Retour vers le futur Ces jours-ci, je suis nostalgique. Une

Sur ces photos, je regarde mon moi d'alors avec attention. J'ai l'impression d'observer une jumelle perdue dont j'aurais appris l'existence récemment. Je.
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Retour vers le futur

Ces jours-ci, je suis nostalgique. Une nostalgie douce mais insistante, qui a quelque chose à me dire. J’ai bien essayé de l’ignorer, mais elle revient sans cesse me tirer doucement par la manche. C’est le problème avec la nostalgie investie d’une mission : elle est têtue et omniprésente, et sait bien qu’elle m’aura à l’usure. Elle veut que je repense à mes premières années de voyage, et que je regarde des vieilles photos de l’époque. Elle commence à peser un peu lourd sur mes journées, alors je m’assois et j’obtempère, dans l’espoir qu’elle s’en ira bientôt. Sur ces photos, je regarde mon moi d’alors avec attention. J’ai l’impression d’observer une jumelle perdue dont j’aurais appris l’existence récemment. Je m’imagine entamer une discussion avec elle, sereine, sur une pelouse au bord d’un canal, sous le soleil de printemps, et parler de ce qu’elle ressent. Elle est sur le point d’entamer une phase importante de sa vie, celle de quitter son pays, et je sais qu’elle le veut, mais aussi qu’elle a peur. J’avais oublié ce qu’elle ressentait mais en regardant ces photos, je me rappelle du tourbillon d’émotions constitué à la fois d’appréhension et d’excitation qui composait la Gabrielle d’alors. Du haut de mes 10 ans d'expérience en tant que voyageuse et expatriée, on pourrait croire que je serai celle qui la rassurerait. Celle qui lui mettrait du baume au coeur en lui disant que tout ira bien. Mais la conversation prend une tournure différente. C’est elle, pleine de son appréhension et de la peur de voir son rêve d’expatriation contrarié, qui m’aide et m'apaise en me rappelant tout le chemin parcouru depuis le début de ma vie à l’étranger. J’éprouve pour elle, et donc pour moi, de la tendresse, de la compassion, et même pas mal d’admiration. Ma nostalgie semble se calmer. Elle voit que je commence à comprendre, mais elle pointe du doigt un souvenir oublié auquel elle veut que je repense. Il s’agit d’une photo de moi à mon arrivée à Vancouver, il y a 10 ans, lors de mon premier long voyage, seule, alors que je parlais à peine anglais. C’est la même année où, après avoir regardé les Poupées Russes de Cédric Klapisch, je sais, soudainement, que je dois partir vivre à l’étranger. De peur de renoncer à mon rêve, je décide d’agir rapidement, et quelques semaines plus tard, je dépense la quasi totalité de l’argent accumulé pendant mes jobs étudiants cette année là pour m’offrir un billet d’avion. Avec ce souvenir émerge celui, enfoui plus profondément encore, de la terreur qui m’envahit juste avant mon vol vers le Canada. C’est la première fois, à 22 ans, que je prends l’avion seule. Mon père me conduit à l’aéroport, et se gare au dépose minute. Il me dit qu’il va m’aider à amener ma valise jusque devant le Terminal, puis qu’il doit repartir. Silence dans la voiture. J’ai l’impression d’avoir 4 ans et qu’il vient de retirer les petites roues de mon vélo, puis qu’il me regarde tenter de continuer à pédaler. Je demande en bafouillant si il peut rapidement m’aider à trouver mon vol sur les panneaux d’affichage, et je suis soulagée lorsqu’il accepte, puis m’accompagne même jusqu’au contrôle de sécurité. Mon moi d’aujourd’hui, qui passe sa vie dans les avions, est effaré. Il avait oublié ! Tous les souvenirs n’ont pas la même essence. Certains sont là simplement pour leur beauté, d’autres ne sont pas des souvenirs heureux auxquels on aime repenser, mais celui-ci me frappe

avec nostalgie pour une raison : il m’offre une vue dégagée sur l’étendue du chemin parcouru, pour m’aider à continuer sur celui qui reste à faire. -Texte par Gabrielle Narcy. ©Toute reproduction interdite sans l'autorisation de l'auteur.

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