchement. C’était de maladie; dans un cas, probablement la tuberculose. C’était une maladie grave quand j’étais plus jeune et dans ce temps-là, malgré les nouveaux médicaments, il y avait encore des gens qui en mouraient. Je me souviens aussi d’une femme qui avait paralysé et les enfants avaient dû être placés. » Garde Mailloux, au sujet de l’aide apportée aux enfants, m’a raconté un jour l’anecdote suivante : « C'était au moment où j’avais perdu mes privilèges d’infirmière de colonie, pendant que j’attendais d’être intégrée au service de santé communautaire. J’avais reçu un appel de quelqu’un du DSC qui me 86

savait libre temporairement; elle me demandait d’aller rencontrer deux enfants souffrant d’une maladie génétique grave. Ces deux enfants, alors âgés de 8 et 12 ans environ, étaient placés, à Québec, dans un centre pour enfants handicapés. L’été, ils vivaient dans leur famille où les conditions étaient difficiles à cause de la disposition des lieux. Ces enfants qui se déplaçaient tous les deux en fauteuil roulant habitaient une maison à étages; leur principale crainte était de tomber quand on les déplaçait dans les escaliers. Leur rêve était de pouvoir se déplacer librement et d’aller à l’école du village comme tous les autres enfants. Je savais qu’une travailleuse sociale avait tenté des démarches qui n’avaient toutefois pas abouti à des solutions concrètes. » Mandatée officieusement par le DSC, garde Mailloux sent bien qu’elle peut tenter de faire quelque chose. « Je vais rencontrer les autorités de la Commission scolaire avec une ébauche des plans de rénovation du domicile des enfants : il faut ajouter une rallonge à la maison pour y installer une chambre de bain et une chambre adaptée aux besoins des enfants. Une fois les enfants installés dans leur nouvel environnement, il faudra aussi penser aux aménagements nécessaires pour qu’ils puissent fréquenter l’école primaire locale où il n’y a pas d’ascenseur pour leurs déplacements. Avec le président de la commission scolaire et quelques commissaires, nous demandons un prêt à la Caisse populaire pour financer les rénovations de la maison. Non seulement le prêt nous est accordé, mais la Caisse populaire ne nous chargera pas d’intérêts. » Une corvée s’organise à laquelle participent plusieurs personnes, dont un organisme local de bienfaisance, une communauté religieuse et des commerçants locaux. De septembre à Noël, la maison est rénovée selon les plans établis, du matériel est fourni par des commerçants locaux; à la Polyvalente, un enseignant supervise la fabrication de meubles adaptés; un électricien se charge d’aménager l’installation électrique. Un bel effort de coopération qui permet aux enfants de vivre dans leur famille. Pour l’intégration à l’école, on trouve des aménagements, dont un particulièrement précieux : le concierge se chargera tous les jours de transporter les enfants de la maison à l’école dans son auto et il les transportera aussi dans les escaliers pour les déplacements à l’intérieur du bâtiment. Cet homme ne s’est jamais démenti. Plus tard, un transport adapté est créé qui servira ensuite à d’autres personnes handicapées. Pour garde Mailloux, la tâche continue : « Une fois tout cela réglé, je suis restée attachée à ces enfants à cause de leurs besoins en physiothérapie. Je suis allée à quelques reprises à Québec avec eux; là, j’ai appris les techniques que j’ai appliquées ensuite chaque jour à leur domicile. J’ai 87

fait cela pendant quatre ou cinq ans. Une auxiliaire familiale a aussi beaucoup aidé cette famille et a été très active dans les soins à donner aux enfants. » Garde Mailloux sait très bien que certaines familles vivent des difficultés financières. Non seulement, elle maintient les prix de ses soins et de ses médicaments à des niveaux décents, mais dans certaines occasions, elle fait davantage : « Certaines familles n’étaient vraiment pas riches. J’avais reçu un jeune homme au dispensaire pour un mal bénin. Tout en parlant, il m’avait avoué son désir d’aller faire des études à l’extérieur pour être mieux en mesure de gagner sa vie plus tard. Il avait été très touché quand je lui avais fait un prêt pour qu’il puisse réaliser son rêve. C’était, bien sûr, un prêt sans intérêts et il me l’avait remis rubis sur l’ongle dès qu’il a été en mesure de le faire. Il est finalement parti du village pour exercer sa profession, mais quand il vient à Bergeronnes, il ne manque pas de venir me saluer. Pour moi, c’est un bon souvenir, car j’avais eu l’occasion d’aider quelqu’un à bien se préparer à la vie. » Finalement, l’infirmière touche à un sujet tabou : « Dans le temps, il y avait de la violence conjugale, mais c’était caché. Au début, je n’en voyais pas, probablement que je ne savais pas comment voir ça. Ensuite, j’ai été appelée parfois dans des maisons, pour des chicanes de ménage, des choses comme ça et on me demandait d’intervenir. Je m’arrangeais indirectement pour que la personne soit traitée, car pour moi, la violence, c’est une maladie. La misère amène énormément de problèmes. Il n’y a pas de situations où on ne peut pas trouver une explication. Même les bandits… » Un dernier témoignage pour compléter le chapitre. Pendant l’écriture de ce livre, un « enfant » de Bergeronnes aujourd’hui médecin à Baie-Comeau, m’a fait parvenir la lettre suivante qu’il m’a autorisée à insérer telle quelle dans l’histoire de Rita Mailloux. Les anecdotes racontées ci-dessous auraient pu être placées dans différents chapitres puisqu’elles traitent de sujets qui n’ont pas toujours de relations entre eux. La raison de leur insertion dans ce chapitre est que je considère que leur point commun est la compassion dont fait preuve l’infirmière et qui transparaît dans chacune des histoires racontées par le docteur Gagnon.

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« Événements significatifs en relation avec l’histoire professionnelle de madame Rita Mailloux, par Yves Gagnon, md : Famille Rosaire Gagnon : - Un de mes frères était né avec une malformation orthopédique au pied gauche. C’était au milieu des années 1950. Tout juste âgé d’une semaine, il avait dû être évalué à l’Hôtel-Dieu de Québec. L’état de santé de ma mère ne lui permettant pas de faire le voyage et mon père n’étant pas familier avec le milieu médical, garde Mailloux s’était rendue jusqu’à Québec avec mon père pour la consultation en orthopédie. - Vers la fin des années 1950, un de mes frères avait souffert d’une douleur abdominale aiguë. Un médecin était venu à la maison pour l’examiner. Au dire de ma mère, il aurait diagnostiqué une « douleur en relation avec son nombril ». Insatisfaits du diagnostic, mes parents avaient appelé garde Mailloux. Toujours aussi disponible, elle était venue tout de suite à la maison, avait diagnostiqué une appendicite aiguë probable et avait fait des démarches pour une consultation d’urgence en chirurgie à l’hôpital de La Malbaie. Mon frère avait été opéré dans les heures suivantes, pour une appendicite aiguë avec début de péritonite. - Selon ma mère, quand j’étais tout petit, garde Mailloux était venue à plusieurs reprises à la maison parce que je faisais des convulsions fébriles à répétition. - Un jour, mon frère devait avoir une extraction dentaire. À l’époque, c’était un dentiste de passage à l’Hôtel Simard qui donnait les soins dentaires, soins se limitant à des extractions dentaires. L’anesthésie locale déjà faite, mon frère avait refusé de se soumettre au traitement et avait réclamé l’intervention de garde Mailloux. Mes parents avaient amené l’enfant au dispensaire et c’est cette dernière qui lui avait fait l’extraction dentaire. - En 1965, un autre de mes frères avait fait une gastro-entérite aiguë hémorragique sévère, ce que les gens appelaient une « diarrhée noire ». Garde Mailloux appelée d’urgence avait décidé d’accompagner mon père jusqu’au centre hospitalier de Chicoutimi. Mon frère avait été hospitalisé quelques semaines et avait finalement retrouvé la santé. 89

- Lors de décès dans la famille, par exemple lors de la mort de mon grandpère Gagnon, Garde Mailloux était toujours disponible pour accompagner la famille en deuil. Famille de Henri Hervieux Ma belle-mère, madame Henri Hervieux, née Rose Gagnon, est maintenant âgée de 94 ans. Elle aussi a été marquée par le professionnalisme et la grande disponibilité de Garde Mailloux. Elle se souvient que Garde Mailloux s’était présentée à son domicile, chaque matin, pendant une semaine, pour prendre soin de sa fille qui était malade. Elle se souvient aussi du support précieux que lui avait fourni garde Mailloux lors du décès de son mari à la maison en 1967. Mais l’événement qui l’a surtout marquée s’est produit lors d’une menace d’avortement alors qu’elle était enceinte de 4 ou 5 mois. Un médecin l’avait examinée et avait tenté de la rassurer en lui disant que tout était normal. Insatisfaite de cette opinion et se sentant très malade, ma future belle-mère avait aussitôt demandé à garde Mailloux de lui venir en aide. Cette dernière l’avait accompagnée dans sa fausse-couche et lui aurait même fait un curage manuel à domicile. Ensuite, garde Mailloux était demeurée tout la nuit à ses côtés pour la rassurer. Opinion personnelle Moi, ce que je retiens dans ma tête d’enfant d’alors, lorsque je visualise garde Mailloux, c’est sa chaleur humaine, son charisme, l’image d’une grande dame à la trousse noire, distinguée, polie, cultivée, rassurante, respectueuse et surtout, impressionnante. Pour mes parents et mes beaux-parents, c’est aussi son sens du devoir, sa grande disponibilité et son sens du bénévolat qui les ont marqués. En effet, mes parents m’ont assuré que lorsque garde Mailloux les avait accompagnés à Québec et à Chicoutimi, elle n’avait pas demandé de rémunération. Il en a aussi été ainsi pour la nuit passée auprès de madame Hervieux lors de sa fausse-couche à domicile.

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Espérant que ces informations aideront à rendre hommage à cette grande dame qui a marqué mon enfance et nos familles. Tous en parlent comme le « médecin de campagne »; son approche humanitaire a sûrement influencé mon propre choix de carrière. Yves Gagnon, md, Baie-Comeau Octobre 2005

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Chapitre 8. UNE VIE FAMILIALE BIEN REMPLIE Vers la fin des années 1950, la vie professionnelle de Rita Mailloux se transforme peu à peu. D’une part, les routes se sont améliorées, elles ferment de moins en moins souvent pendant l’hiver et les déplacements sont chaque année plus faciles. L’ouverture de l’hôpital des Escoumins modifie aussi beaucoup sa pratique. C’est un gros événement. Dorénavant, beaucoup de femmes donneront naissance à leurs bébés en milieu hospitalier. Nous avons parlé des irréductibles qui continuent à accoucher à domicile, mais ces femmes constituent quand même une minorité qui va en s’amenuisant à mesure que passent les années. Avec l’ouverture de l’hôpital naît aussi la possibilité d’avoir rapidement accès à une véritable salle d’urgence en cas d’accident. Il ne faut pas penser que la population oublie garde Mailloux, elle est toujours la première consultée quand un problème se présente, mais sa tâche devient allégée par la présence des ambulances et le transport des blessés vers l’hôpital. Nous reviendrons au chapitre prochain sur la suite de la vie professionnelle de garde Mailloux, mais un autre aspect de sa vie personnelle attire maintenant notre attention. Pour mieux connaître cet aspect, j’ai rencontré séparément ses deux garçons, Jean-François et Michel Bouchard. C’est avec amour et admiration qu’ils me parlent de leur mère et de la vie qu’ils ont menée dans la maison de la rue Principale. Michel commence même la rencontre en disant spontanément : « Je suis très content, ça me fait très plaisir de te parler de ma mère. » et il la termine sur ces mots : « Je suis très content que tu écrives la vie de ma mère. Elle le mérite. Je ne pense pas que tu puisses écrire un livre trop élogieux, parce que c’est ce que les gens me disent d’elle tout le temps. Il n’y a pas une journée où je n’entends pas parler de ma mère. » Rita Mailloux a vécu au dispensaire depuis son arrivée au village en avril 1951. Un changement majeur de sa vie se produit en 1959 : Rita Mailloux et Welleston Bouchard de Bergeronnes unissent leurs destinées. En 1960, le nouveau couple, qui survivra jusqu’à la fin des années 1980, s’installe sur la rue de la Rivière juste en face de l’actuelle École de la mer. L’infirmière quitte le dispensaire et déménage son bureau au sous-sol de la nouvelle maison. Même si elle ne vit plus dans les locaux du ministère, son statut d’infirmière de colonie n’est en rien modifié et sa vie professionnelle continue comme avant.

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Pour la petite histoire locale, il semble bien que la maison qui avait été le dispensaire soit restée longtemps un lieu privilégié pour d’anciens malades. Gianna Bella et Pierre Rambaud qui en sont devenus propriétaires fin 1978, se rappelle que, régulièrement quand il était un peu «éméché», un homme se présentait à leur porte, tard le soir, en réclamant la Garde : « Je me sens mal. Je veux voir la garde, je veux voir garde Mailloux. Où elle est la garde ? » Difficile de casser de bonnes habitudes ! Les deux enfants du couple naissent pendant que la famille demeure sur la rue de la Rivière. Jean-François naît en 1961; Michel deux ans plus tard. Avant la naissance de Jean-François, alors qu’elle approche du terme de sa grossesse, elle demande à sa sœur Claudine, qui est infirmière, de lui donner un coup de main et ensuite de la remplacer pendant quelques semaines. À la naissance de Michel, cette précaution n’est même pas nécessaire et elle revient au travail toute de suite après son accouchement. En 1964, une nouvelle période s’amorce avec le déménagement de la famille dans la maison de la rue Principale où garde Mailloux habite encore après quarante ans. Écoutons-la parler de cette période : « Quand nous sommes arrivés dans cette maison, Jean-François avait presque trois ans et Michel venait d’avoir six mois. Michel était né en mars 1964 et j’avais acheté la maison en juin de la même année. Tout l’été, nous avions fait des réparations et Jean-François venait aider son père à « installer des prises de courant », il venait « travailler » dans la maison et nous pensions qu’il l’avait adoptée. Mais après le déménagement, la vie est devenue plus difficile pendant un bout de temps. Il s’ennuyait de sa « vraie » maison. Il refusait de manger, il pleurait, il voulait retourner dans l’autre maison. À tel point qu’on évitait de passer sur la rue de la Rivière et on l’amenait au restaurant pour essayer de le faire manger. Je regrettais presque d’avoir acheté cette nouvelle maison. » En entrevue, Jean-François confirme : « Je me souviens que je n’aimais pas la maison; je trouvais qu’elle était laide et je la trouvais trop grande. Je me souviens que je voulais tout le temps aller voir « ma » maison, que je ne voulais pas rester ici. J’aimais beaucoup la maison devant l’École de la mer. Je me rappelle de parcelles de cela, mais on m’en a parlé souvent aussi… » Selon garde Mailloux, l’attitude de son fils pourrait avoir l’explication suivante : « Il faut dire que la maison est très « sourde »; on n’entend rien d’une pièce à l’autre. Elle est très grande aussi, si on la compare à la maison précédente et peut-être Jean-François s’était-il trouvé un peu perdu dans toutes ces 93

pièces. Les chambres des enfants étaient à l’étage avec celle de la personne qui m’aidait à prendre soin d’eux. Nous avions un système d’interphone dont les fils passaient dans les murs; il y avait une sortie dans notre chambre qui était au rez-de-chaussée, une autre dans mon bureau et il y avait un plateau central dans la cuisine. Si un enfant pleurait, on l’entendait tout de suite. C’était très sécuritaire, car la maison avait été construite de telle sorte que les bruits soient assourdis. Cet interphone était comme les systèmes que les parents utilisent maintenant, sauf que c’était un appareillage d’autrefois. C’était très efficace… » « Mon bureau était au bout de la maison et les gens entraient par une porte en arrière. Quand les garçons étaient jeunes, j’avais une personne engagée qui restait avec nous 24 heures sur 24. Je pouvais avoir un appel à n’importe quel moment, alors c’était nécessaire d’avoir quelqu’un ici en permanence. Si je n’avais pas d’appel d’urgence, je planifiais mes visites à domicile pendant le sommeil des enfants après le dîner. Je disais où je devais me rendre, les deux ou trois premières adresses. Avant d’aller voir les autres, je revenais à la maison pour voir ce qu’il s’y passait. Le bureau d’assurances a toujours été en bas de la maison; en cas de problèmes, leur père était là. Pour Jean-François, ce mode de vie était simple : « Quand elle disait « Je m’en vais aux malades », c’était normal. Jamais on n’aurait pensé s’y opposer, on n’aurait même pas pensé protester un peu. De plus, nous n’étions jamais laissés seuls, il y avait toujours quelqu’un avec nous. Mon père avait son bureau en bas. Dans la maison, il y avait une femme qui s’appelait Simone, Simone Gravel; je pense qu’elle était arrivée ici quand j’avais environ cinq ans; elle vivait dans la maison en permanence; elle avait sa chambre en haut avec nous; elle était toujours avec nous. Je l’ai connue de l’âge de cinq ans à quinze ans. C’était comme une sœur pour moi et on l’aimait beaucoup. Elle faisait l’entretien de la maison. Simone nous gardait quand ma mère devait partir ou s’il y avait quelqu’un avec elle dans le bureau. » Garde Mailloux ajoute : « Quand je suis devenue mère de famille, il a fallu que je m’organise. J’ai toujours eu quelqu’un pour m’aider dans la maison, je n’aurais pas pu m’en passer. Les enfants étaient habitués à voir les gens venir au bureau et pour eux, ce n’était pas un problème. Je laissais la porte ouverte; ils pouvaient circuler et venir me voir, mais je pouvais toujours compter sur la présence de la servante. Au besoin, je fermais la porte et ça ne créait pas de problème non plus pour les petits. De toute façon, cela ne les

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intéressait pas tellement de voir ce que je faisais : ils avaient une belle salle de jeux et quelqu’un qui s’occupait d’eux. » Ses propres parents ont été très présents durant l’enfance des garçons. « Ils sont beaucoup venus ici les enfants étaient petits. Aussitôt que je partais pour un voyage ou une visite plus prolongée à Québec ou à Montréal, ils arrivaient. Je n’ai jamais laissé les enfants seuls avec une gardienne. Il y a eu d’autres personnes avant Simone; je leur faisais confiance, mais j’aimais mieux que papa et maman soient avec eux à la maison. Comme les enfants n’étaient pas difficiles, il n’y avait pas de problème. » Le bureau de garde Mailloux est orienté vers l’arrière de la maison et une porte extérieure donne directement sur la salle d’attente. Selon JeanFrançois, « Quand les gens venaient au bureau, ils sonnaient à la porte et ils s’assoyaient dans la salle d’attente. Quand il n’y avait personne au bureau, la porte était ouverte et maman s’y rendait. Quand il y avait du monde dans le bureau, dès qu’une personne sortait, une autre entrait. Il pouvait y avoir cinq ou six personnes qui attendaient leur tour dans la salle d’attente. La pharmacie « ordinaire » était située dans la salle d’attente; il y en avait une autre dans le bureau pour les médicaments plus importants ou ceux dont elle avait besoin plus souvent. Dans la salle d’attente, il y avait les vitamines, les ampoules buvables et les autres choses comme cela. Personne n’aurait osé en prendre, en voler. C’était impensable. » Il ajoute : « Les gens ne venaient à peu près jamais dans notre partie de la maison. Quand le téléphone sonnait, celui qui était le plus près répondait. Souvent, c’était une personne qui demandait « Veux-tu me passer ta mère? » Maman prenait alors le téléphone. Nous n’avions pas l’impression d’être des réceptionnistes. Maman ne nous a jamais imposé de tâches à propos de son travail. Mais, quand nous étions tout petits, nous allions souvent dans le bureau, même pour y jouer. » Au cours de la rencontre que j’ai eue avec elle, Rita Desbiens sourit en racontant : « Quand on allait au bureau de garde Mailloux, on trouvait ça comique : parfois, Jean-François arrivait et il ouvrait le tiroir où elle plaçait son argent; il sortait les piastres et il jouait avec ça à côté du bureau. Cela ne la dérangeait pas; elle trouvait ça normal. Il était tellement petit que ça n’avait pas de valeur pour lui, mais il en faisait un jeu. Nous autres, on l’aimait tellement ce petit, il était tellement beau, qu’on ne se choquait pas du fait qu’il entre dans le bureau. Évidemment, quand c’était quelque chose de plus 95

grave, elle ne devait pas le laisser entrer comme ça. Il ne disait rien; il venait faire son tour et tout d’un coup, il repartait comme si de rien n’était. Il était chez lui. On les aimait comme s’ils étaient à nous autres, ces enfants-là. J’ai moins connu Michel, car je travaillais à l’extérieur. » Pour Michel, le statut public de la maison de son enfance n’a jamais été un problème. « Pour moi, avoir une mère qui s’occupait de la santé du monde, cela faisait partie de la vie normale. J’ai juste connu la maison ici; en avant, il y avait le bureau avec la pharmacie et les médicaments. Jamais, je n’ai été jouer avec les médicaments; c’était clair que c’était pour les malades et que nous ne devions pas les toucher. Je pense que nous n’étions pas durs comme enfants et nous savions qu’il ne fallait pas toucher à ça; alors, on ne touchait pas. Quand il y avait du monde dans la salle d’attente, cela ne nous dérangeait pas. D’abord, la maison était pas mal grande et aussi, la présence des gens faisait partie de notre vie quotidienne. On savait qu’il y avait du monde qui avait besoin de ma mère, alors, c’était correct. Je ne me suis jamais demandé si ça nous dérangeait ou si nous, nous dérangions les malades qui attendaient dans la salle d’attente. Pour moi, tout cela était normal. » Rita Mailloux ne fait pas seulement du bureau dans sa maison, elle fait aussi beaucoup de visites à domicile et se rend même souvent dans les villages voisins. Au moment où les garçons grandissent, les routes sont meilleures et c’est par ouï-dire qu’ils connaissent ses aventures en voiture à cheval ou en snowmobile. Même si l’hiver, les conditions restent parfois difficiles, JeanFrançois n’a pas gardé un mauvais souvenir : « Quand ma mère partait aux malades, même si c’était dans une tempête, nous ne nous posions pas de questions. Il faut dire que les grosses tempêtes où elle devait se rendre aux malades en snowmobile, c’était avant notre naissance. Quand nous étions petits, les chemins étaient ouverts, même si parfois, ce n’était pas facile de circuler. Certains matins, on se levait et elle était allée aux malades pendant la nuit; parfois, elle n’était pas arrivée pour le déjeuner, mais c’était bien rare. Mon père et Simone étaient là. On n’en faisait pas de cas quand elle n’était pas là, on savait qu’elle allait revenir, c’était normal pour nous qu’elle soit partie aux malades. Elle non plus d’ailleurs n’était pas inquiète de nous, elle savait que nous étions en sécurité. Autrement, elle ne serait jamais partie en nous laissant seuls. » Pour Michel, c’est pareil : « Quand ma mère partait aux malades, même si c’était pendant la nuit ou pendant une tempête, je n’étais pas inquiet, car j’étais certain qu’elle allait revenir. Il y avait toujours du monde avec nous 96

dans la maison. Il y avait mon père qui était dans son bureau au sous-sol, la plupart du temps. Il y avait une femme qui restait avec nous, elle s’appelait Simone. C’est d’elle que je me souviens le plus, mais ma mère m’a déjà dit qu’il y en avait eu d’autres avant dont je ne me souviens pas. Je pense que j’ai toujours connu Simone et j’avais une douzaine d’années quand elle est partie. C’était comme une grande sœur qui aurait été avec nous dans la maison. Il y avait une distinction très nette entre ma mère et Simone. Simone était là pour s’occuper de nous, mais son rôle était d’aider ma mère. Si on avait un problème quelconque, c’était toujours à ma mère qu’on s’adressait. Des fois, Simone nous aidait pour des choses, mais c’était ma mère qui était la personne la plus importante pour nous. » Il parle de sa vie à la maison : « Je n’ai jamais été gêné d’entrer dans le bureau quand ma mère était là. On cognait et si maman nous donnait la permission, on entrait, c’était tout. Je n’allais pas dans la salle d’attente, j’allais directement à la porte du bureau. J’ai toujours été pas mal spontané, alors quand j’avais besoin de quelque chose, je n’hésitais pas à aller la voir. Si ce n’était pas le temps, elle nous le disait ou bien, des fois, on s’en rendait compte par nous-mêmes. Nous étions conscients de l’importance de ce qui se passait dans le bureau. Des fois, il y avait du monde qu’on connaissait et qui venait à répétition; alors on savait qu’on pouvait les déranger et que ce n’était pas grave. D’un autre côté, si c’était quelqu’un d’inconnu ou encore si on sentait que c’était important, on ne cognait pas à la porte et on attendait. Si quelqu’un arrivait en pleurant, par exemple, ou encore, si une personne avait vraiment l’air malade, c’est sûr qu’on n’aurait pas été les importuner dans le bureau. D’un autre côté, si quelqu’un avait une blessure comme une coupure sur une main, là, moi, j’étais porté à aller voir et c’était bien accepté par ma mère et par les gens. Je ne sais pas trop comment on pouvait juger de la gravité d’un cas, mais on se trompait rarement. On était capable de faire la distinction entre la gravité et la non-gravité d’une visite. On pouvait aussi juger selon les gens qu’on voyait dans la salle d’attente : si on les connaissait, si nous étions familiers avec eux, s’ils venaient souvent; c’était facile de savoir la gravité de la situation. Pour l’argent ou pour une permission, si c’était pressé et qu’on ne pouvait entrer dans le bureau, on allait voir mon père qui était habituellement à son bureau d’assurances au sous-sol de la maison. Parfois, nous étions avec ma mère et quelqu’un entrait; surtout si c’était urgent, je pense qu’ils ne nous voyaient même pas; c’était comme si nous faisions partie du décor tellement ils étaient habitués à nous voir. »

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Quand les garçons sont tout petits, leur univers, c’est la maison : « L’hiver, ils gardaient leurs bicycles dans la maison; les autos à pédales; des chevaux motorisés. Il y avait toujours plein d’enfants dans la maison. Il y avait beaucoup de jouets et tous en profitaient. Pierre Lessard qui restait tout juste à côté d’ici passait tout son temps avec les enfants. Les jumeaux qui restaient en face se considéraient comme de la famille. » Michel ajoute; « Il y avait beaucoup d’amis qui venaient jouer avec nous à la maison, soit après l’école, les jours de congé ou les vacances. Je ne pense pas qu’on dérangeait les gens qui venaient au bureau. Nous n’étions pas turbulents; il n’y avait pas de cris et de hurlements de sauvage comme on pourrait imaginer quand plusieurs petits garçons jouent ensemble. On avait nos coins pour jouer; on jouait à la cachette, au G.I. Joe; on jouait aux camions, aux fusils, aux Indiens et aux Cowboys; on jouait dehors ou dans la maison. Je ne me souviens pas d’avoir eu des reproches de la part de ma mère, des remontrances parce que nous avions dérangé son travail ou la paix des patients qui venaient au bureau. En fait, je ne me souviens pas de reproches qu’elle m’aurait faits de toute façon. » Jean-François confirme : « Avec les enfants, elle n’était pas sévère. Elle traitait nos amis comme s’il s’était s’agi de nous. Elle les amenait avec nous quand elle partait en auto. Elle faisait des sandwiches pour tout le monde quand c’était l’heure de la collation; c’était la même chose avec la crème glacée ou les biscuits. On amenait beaucoup d’amis avec nous, après l’école ou pendant les congés. C’était toujours plein de jeunes dans la maison; on pouvait facilement se retrouver 5, 6 ou 7 garçons en même temps. On mangeait des sandwiches en regardant la télé. Ma mère venait faire son tour une fois de temps en temps; elle sortait de son bureau, jetait un coup d’œil et elle repartait. » On n’aurait jamais pensé arrêter de jouer parce qu’il y avait du monde. Ma mère venait nous voir et c’était correct. Elle est quelqu’un de simple, même si elle peut paraître sévère quand on ne la connaît pas. Quand elle commençait à parler, c’était correct; mes amis trouvaient qu’elle était bien « fine » et ils lui sont restés très attachés. » Jean-François continue son témoignage : « Mes amis ont gardé un bon souvenir de ma mère et ils m’en parlent souvent. Nous, on voyait bien que notre mère était différente des autres mères. Elle était une des seules à « travailler » parmi les mères de l’entourage. Elle était aussi très respectée. Tout le monde la connaissait. Ce n’était pas difficile de se rendre compte qu’elle était spéciale, mais pour moi, c’était juste ma mère, ma mère à moi. 98

C’est certain qu’on était fiers de ce qu’elle faisait; je me souviens qu’elle impressionnait beaucoup mes amis. Souvent, je rencontre des gens et ils me disent » : « Comment va ta mère ? Tu la salueras pour moi. » Beaucoup de personnes viennent la voir encore aujourd’hui; ils sont restés attachés à elle. » Même s’il y a toujours quelqu’un pour l’aider dans la maison et prendre soin des enfants quand elle est chez des malades ou dans son bureau, l’infirmière fait habituellement les repas elle-même. Nous l’avons vu par les confidences de son amie Cécile Bouchard : Rita Mailloux est un fin cordon-bleu et sa famille profite de ses talents. « Ma mère a toujours fait à manger pour la famille; la nourriture, c’était son domaine. Elle s’organisait tout le temps pour être là à l’heure des repas, sauf s’il y avait une urgence bien entendu. Je ne me souviens pas qu’elle ait été dans la maison et que nous ayons pris un repas sans qu’elle soit assise à la table avec nous.» dit Jean-François en entrevue. Pour Michel, c’est encore plus clair : « À l’heure des repas, maman était toujours ici. Avec tout ce qu’elle faisait, c’est surprenant qu’elle ait toujours trouvé le moyen d’être là pour les repas. Nous étions conscients de ce qu’elle faisait et pourtant, elle était toujours là. C’est difficile à expliquer. Je ne me rappelle pas ne pas avoir vu ma mère ici. Même si elle partait, même si elle allait très souvent voir des gens dans leur maison, c’est drôle parce que moi, j’ai l’impression qu’elle était toujours dans la maison. Je n’ai jamais souffert de l’absence de ma mère. Je ne comprends pas qu’elle ait fait tout ce qu’on dit parce que, selon moi, elle était toujours à la maison avec nous. Je n’ai jamais souffert de son absence parce que j’avais toujours l’impression qu’elle était avec nous. Au repas, elle était toujours ici; elle était toujours là, ma mère! » Garde Mailloux continue à expliquer l’organisation de la vie des enfants : « Pour les devoirs, c’était plus compliqué parce que je n’avais pas d’heures de bureau; les gens arrivaient n’importe quand. Au début, j’avais essayé de faire faire les devoirs de Jean-François, mais je me suis rapidement rendu compte que ça ne marchait pas; il fallait que je parte à tout bout de champ et je le laissais en plan. À un moment donné, j’avais engagé un professeur de Bergeronnes; elle avait des travaux à faire pour ses études; elle venait d’une grosse famille qui vivait dans une maison plutôt petite; elle pouvait travailler tranquille dans une chambre et elle était disponible pour répondre aux

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questions des enfants quand je n’étais pas là. Il ne fallait pas que les enfants soient pénalisés parce que je devais partir tout le temps. Michel a eu la même impression de présence continue de sa mère pour la période des devoirs d’écoliers : « Quand c’était le temps de faire nos devoirs, ma mère était toujours là. Je me souviens un peu des professeurs qui venaient nous aider, mais cela ne m’a pas marqué. Quelquefois, les maîtresses me gardaient après l’école pour m’aider à faire mes devoirs. Cela faisait des points de tension des fois avec les autres; ils pouvaient me traiter de chouchou. C’était un peu méchant de se faire traiter de chouchou, mais je ne me souviens pas que cela m’ait vraiment dérangé; je savais que mes parents auraient fait n’importe quoi pour nous et c’était correct que les profs nous aident si ma mère le leur demandait. » Jean-François confirme : « À l’école, les maîtresses nous connaissaient. Mieux que cela, souvent, ma mère engageait des maîtresses pour nous aider à l’heure des devoirs. Elle n’avait pas le temps de les faire avec nous et elle tenait à ce que nous ayons de la discipline. Souvent, elle faisait du bureau le soir, elle était dérangée tout le temps; dès qu’un patient arrivait, elle allait tout de suite au bureau; elle aurait eu beaucoup de difficultés à nous aider à faire nos devoirs et nos leçons; elle avait réglé le problème en demandant de l’aide. Il faut dire que les maîtresses étaient souvent des amies; elles venaient prendre un café avec elle après la classe; elles étaient amies, alors, c’était facile. De plus, nous n’étions pas des enfants difficiles. Il y avait un petit bureau où on pouvait s’isoler. Il y avait une maîtresse qui venait pendant une heure pour m’aider; ensuite, une autre arrivait et faisait une heure avec Michel. Souvent, c’était le professeur qui nous faisait l’école cette année-là. Les autres enfants le savaient. On avait parfois des commentaires qui reflétaient ce que les parents devaient dire chez eux. Mais ce n’était jamais des commentaires bien méchants. Les gens aimaient tellement ma mère… » Jean-François continue : « Nous, on voyait que nous étions extrêmement importants pour notre mère. On passait toujours en premier, malgré toutes les préoccupations qu’elle pouvait avoir dans sa vie professionnelle. Elle était capable de discerner quand c’était pressé ou non. Si nous avions été en danger, c’est sûr que son choix aurait été facile, mais c’était rarement des choses graves. Je ne peux me rappeler qu’elle nous ait négligés. Je pense aussi qu’on savait comment agir et réagir. On savait ce qu’elle faisait comme travail; on était capables de savoir si on pouvait la déranger ou si on était

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mieux de la laisser tranquille. On sentait si c’était le temps ou si ce n’était pas le temps; on sentait ça. On était capables de juger des situations. » Tour à tour, je demande à Jean-François et à Michel : « Pendant ton enfance, comment c’était d’être le fils de garde Mailloux ? » La réponse arrive spontanément dans les deux cas. Pour Jean-François : « Souvent, les gens nous parlaient de ma mère; ils disaient qu’ils étaient venus la rencontrer, qu’elle les avait soignés. Les enfants nous racontaient qu’elle était allée les voir à la maison parce qu’ils étaient malades. Pour moi, c’était normal : elle était le médecin du village. D’un autre côté, jamais elle ne parlait de ses malades à qui que ce soit. Jamais, elle ne disait un mot de son travail à la maison. On n’était au courant de rien de ce qu’elle faisait quand elle allait aux malades, sauf si les gens nous le disaient eux-mêmes. Des fois, on voyait quelqu’un dans la salle d’attente, mais on n’en parlait pas ensuite. Il faut dire que ce n’était pas un sujet de conversation pour des enfants d’école, sauf peut-être pour des accidents bénins comme une lacération ou une foulure dont les enfants aiment parler entre eux. Ce n’était pas intéressant de parler de maladies entre nous. C’était un peu comme lorsque mon ami se faisait dire que quelqu’un était allé au garage de son père; ce n’était pas des sujets intéressants. » Un jour, garde Mailloux est nommée « mère de l’année » au village de Bergeronnes. Jean-François se souvient d’avoir participé à la fête : « J’étais petit, je pense que j’avais autour de six ans. Il y avait eu une réception en son honneur. Mon père était venu me réveiller dans la nuit (il devait être 10 ou 10 h 30 du soir) pour aller lui présenter des fleurs; j’avais l’impression qu’il était deux heures du matin. Il m’avait habillé et il m’avait amené à la salle paroissiale pour lui remettre des fleurs. Ensuite, il m’avait ramené à la maison pour me recoucher. C’est un souvenir très lointain. Même si elle n’avait pas eu plusieurs enfants comme beaucoup de mères de famille de l’époque, je pense que les gens du village voyaient ce qu’elle faisait pour nous. Je sais qu’elle n’a jamais recherché ce genre d’honneur; elle y va quand il le faut, mais je sais que ça la stresse beaucoup. Elle est beaucoup plus à l’aise à aider les gens qu’à se faire fêter. Ce n’est pas naturel pour elle de rester là et de recevoir des hommages et des compliments. Par contre, ça lui fait plaisir quand je lui rapporte que j’ai rencontré quelqu’un et que la personne m’a dit : « N’oublie pas de saluer ta mère de ma part. »

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Au tour de Michel maintenant : « Auprès de mes amis, je n’avais pas de statut particulier. Je n’ai jamais ressenti de jalousie de la part des autres et je pense que Jean-François non plus; en tout cas, je n’en ai jamais souffert. J’étais le garçon de la garde et c’était comme ça. Bien plus, les gens m’appelaient « Michel de la garde » parce qu’il y avait un autre Michel Bouchard au village, le fils de Paul Bouchard et de Lucille Maltais. Il y a encore des gens de Bergeronnes qui m’appellent « Michel de la garde ». J’ai même rencontré, à Baie-Comeau, un homme qui était convaincu que mon vrai nom était Michel Delagarde; j’avais été obligé de sortir mon permis de conduire pour lui montrer qu’il se trompait, que mon nom était bel et bien Michel Bouchard. Parmi les touristes qui venaient ici l’été, quand ma mère a tenu un gîte pendant quelques années après avoir pris sa retraite, plusieurs sont aussi restés sous l’impression que je m’appelais vraiment Michel Delagarde parce que mes amis m’appelaient encore ainsi, même au milieu des années 1990. » Michel revient sur la question des devoirs qu’il faisait avec des professeurs qui venaient à la maison : « J’étais tellement bien dans ma famille que je n’ai jamais réalisé que ma mère n’était pas toujours à la maison. C’est tellement vrai que lorsque j’y réfléchis, il me vient une idée à propos des profs qui venaient nous aider à faire nos devoirs. Dans ma tête, ce n’était pas parce que ma mère n’était pas là que nous avions de l’aide des profs, c’était dans le but de nous faire aimer l’école davantage, pour que ça aille mieux à l’école donc qu’on soit plus heureux d’y aller. Je n’avais jamais fait le lien entre la présence des profs et le fait que ma mère était dans son bureau pendant ce temps-là. « Elle est fine ma mère, elle pense que c’est mieux de faire les devoirs avec Diane Hervieux (par exemple). C’est un cadeau qu’elle me fait parce qu’elle sait que c’est plus facile avec Diane et que ça va aller mieux à l’école. » Je n’ai jamais pensé que ma mère n’avait pas le temps de nous aider à faire nos devoirs. Je peux même dire que je n’ai jamais eu l’impression que les malades étaient plus importants que nous. Mes parents étaient là avec nous et on avait notre place. On ne se posait pas de question si ma mère n’était pas là; l’auto n’était pas là, c’était correct, elle allait revenir bientôt. Elle aimait mes amis; il y avait des garçons de toutes les sortes de familles parmi les garçons qui venaient ici et elle s’occupait de tout le monde. » Michel ajoute : « Il y a souvent des gens que je rencontre et qui me parlent de ma mère; plus que ça, souvent, des gens se confient à moi. Quand j’ai commencé à sortir dans les bars, c’était très fréquent; les gars me contaient leurs affaires. Je ne sais pas pourquoi, mais les gens ont l’air convaincus que 102

je vais garder une sorte de secret « professionnel », ils sont certains que je ne raconterai par leurs peines ou leurs difficultés à qui que ce soit. C’est sûr que l’exemple de ma mère y est pour quelque chose. Jamais, elle ne parlait du bureau ou de ses patients devant nous. Ce qu’elle savait, c’était sacré et ça ne regardait personne d’autre qu’elle et son malade. J’ai même déjà pensé aller en médecine et je pense que j’aurais fait un bon médecin. Malheureusement, j’ai bifurqué à un moment donné et ensuite, il n’était plus temps. Je pense que ce que j’aime le plus dans les assurances, c’est le contact humain, le contact avec les gens. » Il me semble approprié de terminer ce chapitre et de commencer le suivant par ces paroles de Jean-François Bouchard : « Les gens nous montraient qu’ils aimaient ma mère et qu’ils la respectaient. À ce propos, j’ai l’impression qu’elle a toujours été prudente dans son travail et qu’elle n’a pas fait beaucoup de gaffes auprès des malades. Je n’ai jamais entendu dire quoi que ce soit dans ce sens au village; en tout cas, rien de majeur. Tout le monde semblait bien content d’elle. Bien sûr, il y a des gens qui sont décédés de mort naturelle pendant ces années-là, mais quand un malade avait un problème qu’elle considérait comme important, elle l’envoyait tout de suite chez un spécialiste qu’elle appelait elle-même pour annoncer l’arrivée du malade. Je sentais énormément de respect à son endroit. C’était donc facile d’être le fils de garde Mailloux.

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Chapitre 9. CONSULTER POUR MIEUX SOIGNER Au quatrième chapitre où il a été question des soins que Rita Mailloux prodiguait aux femmes enceintes, plusieurs exemples ont illustré son sens du diagnostic, sa capacité de prévoir les complications et son réflexe d’envoyer ses patientes rapidement en consultation dès qu’un problème se pointait à l’horizon. Au cours des entrevues qui ont préparé ce livre, ces caractéristiques de l’infirmière ont fait l’objet de nombreux commentaires. Les personnes qui sont citées ont toutes été rencontrées séparément et elles se sont confiées sans connaître ce qui avait déjà été recueilli. Ces commentaires se sont répétés à de multiples reprises et en voici d’abord un aperçu général : « Elle avait bien des contacts avec des médecins des villes, soit Québec et Chicoutimi surtout. Elle avait toujours un jugement sûr. Ce n’est pas donné à tout le monde d’avoir un jugement sûr et de voir venir les complications. C’était sa grande caractéristique. Elle était capable de faire des diagnostics précis. Il y a eu tellement d’exemples qu’il est difficile d’en trouver un en particulier. Les gens savaient que lorsqu’ils étaient référés à un spécialiste, ils étaient attendus. Plusieurs se sont fait dire par le spécialiste qui les avait reçus : « Si c’est garde Mailloux qui vous envoie… » C’était de notoriété publique dans le village et même dans les villages des alentours. Elle avait le sens de l’observation très aiguisé; elle ne parlait pas beaucoup, mais quand c’était le temps, elle savait poser des questions, les bonnes questions pour aller chercher ce qui était important. » Une femme ajoute : « Pour nous, elle était un médecin. Elle était capable de détecter les maladies que l’on avait. Si c’était quelque chose de grave, elle avait des ouvertures dans les hôpitaux à Québec ou à Chicoutimi. Elle téléphonait au médecin et quand tu arrivais, tu passais tout de suite; ils t’attendaient et en plus ils savaient le diagnostic. » Un autre témoignage général : « Quand on était malade et qu’elle n’était pas absolument certaine de son coup ou si elle savait qu’on avait besoin de soins plus spécialisés, elle nous envoyait tout de suite chez un spécialiste. Quand on arrivait, tout était prêt. C’est elle qui prenait les rendez-vous, elle avait parlé au docteur, elle lui avait donné les résultats de son examen. On n’avait qu’à se rendre au rendez-vous, elle avait tout préparé. »

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Et cet homme, encore : « Je ne sais pas comment elle faisait. Aussitôt qu’elle pensait qu’il y avait du danger, elle posait son diagnostic et elle s’occupait d’appeler un spécialiste et de faire hospitaliser le malade. Elle allait même reconduire du monde jusqu’à Québec quand elle pensait que c’était nécessaire. Elle avait les numéros de téléphone des spécialistes; elle les appelait même le dimanche, même à leur maison parfois. Un de mes amis qui travaille au DSC à Baie-Comeau m’avait même dit être déjà passé par elle pour avoir plus rapidement un rendez-vous avec un chirurgien de Québec. Il en était presque jaloux. Quelqu’un qui avait un trouble, un mal de ventre par exemple, elle voyait si c’était grave ou non. Je ne sais pas comment elle faisait pour deviner, mais quand c’était grave, elle agissait tout de suite.» Le « mal de ventre » était une des grandes menaces que devaient affronter les populations éloignées des centres hospitaliers. L’expression « coliques cordées » utilisée par les plus âgés de la paroisse désignait, l’appendicite, puis la péritonite, cette infection aiguë où le pus se répand dans l’abdomen et cause la mort en quelques heures. En entrevue, un homme me dit : « Quand j’étais tout jeune, un de mes cousins avait traversé à Rivière-du-Loup en crise de coliques cordées et il était mort avant d’arriver à l’hôpital. C’était avant l’arrivée de la garde à Bergeronnes. » C’est dans des cas semblables que le flair et la compétence de Rita Mailloux jouaient un grand rôle dans la santé de ses concitoyens. Une femme en témoigne : « Je suis un bon exemple quand les gens disent que garde Mailloux a sauvé bien des vies à Bergeronnes. À un moment donné, j’avais commencé à avoir mal au ventre; c’était terrible; je ne pouvais pas rester couchée et en même temps, j’étais incapable de me tenir debout. J’avais pris du sel de médecine en pensant que j’avais un mal de ventre ordinaire. Au milieu de la soirée, ça faisait tellement mal que mon mari s’était décidé à appeler la garde. Elle était vite arrivée à la maison et elle n’avait pas eu à m’examiner longtemps; elle savait déjà ce que j’avais. Elle qui était si douce d’habitude, elle m’avait fait un mal terrible en tâtant mon ventre. « Je pense que c’est grave et il faut tout de suite se rendre à l’hôpital. Je vais y aller avec vous, avec mon auto. » Mon mari avait dû rester à la maison avec les enfants. La garde avait fait quelques téléphones, d’abord à la traverse de Tadoussac, puis à l’hôpital de La Malbaie. Il pleuvait des « cordeaux », ce soir-là. Elle était brave, la garde! Elle m’avait amenée jusqu’à La Malbaie. À la traverse, nous avions pris le dernier bateau; ils nous avaient attendues pour partir du quai. Pendant le voyage, j’avais de plus en plus mal et elle m’avait donné une autre piqûre contre la douleur. En arrivant à l’hôpital, 105

j’étais comme dans le coma. J’ai été opérée tout de suite en arrivant et je suis restée dans les nuages pendant une bonne semaine; j’avais des tubes partout. Finalement, je suis restée à l’hôpital pendant trois semaines. Heureusement que la garde était là, je pense bien que j’y serais restée. C’est sûr qu’elle avait un don pour faire tout ce qu’elle faisait. » Encore un mal de ventre : « Si le problème dépassait sa compétence, garde Mailloux avait ses entrées dans les hôpitaux de Québec et de Chicoutimi et il y avait toujours un spécialiste qu’elle pouvait appeler pour une consultation ou pour une référence. Elle n’hésitait pas à aller chercher de l’aide et à consulter. Je peux t’en parler. Mon mari avait été malade au milieu des années 1960. Un jeune médecin qui venait d’arriver dans la région avait diagnostiqué une grippe, mais rapidement, mon mari était devenu vert, il avait atrocement mal au ventre et il refusait de manger. Garde Mailloux avait appelé à l’urgence et avait demandé qu’on lui fasse une formule sanguine pour les globules blancs. Elle avait dû insister parce qu’à l’hôpital, ils ne voulaient pas déranger la technicienne qui était de garde chez elle. Finalement, quand elle avait eu les résultats, elle avait appelé directement le docteur Alphée Lessard à Chicoutimi. Nous étions montés d’urgence et il avait été opéré en arrivant; il avait une péritonite avancée. C’était important d’avoir un hôpital aux Escoumins, c’était une sécurité pour la population, mais au début, les médecins étaient jeunes et ils changeaient très souvent. La population de Bergeronnes avait une telle confiance en garde Mailloux qu’ils préféraient la consulter plutôt que d’aller à l’urgence de l’hôpital. Souvent, les gens allaient la voir et c’est elle qui leur conseillait de se rendre à l’urgence où les radiographies et des traitements plus spécialisés étaient disponibles. » Et un autre mal de ventre… tout aussi grave, mais plus cocasse, celui-là : « Quand mon mari était encore garçon, quand il avait 18 ans, il avait attrapé un gros mal de ventre. Garde Mailloux était allée le voir, elle l’avait examiné et s’était rendu compte qu’il faisait une péritonite aiguë. Elle avait communiqué avec le chirurgien et il l’attendait pour l’opérer d’urgence. Elle avait demandé à Doris Tremblay, l’infirmière de l’Unité sanitaire, de monter avec lui à Chicoutimi. Il y avait aussi ma future belle-mère dans l’auto. Croyez-le ou non, même s’il était très malade, même s’il avait terriblement mal au ventre et qu’il faisait de la fièvre, il n’avait jamais voulu qu’elles conduisent l’auto; il s’était rendu par lui-même à l’hôpital au volant de son auto. « J’aurais été bien trop nerveux si je n’avais pas conduit moi-même » !!!

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La confiance des spécialistes envers l’infirmière de Bergeronnes se construit au fur et à mesure qu’ils la connaissent. Un exemple relaté par garde Mailloux parle de lui-même : « Dans un village voisin, un enfant souffrait de rhumatisme articulaire aigu. Au cours d’une visite à la maison, je m’étais rendu compte qu’il avait des tics et qu’il faisait des mouvements non coordonnés; ce sont des symptômes de la chorée, une complication de cette sorte de rhumatisme. J’avais envoyé l’enfant chez un pédiatre de l’hôpital de l’Enfant-Jésus de Québec en plaçant dans son dossier mes observations et mon évaluation diagnostique. Quand la mère était revenue de la consultation, elle m’avait raconté que le médecin avait passé le commentaire suivant : « C’est qui cette infirmière qui pose des diagnostics avant d’envoyer les malades en consultation ? ». Je ne savais pas trop comment interpréter ce commentaire qui me semblait pas mal négatif. Plus tard, j’avais accompagné un autre enfant, avec ses parents, à la clinique de pédiatrie du même hôpital. Devant le pédiatre qui examinait leur enfant, les parents m’avaient appelée « garde Mailloux ». « Êtes-vous l’infirmière de Bergeronnes qui m’avait envoyé un enfant, le mois passé ? » - « Heu… oui ». Je n’étais vraiment pas certaine de ce que serait sa réaction. Il s’était levé précipitamment et il avait fait venir ses internes pour me présenter. « Cette femme pose des diagnostics comme un médecin, mais on ne peut pas lui en vouloir, car elle ne se trompe pas. » Ce commentaire positif m’avait rassurée ». Rita Mailloux confie en entrevue : « J’étais souvent surprise des marques d’appréciation de ces genslà, de ces spécialistes qui s’occupaient de mes patients. Par exemple, il y avait ce pédiatre de Québec; un homme très compétent. Je pouvais l’appeler n’importe quand, à n’importe quelle heure, il me répondait toujours; si je lui envoyais un patient, il le recevait dans un délai très court. Un jour, il avait décidé de partir s’installer à l’Hôpital universitaire de Sherbrooke où un poste intéressant l’attendait. Un vendredi, il était arrivé ici, à Bergeronnes, avec sa femme et ses enfants; il venait m’annoncer lui-même la nouvelle de son départ : « J’ai dit à ma femme : « Je ne peux pas lui annoncer ça par téléphone. On va se rendre à Bergeronnes… » » C’était le genre de choses qui me surprenait tellement… Je ne m’attendais pas à de tels gestes. J’avais de très bons contacts avec ces spécialistes. Je peux dire qu’à chaque occasion où j’ai envoyé un malade en consultation, j’ai toujours reçu un rapport écrit ou téléphonique du médecin ou du chirurgien en question. Il y avait un gynécologue de Québec avec qui j’étais tellement à l’aise que j’avais l’impression qu’il était un confrère.» C’est d’ailleurs à ce gynécologue que garde Mailloux avait adressé la malade qui, précédemment, avait parlé de sa réaction au fait que ses enfants 107

faisaient de l’épilepsie. « À un moment donné, à 32 ans, j’ai commencé à faire des crises d’épilepsie; j’étais enceinte de six mois et demi. Ce n’était pas de l’éclampsie. Garde Mailloux m’avait envoyée aux Escoumins et ils avaient dit que ce n’était rien. Elle ne s’était pas contentée de ça et elle m’avait envoyée à l’Hôtel-Dieu de Québec. J’étais montée dans la même journée. Dès le lendemain, j’avais fait une autre crise. Le docteur Caouette m’avait aussitôt référée à un autre médecin et celui-là m’avait dit que je faisais de l’épilepsie. J’avais tellement eu peur : je pensais que je faisais une tumeur au cerveau. » Une mère de famille raconte : « Garde Mailloux venait régulièrement me voir parce que je fais de la haute pression d’origine familiale; il y avait un médecin qui me suivait pour cela. Cela avait débuté après mon troisième accouchement. Je faisais beaucoup de pression en me levant le matin : il fallait que je sonne avant de me lever et on venait prendre ma pression tout de suite. J’étais retournée à l’hôpital après le baptême. Je ne me sentais pas bien et la garde m’avait envoyée voir un médecin à Québec : c’était toujours cela qu’elle faisait quand elle n’était pas certaine; elle avait un tas de contacts avec des médecins de Québec. Je pense que j’étais restée quinze jours à l’hôpital. Ensuite, ils communiquaient ensemble pour ajuster mes médicaments. Le médecin m’avait aussi prescrit du Valium pour que je sois plus calme. C’est comme ça qu’elle agissait, garde Mailloux : aussitôt qu’elle pensait qu’il y avait du danger, elle posait son diagnostic et elle s’occupait d’appeler un spécialiste et de faire hospitaliser le malade. Elle avait les numéros de téléphone des spécialistes et ils répondaient quand elle les appelait. » Un jour, l’infirmière envoie un homme âgé à l’hôpital de Chicoutimi. Sa nièce raconte : « Mon oncle avait été missionnaire pendant des années; maintenant, il vivait avec nous et sa grande distraction était de jouer aux cartes, surtout au Canasta. À Chicoutimi, le spécialiste était nouveau; il venait juste d’arriver dans la région. Il avait fait hospitaliser mon oncle et il avait parlé à garde Mailloux au téléphone. Il ne la connaissait pas du tout. En retournant dans la chambre, il avait dit à ma mère : « Votre médecin de famille, celle qui vient de me parler au téléphone, elle connaît vraiment son affaire. » Ma mère lui avait répondu : « Ce n’est pas un médecin, c’est une infirmière. Elle n’a pas le titre, mais pour nous, elle est un merveilleux docteur. » Un homme rapporte un témoignage de Québec : « Un jour, je m’étais rendu à Québec chez un spécialiste. C’était pour ma prostate. Garde Mailloux ne 108

pratiquait plus à ce moment-là. En voyant que je venais de Bergeronnes, l’urologue m’avait demandé : « La petite garde qui m’appelait souvent de Bergeronnes, est-ce qu’elle pratique encore? Je l’ai vue seulement une fois, mais je peux dire que je lui ai parlé tellement souvent que j’ai l’impression de la connaître. Elle était très bonne. Quand elle nous envoyait des patients, c’était facile, car le dossier était très complet et on avait une bonne idée du malade qu’on était pour recevoir. » J’avais trouvé que c’était un beau témoignage ». Quand je relate ce témoignage à Rita Mailloux, celle-ci trouve l’anecdote plutôt amusante. Elle me raconte que, pendant son cours d’infirmière, les étudiantes n’avaient pas de contact avec les « maladies des hommes ». Si elles devaient donner des traitements à un homme, les religieuses veillaient bien à ce qu’elles ne puissent pas voir quoi que ce soit de l’appareil masculin. Elle avait donc peu d’expérience dans ce domaine quand elle était arrivée au dispensaire. D’ailleurs, les premières années, les hommes se montraient très discrets et c’est au médecin qu’ils confiaient leurs problèmes « particuliers ». Souvent, les femmes faisaient des allusions aux difficultés qu’éprouvait leur mari; alors, elle leur conseillait de l’envoyer consulter le médecin ou un urologue. Après quelques années, les gens la connaissaient mieux et ils sont devenus plus à l’aise. À quelques reprises, elle a dû « débloquer » une vessie comprimée par une prostate devenue trop encombrante. Elle n’avait jamais appris une telle technique à l’hôpital des religieuses où elle avait fait ses études; c’est au contact du docteur Gagnon qu’elle acquerra la compétence de « passer une sonde » à un homme en difficulté. Dans un autre ordre d’idées, on peut concevoir que lorsque leurs enfants souffrent, les parents sont particulièrement sensibles à l’aide qu’ils peuvent recevoir. Un homme voue une grande admiration à l’infirmière : « Je n’exagère pas en disant que la garde a sauvé la vie de mes deux garçons. La première fois, mon fils avait 2 mois et demi. On voyait qu’il ne filait pas depuis quelques heures; il se virait de bord sans arrêt, il pleurait tout le temps. On avait appelé garde Mailloux et elle avait dit tout de suite qu’il avait un problème au rein et qu’il fallait l’amener d’urgence à l’hôpital. Elle avait appelé un médecin à l’Hôpital L’Enfant-Jésus et il lui avait dit de nous envoyer à Québec sans attendre. J’étais parti tout de suite en auto avec le bébé. Il avait été opéré en arrivant et, comme de fait, le médecin avait dû lui enlever un rein. Il était très impressionné de voir que garde Mailloux avait été capable de diagnostiquer ce problème sans avoir pu faire d’examens aux Rayons-X. » 109

Et l’histoire continue : « Quand le petit a eu six ans, il a commencé à faire des adhérences et elles se sont tortillées autour de son intestin. Il était blême, il était très malade; il vomissait sans arrêt. C’était un samedi soir. J’avais appelé la garde et elle était venue tout de suite. Elle avait dit qu’il faisait un blocage des intestins, probablement parce qu’il avait déjà été opéré. Cette fois-là, elle était venue avec nous à Québec. Nous étions partis à 8 heures et quart du soir et nous étions arrivés à l’hôpital à 11 h 10. À une heure et demie du matin, il était déjà opéré. Plus tard, le chirurgien nous avait dit que si nous n’étions pas allés à l’hôpital tout de suite, il serait mort. Heureusement, qu’au village, on avait la garde. » Un accident qui aurait pu être mortel : « Un autre de mes fils a aussi failli mourir quand il avait 9 ans il était entré dans la maison et avait commencé à étouffer. Il avait siphonné du vieux gaz avec un tube et il en avait avalé; cela s’était rendu à ses poumons. Moi, j’étais au chalet et ma femme m’avait appelé aussitôt. La garde était venue et elle lui avait donné du lait. « Amenezle à l’hôpital tout de suite; il est après étouffer, c’est grave. » Rendu à l’hôpital, le « flo » n’allait pas mieux. Garde Mailloux avait pris sur elle d’appeler au centre des poisons; elle avait expliqué ce qui était arrivé et ils lui avaient dit de l’envoyer tout de suite au CHUL à Québec. Après un peu de discussions, l’hôpital l’avait transféré à Québec avec une religieuse infirmière. Il était couché en arrière de l’auto. Je pense que j’allais à 110 milles à l’heure. À la salle d’urgence, il y avait 4 médecins autour de lui. Il était resté 21 jours avec des sérums et il avait plein d’antibiotiques. Il est juste resté avec une petite tache sur le poumon. Dans ce temps-là, l’hôpital venait juste d’ouvrir, le médecin qui était là était jeune et il n’avait pas réagi assez vite. Une chance que la garde avait appelé au centre anti-poison et qu’elle avait convaincu le médecin de l’envoyer à Québec. » Un autre père témoigne : « Mon garçon avait eu une fracture de jambe. Un pick-up était venu le chercher. La porte était mal fermée; il était tombé sur l’asphalte et s’était fait une fracture. Il avait une quinzaine d’années. On l’avait descendu aux Escoumins et ils lui avaient immobilisé la jambe; au matin, ils avaient dit que c’était un cas d’hôpital. Pour que ça aille plus vite, nous étions allés voir garde Mailloux; elle avait fait des démarches, elle avait appelé elle-même l’orthopédiste, le docteur Roy à Québec. Quand nous étions arrivés à l’urgence à Québec, nous étions passés tout de suite, car ils nous attendaient. »

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Et quand il est question des petits-enfants… « Je peux dire sans crainte du ridicule que j’ai une reconnaissance éternelle pour garde Mailloux, car elle a sauvé mon petit-fils. Dominique était en visite au Québec avec sa mère et son frère le plus vieux. Ce dernier avait eu des irruptions sur le corps et on l’avait amené aux Escoumins pour voir ce qu’il avait. Il faut dire que les enfants ont un père africain et que la couleur de leur peau peut être qualifiée de « chocolat ». Le médecin avait pensé qu’il souffrait de piqûres de puces et on avait fait une désinfection complète de la maison. Une semaine après, Dominique, qui avait deux ans, avait commencé lui aussi à avoir des lésions et, à l’hôpital, on avait posé le même diagnostic. » « J’avais appelé garde Mailloux parce que je trouvais impensable qu’il y ait encore des puces dans la maison, surtout qu’on n’avait rien trouvé en faisant le ménage en profondeur la première fois. Dominique n’allait pas bien, sa température était très haute et il avait des morceaux de peau qui levaient. Ce n’était pas normal. En le voyant, elle avait dit « Je pense qu’il fait une forme grave de varicelle et il est en danger. Il faut l’amener tout de suite à Chicoutimi. J’appelle le docteur Larochelle. » « En arrivant là-bas, l’enfant avait été vu par le docteur Patry qui avait ordonné des médicaments et des bains de gruau. À cause de son statut d’étranger, les parents de Dominique devaient payer les frais d’hospitalisation. Nous étions allés dormir chez mon frère qui vit à Chicoutimi. Le médecin m’avait donné son numéro de téléphone personnel en cas que quelque chose arrive pendant la nuit. J’avais été surprise parce que ce n’est pas fréquent que les médecins donnent leur numéro de téléphone à la maison. Il nous avait dit par la suite qu’il avait été très inquiet, car Dominique faisait une forme très grave de varicelle, la forme bulbeuse et qu’il aurait pu en mourir. Dès le lendemain, Dominique allait mieux. Les médecins n’étaient pas habitués de soigner des enfants dont la peau était couleur chocolat et ils n’avaient pas pensé au diagnostic de varicelle. Une chance que garde Mailloux était là. » D’autres références à des spécialistes se font à partir d’une consultation de routine. Par exemple, une femme est très surprise quand, après un examen général, garde Mailloux lui explique que son enfant fait probablement du rachitisme et qu’elle doit l’envoyer voir le pédiatre pour qu’il soit soigné. « S’il n’est pas infirme aujourd’hui, c’est qu’elle l’avait envoyé à temps. D’ailleurs, c’est elle aussi qui s’était rendu compte que j’avais un 111

gros fibrome et qu’il fallait que je consulte le docteur Caouette, même si je n’avais pas de symptômes à ce moment-là. » Les demandes d’aide ne sont pas toujours adressées à des spécialistes en médecine. À quelques reprises, elle demande l’intervention de la « protection de la jeunesse » pour des situations difficiles. Ce sont toujours des occasions où Rita Mailloux doit aller au-delà de ses convictions au sujet du secret professionnel; elle agit dans le sens de la loi et de ce qu’elle considère être l’intérêt de ses patients. Jusqu’au milieu des années 1970, la vie professionnelle de garde Mailloux demeure centrée sur la population de Bergeronnes et des villages environnants. Pendant une année, en 1975-76, elle séjourne à Chicoutimi et ne revient au village que pour les fins de semaine ou pendant les congés scolaires. Elle se rappelle : « Le vendredi, après la classe, je revenais à Bergeronnes. Je prenais la route de Chicoutimi. Quand je passais à Sacré-Cœur, il y avait des gens qui me voyaient et qui s’en venaient à Bergeronnes pour me consulter au bureau. J’avais beaucoup de patients qui venaient de Sacré-Cœur. Ils attendaient mon arrivée, ils me voyaient passer et ils venaient tout de suite après moi sur la route. Dès mon arrivée à la maison, la salle d’attente se remplissait et je passais la soirée au bureau. Les gens venaient faire renouveler leur médication; je passais la fin de semaine à faire du bureau et des visites. » Nous sommes en 1975-76. Le monde change peu à peu et des événements lourds de conséquences pour les habitants de Bergeronnes se produisent dans le domaine de la santé.

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Chapitre 10. QUAND ON A PERDU LA GARDE… Nous sommes en 1975-76. Le monde change peu à peu et des événements lourds de conséquences pour les habitants de Bergeronnes se produisent dans le domaine de la santé. En 1975, il y a déjà plus d’une décennie que le système de santé a commencé à changer, d’abord au Canada, puis deux ans plus tard au Québec. À compter de 1961, avec la mise en place de l’assurance hospitalisation, la population québécoise a accès gratuitement aux soins de santé dispensés dans les hôpitaux. À partir de cette date, les frais du séjour à l’hôpital sont assumés par l’État; il n’est plus question de calculer le nombre d’injections, le nombre de repas ou la longueur du séjour sur la table d’opération. Les seuls comptes reçus après une hospitalisation sont les honoraires des médecins visiteurs, des chirurgiens ou des anesthésistes; le reste est gratuit, y compris les médicaments pris à l’hôpital. Autrefois, les personnes très démunies pouvaient parfois être soignées gratuitement, mais il était alors question de charité chrétienne et de bonne volonté des autorités paroissiales; en réalité, pour les « pauvres », c’était une humiliation d’être soignés « sur la paroisse » et personne ne recherchait ce statut. De plus, il faut avoir connu les hôpitaux de la période précédente pour se rendre compte de la différence de mentalité qui découle de cette nouvelle loi : dorénavant, on ne va plus à l’hôpital seulement quand on est en danger de mort, on peut s’y faire soigner sans crainte, car le risque n’existe plus de ruiner sa famille si le séjour à l’hôpital se prolonge. L’assurance hospitalisation ne présente que des points positifs pour la population de Bergeronnes et leur infirmière résidante, Rita Mailloux. En effet, au cours de ses premières années de pratique, elle était continuellement soumise au questionnement suivant : « Est-ce que je dois envoyer ce patient à l’hôpital ? Est-il suffisamment mal en point ou en danger pour lui demander d’assumer les frais d’une hospitalisation ? » Pour Rita Mailloux, la question s’était posée à plusieurs reprises et la réponse n’était pas toujours évidente. Elle raconte l’anecdote suivante qui décrit bien son dilemme : « J’ai en mémoire le cas d’un monsieur qui avait terriblement mal à l’estomac. Depuis quelques jours, je devais lui donner régulièrement des injections pour calmer sa douleur. Je le suivais de près et j’étais allé le voir plusieurs fois au cours des dernières heures. Même si c’était une famille qui n’était pas particulièrement pauvre, je ne voulais pas l’envoyer à l’hôpital sans raison. Dans ce temps-là, il fallait tout payer quand on était hospitalisé. 113

Je faisais toujours attention de ne pas faire débourser de l’argent aux familles si ce n’était pas nécessaire. Finalement, j’avais décidé qu’il était temps qu’il soit hospitalisé. C’était encore en hiver et il y avait une tempête. Le malade était parti en snowmobile, car les autos ne passaient pas. J’espérais qu’il puisse se rendre à temps, car j’avais peur que ses heures ne soient comptées. Finalement, il avait été opéré à son arrivée; le chirurgien avait trouvé un ulcère perforé de l’estomac, un problème mortel à brève échéance. » À partir de 1961, avec la possibilité d’hospitalisation gratuite, cette question ne se pose plus. Même s’il n’est pas dans sa nature de « profiter » du système, Rita Mailloux se sent beaucoup plus à l’aise pour envoyer des malades vers les centres hospitaliers. « L’assurance hospitalisation des années 1960 n’avait rien changé pour moi, car tout mon travail se faisait au bureau ou à domicile. En fait, j’ai vécu pendant plus de 20 ans sous le même régime, soit de 1951 à 1973. » L’arrivée de Claude Castonguay au ministère de la Santé va bouleverser encore davantage le système des soins à la population. Le régime de l’assurance maladie est mis sur pied à l’automne 1970. Ce nouveau régime public garantit la gratuité des soins médicaux pour tous. Avec l’apparition de la « Castonguette », les honoraires des médecins sont maintenant assumés par le gouvernement; le bouleversement est de taille et partout dans la province, les salles d’urgence sont prises d’assaut. À Bergeronnes, le changement ne se fait pas sentir tout de suite. Selon Rita Mailloux, « … quand l’assurance maladie est arrivée, au début des années 1970, je savais que ma pratique était appelée à se modifier à plus ou moins brève échéance. J’étais une infirmière qui dépendait du ministère de la Santé et c’était par « décret spécial » que je pouvais jouer un rôle médical. J’avais des privilèges de pratique : je pouvais prescrire, je pouvais poser des diagnostics, mais je n’étais pas médecin pour autant. En fait, jusqu’en 1973 environ, j’ai pu continuer à travailler à peu près comme avant; à partir de là, c’est devenu plus compliqué, surtout à cause de la gratuité des médicaments pour les personnes de 65 ans. » Pour garde Mailloux, le problème n’est pas la gratuité des médicaments, ce qui constitue évidemment une bonne chose pour les personnes plus âgées; le problème se situe dans le changement qui se produit dans le rôle de pharmacienne qu’elle joue depuis maintenant 25 ans. Laissons-la s’expliquer : « Tant que j’ai été à mon compte, je n’avais pas besoin d’autorisation pour donner de la médication. Si un patient décidait de voir un médecin après 114

m’avoir consultée, c’était correct, il n’y avait pas de problèmes de ce côté-là. Si ça arrivait et que le patient venait me voir ensuite pour acheter ses médicaments, je lui fournissais ce que le médecin lui avait prescrit. De toute façon, quand les gens revenaient de chez le spécialiste, je leur fournissais les médicaments qui étaient prescrits. J’avais suffisamment de médicaments pour remplir toutes les prescriptions. Il est certain que je n’aurais pas pu donner une prescription à un patient pour qu’il aille acheter des médicaments à une pharmacie, mais je pouvais remplir toutes les prescriptions qui étaient écrites par un médecin. À mon bureau, j’avais une pharmacie très complète, même si j’avais une quantité limitée de chaque sorte de médicaments. Depuis toutes ces années, je recevais très bien les représentants de compagnies pharmaceutiques et j’étais très à jour, je connaissais bien tous les nouveaux médicaments. Recevoir les représentants pharmaceutiques, c’était intéressant parce qu’ils étaient bien documentés, ils connaissaient leurs médicaments; ils présentaient les nouveaux produits, ils disaient comment les utiliser, dans quels cas ces médicaments étaient efficaces. Je questionnais beaucoup. C’est surtout de cette manière-là que je fonctionnais jusque-là. » « À partir de 1973, selon les nouvelles règles émises par le DSC dont je dépendais maintenant, je ne pouvais plus acheter directement mes médicaments des représentants pharmaceutiques. Il fallait que j’utilise seulement les médicaments que me fournissait l’hôpital de Hauterive. Le pharmacien m’envoyait les médicaments; je les fournissais gratuitement aux personnes âgées qui y avaient droit; pour les autres personnes, je leur vendais les médicaments et je retournais l’argent à l’Hôpital de Hauterive. Même si j’étais contente que les personnes plus âgées aient accès à la gratuité des médicaments, pour moi, dans ma pratique professionnelle, c’était bien plus compliqué pour le choix des médicaments. Il faut savoir que le gouvernement fonctionne en émettant une liste de médicaments qui sont les seuls à être fournis par l’hôpital; ce sont les médicaments qui sont dans le « formulaire ». Moi qui étais habituée à disposer d’un large éventail de produits, je me trouvais très frustrée : je connaissais bien l’efficacité de mes médicaments, les circonstances où je devais les donner et maintenant, il fallait que je choisisse parmi ceux fournis par l’hôpital. C’était très difficile. » La difficulté est importante, mais Rita Mailloux peut tout de même continuer à prendre soin de la population comme elle le fait depuis des années déjà. Entre-temps, suite aux recommandations de la Commission Castonguay, les réformes continuent. Le Conseil régional de la santé et des services sociaux

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(CRSSS) de la Côte-Nord est créé en 1972; son premier mandat : étudier la situation des urgences sur la Côte-Nord, de Tadoussac à Blanc-Sablon. Dans Quelques dates dans l’histoire du Centre hospitalier régional BaieComeau, 1 on retrouve les éléments de réflexion qui ont accompagné les changements dans le système de santé régional. « Dans la foulée de la réforme Castonguay, le ministère décide de réunir sous un même toit la direction des différents services de santé gouvernementaux créés, ici et là, depuis les années 1920. On pense d’abord aux Unités sanitaires, des unités médicales installées dans les différentes régions pour favoriser le dépistage des maladies infectieuses, le suivi des poupons ainsi que la vaccination. … Certains villages peuvent aussi compter sur des dispensaires où des infirmières dites « de colonie » offrent une large gamme de services telles garde Richard à Sainte-Thérèse du Colombier, garde Pettigrew à Ragueneau ou la célèbre garde Mailloux à Bergeronnes. Cette dernière est, tout à la fois, infirmière, dentiste et pharmacienne; elle a ses entrées privilégiées chez différents spécialistes de Québec et de Montréal. Une véritable légende locale. » (p.44) Le ministère décide ensuite de réunir tous les services à la population sous un même organisme régional et les départements de santé communautaire (DSC) sont créés en 1974 : c’est l’œuvre de Claude Forget, le nouveau ministre de la Santé du Québec. En 1975, le DSC régional s’installe à l’HôtelDieu de Hauterive. Le directeur général, Jean-Guy Lavoie, s’entoure du Dr Marc Simard, chef de département, de Louise St-Pierre, infirmière-chef, de Jacques Biron, coordonnateur administratif et de quelques autres personnes qui complètent l’équipe. Cette équipe entreprend les démarches de réorganisation du système régional et annonce un virage « prévention »; on parle maintenant de santé scolaire, de maintien à domicile, de périnatalité, etc… Dorénavant, les soins médicaux destinés à traiter ou à guérir seront dispensés par les médecins et par le système hospitalier alors que la prévention dépendra du Département de santé communautaire. L’équipe du DSC commence la réorientation des unités sanitaires locales et des dispensaires. Les infirmières de l’unité sanitaire dépendent dorénavant du DSC et ont leurs bureaux dans l’édifice de l’hôpital des Escoumins qui 1

Frenette, Pierre, Société historique de la Côte-Nord (2005), Quelques dates dans l’histoire du Centre hospitalier régional Baie-Comeau, p. 44-45

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s’appelait au départ l’Hôpital Saint-Alexandre, devenu plus tard, le Centre de santé de la Haute-Côte-Nord. C’est seulement en 1983 que l’équipe de santé communautaire sera rattachée au Centre des Escoumins, qui aura deux vocations : une vocation hospitalière et une vocation communautaire, avec une nouvelle structure connue sous le nom de CLSC. Les changements structurels qui se sont produits au cours de ces années ont évidemment touché les personnes déjà en poste. Constance Gauthier, une infirmière, raconte son expérience de ces années tumultueuses. « De retour dans ma région pour enseigner au secrétariat médical, j’avais reçu, du DSC de Hauterive, l’offre d’un poste à mi-temps dans les écoles secondaires du secteur. C’était au début de la création des DSC. On développait le volet « prévention » dans plusieurs domaines. Il y avait une infirmière à l’Unité sanitaire qui, elle aussi, avait été intégrée au DSC. Elle s’occupait de la vaccination des bébés et des jeunes enfants. Après un an, j’avais eu un poste à temps plein et je formais équipe avec elle : nous faisions de la vaccination, la visite des écoles primaires et secondaires du secteur, on se divisait les tâches. Il y avait beaucoup de mouvement à cette époque dans le secteur de la santé. Le DSC créait des équipes par strates d’âges et de conditions : il y avait les 0-5 ans, le prénatal, les 5-11 ans, les 12-18 ans, les adultes, les personnes âgées et aussi, les soins à domicile. À mesure que se développaient de nouveaux secteurs d’activités, nous recevions une formation à Hauterive afin de mettre en place de nouveaux programmes de prévention qu’il fallait adapter à notre clientèle. Les tâches se modifiaient, se partageaient et il s’ajoutait aussi du personnel nouveau. Lorsque nous avons été transférées sous la direction du Centre de santé des Escoumins, quand les CLSC sont arrivés, nous avons continué d’appliquer les mêmes programmes. » C’est à une clinique de vaccination que Constance retrouve garde Mailloux à son retour au village : « C’est là que je l’avais revue à mon retour à Bergeronnes après plusieurs années à l’extérieur. Quand je me présentais pour les vaccins de ma fille, née en 1971, elle était présente avec l’infirmière de l’unité sanitaire de l’époque. Son statut n’était pas encore changé à ce moment-là. En 1976, il y avait eu un début d’épidémie de diphtérie, à SainteThérèse de Colombier; il y avait eu des séances de vaccination et garde Mailloux était aussi parmi les infirmières, même si elle avait encore son bureau comme avant. »

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Dans la planification des changements en santé publique, le sort des dispensaires varie selon les régions. Sur la Basse-Côte-Nord et en Minganie, ils restent ouverts parce que la situation touchant les soins de santé n’est pas du tout la même qu’en Haute-Côte-Nord : là, il y a encore pénurie de médecins et seulement deux hôpitaux existent, à Havre-Saint-Pierre et à Blanc-Sablon. N’étant toujours pas reliés au réseau routier provincial, la plupart de ces dispensaires existent encore à ce jour, malgré certaines modifications qui ont été apportées au cours des années. En revanche, le dispensaire de Bergeronnes est voué à la fermeture et ce n’est qu’une question de temps… Comment garde Mailloux a-t-elle vécu cette période d’incertitude et de transition ? « J’ai continué à travailler pour le ministère de la Santé jusqu’en 1977. Il était question qu’ils ferment les dispensaires depuis un certain temps. Dans un sens, dans mon cas, ce n’était même plus un dispensaire, car j’avais mon propre bureau depuis un bon bout de temps. Je faisais ce travail parce qu’il n’y avait pas de médecin à mon arrivée, mais maintenant, il y avait des médecins aux alentours, un hôpital aux Escoumins et tout. La situation avait bien changé depuis mon engagement comme infirmière de colonie 25 ans auparavant, mais la transition n’a pas été facile quand les structures ont été modifiées officiellement par le DSC. » On se souvient qu’en 1972, le CRSSS avait initié une enquête pour évaluer l’état des services de santé et d’urgence dans la région. Le DSC, créé en 1975, prend le relais et continue cette évaluation. C’est, en tout cas, ce qu’on peut déduire d’une expérience vécue par garde Mailloux pendant son séjour à Chicoutimi. « En 1975-76, pour des raisons personnelles, j’étais allée passer une année à Chicoutimi, comme une année sabbatique. À un moment donné, j’avais eu un appel de Baie-Comeau, de celle qui était en charge des infirmières de la santé communautaire, madame Louise Saint-Pierre. J’étais allée la rencontrer en avion et l’entrevue avait eu lieu en présence du directeur du département, le docteur Marc Simard. J’avais trouvé que c’était une drôle d’entrevue. J’avais eu de la difficulté à situer l’objectif de la rencontre. Madame Saint-Pierre me demandait des questions telles que : « Combien de prescriptions ? Combien de patients, etc.? » En réalité, je faisais un rapport chaque semaine au ministère de la Santé et ces renseignements étaient facilement disponibles; je ne voyais pas à quoi rimaient toutes ces questions. Finalement, Louise Saint-Pierre en était venue à des questions sur ma capacité de faire des diagnostics : « Comment se fait-il que les gens aient tellement confiance en vous ? D’où vous vient cette réputation de poser des 118

diagnostics comme si vous étiez un médecin ? » Je lui avais dit : « Peut-être que c’est facilité par le fait que ça fait 25 ans que je connais ce monde-là. Je les ai suivis pendant toutes ces années, je connais leur état de santé, leur vécu. Si la personne a déjà eu des crises de foie, j’ai une bonne chance de ne pas passer à côté du diagnostic. » - « Vous ne pensez pas que vous pouvez nuire à la possibilité pour un médecin de s’établir à Bergeronnes ? » « Voyons-donc! Depuis quand un médecin a-t-il peur d’une infirmière ? Je suis là parce qu’il n’y a pas de médecin… s’il arrive un médecin, automatiquement, ce n’est plus ma place! Je n’ai plus de raisons d’exister. » L’entrevue s’était terminée là-dessus et j’étais retournée à Chicoutimi. Je n’avais plus entendu parler de tout cela jusqu’à ce que la décision de fermer le service soit prise par le DSC. » Plus tard, Rita Mailloux rencontre Charles-Edmond Lessard, le maire de l’époque et celui-ci lui confie : « Vous savez, garde Mailloux, pendant votre séjour à Chicoutimi, un médecin a voulu venir s’installer ici. On n’a pas voulu de lui. On lui a dit : « Garde Mailloux va revenir. Si vous êtes là, elle va arrêter de nous soigner. Vous, vous allez partir. Vous allez tout nous désorganiser. » L’infirmière analyse les événements de cette manière : « Je sais bien que la décision de fermer le dispensaire aurait été prise de toute façon dans la réorganisation du système de santé, mais j’ai toujours pensé que, pour les autorités du DSC, la véritable raison de la rencontre de Baie-Comeau avait été une tentative de comprendre ce qu’il se passait dans le village de Bergeronnes afin d’orienter les décisions qui allaient suivre. » La situation de garde Mailloux s’était, en effet, modifiée juste avant son congé sabbatique de 1975-76. Comme les infirmières de l’Unité sanitaire, elle dépend maintenant du département de santé communautaire, l’organisme nouvellement créé, dont la responsabilité a été attribuée à l’Hôtel-Dieu de Hauterive, mais elle jouit encore de tous les privilèges reliés au travail d’infirmière de colonie. Avant de partir pour Chicoutimi, elle avait demandé une modification de son statut pour offrir à la population une présence à mi-temps pendant son absence. Elle fait donc du bureau au cours de la fin de semaine et au moment où ses garçons sont en congé d’école. Les gens se sont habitués à ce nouvel horaire et les consultations continuent; à part l’irritant constitué par la question des médicaments, la vie suit son cours comme auparavant. À son retour de congé, les choses se compliquent. Une correspondance entre le DSC et les autorités municipales de Bergeronnes est révélatrice des complications qui sont apparues et on peut en faire une certaine chronologie pour mieux comprendre la suite des événements. 119

Rita Mailloux revient de congé à la fin du mois de juin 1976. Une première lettre adressée au maire de Bergeronnes, monsieur Charles-Edmond Lessard fait état du nouvel arrangement imposé à l’infirmière : « … reprend son poste à temps complet. Par contre, elle ne sera pas disponible sept jours par semaine. Son nouvel horaire jusqu’à septembre sera… du lundi au vendredi de 8 h 45 à 5 h. Elle sera disponible de nuit du lundi au vendredi. » En fin de lettre, il est précisé que pendant les fins de semaine, la population devra se rendre à l’hôpital des Escoumins en cas d’urgence. La population ne s’en fait pas puisqu’on suppose que la situation reviendra à la normale à l’automne, mais en novembre, la municipalité réagit devant le maintien de cette situation. Jacques Girard, le secrétaire-trésorier, demande que la situation revienne à ce qu’elle était en septembre 1975. Un échange de missives se poursuit jusqu’au printemps 1977 pendant que garde Mailloux continue de donner ses services habituels à la population. En mai 1977, coup de théâtre! Dans une lettre datée du 13 mai et adressée au Département de santé communautaire, l’Ordre des pharmaciens du Québec fait état d’une plainte qui lui est parvenue: « Par l’entremise du centre hospitalier d’Hauterive, votre département fournirait des médicaments à une infirmière du nom de Rita Mailloux… ces médicaments seraient par la suite vendus aux patients de ce secteur... J’apprécierais que vous m’indiquiez les raisons vous justifiant à autoriser de telles pratiques. » Dès le 17 mai, le docteur Marc Simard, le directeur du DSC, fait parvenir à Rita Mailloux la mise en demeure suivante dont voici le texte intégral : « Suite à notre conversation téléphonique de ce matin et suite à la plainte formulée à l’Ordre des Pharmaciens concernant la distribution des médicaments, je vous demande de cesser immédiatement toute distribution de médicaments et à référer toute personne en requerrant au centre hospitalier des Escoumins, ou auprès du pharmacien résident des Escoumins. De même, je vous demande de continuer à référer à tout médecin les problèmes nécessitant une intervention médicale quelle qu’elle soit… Bien à vous. PS: « Je vous prierais de retourner à notre pharmacie tous les médicaments que vous avez en « stock »… ». C’est donc, en bonne et due forme, l’ordre de fermer le dispensaire et de remettre tous les médicaments aux représentants des autorités sanitaires. 120

Garde Mailloux vient de perdre son statut d’infirmière de colonie et ne peut plus exercer sa profession comme elle le fait depuis plus de 25 ans. Quand la nouvelle se répand, la population réagit fortement. Bien sûr, on savait depuis quelques mois que quelque chose se préparait, mais devant le fait accompli, la réaction n’attend pas. Selon le dossier monté par Pierre Rambaud dans l’éditorial du Maillon, (vol. VI, no 10) du 9 juin 1977, c’est d’abord l’Âge d’Or qui commence la bataille en faisant circuler une pétition « en faveur de la garde ». Ensuite, le conseil municipal envoie un télégramme au ministre Lazure. Faute de réponse, le maire écrit lui-même au ministre des Affaires sociales. C’est d’un ton ferme qu’il fait part à Denis Lazure du mécontentement de la population de Bergeronnes. Il termine en ajoutant ironiquement : « Au cas où le budget Parizeau aurait trop coupé les dépenses, j’inclus un chèque personnel pour obtenir une réponse à ma lettre. » Entre-temps, des rumeurs circulent dans la population. Une femme me raconte en entrevue : « Les gens avaient été scandalisés en apprenant que des employés du DSC s’étaient présentés chez garde Mailloux et avaient vidé son bureau de tous les médicaments qui s’y trouvaient, en lui disant : « Vous n’avez plus le droit de vendre des médicaments. Ce n’est pas une pharmacie ici. » Je pense que c’est l’arrivée des pharmaciens qui a mené à ça. » Puis, la rumeur augmente et s’amplifie : « Une fois, son dispensaire était fermé et ils sont arrivés en gang pour vider les lieux. Ce n’était pas correct et ça nous a fait mal au cœur. Elle ne faisait plus de dispensaire à ce momentlà. Cela ne s’est pas fait de façon délicate, c’est sûr. C’était chez elle, dans sa maison. » Pourtant, malgré ces rumeurs, garde Mailloux se souvient que la reprise des médicaments par les autorités ne s’était pas faite dans un climat de confrontation. « C’était quelques jours après la réception de la lettre du DSC annonçant la fermeture du dispensaire que ma pharmacie avait été vidée. J’avais tout préparé dans des boîtes et j’avais fait une liste complète des médicaments que je remettais à la pharmacie de l’hôpital. Ils sont venus chercher les boîtes au moment de l’assemblée paroissiale qui avait été convoquée. C’est sûr que les gens qui ont apporté les boîtes n'étaient pas très à l’aise, mais il n’y a pas eu de gestes disgracieux. » En effet, la tension est devenue tellement forte dans le village que le maire, Charles-Edmond Lessard, et le curé, monseigneur Donat Gendron, ont 121

demandé au DSC d’envoyer des représentants pour clarifier la situation devant la population de Bergeronnes. La réunion est mémorable. La salle paroissiale étant trop petite, la foule se presse dans l’église. Plus de 400 personnes se présentent; en avant, il y a le directeur général de l’hôpital de Hauterive, Jean-Guy Lavoie; le docteur Marc Simard, le directeur du DSC; Jacques Biron, l’adjoint administratif et, pour faire bonne mesure, un sousministre de la santé, le docteur Réjean Cantin qui arrive de Québec. La réunion est houleuse. Même si le but officiel de l’assemblée est de donner de l’information aux gens, plusieurs personnes en profitent pour « parler » aux gens du ministère. En entrevue, les gens se souviennent « en gros » des interventions qui ont été faites ce soir-là, des interventions qui tentent de faire comprendre aux autorités combien la présence de garde Mailloux est importante pour les paroissiens de Bergeronnes. Quelques exemples suffiront : « J’ai plus confiance en garde Mailloux qu’en n’importe quel médecin. À l’hôpital, les médecins changent tout le temps, on n’a pas le temps de les connaître et de leur faire confiance; ils ne peuvent pas nous connaître non plus. Toujours raconter son histoire d’un bout à l’autre à chaque fois, ça devient tannant. Garde Mailloux nous suit depuis 25 ans; elle, elle nous connaît : elle sait notre histoire et elle connaît notre état de santé. Elle ne risque pas de se tromper quand il nous arrive quelque chose. Il faut nous la laisser, la garde! » Un autre témoignage en assemblée : « Garde Mailloux, on peut l’appeler n’importe quand, on peut aller la voir n’importe quand, on peut même passer par la maison pour aller la voir et elle nous accueille tout le temps avec le sourire. Pour nous, elle est un médecin. Elle est capable de trouver nos maladies. Si c’est quelque chose de grave, elle nous trouve des places dans les hôpitaux à Québec ou à Chicoutimi. C’est sûr qu’on est en sécurité avec elle dans le village. Pourquoi est-ce que vous ne voulez plus qu’elle s’occupe de nous ? » En entrevue, une femme me raconte en riant : « Il me semble de me revoir dans l’église, me diriger vers l’allée pour aller prendre le micro. J’avais dit : « Garde Mailloux, elle m’a toujours soignée. Si vous en jugez par ma « corpulence », c’est sûr que les résultats sont bons. J’ai sûrement été bien traitée. On ne veut pas la perdre, notre garde! » En réponse à ces interventions, les officiels tentent de justifier, par les raisons suivantes, la décision prise par le DSC. Un hôpital existe dans le village 122

voisin, ce qui n’était pas le cas quand garde Mailloux est arrivée. Il y a davantage de médecins qui sont installés dans la région depuis quelques années. Les structures de la santé sont en train de changer avec les réformes : le rôle du DSC est de s’occuper de prévention et pas de « curatif »; le curatif appartient aux médecins et aux hôpitaux. Les gens doivent se rendre compte que la disponibilité d’une infirmière pour les soigner à domicile 24 heures par jour, c’est fini; l’hôpital est là pour les urgences et il y a des médecins qui peuvent être consultés à leur bureau. Pour les médicaments, la situation de garde Mailloux est la même que celle de tous les médecins généralistes de la province qui vendaient leurs propres médicaments et qui ont dû, euxaussi, cesser de le faire depuis que les pharmacies sont plus répandues. C’est comme cela partout au Québec, pas juste à Bergeronnes. Avec le DSC, il y a de nouveaux services qui seront donnés à la population : on en profite pour annoncer la mise en place d’un service de soins à domicile qui devrait permettre de prendre soin de la population. Aucun témoignage, aucune intervention ne parvient à modifier la décision déjà prise, mais le message de la valeur des services de garde Mailloux et de l’affection que lui porte la population se rend bien aux autorités. Quand les gens parlent de cette période, ils sont encore nostalgiques et la frustration refait facilement surface. « Quand la garde est arrivée au village, tout le monde était content. On sentait bien qu’elle nous aimait, nous étions comme ses enfants. C’est pour cela que lorsque le gouvernement a décidé de fermer le dispensaire, la réaction des gens a été énorme. Les gens étaient vraiment montés. Je n’aurais pas voulu être à la place des personnes qui étaient en avant pendant l’assemblée à l’église. Ils ont expliqué que c’était la loi et que les dispensaires devaient disparaître, que garde Mailloux ne pouvait plus prescrire, qu’il y avait maintenant des médecins dans les alentours, qu’elle resterait quand même comme infirmière, et tout ça… Mais les gens étaient vraiment fâchés et ils avaient de la peine. Pour les gens du village, elle était le Bon Dieu. » Garde Rita Mailloux sera intégrée, dès septembre 1977, au service de soins à domicile qui est en voie de formation et elle y travaillera au cours des huit années suivantes…

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Chapitre 11. LES SOINS À DOMICILE Depuis la création du Département de santé communautaire (DSC) en 1975, les différents services se sont progressivement mis en place et, en 1976, il reste à mettre sur pied, le service de soins à domicile. Trouver une infirmière pour se charger du projet n’est pas facile; personne ne se présente pour ce poste et les responsables savent que les budgets risquent de retourner à Québec si la situation n’évolue pas. Sœur Denise Landry, une sœur hospitalière de St-Joseph qui enseigne au cégep de Baie-Comeau en Techniques infirmières, accepte de tenter l’aventure. Elle est engagée comme chargée de projet en juin 1976. « J’avais été interpellée en tant qu’infirmière et aussi en tant que religieuse hospitalière dont le charisme va vers les pauvres et les plus démunis. Toutefois, je trouvais que c’était folie pure d’accepter cette tâche, car je ne connaissais vraiment rien aux soins à domicile. En revanche, dans ma tête, je savais bien ce que je voudrais que soit ce travail, ces soins offerts à la population. » Pour pallier son manque d’expérience, elle se rend, pendant l’été, dans différents centres de Québec pour mieux connaître la réalité de ce genre de service qui n’existe pas encore en région. À l’automne 1976, elle se rend à Burlington, aux États-Unis. « Par l’intermédiaire d’une de mes consœurs, qui avait travaillé avec les infirmières de soins à domicile de Burlington aux États-Unis, j’avais été acceptée pour un stage. Dans ce service, on pratiquait l’approche du docteur Weed, une approche par problèmes dans une situation de soins à domicile; une approche globale, familiale, personnalisée; il s’agissait de la prise en charge du client par lui-même ou par sa famille avec la supervision et le soutien de l’infirmière. » « À Burlington, j’avais reçu un mois de formation superbe. Superbe! J’avais suivi les infirmières, on m’avait donné tous les papiers et les livres concernant leur philosophie de soins; j’étais revenue avec un dossier complet sur les soins à domicile pour m’aider à mettre le service sur pied. En revenant à Hauterive, j’avais commencé à structurer le programme. J’étais retournée à différentes reprises à Burlington, pour rencontrer celle qui me pilotait, qui jouait le rôle de mentor pour moi. Elle vérifiait ce que j’avais fait pendant mon absence. L’approche était tout à fait nouvelle pour l’époque et j’avais été bien dirigée pour la mettre en place. » Les premières infirmières en soins à domicile sont embauchées à partir d’avril 1977 : d’abord celles de Baie-Comeau et ensuite, celles de Sept-Îles. 124

Entre-temps et après plusieurs mois d’incertitude, Rita Mailloux vient de perdre ses privilèges comme infirmière de colonie. Nous sommes en juin 1977 et le DSC l’engage pour diriger le point de service des soins à domicile pour la région de Bergeronnes, des Escoumins, de Sacré-Cœur et de Tadoussac. Une période de flottement se produit pendant l’été puisque le service ne débutera officiellement qu’après la période de trois semaines de formation qui sera donnée aux infirmières au mois de septembre 1977. La formation se donne à Baie-Comeau. Sœur Landry continue : « Personnellement, j’avais donné la plus grande partie des cours et j’avais beaucoup insisté sur l’aspect qui touchait l’approche de Burlington : la philosophie des soins, le dossier par problèmes, l’approche pratique auprès de la clientèle; en somme, ce que je voulais comme modèle de soins, ce qui m’avait plu dans l’approche du docteur Weed. Plusieurs spécialistes étaient aussi venus faire des présentations. » Le cours est donné de façon intensive sur une période de trois semaines; une douzaine d’infirmières sont formées et sont maintenant prêtes à organiser leurs propres points de service, dans l’ordre à BaieComeau, à Sept-Îles et ensuite, à Bergeronnes. Comment Rita Mailloux réagit-elle à ce changement de vie ? « J’avais participé à la formation donnée par sœur Denise Landry sur les soins à domicile. C’était une drôle d’expérience. La philosophie du service était basée sur l’étude des problèmes vécus par les patients et sur la solution de ces problèmes par la prise en charge de son problème par le malade ou sa famille avec le soutien de l’infirmière. C’était un peu ce que je faisais depuis 25 ans auprès de la population. Malgré cette similitude, il y avait des différences extrêmement importantes et que j’avais trouvées très difficiles à accepter. D’abord les malades étaient référés seulement par les médecins et il fallait attendre les références avant d’agir; ensuite, en cas de complications ou de problèmes médicaux, j’étais incapable d’agir par moi-même et il me fallait demander au médecin traitant de faire quelque chose. Les gros points qui me crevaient le cœur étaient que je ne pourrais plus prescrire de médicaments quand je jugerais que c’était nécessaire et surtout, je ne pourrais plus « poser de diagnostic » en voyant que le malade avait un problème. Pourtant, c’était mon côté le plus fort, poser des diagnostics. Je sentais les problèmes; j’avais une grande facilité pour cela. Je sentais venir les complications et je savais quoi faire quand ça se produisait. C’était surtout cela que j’avais trouvé difficile : j’étais redevenue une infirmière et il n’était pas question d’empiéter sur les compétences médicales. J’avoue que j’ai été amère pendant quelque temps. » 125

On sait que la capacité de poser des diagnostics justes était une des grandes caractéristiques de la pratique de Rita Mailloux. Les témoignages sont éloquents à ce sujet. En entrevue, Jacques Biron du DSC cite son ancien patron, le docteur Marc Simard : « Garde Mailloux, au niveau du diagnostic qu’elle peut poser avec un patient, elle est aussi bonne qu’un médecin qui aurait 5 à 10 ans de pratique. Cela veut dire que ça n’a pas été évident… » L’adjoint administratif reconnaît l’envergure de l’infirmière : « Elle n’avait jamais eu de patron, elle était autonome depuis 25 ans. Elle gérait tout ce qui touchait à la santé; elle s’occupait des cas de CSST… » On pourrait ajouter que dans les débuts de sa pratique, elle signait même les certificats de décès ! Jacques Biron conclut : « Au début, elle a rongé son frein… Mais c’est une femme qui a tellement d’envergure qu’elle s’est embarquée à plein dans ça. Elle a continué …. Elle ne m’a jamais manifesté de rancune, de regret par la suite. Elle a pu continuer de s’occuper de sa population d’aussi bonne façon qu’avant. » Sœur Denise Landry, celle qui est en charge du service de soins à domicile est bien au courant de la situation qui prévaut à Bergeronnes : « Rita était dans la région où la nouvelle structure devait s’appliquer; là, où il y avait une volonté politique de changer le système de soins. De Havre St-Pierre à Blanc-Sablon, les infirmières sont demeurées dans leur dispensaire, car il n’y avait d’hôpital facilement accessible et pour elles, les changements n’ont pas été importants. J’allais les visiter régulièrement, mais dans l’ensemble, pour elles, tout est demeuré relativement pareil. Dans le cas de Bergeronnes, la population ne voulait pas changer de système; les gens ne voulaient pas perdre leur infirmière et d’ailleurs, elle non plus ne voulait pas partir. C’était très tendu. Pour garde Mailloux, son rôle auprès de la population, c’était sa vie et elle n’avait pas le goût de changer cela. Et elle n’était pas convaincue que c’était un bien pour la population. » Elle constate cependant que garde Mailloux a une attitude positive malgré la situation : « Je n’ai jamais senti qu’elle était négative, même si ça paraissait qu’elle vivait un grand déchirement sur le plan émotif. Je peux toutefois dire qu’après avoir suivi la formation, à mesure qu’elle avait vu quelle était la philosophie à la base du service, elle avait fait une « pirouette » et s’était rapidement intégrée. Elle était venue plusieurs fois avec moi à Sept-Îles rencontrer les infirmières du service de soins à domicile. Elle s’était « apprivoisée », mais cela avait été un chemin laborieux pour elle. La difficulté existait sur plusieurs plans. Sur le plan personnel, je pense que ce qu’elle faisait à Bergeronnes était extrêmement gratifiant. Elle était celle à qui on avait 126

recours pour à peu près tout ce qui touchait la santé, même pour des problèmes familiaux. Elle était au courant de tout. C’était très difficile pour elle de passer à un autre système qui la rendait dépendante des médecins. Elle ne pouvait plus orienter ses malades directement à Québec ou à Chicoutimi selon leurs besoins, comme elle le faisait auparavant. » Malgré les difficultés, Rita Mailloux décide de faire contre mauvaise fortune bon cœur : « J’ai trouvé ça dur au début, mais dans les circonstances, je pense que c’était ce qui était le mieux pour moi et pour tout le monde. Je revoyais mes patients, je n’étais pas coupée de mon monde. Aller travailler comme infirmière à l’hôpital, ça ne m’intéressait pas du tout. Je suis donc restée aux Soins à domicile de 1977 à 1986. » Selon garde Mailloux, un point positif de la présence du DSC était toutes les possibilités de formation qui étaient offertes. Déjà, avant la fermeture du dispensaire, elle avait profité de journées de cours portant, par exemple, sur la toxicomanie, la santé dentaire, la pharmacologie, la déficience mentale, la nutrition et la périnatalité. Bien sûr, elle s’était toujours tenue au courant des changements qui s’étaient produits depuis la fin de ses études, mais recevoir une synthèse des nouveautés dans une seule séance de travail était une façon bien intéressante de maintenir ses connaissances à jour. La période intensive de trois semaines de formation avant la création du service avait aussi été une bonne expérience pour elle. Pendant la formation, sœur Denise Landry avait beaucoup insisté sur l’approche Weed qui était la philosophie sous-jacente au service, sur l’importance d’orienter les dossiers par rapport à l’approche problème, sur les rapports avec les malades. Dans les cours, il avait été question de gérontologie, d’animation et dimension familiale, de relation d’aide, d’enseignement à domicile et de nutrition. Il y avait eu aussi des cours davantage orientés vers l’aspect curatif du travail : les techniques de débridement des plaies, la colostomie, les troubles cardiovasculaires, les prélèvements sanguins, la médication, la diétothérapie, la réadaptation après la maladie. Plus tard, au cours de ses années dans le service, d’autres sujets ont aussi été abordés, par exemple, les maladies infectieuses et surtout, l’approche aux mourants et les soins palliatifs qui prendront de plus en plus d’importance avec les années. Avec la mise sur pied du service, la vie professionnelle de garde Mailloux s’organise peu à peu. « Je recevais maintenant mon salaire du DSC, de l’hôpital de Hauterive. Avant, l’argent venait du ministère de la Santé et 127

j’avais accès aux fonds de pension dont les prélèvements étaient faits directement sur mes chèques de paie. Ce que les malades payaient pour mes services professionnels et pour les médicaments était un revenu autonome avec lequel j’assumais tous les frais d’administration, le bureau, la paperasse, les achats d’appareils… Comme employée de l’hôpital, c’était plus simple. » Plus simple, parce que Jacques Biron, l’agent administratif du DSC, s’occupe de l’aspect matériel de l’installation du nouveau service et d’une partie de son fonctionnement. D’abord, il faut trouver un local dans le village pour loger les deux infirmières nouvellement engagées, garde Mailloux et Denise Fortin, une infirmière originaire de Bergeronnes, qui travaille à mitemps au début. Il faut modifier les habitudes des gens et il n’est pas indiqué que le bureau de garde Mailloux devienne le local des soins à domicile. Selon sœur Landry, trouver un endroit approprié n’a pas été facile : « C’est Jacques Biron qui avait trouvé le local; il m’avait amenée avec lui pour voir si ça pouvait convenir, mais c’était lui qui avait fait la recherche et les démarches. Le local était tout petit, un endroit extrêmement humble. C’était au deuxième étage d’une maison située à côté de l’hôtel. Il y avait des escaliers à monter et les bureaux étaient vraiment petits. On y gelait l’hiver; il fallait rester avec nos bottes et nos manteaux. C’était des soins à domicile « de brousse » qu’elles ont vécu au début. Un peu plus tard, avec un coup de pouce du maire de l’époque, nous avions pu déménager dans un plus grand local à l’édifice de la municipalité, au deuxième étage de l’ancienne école des métiers. Pour Rita Mailloux, les difficultés de logement du service n’ont pas beaucoup d’importance. « Nous n’étions pas vraiment bien installées. Monsieur Biron m’avait dit qu’il était gêné de devoir nous loger là. Moi, de toute façon, j’étais entrée dans le moule et je laissais faire ce genre de détail. D’ailleurs, la situation s’était rapidement améliorée par la suite et nous avions été transportées à la municipalité. Le DSC avait octroyé un bon budget pour que nous puissions nous installer correctement. Au début, nous avions trois bureaux et rapidement, nous avions été à l’étroit; nous étions maintenant quatre infirmières et la place manquait, ce qui avait obligé le DSC à faire de nouvelles modifications. Pour les budgets, on faisait affaire avec Baie-Comeau : pour l’équipement et tout… et c’était bien correct. On n’avait pas de difficulté à obtenir ce dont nous avions besoin. L’époque des coupures n’était pas encore arrivée et on pouvait travailler correctement. »

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Denise Fortin se rappelle : « Nous faisions beaucoup de maintien à domicile; le but était de garder les gens à la maison ou de les ramener rapidement chez eux en cas d’opération ou de maladies à long terme; nous avions aussi des patients en soins palliatifs. Au début, la clientèle n’était pas grande, mais elle avait grandi assez rapidement parce que les médecins s’étaient sensibilisés aux besoins des gens. Il y avait aussi le gouvernement qui ne voulait pas garder les gens trop longtemps à l’hôpital et qui demandait qu’ils soient envoyés à domicile avec du soutien. Nous faisions des pansements, des techniques de soins infirmiers; nous faisions de l’enseignement, par exemple, pour les gens avec des colostomies ou des plaies chroniques. Garde Mailloux était mon chef. Elle faisait les évaluations et elle partageait la clientèle avec nous. Au début, je travaillais parfois un ou deux jours par semaine; si je me souviens bien, garde Mailloux était à temps plein. Nous allions jusqu’à SainteMarguerite, passé Sacré-Cœur d’un côté et jusqu’aux Petits Escoumins de l’autre côté. » Elle apprécie beaucoup travailler avec son chef : « Garde Mailloux était une femme plein d’énergie, très compétente. Elle n’avait pas besoin de papiers pour les plans de soins des malades, elle savait ce dont les gens avaient besoin; elle avait une très grande expérience des visites à domicile et ça paraissait, elle était très à l’aise dans les maisons. Moi, je commençais, j’arrivais de l’hôpital; c’est sûr que ce n’était pas la même façon de voir et de faire. Il fallait savoir « dealer » avec tout l’entourage, pas juste avec le malade. Je n’étais pas habituée à cela du tout. C’est par l’exemple de garde Mailloux que j’ai appris. Elle ne donnait pas de cours, mais elle s’informait de nos patients, elle nous donnait des conseils. Elle ne venait pas souvent avec nous, à part quelques fois au début. Je la regardais faire au bureau, je l’écoutais quand elle parlait, comment elle se débrouillait pour régler les problèmes qui se présentaient. Si j’avais un problème, c’était avec elle que j’en parlais et, ensemble, on trouvait une solution pour le régler. Quand on arrivait l’après-midi, on faisait une réunion d’équipe, on se parlait de nos malades, de ce qu’on avait fait dans la journée, de notre façon de voir ce qu’il se passait dans le milieu familial. Elle donnait des conseils, elle disait comment elle voyait ça. Elle avait une grande expérience du travail à domicile. Des fois, il y avait plus que le problème du malade, il y avait des problèmes familiaux qui apparaissaient et qui pouvaient nuire à sa santé. Spontanément, au début, je ne voyais pas cela. Quand on est jeune, on ne voit pas toujours cet aspect des soins. C’est avec elle que j’ai appris cela. C’est certain que mon certificat en santé communautaire m’avait aidée, mais c’est surtout avec garde Mailloux que j’ai appris. » 129

Au début, Denise Fortin avait suivi les cours donnés par sœur Denise Landry au DSC : « C’était très bon pour nous; les cours avaient duré à peu près trois semaines. C’était une sensibilisation aux soins à domicile : cette fonction de soins commençait et il n’y avait pas beaucoup de monde qui connaissait cela. Probablement à cause de l’expérience d’hôpital, plusieurs infirmières avaient eu de la difficulté à comprendre et à accepter la philosophie préconisée par sœur Landry. L’un d’elles avait dit : « Tu rêves en couleur. Ce projet-là est irréaliste. On ne peut tout confier comme cela au patient et à la famille. Ils ne seront pas capables de faire les traitements et de prendre soin du malade. De plus, je ne pense pas que cela va être si facile que cela de travailler avec les autres intervenants du milieu. Cela va être la pagaille et tout le monde va tirer la couverte de son côté. Les autres vont trouver que les infirmières ne sont que des donneuses de piqûres et ils vont tout prendre pour eux. » Je pense que les filles avaient de la difficulté à accepter que les soins à domicile soient axés sur la famille et sur le milieu; sur la prise en charge par la famille avec le support des aidants, des infirmières, des auxiliaires familiales. » En commençant à travailler avec garde Mailloux, je n’avais pas trouvé le travail difficile et la philosophie du service semblait tellement correspondre à la mentalité de garde Mailloux qu’il n’y avait pas de problèmes à laisser le malade être autonome. Je dis cela, mais en même temps, je pense que nous n’avions pas facilement laissé les malades faire leurs propres pansements ou se donner eux-mêmes des injections. Ce changement de mentalité s’était fait peu à peu. Pour les liens avec les intervenants, je n’étais pas celle qui était en relation avec les autres services, alors, je ne sais pas vraiment. Au début, nous étions toutes les deux, Rita et moi, et quand j’ai eu un poste à temps complet, il est arrivé une religieuse qui venait d’Afrique. Elle avait été remplacée par Victoire Carrier, une autre religieuse et un homme, Lucien Veilleux. Il y avait un certain roulement. Louise Therrien de Tadoussac avait aussi travaillé. Les quatre infirmières se partageaient les patients. À ce moment-là, le service était rendu à l’édifice municipal. » Garde Mailloux est un modèle et un mentor pour les jeunes infirmières. « Quand on arrivait au bureau, on parlait des problèmes rencontrés pendant la journée. Chacun donnait son idée; on trouvait important de partager nos expériences afin d’éviter d’avoir des œillères. Pour nous, se raconter comme cela, c’était rassurant; personne ne se sentait menacé. Quand on partait d’une maison et qu’on ne savait pas trop quoi faire, comment agir pour améliorer la situation, c’était très rassurant de pouvoir en parler en arrivant au bureau. 130

C’était une réunion d’équipe chaque jour, en somme. Nous travaillions de 8 h à 4 h. Vers 3 h, on arrivait au bureau. On voyait à peu près cinq patients par jour. Les autorités ne forçaient pas pour que le nombre augmente, car disaient-ils : « Tant qu’à avoir une population à domicile, il faut que les soins soient aussi bons que… » Toutefois, à la fin des années 1990, quand j’ai pris ma retraite, le nombre de malades avait passablement augmenté; on en voyait beaucoup plus. » Toujours selon Denise Fortin, l’équipe dirigée par Rita Mailloux essaie aussi de faire de la prévention. « Quand on allait dans les familles, on parlait pas mal d’alimentation. On ne parlait pas de l’alimentation des enfants, mais de ce qu’il fallait éviter chez les adultes, ce qu’il était bon de manger pour tout le monde, par exemple les fruits et les légumes; les desserts trop sucrés. On parlait des activités, du fumage. On ne faisait pas de visites exprès pour parler de ça, mais si on était dans une maison et qu’il y avait possibilité d’en parler, on le faisait. » Denise Fortin considère que garde Mailloux était très aidante pour les familles et aussi, pour ses propres infirmières. Elle se souvient d’avoir visité des familles en présence de sa supérieure. « Garde Mailloux savait trouver les mots pour aider les gens. Elle savait ce qu’il fallait dire dans chaque occasion, dans les familles ou avec les infirmières qui travaillaient avec elle. Parfois, on a peur de dire des choses parce qu’on a peur que les gens se sentent culpabilisés ou choqués; garde Mailloux avait le tour de dire ce qu’il fallait sans que cela heurte qui que ce soit. De plus, à cause de sa façon d’aborder les choses, on se sentait en sécurité avec elle. Personne n’avait peur d’avoir l’air incompétent; on lui disait spontanément les problèmes qu’on avait; on savait qu’elle ferait tout en son possible pour régler la situation. » Sa supérieure hiérarchique de l’époque, sœur Denise Landry, ne tarit pas d’éloges à l’endroit de garde Mailloux : « Rita était ouverte aux besoins des autres. C’est ce qui l’avait fait adhérer à ce nouveau mode de présence auprès de la population dans sa région. Comme elle avait une volonté de fer, si elle décidait de faire quelque chose, elle se rendait au bout et c’est comme cela qu’elle a agi aux Soins à domicile. Elle avait aussi une grande qualité de cœur et un profond sens humain face à la détresse des personnes; sa qualité de cœur la faisait vibrer au contact des besoins des gens. Je n’ai connu garde Mailloux que pendant les quelques années où j’ai été à la tête du service régional de soins à domicile, mais je garde de cette infirmière un excellent souvenir. » 131

Garde Mailloux parle de cette relation qu’elle partageait avec les infirmières du service : « Les infirmières avec qui je travaillais au service de soins à domicile étaient formidables. J’avais une équipe qui travaillait bien, qui était motivée; jamais une infirmière n’a refusé que l’on garde un malade dans le service sous prétexte qu’il fallait aller le visiter pendant la soirée ou en fin de semaine. Les filles étaient d’une très grande disponibilité même si plusieurs étaient mères de famille. J’étais très chanceuse d’avoir de telles infirmières avec moi. Normalement, elles avaient un horaire, mais si quelqu’un faisait une poussée d’hypertension ou s’il y avait quelque chose qui allait mal, elles se rendaient à domicile hors des heures de travail et même en fin de semaine si nécessaire. Si on avait des gens en phase terminale, on faisait la même chose, mais de façon plus régulière. Dans les premières années, nous n’avions pas eu de cours sur les soins palliatifs, cela commençait tout juste dans ces années-là. On recevait de l’enseignement en cours d’emploi, des périodes de formation préparées sur différents thèmes, dont l’approche des mourants. »

Soins palliatifs Dans la période où garde Mailloux commence à travailler au service de soins à domicile, un phénomène de société est en cours dans l’ensemble des pays occidentaux. Depuis plusieurs décennies, la mort était devenue tabou et la plupart des gens qui étaient mortellement atteints finissaient par se retrouver à l’hôpital pour y mourir. Bien sûr, des gens décédaient à la maison quand ils souffraient d’une crise cardiaque ou d’une maladie foudroyante, mais la tendance de terminer sa vie à l’hôpital était bien établie. Pis encore, on ne parlait pas de la mort; on cachait la vérité au malade condamné par la science et souvent, le malade lui-même préférait ne pas connaître la vérité sur son état. La situation la plus fréquente était la suivante : un malade souffrant d’un cancer est opéré; le chirurgien ne lui dit pas de quelle maladie il souffre; « On vous a opéré au ventre; rentrez chez vous et ça va aller. » Il donne une prescription de calmants et adresse le dossier au médecin traitant. Celuici s’occupe du malade du mieux qu’il peut, toujours sans lui dire que la mort est prévisible à plus ou moins brève échéance. Parfois, il n’en parle même pas à la famille qui préfère ne pas savoir, du moins jusqu’aux dernières limites. Il traite les complications à mesure qu’elles se présentent et augmente peu à peu les doses de calmants. Quand il n’y a plus rien à faire et que le

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malade est trop faible et souffrant, on le fait entrer à l’hôpital où il mourra, parfois même en l’absence de sa famille. C’est cette situation qui commence à changer avec les années. Garde Mailloux avait déjà suivi des patients en phase terminale; avec les soins à domicile, plusieurs malades peuvent bénéficier d’une fin de vie beaucoup plus humaine. Elle raconte : « On a eu plusieurs cas de soins palliatifs. Tous les grands malades qui voulaient rester dans leur maison, on les accompagnait jusqu’à la fin. On avait des gens qui faisaient l’aide à domicile aussi, qui aidaient pour le ménage, etc. Les infirmières acceptaient de s’occuper des malades qui voulaient mourir dans leur maison. Il faut dire que la nouvelle directrice des soins à domicile a déjà une bonne expérience des soins et surtout, de l’approche du mourant. Pendant sa pratique au dispensaire, elle avait accompagné plusieurs familles qui désiraient garder leur malade avec eux à la maison. Une dame a gardé un souvenir ému de la fin de vie de sa belle-mère sous les soins de garde Mailloux. « Garde Mailloux nous a beaucoup aidés quand ma belle-mère est morte d’un cancer d’estomac. Elle venait à la maison régulièrement. C’était une couple d’années avant que le dispensaire ferme. Ma belle-mère était restée à la maison pendant un an avant de mourir. Au début, elle n’était pas souffrante, mais elle était très nerveuse. Garde Mailloux lui avait donné quelque chose. Elle aurait pu lui donner de la morphine elle-même, mais comme ma bellesoeur était là, c’est elle qui s’en occupait. Environ deux mois avant de mourir, elle avait demandé à garde Mailloux de rester seule avec elle quelques instants et elle lui avait demandé de lui dire la vérité sur son état. Personne n’en avait jamais parlé avec elle. On n’a jamais su ce qu’elles s’étaient dit, car ma belle-mère nous avait dit : « C’est entre moi et garde Mailloux. » Quand étaient arrivés les derniers moments, deux à trois mois plus tard, garde Mailloux était là. Le frère de ma belle-mère était venu de Boston quand il avait su qu’elle était proche de mourir. Il était Père blanc d’Afrique, une communauté religieuse. Il n’avait pas été capable de rester avec elle dans la chambre. C’est garde Mailloux qui était restée. Lui était dans la cuisine et il pleurait. « C’est vraiment une sainte, cette femme-là. Les paroles qu’elle lui a dites, moi, je n’aurais pas été capable de les dire comme cela. » Il n’en revenait pas de la façon que l’infirmière parlait à sa sœur. » Interrogée sur ce témoignage, garde Mailloux se souvient et raconte : « Elle était en phase terminale. Son beau-frère était religieux; je pense que c’était un Père blanc, mais je ne suis vraiment pas certaine. Il demeurait à Boston. 133

Il m’avait dit : « Quand tu verras que c’est pas mal avancé, tu me le diras. » Une dizaine de jours avant sa mort, je l’avais fait appeler et il était venu à son chevet. Je me souviens qu’il était dans la cuisine et qu’il tournait en rond : il se sentait incapable de lui parler de la mort. Par le comportement de la dame, je me rendais compte qu’il ne lui avait pas parlé. J’allais régulièrement lui donner une injection calmante. À un moment donné, je lui avais dit : « Nous, on ne peut plus rien faire pour vous. C’est impossible pour nous autres de vous guérir, mais on peut quand même vous soulager ». Nous avions déjà parlé de la mort ensemble. Je lui avais dit : « Ce n’est pas si difficile que ça de mourir. » Comme je connaissais toute sa famille, je lui avais nommé des gens qu’elle aimait, qui étaient décédés et qui l’attendaient de l’autre côté. Finalement, je lui avais dit que j’allais chercher une injection pour la soulager; en revenant, elle était déjà morte. Je me souviens que le père m’avait remerciée. « Je n’étais pas capable de lui parler. » Plus tard, on m’a raconté qu’il avait dit : « En l’entendant parler de la mort comme ça, j’avais presque le goût de partir moi aussi… » Au cours de ce témoignage, garde Mailloux avait ajouté : « D’une certaine manière, c’était plus facile de parler de l’Extrême-Onction que de la mort. J’ai eu un patient qui faisait des crises d’insuffisance cardiaque, des crises d’œdème aigu du poumon à répétition. Je l’ai fait administrer à plusieurs reprises, car je ne savais jamais s’il passerait au travers de sa crise. Il y avait aussi les patients qui mouraient de vieillesse. À un moment donné, je suggérais au malade de se faire administrer ou encore je suggérais à la famille de lui faire recevoir le sacrement. À cette époque, je pense que j’aurais eu des remords si un de mes patients était mort sans les derniers sacrements. Quand le patient était en danger de mort, il fallait absolument faire donner l’Extrême-Onction. » Pour en revenir aux soins palliatifs, l’expérience n’était pas nouvelle pour l’infirmière; elle avait déjà accompagné plusieurs malades en phase terminale : « Avant les soins à domicile, j’avais déjà accompagné des malades à plusieurs reprises parce qu’il n’y avait aucun endroit où les gens pouvaient aller en soins palliatifs. Dans le temps, pour traiter les cancéreux, il n’y avait pas encore de chimiothérapie. Je n’ai pas eu de malades qui ont reçu de la radiothérapie, même si ça existait à l’institut du radium à Montréal. Le principal traitement était la chirurgie et le malade revenait ensuite chez lui. Les chirurgiens suivaient rarement les malades à long terme; c’est moi qui les prenais en charge, mais avant de changer une médication, je consultais le spécialiste ou j’envoyais le malade en consultation. Souvent, je procédais par 134

téléphone en expliquant au spécialiste les problèmes rencontrés et je donnais les médicaments qu’il me disait de donner. De retour à la maison, les gens y restaient jusqu’à la fin. Dans la région immédiate, les familles n’aimaient pas envoyer leurs mourants à l’hôpital; il faut dire que les hôpitaux étaient éloignés et que c’était difficile de rester avec les mourants dans les derniers moments. Les familles s’organisaient en conséquence. Parfois, ce n’était pas le milieu immédiat, ce pouvait être des frères ou des sœurs qui venaient de l’extérieur pour supporter la famille. J’ai eu de très beaux témoignages de gens que j’ai accompagnés ainsi en fin de vie. » À l’époque où garde Mailloux travaille au dispensaire, les gens ne parlent pas beaucoup de la mort, en tout cas, beaucoup moins facilement qu’aujourd’hui. « Dans certains cas, il fallait cacher le verdict, car la famille ne voulait pas que je parle de la mort. Il fallait respecter leur volonté. Sans conter de blagues, il fallait quand même que j’agisse selon ce que la famille désirait et parfois, ça devenait délicat. En général, dans ces cas-là, les patients ne questionnaient pas tellement non plus; probablement qu’ils avaient la même optique que leur entourage : c’était comme un sujet tabou pour tout le monde y compris le mourant. » Mais il y a toujours des personnes qui veulent connaître leur diagnostic et ses conséquences probables : « Pour moi, ce n’était pas difficile de dire la vérité. Je savais que je ne les laisserais pas tomber quand le moment serait venu et je leur en donnais l’assurance. Voir venir la mort, c’est plus facile quand on sait qu’on va avoir du soutien jusqu’au bout. Je donnais de la morphine en comprimés le plus longtemps possible ou des tablettes avec de la codéine. Quand les malades étaient réellement en phase terminale, je donnais les injections de morphine sur appel; je me rendais à la maison très souvent. Dans le fond, les gens ont surtout peur de souffrir et de mourir tout seuls. Pour moi, le contrôle de la douleur était ce qui était le plus important quand un malade était en fin de vie. » L’infirmière constate une grosse différence entre son travail en pratique privée et le travail aux soins à domicile. « Avant, je donnais des conseils, je donnais du soutien psychologique, je m’occupais de la médication, mais c’était la famille qui s’organisait avec les soins pour fonctionner le mieux possible. Dans le temps, on ne pouvait pas faire entrer un lit d’hôpital dans une maison, il n’y en avait pas de disponible. S’il n’y avait pas de chambre en bas, les gens organisaient une chambre dans le salon ou quelque chose dans le genre pour éviter que les soins soient trop difficiles. On n’avait pas d’appareils ou d’instruments particuliers. Comme les femmes accouchaient à la maison, il était normal qu’il y ait des bassins de lit sur place. S’il n’y en 135

avait pas dans la maison, on les empruntait chez des voisines ou des amies; pour les urinoirs, on en trouvait aussi. Je faisais ce que la famille voulait que je fasse. » Au cours des années, les mentalités commencent à changer : « Un peu avant mon arrivée aux soins à domicile, je me souviens qu’on me disait souvent : « Pour le moment, on ne lui dit pas. Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir. On va attendre. » Souvent, les gens attendaient tellement qu’ils n’avaient pas le temps de parler. Mon expérience me dit d’ailleurs que les malades étaient davantage au courant de leur état que ce que la famille pensait. Cela arrivait que le malade pose des questions quand il était seul avec moi. Je n’ai jamais menti à un malade. » Quand le système de santé se modifie, le changement de mentalité est déjà en marche. « Depuis quelques années, c’était différent. Les gens avaient plus d’information sur la mort, sur les diagnostics et aussi sur les traitements. La population avait acquis pas mal de connaissances sur la santé autour des années 1970. Avant, la médecine était fermée. Maintenant, les gens avaient plus d’information en général, y compris sur la santé et la maladie et ça jouait sur les comportements quand une pathologie se déclarait. » C’est ainsi qu’au moment où garde Mailloux commence à travailler aux soins à domicile, une nouvelle tendance se dessine et dans la société, on recommence à aborder plus ouvertement le tabou de la mort. On parle même d’implanter des services de soins palliatifs dans certains hôpitaux du Québec, ce qui ne tardera pas d’ailleurs. La tendance prend de l’ampleur et désormais, il n’est plus aussi extraordinaire d’entendre un malade demander de retourner à la maison pour y mourir. En entrevue, garde Mailloux a longuement parlé d’un malade qui avait été suivi pendant plus de trois mois par les infirmières du service : « Comme les tâches étaient partagées entre les infirmières, monsieur P était surtout mon patient. C’était une famille unie, une famille de douze enfants; les enfants étaient brillants, motivés et ils étaient très, très près de leurs parents. L’épouse était une personne extraordinaire. Avec eux, je pouvais parler de la mort; ils discutaient et ils décidaient ensemble. On avait installé monsieur P comme s’il était dans un hôpital, avec un lit d’hôpital et tout le nécessaire. Nous prenions notre matériel au DSC : les marchettes, les cannes, les bassins de lit, et tout ce qui était nécessaire. Les gens n’avaient pas à payer puisqu’on transportait nous-mêmes tout ce qu’il était possible de transporter. Pour le lit d’hôpital, je pense que la famille s’était organisée pour aller le 136

chercher. Je ne me souviens pas vraiment des coûts de transport, mais je ne me souviens pas non plus d’avoir envoyé de compte à une famille. Peut-être que la facture venait directement du DSC » La famille s’occupe de donner le bain et les petits soins comme les frictions, les changements de positions et l’infirmière donne du soutien et s’assure que le malade ne développe pas de plaies de lit. « . . Je m’occupais de sa médication. Cela avait bien duré trois ou quatre mois. Les premiers temps, je devais y aller aux deux ou trois jours; ensuite, j’y allais chaque jour et parfois deux ou trois fois par jour. Cela dépendait de ses besoins et de son état. » Garde Mailloux termine ce témoignage avec émotion : « Nous avions gardé monsieur P à la maison jusqu’à la dernière minute. Il avait un cancer généralisé. J’ai rencontré un de ses garçons, il y a environ un mois, dans un restaurant de Tadoussac et il m’a parlé de la période où son père était en phase terminale. Il a dit : « Je pense que vous nous avez donné la force de passer à travers toutes les épreuves qui pouvaient nous arriver. » Il m’a encore remercié avec émotion. Ce sont des témoignages qui sont précieux. » Un autre témoignage qui fait plaisir : « Nous avions eu aussi une personne âgée, un homme d’un village voisin, qui était mort chez lui. Chaque jour, il remerciait les infirmières de lui donner la chance de rester dans sa maison pendant ses derniers jours. Il disait comment tout est important quand on sait que les jours nous sont comptés. Même le bruit de l’aspirateur que sa femme passait dans le couloir était de la musique à ses oreilles : il était à la maison. Il appréciait réellement ce qu’on faisait pour lui. » Pour éviter l’hospitalisation du mourant, certaines familles acceptent des tâches inhabituelles. C’était après quelques années de pratique en soins palliatifs alors que le personnel du service avait fini par accepter de laisser plus d’autonomie aux « clients » : « Dans certains cas, on pouvait donner du sérum intraveineux pour éviter la déshydratation; la famille surveillait le soluté, car on leur avait montré comment faire et surtout, on faisait régulièrement les visites. On s’organisait pour aller voir d’autres malades aux alentours pour être proches en cas de besoin. De toute façon, on donnait des conseils à la famille. On laissait ce qu’il fallait pour les soins de la bouche, pour les massages, pour l’hygiène au chevet du malade et on suivait le malade de près tout en donnant du soutien à la famille. »

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Même pour la médication, l’autonomie de la famille augmente peu à peu, comme se souvient Rita Mailloux. « Au début, on laissait les analgésiques à la maison; quand le malade avait besoin de médicament en injection, on se rendait à son chevet. C’était sur appel. Plus tard, on donnait l’injection le plus tard possible le soir et si le malade avait besoin pendant la nuit, on y allait. Ensuite, avec les années, les infirmières ont commencé à laisser les familles gérer la médication, mais avec une surveillance étroite pour le contrôle des narcotiques. Avant d’avoir besoin d’injections, les malades prenaient souvent du cocktail Brompton, c’était un mélange d’analgésique et de tranquillisant. Je ne crois pas que ce soit encore utilisé. Toute la médication était prescrite par le médecin traitant. » Denise Fortin qui travaillait au service ajoute : « Nous étions supposées travailler de 8 à 4 h, mais quand il y avait des gens qui avaient besoin de calmants pendant le soir ou la nuit, c’était normal d’y aller, cela faisait partie de notre rôle. Nous n’étions pas vraiment obligées, mais on y allait parce que c’était bon pour le malade; sinon, il aurait dû se déplacer pour aller à l’urgence aux Escoumins… Voyons donc! C’était en équipe que les décisions se prenaient et on se partageait le travail. Pour les calmants, les premières années, on ne laissait pas les malades se piquer seuls et on ne laissait pas la famille donner les injections au malade. On se rendait sur place. Régulièrement et même sur appel pendant la nuit. Plus tard, nous avons été sensibilisées au fait que les patients pouvaient se prendre en main et nous donnions plus de latitude aux gens avec les calmants. Au début, nous faisions du « soin palliatif », sans que le nom soit encore donné pour ce genre de soins. On s’occupait des malades, on faisait du maintien à domicile, mais toutes les connaissances sur les soins palliatifs sont venues plus tard. » Constance Gauthier travaillait en santé scolaire et le point de services Bergeronnes regroupait les équipes de santé scolaire et les soins à domicile sous un même toit : elle a pu observer le fonctionnement du groupe et les relations des infirmières avec garde Mailloux. « Même si je ne faisais pas partie de l’équipe des soins à domicile, je n’étais pas isolée pour autant. Je n’assistais pas à leurs réunions d’équipe, bien entendu, mais je pouvais percevoir le climat harmonieux qui s’en dégageait. Jamais, il n’y avait de mésentente et garde Mailloux dirigeait son équipe avec tact, diplomatie et un grand professionnalisme. Elle avait un grand respect pour chacun et c’était réciproque. Au point de services Bergeronnes, il n’y a jamais eu de 138

tension avec qui que ce soit. Son dynamisme et son dévouement étaient communicatifs. C’était très agréable pour chacun de nous et on avait l’impression de former une famille. Ce furent de belles années. »

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Chapitre 12. ON ACCEPTE SA DÉMISSION Puis les années passent et vient le temps de la retraite. Au cours des entrevues qui ont servi à préparer ce livre, j’ai senti que cette période faisait surgir des sentiments pénibles chez ceux qui ont côtoyé garde Mailloux de près pendant cette période. Elle-même ne veut pas élaborer sur la question des circonstances de sa prise de retraite. Elle dit seulement « J’ai pris ma retraite en 1986 et c’était pour des raisons personnelles. Je pense que je n’étais plus vraiment disponible psychologiquement. » En revanche, dans son entourage, quelques hypothèses sont émises et elles se résument principalement à un accueil difficile de la part de certains administrateurs et de certains médecins au moment où le service passe de l’autorité de DSC à celle du Centre de santé des Escoumins. Plusieurs témoignages convergent. Constance Gauthier parle de cette période : « Au début, lorsque nous étions avec les DSC de Hauterive, nous fonctionnions de façon harmonieuse et dynamique. Les directives étaient claires et le climat de confiance qui existait facilitait la collaboration franche entre les patrons et nous. Après notre transfert aux Escoumins, d’après moi, les premières années se sont bien déroulées pour nous comme pour garde Mailloux. Tout le monde se connaissait et le respect était mutuel. Les médecins connaissaient garde Mailloux depuis longtemps et reconnaissaient sa compétence et cela ne nuisait pas à la collaboration qui existait. C’est au fil des ans, alors que de nouveaux administrateurs et médecins s’ajoutaient au Centre de santé, que la situation est devenue plus difficile, je crois. La population était habituée à une « stabilité » avec garde Mailloux et les médecins qui étaient ici depuis longtemps. Mais voilà que les médecins ont commencé à changer constamment. En effet, les administrateurs et les médecins arrivaient ici avec peu d’expérience et ils repartaient vers la ville après quelque temps. Donc souvent, ils ignoraient les « us » du milieu. » Selon Constance, certains nouveaux administrateurs et médecins peu expérimentés ont vu en garde Mailloux une rivale plutôt qu’une collaboratrice. « Ils lui reconnaissaient sa compétence et, de plus, ils sentaient la confiance que lui accordait la population. J’ai eu l’impression que c’était « confrontant » pour certains d’entre eux. Les médecins avaient peut-être peur de perdre leur crédibilité auprès des clients, car il leur était difficile d’admettre les comparaisons louangeant garde Mailloux à propos de sa compétence, sa 140

disponibilité et ses nombreux « contacts » à l’extérieur… Je crois qu’il s’est peu à peu installé de la méfiance envers garde Mailloux de la part des administrateurs et de certains médecins. On ne voulait pas qu’elle dépasse ses compétences, qu’elle fasse jouer ses connexions… Subtilement, on lui a mis des bâtons dans les roues; on lui enlevait de l’autonomie; les directives sont devenues de plus en plus ambiguës. J’irais jusqu’à dire que certains la trouvaient trop « dérangeante » et qu’ils souhaitaient qu’elle parte… » L’infirmière conclut : « Que quelques personnes agissent de cette manière suffit parfois à miner la personne visée. Je dis ce que j’ai perçu ou appris de mon entourage, des gens d’ici et d’ailleurs. À mon avis, elle a été victime d’un harcèlement qu’elle ne méritait nullement. Jamais elle n’en a parlé ou s’est plainte de quoi que ce soit et elle est toujours demeurée positive. Je pense que sa retraite, quoique bien méritée, a été pour elle un moyen pour que sa clientèle ne soit pas pénalisée par cette situation. » Malgré son désir de ne pas trop se pencher sur cette période, garde Mailloux commente en ces termes : « Avec les médecins de mon temps, comme Antoine Gagnon, Raymond-Marie Gagnon de Sault-au-Mouton et des Escoumins, Jean-Marie Tremblay de Sacré-Cœur, il n’y avait aucun problème. Je leur rendais service et c’était facile de collaborer ensemble. C’est plus tard que la situation est devenue moins claire. Il est passé un bon nombre de jeunes médecins qui sont restés seulement quelques années, certains juste quelques mois; ceux-là ont pu se sentir menacés. Il faut dire aussi que le système de santé avait beaucoup changé. Et je pense que les gens ne se gênaient pas pour dire qu’ils sentaient la différence; cela n’aidait pas. Un patient m’a raconté un jour qu’il avait dit au médecin de l’urgence : « En tout cas, avec garde Mailloux, ça ne se serait pas passé de même. » C’était bien senti, mais je ne pense pas qu’une telle phrase ait aidé à me faire accepter par les jeunes médecins qui n’avaient jamais travaillé avec moi sur une base de collaboration... Denise Fortin est une autre infirmière qui a travaillé avec garde Mailloux jusqu’à la retraite de cette dernière en 1986. « J’ai cessé de travailler aux soins à domicile en 1998. Quand garde Mailloux a pris sa retraite en 1986, personne n’a pris sa place comme coordonnatrice; il y avait le directeur des soins infirmiers de l’hôpital qui jouait le rôle de chef, mais on faisait chacune ce qu’on avait à faire. Avant, c’était vraiment garde Mailloux qui était notre chef des soins à domicile. C’était un rôle officiel, mais elle n’a pas été remplacée quand elle a quitté parce que tout était bien organisé. » 141

Denise Fortin maintient aussi que les dernières années aux soins à domicile ont probablement été difficiles pour garde Mailloux. « Je n’ai pas d’exemples particuliers, mais pour certaines gens en autorité, garde Mailloux était menaçante à cause de sa très grande compétence et parce qu’elle connaissait la population depuis de longues années. Elle connaissait tout le monde, leur état de santé, leurs besoins. C’est mon point de vue. Certains des jeunes médecins qui ne l’avaient pas connue avant, qui ne faisaient que passer dans la région et qui entendaient les gens vanter ses qualités et son expérience se méfiaient d’elle. Elle ne laissait jamais rien en suspens; elle cherchait toujours une solution, même si elle était obligée d’aller plus loin et de se servir de ses « connexions » avec des médecins de l’extérieur. Cela ne la dérangeait pas; elle le faisait pour ces gens qu’elle connaissait depuis de longues années. Évidemment, cela ne faisait pas l’affaire de tous les médecins. » Denise Fortin continue : « Pendant ces années-là, nous avons eu de la misère. Pas dans le temps du DSC, ni plus tard dans les années avant que je prenne ma retraite. Ce sont les médecins qui passaient aux Escoumins qui ne nous aimaient pas tellement. Nous étions très bien organisées, garde Mailloux savait ce qu’elle faisait, c’était menaçant pour les nouveaux. Je pense que les chicanes de clochers qui existent entre Bergeronnes, Escoumins, Tadoussac et Sacré-Cœur n’ont pas joué de rôle dans cette dynamique de harcèlement. Au contraire, c’était plutôt causé par le fait que les administrateurs et les médecins ne faisaient que passer, qu’ils étaient « apprenants » dans notre région. » Elle poursuit : « J’ai peut-être un autre élément. Je me souviens que parfois garde Mailloux recevait un appel signalant qu’une personne du secteur avait besoin de soins. Elle allait l’évaluer et ensuite, elle en parlait au médecin. Ce n’était pas la procédure normale. C’est arrivé quelques fois à ma connaissance. Si elle jugeait que quelqu’un avait besoin d’aide, elle s’organisait pour l’obtenir. Ce n’était pas un problème de coût; dans ce temps-là, on avait l’argent. Non, c’était vraiment un problème d’autorité, de partage de pouvoir. Nous n’avons pas vu de notes de réprimande ou d’autres choses, mais dans les attitudes, nous trouvions qu’ils étaient durs avec garde Mailloux. S’ils avaient voulu… Elle avait tellement d’énergie à donner, qu’elle aurait pu faire bien davantage que ce qu’on lui a laissé faire… Je peux dire qu’ils avaient peur de son expérience, de son dynamisme, de sa débrouillardise, de sa compétence dans la recherche de solution, de son envergure en somme. Jamais, elle n’a dit quoi que ce soit contre quelqu’un. Elle essayait de régler 142

les différents de façon positive et elle ne passait pas de commentaires sur ses difficultés. Mais, c’était bien connu que certains administrateurs des Escoumins ne l’aimaient pas. Je ne sais pas quoi dire de plus. » Jacques Biron, l’administrateur du DSC, avait beaucoup travaillé avec garde Mailloux. En 1983, le service était passé du DSC vers le Centre de santé des Escoumins dont le CLSC constituait le volet prévention. Une partie du mandat du CLSC touchait aussi un volet curatif par les soins à domicile. Jacques Biron aussi avait repéré des points difficiles dans le traitement réservé à la responsable du service de soins à domicile par certains administrateurs du Centre de santé des Escoumins. « Je pense qu’elle a eu plus de misère quand elle a relevé des Escoumins. Elle a eu affaire à des gens moins compétents qu’elle. C’était sans comparaison possible avec sœur Denise Landry. » Sœur Denise, la responsable du service de soins à domicile qui avait quitté après quelques années, partage le malaise général. « Bien sûr, il y a eu des points d’accrochage. Je me souviens d’avoir dû aller discuter avec l’équipe de médecins, pour expliquer ce que faisait garde Mailloux. Elle était venue avec moi et assistait à la réunion. Il y avait des gens qui appelaient directement garde Mailloux et lui demandaient de l’aide; c’était très frustrant pour elle de ne pouvoir agir d’elle-même; elle n’avait pas les coudées franches; elle ne pouvait pas prendre en charge un malade qui n’était pas supervisé par un médecin. Imaginez la frustration de cette infirmière qui avait travaillé seule dans son village pendant 25 ans. Garde Mailloux était menaçante pour les jeunes médecins qui passaient parce qu’elle avait une grande compétence; elle était une excellente infirmière clinicienne avant le temps; elle n’avait pas la formation universitaire d’aujourd’hui, mais elle avait une expérience et un grand doigté au niveau des diagnostics; cela appartient au médecin, mais elle l’avait. Elle avait un flair à propos de l’état du malade, de l’urgence d’intervenir ou non, à propos de où et comment intervenir; elle avait un sens du diagnostic exceptionnel. Ceci était reconnu au niveau du DSC et par la population. J’étais partie de la région au moment où elle avait pris sa retraite, mais je sais que la situation n’avait pas été très facile pour elle. » À la lecture de tous ces témoignages, il semble bien réel qu’une situation difficile existait au moment où garde Mailloux a pris sa retraite. Elle ne peut s’empêcher d’avouer : « Évidemment, dans certaines circonstances, je me sentais mal à l’aise devant un malade qui souffrait inutilement et je ne pouvais m’empêcher de réagir. J’appelais aux Escoumins et je parlais au 143

médecin traitant ou à celui qui était à l’urgence. Certains réagissaient mal; d’autres accueillaient bien les informations que je leur donnais. Si ça ne marchait pas, surtout si je sentais que le malade était en danger, quelquefois, j’ai pris sur moi d’appeler à l’extérieur : « Je vois telle situation; qu’est-ce que je pourrais faire pour l’améliorer. » C’était des situations très délicates, mais je ne pouvais pas accepter que des malades soient traités avec désinvolture ou manque de compétence. C’est sûr que des médecins avaient peur que je donne mon avis sur les médicaments ou les traitements prescrits, que j’envoie des gens rencontrer des spécialistes à l’extérieur. Pourtant, sans faire de consultations officielles, je me serais sentie responsable de ne pas intervenir dans quelques situations particulières. Pendant la préparation de ce livre, certains témoignages ont confirmé les propos de garde Mailloux : « Je me souviens que j’avais eu un médicament pour dormir en sortant de l’hôpital après une opération à Chicoutimi. La garde m’avait dit : « Prenez donc pas ça. Arrêtez tout ça et après quelques jours, vous serez aussi bien qu’avant. » C’était des pilules pour dormir, des Halcion. C’est elle qui m’avait dit d’arrêter ça. Elle ne travaillait plus au dispensaire à ce moment-là. J’en avais pris pendant plus d’un an avant qu’elle me conseille cela. Dans le temps, ce médicament-là n’avait pas été retiré du marché. Après quinze jours, j’étais correct. Elle avait raison. Depuis ce temps-là, si vous voyiez comment je dors bien. » Plus dramatique est le témoignage suivant : « Ma mère avait fait du rhumatisme dans sa jeunesse. Elle était toute petite et pesait moins de cent livres. J’avais rencontré garde Mailloux, par hasard, et je lui avais dit que la pression de ma mère était très, très élevée et que le médecin lui donnait des médicaments pour la faire descendre. La garde, qui connaissait ma mère depuis longtemps, m’avait dit : « Écoute, ce que tu me racontes là me paraît très grave. Ta mère ne faisait pas de pression avant. Tu me dis que c’est arrivé tout d’un coup. À ta place, je l’amènerais voir tel médecin. Je vais même l’appeler pour lui en parler. » Ma mère a été opérée d’urgence et le chirurgien m’a dit qu’elle serait morte rapidement si elle n’avait pas été opérée pour lui enlever ce rein qui l’empoisonnait. » Depuis 1986, garde Mailloux continue à répondre aux questions de ses concitoyens. Pourquoi a-t-elle pris sa retraite alors qu’elle aurait pu travailler encore quelques années ? En fait, personne ne sait vraiment ce qui s’est passé, mais comme elle le résume un peu ironiquement : « Probablement que j’étais dérangeante pour les gens en autorité. Je n’avais jamais eu 144

l’impression d’avoir des problèmes avec eux, mais quand j’ai donné ma démission, ils n’ont pas insisté pour que je reste. » Elle précise : « Je n’ai rien négocié au moment de mon départ. La seule chose que j’ai demandée était de me laisser garder mes assurances et cela n’a pas été accepté. J’ai pris les congés de maladie auxquels j’avais droit, ce qui m’a laissée en congé pendant une année complète avant de changer officiellement de statut. J’avais une très grosse banque de congés parce que pendant toutes les années où j’avais été au dispensaire, je prenais très peu de vacances, sauf un peu de temps l’été et quelques jours à Noël. Je ne prenais jamais tout un mois de suite pendant l’été. La seule fois où j’avais pris un congé plus long, c’était quand j’étais allée en Europe en 1956. Je n’ai jamais planifié de partir très longtemps. Je partais à l’occasion quand je pensais que je pouvais laisser sans que personne n’ait besoin de moi. J’ai souvent passé Noël à la maison et j’allais chez les malades s’ils avaient besoin, par exemple quand je savais qu’une femme était prête à accoucher. Quand j’étais à Bergeronnes, j’étais constamment disponible de jour comme de nuit, sept jours par semaine. Le ministère tenait la comptabilité des jours accumulés et après 263 jours, ils ont cessé de compter. J’ai pu reprendre ces journées au cours de l’année de ma retraite. J’ai pris officiellement ma retraite au printemps 1986.

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Chapitre 13. ET C’EST LA FÊTE…! Au moment où garde Mailloux prend sa retraite, au printemps 1986, le village est en effervescence : on prépare pour elle une grande fête de reconnaissance. Un comité se forme et les préparatifs se mettent en branle. Dans la préparation de ce livre, plusieurs personnes ont été rencontrées qui ont fait le récit des préparatifs de la fête et de l’événement lui-même, mais mes principales informatrices ont tout de même été Claudette Hovington et Jeannine Deschênes. « Nous avions reçu un mandat de la municipalité. Nous avions commencé à travailler à l’organisation de la fête dès le mois de janvier de cette année-là. Nous avions fait une recherche qui allait nous permettre d’organiser une fête à la hauteur de ce que garde Mailloux avait fait pour le village. Bien des gens ont mis la main à la pâte » Il faut d’abord trouver un thème. « Un thème que nous avions voulu représentatif de l’aura qui entoure garde Mailloux. Il n’avait pas été difficile de choisir « Il y a une étoile pour vous ». Avec le thème, il fallait une chanson et Constance Gauthier compose un hommage : des mots sur une musique, sur un air connu d’Angèle Arsenault. « C’était une chanson très émouvante. » « Il y a une étoile pour vous ». Composée pas Constance Gauthier Sur une musique d’Angèle Arsenault Refrain : Y’a une étoile pour vous Y’a une étoile tout près de nous Y’a une étoile en vous C’est une étoile pour chacun de nous

Vous avez mis tant de cœur À travailler quelle que soit l’heure Ce soir, c’est à notre tour De dire merci pour tant d’amour 146

Merci pour ces trente-cinq ans De tant de labeur et de dévouement Vous avez su par votre talent Donner la santé à toutes ces gens

Y’a tant d’étoiles dans le ciel Mais nous avons choisi la plus belle Celle qui brillera toujours Car elle nous parlera de notre amour Sur le chemin de notre cœur Vous garderez une place d’honneur Acceptez nos vœux de bonheur Pour un avenir plein de douceur

Le comité a ensuite l’idée de « monter » un parchemin contenant des témoignages de reconnaissance de la part de gens qui, au cours des années, avaient bénéficié des soins de garde Mailloux. Connaissant bien la grande discrétion de l’infirmière, ce document se doit d’être absolument confidentiel. Gianna Bella et Diane Moreau se chargent d’aller recueillir les témoignages. Elles se promènent de maison en maison et jasent avec les gens. Les personnes rencontrées écrivent elles-mêmes leur texte ou bien, les bénévoles rédigent le témoignage avec elles. Gianna a une bonne expérience de recevoir les confidences des gens puisqu’elle travaille au Maillon, l’hebdomadaire local; quant à Diane Moreau, c’est une femme très empathique à qui les gens, même les personnes âgées, font spontanément confiance. La fabrication du parchemin est tout une aventure. Gianna Bella avait eu, toute petite, un contact émerveillé avec les lettrines, ces lettres de début de paragraphe, ornées d’enluminures. Avec des pinceaux d’artiste et des encres roses et dorées, elle travaille pendant plusieurs jours à l’écriture du document. Tous les témoignages sont retranscrits à l’encre de Chine sur des pages dont elle a brûlé les bordures avec une bougie pour imiter les documents anciens. Lucien Gauthier participe en sculptant les initiales de garde Mailloux, « RM », aux deux bouts du rouleau sur lequel le parchemin est enroulé. Un sceau vient sceller le tout dans la cire. Dans ce parchemin, tout 147

est confidentiel. C’est donc sous le sceau de la « confidentialité » que Gianna Bella a fait son travail de transcription. Le document est destiné à garde Mailloux et à elle seule; personne d’autre que Diane Moreau et Gianna Bella n’a eu le privilège d’en faire la lecture. Le parchemin de 57 pieds de long contient les témoignages de 163 anciens et anciennes patientes de l’infirmière. Un autre projet se met aussi en place. Il s’agit de présenter à la jubilaire une sculpture contenant les symboles de sa pratique auprès de la population : entourant la figure de Rita Mailloux, on trouve un bébé représentant les plus de 200 enfants qui sont nés des mains de l’infirmière; un snowmobile, véhicule de transport qui représente ses multiples déplacements pour aller visiter les malades même au creux des pires tempêtes; le dispensaire où a vécu l’infirmière pendant la première décennie de sa vie à Bergeronnes; un lit d’hôpital qui rappelle la période où elle fut en charge des soins à domicile et enfin, une lampe, la lampe de Florence Nightingale, la patronne des infirmières. La sculpture sur bois sera l’œuvre de Gaétan Hovington, un artisan de Tadoussac. Reine Lessard reproduit les motifs sur des médaillons qu’elle inclut dans une grande affiche qui décorera la salle de banquet. Pendant cette opération, les organisatrices s’emploient à recueillir les textes des hommages qui seront lus à la jubilaire; y participent : Florence Trépanier-Boulianne, la mairesse de Bergeronnes-Canton; Gaétan Boucher, le maire de Bergeronnes-Village; Cécile Dumais, une demoiselle Simard, grande amie de garde Mailloux; Cécile Bouchard qui a été la colocataire de Rita Mailloux pendant les premières années de sa présence au village; le docteur Antoine Gagnon ainsi que Monseigneur Donat Gendron. Entre-temps, les plans s’organisent pour la décoration de la salle. Toute la décoration sera de blanc et de rose. Pourquoi du blanc et du rose ? Simplement parce que c’est beau…et que ça exprime la joie. Les organisatrices ont convaincu monseigneur Duffy, le curé, d’endosser une chasuble rose, même si les dimanches consacrés au rose sont bien déterminés dans la liturgie. Une dérogation qui ajoute à l’éclat de la cérémonie. Un couple, Serge Bouchard et Gina Deschênes, se lance dans la fabrication d’une cuvée spéciale pour l’occasion. Ils tireront de leurs barils un vin blanc et un vin rouge dont les bouteilles portent une étiquette originale.

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Dans les semaines qui précèdent la fête, des mains agiles fabriquent de multiples décorations, roses évidemment. Pour les tables du banquet, le menu est découpé à la main par toute une équipe d’enseignantes du primaire qui occupent quelques jours de congé à cette tâche. Une deuxième équipe se met en place pour une autre tâche d’envergure : la fabrication des fleurs qui orneront l’église et la salle de banquet. La fête aura lieu au début du mois de juin, période de l’année où les roses naturelles ne sont pas encore écloses : aucune importance, les femmes fabriqueront de leurs doigts des fleurs roses… en papier kleenex parfumé. C’est à la fois simple, joli, économique et on est sûr que les fleurs ne faneront pas. Il y en aura partout à l’église et aussi sur toutes les tables et sur les murs dans la salle du banquet. Reine Lessard fabrique de grandes affiches qui seront installées à l’église et à la polyvalente. Les mots qui figurent sur le montage rappellent les grandes qualités que tous s’accordent à reconnaître à celle qui sera fêtée : compétence, accueil, dévouement, charité, confidentialité. Ceux qui, rendus au dernier chapitre de ce livre, auront lu les témoignages qu’il contient conviendront que ces mots rendent la plus grande justice aux qualités de garde Rita Mailloux. Claudette Hovington se charge de préparer le menu : du « cocktail de la diplomatie » au « breuvage inspiré de joie et de santé », tous les plats comportent une signification particulière. Michèle Maltais, responsable de la cafétéria de la Polyvalente, se charge de la préparation de la nourriture. Un banquet, ça se prépare : Gemma Brisson est responsable de tout ce qui entoure ce moment de la soirée. Elle recrute une équipe d’une vingtaine d’élèves du secondaire qui travailleront par paire d’un gars et d’une fille pour assurer le service. Les garçons transporteront les plateaux et les filles feront le service aux tables. Pour rehausser l’éclat de la fête, elle demande à chaque adolescent de revêtir une blouse ou une chemise blanche ainsi qu’une jupe ou un pantalon noir. Les filles porteront un ceinturon rose pour compléter leur toilette. Gemma veut que tout soit fait dans les règles et elle s’en assure en les faisant pratiquer leur rôle avant le soir de la fête. Des invitations particulières sont lancées; elles sont adressées, entre autres, à des amis proches et aux membres de la famille de la jubilaire. Pour la population, les journaux se chargent de publier la tenue de l’événement.

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On vend des billets au coût de 10.00 $ chacun : tout sera gratuit, sauf les consommations en cours de soirée qui seront servies au bar tenu par Nelson Michaud et son équipe bénévole. Il faut bien avertir la principale intéressée qui accueille l’invitation avec un peu d’anxiété. Les organisatrices s’y attendaient : « On ne pouvait pas lui faire de secret, il fallait l’avertir pour qu’elle puisse se préparer. On l’avait assurée que ce qu’on préparait ne la mettrait pas mal à l’aise. Elle avait peur qu’on parle de son travail avec les malades et avec la discrétion que nous lui connaissions, nous avions vraiment fait attention. Des allusions, mais pas plus. De toute façon, nous avions besoin de sa permission pour organiser une telle fête. Je pense qu’elle a accepté parce qu’elle avait confiance en nous et en notre discrétion. »

Tout est en place, la fête peut commencer! Par une belle journée, le 7 juin 1986, une foule nombreuse se présente à la messe en l’honneur de Rita Mailloux. « Nous avions « déroulé » le tapis rouge comme pour un mariage. C’était très beau. Garde Mailloux était très élégante comme elle l’est toujours. Elle portait une robe lilas qui allait très bien avec la décoration rose et blanc de l’église et de la salle. » Rita Mailloux se rappelle : « Deux semaines auparavant, j’avais reçu la médaille de l’Ordre du mérite nord-côtier. Comme je savais que ces deux fêtes se préparaient, j’avais acheté deux toilettes : l’une, jaune et l’autre, lilas. Comme je n’étais pas au courant de l’importance que la couleur rose avait prise dans la préparation de la fête, je n’avais pas utilisé ce critère dans la sélection de mes vêtements. C’est donc par un heureux hasard que je me suis présentée à la première soirée en tenue jaune et à la fête de la paroisse avec ma robe lilas, mais j’en étais très contente… et un peu soulagée. » La chorale de l’église assure la musique et les chants. Comme d’habitude, c’est madame Jean-Noël Tremblay qui touche l’orgue. Évidemment, chaque chant et chaque lecture revêtent une signification reliée à la fête de reconnaissance. Sœur Huguette Villeneuve, une enseignante de la polyvalente, agit comme animatrice, elle qui est responsable de la pastorale. Elle présente successivement les personnes qui se rendent au lutrin pour lire une intention particulière : Françoise Jourdain, Paul Bouchard, Charles-Edmond Lessard,

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Léopold Hovington, Jeanne d’Arc B. Gagnon et une de ses nièces, Évelyne Guay. Monseigneur Duffy, prélat domestique et curé de la paroisse, célèbre la messe. Sont aussi présents dans le chœur de l’église : l’abbé Audy de Québec, un ami de la famille; l’abbé Amédée Gagnon, le frère du docteur Antoine Gagnon et l’abbé Parent, curé aux Escoumins. Florence Trépanier-Boulianne et Gaétan Boucher font office de « servants de messe ». La célébration eucharistique se déroule dans le plus grand recueillement. À l’Offertoire, madame Joséphine Lessard s’avance pour la présentation, sur un coussin de soie rose ancien, du fameux parchemin roulé fabriqué par Gianna Bella. Rita Mailloux, en signe de respect, se lève pour aller à la rencontre de la doyenne du village. Puis, Denise Fortin, vêtue de son costume d’infirmière, dépose sur l’autel la fameuse trousse noire que garde Mailloux a traîné partout avec elle, au cours des années de sa vie professionnelle. Quand la messe est terminée, la foule se dirige vers la polyvalente. C’est maintenant le temps des hommages et des festivités. Diane Moreau et Diane Gagnon sont responsables du cocktail d’accueil. Tous les invités portent une étoile. Un grand présentoir rappelle un honneur récemment rendu à la jubilaire : il s’agit de l’Ordre du mérite nord-côtier. Trois semaines auparavant, à Sept-Îles, elle a reçu la médaille de l’Ordre, des mains de Gérard-D. Landry, le président du journal La Presse. En entrant dans l’édifice de la polyvalente, chaque personne se rend près de garde Mailloux pour lui offrir ses vœux. Les organisatrices se rappellent : « Ce bout de fête a duré un bon moment parce qu’il y avait 400 personnes et chacune voulait la saluer et la féliciter ». Jacques Gagnon, agit comme maître de cérémonie et, de l’escalier, il dirige les invités vers l’étage où se trouve la salle du banquet. On assiste à un grand moment de retrouvailles. « C’était la fête de la garde, mais il y avait beaucoup de gens qui ne s’étaient pas vus depuis longtemps et qui étaient venus à Bergeronnes à cause de la fête. C’était émouvant. Il y avait donc beaucoup de personnes de l’extérieur, mais il y avait surtout des gens des Bergeronnes, de Tadoussac, de SacréCœur et des Escoumins. »

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Sur le théâtre où garde Mailloux signe le livre de la municipalité, tout est décoré de bleu. Constance Gauthier chante l’hommage qu’elle a composé et sa fille, Isabelle, l’accompagne en musique. À la table d’honneur, entourant la jubilaire, s’assoient monseigneur André Duffy, l’abbé André Audy; le curé des Escoumins, Arthur Parent; le docteur Antoine Gagnon et son frère l’abbé Amédée; le maire de BergeronnesVillage, Gaétan Boucher et son épouse, Claudette; Florence TrépanierBoulianne, la mairesse des Bergeronnes-Canton et son conjoint, Raoul; Cécile Bouchard et Hermas Matthews, des amis de l’infirmière; Welleston Bouchard, le conjoint de garde Mailloux ainsi que leurs deux fils JeanFrançois et Michel Bouchard. Le centre de table est un grand saladier rempli d’eau de couleur rose sur laquelle flottent des lampions qu’une femme vient allumer : il s’agit de madame Roger Daigle, connue sous le nom d’Évangéline Sutherland, accompagnée de sa fille Rachel. Cette femme dont nous avons déjà raconté l’histoire est la première patiente à avoir été accouchée par garde Mailloux au début de sa vie professionnelle. Le centre de table original tiendra pendant tout le temps du banquet au grand plaisir des organisatrices. Le dernier « bébé » de garde Mailloux, celle qui est née en pleine tempête dans les circonstances relatées dans le livre, vient lui offrir un magnifique bouquet de fleurs. Il s’agit de Sonia Maloney dont l’infirmière se souvient avec émotion. Plus tard, c’est la présentation des cadeaux. Madame Joséphine Lessard, revient avec le rouleau de témoignages qui avait été remis à l’infirmière au cours de la cérémonie religieuse. Le maître de cérémonie explique alors à l’assistance les conditions de discrétion et de confidentialité qui ont entouré la fabrication du document. Les organisatrices avaient aussi préparé un album souvenir qui est présenté à la jubilaire au milieu du repas. Plus tard, madame Boulianne et monsieur Boucher, les édiles municipaux, lui remettent la sculpture sur bois offerte conjointement par les deux municipalités.

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La fête continue et, après une longue soirée de festivités, les invités repartent avec plein de souvenirs en tête. Garde Mailloux conserve, elle aussi, un souvenir ému de la journée : « Je me sens toujours mal à l’aise quand je suis le centre d’attraction dans un événement, mais cette fête était tellement belle, tellement bien préparée, les gens y avaient mis tant de cœur, que j’ai été comblée. »

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Chapitre 14. LA RETRAITE Quand la fête est finie, la vie continue. Rita Mailloux entreprend une autre étape de sa vie et maintenant qu’elle n’a plus de responsabilités professionnelles, elle peut mener une existence plus normale. Les années passant, elle fait quelques voyages, en Europe, aux États-Unis et dans les Îles. Elle voyage aussi dans la province pour assister à des événements culturels ou, tout simplement, pour aller faire des emplettes dans les principaux centres urbains. Elle adore la lecture et fréquente assidûment les librairies de la vieille capitale. Elle a un bon groupe d’amis et ensemble, ils peuvent s’adonner à leur passe-temps préféré, le jeu de cartes. De longues soirées passées entre amis constituent une bonne façon de passer le temps agréablement. La tentation du retour au travail se produit environ 5 ans après sa prise de retraite : « Plus tard, je me suis dit que si j’avais arrêté seulement un an ou deux, j’aurais pu reprendre. En 1991, Cécile Angers m’avait demandé de travailler pour le centre d’accueil; il y avait un manque d’infirmières, au Sacré-Cœur, pour les soins à domicile. J’étais restée pendant deux ou trois semaines et j’étais bien contente; je revoyais certains de mes patients et ils m’avaient fait très bon accueil. Malheureusement, je m’étais cassé un bras et j’avais dû cesser de rêver à un retour possible. De toute façon, j’étais à quelques mois de mes 35 ans complets de service et il semble que j’aurais été pénalisée si j’avais continué à travailler. Au début des années 1990, l’industrie du tourisme devient de plus en plus importante au village et l’occasion est belle de faire bénéficier d’autres personnes de ses qualités d’accueil et d’empathie. En 1995, elle ouvre sa maison à des étrangers, d’abord pour « dépanner » une propriétaire de gîte touristique du village et, y prenant goût, elle reçoit des touristes au cours des deux étés suivants. Pendant plusieurs années, elle s’occupe aussi de la location de son chalet situé au bord de la mer. Elle se fait des amis qui viennent la visiter chaque année, depuis plus de dix ans. De nouvelles distinctions lui sont octroyées. D’abord à l’automne qui suit immédiatement sa retraite, elle reçoit la médaille du mérite de l’Ordre régional des infirmières et des infirmiers de la Côte-Nord. Un honneur bien mérité.

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En 1995, Radio-Canada – Côte-Nord, à Sept-Îles, fait une série d’émissions sur des personnalités importantes de l’histoire de la région. Un épisode complet est consacré à Rita Mailloux, infirmière de colonie (à écouter). En 2003, deux femmes se présentent à son domicile. Elles veulent que Rita Mailloux, l’infirmière de colonie, figure dans une banque de données intitulée « Ces femmes qui ont bâti la Côte-Nord ». Le projet émane de Claire Du Sablon, Denise Fournier et Monique Turbide de Baie-Comeau qui expliquent leur projet dans La Revue d’histoire de la Côte-Nord de juin 2005, p. 35. « … est né de notre désir de voir reconnue dans le champ historique la contribution des femmes au développement de la Côte-Nord. Dans un premier temps, nous avons recensé les femmes dont on parlait dans les livres, les revues d’histoire et les journaux; les monographies de l’Ordre du mérite nord-côtier ont été une source riche et intéressante ainsi que certains sites Web. » Les auteures ont préparé, à partir d’une longue série d’entrevues, un disque compact pouvant servir de références à toutes les personnes désireuses de faire des recherches sur les femmes qui ont marqué la région. Finalement, au printemps 2004, alors qu’elle a pris sa retraite depuis longtemps, elle reçoit une invitation pour assister à un hommage qui aura lieu aux Escoumins. Il s’agit de l’inauguration d’un présentoir à la mémoire du docteur Raymond-Marie Gagnon, maintenant disparu, et de garde Rita Mailloux. Lors de l’événement, plusieurs invités lui demandent instamment de prendre le temps d’écrire ses mémoires pour que restent vivants ces moments de la vie régionale. C’est ainsi que ce voyage dans le temps a été entrepris et que ce livre a pu se faire, avec la participation d’un grand nombre des citoyens de Bergeronnes. Un dernier hommage, tout récent : dans sa livraison de janvier-février 2006, Perspective infirmière, la revue officielle de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ), présente Rita Mailloux comme l’une des figures de la grande histoire des soins infirmiers au Québec. Toutefois, c’est le témoignage de monsieur Laurent Bouchard, un ami de longue date de Rita Mailloux, qui me semble le plus approprié pour terminer cette histoire.

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« Ce que je veux dire surtout de garde Mailloux, c’est qu’elle a été une personne extrêmement importante pour les habitants de Bergeronnes. Elle était d’une discrétion absolue et jamais elle ne parlait de ce qu’elle faisait comme infirmière. « Si les gens veulent conter ce qu’il leur arrive, c’est correct, mais moi, ce n’est pas mon rôle d’en parler. » Et elle s’est toujours tenue à cette grande discrétion. Elle était aussi très humaine avec les gens. Garde Mailloux entrait partout avec le même naturel, le même calme que si elle avait été dans sa propre maison. Elle était discrète, mais aussi très proche des gens. Je n’ai jamais entendu personne dire quoi que ce soit contre elle. C’est rare dans un petit village. La confiance des gens venait aussi de sa grande compétence. Combien de fois, on entendait dire : « Garde Mailloux est venue, maintenant tout va bien. » Et on savait qu’elle demanderait de l’aide dès qu’elle ne se sentirait pas complètement certaine d’elle-même. C’était rassurant. Et de savoir qu’elle connaissait tous les spécialistes de Québec, c’était rassurant aussi. On savait qu’on serait bien soigné si on tombait malades. Je pense que, maintenant, le système de santé est meilleur que dans ces années-là, mais pour nous, à Bergeronnes, ce n’est plus la même chose. Les jeunes ne voient pas ça tellement, mais nous, on peut comparer. »

Longue vie à garde Mailloux!

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PERSONNES AYANT PARTICIPÉ À LA FÊTE DE LA RECONNAISSANCE du 7 juin 1986 Lucine Imbeault Doris Gauthier Sylvie Maltais Gaétane Jourdain Véronique Guay Manon Boucher Annabelle Girard Karine Lessard Alain Bouchard Yvan Lessard Ghislain Gagnon Édilbert Gravel

Comité central Claudette Hovington, responsable Jeannine Deschênes Constance Gagnon Paul Bouchard Ressources Hélène Hervieux Camil Lemieux Charles-Edmond Lessard Pierre Rambaud Lauréat Gagnon Messe Huguette Villeneuve, responsable André Duffy, prêtre Marie-Paule Hovington-Guay Luc Guay Rachel Guay Sébastien Guay Annie Morin Gaétan Boucher Florence Trépanier-Boulianne Françoise Gagnon-Jourdain Paul Bouchard Jeanne-D’Arc B. Gagnon Léopold Hovington Évelyne Guay Charles-Edmond Lessard Joséphine Lessard Denise Fortin Jean-François Bouchard Michel Bouchard Danielle Boulianne

Chorale Yolande Tremblay, responsable Marc Gagnon Léonce Dufour Nicole Boulianne Marie-Paule Brassard Denise Jean Rita Lessard Viviane Lavoie Blandine Jean Cécile Jean Hélène Lessard Françoise Bouchard Jeannette Petit Antoinette Gagnon Bertrand Maltais

Vente des cartes Gemma Brisson, responsable Ruth Desbiens Hélène Imbeault Céline Bilodeau Huguette Bouchard Jeannine Boulianne

Danielle Boulianne Chantal Anctil

Cocktail Diane Gagnon, responsable Jeannine Boulianne Diane Moreau

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Fleurs de soie et découpage Martine Therrien, Lucie Imbeault et Ruth Jean, responsables Rose-Aimée Hovington Danielle Boulianne Denise Jean Mona Marquis Léonne Hovington Jeanne Martel

Préparation de la salle Gemma Brisson, responsable Éric Lessard Patrice Gagnon Mario Caillé Sylvain Imbeault Yan Gagnon Carl Boucher Pascal Gagnon Stéphane Gagnon Daniel Boucher Gaétan Boucher

Parchemin Gianna Bella, responsable Diane Moreau Céline Bilodeau Lucien Gauthier Johanne Anctil Pierre Rambaud

Service du banquet Gemma Brisson, responsable Josée Lessard Suzie Gagnon Daniel Imbault Évelyne Guay Fabien Maltais Guy Anctil Louise Simard Yvan Simard Nathalie Chamberland Luc-Jean Gagnon Karine Bouchard André Gauthier Mylène Tremblay Martin Gagnon Hélène Jean Julien Maltais Cécile Lavoie Guy Roy

Album souvenir, médaillon et livre d’or Reine Lessard Bar Nelson Michaud, responsable Lydie Bouchard Lyne Caron Bernard Gauthier André Gauthier Nathalie Chamberland Maître de cérémonie Jacques Gagnon Vidéo souvenir Marcel Lessard

Vin de table Gina Deschênes et Serge Bouchard, responsables Claire Larouche Odette Gagnon Guy Harvey Dominique Imbault

Photos Bruno Gagnon Pierre Rambaud

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PERSONNES RENCONTRÉES POUR LA PRÉPARATION DU LIVRE Annie Morin pour Madeleine Bouchard Morin Cécile Dumais Charles-Edmond Lessard et Pâquerette Tremblay Claire-Hélène Boivin Claudette Hovington-Boucher Constance Gauthier-Gagnon Denise Fortin-Lapointe Dollard Gilbert et Jeanne d’Arc Gagné Florence Trépanier-Boulianne Françoise Gagnon-Jourdain et David Jourdain Gemma Brisson Geneviève Larouche-Ross Gérard Guay Héliodore Gagnon et Luce Lessard Jacques Biron Jean-François Bouchard Jeannine Deschênes-Gagnon Jean-Paul Imbault et Hélène Gauthier Laurent Bouchard Lisette Lacasse Madame Paul Gagnon (Boulianne) et Diane Gagnon Marcel Guay et Antoinette Guay Marguerite Boulianne-Chassé (Harry) Marie-Anne Otis Lessard et Roch Lessard Maurice Caouette, gynécologue Michel Bouchard Paul Bouchard et Lucille Maltais Pierre-Julien Guay Pierrette Larouche Rita Desbiens Rita Mailloux, Rosette Larouche-Toussaint Sœur Denise Landry, hospitalière de Saint-Joseph Yves Gagnon, md Et plusieurs autres personnes qui ont préféré demeurer anonymes…

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TABLE DES MATIÈRES PRÉFACE ........................................................................................................................... 2 Chapitre 1. PREMIERS CONTACTS AVEC BERGERONNES ...................................... 5 Chapitre 2. ENFANCE ET FORMATION........................................................................ 8 À l’École d’infirmières ................................................................................................. 12 Chapitre 3. INSTALLATION À BERGERONNES ......................................................... 18 Chapitre 4. LES PREMIÈRES ANNÉES (1950-1960) .................................................... 26 Infirmière… et dentiste ................................................................................................. 36 Chapitre 5. INFIRMIÈRE ET SAGE-FEMME ................................................................ 41 Suivi de grossesse ......................................................................................................... 47 L’accouchement à domicile .......................................................................................... 53 Chapitre 6. CONDITIONS DE TRANSPORT................................................................. 62 Les dangers de la « 138 ».............................................................................................. 73 Chapitre 7. ELLE SOIGNE AUSSI LES ÂMES............................................................. 78 Chapitre 8. UNE VIE FAMILIALE BIEN REMPLIE .................................................... 92 Chapitre 9. CONSULTER POUR MIEUX SOIGNER ................................................. 104 Chapitre 10. QUAND ON A PERDU LA GARDE… .................................................. 113 Chapitre 11. LES SOINS À DOMICILE....................................................................... 124 Soins palliatifs............................................................................................................. 132 Chapitre 12. ON ACCEPTE SA DÉMISSION ............................................................. 140 Chapitre 13. ET C’EST LA FÊTE…!............................................................................ 146 Tout est en place, la fête peut commencer!................................................................. 150 Chapitre 14. LA RETRAITE ......................................................................................... 154

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Rita Mailloux est une des figures de la grande histoire des soins infirmiers. Diplômée en 1950, elle a été infirmière de première ligne au dispensaire de Bergeronnes, loin des médecins et des hôpitaux. Ses pairs ont reconnu sa compétence, de même que toute la population de la région, qui parle encore de son professionnalisme et de son dévouement. Disponible jour et nuit, cette infirmière de colonie a exercé sa profession de manière très autonome sans jamais cesser de parfaire sa formation. Elle voyait à tout : médication, pansements, accouchements, soins aux nourrissons, dépistage et soutien aux familles. Nommée assistante-chef de secteur, Services de soins à domicile pour le Centre hospitalier des Escoumins en 1977, Mme Mailloux a toujours été très active dans son milieu. À sa retraite en 1986, elle a été décorée de l’Ordre du mérite nord-côtier pour services rendus à la population. Une grande carrière ! Revue « Perspective infirmière », Janvier-février 2006

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